µ Brouillon du Totum des Justifications à la fin juin 2017

incomplet (avec des µ = drapeaux révisions adjonctions)

Le Florilège mystique né d’un procès

En juin 1694, Mme Guyon demanda à être examinée sur ses mœurs pour pouvoir se justifier : « L’on veut corrompre mes mœurs pour corrompre ma foi[1] ». Cette demande fut acceptée par Mme de Maintenon, qui la limita à la doctrine. Commencèrent les célèbres « entretiens d’Issy » qui se succédèrent depuis l’été jusqu’à janvier 1695. Madame Guyon ainsi que le duc de Chevreuse, son confident, furent écartés des premières discussions. Ces entretiens confirmèrent l’affrontement entre Bossuet et Fénelon. Y participèrent M. de Noailles, évêque de Châlons, assez faible de caractère, et l’honnête mais prudent M. Tronson, supérieur de Saint-Sulpice[2], malheureusement malade. Mme Guyon ne comparut devant ses juges qu’en décembre et janvier. Elle expose les circonstances de l’examen dans sa Vie, Chapitre 3.16 « Les Justifications » :

[...]

[3.] Quoique je prisse la résolution de me retirer de tout commerce, je ne laissai pas de faire savoir que toutes les fois qu'il s'agirait de répondre de ma foi, ce qu'on pourrait me faire savoir par la voie de mon temporel, je serais prête de me rendre partout où l'on voudrait. Peu de jours après, j'appris que Mme de Maintenon, de concert avec quelques personnes de la cour qui étaient déjà entrées dans cette affaire, qui avaient de la bonté pour moi et qui s'y intéressaient de bonne foi, avait pris le parti de faire faire un nouvel examen de mes écrits et d'employer pour cela des gens d'un savoir et d'une probité reconnue. M. le Duc de Chevreuse se chargea de me le faire savoir. Il me manda qu'il croyait, aussi bien que les autres en qui j'avais le plus de confiance, que c'était la voie la plus sûre de faire revenir les esprits et de faire tomber la prévention. Ce l'aurait été en effet si chacun y eût procédé avec les mêmes vues et la même intention. Mais c'était une condamnation que l'on voulait assurer, et la rendre si authentique, que ceux qui jusque-là étaient restés persuadés de ma bonne foi et de la droiture de mes intentions, ne pussent tenir contre un témoignage d'autant moins suspect qu'ils semblaient l'avoir recherché eux-mêmes et que tout, pour ainsi dire, eût passé par leurs mains. Je fis ce qu'on voulut, et je mandai que j'étais toujours prête de rendre [43] raison de ma foi et que je ne demandais pas mieux que d'être redressée si, contre mon intention, il m'était échappé quelque chose qui ne fût pas conforme à la saine doctrine.

[4.] On ne songea donc plus qu'à chercher sur qui on jetterait les yeux pour faire cet examen. Il fallait des personnes également agréables aux uns et aux autres, qui eussent la science, la piété et quelque connaissance des auteurs mystiques, parce que c'était cela principalement dont il s'agissait, de juger mes écrits par le rapport qu'ils pourraient avoir avec les leurs, soit pour le fond des sentiments, soit pour la conformité des termes et des expressions. Cette discussion paraissait difficile à faire dans Paris à cause de Monseigneur l'archevêque, à qui toutes les parties convinrent qu'il lui en fallait ôter la connaissance. Il ne l'aurait pas souffert, parce que naturellement elle le regardait seul au milieu de son diocèse, et s'il eût voulu le faire lui-même, aucun de ceux qui entraient dans cette affaire n'avait assez de confiance en lui pour s'en reposer sur sa décision.

 Je dirai pourtant ici que dans le cours de cet examen, Monseigneur l'archevêque ayant reçu quantité de mémoires faux qu'on lui avait donnés contre moi, fit dire à une dame de mes amies par une parente de lui et de cette dame, que je le vinsse voir et qu'il me tirerait de toutes mes peines. Il voulait en avoir la gloire et qu'un autre ne s'en mêlât pas. Il m'aurait pleinement justifiée, ainsi que je l'ai appris de bonne part depuis ce temps-là. Je dois cette justice à la fidélité de mon Dieu qu'il ne me manqua pas dans cette occasion et qu'il me fut mis au coeur d'y aller. Je me croyais même obligée d'obéir à la voix de mon pasteur, mais mes amis, qui craignaient que M. de Paris ne tirât mon secret sur M. de Meaux, ignorants qu'il ne l'avait pas gardé lui-même, ne me permirent pas d'y aller, ni de suivre le penchant que j'y avais. Je n'y fus donc point, agissant en cette occasion contre mon propre coeur et voyant en gros tous les malheurs que ce refus entraînait avec lui. M. de Paris, indigné avec raison de ce que j'avais refusé de l'aller trouver, censura mes livres, ce qu’il n'avait pas fait jusqu'alors, ayant été content des explications que je lui avais données six ou sept ans auparavant. Après cette censure, on ne mit plus de bornes à la calomnie et M. de Meaux se trouva encore plus autorisé dans la condamnation qu'il avait promise à Mme de Maintenon. Je reviens à l'examen proposé.

[5.] Le premier sur qui on jeta les yeux fut M. de Meaux. Il en avait déjà fait un particulier du su de Mme de Maintenon quelques mois auparavant. Elle le voulut voir pour sonder ses sentiments, et jusqu’où elle pouvait compter sur lui dans la vue qu'elle avait. Il ne fut pas difficile à ce prélat de pénétrer dans son intention et [de remarquer] la part qu'elle prenait à cette affaire, ou plutôt son inquiétude sur ses amis. Il y a lieu de croire qu'il lui promit tout ce qu'elle souhaitait, et l'on peut dire que l'événement ne l'a que trop justifié. D'un autre côté ceux qui s'intéressaient pour moi dans cette affaire, et moi-même je fus bien aise de l'y voir entrer. J'avais eu lieu de lui expliquer une infinité de choses sur lesquelles il m'avait paru content, quoique sur quelques autres il eût persisté dans une opinion contraire. Je ne doutai point que dans une discussion paisible, en présence de gens de considération et de savoir, qui seraient tous également au fait, je ne le fisse au moins revenir assez pour ne pas condamner en moi ce qu'il n'oserait pas condamner dans tant de saints canonisés par l'Eglise, aussi bien que leurs œuvres. Il m'avait de plus administré les sacrements dans le premier examen si rigoureux, et avait offert de m'en donner un certificat à telle fin que de raison[3] pour ma consolation; les choses sur lesquelles nous ne convenions point, n'ayant point été décidées par l'Eglise, n'en blessaient point la foi. Toutes ces considérations me portèrent à le demander. Je demandai aussi Mgr l'évêque de Châlons, qui avait de la douceur et de la piété ; comme il avait été autrefois sous la conduite d’un grand serviteur de Dieu, qui avait été aussi mon directeur dans ma jeunesse, je crus qu'il aurait plus de connaissance des choses de la vie spirituelle et des voies intérieures que M. de Meaux et que mon discours lui serait moins barbare, car en effet, c'était ce dont il s'agissait, plus que du dogme de l'Eglise. Mr le Duc de Beauvilliers et Mr l’abbé de F(énelon) souhaitèrent que M. Tronson y entrât aussi. Il était depuis longtemps supérieur de la maison de Saint-Sulpice. Ils avaient l'un et l'autre une confiance en lui très particulière.

[...]

Contexte historique

On appréciera mieux le contexte historique par un aperçu chronologique couvrant les quatre années qui précèdent (1690 à 1694)[4] :

 

1690 : Une retraite paisible

Nous avons très peu de renseignements sur la période paisible couvrant les années 1690 à 1693 où Mme Guyon séjourne souvent à Vaux-le-Vicomte dont on apprécie toujours de nos jours le cadre et le château construit par Nicolas Fouquet. Il constitue une retraite à distance convenable de la Cour puisque situé au sud-est de Paris. Libre, elle peut avoir des contacts directs avec ses proches, ce qui diminue le besoin de correspondre par écrit et nous prive donc de sources écrites.

Depuis ma sortie de Sainte-Marie, j’avais continué d’aller à Saint-Cyr [...] [Mme de Maintenon] me marquait beaucoup de bontés [...] [ce qui dura] pendant trois ou quatre années[5].

1691 : Premières inquiétudes

« Premières inquiétudes » de Mme de Maintenon qui, dès l’été 1691, se préoccupe de faire venir à Saint-Cyr des Lazaristes, destinés peut-être à contrebalancer l’influence de Fénelon [6].

Retour de Mme Guyon de sa « campagne », où elle habitait avec le jeune ménage. A Paris, elle loue une petite maison et vit retirée[7].

1692 : Bossuet mis en action 

8 juillet : une lettre de Mme de Maintenon prend parti contre la « nouvelle spiritualité » de Saint-Cyr[8] : « On y ferait des livres sur le pur amour […] Chacun croit être dans l’état qu’il s’imagine ». Peut-être ne s’agit-il encore que d’une précaution prise pour tenir compte de ce qui devient le nouveau sujet d’intérêt chez des courtisans ?

31 août : Bossuet consacre Godet des Marais évêque de Chartres ayant autorité sur Saint-Cyr. Il est mis en action contre le groupe guyonnien, peut-être avec la participation de jansénistes, irrités de voir que l’amitié de Fénelon pour le duc de Chevreuse[9] avait contribué à détourner ce dernier de Port-Royal[10].

A partir de l’automne, Godet utilise comme informatrices pour son propre compte Mme du Pérou et une autre religieuse, et leur fait espionner le « petit groupe » guyonnien des Dames de Saint-Cyr[11].

1693 : St Cyr interdit, examens

Une dévote attachée à M. Boileau[12] calomnie Mme Guyon et entraîne ce dernier qui persuade à son tour l’évêque Godet. Mme de Maintenon tint bon quelque temps [...] Elle se rendit [...] aux instances réitérées de Mgr l’évêque de Chartres[13].

En mars, rencontres avec M. Boileau (de l’Archevêché) et M. Nicole[14] : les conversations portent sur le Moyen Court et Mme Guyon rédige une Courte Apologie qui précise quelques points[15]. Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus venir à St Cyr[16].

En août : Quelques personnes de mes amies jugèrent à propos  que je visse Mgr l’évêque de Meaux : elle le rencontre chez le duc de Chevreuse en sa présence et lui remet tous ses écrits. Il lut tout avec attention, il fit de grands extraits et se mit en état [...] d’écouter mes explications[17]. Mme Guyon fait examiner ses écrits par Nicole, Boileau et Bossuet.

Ce même été, saisie des ouvrages de Mme Guyon à Saint-Cyr lors de la visite canonique de Godet, avec « une mise en scène un peu ridicule »[18]. L’attaque se concentre contre Mme de la Maisonfort. Le petit groupe guyonnien résiste tout l’automne ; en octobre, échange de lettres entre Mme Guyon et Bossuet : ce dernier est choqué par les communications en silence décrites dans la Vie et ne peut comprendre l’oraison passive des mystiques[19].

1694 : crise et entretiens d’Issy

Les événements se précipitent pour lesquels, outre le récit de la Vie, nous disposons d’une abondante correspondance qui circule par l’intermédiaire du duc de Chevreuse.

Le 30 janvier, entretien rue Cassette, chez les bénédictines du Saint-Sacrement[20], avec Bossuet, qui avait terminé l’examen des écrits de Mme Guyon : Ce n’était plus le même homme. Il avait apporté [...]  un mémoire contenant plus de vingt articles, [... il] prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison [...mais] il y en a plus de cent mille dans le monde[21].

Le 20 février, nouvelle conférence après un échange de lettres qui se poursuit ensuite.

Le 7 juin, Mme Guyon écrit à Mme de Maintenon pour l’autoriser à justifier ses mœurs (des calomnies circulaient). Monsieur Tronson s’informe. Maladie : c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; puis Mme Guyon prend les eaux à Bourbon l’Archambault[22].

On cherche des examinateurs. Le choix se porte sur M. de Meaux, Mgr de Châlons et M. Tronson. Mme Guyon prépare avec Fénelon ses Justifications[23]. Ils formeront « quinze ou seize gros cahiers » qu’elle fera parvenir à Bossuet avec une lettre datée du 3 octobre. Fénelon lui a déjà fait parvenir, le 28 juillet, la première partie de son travail apologétique ; d’autre part il entreprend la rédaction du Gnostique[24].

De fin juillet à septembre ont lieu les premiers entretiens d’Issy, abordant notamment la question du sacrifice conditionnel du salut. Le duc de Chevreuse est écarté des entretiens par Bossuet[25]. Ce dernier a communiqué la Vie à Tronson et à Noailles.

Le 16 octobre, mandement de l’archevêque de Paris Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques.

Le 6 décembre, Mme Guyon rencontre enfin ses trois examinateurs d’Issy, au logis parisien de Bossuet.

 

Plus d’un millier de pages de Justifications…[26] fut rassemblé par Mme Guyon pendant l’été 1694, « en cinquante jours de temps ». Elle raconte :

   J'envoyai en même temps à ces messieurs, outre mes deux petits livres imprimés, mes Commentaires sur l’Écriture sainte, et j'entrepris par leur ordre un ouvrage pour leur faciliter l'examen qu'ils entreprenaient et les soulager d'un travail qui ne laissait pas d'être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de temps, qui fut de rassembler quantité de passages d'auteurs mystiques et autorisés qui faisaient voir la conformité de mes écrits et des expressions dont je m'étais servie avec celles de ces saints auteurs. C'était un ouvrage immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour les envoyer à ces messieurs et, suivant que l'occasion s'en présentait, j'expliquais les endroits douteux ou obscurs, ou qui n'avaient pas été suffisamment expliqués dans mes Commentaires parce que je les avais composés dans un temps où, les affaires de Molinos n'ayant pas encore éclaté, j'avais écrit mes pensées sans précaution et sans m'imaginer qu'on pût jamais les détourner aux sens condamnés. Cet ouvrage a pour titre Les Justifications. Il fut composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d'éclaircir la matière.[27]

L’intérêt déborde largement celui d’un procès

L’intérêt déborde largement celui d’un dossier établi en vue d’un procès, car le court délai et la maîtrise à cerner des notions-clés assurent une unité qui s’avère rare dans le genre anthologique. Surtout, le choix ne se limite pas aux prémices de la vie mystique, mais couvre tous ses aspects.  Enfin toute controverse de nature théorique en est absente, le tout restant très justement focalisé sur la pratique de la vie intérieure pendant que Fénelon, dans ses travaux parallèles de la même époque, apportait toute sa compétence théologique. L’ensemble forme la meilleure anthologie mystique chrétienne, mais elle est demeurée quasiment inconnue.

La structure est originale et fait apparaître une objectivité toute moderne : au lieu d’obéir à un schéma directeur, toujours arbitraire parce qu’il ne peut rendre compte que d’un seul point de vue, cette anthologie évite tout a priori schématique par le recours à soixante-sept notions ou clés. Pour chacune de ces clés, sont donnés en premier lieu les passages incriminés du Moyen court et du Commentaire au Cantique, qui sont déjà publiés à l’époque, ensuite les passages pertinents des auteurs classiques autorisés, toujours substantiels, parfois longs et couvrant plusieurs pages, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix.

Comment est réparti le contenu de cette oeuvre ? Les commentaires de Mme Guyon représentent environ le dixième du volume total. Plus de la moitié des passages retenus concernent cinq auteurs : Jean de la Croix vient en tête, ce qui montre la clairvoyance de Mme Guyon alors qu’il n’est pas encore canonisé[28]; Jean de Saint Samson le suit de très près : ses écrits sont bien connus de Mme Guyon qui a correspondu avec son disciple Maur de l’Enfant-Jésus ; on remarque la place importante accordée au grand carme de la réforme dite de Touraine  et au carme déchaussé de la réforme espagnole. Catherine de Gênes est très présente, alors que le volume des dits qui lui sont attribués et  des écrits la concernant est beaucoup plus réduit ; Thérèse d’Avila, canonisée depuis le début du siècle[29], demeure cependant en retrait (loin derrière Jean de la Croix canonisé au XVIIIe siècle) ; enfin Denys, qui représente aux yeux des contemporains l’autorité des débuts de l’Église, ouvre chaque chapitre. Lorsqu’on ajoute à ces cinq auteurs principaux, douze autres auteurs, dont Clément d’Alexandrie, François de Sales et l’Imitation, on couvre les six septièmes des passages retenus. L’école rhéno-flamande est assez bien représentée si l’on regroupe les fragments connus à l’époque : en effet l’ensemble constitué par l’Imitation, Suso, Benoît de Canfield, Ruusbroec, Harphius, Tauler, prend la troisième place entre Jean de Saint Samson et Catherine de Gênes. Les auteurs mystiques « récents » (postérieurs au moyen âge) sont donc très bien représentés[30].

On peut penser que la collaboration entre Mme Guyon et Fénelon s’est tout naturellement traduite par un partage des tâches : à l’une les aspects mystiques, en défense immédiate de ses écrits, ce qui favorise tout naturellement des témoignages contemporains parfois sensibles aux aspects psychologiques ; à l’autre les aspects théologiques et le recours aux Pères de l’Église, tel Clément d’Alexandrie. Fénelon est toutefois largement présent dans le titre des Justifications et sa contribution apparaît au tome III, dans le supplément consacré aux Pères Grecs (où Clément se taille la part royale).  

Une réédition à des fins spirituelles est souhaitable et devrait rétablir le texte à partir des manuscrits : en effet l’ordre des passages au sein de chaque chapitre y diffère de celui de l’édition du XVIIIe siècle « scientifique », qui adopta une séquence chronologique des auteurs aussi exacte que possible, effaçant les rapprochements qui soulignent des similitudes relatives au vécu intérieur ; de plus, les corrections de style opérées par l’éditeur font perdre précision et tranchant, certains mots forts ayant été omis dans l’imprimé[31]. 

Aux citations s’ajoutent de fort intéressants développements rédigés sous forme de notes par Mme Guyon elle-même et qui ne sont pas signalés dans la table des matières. C’est dans ces « notes », parfois très longues, que réside l’autre grand intérêt de cette œuvre : après avoir repris une grande partie de ces notes au fil du Moyen court et de la seconde moitié du Commentaire au Cantique, nous donnons ici un choix d’explications relatives aux mystiques qui forment le corps proprement dit de l’anthologie (qui ne peut évidemment trouver place dans un volume d’œuvres de madame Guyon, mais que nous avons tenu à présenter pour inciter à la découverte).

L’ordre suivi est celui des clés. Les titres et extraits d’auteurs incluant l’appel de commentaires ou notes figurent en caractères italiques. Nous avons conservé des paginations pour rendre le repérage possible au sein de la vaste anthologie qui couvre trois volumes dans l’édition originelle. 


 

 

Les Justifications de Madame J.M.B. de la Mothe Guion.

 

µ Page de titre en image à reproduire ici

 

Ecrites par Elle-même,

suivant l'ordre de Messieurs les Evêques ses Examinateurs.

Où l'on éclaircit plusieurs difficultés qui regardent la vie intérieure avec un examen de la IX. et X. Conférence de Cassien, touchant l'Etat Fixe d'Oraison Continuelle,

par feu Monsieur De Fénelon Archevêque de Cambrai.

Vincenti.

A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720.


 

 

 


 

Préface

1. Occasion de cet ouvrage et dessein de la préface

2. Substance de la théologie mystique

3. L'amour pur

4. L'oraison

5. L 'abnégation

6. Différents états de la vie intérieure : le premier

7. Le second

8. Dessein de Dieu dans ses opérations intérieures

9.  Troisième état ou degré de la vie spirituelle

10. Solidité des expériences et de la dévotion de madame Guyon

1. Tout le monde sait la fameuse dispute de feu Mgr de Fénelon archevêque de Cambrai sur le pur amour. Mais on ne sait pas peut-être, que Madame Guyon[32] IV[33] a été l'innocente victime de l'aveugle zèle, de la jalousie ambitieuse, ou des vues politiques des ennemis de cet illustre Prélat. Un des moyens[34] dont ils se servirent pour discréditer la doctrine de ce grand homme était de faire passer Madame Guyon, avec qui il a toujours eu une étroite liaison, pour une autre Priscille corrompue par les maximes du faux quiétisme. Dans le temps qu'on examinait les écrits de cette Dame, elle composa l'ouvrage qu'on donne ici au public, pour montrer la conformité de ces expériences, et de ses expressions, avec celle des auteurs canonisés, ou approuvés par l'Eglise.

Pour lire cet ouvrage avec intelligence et profit, il sera peut-être nécessaire de donner une idée claire et simple de la doctrine des mystiques. Car quand on en parle, ceux qui blasphèment ce qu'ils ignorent, la regarde comme un amas de termes obscurs et de pensées bizarres V qui n'ont aucun fondement que dans l'imagination échauffée des esprits faibles, ou des femmes visionnaires.

2. Aimer Dieu de tout notre cœur, prier sans cesse, porter notre croix chaque jour ; voilà l'essentiel de la morale chrétienne, et en même temps la substance de la théologie mystique[35]. L'Évangile nous propose la charité comme la consommation de la loi ; l'oraison continuelle et l'abnégation de soi-même comme les deux moyens d'y parvenir.

3. Dieu s'aime souverainement et uniquement parce qu'il est souverainement et uniquement aimable. Il aime toutes ses créatures selon qu'elles participent plus ou moins à ses divines perfections. La perfection de Dieu est la règle de son amour. Or la règle la plus parfaite des volontés finies, est sans doute celle de la volonté infinie. Qu'on dispute, qu'on VI raffine, qu'on subtilise tant qu'on voudra sur les motifs différents de l'amour, on osera jamais nier que la règle suprême de l'amour ne soit d'aimer Dieu pour lui-même et toutes choses pour lui.

C'est une vérité immuable, fondée sur l'idée que nous avons de l'Être Infini. C'est la Religion éternelle et universelle de toutes les intelligences. C'est un devoir auquel la créature est obligée dans tous les temps, et dans tous les lieux, supposer même qu'elle pût être anéantie après la mort, ou que Dieu lui accordât jamais d'autres connaissances de son infinie perfection, que celle que nous en avons pendant cette vie. L'espérance de la Vision Béatifique est sans doute une vertu divine, un légitime motif d'amour, une source de consolations infinies, une ressource puissante contre toutes les tentations et les misères de notre VII exil : mais elle n'est pas la pure charité. L'Ecriture distingue ces deux vertus. Il ne faut jamais les confondre, ni rejeter la chaste espérance en recommandant la pure charité.

Ce qui fait croire que l'homme est incapable de ce parfait amour, c'est qu'on juge de sa capacité par ce qu'il fait, et non sur ce qu'il doit faire. Les hommes n'agissent ordinairement que par un principe d'amour-propre plus ou moins raffiné : et par nos propres forces de nous pouvons agir autrement. Comme l'homme n'est pas la vraie lumière qui éclaire son esprit, de même il n'est point la cause du parfait amour qui doit animer sa volonté. Il faut qu'une puissance supérieure à l'homme agisse sans cesse en lui pour l'élever au-dessus de lui-même et le faire aimer selon la loi immuable de l'amour.

4. Le premier moyen de parvenir à cette pure charité est l'oraison : et l'oraison la plus parfaite est de recevoir VIII passivement l'impression de Dieu qui nous porte sans cesse vers lui-même. L'Eglise n'attribue point d'autre activité à l'homme par la grâce que celle (a)[36] de consentir ou de dissentir à l'action divine, qui l'excite et qui le meut. C'est Dieu seul qui est la force mouvante de l'âme : mais elle peut toujours céder ou résister à l'opération divine; et son concours le plus parfait est celui de laisser Dieu agir en elle.

Il faut d'abord que la volonté excitée et mue par la grâce fasse des efforts, et forme des désirs multipliés, et des actes distincts pour se détourner des créatures et pour se tourner vers Dieu : mais après s'être longtemps accoutumée à ces retours fréquents, on contracte peu à peu l'habitude de vivre continuellement dans la présence divine d'une manière plus simple, plus intime et plus uniforme. L'âme agit, mais c'est Dieu IX seul qui est le principe de son action. C'est lui seul qui la meut, qui la pousse, qui l'anime, qui l'entraîne ; mais elle suit librement ce qui l'attire. Ce n'est pas une inaction ni une coopération nécessitée, mais un concours libre à l'action divine. Plus l'âme s'y livre, plus cette action devient forte et vigoureuse, comme le mouvement des corps, qui augmente à proportion qu'il tombe vers leur centre.

C'est là l'Oraison Evangélique, que Madame Guyon appelle après les mystiques, l'oraison passive, l'oraison de silence, de repos etc. Ce n'est ni la multitude de paroles, ni l'effort de penser, ni l'enthousiasme d'une imagination échauffée ; mais un commerce de cœur avec Dieu, dont les plus simples sont capables. Ce n'est pas nous qui prions, c'est le Saint Esprit qui prie en nous, qui gémit, qui désire, qui demande pour nous ce que nous ne savons pas demander pour nous-mêmes. Selon le X style de l'Ecriture Sainte tout paraît l'action de Dieu en l'homme, à laquelle l'homme n'ajoute rien que le simple consentement, ou la non-résistance.

5. À proportion que l'homme s'unit ainsi à Dieu par l'oraison, il faut qu'il s'éloigne de la créature et de soi par le Renoncement qui est le second moyen de parvenir à l'union divine. L'un est une suite nécessaire de l'autre.

Cette abnégation évangélique[37] n'est pas une austérité qui surpasse les forces humaines, qui détruise la santé et qui nous fasse mener une vie extraordinaire. Jésus-Christ ne faisait point de ces austérités. Sa vie était toute commune pour l'extérieur ; mais son intérieur était tout divin. Le renoncement qu'il propose nous porte non seulement à fuir les faux plaisirs, à combattre nos passions grossières, à nous contenter du simple nécessaire selon notre état ; mais à XI retrancher tous les amusements frivoles, toutes les activités de l'esprit, tous les charmes de l'imagination ; qui ne servent qu'à nous dissiper, et à nous entretenir dans le goût du créé. L'abnégation évangélique nous défend le moindre regard de la créature hors de Dieu, le moindre plaisir contre son ordre, le moindre retour de vaine complaisance sur soi. Elle nous fait aimer la dernière place quoique nous soyons nés dans les grandeurs, le silence et la solitude intérieure parmi le bruit et la foule, la pauvreté esprit et le détachement parfait au milieu des richesses. Ce n'est pas tout. Cette abnégation nous porte à dégrader le moi, idole si chère à l'homme, à recevoir avec joie ce qui le crucifie, à supporter les imperfections d'autrui avec patience et douceur, nos propres défauts avec humilité et paix, les rigueurs purifiantes de la justice divine avec l'abandon et souplesse. Voilà à une XII pénitence universelle, un martyr d'amour, une mortification, ou plutôt une mort qui s'étend sur les sens, sur l'esprit, sur le cœur, sur tout l'homme, et qui ne laisse aucun asile à l'amour déréglé les créatures, ni de soi-même.

6. C'est dans cette oraison continuelle et dans cette abnégation évangélique que consiste tous les mystères de la vie intérieure.

La première opération de Dieu est sensible, agréable et pleine de charme. Elle porte l'âme à agir, à combattre, à s'exercer dans tous les travaux d'une vertu active, et d'une mortification extérieure pour se détacher des objets étrangers. C'est le fondement de la vie intérieure, sans lequel toute spiritualité doit être suspecte. Alors on goûte dans l'oraison une onction douce et une délectation savoureuse. On se fortifie avec une noble et mâle vigueur. L'âme voit sa vertu, ce soutien par son XIII travail, est charmée de son courage.

7. Ensuite Dieu commence en elle une autre opération, où elle est tout toute passive, où elle ne coopère que par son abandon. Il s'agit alors d'anéantir le moi ; et c'est ce que Dieu seul peut faire. Ce n'est plus l’âme qui combat au dehors, c'est Dieu qui l'attaque par le dedans pour la faire mourir à elle-même. Il l'introduit dans son propre fond. Il lui montre tous les plis et replis de son amour propre. Il en dévoile tous les mystères. Elle se voit, elle a horreur de ce qu'elle voit. Tout en elle s'élève contre elle, elle ne trouve plus de ressources dans son ancienne ferveur, ni dans sa propre justice, dont il lui montre toutes les impuretés. Elle tombe en défaillance, elle demeure fidèle sans voir sa fidélité. Tout ce qui lui reste c'est la volonté ferme de souffrir mille morts plutôt que de déplaire à Dieu. Encore n'a-t-elle pas toujours la consolation d'apercevoir XIV en elle cette volonté. L'action de Dieu devenant plus foncière, plus intime, et plus centrale semble disparaître de plus en plus ; mais elle n'en est pas moins réelle. Comme cette lumière pure et universelle, qui éclaire, qui pénètre, et qui meut tous les corps est elle-même imperceptible à nos yeux grossiers, ou comme l'amour-propre qui agit sans cesse dans l'homme naturel ne se distingue pas toujours ; de même l'action du Verbe qui est la vie, la lumière et l'amour de toutes les intelligences, agit dans l'homme surnaturel très réellement quoique d'une manière insensible.

8. Le dessein de Dieu en agissant ainsi est de cacher son opération à notre amour propre qui, ne prenons plus de goût aux plaisirs impurs, aux objets sensibles, aux passions grossières, s'établirait un nouvel empire sur nos vertus mêmes, se complairait dans sa propre excellence et corromprait XV l'action divine par une idolâtrie de soi d'autant plus dangereuse qu'elle est plus raffinée. On ne pécherait peut-être plus en homme mais on pécherait en Démon par l'orgueil et la vaine complaisance. C'est pour cela que les états plus avancés de la vie spirituelle ne sont remplis que de tentations, de peines, de privations, de sécheresses, d'incertitudes, de misères, d'obscurités, de désolations, et de souffrances intérieures, jusqu'à ce que l'empire de l'amour propre soit détruit, et que le règne de Dieu, qui est au-dedans de nous, soit établi dans l'âme.

9. Alors cesse cette foule tumultueuse de pensées vagues et de passions déréglées qui met l'homme naturel dans une frénésie perpétuelle. L'esprit est délivré de toutes ses activités inutiles, la volonté de toutes ses agitations inquiètes, et toute l'âme est réduite dans une paix, dans XVI un vide, dans une solitude divine où les sens et l'imagination, l'esprit propre et la volonté propre se taisent pour écouter la Sagesse éternelle, qui parle au cœur non par des visions, ni par des révélations, ni par des lumières sublimes, ni par des spéculations subtiles, mais [en] un langage bien plus parfait et moins sujet à l'illusion ; le Tout de Dieu et le néant de la créature ; et l'hommage profond que le rien doit au Tout. Alors l'homme ne vit plus de sa propre vie, mais Jésus-Christ vit en lui. Il renaît et devient enfant sans esprit et sans volonté propre. La lumière du Verbe devient son unique lumière, et l'amour du Saint Esprit son unique amour. Sa vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu et cette vie nouvelle prend la place de l'ancienne vie d'Adam. Voilà la régénération dont parle l'Évangile.

Ce sont là les trois états de la vie spirituelle que les mystiques appellent XVII purgatif, illuminatif et unitif, et que Madame Guyon nomme actif, passif et divin, c'est-à-dire le renoncement aux vices grossiers, la destruction de l'amour propre et le rétablissement de l'ordre divin par l'amour pur.

10. Voilà la substance de toutes les expériences de cette Dame. Tel a été le caractère de sa dévotion. Telles sont les vérités qui remplissent ses écrits. Vérités éternelles fondées sur la souveraine raison. Vérités que la Sagesse suprême enseignerait également à tous esprits droits et à tous les cœurs humbles, supposé qu'il n'y eut point de Révélation. Vérités connues dès le commencement du monde aux saints Patriarches. Vérités qui les faisaient marcher continuellement devant Dieu sans être connus des hommes, comme Enoch et Job. Vérités puisées dans l'Évangile, et qu'on y découvrirait si on connaissait le don de Dieu, et si on ressemblait à ces petits et à ces simples à qui il révèle ses XVIII mystères. Vérités qu'on trouve plus ou moins développées dans les écrits des plus saints Pères de l'Antiquité, en saint Ignace, en saint Clément d'Alexandrie, en saint Basile, en saint Ambroise, en saint Jean-Chrysostome, en saint Augustin, etc. Vérités dont les grands Solitaires se sont nourris dans les déserts les plus affreux. Vérités par lesquelles les grands fondateurs des ordres comme saint François d'Assise, saint Bernard, sainte Thérèse, le bienheureux Jean de la Croix, saint François de Sales ont renouvelé en différents siècles la face de l'Eglise. Vérités qui ont engagé une infinité de vierges et de religieux à s'ensevelir tout vivants dans la solitude, pour se livrer à ces opérations purifiantes de la divinité, que le bruit du monde et le soin des choses terrestres ne troublent que trop souvent. Vérités enseignées par les plus éclairés et docteurs de l'Eglise, comme Albert le Grand, saint Thomas, saint Bonaventure, Grenade, Rodriguez, Silvius, le cardinal Bona, Gerson et beaucoup d'autres. Vérités XIX enfin dont la tradition est universelle et immuable dans tous les temps et dans tous les lieux. C'est ce qu'on va voir dans l'écrit suivant.

Addition de l'imprimeur

11. Extrait de la vie de l'auteur

12. Quelques avis touchant cette édition

11. Madame Guyon nous ayant marqué en sa vie quelques particularités touchant la composition de cet ouvrage, le lecteur sera sans doute bien aise de voir ce que l'on dit elle-même.

« J'entrepris par l'ordre de ces Messieurs [mes Examinateurs] un ouvrage pour leur faciliter l'examen qu'ils entreprenaient, et les soulager d'un travail qui ne laissait pas d'être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de temps ; qui fut de rassembler quantité de passage d'auteurs mystiques de autorités, qui faisaient voir la conformité XX de mes écrits et des expressions dont je m'étais servie avec celle de ses saints auteurs. C'était un ouvrage immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour les envoyer à ces Messieurs : et suivant que l'occasion s'en présentait, j'expliquais les endroits douteux ou obscurs, ou qui n'avaient pas été suffisamment expliqués en mes Commentaires ; parce que je les avais composés dans un temps où les affaires de Molinos n'ayant pas encore éclaté, j'avais écrit mes pensées sans précaution et sans m'imaginer qu'on pût jamais les détourner aux sens condamnés. Cet ouvrage a pour titre Les Justifications. Il fut composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d'éclaircir la matière. Mais Mr. de Meaux ne voulut jamais ni lire, ni laisser voir aux autres ces Justifications. Au Ch. 16 n. 7 de la III. Part.

12. On donne ici cet ouvrage tel que l'auteur nous l'a laissé, après en XXI avoir confronté soigneusement les passages avec les originaux dont on les a tirés ; sans presque rien changer dans le langage qui d'ordinaire sent un peu le vieux temps : auquel pourtant, surtout en des matières tant soit peu sublimes et délicates, on ne saurait quasi toucher sans en affaiblir le sens de l'énergie. Ainsi ce n'est que très rarement et lorsque les anciennes versions paraissent peu intelligibles, que l'on a substitué dans les citations de quelques auteurs, une traduction plus moderne, mais très exacte.

D'ailleurs on a tâché de ranger les auteurs selon le temps auquel ils ont vécu, et leurs Autorités selon l'ordre qu'elles tiennent dans leurs ouvrages[38] : mais comme plusieurs de ses autorités ont été rapportés par les RR. PP. Nicolas de Jésus-Maria et Jacques de Jésus, dont les écrits qu'ils ont publiés pour éclaircir ceux du bienheureux Jean de la Croix, on a cru devoir laisser celles-ci sous le nom de ces Pères, comme on les a trouvé marquées dans la XXII copie sur laquelle cette impression s'est faite.

Et parce que dans un ouvrage de cette nature, dont les matières on tant de rapport entre elles, il était comme inévitable de n'y pas répéter quelquefois sous différents articles les mêmes passages, soit entier, soit en partie ; on a jugé à propos d'indiquer simplement ces Autorités répétées par des renvois aux articles où elles se trouvent entières, afin de ne pas grossir trop cet écrit, qui même tel qu'il est paraîtra assez grand à quelques-uns.

Cependant on y a joint, suivant les intentions de l'auteur, un petit Recueil de quelques autorités des anciens Pères grecs, qui ont du rapport à ces matières : et l'on a cru faire plaisir au lecteur de finir tout l'ouvrage par une excellente pièce de feu Monsieur de Fénelon archevêque de Cambrai, où cet illustre prélat fait remarquer dans Cassien, témoin si autorisé dans toute l'Eglise, la Tradition des SS. Pères du désert touchant l'état fixe d'oraison continuelle.

Tables des articles

DU I. TOME.

I. Abandon. Résignation.

II. Actes.

III. Anéantissement.

IV. Centre, fond de l'âme.

V. Chemin court. Ce chemin est le plus court.

VI. Cherchez Dieu en soi. Un règne de Dieu en nous.

VII. Chute. Cause de chute.

VIII. Communications. Conversations.

§.I. Communication de Dieu à l’âme.

§.II. Communication des âmes.

IX. Confession. Examen de conscience.

X. Consistance. État de consistance ou stabilité.

XI. Conversion.

XII. Création. Dernière fin. Origine.

XIII. Défauts.

XIV. Désir. Dieu désire de se donner à nous.

XV. Non-désir. Ne pouvoir désirer ni demander. Choix, Vouloir. Tout est compris sous le nom de désir.

XVI. Dieu enseigne l'âme.

XVII. Distractions. Tentations.

XVIII. Entendre. Intelligence. Paroles. Dieu parle à l'âme.

XIX. Expérience. Intelligence.

XX. Extase. Visions. Révélations.

XXI. Fécondité spirituelle sans sortir de l'unité divine.

XXII. Fiançailles.

XXIII. Foi nue et obscure. Ténèbres sacrées.

XXIV. Fonte de l'âme.

XXV. Franc-arbitre. Liberté.

XXVI. Habitude des vertus et actes.

XXVII. Humilité. La vraie humilité c'est l'anéantissement.

XXVIII. Impassibilité.

XXIX. Indifférence. Repos. Abandon.

XXX. Infusions. Influences. Transfusions divines.

XXXI. Joie de l'âme. Vraie liberté.

XXXII. Justice de Dieu.

XXXIII. Louange de Dieu au-dessus de toute louange.

XXXIV. Mariage spirituel.

XXXV. Mystères.

XXXVI. Moyen. Sans moyen ni milieu.

XXXVII. Mort entière.

DU II. TOME.

µ pages 24-25 à reconnaître

Table des auteurs

µ pages 26 à 28 omises, suivies d’une page 29 reprenant le titre puis d’une reprise des articles du tome I pages 31-32


 


 

Justification du Moyen court et facile et de l'explication sur le Cantique des cantiques,

Adressée par l'Auteur à Messeigneurs les Evêques, ses Examinateurs.[39]

 

J'ai soumis purement et simplement mes écrits en tout ce qui me regarde : et quoique je sois indifférente sur l'usage qu'on en fera, je crois devoir à la vérité de faire connaître la conformité qu'ils ont avec les Docteurs approuvés. Le travail que je fais en cela n'est que pour donner plus de jour à la vérité et la faire mieux connaître, sans que je prétende [me] gêner sur ce qui regarde la destinée de mes écrits, protestant que je n'y prends plus aucun intérêt, et que je ne m'informerai même jamais de ce qu'on en fera. Cela étant, je vais prendre les propositions qui 2 sont dans les Livres imprimés, et celles des Auteurs graves qui les soutiennent, avec les dates, afin qu'on les puisse confronter. Dieu, qui voit le fond des cœurs, fait que cela ne m'est venu dans l'esprit que depuis que j'ai appris qu'on avait la charité d'examiner mes écrits, et que je ne le fais nullement pour soutenir mon opinion, mais pour éclaircir la vérité. Je demande avec instance qu'on examine tous mes écrits. Comme le Cantique était une suite [des Explications[40]] de toutes les écritures jusque-là, il n'est nullement expliqué, et l'on y suppose la lecture de ce qui l'a précédé. C'est dans tous les écrits (où les sentiments sont expliqués plus à plein, soit dans un lieu, soit dans l'autre) qu'on peut juger juste de mes pensées et de ma foi. Cette charité est digne de vous, Messeigneurs.


 

Propositions du Moyen court et facile et du Cantique des Cantiques

Rangés sous certains Articles par ordre d'Alphabet.

[Tome I des éditions originales]

I. Abandon. Résignation.

Moyen court

Ils donneront à Dieu leur cœur et leur liberté afin qu'il en dispose à son gré. Ch. 3 n. 2 de l'Edition de l'an 1704 et 1720.

Soyez patient dans l'oraison ; quand vous n'en feriez point d'autre toute votre vie que d'attendre en patience dans un esprit humilié, abandonné, résigné et content le retour du Bien-aimé, ô l'excellente oraison ! Ch. 5 n. 1.

C'est ici que doit commencer l'abandon et la donation de tout soi-même à Dieu. Je vous conjure, qui que vous soyez, qui voulait bien vous donner à Dieu, de ne vous point reprendre lorsque vous serez une fois donnés à lui. Ch. 6 n. 1.

L'abandon est ce qu'il y a de conséquence 4 dans toute la voie, et c'est la clef de tout l'intérieur. Qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait.

Il faut donc se tenir ferme à l'abandon sans écouter la raison ni la réflexion. Une grande foi fait un grand abandon : il faut s'en fier à Dieu. n. 2.

L'abandon est un dépouillement de tout soin de nous-mêmes pour nous laisser entièrement à la conduite de Dieu.

Tous les Chrétiens sont exhortés à s'abandonner.

L'abandon doit être, autant pour l'extérieur que pour l'intérieur, un délaissement total entre les mains de Dieu, s'oubliant beaucoup soi-même, et ne (a)[41] pensant qu'à Dieu. Le cœur demeure par ce moyen toujours libre, comptant et dégagé. n. 3

Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu ; renoncer à toutes inclinations[42] particulières, quelques bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître, pour se mettre dans l'indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès 5 son éternité : être indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels ; laisser le passé dans l'oubli, l'avenir à la Providence, et donner (b) le présent à Dieu ; nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l'ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu qu'elle est commune et inévitable pour tous ; ne rien attribuer à la créature de ce qui nous arrive ; mais regarder toutes choses en Dieu et les regarder comme venant infailliblement de sa main, à la réserve de notre propre péché.

Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il lui plaira, soit pour intérieur, soit pour l'extérieur. Ch. 6 n. 4.

(b) Qui ne voit que celui qui donne le présent à Dieu continuellement, lui donne tout, parce qu'il se contente de son application actuelle à Dieu. En nous occupant de Dieu, l'on s'occupe (sans se détourner de lui) de toutes les dispositions nécessaires, comme de douleur de ses péchés, d'amour, de conformité, et le reste; car tout cela se fait, en s'occupant de Dieu, d'une manière bien plus parfaite. En Dieu les péchés paraissent bien plus horribles par le contraire de la pureté divine que de les regarder en eux-mêmes. S'occuper de l'avenir qui ne regarde pas Dieu et sa gloire, est une chimère ; car je pense à l'avenir lorsque je ne pense qu'à mon Dieu.

Ne faites pas comme ces personnes qui se 6 donnent dans un temps, et se reprennent en un autre. Ch. 7 n. 1.

Non ; vous ne trouverez point de consolation, que dans l'amour de la croix et dans l'abandon entier.

L'abandon et la croix vont de compagnie. n. 2.

Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne, abandonnez-vous à Dieu d'abord pour cette même chose : elle ne sera plus si pesante, parce que vous l'aurez bien voulue. n. 3.

Il faut recevoir également toutes les dispositions où il plaira à Dieu de nous mettre, n'en choisissant aucune par nous-mêmes que celle de demeurer auprès de lui, de nous affectionner, de nous anéantir devant lui ; mais recevant également tout ce qu'il nous donne, luminaires ou ténèbres, etc. Ch. 8 n. 2.

Que craignez-vous ? Que ne vous jetez-vous promptement entre les bras de l'Amour, qui ne les a étendus sur la Croix que pour vous recevoir ? Quel risque peut-il y avoir à s'en fier à Dieu, et à s'abandonner à lui ? Ha, il ne vous trompera pas. Ch. 12 n. 6.

Dieu pour nous obliger à nous abandonner [à lui] sans réserve, nous assure en Isaïe que nous ne devons rien à craindre en nous abandonnant, parce qu'il prend un soin de 7 nous tout particulier.[43] Une mère peut-elle oublier son enfant, etc. Ch. 21 n. 11.

Il faut s'abandonner à l'Esprit de Dieu, et se laisser conduire par ses mouvements. Ch. 22 n. 9.

Cantique

Les bastions et les remparts qui l'environnent sont l'abandon total que cette âme a fait d'elle-même à Dieu. La confiance, la foi[44], l'espérance l'on fortifiée dans son abandon. Ch. 4, vs. 4.

L'Epoux ne voulait qu'éprouver votre fidélité et voir si vous étiez abandonnée à toutes ses volontés. Ch. 5, vs. 3.

Le Bien-aimé malgré (b) les résistances de 8 son Epouse, porte sa main par un petit passage qui lui est encore ouvert, qui est, un reste d'abandon, malgré les répugnances que sent l'âme à s'abandonner avec tant d'excès. Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu'elle ne voudrait lui rien refuser ; mais lorsque le Dieu explique ses desseins particuliers, écus en des droits qu'il a acquis sur elle et lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices (c) - ah, 9 c'est alors que toutes ses entrailles sont émues, et qu'elle trouve bien de la peine où elle ne croyait plus en avoir. Là-même verset 4.

(b) Consentement passif. Il faut pour expliquer ceci faire attention que j'ai dit que Dieu ne demandait pas un consentement actif pour l'ordinaire. Je l'ai dit dans le Moyen Court, ch. 24, n. 7 et il faudra prouver cela ailleurs. Mais lorsqu'il le demande de quelques âmes, elles sentent des résistances étonnantes et une révolte entière des sentiments, quoique le fond de l'âme soit résigné. Si Dieu proposait à l'âme l'ignominie et d'être livrée à la rage des Démons dans un temps où l'on est dans la vigueur amoureuse, le consentement ne coûterait presque rien : mais Dieu le demande après avoir dénué l'âme de sa force propre, de son courage naturel et après avoir retiré d'elle un certain 8 concours aperçu qui faisait sa force hors d'elle en Dieu ; de sorte qu'elle ne voit que la proposition affreuse qui lui est faite de la douleur. C'est alors que ces âmes imitent l'agonie du Jardin : la nature frémit ; mais la volonté se soumet.

Cette main de Dieu est la toute-puissance divine qui meut l'âme. Mais comme elle ne violente point notre liberté, si la résistance est entière et absolue, ces âmes ne passent point ce degré et souvent déchoient : mais lorsque Dieu trouve encore un reste d'abandon, ou plutôt lorsque la révolte n'est que dans les sens et que l'abandon et la résignation subsiste dans le centre de l'âme, Dieu remue cette volonté avec force quoique librement et lui fait faire ce qu'elle n'avait pas le courage de faire par elle-même. Elle dit alors : s'il est possible, que ce calice passe outre : toutefois que votre volonté soit faite. Tout ceci est expliqué ailleurs. Je ne sais s'il n'y en a point quelque chose dans l'agonie du Jardin en Saint Mathieu : [voyez les explications sur Mathieu 26, verset 42] c'est ce que j'ai voulu dire.

(c) Le sacrifice que Dieu demande de cette âme est l'entière désappropriation de mille choses cachées : mais il faudra l’expliquer en parlant du Sacrifice, pour suivre l’ordre que je me suis proposé, et dans [l’article de] la Purification.

J'ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale, et la consommation de mon mariage ; car le mariage divin ne peut être consommé, que la perte totale ne soit arrivée. J'ai donc ôté cette barrière par l'abandon le plus courageux, et le sacrifice (a) le plus pur qui fût jamais. Ch. 5 vs. 6.

(a) Consentement à damnation et non à péché. Ce sacrifice est celui de l'éternité. L'âme semble être abandonnée de Dieu, et livrée à la rage de Satan; se croyant perdue elle abandonne son éternité. Elle croit après ce sacrifice (parce qu'elle sent quelques moments de repos) qu'elle va jouir de Dieu ; et c'est le contraire: il la précipite dans l'enfer spirituel. Il faudra expliquer cet Enfer, et prouver cela par les saints Auteurs. [Voyez Purification, n. 40 et n. 79, etc.] Ce sacrifice est pur, parce qu'il se fait par excès d'amour et par la perte de tout intérêt propre. Il est pur comme je l'expliquerai en parlant de la Purification : car l'âme aimerait mieux l'enfer que le péché; aussi ne pèche-t-elle pas, quoique tous ses sentiments soient dans la peine de le croire; l'extrême douleur qu'elle en a, fait bien voir qu'elle n'offense pas son Dieu. Combien de fois s'écrie-t-elle dans son transport : "Damnez-moi et que je ne pèche pas ?" Les autres craignent l'enfer parce qu'il est la punition du péché : cette âme demande l'enfer pour prévenir le péché : elle croit consentir à tous les blasphèmes dont sa tête est pleine ; ses efforts augmentent son mal et 10 le redoublent ; elle n'est soulagée que par la résignation et la patience. J'espère prouver cela dans l'article Purifications ou Epreuves. Je ne pensais pas tant écrire ; mais je m'aperçois que j'y suis emportée : je vous en demande pardon.

Ceci est bien différent de certaines créatures qui n'ont jamais eu d'intérieur et dans lesquelles, si on les interrogeait, on ne trouverait aucun fonds, qui n'ont ni lumière ni chaleur : et comment en auraient-elles, mon Dieu, puisqu'elles sont si éloignées de vous qui êtes la source d'amour et de lumière ?  Elles sont les suppôts de Satan, comme il y en a eu en tous temps, afin de confondre la vérité et le mensonge. Ce sont des gens qui loin de sortir d'eux-mêmes pour se perdre en Dieu, sortent de Dieu par le péché et l'oublient pour ne penser qu'à eux et le livrer à l'iniquité. Il est à remarquer que dans tous le Cantique il est répété la nécessité de se renoncer, que l'âme ne trouve aucun plaisir ni au ciel ni sur la terre, et qu'elle est infiniment éloignée d'aller chercher des plaisirs illicites, puisqu'elle fuit même les plus innocents. Notre Epouse cherche Dieu sans cesse, se hait et fuit toutes les créatures. Ces personnes au contraire fuient Dieu - ne s'occupant jamais de lui - et ne songent qu'à satisfaire leur sensualité. Nous faisons voir qu'on ne peut arriver au mariage divin que par une mort entière et non à demi, une extinction de tout appétit : et ces gens vont, en suivant un appétit effréné, sans Dieu, sans amour, sans vérité. Qu'on voie si on leur trouvera le moindre fonds de mortification ? Gens qui étouffent les syndérèses de la conscience et qui dévorent, comme le Béhémot, les fleuves d'iniquité ; aussi plus ils vont avant, plus ils sont méchants : au lieu que mon Epouse ne saurait souffrir la moindre imperfection sans en être brûlée ; et qu'après ces épreuves elle devient toute divine. Ces épreuves sont des peines passives auxquelles elle n'a nulle part : et les autres se livrent 11 à l'iniquité. Mon Epouse ne peut rien goûter hors de Dieu ; Dieu seul la rend pleinement contente : les autres ne goûtent point Dieu et cherchent toutes choses hors de lui. Aussi n'ont-ils ni vérité, ni amour, ni paix en Dieu. Ils ont un étourdissement de conscience qui cependant n'empêche pas mille peines et inquiétudes : mon Epouse est en paix à cause de sa soumission parfaite à la volonté de Dieu qui l'unit à son Dieu, et son Dieu la change en soi d'une manière ineffable : ils sont pétris de péchés, comme est l'est d'innocence.

Je proteste que lorsque j'ai écris tous mes écrits, je n'avais jamais ouï dire qu'il y avait de pareilles créatures au monde, que je ne me l'avais même jamais imaginé. Car j'aurais si fort expliqué les choses qu'elles n'eussent point fait de difficulté. Je commençais à entendre parler de Molinos la première fois en écrivant les Epîtres de Saint Paul vers la moitié ; ce qui m'obligea de me mieux expliquer, comme on le verra, si l'on veut bien pour l'amour et pour la gloire de Dieu les lire. J'ai toujours eu ces gens en horreur comme le Diable, puisqu'il les meut sans comparaison comme mon Dieu meut notre Epouse. Il la meut pour la faire tendre vers lui et perdre en lui ; et le Diable conduit les autres en enfer, non dans un enfer spirituel, mais éternel. Je prie ce Dieu de vérité à qui rien n'est caché de faire connaître cette différence. Et, s'il se trouvait quelque chose dans mes écrits qui parlât d'autre chose que di renoncement, de la mort à soi-même et à ses satisfactions, et qui dît quelque chose qui ne fût pas dans les Auteurs expérimentés, et reconnus bien catholiques, ou qui pût favoriser cette misérable secte, je le déteste et l'abjure de tout mon cœur, comme n'ayant jamais été ni dans mon esprit, ni dans ma volonté. Et c'est pour ne me pas tromper moi-même que je demande qu'on les lise. Je crois que l'on fera une œuvre qui glorifiera Dieu, du moins tout 12 le monde saura que je ne suis point dans leurs sentiments, que je les ai en horreur et en détestation. L'original est signé.

Dieu fait sa résidence continuelle auprès de ces âmes abandonnées, auprès de ces eaux promptes et rapides, qui ne s'arrêtent pour chose au monde ; et qui, lorsqu'on leur fait le moindre obstacle, s'enflent avec plus de force et s'écoulent avec plus d'impétuosité. Ch. 5, vs. 12.

Ô pauvres âmes, qui combattez toute votre vie, et ne remportez que de très petites victoires quoiqu'elles vous coûtent bien des blessures ! Si vous vous donniez à Dieu tout de bon, et vous délaissiez à lui, vous seriez bien plus redoutables qu'une infinité d'hommes armés pour le combat. Ch. 6, vs. 3.

Cette prudence céleste ne regarde jamais que d'un côté : elle ne voit que le moment divin de la providence. Et tout ce qui lui vient de moment en moment fait toute la prévoyance. Ch. 7, vs. 4.

Je n'aie rien que je ne vous aie donné : mon âme, avec toutes ses puissances et ses opérations ; mon corps avec ses sens et tout ce qu'il peut faire. Là-même, vs. 13.

Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traverses n'ont pu éteindre la charité dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves 13 de l'abandon à la providence le puissent faire : puisque ce sont eux qui la conservent. Si l'homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu'il possédait, et tout son soi-même, afin d'avoir cette pure charité qui ne s'acquiert que par la perte de tout le reste, il ne faut pas croire qu'après un effort si généreux pour acquérir un bien qu'il estime plus que toutes choses, il vienne ensuite à le mépriser. Ch. 8, vs. 7.

AUTORITÉS[45].

L'Imitation de Jésus-Christ

C'est moi qui fonde les cœurs, dit Jésus-Christ, je sais ce que chacun pense et ce qu'il désire, et quelle est la fin de toutes ses intentions. Remettez-donc toutes choses à mes soins et à ma conduite, et demeurez en paix et repos. Livre 3, ch.24, § 1.

2. Mon fils, si vous voulez me posséder tout entier, il faut que vous vous donniez à moi tout entier sans vous réserver rien de vous-mêmes. Livre 3, ch. 27, § 1.

3. Il est bien étrange que vous ne vous abandonniez pas entièrement à moi et du fond du cœur, avec tout ce que vous pouvez ou désirer ou posséder en cette vie. La-même.

4. Saint Paul a abandonné sa réputation à Dieu qui pénètre le fond des cœurs ; il n'a employé contre les personnes qui le calomniaient que l'humilité et la patience. Ch. 36, § 2.

5. Voyez Propriété, n. 4.       

6. Seigneur, combien de fois me dois-je abandonner à vous, ou en quelle rencontre me dois-je quitter moi-même ?

Mon fils, abandonnez-vous à moi toujours, à toute heure, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Je n'excepte rien ; mais je veux vous trouver en tout dénué de tout. Ch. 37, § 1.

7. Voyez Joie de l'âme, n. 5.

8. Mon fils remettez toujours entre mes mains tout ce qui vous regarde ; j'aurai soin de tout, et je ferai tout réussir en son temps. Attendez mes ordres et ma volonté. Et vous tirerez de cette soumission un grand avantage.

Seigneur, c'est avec une grande joie que je vous abandonne le soin de tout ce qui me regarde, parce que lorsque je le veux prendre moi-même, j'éprouve combien je me travaille inutilement. Ch. 39, § 1.

Henri Suso

 9. Le troisième degré c'est un abandon sans bornes par lequel on se laisse à Dieu, partout où l'on se trouve soi-même, comme ne prenant plus d'intérêt à soi. Et Dieu y exerce un plein domaine. Dialogue de la vérité, Ch. 15.

Sainte Catherine de Gênes

10. Ô bienheureuse âme en qui toutes choses meurent à sa volonté, parce qu'alors elle vit en tout à son Dieu, et même Dieu vit en elle ! Celle-ci était par volonté tellement morte à soi-même, qu'en quelque temps qu'on lui eût dit : Que voudriez-vous au Ciel ou en la Terre ? Jamais elle n'eût dit autre chose, sinon : Je veux ce que je me trouve à l'heure même et en ce moment-ci. Et elle disait : Nous ne devons jamais vouloir autre chose que ce qui nous arrive de moment 15 en moment, nous exerçant néanmoins toujours au bien. Vie, ch. 31.

11. Cet Amour opérait par toutes les puissances de l'âme comme il voulait : elles lui étaient toutes obéissantes, et ne pouvaient vouloir autre chose, sinon ce que de moment en moment elles avaient de lui et rien davantage. Et de chercher autre chose leur eut été un enfer. Si on m'eut demandé, Qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu entends ? Et de quelle chose as-tu mémoire ? J'eusse répondu : Je ne veux rien, je n'entends rien et je ne me souviens de rien sinon de ce que l'Amour veut, entend et se souvient : car il me tient si occupée en lui et si remplie (a) que je n'ai pas besoin d'aller mendier pour repaître mes puissances, et il me semble que si ce n'était l'amour elles mourraient de faim. Ch. 40.

(a) Rassasiement : ce qui fait voir ce qui est dit dans le Moyen Court (Ch. 12, n. 3) que la cessation d'opération et le non-désir ne viennent que d'abondance.

12. Depuis que l'Amour eut pris le soin et le gouvernement de toutes choses en moi, jamais il ne le laissa. De sorte que depuis ce temps-là je n'en ai pris aucun soin et n'ai pût faire aucune opération de l'entendement, de la mémoire et de la volonté, non plus que si je n'eusse jamais eu aucune de ces facultés. Ch. 41.

Sainte Thérèse

13. Il me semble qu'ici, comme il vous a été dit, il est à propos que l'âme se livre et s'abandonne du tout entre les bras de Dieu : s'il veut la ravir au ciel, qu'elle y aille ; s'il veut la mener en enfer, qu'elle suive et qu'elle ne s'en mette point en peine, puisqu'elle marche avec son Bien. Que s'il veut lui ôter la vie, qu'elle y consente 16; s'il veut qu'elle vive encore mille ans qu'elle acquiesce à la divine volonté : enfin que la Majesté dispose d'elle comme d'une chose propre : car l'âme n'est plus à soi ou maîtresse de soi mais elle entièrement livrée à Dieu : partant qu'elle ne se soucie plus de rien. Vie, Ch. 17.

14. Tout me manque, mon Seigneur ; mais si vous ne m'abandonnez pas je ne vous quitterais point. Que tous les Doctes se bandent contre moi, que toutes les choses créées me persécutent, que les diables me tourmentent ; mais vous seul ne me quittez pas ; car je sais par expérience quel profit et quel avantage retirent de tous ces assauts ceux qui se confient en vous seul. Vie, Ch. 25.

15. Voyez Pur amour, n. 17.

16. Considérez, mes filles, qu'afin de parvenir à ce que nous disons, Dieu ne veut pas que vous réserviez rien, ni peu ni beaucoup : il veut tout sans exception ni réserve. Et il vous sera de grandes ou de petites faveurs conformément à ce que vous connaîtrez lui avoir donné.  Il n'y a point de meilleure preuve pour savoir si votre oraison arrive à l'union ou non. Château de l'âme, V. demeure, Ch. 1.

17. Dieu l'a introduite dans la cave du vin et a ordonné en elle la charité. Or c'est cela même, parce que cette âme s'étant déjà livrée entre les mains de Dieu, le grand amour l'a tellement soumise et captivée qu'elle ne fait et ne veut autre chose, sinon que Dieu dispose d'elle comme bon lui semblera. Parce que véritablement l'âme ne fait pas ici plus que la cire quand on y imprime le cachet, laquelle ne s'imprime pas. Mais seulement elle est disposée, c'est-à-dire qu'elle est molle. Et même, touchant cette disposition, 17 ce n'est pas elle qui s'amollit : mais seulement elle demeure en repos et le souffre. Là-même, Ch. 2.

18. Elle avait proposé de s'abandonner entièrement entre les mains de celui qui est si puissant ; car elle voit que c'est le meilleur de faire de nécessité vertu. Demeure 7, Ch. 15.

19. Ah, que vous ne désirez autre chose, d'une âme qui est bien résolue de vous aimer et qui s'est abandonnée entre vos mains, sinon qu'elle obéisse. Elle n'a pas besoin de rechercher les chemins ni de penser aux choix qu'elle doit faire, sa volonté étant déjà la vôtre. Fondation de Médine du Champ, Ch. 5.

Saint François de Sales

20. Voyez Non-désir, n. 34.

21. Nous pouvons, comme petits enfants du Père céleste, aller avec lui en deux manières ; car (a) nous pouvons aller premièrement, marchant des pas de notre propre vouloir lequel nous conformons au sien, tenant toujours de la main de notre obéissance celle de son intention divine, et la suivant partout où elle nous conduit. - Dieu m'a signifié qu'il voulait que je sentisse le jour du repos ; il faut donc que je le veuille, et que pour cela j'aie mon propre vouloir, par lequel je suive le sien, me conformant et correspondant à icelui.

Mais nous pouvons aussi aller avec Notre Seigneur sans aucun vouloir propre, nous laissant simplement porter (b) à son bon plaisir divin 18 comme un petit enfant entre les bras de sa mère, par une certaine sorte de consentement admirable qui se peut appeler union, ou plutôt unité de notre volonté avec celle de Dieu: et c'est la façon avec laquelle nous devons tâcher de nous comporter en la volonté du bon plaisir divin ; d'autant que les effets de cette volonté du bon plaisir procèdent purement de sa providence, et sans que nous les fassions ils nous arrivent. Il est vrai que nous pouvons bien vouloir (c) qu'ils arrivent selon la volonté de Dieu, et ce vouloir est très-bon ; mais nous pouvons bien aussi recevoir les évènements du bon-plaisir céleste par (d) une très-simple tranquillité de notre volonté, qui ne voulant chose quelconque, acquiesce simplement à tout ce que Dieu veut être fait en nous, sur nous, et de nous.

(e) Si on eut demandé au Saint Enfant-Jésus étant porté entre les bras de sa Mère, où il allait ; n'eut-il pas eu raison de répondre : Je ne vais pas, c'est ma Mère qui va pour moi ? Et qui lui eut demandé : Mais du moins n'allez-vous pas avec votre Mère ? n'eut-il pas eu raison de dire : Non, je ne vais nullement, où si je vais par là où ma Mère me porte, je n'y vais pas avec elle, ni par mes propres pas, mais j'y vais par les pas de ma mère. Et qui lui aurait répliqué : Mais au moins, ô très-cher divin Enfant, vous voulez bien vous laisser porter par votre douce Mère ? Non certes, eut-il pu dire, je ne veux rien de tout cela, mais comme ma toute-bonne Mère marche pour moi, aussi veut-elle pour moi ; je lui laisse également le 19 soin d'aller et de vouloir aller pour moi où bon lui semblera, et comme je ne marche que par ses pas aussi je ne veux que par son vouloir. Et comme son marcher suffit pour elle et pour moi, aussi sa volonté suffit pour elle et pour moi sans que je fasse aucun vouloir (f) ; je ne prends pas garde si elle va vite ou doucement d'un côté ou d'un autre, ni je ne m'enquiers nullement où elle veut aller.

Nous devons être comme cela, nous rendant pliables et maniables au bon plaisir divin, comme si nous étions de cire, sans nous amuser à souhaiter et vouloir les choses ; mais les laissant vouloir et faire à Dieu pour nous, ainsi qu'il lui plaira ; jetant en lui toute notre sollicitude, d'autant qu'il a soin de nous ainsi que dit le Saint Apôtre (g). Et notez qu'il dit : Toute notre sollicitude, c'est-à-dire, autant celle que nous avons de recevoir les évènements comme celle de vouloir ou ne vouloir pas ; car il aura soin du succès de nos affaires, et de vouloir pour nous ce qui sera le meilleur.

Ô que cette occupation des notre volonté est excellente, quand elle quitte le soin de vouloir et choisir les effets du bon-plaisir divin, pour le louer et le remercier dans ses effets !

De l'Amour de Dieu, livre 9, chap. 14

(a) Belle différence entre la conformité de notre volonté et la perte de cette même volonté dans le vouloir divin.

(b) Expression toute divine et d'une profonde expérience.

(c) Premier vouloir de conformité.

(d) La seconde volonté qui est d'unité.

(e) Admirable figure de l'anéantissement de la volonté en celle de Dieu par un total abandon.

(f) Le non-désir se doit mesurer sur le non-vouloir : car on ne désire que par la volonté.

(g) I, Pierre, 5, verset 7.

22. Bénir Dieu et le remercier pour tous les évènements que sa Providence ordonne, c'est à la vérité une occupation toute sainte : mais si pendant que nous laissons le soin à Dieu de vouloir et faire ce qui lui plaît en nous, sur nous et de nous, sans être attentifs à ce qui se passe quoi que nous le sentions bien, nous pouvions 20 divertir notre cœur et appliquer notre attention en la bonté et douceur divine, la bénissant non en ses effets ni évènements qu'elle ordonne, mais en elle-même, et en sa propre excellence nous ferions sans doute un exercice beaucoup plus éminent. - La fille d'un excellent (a) médecin étant en fièvre continue et sachant que son père l'aimait uniquement, disait à l'une de ses amies : Je sens beaucoup de peine, mais pourtant (b) je ne pense point aux remèdes ; car je ne sais pas ce qui me pourrais guérir. Je pourrais désirer une chose, et il m'en faudrait une autre. Ne gagnerais-je donc pas mieux de laisser tout ce soin à mon père qui fait, qui peut et qui veut pour moi tout ce qui est nécessaire à ma santé (c). J'aurais tort d'y penser ; car il pensera assez pour moi : j'aurais tort de vouloir quelque chose ; car il voudra assez tout ce qui me sera profitable. J'attendrais qu'il veuille ce qu'il jugera expédient, je ne m'amuserais qu'à le regarder et à lui témoigner mon amour filial et lui faire connaître ma confiance parfaite. - Ensuite son père lui demanda si elle ne voulait pas bien être saignée pour guérir. Je suis vôtre, mon père, répondit-elle, je ne sais ce que je dois vouloir pour guérir ; c'est à vous de vouloir et de faire pour moi tout  ce qui vous semblera bon : quant à moi il me suffit de vous aimer 21 et honorer de tout mon cœur, comme je fais. Voilà * donc qu'on lui bande le bras et que le père même porte la lancette sur la veine: mais tandis qu'il donne le coup et que le sang en sort, jamais cette aimable fille ne regarda son bras saigner, ni son sang sortir de la veine ; mais tenant les yeux arrêtés sur le visage de son père, elle ne disait autre chose sinon parfois tout doucement : Mon père m'aime bien, et moi je suis toute sienne : Et quand tout fut fait, elle ne le remercia point, (d) mais seulement répéta les mêmes paroles de son affection et confiance filiale. Chap. 15.

(a) Saint François de Sales après avoir fait connaître le mal de la réflexion, propose l'exemple d'une personne qui ne réfléchit point, par la comparaison de la fille d'un Médecin.

(b) Il faut s'abandonner dans la peine et la douleur, et s'oublier ; ne pas même désirer.

(c) Notez que cet oubli de soi ne vient pas de stupidité ; mais qu'on s'oublie pour ne penser qu'à Dieu ; on cesse de s'aimer par l'excès de son amour.

(d) Se peut-il un abandon plus élevé ? Il ne permet pas un remerciement, parce qu'il y a un propre intérêt et que l'amour pur n'a nul retour ni rapport à soi-même. Ce n'est point par défaut de reconnaissance qu'on ne remercie point, mais par excès d'amour.

*Réflexion, n. 6.

Le frère Jean de Saint-Samson

23. L'homme n'a rien à faire de meilleur que de se laisser et abandonner à chaque moment à Dieu, avec ordre et raison, et au-dessus de tout ordre et raison, se donnant en éternelle proie à Dieu, par l'entière perte de sa volonté. Perte heureuse qui rend l'homme très riche, pour se donner soi-même et toutes ses richesses à Dieu ; soit dans le feu de la profonde tribulation accompagnée de la suprême pauvreté en tous sens et manières possibles ; ou encore dans le double feu de l'amoureuse résignation qui supprime tout sentiment tant dedans que dehors, et même jusqu'aux moelles de l'âme et au plus intime de son fond! Esprit du Carmel, Ch. 9.

24. Enfin 22 nos exercices et nos voies ne désignent qu'abandon, perte, résignation, mais perte éternelle d'esprit et de sens, mort sans consolation ni rafraichissement, ni selon l'esprit, ni selon le sens, ni selon le corps. De sorte que nous nous croyions et sentions comme réprouvés et inconnus de Dieu ni plus ni moins que ce qu'il n'a jamais connu ; sans néanmoins désister pour cela ni nous défendre d'un seul point d'esprit et de cœur de son éternelle fuite. Jésus-Christ notre cher Epoux a ainsi vécu pour nous. Ch. 12.

25. Ici donc il faut s'armer de force, de patience et de confiance pour ne varier jamais ni à droite ni à gauche, sans faire autre chose que pâtir si on ne peut autrement, et attendre en pleine et amoureuse confiance le bienheureux et agréable retour de l'Epoux. Il faut dis-je que l'Epouse toute dépouillée de soi-même et de toute satisfaction soit totalement résignée et renoncée, se conformant à la volonté divine, pour souffrir en temps et en éternité les rigueurs d'un tel hiver, je veux dire, de l'absence de son Epoux. Esprit du Carmel, Ch. 16.

26. Tandis qu'il (a) reste ici à l'âme un point de vie possible pour l'aspiration amoureuse, (il y a poussement amoureux) l'âme n'a point la disposition requise pour se donner et se livrer à pur et à plein en proie à Dieu, pour faire les premières approches de la voie mystique et suréminente, par l'entière perte et abandonnement de tout soi-même - se perdant et s'abandonnant entre les bras de Dieu infini pour être mue de là en avant de lui seul. Ch. 22.

(a) Pour être parfaitement abandonné, il faut être mort aux propres opérations.

27. Notre résignation est infinie et sans fin, et n'a pas même le présent ni l'éternité ; quoi qu'il soit vrai qu'elle doit prendre fin avec nous. Au reste nous ne pensons point à toutes ces distinctions et réflexions, d'autant que nous ne sommes point, étant parfaitement anéantis. Cabinet mystique, Partie I, Ch. 10.

28. Quand quelqu'un qui tend à la perfection sera venu au dernier point de la mort, son père spirituel se doit bien donner de garde de l'exhorter à se confesser immédiatement avant que de mourir, pourvu qu'il se soit auparavant confessé de tout ce qu'il pensait lui gêner la conscience. La raison est que les parfaits se doivent résigner en ce temps-là à la justice de Dieu très hautement et très parfaitement en temps et en éternité, et être autant désireux d'être soumis par entière résignation et renonciation d'eux-mêmes au bon plaisir de Dieu et de sa justice divine, que de recevoir miséricorde. Mais ce très-haut secret requiert une très-vraie perfection acquise par la pratique de toutes les vertus et par amour fervent et continuel. Partie II, Ch. 4.

29. Ces âmes sont toujours satisfaites et contentes, s'abandonnant à pur et à plein entre les mains de votre infinie Majesté, afin qu'elle fasse d'elles et en elles selon son bon plaisir. Et quoi qu'il soit vrai que le temps et les succès soient fort divers en elle à cause de vos différentes opérations, n'importe ; il en est toujours ainsi de la part de ces Epouses, d'autant que ce n'est ni votre flux, ni tout le vôtre qu'elles désirent, mais vous seul en votre flux. Vous êtes donc leur tout, ô ma chère vie, et leur paradis, parce que vraiment elles sont le vôtre. Contemplation, 3.

30. Il 24 y a un piège bien plus subtil que je n'ai point encore touché, qui est la perte du repos sensible à laquelle personne ne veut passer ; c'est là votre barrière, laquelle vous ne voulez point franchir, en vous abandonnant à pur et à plein à perdre votre repos sensible, quoique ce serait le perdre sans le perdre. Car en vous abandonnant à cela toujours et partout, vous rendriez (a) votre repos simple et au-dedans de l'esprit, et vous jouiriez simplement et tranquillement de Dieu, qui est lui-même votre repos, nonobstant les efforts des espèces sensibles. Lettre, 6.

(a) Paix qui surpasse tout sentiment ; c'est cette paix dont parle Saint Paul (Phil. 4, vs. 7) et que Jean de la Croix appelle trois fois paix : Voyez obscure nuit, Livre II, chap. 9.

31. Mon but est de vous représenter concisement l'essentielle sainteté de ce grand homme dans sa voie très-perdue et très-suréminente ; d'où on peut juger pieusement quelle est son immense gloire essentielle en la patrie, et la gloire accidentelle qui suit indivisiblement toutes ses vertus, lesquelles ont été très exemplaires et très éminente jusqu'au point de la mort. Il ne s'est point recommandé aux prières de personne (a) en mourant ; il en savait la raison infinie. Pour mon regard, cette vue et cette représentation me sont si délectables que je voudrais toujours y être occupé. Lettre 35 sur la mort du Père Dominique de Saint Albert.

(a) Par excès de désappropriation qui fait qu'on ne prend plus d'intérêt pour soi.

32. Souvenez-vous que la sainteté de Dieu devant les hommes gît et consiste dans l'entière perte, abandon et renoncement d'eux-mêmes ; de sorte que se perdre à soi et aux hommes en Dieu, 25 par bon et licite moyen, c'est toute la sainteté d'ici-bas dont je ne saurais figurer l'excellence. Lettre 39.

33. Le gain et l'abondance doivent céder à la perte et à l'abandon. Lettre 63.

Le Père Epiphane Louis, Abbé d'Estival, rapporte

34. Saint Augustin. Que toutes les imaginations cessent, que les cieux se taisent et que l'âme garde en soi un profond silence, et qu'elle s'abandonne toute à Dieu, comme si elle ne pensait plus à soi. (Confessions, Livre IX, Ch. 10) Conférences mystiques, 5.

35. Voyez Non-désir, n. 45.


 

II. Actes

Moyen court.

Les âmes qui marchent dans cette voie seront souvent étonnées que lorsqu'elles s'approchent du (a) Confessionnal, et qu'elles commencent à dire leurs péchés, au lieu du regret et d'un acte de contrition qu'elles avaient accoutumé de faire, un amour doux et tranquille s'empare de leur cœur. Ceux qui ne sont pas instruits veulent se tirer de là pour former un acte de contrition, parce qu'ils ont ouï dire que cela est nécessaire, et 26 il est vrai. Mais ils ne voient pas qu'ils perdent la véritable contrition qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu'ils pourraient faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres avec plus de perfection ; quoiqu'ils n'aient pas ceux-ci comme distincts et multipliés. Qu'ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. Chap. 15, n. 3.

(a) La Confession s'expliquera en son lieu.

Quelques personnes entendant parler de l'Oraison de silence, se sont faussement persuadées que l'âme y demeure stupide, morte et sans action. Mais il est certain qu'elle y agit plus noblement et avec plus d'étendue qu'elle ne fit jamais jusqu'à ce degré ; puisqu'elle est mue de Dieu même, et qu'elle agit par son Esprit. Saint Paul (Rom. 8, vs. 14.) veut que nous nous laissions mouvoir par l'Esprit de Dieu. On ne dit pas qu'il ne faut point agir ; mais qu'il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce. Ch. 21, n. 1.

Cette action de l'âme est une action pleine de repos. Lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit avec effort ; c'est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu'elle agit par dépendance de l'Esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle 27 qu'il semble qu'elle n'agisse pas.

Sitôt que l'âme est en pente centrale, c'est-à-dire, tournée au dedans d'elle-même par le recueillement, dès ce moment elle est dans une action très forte, qui est une course de l'âme vers son centre qui l'attire et qui surpasse infiniment la vitesse de toutes les autres. C'est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille qu'il semble à l'âme qu'elle n'agit pas ; parce qu'elle agit comme naturellement.

Lorsqu'une roue n'est que médiocrement agitée, on la distingue bien ; mais lorsqu'elle va avec une grande vitesse, on ne distingue plus rien en elle. De même l'âme qui demeure en repos auprès de Dieu a une action infiniment noble et relevée ; mais une action très paisible. Plus elle est en paix, plus elle court avec vitesse ; parce qu'elle s'abandonne à l'Esprit qui la meut et la fait agir. n. 2.

Cet Esprit n'est autre que Dieu qui nous attire et qui en nous tirant nous fait courir à lui. n. 3.

Il n'est donc point question de demeurer oisif, mais d'agir par dépendance de l'Esprit de Dieu qui nous doit animer. ---

De sorte que Dieu agissant infiniment, nous nous laissant mouvoir à l'Esprit de 28 Dieu, nous agissons beaucoup plus que par notre propre action. n. 4.

Notre action doit donc être de nous mettre en état de souffrir l'action de Dieu et de donner lieu au Verbe de retracer en nous son image. Une image qui se remuerait empêcherait le peintre de contretirer un tableau sur elle. Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler, et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu'il nous meut.  n. 5

Que cette action soit plus noble, c'est une chose incontestable. Il est certain que les choses n'ont de valeur qu'autant que le principe d'où elles partent est noble, grand et relevé. les actions faites par un principe divin sont des actions divines (a) ; au lieu que les actions de la créature, quelque bonnes qu'elles paraissent, sont des actions humaines ou tout au plus vertueuses, lorsqu'elles sont faites avec la grâce. --

On ne prétend donc pas de ne point agir, mais seulement d'agir par la dépendance de l'Esprit de Dieu pour donner lieu à son action de prendre la place de celle de la créature. 29 Ce qui ne se fait que par le consentement de la créature ; et la créature ne donne ce consentement qu'en modérant son action, pour donner lieu peu à peu à l'action de Dieu de prendre la place. n. 6.

(a) Notez. Voyez J. de la Croix, ci-dessous. Art. V. Centre de l’âme, n. 3. Etc.

Jésus-Christ nous fait voir dans l'Evangile cette conduite. Marthe faisait de bonnes choses ; mais parce qu'elle les faisait par son propre esprit, Jésus-Christ l'en reprit. L'esprit de l'homme est turbulent et inquiet : c'est pourquoi il fait peu quoiqu'il paraisse faire beaucoup. (a) Marthe, dit Jésus-Christ, vous vous inquiétez et empressez de beaucoup de choses ; mais une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée. Qu'a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Elle cesse d'agir en apparence, pour se laisser mouvoir par l'Esprit de Jésus-Christ. n.7.

(a) Luc, 10, vs. 41-43.

Les actes de l'homme sont ou extérieurs ou intérieurs. Les extérieurs sont ceux qui paraissent au dehors, à l'égard de quelque objet sensible ; et qui n'ont d'autre bonté, ni qualité morale, que celle qu'ils reçoivent du principe intérieur dont ils partent.

Ce n'est point de ceux-là que j'entends parler ; mais seulement des actes intérieurs, qui sont des actions de l'âme par lesquelles 30 elle s'applique intérieurement à quelque objet, ou se détourne aussi de quelque autre. Ch. 22, n. 1.

Lorsqu'étant appliqué à Dieu, je veux faire un acte d'autre nature, je me détourne de Dieu et je me tourne vers les choses créées, plus ou moins, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si étant tourné vers la créature je veux retourner vers Dieu, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu : et ainsi plus l'acte est parfait, plus la conversion est entière.

Jusqu'à ce que je sois parfaitement converti, j'ai besoin de plusieurs actes pour me tourner vers Dieu ; les uns le sont tout d'un coup, les autres le sont peu à peu ; mais mon acte me doit porter à me porter vers Dieu, employant toute la force de mon âme pour lui. --

Mais comme l'esprit de l'homme est léger et que l'âme étant accoutumée à être tournée au dehors, elle se dissipe aisément et se détourne, sitôt qu'elle s'aperçoit qu'elle s'est détournée dans les choses du dehors, il faut que par un acte simple qui est un retour vers Dieu, elle se remette en lui : puis son acte subsiste tant que sa conversion dure, à force de se retourner vers Dieu par un retour simple et sincère. n. 2.

Et comme plusieurs actes réitérés font une habitude, l'âme contracte l'habitude de la conversion et d'un acte qui devient comme habituel dans la suite.

L'âme ne doit pas se mettre en peine alors de chercher cet acte pour le former, parce qu'il subsiste et même elle ne le peut sans y trouver une grande difficulté. Elle trouve même qu'elle se tire de son état sous prétexte de le chercher ; ce qu'elle ne doit jamais faire, puisqu'il subsiste en habitude, et qu'alors elle est dans une conversion et dans un amour habituel. On cherche un acte par d'autres actes, au lieu de se tenir attaché par un acte simple à Dieu seul.

On remarquera que l'on aura quelque fois facilité à faire distinctement de tels actes, mais simplement : c'est une marque que l'on s'était détourné, et qu'on rentre dans son cœur après qu'on s'en était écarté. Mais que l'on y demeure en repos dès que l'on y est entré.

Lors donc que l'on croit qu'il ne faut point faire d'actes, on se méprend ; car on fait toujours des actes ; mais chacun les doit faire conformément à son degré. n. 3.

Pour bien éclaircir cet endroit qui fait la difficulté des la plupart des spirituels, faute de le comprendre, il faut savoir qu'il y a des 32 actes passagers et distincts, et des actes continués ; des actes directs et des actes réfléchis. Tous ne peuvent point faire les premiers, et tous ne sont pas en état de faire les autres.

Les premiers actes se doivent faire par les personnes qui se sont détournées. Ils doivent se tourner par une action qui se distingue et qui soit plus ou moins forte, selon que le détour était plus ou moins éloigné. De sorte que lorsque le détour est léger, un acte des plus simples suffit. n. 4.

J'appelle l'acte continué celui par lequel l'âme est toute tournée vers son Dieu, par un acte direct qu'elle ne renouvelle pas, à moins qu'il ne fut interrompu ; mais qui subsiste. L'âme toute tournée de la sorte est dans la charité, et elle y demeure.

Alors l'âme est comme une habitude de l'acte, se reposant dans ce même acte. Mais son repos n'est pas oisif : car il y a alors un acte toujours subsistant qui est un doux (a) enfoncement en Dieu, où Dieu l'attire toujours plus fortement ; et elle, suivant cet attrait si fort et demeurant dans son amour et sa charité, s'enfonce toujours plus dans ce même amour, et elle a une action 33 infiniment plus forte, plus vigoureuse et plus prompte, que l'acte qui ne sert qu'à former le retour. n. 5.

(a) Ceci se fait par amour infus dans la volonté, ou par une tendance actuelle à la fin.

Or l'âme qui est dans cet acte profond et fort, étant toute tournée vers son Dieu, ne s'aperçoit point de cet acte, parce qu'il est direct et non réfléchi. Ce qui fait que cette personne ne s'expliquant pas bien, dit qu'elle ne fait point d'actes. Qu'elle dise plutôt qu'elle ne distingue plus d'actes. Elle ne les fait point par elle-même ; j'en conviens : mais elle est tirée et elle suit ce qui l'attire. L'amour est le poids qui l'enfonce comme une personne qui tombe dans la mer, s'enfonce et s'enfoncerait à l'infini si la mer était infinie. Et, sans s'apercevoir de cet enfoncement, elle descendrait dans le plus profond d'une vitesse incroyable.

C'est donc parler improprement que de dire que l'on ne fait point d'actes. Tous font des actes ; mais tous ne les font pas de la même manière : et l'abus vient de ce que tous ceux qui savent qu'il faut faire des actes voudraient le faire distincts et sensibles. Cela ne se peut ; les sensibles sont pour les commençants, et les autres pour les âmes avancées. S'arrêter aux premiers actes, qui sont faibles et avancent peu, c'est se priver des derniers : de même que vouloir faire les derniers 34 avant que d'avoir passé par les premiers serait un autre abus. n. 6.

Cantique

Le retour de l'Epouse est aussi prompt et sincère, que sa faute avait été légère et imprévue. Ch. 6, vs. 12.

Cette belle âme (comme le palmier) a deux qualités : l'une de ne se jamais recourber vers elle-même pour aucune grâce qu'elle ait reçue de Dieu ; l'autre de ne produire pas la moindre action par elle-même, quelque petite qu'elle soit. Ch. 7, vs. 7.

L'Epouse invite son Epoux d'aller partout ; car alors elle est mise toute en action. Et comme Dieu est toujours agissant au dehors et toujours reposant au dedans, de même cette âme qui est si confirmée au dedans, est aussi toute agissante au dehors. Là-même, vs. 12.

AUTORITÉS.

Henri Suso

1. L'Âme est alors comme l'œil qui ne voit point son action, et qui s'oublie lui-même en regardant son Objet. Dialogue de la Vérité, Ch. 9.

Sainte Catherine de Gênes

2. Etant ainsi reprise de l'amour, je ne faisais 35 plus d'action ni intérieure ni extérieure, dont quelqu'un se put apercevoir. Vie, Ch. 41.

Le Bienheureux Jean de la Croix

3. Lorsque les deux maisons de l'âme sont apaisées et fortifiées en un avec tous leurs domestiques, qui sont les puissances et appétits, les endormant et faisant taire à l'égard de toutes les choses d'en haut et d'en bas, le Fils de Dieu s'unit immédiatement dans l'âme avec un nouveau nœud de possession d'amour. Obscure Nuit, livre II, Ch. 24.

4. Tout ceci est tellement employé en Dieu, que même sans que l'âme y prenne garde, toutes les parties de cet attirail que nous avons dit, en leur premier mouvement d'ordinaire s'inclinent à opérer en Dieu et pour Dieu ; parce que l'entendement, la volonté et la mémoire vont aussitôt à Dieu, et les affections, les sens, les désirs et appétits, l'espérance, la joie et toutes ces appartenance de prime abord s'inclinent aussitôt à Dieu, bien que, comme j'ai dit, l'âme ne prenne pas garde qu'elle opère pour Dieu, d'où vient que cette âme travaille et opère pour Dieu très fréquemment, et le regarde, et ce qui le concerne, sans penser ni se souvenir qu'elle le fait pour lui ; parce que l'usage et l'habitude qu'elle tient déjà en telle manière de procéder la fait manquer de l'advertance, du soin et encore des actes fervents de dévotion sensible qu'elle avait accoutumé d'avoir au commencement de ses œuvres. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux, couplet 20.

5. C'est là l'opération du Saint Esprit dans l'âme transformée en son amour ; car les actes intérieurs qu'elle fait, c'est de brûler et flamboyer, qui sont des inflammations d'amour avec quoi la volonté 36 unie aime très hautement, étant faite une même chose par amour avec cette flamme. Et ainsi ces actes d'amour de l'âme sont très précieux, et elle mérite plus en un seul qu'en beaucoup d'autres qu'elle a fait dans cette transformation. * Et la différence qui se trouve entre l'habitude et l'acte, se trouve aussi entre la transformation en amour et la flamme d'amour, qui est celle qui se trouve entre le bois enflammé et sa flamme ; car la flamme est un effet du feu qui est là. D'où vient que nous pouvons dire de l'âme qui est en état de transformation d'amour, que son habitude ordinaire est semblable au bois qui est toujours investi, pénétré et allumé du feu, et ses actes qui naissent du feu d'amour sont la flamme, laquelle est d'autant plus véhémente que le feu d'union est plus intense, et que la volonté est plus ravie et absorbée en la flamme du Saint Esprit, à l'exemple (a) de cet Ange lequel du sacrifice de Manué, monta à Dieu dans la flamme. Et (aa) ainsi en cet état actuel l'âme ne peut faire ces actes si le Saint Esprit ne l'y pousse très particulièrement ; c'est pourquoi (b) tous ses actes sont divins, en tant qu'elle est mue de Dieu avec cette particularité. D'où vient qu'il lui semble que toutes les fois que cette flamme flamboie, la faisant aimer avec ferveur et tempérament divin, on lui donne la vie éternelle qui l'élève à l'opération divine en Dieu. Vive flamme d'amour, Cantique, I, verset 1.

(a) Jug. 13, vs. 20.

(aa) Motion divine, n. 8.

(b) Les actes des personnes mues par l'Esprit de Dieu sont des actes divins, parce qu'ils tirent leur valeur du principe dont elles partent.

* Habitude des vertus. n.3.

6. Pour mieux entendre ceci, il faut savoir 37 que l'état des commençants est de méditer et de discourir : en cet état il est nécessaire de donner à l'âme de la matière, afin qu'elle discoure et fasse ses actes intérieurs, et se serve du feu et de la saveur spirituelle sensible, parce qu'il est ainsi convenable pour habituer les sens et les appétits aux choses bonnes ; et afin que les appâtant avec cette saveur, ils s'arrachent du siècle. Mais lorsque cela est aucunement fait, aussitôt Dieu commence à les mettre en état de contemplation, ce qui arrive en fort peu de temps principalement dans les Religieux, etc. Là-même, Cantique III, verset 3, § 5.

7. Il faut alors conduire l'âme par un chemin tout contraire (a) au premier.  Que si auparavant on lui donnait matière pour méditer, et qu'elle méditât, à présent il lui faut ôter, et qu'elle ne médite pas ; car elle ne le saurait quand elle voudrait, et cela la distraira. Si auparavant elle cherchait du goût et de la ferveur, et qu'elle en trouvât, à présent qu'elle n'en veuille ni n'en cherche plus : car non seulement elle n'en trouvera point par sa diligence, mais au contraire elle en tirera de l'aridité ; parce qu'elle se divertit du bien tranquille et paisible qu'on lui donne secrètement en l'esprit par l'action ou opération qu'elle veut faire par le sens ; et ainsi perdant l'un, elle ne fait pas l'autre, d'autant qu'on ne lui donne plus les biens par le sens comme auparavant. C'est pourquoi l'on ne doit (b) jamais en cet état lui encharger [sic] de méditer, ni de faire des actes tirés à force de discours : elle ne doit aussi 38 procurer avec attachement de la saveur ni de la ferveur ; parce que ce serait mettre un obstacle au principal agent qui est Dieu, lequel met secrètement et tranquillement dans l'âme la sagesse et l'amoureuse notice sans beaucoup de différence, expression ou multiplication d'actes ; encore que quelquefois il les fasse spécifier en l'âme avec quelque durée ou espace de temps, et pour lors l'âme doit vaquer seulement à une attention amoureuse à Dieu, sans spécifier d'autres actes que ceux auxquels elle se sent inclinée par lui, se portant comme passive, sans faire de soi aucune diligence, avec le (c) regard amoureux simple et sincère, comme qui ouvrirait les yeux avec une œillade d'amour. Car puisque (d) Dieu traite alors avec l'âme quant à la manière de donner, par notice sincère et amoureuse, l'âme doit aussi traiter avec lui quant à la façon de recevoir, par connaissance et regard simple et amoureux, pour joindre ainsi notice avec notice et amour avec amour ; parce qu'il est ici convenable que celui qui reçoit se comporte à la façon de ce qu'il reçoit et non autrement, afin de le pouvoir recevoir et retenir comme on le lui donne : d'où il s'ensuit que si l'âme ne quittait alors sa façon ordinaire de discourir elle ne recevrait qu'écharsement[46] et imparfaitement, et ainsi elle ne le recevrait avec la perfection qu'il lui est donné. Là-même, § 6.

(a) Notez. Il faut conduire l'âme d'une manière toute différente de la Méditation.

(b) Notez jamais.

(c) Regard simple amoureux.

(d) Conformité qu'il doit y avoir entre l'agent et le patient, entre Dieu et l'âme.

8. Autant de fois que Dieu oint l'âme de quelque délicate onction de notice amoureuse, calme, paisible, solitaire et très éloignée du sens et de ce qu'on peut penser, et qu'il la tient sans pouvoir 39 goûter ni méditer chose aucune, ni de celles d'en haut, ni de celles d'ici-bas ; parce que Dieu la tient occupée dans cette action solitaire, encline au loisir et à la solitude, il viendra quelqu'un qui ne fait que frapper sur l'enclume comme un forgeron, et d'autant qu'il ne sait point d'autre leçon que cela, il tiendra tel langage : Allez, tirez-vous de là ; car c'est perdre le temps et demeurer oisif : mais prenez cet autre exercice, méditez et faites des actes, parce qu'il est besoin que vous fassiez des diligences de votre part ; car ces autres choses sont des abus, des tromperies et des amusements de personnes grossières et sans esprit. Et * ainsi n'entendant (a) pas les degrés d'oraison ni les voies de l'esprit, ils ne voient pas que ces actes qu'ils désirent de l'âme sont déjà faits, et que cette voie du discours est déjà achevée; Puisque cette âme est déjà parvenue à l'abnégation sensitive, et que lorsqu'on est parvenu au terme, et qu'on a déjà fait le chemin, il ne faut pas marcher davantage, parce que ce serait de nouveau s'éloigner du but : ainsi n'entendant pas que cette âme est déjà dans la voie de l'esprit, en laquelle il n'y a plus de discours et le sens cesse, et où Dieu (b) est particulièrement l'agent et celui qui parle secrètement à l'âme solitaire, ils jettent en l'âme d'autres onguents de notices grossières et de sucs desquelles ils l'entretiennent et lui ôtent la solitude et la retraite, et par conséquent l'ouvrage excellent que Dieu traçait en elle. Et ainsi elle ne fait pas l'un, et ne profite pas en l'autre. Là-même, § 8.

(a) Les Directeurs peu éclairés nuisibles.

(b) Parole de Dieu en l'âme, Dieu agent.

* Motion divine, n. 12.

9. Les 40 actes qui se font suivant cette contemplation infuse, sont d'autant plus excellents, plus méritoires et plus savoureux que le moteur qui verse cet amour est meilleur, lequel l'attache à l'âme, parce que la volonté est près de Dieu et détachée des autres goûts. C'est pourquoi il faut avoir soin de tenir la volonté vide et dégagée de ses affections ; car si elle se tourne en arrière voulant goûter quelque suc ou consolation, encore qu'elle ne la sente particulièrement en Dieu, elle s'avance, montant à Dieu par-dessus toutes choses, puisqu'elle n'est touchée du goût d'aucune. Et quoiqu'elle ne goûte pas Dieu distinctement et qu'elle ne l'aime par un acte si distinct, néanmoins en cette infusion générale elle le goûte obscurément et secrètement. --

La volonté pour aller à Dieu doit plutôt se retirer de toute chose délicieuse et savoureuse, que s'y appuyer. Avec cela on satisfait bien au précepte d'amour, qui est d'aimer Dieu sur toutes choses, lequel pour être accompli en toute perfection cette nudité et vide spécial de toutes choses. Là-même, § 10.

10. Ces maîtres qui n'entendent pas les âmes qui entrent en cet état - pensant que ces âmes sont oisives, parce que comme dit l'Apôtre (a), l'Homme animal ne comprend pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu (b) - les font discourir et faire des actes non sans grand ennui, répugnance, avidité, et distraction de ces âmes qui voudraient être en leur coi et paisible recueillement, leur persuadant de procurer des sucs et ferveurs - ce que ne pouvant faire -, elles se croient perdues, 41 et eux-mêmes leur aide encore à le croire, leur desséchant l'esprit, leur ôtant les précieuses onctions dont Dieu les embaumait en la solitude et tranquillité, substituant des onctions des travail et de boue ; puisqu'ils perdent en l'un et peinent inutilement dans l'autre. * Telles gens ignorent ce que c'est qu'esprit : ils commettent une grande irrévérence et font une injure signalée à la Majesté de Dieu, mettant leur main grossière où il opère  : car il ne lui a pas peu coûté d'amener ces âmes jusque-là, et il prise beaucoup de les avoir conduites en cette solitude et vide de leurs puissances et opérations, afin de leur pouvoir (a) parler au cœur, qui est ce qu'il désire toujours, en prenant déjà le soin, étant celui qui règne aux âmes avec abondance de paix et de repos, faisant cesser les actes discursifs des puissances, avec lesquelles travaillant toute la nuit, elles ne faisaient rien. - Or combien il estime cette tranquillité, etc. (Voyez Quiétude, n. 32) Là-même, § 11.

(a) I Cor. 2. vs. 14.

(b) C'est-à-dire qu'il ne passe pas le sens animal de la partie unitive.

(a) Notez, Dieu désire parler au cœur de l'homme ; et l'on s'y oppose et arrête les âmes.

* Entendre n. 32

Le Père Jacques de Jésus

11. La seconde Phrase qu'il est bon d'exprimer ici est celle dont les Mystiques usent communément de ce qu'au sommet de la Contemplation les puissances sont comme ravies, suspendues et sans opérer. -

En celle-ci on peut seulement dire que les puissances n'opèrent pas comme d'elles-mêmes, puisque ce qu'elles reçoivent est entièrement infus : et + ce qui est lors la part de l'entendement est une simple retenue et suspendue admiration, 42 et se laisser illustrer, pénétrer et consommer de la lumière divine. Et de la part de la volonté, saintement anéantir et détruire afin qu'elle ne sente, n'aime ni désire, ni se réjouisse en autre chose qu'en Dieu seul. Et cela avec un tel goût et sérénité qu'il ne semble pas opérer, à cause que cette affection amoureuse et simple est si intime et comme substanti[fi]ée en l'âme, qu'elle semble toucher à l'essence et non aux puissances, en partie à cause de la grandeur et radication interne et profonde de l'affection, et en partie par la simplicité et suavité de celui dont la perfection approche plus du repos que du mouvement (comme dit Aristote et Saint Thomas après lui) et semble que ce soit plutôt une habitude qu'un acte, à raison que l'âme est en une habituelle disposition d'amoureuse inclination à Dieu, parce que toute inclination habituelle, intense, simple et suave unie à Dieu fait que ce qui est action ne paraît pas l'être, mais une chose comme substantielle et transformation d'être.

La raison de cela est premièrement que comme l'action est un mouvement, et que ces actions spirituelles ne durent que des instants, l'âme qui ne se sent point mouvoir, mais qui ressent en cette affection divine une espèce d'immutabilité et consistance de durée, cela ne lui semble pas être une action.

En second lieu parce que le commun et ordinaire de ses actions, c'est discourir et tirer une vérité d'une autre, ou s'approfondir avec peine et difficulté en elle, ou cheminer par ces actions et avec elles acquérir autre chose, à quoi l'intention, nécessité ou désir l'ordonne, l'âme sentant comme s'émouvoir et cheminer au bien, ou à la fin prévue et préméditée. Notes sur Jean de la croix, Disc. I, Phras. 2.

+ Non-désir n. 31.

Le Père Benoit de Canfeld

12. Voyez Non-désir, n. 32.

13. Voyez là-même.

Saint François de Sales

14. Quand donc vous serez en cette simple et pure confiance filiale auprès de Notre-Seigneur, demeurez-y, mon cher Théotime, sans vous remuer nullement pour faire des actes sensibles, ni de l'entendement, ni de la volonté ; car cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de votre esprit entre les bras du Sauveur comprend par excellence tout ce que vous allez cherchez ça et là pour votre goût. Il est mieux de dormir sur cette sacrée poitrine que de veiller ailleurs où que ce soit. De l'Amour de Dieu, livre 6, chap. 6.

Le Frère Jean de Saint-Samson

15. Quoi que nous parlions ainsi ici et ailleurs, si est-ce que dans ce noble et profond plongement actif l'âme n'est pas sans (a) action, ni sans espèces formées de sa part. Mais on dit que son action en cet endroit est faite si subtilement et sous des formes si subtiles, qu'à peine elle-même les aperçoit-elle par manière de dire. Néanmoins est-il vrai qu'elle n'est point ignorante de son action qui est toujours faite avec un désir simple, avide et toujours également affamée de posséder son Epoux sans dissimilitude, non pour la satisfaction d'elle-même, mais pour celle de Dieu. Esprit de Carmel, Ch. 19.

(a) Il parle ici d'un reste d'activité.

16. Or personne n'est suffisamment disposé ni propre pour entrer en la voie suréminente, s'il n'est entièrement destitué de son pouvoir actif, dans le plus pur et le plus simple de cette voie mystique. Là-même, Ch. 22.

17. Pour 44 ce qui est de l'amour actif et réciproque entre Dieu et l'âme, quoi que ce soit chose très grande, et cela a précédé ces derniers et divers effets, qui sont pourtant en telle sorte derniers qu'ils sont un long temps totalement changés, ou pour mieux dire, annulés comme ce qui n'a jamais été, à cause de certains plus vifs et plus grands attouchements d'amour en toutes les puissances de l'âme qui produisent de tout autres effets en elle. Cabinet mystique, Partie I, Ch. 2.

18. Tout ceci n'appartient qu'au parfaitement mort, vivant d'une vie divine ; tout ceci est en lui par-dessus toute distinction et différence. Il soutient et endure toute cette unique action de suprême félicité par-dessus la connaissance réflexe de tout cela même. Là-même, chap. 4.

19. Voyez Foi nue, n. 46.

20. Sur ceci, mon cher Amour, je dirai qu'il est infiniment plus noble d'agir en vous que d'agir pour vous ; car dans le premier l'intention est simple, qui n'a pas tant d'égard aux œuvres qu'à vous en qui elle les fait. Contemplation, 38.

21. Dieu désormais (a) agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Ils sont à bon droit et très volontiers les vifs instruments de Notre Seigneur qui se plait à consommer son ouvrage en eux, les rendant par ce moyen dignes d'habiter en tout lui au-dedans de leur fond par-dessus toute éminence et toute pénétration possible. Lettre, 19.

(a) Âme qui porte Jésus-Christ en ses états.

L'Auteur du Jour mystique[47]

Dieu étant le seul être de soi, à lui seul appartient d'opérer en lui-même, immuablement, éternellement, infiniment ; et hors de lui-même, et dans ses créatures raisonnables de faire ce qui lui plaît, leur communiquant librement l'être, la 45 liberté, et l'opération, qui est ainsi plus l'être et l'opération de Dieu que de la créature. Livre I, Traité I, chap. 1, sec. 6.

23. L'âme se repose en Dieu, qui lui demeure caché, aussi bien que son acte, qui ne peut être réfléchi ni aperçu par une connaissance intuitive et formelle. --

Il est vrai que dans les Méditations et dans les Contemplations affirmatives, la charité opère, et que gagnant la volonté de l'âme, elle change sa vie en celle du Bien-aimé. En sorte qu'elle ne veut que ce que Dieu veut, et veut tout ce qu'il veut. Mais il faut avouer que les actes mystiques de l'Oraison de repos sont plus puissants et plus transformants, et qu'encore qu'il y ait plusieurs et différents degrés de charité unifiante, ou plusieurs formes d'unions divines, celle néanmoins qui se fait par les actes d'un amour mystique est si intime et si immédiate, (a) qu'elle semble seule entre toutes les autres mériter absolument, et par excellence, le titre d'une parfaite union, je veux dire l'actuelle et fidèle correspondance à suivre dans l'oraison les attraits de la volonté de Dieu ; soit par la production d'actes quand ils sont nécessaires pour l'entretien et la conservation de l'oraison ; soit par le délaissement volontaire de ces même actes quand il plaît à Dieu de donner quelques quiétudes incompatibles avec les bonnes pensées. Parce qu'il est très certain que la négligence de produire des actes de bonnes pensées et saintes affections quand on le peut, ou le trop grand empressement d'en produire quand Dieu les veut suspendre par ses douces opérations au fond de l'esprit, sont également préjudiciables au bien de l'âme et à sa perfection. Là-même.

(a) Union immédiate ; acte d'un amour mystique.

24. Quand 46 l'âme est dans une oraison de Méditation ou de Contemplation affirmative, c'est-à-dire, quand elle médite et contemple quelque vérité aperçue, elle ne quitte pas les actes, parce que ces sortes de méditations ou de contemplations sont des actes de l'entendement ou de la volonté. Mais quand elle est dans une contemplation obscure, dans laquelle elle ignore ce qui lui est donné à contempler, elle quitte alors tous les actes et toutes les opérations ordinaires, pour tenir en un seul repos mystique, qui est à proprement parler un contentement ou une complaisance de volonté obscure et non-aperçue dans le Souverain Bien. Là-même, chap. 2, sec. 4.

25. L'oraison de repos savoureux n'a pas ce désir de produire des actes, ni de faire autre oraison que celle de son dit repos. Là-même, chap. 2, sec. 3.

26. Dans cette jouissance savourée l'âme sent un touchement intérieur qui lui défend de faire autre oraison que celle de se reposer, parce que ce repos est une suspension de tout autre acte intérieur. Là-même, sec. 5.

27. Ne vous tourmentez-donc pas, pauvres âmes, ne vous (a) faites plus tant de violences pour produire des actes que l'état de votre stérilité vous rend souvent moralement impossible. Souffrez de bon cœur que Dieu vous en dépouille, afin que dans cette désappropriation intérieure vous puissiez entrer dans la vraie pauvreté d'esprit. Là-même, Traité II, chap. 2, sec. 2.

(a) Comment dans la sécheresse et délaissement il ne faut pas s'efforcer de produire des actes.

28. Ceux qui veulent toujours produire des actes sans s'exercer à l'Oraison de quiétude ne pourront jamais arriver à cette pauvreté d'esprit que Notre Seigneur a tant recommandée, dont 47 les Mystiques font tant d'état, et qui consiste particulièrement à n'être pas si propriétaire de ses actes et de ses satisfactions en l'oraison qu'on ne les quitte aisément quand il plaît ainsi à ce même Seigneur qui en doit disposer à sa volonté. Là-même, chap. 4, sect. 1.

29. Pour mon regard, dit Sainte Thérèse (Vie, ch. 22), je crois que dans cette Oraison d'union, l'âme pour s'aider, fait quelque chose de sa part, combien qu'il lui semble que cela l'avance, néanmoins tout tombera bientôt par terre, comme chose sans fondement. Et je doute si elle arrivera à la vraie pauvreté d'esprit. Là-même, sect. 4.


 


 

III. Anéantissement

Moyen court

Il faut que l'âme se laisse détruire et anéantir par la force de l'amour. -- Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu'en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui. Or cela ne s'exécutera jamais que par l'anéantissement. Ch. 20, n. 3.

L'âme est mise par là dans la vérité du Tout de Dieu et du néant de la créature. Nous ne pouvons honorer le Tout de Dieu que par notre anéantissement : et nous ne sommes pas plus tôt anéantis que Dieu, qui ne souffre point de vide sans le remplir, nous remplit de lui-même. Là-même, n. 4.

Cantique

La connaissance de notre Néant aide à connaître le Tout de Dieu : c'est dans ce tout de Dieu que se puise la Lumière nécessaire pour découvrir l'abîme du néant de la créature. Ch. I, vs. 7.

Si vous voulez que je prenne vie en vous, il faut que vous soyez dans le dernier anéantissement. Ch. 2, vs. 1.

Les vaillants guerriers sont les attributs divins qui environnement le lit royal, et qui en empêchent l'entrée à ceux qui ne sont pas entièrement anéantis. Ch. 3, vs. 7.

L'Epoux l'appelle ici du nom d'Epouse et la convie à se hâter de se laisser détruire et anéantir. Ch. 4, vs. 8.

On ne saurait croire les grands fruits qu'une âme bien anéantie produirait en faveur des hommes sitôt qu'elle serait appliquée à les aider. Ch. 4, vs. 13.

Dieu dit que cette âme en qui le mariage spirituel a été parfaitement consommé par son anéantissement total et par sa perte entière, est une colombe en simplicité. Ch. 6, vs. 8.

C'est pour y voir les fruits de l'anéantissement. Ch. 6, vs. 10.

Non qu'elle méprise ou rejette les visites 49 ni les consolations divines : non. Elle a trop de respect et de soumission pour l'opération de Dieu. mais c'est que ces sortes de grâces (a) ne sont plus guère de saison pour une âme aussi anéantie qu'elle l'est, et qui est établie dans la jouissance du centre. Ch. 8, vs. 14.

(a) C'est-à-dire, les sensibles, distinctes, et aperçues : la suite le fait voir.

Cette âme demeure entre les mains de son époux comme les choses qui ne sont point. Ce doit là être l'effet de l'anéantissement le plus profond. Là-même.

Saint Denis

1. Ceux qui sont bien entendus aux mystères hiérarchiques ne peuvent ignorer, ce me semble, ce qui est assez clair et connu, c'est à savoir, que les natures douées d'entendement et d'esprit n'obtiennent (a) point autrement l'habitude immuable de la divine ressemblance si ce n'est en s'élevant continuellement avec attention et force d'esprit vers l'unité, et en mortifiant et anéantissant entièrement toutes les choses contraires. De la hiérarchie ecclésiastique, ch. 2.

(a) Notez : cette habitude immuable se peut donc acquérir.

Henri Suso

2. Il faut nous perdre dans ce néant qui n'est autre chose que Dieu, afin que Dieu nous soit tout en toutes choses. Dialogue de la vérité, ch. 8.

3. Par l'introversion qui nous perd dans ce 50 néant nous perdons toute distinctions, non quant à l'essence, mais à ce qui nous parait. Là-même.

4. L'âme perdue dans ce néant ne sait si elle est ce néant divin, ou si elle est créature, ou même si elle est unie. Là-même, ch. 9.

5. Dès qu'elle s'aperçoit, qu'elle connait et qu'elle contemple ce néant, elle s'en éloigne et réfléchit naturellement sur elle-même. Là-même.

6. Quand quelqu'un est tellement élevé au-dessus de soi qu'il ne connait plus ni soi-même ni autre chose, et qu'il est tout endormi dans le fond du néant éternel, c'est alors qu'il est véritablement perdu. Là-même, ch. 10.

L'Imitation de Jésus-Christ

7. Que si je perds tous les sentiments de moi-même, si je m'abaisse, si je m'anéantis, si je me réduis à la cendre et en poussière, comme c'est tout ce que je suis, votre grâce me sera favorable et votre lumière luira dans mon coeur. Livr. 3, Ch. 8, § 1.

Henri Harphius

8. Cette lumière se manifeste comme un néant dont la sublimité oblige l'homme à faire cesser toute opération, vaincu par l'opération du divin amour. Théologie mystique, Liv. II, Ch. 58.

Sainte Catherine de Gênes

9. Quand l'âme est anéantie, elle n'opère plus, elle ne parle plus, elle ne veut plus, elle n'a aucun sentiment ni dedans ni dehors qui se puisse mouvoir. Et en toutes choses Dieu est celui qui la gouverne et la conduit. Vie, Ch. 18.

10. Dieu anéantit l'âme : il demeure seul. Et la créature demeure comme sans âme. Dieu lui donne le goût et l'entendement comme il lui plaît. Là-même, Ch. 30.

11. Ô si je pouvais dire ce que je connais et ce que je sens de cet anéantissement de la propre-volonté, je suis certaine que chacun abhorrerais autant la sienne que le Diable ! Là-même, Ch. 31.

12. Dieu donne à l'âme une certaine occupation intérieure, en laquelle il la tient tellement noyée qu'il lui semble qu'elle est comme abîmée dans une mer profonde. Et étant occupée en une chose si grande et si divine, elle ne peut faire son opération naturelle : mais demeurant anéantie et abîmée en cette mer, elle reçoit une si grande participation de la tranquillité divine qu'elle serait suffisante pour adoucir les peines de l'Enfer.

Quand l'âme se trouve anéantie par l'opération divine, elle demeure toute transformée en Dieu qui la conduit et la meut et la remplit à sa façon sans l'opération humaine. Alors qui peut penser ce que sent cette créature ? Si elle en pouvait parler, ses paroles seraient tellement brûlantes que les cœurs en seraient enflammés. En cet anéantissement elle connait que toute volonté est peine, toute intelligence est ennui, toute mémoire est empêchement. Et elle dit : ô amour de pauvreté, Royaume de tranquillité ! Là-même.

13. Voyez Mortification, n. 1.

14. C'est ainsi que Dieu fait de l'homme, lequel a été créé pour la fin d'être uni à Dieu et d'être transformé en lui. Et tout de même comme dans le pain (a) il y a deux parties, l'une qui se change en substance, et l'autre qui se jette dehors comme une chose superflue, aussi Dieu sépare et rejette de l'homme tous ses mauvais 52 instincts corrompus par le péché originel qui lui donne inclination à tout mal. Et l'âme voyant sa dangereuse maladie, dit : je n'ai point d'autre remède, sinon que (b) Dieu fasse de moi ainsi que je fais du pain quand je l'ai mangé, duquel ma nature retient seulement la bonne substance et rejette le reste dehors, et ainsi elle demeure nourrie et saine. Ch. 22.

(a) La sainte exprime comment se fait cet Anéantissement par la comparaison du pain. Voyez aussi celle du bois qui se change en feu. Purification, n. 45.

(b) Il faut que Dieu nous purifie lui-même de la sorte.

15. Si Dieu avec ses doux moyens ne faisait en nous un si merveilleux effet, notre partie propre ne se laisserait pas anéantir. Elle se défendrait tant qu'elle pourrait : mais elle se trouve dans l'ordonnance et disposition de Dieu, qui taille et coupe peu à peu les racines de l'arbre. Et ainsi il dessèche les branches de nos mauvaises inclinations sans que l'homme s'en aperçoive. Il voit seulement qu'il ne peut plus prendre de plaisir aux choses extérieures, et (c) il ne sent point d'autre bien en soi, sinon qu'il se contente que Dieu fasse de lui tout ce qui lui plaît. Là-même.

(c) Abandon, résignation : c'est tout ce que l'âme connaît en elle.

16. Voyez Mortification, n. 3.

17. Voyez Mort entière, n. 4.

18. Voyez Actes, n. 2.

19. Voyez Propriété, n. 13.

20. Je suis (dit l'Amour) encore de telle nature, que je convertis et transforme les âmes en moi, les dépouillant d'elles-mêmes, et que je n'approuve jamais aucune chose qui ne soit tellement anéantie qu'elle ne puisse se voir en soi-même, ni sentir autre chose que pur amour sans aucun mélange : l'amour pur veut être seul. Ch. 41.

21. Voyez Joie de l'âme, n. 8.

Sainte Thérèse

22. Quelque fois la multitude de ces grâces les fait anéantir davantage, et elles craignent qu'il ne leur arrive la même chose qu'à un navire trop chargé que le faix excessif fait couler à fond. Elles ne manquent pas de croix. Château de l'âme, VIIe demeure, ch. 3.

Le Bienheureux Jean de la Croix

23. J'ai été réduit à néant, dit David (a), et je n'ai su. Parce que, comme il a été dit, l'âme ignore par où elle va : elle se trouve anéantie pour toutes les choses d'en haut et d'ici-bas qu'elle avait accoutumé de goûter. Elle se voit seulement éprise d'amour sans savoir comment. Nuit Obscure, Liv. I, ch. 11.

(a) Ps. 72, vs. 22.

24. Voyez Sortie de soi, n. 14.

Le Père Benoit de Canfeld

25. Il y a deux sortes d'anéantissement, l'actif et le passif. Le passif se fait lorsque la personne et toutes choses sont anéanties, assoupies et évanouies. Nous l'appelons passif, parce qu'on pâtit cet anéantissement dont il a été parlé jusqu'à présent. Règle de la perfection, partie III, ch. 11.

26. L'anéantissement passif est, lorsqu'il ne reste nul sentiment ni image des créatures. L'actif est lorsqu'il y a quelque image ou sentiment. Mais toutefois l'on connait par cette lumière qu'elles ne sont rien. L'une consiste en la connaissance expérimentale, se voyant réduit à rien comme il est écrit : je suis réduit au néant. L'autre consiste dans la connaissance vraie mais non expérimentale selon le sens, mais bien selon l'entendement.

De ces deux anéantissements, l'actif est le plus parfait, parce qu'il anéantit toutes choses avec 54 soi-même non seulement quand il est aidé de l'attrait actuel de cette volonté ou essence divine, mais aussi quand la personne est en stérilité. Il les anéantit autant quand elles demeurent, comme quand elles ne demeurent pas, et qu'elles s'évanouissent. -- Il anéantit même ce qui anéantit les choses, savoir son esprit et sa connaissance avec toute son opération, et ne permet pas que quelque sentiment ou image demeure, mais Dieu seul. L'anéantissement actif est encore plus parfait pour la force. Parce que ni la multitude des affaires extérieures ni la multiplicité des actions intellectuelles ne sont pas capables d'empêcher cet anéantissement ni de distraire. Il anéantit les choses, non seulement quand l'âme est élevée au-dessus d'elle-même, mais aussi quand elle est recueillie au-dedans de soi, les regardant comme ne les regardant pas : par là l'anéantissement actif se continue et exerce en tout. -- L'anéantissement passif attend l'actuel attrait de Dieu.

Ces deux anéantissements servent aux deux amours, de jouissance et de pratique, qui comprennent toute la vie spirituelle. Là-même.

Saint François de Sales

27. Voyez Non-désir, n. 35.

Le Frère Jean de Saint Samson

28. Pour ceux qui sont véritablement morts, je dis que c'est infiniment davantage d'être entièrement anéanti que d'être entièrement morts : car la mort est l'entrée à l'anéantissement. Mais bon Dieu ! Que disons-nous, de quoi et de qui parlons-nous puisque si peu se trouvent entièrement morts ? N'importe, disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état, demeurent de-là même d'autant plus inconnus et ignorés qu'ils sont différents des autres 55 saints mystiques. Esprit du carmel, ch. 9.

29. L'anéantissement passif est quand, soit par dedans, soit par dehors, il n'y a aucune autre opération de l'âme que de regarder et contempler Dieu purement en repos. Et ils appellent très à propos telle action passive, parce que nous ne faisons tout ce temps-là qu'endurer l'action divine en force, joie, et repos d'esprit.

Au contraire ils appellent anéantissement actif lorsque tout ce que nous faisons d'œuvres nécessaires nous paraissent n'être rien, et comme s'ils n'avaient jamais été. Cabinet mystique, partie I, ch. 3.

30. Mais ceux qui se sont anéantis par amour infini en leur éternel Objet, leur gloire et leur jouissance après cette vie en toute plénitude d'accomplissement et au surcomblé débordement de toute plénitude, sera d'autant plus noble et excellente en clarté, que la clarté du soleil surpasse la lueur d'une très petite chandelle. Là-même, ch. 4.

31. Puisque Dieu a bien daigné prendre plaisir à nous anéantir en lui et à nous-mêmes, et que par ce moyen il a satisfait à son amour, il faut que pour satisfaire au sien en tout lui-même nous demeurions anéantis selon lui et en lui, et selon nous en notre total : sans faire cas de nos réflexions qui ne font et ne sont rien de nous, à cause de notre entière et parfaite transfusion en toute l'étendue de Dieu, dans lequel nous sommes, nous nous mouvons, et vivons de la même vie divine, et qui est la cause de notre paradis ici-bas. Là-même, ch. 10.


 

IV. Centre, fond de l'âme

Moyen court

Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu'ils ne se répandent au-dehors : ce qui est un grand moyen dès l'abord, de se défaire de quantités de distractions et de s'éloigner des objets du dehors pour s'approcher de Dieu, qui ne peut être trouvé (a) que dans le fond de nous-mêmes et dans notre centre, qui est le Sancta Sanctorum où il habite. Ch. 2, n. 2.

(a) J'entends Dieu lui-même et non ses dons qui se reçoivent dans ses puissances.

Cette manière de se tourner au-dedans est très aisée, et avance l'âme sans effort et tout naturellement, parce que Dieu est notre centre. Le centre a toujours une vertu attirante très forte. Et plus le centre est éminent et spirituel, plus son attrait est violent et impétueux, sans pouvoir être arrêté.

Outre la vertu attirante du centre, il est donné à toutes les créatures une pente forte de réunion à leur centre, en sorte que les plus spirituels et parfaits ont cette pente plus forte.

Sitôt qu'une chose est tournée du côté de son centre, à moins qu'elle ne soit arrêtée par quelque obstacle invincible, elle s'y précipite avec une extrême vitesse. Une pierre en l'air n'est pas plutôt détachée et tournée vers la terre, qu'elle y tend par son propre poids comme à son centre. Il en est de même de l'eau et du feu, qui n'étant point arrêtés, courent incessamment à leur centre.

Or je dis que l'âme par l'effort qu'elle s'est fait pour se recueillir au-dedans, étant tournée en pente centrale, sans autre effort que le poids de l'amour tombe peu à peu dans le centre. Et plus elle demeure paisible et tranquille, sans se mouvoir (a) elle-même, plus elle avance avec vitesse, parce qu'elle donne plus de lieu à cette vertu attirante et centrale de la tirer fortement. Ch. 11, n. 2, 3.

(a) Notez elle-même : mais moins elle se remue par elle-même, plus elle se laisse mouvoir au gré de Dieu.

Sitôt que l'âme est en pente centrale, c'est-à-dire, retournée au-dedans d'elle-même par le recueillement, dès ce moment elle est dans une action très forte, qui est une course de l'âme vers son centre qui l'attire, et qui surpasse infiniment la vitesse de toutes les autres actions ; rien n'égalant la vitesse de la pente centrale. Ch. 21, n. 2.

Lorsque l'âme est tournée au-dedans d'elle en la manière qu'il a été dit, elle est en pente centrale et elle a une tendance forte à l'union. Cette tendance est le commencement. Ensuite elle adhère, ce qui se fait lorsqu'elle approche plus près de Dieu. Puis elle lui est unie. Et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même esprit avec lui, et c'est alors que cet esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin (a). Là-même, n. 8.

(a) Perte en Dieu notre fin et origine.

Le ciel représente le fond et le centre de l'âme, où il faut que tout soit en silence lorsque la Majesté de Dieu y paraît. Ch. 24, n. 1.

Cantique

La jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu'elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l'âme peut sans cesse s'écouler dans lui comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée.

Il faut encore observer que Dieu nous a donné en nous créant une participation de son être, propre à être réunie à lui ; et, en même temps, une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à l'égard de l'homme dans l'état d'innocence, le tirant de l'homme même, afin de lui donner cette pente à l'union, comme à son origine. mais, cela étant entre ces corps fort matériel, cette union ne peut être que matérielle et fort bornée. Ch. 1, vs. 1.

Cette jeune amante prie l'Epoux de la tirer par le centre de son âme, comme si elle n'était point satisfaite de la douceur du baume répandu dans ses puissances : car elle pénètre déjà par la grâce de son Epoux qui l'attire toujours plus fortement, qu'il y a une jouissance de lui-même et plus noble et plus intime que ce qu'elle goûte à présent. C'est ce qui la porte à faire cette demande à son Epoux. Tirez-moi, dit-elle, dans le plus intime de mon fond, afin que mes puissances et mes sens courent aussi bien à vous par cette voie (a) plus profonde quoique moins sensible. Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons à vous par le recueillement, qui nous fait sentir cette force divine, par laquelle vous nous attirez à vous-même. En courant nous suivrons une certaine odeur que votre attrait fait sentir. Nous outrepasserons même cette odeur pour aller jusqu'à vous comme au centre de notre bonheur. Là-même, vs. 3.

(a) Voie au-delà des sentiments.

L'Epoux sacré est toujours dans le centre de l'âme qui lui est fidèle. Mais souvent il y demeure si caché, que celle qui possède ce bonheur l'ignore presque toujours, excepté certains moments où il lui plaît de se faire sentir à l'âme amoureuse, qui pour lors le découvre en soi d'une manière intime et profonde. Il en use à présent de la sorte envers la plus pure de ses Amantes, ainsi que le témoigne ce qu'elle va dire. Lorsque mon roi celui qui me gouverne et me conduit en Souverain, était en son lit, qui est le fond et le centre de mon âme (a) où il prend son repos ; mon nard, qui est ma fidélité, a répandu son odeur d'une manière si douce et si agréable qu'il l'a obligé de se faire connaître à moi. Alors j'ai reconnu qu'il se reposait en moi comme dans son lit royal ; ce que j'avais ignoré auparavant. Car quoiqu'il y fût, je ne l'y apercevais pas. Là-même, vs. 11.

(a) Le centre de l'âme est le lit de repos de l'Aimé.

L'Epoux embrasse son Amante, et il est en elle. Il l'entoure au-dehors, et il la pénètre au-dedans : elle sent que dans ce sommeil mystique il s'enfonce en elle, qu'il s'unit à elle, non seulement comme autrefois, par les puissances, qui sont les collines, mais que de plus outrepassant les collines, il vient sur la montagne, qui est le centre. Et là il la touche véritablement de son union immédiate. Elle sent bien que cet attouchement est bien différent de celui des puissances, et qu'il lui fait de très grands effets, quoique ce soit un attouchement passager, qui n'est pas encore l'union permanente et durable. Ch. 2, vs. 8.

Il faut outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père, et vous y reposer sans milieu et par la perte de tout moyen : l'union immédiate et centrale ne se faisant qu'au-dessus de tout le créé. Ch. 4, vs. 8.

AUTORITÉS.

Saint Denis

1. Voyez Motion divine, n. 2.

Sainte Catherine de Gênes

2. L'instinct de l'âme vers Dieu qui est infini ne peut être comparé à l'instinct du corps vers les choses terrestres qui sont finies. Et quand cet instinct de l'âme vers Dieu n'est point empêché, il est si grand et si fort, qu'il n'y a rien qui ait une véhémence ou impétuosité si grande. Vie, ch. 48.

Le Bienheureux Jean de la Croix

3. Perce le centre de mon âme.

D'autant que cette fête du Saint Esprit se passe dans la substance de l'âme, où le Diable, ni le monde, ni le sens ne sauraient arriver, elle est d'autant plus assurée, substantielle et délicieuse qu'elle 62est plus intérieure. Car tant plus elle est intérieure, tant plus elle est pure. Et tant plus elle a de pureté, tant plus Dieu se communique souvent, abondamment et généralement. Et d'autant que l'âme ne saurait opérer naturellement et par son industrie, si ce n'est par le moyen et l'aide du sens corporel, duquel en ce cas elle est très libre et très éloignée, de là vient que toute son occupation est seulement de recevoir de Dieu qui, seul dans le fond ou centre de l'âme la peut mouvoir, et y opérer sans l'entremise des sens. Et ainsi tous les mouvements de cette âme sont divins (a). Et, quoiqu'ils soient de Dieu, ils sont aussi d'elle, parce que Dieu les fait en elle avec elle, qui y contribue de sa volonté et son consentement. Et d'autant qu'en disant qu'il frappe au plus profond centre de son âme, elle donne à entendre qu'elle a d'autres centres qui ne sont pas si profonds, il nous faut voir comment cela se passe. Or premièrement il faut savoir que l'âme, en tant qu'esprit, n'a ni haut, ni bas, ni rien de plus ou moins profond en son être, comme ont les corps qui ont de la quantité, car vu qu'il n'y a point de parties en elle, ni plus de différence dedans que dehors, puisqu'elle est toute d'une façon, elle n'a point de centre plus ou moins profond, ni ne peut être éclairé en une part plus qu'en l'autre, comme les corps naturels, mais seulement d'une même manière. Mais laissons cette acception de centre ou de profondeur matérielle : Nous appelons ce centre le plus profond, là où son être et sa vertu peut atteindre, et la force de son opération et mouvement, et d'où elle ne peut passer outre : de même que le feu ou la pierre qui ont le mouvement naturel et 63 la force de parvenir au centre de leur sphère, et ne peuvent aller plus avant, ni manquer d'être là, si ce n'est par quelque empêchement contraire. Suivant cela nous dirons que la pierre lorsqu'elle est dans la terre, est comme en son centre, parce qu'elle est dans la sphère de son activité et de son mouvement, qui est l'élément de la terre. Mais elle n'est pas au plus profond d'icelle, qui est le milieu de la terre, parce qu'elle a encore la force de descendre jusque là, si on ôte les empêchements qui sont entre deux ; et quand elle y sera arrivée et qu'elle n'aura plus de sa part la vertu de se mouvoir, nous dirons qu'elle sera au plus profond centre.

Or Dieu est le (b) centre de l'âme, auquel étant parvenue selon son être et selon toute la force de son opération, elle sera arrivée à son dernier et plus profond centre, ce qui sera quand avec toutes ses forces elle aimera, entendra et jouira de Dieu. Et lorsqu'elle n'a encore atteint jusque-là, bien que par grâce et par communication divine elle soit en Dieu, qui est toujours son centre, si elle a force et mouvement pour davantage et qu'elle ne soit pas satisfaite, quoiqu'elle soit au centre, elle n'est pas au plus profond, puisqu'elle peut encore passer plus avant. L'amour unit l'âme avec Dieu, et tant plus elle aura de degrés d'amour, elle entrera plus profondément en Dieu. Vive flamme d'amour, cant. 1, vs. 3.

(a) Moyen court, ch. 21, §6.

(b) [Dieu et ce qui le concerne est entièrement intérieur pour autant que ce qui est de plus profond en nous et en toutes choses, c'est Dieu. C'est pourquoi Saint Grégoire de Naziance en ses Poésies l'appelle le centre des choses. Le Père Surin : Fondements de la vie spirituelle, liv. 13, ch. 1.]

Saint François de Sales

4. D'autres fois l'union se fait non par des élancements répétés, mais par manière d'un continuel insensible pressement et avancement du cœur en la divine bonté : car comme nous voyons qu'une grande et pesante masse de plomb, d'airain, ou de pierre, quoiqu'on ne la pousse point, se serre, enfonce, et se presse tellement contre la terre sur laquelle elle est posée, qu'enfin avec le temps on la trouve toute enterrée à cause de l'inclination de son poids, qui par sa pesanteur la fait toujours tendre au centre, ainsi notre cœur étant une fois joint à son Dieu, s'il demeure longtemps dans cette union, et que rien ne l'en divertisse, il va s'enfonçant continuellement (a) par un insensible progrès d'union jusqu'à tant qu'il soit tout en Dieu, à cause de l'inclination sacrée que le saint amour lui donne de s'unir toujours davantage à la souveraine Bonté. De l'amour de Dieu, livr. 7, ch. 1.

(a) Mon amour est mon poids. Saint Augustin, Confession, livr. 13, ch. 9.

Le Frère Jean de Saint Samson

5. C'est une chose étrange, que les hommes ignorent le point et les propres exercices de leur infini bonheur, et qu'ils ne sachent nullement ce que c'est que leur fond, et le culte amoureux d'icelui. Esprit du carmel, ch. 14.

6. Mais quand l'homme est arrivé à son centre, alors comme un aigle amoureux il se repose en Dieu à très grand plaisir. La jouissance divine l'occupe en plénitude de délices d'une manière très subtile, très simple et très spirituelle, et le plus souvent par-dessus (a) soi-même, par-dessus tous sens et toute perception. Tandis qu'il demeure en sa seule industrie il est très éloigné de son entière perte et résolution, et son occupation vers Dieu est très éloignée de ce centre. Là-même, ch. 23.

(a) S'outrepasser soi-même, ce qui s'appelle sortir de soi.

7. Tous les états qui précèdent celui-ci sont déduits chez les mystiques : mais celui-ci les contient tous d'une assez divine manière, par laquelle on se voit et on se sent fondu et réduit en un très petit point, qui est le centre unique d'où sont tirées toutes les lignes qui se peuvent concevoir. Ce qui tombe sous le sentiment et sous la simple et spécifique perception, semble plutôt montrer ce qui est créé, en une excellente manière, que ce qui l'Incréé où nous sommes arrêtés : lequel nous tient purement attachés par-dessus tout amour, en nudité et simplicité unique et du tout suressentielle, par-dessus tous les effets susdits du feu divin, qui embrasait et consommait toute l'âme en soi au temps de son action. De sorte que l'âme étant ici arrivée, ne trouve rien que dire ni que penser, non pas même pour exprimer ce qu'elle a vu ou senti dans les états précédents, et encore beaucoup moins en celui-ci. Cabinet mystique, parte I, ch. 10, § 7.

Monsieur Olier

8. L'Epoux recevant enfin l'Epouse abandonnée à son pouvoir par le droit et par la justice de sa condition, se livre de sa part à elle, lui donnant par amour tout pouvoir sur lui, disant à sa chère Epouse ce qu'il disait à Dieu son Père : (a) tout ce que j'ai est à vous, et tout ce que vous avez est à moi. En sorte qu'il est tout à l'âme, comme l'âme est toute à lui. L'Epouse ensuite doit demeurer en paix dans son fond, 66 vivant toujours soumise aux ordres de l'Epoux, et toujours préparée à répondre avec fidélité aux desseins de sa puissance. Lettre 12.

(a) Jean 17, vs. 10.

L'Auteur du Jour mystique

9. Dans cette oraison la volonté se repose en Dieu plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent à leur centre sans connaissance de la convenance qu'il y a entre elles et leur centre. Ainsi le fer est attiré par l'aimant sans connaître la convenance qu'il a avec lui. Le même arrive à la volonté lorsqu'elle se tient en repos sans savoir en quoi. Livre I, traité I, ch. 10, sect. 2.

10. la volonté, dit Barbançon,[48] étant la puissance la plus noble de notre âme, est aussi celle qui a en son centre et au plus intime de son fond la présence réelle et l'immédiate assistance de l'Être divin (Secrets sentiers de l'amour divin, II, ch. 15) Là-même, sect. 15.

11. Tauler dit que la très agréable Trinité luit dans les intérieurs et s'écoule intimement dans le fond qui n'a ni nom ni images. Dans ce fond l'esprit se trouve sans formes comme abîmé dans l'immensité de Dieu. (Cantique 4) Là-même.

12. Si jamais, dit-il encore, nous voulons arriver au fond de Dieu, il faut d'abord que nous pénétrions jusqu'à notre propre et intime fond (a) avec pure humilité. (Sermon I du 4e Dimanche après les Rois). Il l'appelle d'ailleurs fond de la divinité, fond éternel. La plus noble portion de l'âme, dit-il (Sermon I du 13e Dimanche après la Trinité) se repose au fond de la divinité, d'où elle est écoulée. Et celui qui jamais ne regarde ou ne goûte son fond, ne goûtera jamais celui qui est éternel. Il dit aussi (Sermon I, Trin.) que Dieu est le fond des bons et leur intention. Et (Dimanche 19 après la Trin.) cette portion a un certain objet essentiel au-dessus de l'opération des puissances. Livre III, traité VI, ch. 8, section 5 et ch. 9, section 1.

(a) [L'auteur du Jour mystique traite du fond de l'âme dans tout le traité VIe de son 3e livre.]

13. Le mariage de l'âme avec Dieu est au centre, et les fiançailles seulement en la supérieure partie, c'est-à-dire la moyenne, préférant le centre aux autres parties. (de Sainte Thérèse) Livre III, traité VI, ch. 9, sect. 1.

14. L'abstraction, la solitude et une sérieuse application à l'homme intérieur est nécessaire à ceux qui, comme Madeleine, aspirent au repos. Et lorsqu'ils sont occupés des exercices extérieurs ils se doivent retirer au-dedans avec leurs sens et tout ce qui est en eux, pour se recueillir, unir et abîmer au fond de leurs âmes : la dignité de telles âmes ne se peut ni concevoir, ni expliquer (de Tauler, Serm. 3 de l'Epiphanie). Là-même.

15. Le fond de l'âme est, comme dit un grand contemplatif, la capacité de l'esprit bà se convertir tout à Dieu et son actuelle conversion en lui. Là-même, sect. 4.

16. Dieu, dit Sainte Thérèse (Château de l'âme, Demeure V, ch. 1), n'a que faire qu'on lui ouvre les portes de notre fond pour y entrer. Elle dit que le cellier est le centre de notre âme, et que nous n'y pouvons pas entrer par nos propres diligences : mais que la Majesté de Dieu est celle qui nous y doit introduire, et qu'il ne veut de notre part qu'une soumission entière de notre volonté. Sans ouvrir aucune porte il entre dans le centre de notre âme, comme autrefois dans le lieu où étaient ses disciples, lorsqu'il leur dit : (a) La paix soit 68 avec vous. Livre III, traité VI, ch. 9, sect. 6.

(a) Jean, 20, vs. 21-26.

17. L'âme peut empêcher cette opération divine en trois manières. La première est par les images et par les pensées. Parce que quand Dieu lui donne quelque oraison de quiétude, qui ne peut pas compatir avec les bonnes pensées, si elle ne les quitte, elle étouffe en elle l'opération de Dieu qui veut suspendre nos actes par cette douce opération. Secondement par le péché de l'immortification. Troisièmement faute de fidèle correspondance par production d'actes quand ils sont nécessaires pour l'entretien et la coopération de l'oraison de quiétude. Là-même, sect. 8.

18. Sainte Thérèse parlant de l'union que Dieu opère au fond de l'âme dit (Vie, ch. 16) qu'en cet état elle demeure avec de grands gains, parce que Dieu opère en elle sans que personne l'empêche, ni elle-même, parce que Dieu est plus maître de son fond qu'elle-même. Là-même.


 

V. Chemin court. Ce chemin est le plus court

Moyen court

Ce que l'on souhaite donc des âmes, c'est qu'elles s'avancent vers leur fin, et qu'elles prennent le chemin le plus court et le plus facile. Ch. 24, n. 9.

Sainte Thérèse

1. Quoique nous ne fassions que commencer et soyons encore très méchants, tâchons de considérer cela continuellement et de nous exciter à aimer ; car si Notre Seigneur nous fait une fois cette grâce que cet amour s'imprime dans notre cœur, toutes choses nous serons faciles, et nous ferons beaucoup en fort peu de temps, et sans aucun travail. Sa divine Majesté nous fasse cette grâce, puisqu'elle sait combien cela nous est important, et qu'elle nous l'octroie par l'amour qu'elle nous a porté et par son glorieux fils qui nous l'a fait paraître si fort à ses dépens.Vie, ch. 22.

Le Frère Jean de Saint Samson

2. Le seul et unique amour anime toutes les vertus occurrentes, et le plus court et le plus affairé chemin pour vous introduire et vous avancer en esprit dans ce pur et unique fond, où Dieu réside pour soi et pour vous. Lettre 50.

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte

3. Saint Bonaventure : De même que tout nouveau disciple monte par degrés à la perfection de cette science (à savoir la théologie mystique), si bien qu'il s'exerce premièrement avec une grande étude et travail en la vie purgative, qui est la voie enfantine et des commençants ; et après l'espace d'un peu de temps, c'est-à-dire un mois ou deux, s'il lui semble être expédient suivant le rayon de la lumière divine qu'il s'élève à l'amour en méditant. Que s'il semble peut-être une présomption à quelqu'un, que l'âme enveloppée en plusieurs péchés ose demander à Jésus-Christ l'union d'amour, qu'il pense en soi-même qu'il n'y a point de danger. (Préface de la théologie mystique) Eclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, p. II, ch. 21, § 2.

4. J'ai voulu écrire ceci afin que ceux qui sont moins expérimentés en cette sagesse, le chemin étant affermi y dirigent leur sentier sachant qu'on la trouve en peu de temps. Que si au commencement de la purgation ou de l'élévation extatique on sent une merveilleuse difficulté, si est-ce néanmoins que tourmentés en peu de choses, ils seront bientôt disposés en plusieurs. De sorte qu'ils verront par expérience tout ce que l'œil n'a point vu, n'i l'oreille entendu, qui n'est point montré au cœur de l'homme. (Théologie mystique, ch. 3) Là-même.

5. Sainte Thérèse : Si nous faisions notre possible pour nous détacher de toutes les choses de la terre, et que tout notre soin et conversation fut dans le ciel, je crois sans doute que ce bien nous serait donné en peu de temps, si en peu de temps nous nous y disposions entièrement comme quelques saints l'ont fait. (Vie, ch. 11) Là-même.

6. L'un de ceux qui m'ont commandé d'écrire ceci a été beaucoup plus avancé par Notre-Seigneur en quatre mois, que moi en dix-sept ans : aussi s'y est-il mieux disposé que moi. C'est pourquoi il arrose ce verger de ces quatre fortes eaux, quoique la dernière ne lui soit donnée que goutte à goutte, si bien que Dieu aidant il s'y engouffrera bientôt. (Vie, ch. 11) Là-même.

7. En peu de temps il a acquis une grande expérience des choses spirituelles, dons que Dieu donne quand il veut et comme il veut, sans avoir égard ni au temps ni aux services : je ne dis pas que cela n'y serve beaucoup, mais que souvent Notre Seigneur ne donne pas en vingt ans la contemplation qu'il donne à d'autres en une année. Sa Majesté en sait la cause. (Vie, ch. 34, parlant de son confesseur) Là-même.

8. Quelqu'un pensera peut-être que pour passer à ces demeures, il soit nécessaire d'avoir séjourné longtemps aux précédentes. Et, bien que l'ordinaire soit qu'il faille avoir demeuré dans celles dont je viens de parler, ce n'est pas toutefois une règle certaine, comme vous l'avez déjà ouï dire souvent, d'autant que Notre Seigneur donne ces grâces quand il lui plaît, comme il veut et à qui il veut, comme les biens qui lui appartiennent, car il ne fait tort à personne. (Château de l'âme, IVe demeure, ch. 1) Là-même.

9. J'ai vu quelques âmes, de l'une desquelles je me souviens maintenant, à laquelle Notre Seigneur donna en trois jours tant de biens, que si l'expérience de quelques années auxquelles il l'exerce, joint qu'elle s'est toujours méliorée ne me le faisait croire, je tiendrais la chose pour impossible. Une autre les a reçus en trois mois, et toutes les deux étaient fort jeunes. J'en ai vu d'autres à qui Dieu a fait cette grâce après un long temps. Et ce que j'ai dit de ces deux personnes, je le pourrais dire d'autres : chose dont j'avertis, parce que j'ai écris ici qu'il y a peu d'âmes qui reçoivent ces faveurs sans avoir souffert des travaux plusieurs années, afin qu'on sache que néanmoins il y en a quelques-unes. On ne doit point donner de bornes ni de mesure à un si grand Seigneur et si désireux de faire des grâces. (Conception de l'amour de Dieu, ch. 6) Là-même.

10. Saint Grégoire : La grâce de la contemplation n'est pas octroyée aux plus grands et refusée aux plus petits. Mais souvent les plus grands, souvent les plus petits, plus souvent les éloignés, quelque fois les conjoints la reçoivent. (Homélie 1 sur Ezéchiel) Là-même.

11. Suarez : La Contemplation n'est pas tellement propre aux hommes parfaits qu'une grande partie n'en puisse être goûtée des imparfaits, voire même des commençants. Donc, parfois, est octroyée aussi aux commençants quelque participation de cette contemplation par une grâce spéciale, ordinaire néanmoins comme je pense, (a) s'ils font ce qui est en eux. (De l'oraison, livre 1, ch. 11) Là-même.

(a) Notez s'ils font ce qui est en eux.

12. Albarado : C'est une grande erreur de penser que la contemplation soit seulement de ceux qui sont très parfaits et avancés, et non de ceux qui commencent. (Art de bien vivre, livre I, ch. 15) Là-même.

13. Nicolas de Jésus Maria conclut : De toutes lesquelles choses il est constant et manifeste que ceux-là errent beaucoup et empêchent l'avancement spirituel des âmes, lesquelles sans examen compétent et mûre considération, réprouvent la contemplation de ceux qui ne sont pas exercés longtemps dans l'étude de l'oraison, ou qui sont encore entachés de quelques imperfections en la voie spirituelle et en l'exercice des vertus, comme si cette grâce de la contemplation n'était accordée qu'aux hommes bien parfaits, ou après un temps convenables de méditations. Ces personnes, dis-je, qui jugent ainsi de cette matière, sans doute faillent et peuvent beaucoup empêcher le profit des autres. car suivant la doctrine des saints Pères et des Docteurs mystiques, que nous avons rapportées, ce long délai et cette grande perfection ne sont pas toujours requises. Mais souvent tout cela se fait en peu de temps, suivant la doctrine de notre Docteur mystique (Jean de la Croix) et des Pères expliquée au § 1 de ce chapitre. Là-même.


 

VI. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous.

Moyen Court

Il faut qu'ils (a) apprennent une vérité fondamentale, qui est que (b) le Royaume de Dieu est au-dedans d'eux, et que c'est là qu'il le faut chercher. Ch. 3, n. 1.

(a) Il est parlé de ceux qui ne savent pas lire.

(b) Luc, 17, vs. 1.

Qu'ils disent donc ainsi leur Pater en français, comprenant un peu ce qu'ils disent, et pensant que Dieu, qui est au-dedans d'eux, veut bien être leur Père. Là-même, n. 2.

L'âme par le moyen du recueillement se tourne toute au-dedans d'elle pour s'occuper de Dieu qui y est présent. Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d'elle, elle se sépare des sens par cette seule action. Et employant toute sa force et sa vigueur au-dedans, elle laisse les sens sans vigueur. Et plus elle avance et s'approche de Dieu, plus elle se sépare d'elle-même. Ch. 10, n. 2.

Elle trouve que Dieu est plus en elle qu'elle-même. Elle n'a qu'une seule chose à faire pour le trouver, qui est de s'enfoncer en elle-même. Sitôt qu'elle ferme les yeux, elle se trouve prise et mise en oraison. Ch. 13, n. 1.

Le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. Ce royaume s'entend en deux manières. La première est, lorsque Dieu est si fort maître de nous, que rien ne lui résiste plus. Alors notre intérieur est vraiment son royaume. L'autre manière est, que possédant Dieu, qui est notre Bien Souverain, nous possédons le Royaume de Dieu, qui est le comble de la félicité, et la fin pour laquelle nous avons été créés, ainsi qu'il est dit, servir Dieu c'est régner. Ch. 20, n. 5.

Cantique

Je n'ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où mon Dieu habite. Ch. I, vs. 5.

Alors j'ai reconnu qu'il se reposait en moi, comme dans son lit royal, ce que j'avais ignoré auparavant. Car quoiqu'il y fût, je ne l'y apercevais pas. Là-même, vs. 11.

Jésus-Christ se fait un trône dans chaque âme, qu'il orne avec beaucoup de magnificence pour en faire le lieu de son repos et de ses délices éternelles, et y régner souverainement après l'avoir acquis au prix de son sang et sanctifié par ses grâces. Car de même que Dieu règne en Jésus-Christ, aussi Jésus-Christ règne dans les cœurs purs, où il ne trouve plus rien qui lui résiste, ni qui lui déplaise : ce qui est (a) nous préparer son Royaume, et nous rendre participants de sa royauté, ainsi que son Père lui avait préparé son Royaume et lui avait préparé sa Royauté. Ce trône donc du Roi des Rois est fait des arbres du Liban. C'est le fond naturel de l'homme, qui sert de base et de fondement à l'édifice spirituel. Ch. 3, vs. 9.

(a) Luc, 22, vs. 29.

AUTORITÉS.

L'Imitation de Jésus-Christ

1. Le royaume de Dieu est au-dedans de vous, dit le Seigneur. Convertissez-vous (a) à lui de tout votre cœur, et quittez ce misérable monde. Et votre cœur trouvera le repos. Apprenez à mépriser toutes les choses extérieures et ne 76 vous appliquer qu'aux intérieures. Et vous verrez que le Royaume de Dieu viendra dans vous. Car le Royaume de Dieu est la paix et la joie qu'on goûte au Saint Esprit et qui n'est point donnée aux impies (b).

Jésus-Christ viendra à vous, et vous fera sentir les douceurs de ses consolations, si vous lui préparez au-dedans de vous une demeure digne de lui. Toute la gloire et la beauté qu’aime cet Epoux céleste est au-dedans de l’âme ; et c’est là qu’il prend ses délices. Livre 2. Ch.1 §1.

(a) Conversion. Le premier pas, c'est se tourner au-dedans de tout notre cœur. En se tournant à Dieu on quitte nécessairement le monde, et alors on trouve le repos et la tranquillité.

(b) les impies ne goûtent jamais cette paix si chaste et si délicieuse.

2. Suivre Dieu au-dedans de soi, et n'avoir aucune attache ni aucune affection pour tout ce qui est au-dehors, est proprement l'état d'un homme intérieur et spirituel. Là-même. Ch. 6, § 3.

Sainte Thérèse

3. Voyez donc que si Saint Augustin dit qu'il cherchait Dieu en divers lieux, et qu'il le trouva au-dedans de soi, pensez-vous que ce soit une chose peu importante pour une âme qui se répand ou se distrait facilement, d'entendre cette vérité, et de voir que pour parler à son Père éternel et pour se récréer ou se consoler avec lui, elle n'a pas besoin d'aller au ciel, ni de crier à haute voix ? Il est si près de nous que pour bas qu'on lui parle, il nous entendra : elle n'a pas aussi besoin d 'ailes pour le chercher, mais seulement de se mettre en solitude et de le regarder au-dedans de soi. Chemin de perfection, ch. 28.

4. Or reprenant le sujet que j'avais commencé, je voudrais pouvoir expliquer comme cette sainte compagnie est avec celui qui nous accompagne, qui est le Saint des Saints, sans toutefois empêcher la solitude que lui est son épouse possèdent, lorsque l'âme au-dedans de soi veut entrer en son paradis avec son Dieu, et qu'elle tire la porte après soi, la fermant à toutes les choses du monde : Je dis, lorsqu'elle veut ; parce qu'il faut savoir que cela n'est point entièrement une chose surnaturelle, mais qu'elle dépend de notre volonté et que nous la pouvons, étant aidés de la faveur divine. Là-même, ch. 29.

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte

5. Albert le Grand : Ne vous souciez pas beaucoup de la dévotion actuelle et de la douceur sensible ou des larmes ; mais seulement par la bonne volonté dans l'entendement soyez en esprit uni avec Dieu au-dedans de vous. (De l'attachement à Dieu, ch. 10) Eclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, p. II, ch. 7, § 2.

Saint François de Sales

6. Ô Dieu, dit l'âme alors à l'imitation de Saint Augustin, où vous allais-je cherchant, Beauté très-infinie, je vous cherchais dehors, et vous étiez au milieu de mon cœur. - Imaginez-vus, Théotime, la très-sainte Vierge Notre-Dame, lorsqu'elle eut conçu le Fils de Dieu, son unique amour. L'âme de cette Mère bien-aimée se ramassa toute sans doute auprès de cet Enfant bien-aimé, et parce que ce divin Ami était en ses entrailles sacrées, toutes les facultés de son âme se retirèrent en elle-même. De l'Amour de Dieu, livr. 6, ch. 7.


 

VII. Chute. Cause de Chute

Cantique

Le propre de l'union (a) essentielle est d'affermir l'âme de telle sorte qu'elle ne peut plus avoir de ces défaillances qui arrivent aux âmes commençantes, dans lesquelles la grâce étant encore faible, elles éprouvent des éclipses et font encore des chutes : mais par cette (b) union l'âme est confirmée, (si l'on peut user de ce terme) dans la charité, puisqu'alors elle demeure en Dieu ; (c) et celui qui demeure en Dieu, demeure en charité, car Dieu est charité. Ch. 2, vs. 6.

(a) Je ne parle pas du baiser de la bouche : je l'ai remis à l'article du Mariage spirituel.

(b) Voyez l'article union.

(c) I Jean, 4, vs. 16.

Cette âme n'est pas si bien établie dans son état en Dieu qu'elle ne puisse encore jeter quelques regards sur elle-même : c'est une infidélité, mais qui est rare, et qui ne vient que de faiblesse. L'Epoux a permis que son Epouse ait cette légère faute (d), afin de nous instruire par là du dommage que cause la propre réflexion dans les états les plus avancés : elle est donc rentrée pour un moment en elle-même, sous les meilleurs prétextes du monde : c'était pour y voir les fruits de l'anéantissement, si la vigne fleurissait, si elle avançait, si la charité était féconde : cela ne paraissait-il pas très juste et très raisonnable ? Ch. 6, vs. 10.

(d) Notez que si l'Epoux ne peut souffrir la moindre imperfection, comment cet état pourrait-il compatir avec le péché mortel ?

Que si par une infidélité autant difficile que funeste cette Epouse venait (a) à se retirer de sa dépendance, elle serait dès ce moment rejetée de lui, comme dans un enfer, par l'excès de son indignation. Ch. 8, vs. 6.

(a) On remarquera qu'on peut donc déchoir, quoique cela soit très difficile, à cause de l'habitude que l'âme a prise d'être non seulement convertie, mais unie, mais transformée en son divin objet, source de pureté et d'innocence.

AUTORITÉS.

Saint Denis

1. Les peuples par leur propre mouvement et par mauvaise inclination déchurent de la droite élévation qui les portait et les conduisait à Dieu : ce qui leur arriva (a) par un trop grand amour et complaisance qu'ils eurent eux-mêmes par une estime excessive de leur propre suffisance. Hiérarchie céleste, ch. 9

(a) Cause de chute, amour propre, complaisance, estime de sa suffisance.

Le Frère Jean de Saint Samson

2. Ceux qui sont en cet état, soit commençants, 80 soit profitants, voire même parfaits, ne sont pas impeccables. Au contraire, je dis que l'Epoux prend un extrême plaisir d'exercer différemment les âmes ses Epouses par des chutes (non pas grèves, mais de toute commune infirmité) de peur de les voir s'élever et s'enfler en superbe et d'amour propre, de ce qu'elles ont reçu de lui, et de ce qu'elles sont en lui. Il aime mieux leur chute, non comme chutes, mais à raison de ce qu'elles produisent, qui est la profonde humilité, l'abnégation, la rectitude, la fiabilité en l'union simple et amoureuse avec lui : et il faut bien croire qu'il ne permettrait jamais qu'elles tombassent, si ce n'était pour ce sujet. Car sa Majesté qui ne désire en cela même que sa gloire, veut être pleinement satisfaite en toutes ces rencontres par la renonciation et l'abnégation de ces Epouses, - qui se relèvent de ces chutes avec le même amour que si elles n'étaient point tombées. - Encore qu'il nous arrivât de tomber plusieurs fois le jour, il faut toujours vous délaisser avec la même confiance en ce divin Epoux.

Cette pratique est si importante, et la renonciation qu'il faut pratiquer ici est profonde et subtile, car cette renonciation doit être telle qu'elle agisse et produise toujours son effet aux occasions, dans la plus pure, abstraite et séparée partie de l'âme, qui est le pur esprit : et cette renonciation pure, simple et subtile consiste à être entièrement perdu à soi-même en un non-pouvoir, en un non-vouloir, au non-vivre, au non-mourir, sans qu'il soit permis de se rechercher de si loin que ce soit. Cela est bientôt dit ; mais la pratique de ce point semble inaccessible. Se pourrait-il bien trouver des âmes assez fidèles à leur Epoux, que de demeurer quant à elles, pour jamais inconnues aux hommes, quand il est question de leur justification et de leurs souffrances dans les occasions qui touchent leur bien-être ordinaire ? Esprit du Carmel, ch. 18, n. 3.

3. C'est en ce sens que les chutes humaines sont plus utiles et plus fructueuses aux enfants de l'esprit, non comme telles, mais comme excellemment et totalement éteintes par un vigoureux exercice d'amour : de sorte qu'ils ne perdent rien de leur précédent lustre. Au contraire ils l'augmentent de plus en plus au très grand plaisir de Dieu, par leur fidélité active qui fait qu'ils aiment mieux mille fois mourir que de croupir en terre, c'est-à-dire, dans le sens et les créatures, si excellentes qu'elles soient. Mais fluans et coulans activement et ardemment de tout soi en lui par appétit amoureux, ils s'y perdent irrécupérablement en l'abondance de la joie ineffable de Dieu dans lequel ils sont totalement engloutis. Miroirs et flammes de l'Amour, ch. 3.


 


 

VIII. Communications. Conversations

Il y a deux sortes de communications ; l'une est celle de Dieu à l'âme, dont il est bien plus parlé dans les autres Ecrits que dans ceux-ci. L'autre est la communication des esprits purs et simples entre eux, dont j'ai aussi beaucoup écrit ailleurs.

Moyen court

L'Âme trouve que Dieu est plus en elle qu'elle-même. Il se fait au-dedans d'elle une conversation que l'extérieur n'interrompt point. Ch. 13, n. 1.

Cantique

L'Union essentielle et le baiser de la bouche est le mariage spirituel, où il y a union d'essence à essence et communication des substances (a) : où Dieu prend l'âme pour son Epouse et se l'unit ; non plus personnellement ni par quelque acte ou moyen, mais immédiatement, réduisant tout en unité et la possédant dans son unité même. Alors c'est le baiser de la bouche et la possession réelle et parfaite. C'est une jouissance, qui n'est point stérile, ni infructueuse, puisqu'elle ne s'étend à rien moins qu'à la communication du Verbe de Dieu à l'âme. Ch. 1, vs. 1.

(a) Notez que l'union essentielle est nécessairement accompagnée d'une communication substantielle.

La fécondité lui est donnée : elle est mise par état dans la vie apostolique. Dès lors les lèvres de cette personne sont comme un rayon de miel qui distille continuellement en faveur des âmes. Ce ne sont que ses lèvres, et non pas ses paroles, parce que c'est l'Epoux qui parle par son Epouse, et les lèvres de son Epouse (a) lui servent d'organe pour exprimer sa parole divine. Ch. 4, vs. 11.

(a) Sous le nom d'Epouse sont comprises toutes les âmes [de cet état] sans différence de sexe.

Ô Sulamite, temple de la paix, revenez pour nous enseigner, et par vos paroles, et par vos exemples, le chemin qu'il faut suivre pour parvenir au bonheur que vous possédez : revenez, afin d'être notre guide, notre soutien et notre consolation : enfin revenez pour nous emmener avec vous. Ch. 6, vs. 12.

Si cette mère si riche et si sage daigne m'accepter pour sa fille, je ressentirais (a) les 84 effets de l’onction de l’Epoux qui est en elle. Le fruit de sa parole me sera comme une grappe de raisin d’une douceur exquise, et la pureté de ses maximes m’embaumera de son odeur. Ch.7 vs.8.

(a) Ces effets se ressentent à cause que Dieu habite dans cette âme. Comme on voit un fer touché de l'aimant attirer d'autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète ; de sorte qu'il suffit de l'approcher pour être mis en oraison et en recueillement. C'est ce qui fait que sitôt qu'on s'approche d'elle, on a plus envie 84 de se taire que de parler, et Dieu se sert de ce moyen pour se communiquer aux âmes : marque de la pureté de ces unions et affections.

Ô Epouse incomparable, le dirai-je ? que vous avez part au commerce de la très sainte Trinité puisque vous recevez sans cesse, et que vous rendez perpétuellement ce que vous recevez. Ch. 8, vs. 2.

Elle regorge toute de délices, parce qu'elle en est comblée et si pleine que comme un bassin trop rempli des eaux de sa source, elle surabonde tous côtés pour en faire part aux autres. Ch. 8, vs. 5.

Il l'invite aussi à parler aux âmes des choses intérieures et leur apprendre ce qu'elles doivent faire pour lui être agréables. C'est une des principales fonctions de l'Epouse que d'instruire et d'enseigner l'intérieur aux amis de l'Epoux, qui n'ont pas autant d'accès auprès de lui que sa Sulamite. Ch. 11, vs. 13.

Quoiqu'en cet état elle soit plus propre que jamais pour aider aux âmes, et qu'elle serve avec un extrême soin celles que son Epoux lui adresse, elle est cependant incapable de désirer aider aux autres, et ne le peut même faire que par un ordre particulier de la providence. Là-même, vs. 14.

AUTORITÉS.

§ 1. Communications de Dieu à l'âme

Le Bienheureux Jean de la Croix

1. Gardez ce secret pour nous, c'est-à-dire, n'en dites rien, comme vous aviez coutume auparavant quand les communications que vous faisiez en moi étaient de cette sorte que vous les disiez aux sens extérieurs, étant des choses dont ils étaient capables. Parce qu'elles n'étaient pas si hautes et si profondes qu'ils n'y pûssent bien atteindre. Mais à présent je désire qu'elles soient si sublimes, si substantielles et si intimes, que je vous prie de ne leur en rien dire, et qu'ils n'en soient capables, parce que la substance ne se peut communiquer aux sens, et ainsi ce qui peut tomber dans les sens n'est pas essentiellement Dieu. L'âme donc ici désirant cette communication de Dieu essentielle qui ne tombe point dans ses sens, lui demande que ce soit de la sorte qu'elle ne leur en dise rien, c'est-à-dire, qu'il ne se communique en une façon si basse et si extérieure que les sens y puissent atteindre. Cantique en l'Epoux, Couplet 33.

2. Cette habilité que l'âme demande pour aimer parfaitement s'appelle ici souffle du vent, parce que c'est un très délicat attouchement et sentiment que l'âme sent en ce temps en la communication du Saint Esprit, lequel par une manière d'aspirer éminemment, et par cette sienne aspiration, élève hautement l'âme et l'informe, afin 86 qu'elle aspire à Dieu une très haute aspiration d'amour semblable à celle que le Père aspire au Fils et le Fils au Père, qui est le Saint Esprit, lequel lui est donné en ladite transformation ; d'autant que ce ne serait pas une véritable transformation, si l'âme ne s'unissait et se transformait aussi au Saint Esprit, bien que non pas en un degré manifeste et relevé à cause de la bassesse et vileté de cette vie ; ce qui est à l'âme une si grande gloire et délectation qu'il n'y a point de langue mortelle qui le puisse déclarer, ni d'entendement humain qui le puisse comprendre : mais l'âme unie et transformée en Dieu, aspire à Dieu en Dieu une très haute aspiration semblable à la divine, que Dieu étant en elle aspire en soi-même comme son exemplaire. Ce que Saint Paul, selon ce que je comprends, a voulu signifier lorsqu'il a dit : (a) Or d'autant que vous êtes enfants de Dieu, Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils en vos cœurs criant Abba Pater. Ce qui arrive aux personnes parfaites des manières susdites. Et il n'y a de quoi s'émerveiller que l'âme puisse une chose si haute : Car supposé que Dieu lui fasse cette grâce que d'arriver à être déiforme et unie en la très sainte Trinité, pourquoi est-il incroyable qu'elle opère son œuvre d'entendement et de notice et d'amour en la Trinité conjointement avec la même Trinité, et cela avec une grande ressemblance à icelle, toutefois par une manière participée, Dieu opérant cela en elle ? Or comme cela se fait, il n'y a point de pouvoir, ni de sagesse qui se puisse déclarer, si ce n'est en montrant comme le fils de Dieu nous a obtenu et mérité ce haut état et ce lieu sublime, quand il a dit à son Père en Saint Jean : (b) Mon Père, ceux 87 que vous m'avez donné, je veux qu'où je sois ils soient avec moi, c'est à savoir, faisant la même œuvre que moi par participation. Et en outre il dit : Or je ne prie pas seulement pour eux, parlant de ceux qui étaient alors présent, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole : qu'ils soient tous une chose, de la façon que vous, mon Père, êtes en moi et moi en vous, qu'ils soient aussi une chose en nous, afin que le monde croit que vous m'avez envoyé. Et moi je leur ai donné la clarté que vous m'avez donnée, afin qu'il soit une chose comme nous la sommes, moi en eux et vous en moi, afin qu'il soit parfait en un, et que le monde connaisse que vous m'avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m'avez aimé. Ce qui est en leur communiquant le même amour qu'il communique au Fils, encore que ce ne soit pas naturellement comme à son Fils, mais comme nous avons dit, par unité et transformation d'amour : comme aussi il ne s'entend pas ici, que le Fils dise à son Père que les Saints soient une chose essentiellement et naturellement comme le Père et le Fils le sont. Mais il veut seulement qu'ils le soient par union d'amour, comme le Père et le Fils sont en unité d'amour. D'où vient que les âmes possèdent les mêmes biens par participation que lui par nature. C'est pourquoi elles sont véritablement Dieu par participation. Là-même, couplet 39.

3. Voyez Union, n. 57.

4. Ces cavernes des puissances étant déjà d'une façon admirable mises et placées dans ces merveilleuses splendeurs de ces lampes qui brûlent en elles, étant déjà éclairées et allumées en Dieu, outre ce qu'elles se donnent et livrent à lui, elles envoient à Dieu en Dieu ces mêmes splendeurs 88 qu'elles ont reçues avec une amoureuse gloire, icelles inclinées à Dieu, devenues aussi des lampes ardentes dans les splendeurs des lampes divines, renvoyant (a) à leur ami la même lumière et chaleur d'amour qu'elles reçoivent. Parce qu'elles le donnent ici de la même manière qu'elles le reçoivent à celui qui le donne et avec les mêmes excellences qu'il leur est donné, comme le fer étant transpercé des rayons du soleil ; bien qu'ici ce soit d'une manière plus relevée à raison de l'exercice de la volonté qui y intervient avec des excellences étranges, c'est à savoir étrangées et éloignées de toute pensée commune et de tout ce qui s'en peut dire. Car * conformément à l'excellence avec laquelle l'entendement a reçu la sagesse divine, est l'excellence et la perfection avec laquelle l'âme la donne ; et selon l'excellence avec laquelle la volonté est unie avec la volonté divine, est aussi l'excellence avec laquelle elle donne à Dieu en Dieu la même bonté. Car elle la reçoit (b) pour la donner. Et de la même manière selon la perfection avec que laquelle elle connaît en la grandeur de Dieu, étant unie en elle, elle luit et donne chaleur d'amour. Et selon les excellences des autres attributs divins qu'il communique là à l'âme, à savoir de force, de beauté, de justice etc. sont aussi les excellences avec lesquels le sens spirituel 89 s’éjouissant donne à son Bien-aimé en son Bien-aimé cette même lumière qu'il reçoit de lui: parce qu'étant ici faite une même chose avec lui, elle est Dieu par participation. Et quoique ce ne soit si parfaitement qu'en l'autre vie, c'est néanmoins, ainsi que nous l'avons dit, comme en ombre de Dieu. Et ** en cette manière étant par le moyen de cette transformation ombre de Dieu, elle fait en Dieu, par Dieu, ce qu'il fait en elle par soi-même : d'autant que la volonté des deux est une : et ainsi comme Dieu se donne à elle avec une libre et gracieuse volonté, de même elle ayant aussi la volonté d'autant plus libre et généreuse qu'elle est plus unie avec Dieu en Dieu, elle est comme donnant à Dieu le même Dieu, par une amoureuse complaisance qu'elle a de l'Etre et des perfections divines. Là-même. Cantique 3, vs. 5 et 6.

(a) Renvoie des communications de Dieu en lui-même, d'une manière aussi pure qu'elles sont reçues.

(b) cet endroit est tout divin. Ceci se rapporte à l'explication que j'ai donnée sur un passage du neuvième chapitre de l'Évangile de Saint-Marc (vs. 48, 49), où je fais voir comment l'âme ne reçoit que pour donner.

*Transformation, n. 25.

**Volonté de Dieu, n. 28.

Le Père Jacques de Jésus

5. Expliquant ces paroles de Jean de la Croix : il y a entre Dieu et l'âme des communications divines, intimes et secrètes, lesquels passent dans la substance de l'âme, et sont comme des attouchements substantiels de l'union divine  (Montée du Mont Carmel, liv. II, ch. 26 etc.), dit : « Quand Dieu sanctifie l'âme, outre les vertus et dons créés, qu'il met aux puissances, et outre la grâce habituelle qui s'établit en l'essence de l'âme, la même personne du Saint Esprit se communique aussi, conformément à la doctrine commune des théologiens, qui est de Saint Thomas en la première partie, question 43, particulièrement en l’article 3, qu’il conclut ainsi : « Mais pourtant en ce même don de grâce sanctifiante on a le Saint Esprit et il demeure en l'homme, d'où vient que le même Saint Esprit est donné et envoyé ». -- Il ne se contente pas de dire que 90 le Saint Esprit est envoyé, mais il dit le même Saint Esprit, d'autant que la vraie amitié ne demande pas seulement l'union par affection, mais par un intime et réelle présence le plus qu'il sera possible. Notes et remarques sur Jean Delacroix, Disc . I, Phrase 4, § 1.

§. II. Communications avec les âmes d'esprit à l'esprit

S. Denis

1. Car il faut recevoir soi-même avant que de communiquer aux autres. Et pourtant la réception des divins mystères doit précéder la distribution qui s'en fait. Car c'est un bel ordre universellement établi en toutes les choses divines, qui veut que le sacré Pontife soit le premier qui participe, et qui soient remplies des dons que Dieu par son entremise doit bailler et communiquer aux autres : ce qu'étant à la bonheur, , qu'il en fasse part aux autres ; mais non pas auparavant.

C'est pourquoi ceux qui audacieusement abusent des doctrines et des sciences divines, avant que d'en avoir acquis l'habitude, et d’y avoir formé leur vie, sont estimés profanes et entièrement aliénés de notre saint institut : d'autant que c'est la même chose qu'aux rayons du soleil, ou après que les plus subtiles et plus transparentes matières sont remplies les premières de la lumière qui leur est infuse, elles-mêmes ensuite, comme le soleil même, répandent la lumière dont elles regorgent, sur les autres corps qui sont au-dessous d'elles. Aussi ne faut-il pas que celui-là s'enhardisse de servir de conducteur et de guide aux autres en quelque divin mystère que ce soit, 91 qui en tout l’état de sa vie n'est pas très conforme très semblable à Dieu, et qui par une divine inspiration et élection n'est pas déclaré ni désigné maître et directeur des autres. De la Hiérarchie Ecclésiastique, ch.3.

Henri Suso

2. Leur amour et leur grâce est si immense qu'elle rejaillit d'eux sur les autres, quoiqu'ils ne le sachent pas et qu'ils ne cherchent pas même à le savoir. Ils sont en petit nombre ; mais Dieu permet que l'Eglise soit établie sur eux comme sur autant de colonnes. Et sans eux le Diable ferait d'étranges ravages sur la terre. -- Ils ne connaissent pas avec certitude qu'ils sont arrivés proche de leur origine. Mais il se répand quelquefois de leur origine un petit éclat sur eux, qui leur fait voir aisément que leur lumière est extraordinaire.

Ils se sont abandonnés à Dieu si purement, si nuement et si simplement dans la foi Catholique, que les douceurs qu'ils reçoivent de Dieu, leur cause plus de peine que de joie. Ils ne désirent autre chose que de suivre en simplicité l'exemple de Jésus-Christ. Ils ne veulent, n'aiment, n'attendent aucune consolation. -- Ils sont si humbles qu'ils se croient indignes des dons et des douceurs ou consolations de Dieu, et qu’ils n'osent pas seulement les souhaiter. -- Tout ce qui arrive soit à eux soit aux autres, leur est toujours agréable. Si Dieu leur donne, ils sont contents ; s'il leur ôte, ils le sont aussi. Et ils ne s'attribuent rien de ce qui leur est donné. -- Ils ne regardent leur intérêt ni pour le temps ni pour l'éternité. Ils se sont perdus et vivent dans une ignorance éclairée sans vouloir rien savoir. -- ils souffrent des épreuves de la part des démons qui sont 92 au-dessus de toute pensée humaine. -- Toutes les créatures les tourmentent ; et il sont toujours prêt à souffrir et à marcher dans cette voie jusqu'au dernier soupir. Ils sont inconnus au monde ; mais ils connaissent parfaitement le monde. Ce sont les vrais adorateurs qui adorent le Père en esprit et en vérité. Des neuf roches, ch. 31.

Sainte-Catherine de Gênes

3. Cette sainte âme abîmée dans la mer pacifique de Dieu son Amour, eût désiré (a), si elle eût pû avoir quelque désir, d'exprimer à ces Enfants spirituels les sentiments qu'elle avait de son doux Amour, en qui elle était submergée. Elle leur disait : Ô si je pouvais dire ce que sent ce cœur, que je me sens intérieurement brûler ! Et ils lui disaient : Ah notre mère, dites-nous-en quelque chose. Je ne puis (répondit-elle) trouver de mots propres à un si grand amour. Et tout ce que j'en dirais, serait si dissemblable, que l'on ferait injure à ce doux Amour. Ce que je vous en puis dire, c'est que si ce qu'éprouve ce cœur il en tombait une seule goutte en Enfer, il serait changé en Paradis. Et là il y aurait un si grand amour et une si grande union que les diables en deviendraient des Anges, et les peines se changeraient en consolations, parce qu'aucune peine ne peut demeurer avec l'amour de Dieu.

(a) notez : si elle eût pû avoir quelques désirs.

Un religieux se trouvant là présent, lui dit : « ma mère je n'entends pas cela, et volontiers, s'il était possible, je l'entendrai mieux ». Elle lui répondit : « Mon fils il m'est tout à fait impossible de vous en dire autre chose ». Il lui répondit: « Ma mère, si nous lui donnions quelques interprétations qui correspondît à ce que vous en pensez, le direz-vous ? » Elle répondit : « Ô mon fils, très 93 volontiers ». Alors il lui dit : * « Je crois que l'effet de l'amour que vous sentez, est une profonde et unitive chaleur qui unit l'âme avec Dieu son amour, et qui l’unit tellement à lui par la participation de sa bonté qu'elle ne se discerne point d'avec Dieu. Cette union est si admirable qu'il n'y a point de termes propres pour l'exprimer ; et on n'en peut sentir, ni goûter, ni désirer autre chose sinon l'amour unitif. -- Or l'Enfer, les diables et les damnés sont tout le contraire, à savoir par leur rébellion avec Dieu : s'il était donc possible qu'ils reçûssent une seule goutte d'une telle union, elle les priverait de toute la rébellion qu'ils ont contre Dieu, et les unirait de telle sorte avec son amour qu'ils seraient dans la vie éternelle ; parce que leur rebellion leur est un enfer, qui se trouve dans tous les lieux où est cette rébellion. S'il y avait une seule goutte d'union il n'y aurait plus d'enfer, mais une vie éternelle, qui se trouve partout où est l'union ». La mère entendant cela dit : « Mon cher fils, c'est proprement comme vous avez dit ». -- Alors le religieux lui dit : « Ah ma mère, ne pouvez-vous pas demander à Dieu votre Amour quelques-unes de ses gouttes pour vos enfants ? » Elle répondit avec une grande joie : « Je vois ce doux Amour si courtois, que je ne puis lui rien demander (b) pour eux : mais seulement je les lui présente. Vie, ch. 36.

(a) L’âme dans l'union essentielle ne se distingue plus d'avec Dieu.

(b) Difficulté de demander rien de positif. Simple exposition.

* Union, n. 34.

Sainte Thérèse

4. Quel empire à une dame que notre seigneur a conduit jusques ici ? Elle regarde toutes choses 94 sans y être comprise et enveloppée. Ô quel est honteuse du temps qu'elle s'y est arrêtée ! Et quel est étonnée de son aveuglement ! Mais quelle compassion n'a-t-elle point de ceux qui y sont encore plongés, particulièrement si ce sont des personnes d'oraison et auxquelles le Dieu fait des grâces ! Elle voudrait crier hautement pour leur faire entendre qu'ils sont séduits par des traîtres appâts et de fausses délices, et même quelquefois elle le fait. Ensuite de quoi mille persécutions viennent fondre sur sa tête : on dit qu'elle est peu humble, et qu'elle veut faire des leçons à ceux de qui elle devrait apprendre, spécialement si c'est une femme. C'est ici qu'on la condamne, et avec raison, parce qu'on ne sait pas l'impétuosité qui la meut : car elle est telle qu'elle ne se peut contenir et ne peut s'empêcher de tirer d'erreur ceux à qui elle veut du bien, et qu'elle désire de voir affranchir de la prison de cette vie, qui n'est pas moindre, et ne lui semble pas moins dure que celle où elle s'est vue captive. Vie, ch. 20.

5. Ô Mon Seigneur, si vous m’eussiez mise dans un état où j'eusse pû publier ceci à haute voix ! Je sais qu'on ne m'aurait pas cru, comme ils n'ajoutent pas foi à plusieurs qui le savent dire d'une autre sorte que moi. Vie, ch. 21.

6. Ces fleurs sont autres, et exhalent une autre odeur que celles que nous flairons ici-bas. Or j'entends ici que l'épouse par ces paroles demande de faire de grandes œuvres pour le service de Dieu et le bien du prochain. Et ainsi elle se réjouit de perdre ce comportement et cette jouissance, car ses fleurs appartiennent davantage à la vie active qu'à la contemplative, et partant elle semble perdre en cela. Mais sa requête lui est accordée : d'autant que l'âme étant en cet état, elle 95 ne cesse jamais d'opérer, et Marie et Marthe vont alors toujours de compagnie : car dans l’actif (qui semble être l'extérieur) l'intérieur y opère ; et quand les œuvres actives partent de cette racine, ce sont des fleurs admirables et odoriférantes ; par ce qu'elles procèdent de cet arbre d'amour de Dieu, et qu'elles se font pour lui seul sans la vue d'aucun propre intérêt, et le parfum de ces fleurs se répand fort loin pour profiter à plusieurs. Conception de l'amour de Dieu, ch.7.

7. Car véritablement je crois que les âmes que notre Seigneur conduit ici (à ce que j'ai pu entendre) ne se souviennent non plus d'elles-mêmes que si elle n'étaient pas, quant à ce qui est de jeter la vue sur le gain ou la perte : elles pensent seulement à servir et à contenter notre Seigneur ; et sachant l'amour que Dieu a pour ses serviteurs et ses enfants, elles ont du contentement d'être privées des faveurs et des caresses divines pour servir le prochain, pour lui dire des vérités salutaires, et faire que son âme s'avance par la meilleure voie qui lui est possible. Et comme je dis, elle ne pense point si elles y feront de la perte. L'avancement du prochain est présent à leurs yeux et rien d'autre. Tellement que pour contenter Dieu davantage, elles s'oublient elles-mêmes pour le bien de leurs frères et perdent volontiers la vie dans la poursuite : bref étant enivrées de ce vin céleste, et leurs paroles enveloppées dans ce sublime amour de Dieu, elle ne se soucie pas de soi ; et si elles s'en souviennent, elles ne se soucient pas de contenter les hommes. Ces personnes profitent grandement. Là-même.

Le frère Jean de Saint Samson

8. Il fait bon converser avec ces sortes d'esprit, spécialement quand ils sont extraordinairement 96 touchés, - tirés et étendus par les lumineuses et divines influences, qui pour lors regorgent d'eux sans quasi qu'ils s'en aperçoivent, à cause de la grande facilité et simplification dont il coule à guise de flot, par leurs paroles très simples, très lumineuses et illuminantes, lesquelles vont simplifiant ceux qui ont le bonheur de participer à ces divins torrents de délices. --

Mais ceux qui sont consommés dans lesquelles toutes les plus hautes, plus profondes et plus simples lumières et manifestations sont tombées en un, par divers succès des illuminations, et en qui ces illuminations ont enfin dissipé et éclairci le brouillard, à l’obscurité duquel a succédé la très claire, très simple et très consommante lumière, ceux-là sont pour toujours amplement et profondément capables de tout voir, tout atteindre, tout juger, et d'illuminer autrui par l'exubérance de leur très simple et très efficace lumière ; laquelle, par sa simple fécondité simplifie et dilate efficacement les fonds qui en sont touchés. Aussi leur est-elle versée par intuition pour ce même effet. Cabinet mystique, Partie I, ch.9.

9. Voyez Fécondité spirituelle, n. 3.

10. On ne doit nullement douter que les âmes toutes consommées en Dieu même, dont nous avons ici et ailleurs exprimé le très-divin état, tant en leur jouissance qu’en leur saillie, ne soient toujours également et parfaitement supérieures à tous les sentiments et appréhensions de leurs morts, signamment entre leurs égaux. Il ne peut être autrement, et ces âmes préviennent toujours également par leur souveraine lumière toutes les sorties et expressions qu'elles font de cela en cela même. Là-même, P. II, ch.6, n. 15.

11. Voyez Perte, n. 47.

12. Votre Révérence sait assez comme les cœurs se parlent mutuellement, et comme quoi tant plus ils sont éloignés dans plus ils s'unissent et parlent ensemble. Ce qui est d'autant plus vrai entre nous, que notre affection est simple et unique en Dieu dans lequel nous vivons. Nous conversons ainsi mutuellement en simplicité d'esprit, par-dessus tout ce qui se peut dire des présents et divers événements ; d'autant que ce que nous transférons l'un à l'autre est vie en la même vie de Dieu, l'amour duquel nous ravit sans cesse à l’aimer et à nous perdre en lui jusqu'au dernier point possible. Encore que nous apercevions du désordre dans ce siècle, c'est néanmoins à quoi nous ne pensons point, laissant les événements tels qu'ils puissent être à la providence divine. Lettre 8.


 


 

IX. Confessions. Examen de conscience.

Moyen court

L'examen de toujours précéder la confession. Mais l'examen doit être conforme à l'état des âmes. Celles qui sont ici, doivent s'exposer devant Dieu qui ne manquera pas de les éclairer et leur faire connaître la nature de leur faute.

Il faut que cet examen se fasse avec paix et tranquillité, attendant plus de Dieu que 98 de notre propre recherche, la connaissance de nos péchés.

Lorsque nous examinons avec effort, nous nous méprenons aisément. Nous (a) croyions le bien mal et le mal bien, et l'amour-propre nous trompe facilement. Mais lorsque nous demeurons exposés aux yeux de Dieu, ce divin soleil fait voir jusque aux moindres atomes. Il faut donc se laisser et s'abandonner beaucoup à Dieu tant pour l'examen que pour la confession.

(a) Isaïe, 5, vs. 20.

Sitôt qu'on est dans cette manière d'oraison, Dieu ne manque pas de reprendre l'âme de toutes les fautes qu'elle fait. Elle n'a pas plutôt commis un défaut qu'elle sent un brûlement qui le lui reproche. C'est alors un examen que Dieu fait, qui ne laisse rien échapper. Et l'âme n'a qu'à se tourner simplement vers Dieu, souffrant la peine et la correction qu'il lui fait.

Comme cet examen de la part de Dieu, est continuel, l'âme ne peut plus s’examiner elle-même. Et si elle est fidèle à s'abandonner à Dieu, elle sera bien mieux examinée par sa lumière divine, qu'elle ne le pourrait faire par tous ses soins ; et l'expérience le lui fera bien connaître.

Pour la confession, il est nécessaire d'être 99 averti d'une chose, qui est, que les âmes qui marchent par cette voie seront souvent étonnées que lorsqu'elles s'approchent du confessionnal, et qu'elle commence à dire leurs péchés, au lieu du regret et d'un acte de contrition qu'elles avaient accoutumée de faire, un amour doux et tranquille s'empare de leur cœur.

Ceux qui ne sont pas bien instruits, veulent se tirer de là (a) pour former un acte de contrition, parce qu'ils ont ouï dire que cela est nécessaire, et il est vrai. Mais ils ne voient pas qu'ils perdent la véritable contrition, qui est cet amour infus, infiniment plus grand que ce qu'il pourrait faire par eux-mêmes. Ils ont un acte éminent qui comprend les autres avec plus de perfection : quoiqu'ils n'aient pas ceux-ci, comme distincts et multipliés.

(a) ceci est expliqué ci-dessus ; voyez Actes.

(b) Si, comme il a été vu lorsqu'on a traité des Actes (n.5) les actions qui viennent de Dieu, et dont il est le principal agent ; sont des actions divines ; lorsqu'elle nous impriment la haine du péché, cette haine a les qualités de la sienne, avec les justes proportions.

Qu’ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. C'est haïr le péché (b) comme Dieu le hait, que de haïr de 100 cette sorte. C'est l'amour le plus pur, que celui que Dieu opère en l’âme. Qu'elle ne s'empresse donc pas d'agir, mais qu'elle demeure telle qu'elle est, suivant le conseil du sage : (a) Mettez votre confiance en Dieu, demeurez en repos dans la place où il vous a mis.

Elle s'étonnera aussi qu'elle oubliera ses défauts, et qu’elle aura peine à s'en souvenir. Cependant il ne faut point qu'elle s'en fasse (b) aucune peine pour deux raisons. La première, parce que cette oubli est une marque de la purification de la faute, et que c'est le meilleur en ce degré d'oublier tout ce qui nous concerne pour ne nous souvenir que de Dieu. La seconde raison est, que Dieu ne manque point, lorsqu'il faut se confesser, de faire voir à l'âme ses plus grandes fautes : car alors il fait lui-même son examen, et elle verra qu'elle en viendra mieux à bout de cette sorte, que par tous ses propres efforts.

(a)     Eccli II vs. 22.

(b)     On a vu dans l’article des Chutes comment les fautes de ces âmes sont très légères ; et c’est sur ce pied que ceci se doit prendre.

Ceci ne peut être pour les degrés précédents, ou l’âme étant encore dans l'action, se peut et doit servir de son industrie pour 101 toutes choses, plus ou moins, selon son avancement.

Pour les âmes de ce degré, qu'elles s'en tiennent à ce qu'on leur dit, et qu'elles (a) ne changent point leur simple occupation.

Il en est de même pour la communion : qu’elles laissent agir Dieu, et qu'elles demeurent en silence : Dieu ne peut être mieux reçu que par un Dieu. Ch. 15.

(a) Notez : ceci suppose Dieu agissant en l’âme, ainsi qu'il a été marqué dans l'article des Actes.

AUTORITÉS.

Sainte-Catherine de Gênes

1. Le lendemain de la fête de saint Benoît étant allé à l'instance de sa sœur qui était religieuse, pour se confesser au confesseur de leur communauté qui était un fort bon religieux, sitôt qu'elle fut agenouillée devant lui elle reçut au cœur une si grande plaie d'amour de Dieu avec une si claire revue de ses misères et de la bonté de Dieu qu'elle faillit en tomber par terre, et par le sentiment d'un très grand amour et par la connaissance des offenses qu'elle avait commises contre un Dieu si bon, elle en fut purgée en son affection, et titée hors de toute pensée du monde. De sorte qu'elle criait intérieurement avec un amour très ardent : « Non, plus de ce monde, non, plus de péché. » Et si au même instant il y eût eu mille mondes elle les eût abandonnés. -- Étant ainsi au pied de son confesseur, -- et ne pouvant parler ni même ouvrir la bouche pour la douceur 102 intérieure et l'amour extrême qu'elle ressentait, elle lui dit : « Mon Père je laisserai volontiers cette confession pour une autre fois si vous l'aviez agréable. » --

Après cela elle fit sa confession avec tant de contrition, que son âme en était toute outrée. Et bien que Dieu à l'instant qu’il lui fit cette douce et amoureuse plaie lui eût remis tous ses péchés, les consumant au feu de son incroyable amour, toutefois voulant satisfaire à sa justice il la fit passer par la voie de satisfaction et de contrition environ un espace de quatorze mois. Après quoi cette vue lui fut ôtée, de sorte qu'elle ne vit plus jamais la moindre étincelle de ses péchés comme s'ils eussent tous étés jetés au fond de la mer. En sa Vie, ch. 2.

2. Je voyais alors les autres pleurer leurs malheurs et mauvaises inclinations, et qu'ils faisaient plusieurs efforts pour leur résister : mais plus ils combattaient pour donner en aide à leurs défauts, plus ils en commettaient. Et quand quelqu'un me disait toutes ces peines, je lui répondais : vous avez des malheurs, et les pleurez ; je les ai aussi, et ne les pleure pas. Vous faites le mal et le pleurez. Je le ferai comme vous si Dieu tout-puissant ne me retenait. Vous ne pouvez vous en défendre et je ne puis aussi. Il est donc nécessaire que nous nous délaissions nous-mêmes, et que nous remettions le soin de nos affaires à celui seul qui peut nous défendre du mal. Et il fera ce que nous-mêmes nous ne pouvons faire. En cette manière on peut avoir repos avec cette partie maligne, qui de sa nature nous tourmente toujours de toutes parts ; mais quand elle est ainsi emprisonnée, liée et retenue de Dieu, elle se soumet au joug et ne parle plus. Vie, ch. 16.

3. Elle n'avait en son âme aucun remords pour se confesser : et se voulant confesser comme de coutume, elle ne trouvait en elle aucune faute, dont elle était si confuse d'étonnement qu'elle ne savait que dire. Elle s'efforçait à dire sa coulpe en général, croyant qu'elle la dissimulait : et encore qu'elle fût en cette aliénation, elle se trouvait occupée dans une très grande paix, dont elle ne pouvait être diverti.e Vie, ch. 33.

4. Je voyais que cet amour avait l'oeil si ouvert et si pur, et la vue si subtile, qu'il voyait de si loin que j'en demeurais étonnée pour les grandes imperfections qu'il trouvait, et qu'il me montrait être en moi si clairement qu'il me les fallait avouer. Il me faisait voir beaucoup de choses qui à moi et à beaucoup d'autres eussent semblé justes et parfaites, et qu'il trouvait toutefois injustes et imparfaites. Et même il trouvait en toutes choses du défaut. Si je parlais des choses spirituelles, desquelles, à cause du grand feu qui me brûlait, j'étais souvent assiégée, et que je comprenais, parce que l'oeil de l'amour me les montrait et faisait connaître, aussitôt l'amour me reprenait disant que je ne devais pas parler. Vie, ch. 41.

5. Je ne savais que faire où que dire aux vues si subtiles de cet amour, qui m’assiégeait si fort. -- Quand cette partie propre se vit surprise en ses malices et propriétés et qu'elle ne pouvait plus nier ces imperfections que l'amour avait découverte, elle se tourna vers lui et lui dit : puisque vous avez l'œil si subtil et la puissance si grande, je me rends à vous. Eh bien que ma partie sensuelle en soit très affligée, faite de tout selon votre bon plaisir et volonté, qui est de m’ôter cette méchante robe d'amour-propre, et de me revêtir d'amour pur, net, droit, grand, ardent et enflammé. Là-même.

6. La première fois qu'elle se voulut confesser à lui, elle lui dit : mon Père, je ne sais où je suis, ni quant à l’âme, ni quant au corps: je me voudrais bien confesser, mais je ne puis voir en moi aucune offense que j'ai faite. Il est vrai que pour les péchés qu'elle disait quelquefois, elle ne les pouvait voir comme péchés qu’elle eût pensés ou dit ou faits ; mais comme un enfant qui fait mal en une chose dont il est ignorant, quand on lui dit, vous avez mal fait, il rougit de ce qu'on lui dit, mais non de ce qu'il connaît avoir mal fait. --

Je ne sais comment faire pour me confesser, car je n'ai rien en moi qui ai tant de vigueur que je puisse dire : j'ai fait, où j'ai dit chose dont je sente du remords en ma conscience. Je ne veux pas laisser de me confesser. Mais je ne sais à qui donner la faute de mes péchés. Je me veux accuser, et je ne le puis. Elle ne laissait pas de faire tous les actes nécessaires à la confession, de quoi elle était confuse, parce qu'elle ne pouvait connaître aucune partie en elle qui eût jamais offensé Dieu : toutefois elle voulait se confesser et accuser la partie propre rebelle et désobéissante à Dieu, qui était elle-même, et elle ne la trouvait point. Vie, ch. 44.

7. Ô amour pur, vous faites par votre violence que la moindre tâche d'imperfection est un enfer, plus grand et plus rigoureux que celui des damnés ! C'est ce que personne ne croira et ne pourra comprendre, hormis celui qui sera exercé et expérimenté en vous. Dialogue, livre 3, ch. 6.

Saint-François-de-Sales

8. Certes je connais une âme, laquelle aussitôt qu'on mentionnait quelque mystère ou sentence 105 qui lui ramentevait [sic] un peu plus expressément qu'à l'ordinaire la présence de Dieu, tant en confession qu’en particulière conférence, elle rentrait si fort en elle-même qu'elle avait peine d’en sortir, pour parler et répondre, en telle sorte qu'en son extérieur elle demeurait comme destituée de vie, et tous les sens engourdis jusqu'à ce que l'Epoux lui permit de sortir, qui était quelquefois assez tôt, et d’autrefois plus tard. De l'amour de Dieu, livre 6, ch.7.

Le frère Jean de Saint Samson

9. Là où est le vrai amour là est le vrai sentiment de douleur d'avoir offensé Dieu, que j'appellerais plutôt componction que contrition. Il est, dis-je, impossible qu'une telle âme, incontinent après le péché commis, ne soit affectée d'une telle douleur par l'acte que produit son excellente habitude : et c'est ce qui se renouvelle en l’âme vraiment amoureuse au temps de son examen et revue de ses péchés. De sorte que lorsqu'elle s'accuse actuellement, c'est avec la même douleur et componction : et dans ce sentiment elle découvre aux médecins les petites plaies de son cœur. -- Plusieurs personnes dans leur simplicité et ignorance de leurs voie sont en cette noble habitude, et en l'exercice de ses actes, autant que la nécessité le requiert, sans qu'elles sachent que cela soit ainsi. Cela vient en conséquence de leurs propres exercices. -- Cette excellente ignorance rend son sujet simple et inconnu à lui-même pour le discernement non nécessaire de ses mouvements. Car son occupation actuelle et amoureuse en Dieu ne lui permet aucune réflexion, moins encore pour cela que pour autre chose, dont les raisons se doivent tirer de l'excellence du fonds déjà plus ou moins excellemment 106 ouvert et pénétré de la divine sapience. Miroir de conscience dans l'Avant-propos.

10. Nous ne parlons point ici de contrition au vrai amoureux de Dieu, vu que tout son désir n'est qu'amour. Tous ce qui l'afflige, c'est lorsqu'il a manqué à lui rendre amour pour amour ardemment, incessamment, infatigablement, et selon son total. C'est cela seul qui l'afflige, mais d'une amoureuse, douce et cordiale affliction, totalement confidente en son Bien-aimé. Là même. Traité I, n. 15.

11. Le vrai spirituel discerne les moindres dérèglements et des ordres de ses passions et mouvements. Et en cela paraît la totale perfection d'une âme vraiment illuminée que de voir son ordre et son désordre. Tant plus elle a de lumière, tant plus et tant mieux elle est ordonnée, tranquille et paisible au-dedans. La même, n. 20.

M. Olier

12. Je ne m'étonne pas de vos abattements et de vos peines. Vous vous attachez trop à la vue de vos faiblesses, qui vous décourage et trouble votre paix.

Le péché est un basilic. Il est si venimeux si qu'il tue de son seul regard. À moins que d'avoir toujours votre contrepoison présent, et votre divin Jésus, vous ne sauriez le regarder sans être en danger d'être mortellement empoisonnée. Cette vue vous affaiblit de jour en jour, comme vous le ressentez aussi par votre expérience : car ne regardant continuellement que vos bassesses, vous n'avez rien qui vous relève et qui vous corrige. La vue de vos misères vous décourage et vous vous abat. Et rien ne vous soutient. Lettre 126.

Le père Épiphane Louis, abbé d'Estival

13. La Révérende Mère de Chantal consultant son saint Père sur la simplicité de son oraison, je vous demande, dit-elle, mon très cher Père, si l'âme ne doit pas spécialement en l'oraison, rejeter toutes sortes de discours d'industrie, de réplique, de curiosité et de choses semblables, et au lieu de regarder ce qu'elle fait ou fera, regarder Dieu, demeurant dans cette simple vue de lui et de son néant, tout abandonnée, contente et tranquille, sans se remuer aucunement pour faire des actes sensibles de l'entendement et de la volonté, non pas même pour la pratique des vertus ni détestation de ses fautes, car notre Seigneur met en l’âme, ce me semble, les ressentiments qu'il faut et l'éclaire parfaitement, et mieux mille fois qu'elle ne pourrait être par tous ses discours et imaginations. Vous me direz pourquoi sortez-vous donc de la ? Ô Dieu ! C'est mon malheur, et malgré moi ; l'expérience m’ayant appris que cela m’est fort nuisible. Mais je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel sans mon congé veut tout voir et ménager. -- Le saint évêque lui répondit : ma fille, puisque notre Seigneur depuis longtemps vous attire à cette sorte d'oraison, vous ayant fait goûter les fruits tant désirables qui en proviennent, demeurez-y ferme. -- Je vous recommande que simplement vous demeuriez en Dieu, sans essayer de rien faire, et sans vous enquérir de chose quelconque qu'autant qu'il vous excitera. Conférences mystiques troisième (De la vie de la mère de Chantal, P. II, ch.7)

14. Monsieur du Bellai [sic] surpris de ce que Saint François de Sales faisait si peu de préparation pour dire la messe etc., il lui dit : je suis fort étonné, mon Père, du peu de préparation et d'action de grâces 108 que vous faites avant et après la messe : encore aujourd'hui, vous êtes sorti d'une conversation avec une dame, qui avait duré près de deux heures, vous avez fait une profondeur révérence à l'Autel, vous vous êtes habillé, et vous avez dit la messe. Après l'avoir dite vous avez quitté les habits sacerdotaux, et ayant fait une profonde révérence à l'Autel, vous êtes retourné à la même conversation. Saint François de Sales lui répondit : Et moi, je pourrais vous dire, mon frère, que je m'étonne que vous disiez tant de prières, et que vous fassiez tant d'actes devant et après la sainte messe. Mais puisqu'il faut vous contenter sur la difficulté que vous avez proposée, qui ne regarde que ma disposition particulière, je vous dirai que je ne sais quelle autre chose faire pour me disposer à un aussi grand mystère que ce que je fais. Je tâche de me conserver continuellement en la présence de Dieu et de marcher toujours en sa vue. Cette vue perpétuelle fait toute ma disposition intérieure. Et comme je ne vois que Dieu, il me semble que ma volonté ne veut que lui : c'est lui qui m'applique à tout ce que je fais ; de moi-même je ne m'applique à rien. Je ne suis qu'un instrument entre ses mains, pour aller où il veut, et pour faire ce qui lui plaît : partout je porte la même disposition, à l'Autel, à la table, au lit, et en tout lieu. Vous parlez de cette Dame -- je ne la regarde pas en elle, je ne la regarde qu’en Dieu, ou plutôt je ne regarde que Dieu en elle, et en toutes les autres créatures : Dieu veut que je lui parle devant et après la messe. Je le veux sans le vouloir par l'état d'abandon et d'anéantissement que je tâche de conserver pour tout ce qu'il veut de moi : il veut que je dise la messe, je ne le fais dans la même disposition. Voilà mon frère, tous ce que je sais faire. Conférences mystiques 12ème.

 

15. La Révérende Mère de Chantal, en rendant compte à Saint François de Sales de sa conscience, lui dit : L'âme voudrait se servir de cette union pour l'exercice du matin, celui de la sainte messe, préparation à la communion, et action de grâces pour tous les bénéfices, et enfin pour toute chose etc. (En sa Vie, Partie III, ch.4).

La réponse du saint se voit au Livre 4 de ses Epîtres, lettre 14. Vous êtes, lui dit-il, comme le petit Saint-Jean, tandis que les autres mangent diverses viandes à la table du Sauveur, par plusieurs considérations pieuses, vous vous reposez dans le suave sommeil sur sa sacrée poitrine. Et pour dernier avis, ne vous divertissez jamais de cette voie. Souvenez-vous que la demeure de Dieu est faite en paix. Suivez (a) la conduite de ses mouvements divins ; soyez simples à la grâce ; soyez active et passive ou patiente, selon que Dieu voudra, et vous y portera. Mais de vous-même ne sortez point de votre place, souvenez-vous de ce que je vous vous ai tant dit, et que j'ai mis dans Théotime (De l'amour de Dieu, livre 6, ch. 11) qui a été fait pour vous et vos semblables : vous êtes la sage statue. Le Maître vous a posée dans la niche, ne sortez de là que lorsque le Maître vous en tirera. Là-même.

(a) mouvement divin qu'il faut suivre. Simplicité passive et active.

 

16. Harphius savant contemplatif, dit que l'âme qui est dans cet exercice, ne doit pas s'embarrasser sur les péchés de la vie passée ni sur les fautes journalières, qu'il ne faut pas pour cela qu'elle entre en pusillanimité ou en inquiétude, qu'il faut qu'elle s'abstienne de l'examen et de 110 toutes les recherches empressées dans lesquelles il se trouve souvent beaucoup d'amour-propre. Là-même. (De la théologie mystique de Harphius, livre 3, ch.4).


 


 

X. Consistance. État de consistance ou stabilité.

Cantique

La jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu'elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l'âme peut sans cesse s'écouler dans lui. Ch.1, vs.1.

Le propre de l'Union essentielle est d'affermir l'âme de telle sorte, qu'elle ne peut plus avoir de ces défaillances qui arrivent aux âmes commençantes, dans lesquelles la grâce étant encore faible, elles éprouvent des éclipses et font encore des chutes. Mais par cette union elle est confirmée (si on peut user de ce terme) dans la charité, puisqu'alors elle demeure en Dieu ; et (a) celui qui demeure en Dieu, demeure en charité, car Dieu est charité. Ch. 2, vs. 6.

(a) Jean 4, vs. 16.

Il n'y a plus de hivers pour une âme arrivée en Dieu. Mais il y a un composé des trois autres saisons, qui se trouvent toutes 111 réunies en une, et comme immortalisé par la perte de l'hiver. Chapitre 2, verset 13.

L'âme s'étant quittée soi-même et ayant outrepassée toutes les créatures, rencontre son Bien-aimé, qui se montre à elle avec de nouveaux charmes : ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est proche, et que l'union permanente se va lier. Chapitre 3, verset 4.

Mille boucliers y sont prêts, pour la défendre contre autant d'ennemis visibles et invisibles : et elle est armée de tant de force en Dieu qu'elle ne craint aucune attaque, (a) tant qu'elle demeurera de la sorte : car ici son état n'est pas encore permanent. Ch. 4, vs. 4. O épouse digne de la jalousie des anges, vous avez enfin trouvé votre Bien-aimé. -- Vous l'avez pour ne le plus perdre. Ch. 6, vs. 2.

(a) notez tant qu'elle demeurera de la sorte. Ce qui fait voir que la stabilité dont je parle n'exclut point, en rigueur, la capacité de déchoir.

Le Bien-aimé ayant trouvé son Epouse toute désapproprié, toute fondue et toute préparée pour la consommation du mariage, et pour être reçue en lui par (b) état permanent. Là-même, vs. 3.

(b) Partout où je parle d'état permanent, je ne prétends pas parler d'une incapacité absolue de pécher. Mais par rapport aux vicissitudes passées, et à la 112 difficulté des chutes, qui vient de ce que l'âme a contracté l'habitude d'être tournée à Dieu, d'être en Dieu, de ne se plus regarder soi-même ni les créatures, source de péché. Dieu la tient en lui, la serre par la tension amoureuse sans attention, ou, pour parler juste, il la tient cachée avec Jésus-Christ en lui-même. Col. 3, vs. 3.

L’Epouse est parfaite dans son fonds par la perte de toute recherche de soi-même.

Il faut remarquer que quelques louanges que l’Epoux eût donné à l'Epouse jusqu'ici, il n'avait point encore dit (jusqu'à ce qu'elle fut recoulée entièrement en son unité divine) qu'elle fût unique et parfaite, à cause que ces qualités ne se trouvent qu’en Dieu, lorsqu'on y est entièrement consommé par état permanent et durable. Ch. 6, vs. 8.

Qui est celle-ci qui s'avance, s'élevant peu à peu. Car il faut savoir que l'âme quoi qu’arrivée en Dieu, s'élève peu à peu et (a) se perfectionne dans cette vie divine, jusqu'à 113 ce qu'elle arrive au séjour éternel. Elle s'élève en Dieu insensiblement, comme l'aurore, jusqu'à ce qu'elle vienne à son jour parfait et au midi consommé, qui est la gloire du Ciel. Mais ce jour éternel commence dès cette vie. Là-même, vs. 9.

(a) Il faut faire attention qu'il est dit dans ce verset, que l'âme se perfectionne : ce qui fait voir que je n'entends pas que la consistance soit pour l'état de grâce qui exclut l'avancement et le mérite, quoi qu'il soit comme moralement impossible qu'une telle âme soit rejetée, et qu'elle soit amie et ennemie. Si Dieu conserve avec tant de bonté ceux qui sincèrement ne veulent plus l'offenser, comment ne conserverait-il pas son Epouse qui est entièrement à lui, qui s'est séparée de toutes les créatures et d'elle-même 113 pour son amour, qui ne s'oublie que pour passer à lui, qui ne se quitte que pour passer en lui par un amour autant réel qu'il est pur. Ce qui ferait tomber notre Epouse, ce serait le propre regard et la propre complaisance. C'est pourquoi son Epoux lui ôte toute réflexion sur soi, et il ne lui permet pas de se regarder le moins du monde. La consistance est par rapport aux vicissitudes passées et aux unions passagères ou des puissances.

Ô fille du prince ! Ô fille de Dieu ! s'écrient les jeunes filles, que vos démarches sont belles, et au-dedans et au-dehors ! Les pas du dedans sont très beaux, puisqu'elle peut toujours avancer en Dieu, sans cesser de se reposer. C'est la beauté ravissante de cet avancement, que d'être un vrai repos, sans que le repos empêche l'avancement, ni l'avancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance. Et plus on fait de progrès plus le repos est tranquille. Les pas du dehors sont aussi plein de beauté : car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu, et par l'ordre de sa providence. Ses pas la font admirer dans sa chaussure : par ce que toutes 114 ses démarches se font dans la volonté de Dieu, de laquelle elles ne sortent plus. Les jointures des cuisses marquent l'ordre admirable des actions qui se font avec une entière dépendance de la partie inférieure à la supérieure, et de la supérieure à l'égard de Dieu. Ce grand ouvrier a forgé et fondu cette âme dans la fournaise d'amour. Ch. 7, vs. 2.

Ô amour, vous ne rejetez plus une telle âme ! Et l'on peut dire qu'elle est (a) pour toujours confirmée en amour, puisqu'elle a été consommée par le même amour échangé en lui. Le Bien-aimé ne voyant plus rien en son Epouse qui ne soit à lui et de lui, n'en détourne plus ses regards ni son amour, comme il ne peut jamais cesser de se regarder ni de s'aimer soi-même. Là-même, verset 10.

(a) cet endroit qui n'explique rien doit être rapporté aux endroits qui parlent de la même chose.

Elle invite son époux à aller partout, car alors elle est mise tout en action. Et comme Dieu est toujours agissant au-dehors, et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui est confirmée au-dedans dans un parfait repos, est aussi tout agissante au-dehors. Ce qu'elle avait fait il y a peu de temps (b) avec défaut, tel le fait maintenant avec perfection. Ce n'est plus elle-même, ni les fruits qui sont en elle qu'elle regarde : mais elle voit tout en Dieu. Elle voit dans les champs de l'Eglise mille biens qui sont affaires pour la gloire de son Epoux, et elle y travaille de toutes ses forces, selon les occasions (c) que la providence lui fournit. Verset 12.

(b) Ceci s'entend que si, lorsqu'elle devait être toute passive, elle eût agi, ç'aurait été un défaut, par 115 ce qu'elle aurait empêché l'action de Dieu. Elle eut été active de sa propre activité, et Dieu la voulait toute passive pour la faire mourir à sa propre action. À présent à force d'être passive, elle est devenue en la main de Dieu comme une cire molle ou un instrument sans résistance, dont Dieu fait ce qu'il lui plaît. Elle est donc passivement agissante parce qu'elle ne se remue point par elle-même, mais elle se laisse mouvoir au Saint Esprit par une motion aussi pure que suavement amoureuse : toute vraie passivité en doit venir là, et c'est sa consommation.

(c) Notez qu'elle ne cherche point les occasions. Par elle-même elle ne se porte qu'à la solitude et à son repos. Mais Dieu lui fournit lui-même, sans qu'elle s'en mêle, par sa providence tout ce qu'il veut qu'elle fasse.

Le troisième est le sommeil du repos en Dieu, permanent et durable ; c'est un repos d'extase, mais d'extase douce et continuelle, qui ne cause plus d'altération au sens, l'âme étant passée en son Dieu par l'heureuse sortie d'elle-même. C'est un repos dont elle ne sera jamais divertie. --

Le premier repos et un repos promis, donc on donne alors les arrhes et les gages. 116 Le second repos est un repos donné. Et le troisième est un repos confirmé qui ne sera jamais interrompu. Il pourrait (a) pourtant l'être absolument, puisque la liberté subsiste, et que ce serait en vain que l'Epoux dirait, jusqu'à ce qu'elle le veuille bien, si elle ne pouvait plus jamais le vouloir : mais après une union de cette nature, à moins de la plus extrême ingratitude et infidélité, elle ne le voudra jamais.

Cependant le divin Epoux, qui en louant lui-même son Epouse, et agréant qu'on la loue en sa présence, veut en même temps toujours plus l'instruire ; pour lui faire comprendre qu'il n'y a que la vaine complaisance en soi-même et le mépris des autres, qui puisse donner entrée à une ruine aussi déplorable. Dans le verset suivant il lui va remettre devant les yeux la bassesse de son extraction et la misère de sa nature, afin qu'elle ne sorte jamais de son humilité (b). Ch.8 vs.4.

(a) Ce verset explique tout ce que j'ai dit, pour justifier les autres endroits.

(b) Il faut remarquer que plus on aime et connaît Dieu ; (ici la connaissance paraît venir de l'amour, et non l'amour de la connaissance) ; plus on se connaît et se hait, se fuit et enfin se quitte. La plus forte preuve que l'on se hait, c'est de se quitter soi-même ; et c'est la solide humilité.

Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères, pauvretés et traver-117-verses, n'ont pu éteindre la charité dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves de l'abandon à la providence le puissent faire : puisque ce sont eux qui la conservent. Si l'homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu'il possédait, et tout son soi-même, afin d'avoir cette pure charité, qui ne s'acquiert que par la perte de tout le reste, il ne faut pas croire qu'après un effort si généreux pour acquérir un bien qu'il estime plus que toutes choses, et qui effectivement vaut mieux que tout l'Univers, il vienne ensuite à le mépriser, jusqu'à reprendre ce qu'il avait quitté. Cela n'est pas possible. Dieu nous fait connaître par-là la certitude et la consistance de cet état ; et combien il est difficile, qu'une âme qui y est arrivée en sorte jamais. Là-même. Vs.7.

Il semble, ô mon Dieu, que vous avez pris plaisir de prévenir tous les doutes et toutes les objections qu'on pourrait former. On pourrait dire, que cette âme, qui ne se possède plus, et qui n'opère plus par elle-même, ne mérite plus. Vous êtes, ô Dieu, ce Dieu de paix, qui avez une vigne, dont vous confiez le soin principal à votre Epouse ; et l'Epouse est cette vigne-même. Elle est située en un lieu qui s'appelle, peuple : car vous avez rendu votre Epouse féconde et mère d'un 118 peuple innombrable. Vous avez commis vos Anges pour la garder ; et elle rapporte un grand profit, et à vous, ô Dieu, et à l'âme-même. Vous lui donnez la liberté d'en user et d'en goûter les fruits ; elle a l'avantage (a) de n'être presque plus en état de vous perdre ni de vous déplaire, et cependant, encore celui de ne pas laisser de profiter et de mériter toujours. vs. 11.

(a) On peut assez remarquer par ce qui est avancé, que je n'entends pas que dans l'état stable, on ne puisse plus pécher en rigueur, ni qu'on ne puisse plus mériter. La consistance est donc par rapport aux vicissitudes passées et à une stabilité du fond qui ne varie plus. C'est le propre état de l'âme, qui n'est point senti ; c'est un repos au-dessus du sentiment, différent de la paix goûtée : c'est proprement un non-trouble ; quoique souvent Dieu le fasse rejaillir sur les sens avec grandes délices. Jean de la Croix l'appelle, trois fois paix.

AUTORITÉS.

S. Denis.

1. Ce (a) salut ne se peut faire que par la déification des choses qui sont sauvées ; et la déification est l'union et la ressemblance avec Dieu, autant que chacune en est capable. *Or le but que se propose toute hiérarchie n'est autre qu'un

(a) La vie intérieure, son commencement, son progrès, et sa consommation sont renfermées dans ces paroles.

* Pur amour. n. 1.

119 amour continuel envers Dieu et les choses divines, qui opère de bonnes et de saintes actions purement et simplement pour Dieu. Laquelle charité doit être précédée d'une fuite et d'un éloignement absolu de tout ce qui lui est contraire, sans jamais plus y retourner, comme aussi d'une connaissance des choses selon la vérité de leur être, de la science et de la vue de la sainte vérité, d'une participation (a) divinement infuse de la perfection * uniforme de l'un-même, autant qu'il se peut, d'un banquet et d'une sainte réfection de cette vue qui nourrit spirituellement et qui déifie quiconque tend et qui aspire vers elle. De la Hierarch. Eccl. Ch. 1.

(a) Infusion : uniformité ; consommation de la vie intérieure.

* Rassasiement. n. 1.

2. Nous disons donc que cette divine Béatitude, qui est Déité par nature, principe de déification, de laquelle est et procède l'être déifié à ceux qui ont été déifiés, par sa bonté a fait don de la hiérarchie pour le salut et plus la déification de toutes les essences douées d'entendement et de raison. Là-même.

3. Voyez Anéantissement. n. 1.

S. AUGUSTIN.

4. Car s'il est vrai que Dieu seul soit immuable, il est sans doute que les Anges mêmes ne le sont pas par leur nature ; et de là il s'ensuit, que si les Anges ont quelque chose de stable et de fixe, ce n'est qu'en Dieu et par cette heureuse disposition (a) qui fait qu'ils l'aiment plus qu'eux-mê-120

 (a) Il est à noter que si l'amour pur et la soumission de la volonté rend les Anges stables en Dieu, ce sont les mêmes dispositions qui communiquent une espèce de stabilité en cette vie à l'âme.

mêmes, et qui les tenant parfaitement soumis à cette Majesté Souveraine leur en assure la jouissance. Le mauvais Ange au contraire, enflé d'orgueil, c’est-à-dire s'aimant plus que Dieu et ne voulant pas lui être soumis, s'est séparé de cette Souveraine Essence, et par là, est tombé dans une défaillance, qui fait qu'il est moins qu'il n'était, pour avoir quitté le plus pour le moins, c’est-à-dire, (a) pour avoir mieux aimé jouir de sa propre puissance que de celle de Dieu. De la Véritable Religion. Ch. 13.

(a) Cause de chute, s'appuyer sur soi, au lieu de vivre d'abandon et de dépendance de la grâce de Dieu.

5. L'enfance de ce nouvel homme se passe à se nourrir du lait des bons exemples que l'histoire nous met devant les yeux.

De là il entre dans le second âge, où n'ayant plus besoin du soutien de l'autorité humaine, et oubliant tout ce qui se peut emprunter des hommes, il s'avance vers les choses de Dieu, et où sa raison éclairée des lumières de la loi souveraine et immuable le fait marcher d'un pas ferme à ce que lui prescrit cette règle primitive de tout bien.

A ce second âge succède le troisième, où la partie supérieure devenue plus ferme et plus maîtresse commence de tenir l'autre soumise par la force de la raison, comme la femme est soumise à son mari ; et c'est ce qui fait sentir à cet homme nouveau comme les douceurs de l'union conjugale, sous le voile de cette pudeur spirituelle, qui fait que nous n'avons plus besoin qu'on nous force à bien vivre, et que quand on nous donnerait une entière liberté de pécher, nous ne voudrions pas en user. De 121 ce troisième âge on passe dans le quatrième, où les forces allant toujours en augmentant, on vient à pratiquer une manière bien plus solide et bien mieux suivie ce qu'on avait commencé de faire dans le troisième, et où l'on acquiert cette maturité de l'homme parfait qui rend capable de soutenir sans s'ébranler toutes les tempêtes de ce monde et toutes les attaques de la persécution.

* Ensuite on passe dans le cinquième âge, où l'homme élevé au-dessus de tout ce qui pourrait lui causer le moindre trouble, jouit dans une paix profonde de toute l'abondance des trésors qui se trouvent dans le royaume tranquille et inaltérable de la souveraine et ineffable Sagesse.

Ce cinquième âge est suivi du sixième, qui porte le renouvellement de l'homme intérieur à sa dernière perfection, et qui achève de retracer en lui l'image de la ressemblance de son Dieu ; en sorte qu'on est dans le monde comme n'y étant point, et qu'on y vit par avance de la vie dont les Bienheureux vivent dans le ciel.

Le septième âge[49] qui succède à celui-là, n'est autre chose que le repos éternel et cette félicité parfaite et toujours égale à elle-même, où il n'y a plus de distinction d'images ni d'états. Car comme la mort est la fin du vieil homme, la vie éternelle est celle du nouveau ; parce que l'un est chargé de la condamnation encourue par le péché, et que l'autre est revêtu de la justice dont la gloire est la récompense. De la véritable Religion. Ch. 26.

HENRI SUSO.

6. Cet homme est tellement uni à Dieu que Dieu-même devient son fond. – 122

*Résurrection. n. 3.

Sa résignation est toute son action ; il ne fait autre chose que de demeurer sans rien faire. Il vit familièrement avec les hommes sans recevoir les impressions des images ; il les aime sans attachement d'affection, et il compatit à leurs peines sans inquiétude et en une pleine liberté. – Il est * éclairé dans la partie supérieure d'une lumière qui l'assure que Dieu est son essence et sa vie, qui opère en lui, et que lui n'est que son instrument. – Il est établi dans la vérité. S'il a de simples opinions, c'est lorsqu'il est laissé à lui-même ; mais lorsqu'il en est sorti, il entre en Dieu, qui est toute science et vérité. Dialog. de la Vérité. Ch. 10.

* Motion divine. n. 3.

Ste CATERINE DE GENES.

7. L'état de cette âme est un sentiment d'une si grande paix et tranquillité, qu'il lui semble qu'elle est plongée avec le cœur et toutes les entrailles intérieurement et extérieurement, dans une mer d'un calme très profond et très heureux, de laquelle elle ne sort jamais pour quelque chose qui lui puisse arriver en cette vie : elle demeure immobile sans pouvoir être troublée, et tellement impassible, qu'il lui semble qu'elle ne sent autre chose tant dedans que dehors qu'une paix très suave. –

Cet Amour – semble dire à l'âme : fait ton compte que rien de tout ce qui reste au monde ne t'appartient plus, et que tant plus tu vas en avant, plus tu connais que la (a) fin pour laquelle l'homme est créé est certainement pour aimer et pour prendre plaisir et se délecter en ce saint et pur amour. Quand l'homme est parvenu par la grâce de Dieu à ce port tant désiré du pur amour, il ne peut 123

(a) Fin pour laquelle nous sommes créés.

plus faire autre chose qu'aimer et se réjouir ; même quand il s'efforcerait de faire le contraire : et cette grâce que Dieu fait à l'homme est si admirable, et surpasse (a) tellement tout désir et toute pensée humaine, qu'il sent dès cette vie qu'il est fait participant de la gloire des Bienheureux. Vie Ch. 18.

(a) Désirs surpassés par la plénitude ou le ravissement divin.

8. On peut aussitôt dire qu'il n'y a point de Dieu, que de dire, que l'amour de Dieu pur et net en quelque créature puisse être trompé (b). Chap. 19.

(b) Il n'y a point de tromperie en cet état comme on le verra lorsque j'écrirai sur cet article.

9. J'ai par la grâce de Dieu un contentement sans nourriture et un amour sans crainte, c’est-à-dire qui ne manque jamais. La foi me semble toute perdue, et l'espérance morte ; parce qu'il me semble que je tiens et possède ce qu'autrefois ne croyais et espérais. Ch. 22.

10. Voyez Purification. n. 17.

11. Voyez Volonté de Dieu. n. 16.

12. Voyez Mortification. n. 3.

13. Quand l'âme par la correspondance qu'elle a avec Dieu, peut voir sa puissance et sa dignité, il lui semble qu'elle est suffisante non seulement pour assujettir son corps avec toutes ses mauvaises habitudes et inclinations, mais encore pour assujettir tous les corps qui sont au monde. Aussi les martyrs sentant la dignité de leurs âmes ne faisaient aucun cas de tous les tourments du corps. Mais quand Dieu ne donne point cette lumière à l'âme, à cause de quelque défaut qui est en elle, alors elle demeure si abjecte, si vile et si faible, que la moindre chose la jette par terre. – Ceci 124 est un état où l'esprit demeure toujours en Dieu avec une infusion d'amour pur, net et simple, par lequel il aime Dieu, même sans raisonner et sans penser pourquoi il l'aime : qui est la façon dont il doit être aimé, c’est-à-dire, sans crainte d'aucune peine, sans espérer aucune récompense, et sans considérer combien Dieu est aimable, car cet (a) état est au-dessus de la raison. –

Or l'âme étant en Dieu qui en a pris possession, et qui opère en elle sans l'être de l'homme et sans qu'il en ait aucune connaissance, parce qu'il demeure anéanti par l'opération divine, cette âme demeure en Dieu pour jamais ; et elle peut dire comme l'Apôtre : (b) qui me séparera de la charité de Dieu ? Là-même. Ch. 32.

(a) Etat au-dessus de la raison.

(b) Rom. 8 vs. 35.

14. Voyez Création. n. 5.

15. Il reste une continuelle impression dans le cœur qu'il vit toujours en Dieu avec cet amour. Dial. Livr. 3 Ch. 7.

16. Un cœur amoureux de Dieu ne peut être vaincu, parce que Dieu est pour lui une forteresse redoutable à ses ennemis : on ne peut lui donner ni de crainte par la considération de l'Enfer, ni de joie par la considération du Paradis ; parce qu'il est si bien ordonné, qu'il prend de la main de Dieu tout ce qui lui arrive, demeurant avec lui en paix pour toutes choses, et comme immobile avec le prochain, étant bien ordonné de Dieu et fortifié en soi-même. Livr. 3. Ch. 8.

17. Je me sens la volonté si forte avec une si vive et si grande liberté, que je ne crains point que rien me [sic] puisse empêcher mon Objet en qui ne me contente. Là-même. Ch. 14.            125

Ste. TÉRÉSE.

18. Je me souviens à ce propos des paroles que l'Ange dit à la très sacrée Vierge Notre Dame, (a) la vertu du Très-haut vous fera ombre. Ah, qu'une âme doit être bien protégée quand Notre Seigneur la met en cette grandeur ! elle se peut asseoir et assurer avec raison. –

Car telles âmes s'asseyent et s'arrêtent dans la vérité : elles ne cherchent point autre part leur consolation et leur quiétude, mais seulement où elles connaissent qu'elles la peuvent avoir véritablement ; elles se mettent sous la protection de Notre Seigneur, et ne désirent point autre chose. –

Il semble que l'âme jouissant du contentement que nous avons dit, se sent toute absorbée, et remparée d'une certaine ombre, et comme d'une nuée de la Divinité ; d'où lui viennent de si souveraines influences, et une rosée si délicieuse qu'elles chassent bien, et avec raison, l'ennui que les choses du monde lui ont donné. Concept. De l'amour de Dieu. Ch. 5.

(a) Luc. I. vs. 35.

Le B. JEAN DE LA CROIX

19. Le saint homme établit d'abord un état de consistance sur le haut de la montagne qui compose son Enigme. Il dit que l'âme y est dans un banquet perpétuel, que le silence divin et la sagesse divine sont le caractère de cette âme, que le seul honneur et la seule gloire de Dieu habite sur cette montagne, qu'elle a les dons et les fruits du S. Esprit. Car l'âme, dit le P. Louis de Ste. Tèrèse qui explique cette Enigme, ne veut et ne se complait qu'en la seule gloire et honneur de Dieu, et ainsi elle jouit des prémices de la gloire du paradis, (comme dit ce Maître céleste [le B. J. de la 126 Croix]) et par ce moyen elle est transformée entièrement en Dieu, et rendue semblable à lui ; puisqu'en ses opérations elle ne prétend que son honneur et sa gloire. Voyez l'Enigme et son Explication.

20. Voyez Purification. n. 37.

21. Voyez Foi nue. n. 19.

22. L'âme verra bien combien il y a de haut-et-bas dans cette voie, et comment après la prospérité dont elle jouit, il survient de l'orage et du travail, de sorte qu'il semble qu'on lui ait donné ce calme pour la prévenir et encourager pour la peine présente, comme aussi après la tourmente et la misère suit l'abondance et la bonace. C'est là le style ordinaire et l'exercice de l'état de contemplation, de monter et de descendre, et ne demeurer jamais en même état jusqu'à ce qu'on soit parvenu à la tranquillité. La cause de cela est que comme l'état de perfection, qui consiste au parfait amour de Dieu et mépris de soi-même, ne peut être sans ces deux parties, connaissance de Dieu et de soi-même, il faut nécessairement que l'âme soit exercée en l'une et en l'autre, lui faisant goûter tantôt l'un, l'agrandissant, et tantôt lui faisant éprouver l'autre, l'humiliant, jusqu'à ce qu'ayant acquis les parfaites habitudes, le monter et le descendre cesse, étant déjà parvenue et s'étant unie avec Dieu. Obscure nuit de l'âme, Livr. 2 Ch. 18.

23. Ce repos et quiétude de cette maison spirituelle vient à être gagné par l'âme habituellement et parfaitement, (autant que la condition de cette vie le peut permettre) par le moyen de ces actes comme substantiels d'union divine, que nous venons de dire qu'elle a reçu de la Divinité secrètement et en cachette du trouble du Diable, des 127 sens et des passions : où l'âme a été purifiée, acoisée[50] et rendue forte, constante et stable pour recevoir avec durée la dite union qui est le mariage divin entre l'âme et le Fils de Dieu. Obscure nuit de l'âme. Livr. 2. Ch. 24.

24. Le Diable redoute grandement d'une âme qui est arrivée à la perfection. Or ce lit de l'âme est entrelacé ou entretissu[51] de vertus, parce qu'en cet état les vertus sont tellement liées entre elles, si fortifiées les unes avec les autres et unies en ou perfection consommée de l'âme, que non seulement il n'y a aucun endroit par où le Diable puisse entrer, mais qu'aussi elle demeure tellement fortifiée et remparée que pas une chose du monde ni haute ni basse ne la peut inquiéter, molester, ni mouvoir : d'autant qu'étant déjà libre de tous les ennuis des passions naturelles, éloignée et écartée de la tourmente de la variété des choses temporelles, elle jouit comme en assurance de la participation de Dieu. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux. Coupl. 16.

25. Voyez Volonté de Dieu. n. 24.

26. Voyez Actes. n. 4.

27. C'est la consommation de cet état (a) : et jamais l'âme ne se repose jusqu'à tant qu'elle y arrive ; pour autant qu'en cet état il y a une bien plus grande abondance et réplétion[52] de Dieu et une paix plus assurée et plus stable, et une suavité plus parfaite sans comparaison qu'aux fiançailles spirituelles, étant déjà dans le sein d'un tel Epoux : car d'une telle âme s'entend ce que dit S. Paul : (b) je vis non plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Partant l'âme menant une vie si heureuse, laquelle est une vie de Dieu, qu'on considère si l'on peut, quelle vie sera celle-ci, 128

(a) Du mariage spirituel.

(b) Gal. 2. Vs. 20.

en laquelle non seulement elle ne peut plus sentir aucun dégoût, comme Dieu n'en sent point, mais elle jouit d'une délectation et gloire de Dieu en la substance de l'âme déjà transformée en lui. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux. Coupl. 28.

28. Car en cette transformation d'amour il lui advient de même qu'aux Anges, lesquels pèsent et estiment parfaitement les choses qui sont de douleur, sans en sentir aucune, et exercent les œuvres de miséricorde et de compassion sans sentir de la compassion ; encore que quelquefois et en certaines choses Dieu use de dispense envers elle, lui donnant à sentir et la laissant pâtir, afin qu'elle mérite davantage ; – néanmoins l'état ne porte pas cela de soi. –

Ainsi nulle chose ne peut plus arriver, ni la molester, étant déjà sortie d'elles toutes et étant entrée dans le jardin désiré, où elle jouit de toute paix et goûte de toute suavité, et se récrée en toute délectation selon que le permet la condition et l'état de cette vie. Coupl. 31.

29. Comme la colombe qui sortit de l'Arche, retourna avec une branche d'Olivier en signe de la miséricorde de Dieu, qui avait retiré les eaux ; – de même cette âme sortie de l'Arche de la toute-puissance de Dieu, lorsqu'il la créa, ayant traversé les eaux du déluge des péchés, imperfections, peines, et travaux de cette vie, retourne à l'Arche du sein de son Créateur, avec le rameau d'olive, qui est la clémence et la miséricorde dont Dieu a usé envers elle, l'ayant attirée à un si haut état de perfection, et après avoir fait cesser en la terre de son âme les eaux des péchés, et l'avoir rendue victorieuse des assauts et des batteries de ses ennemis qui avaient toujours tâché de lui empêcher ce bien. Coupl. 34.

30. Ces 129

âmes possèdent les mêmes biens par participation que Dieu par nature ; c'est pourquoi elles sont véritablement Dieu par participation, semblables et compagnons de Dieu. De là est que S. Pierre a dit : (a) La grâce et la paix vous soient accomplies en la connaissance de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ etc. afin que vous soyez faits compagnons de la nature divine. Coupl. 39.

(a) 2 Pierre r. vs. 2,4.

31. Voyez Union. n. 59.

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.

32. Ce passage du Cantique : (b) Vous êtes toute belle ma Bien-aimée et il n'y a point de tache en vous, Giflerius l'explique de la sorte. L'Epouse est toute belle à savoir, en l'esprit, en l'âme et en la chair ; en la chair, comme purgée par l'action des autres émotions et excédant dans les mœurs et les vertus ; en l'âme comme détachée de toute mauvaise convoitise et ornée des discours des préceptes ; en esprit comme libre et affranchie même des menues pensées. Eclairciss. Des Phras. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 14. §. 4.

(b) Chap. 4. vs. 7.

Le P. JAQUES DE JESUS

33. S. Tomas distingue les vertus selon la diversité du mouvement et du terme. Les vertus de ceux qui profitent et s'avancent sont purgatives ; les vertus de ceux qui s'arrêtent et sont comme au terme et degré de charité parfaite, celles-là sont du terme et d'une âme déjà purifiée. Duquel degré S. Tomas posant le doute, comment il peut y avoir en cette vie état d'état, vertu de terme, degré qu'on dise de charité parfaite en tout, qu'on la distingue de celle qui profite, vu que quelque charité parfaite qu'on ait en ce monde cette charité peut s'accroître et profiter ; comment est-il 130 possible, dit ce Saint (2.2. Quest. 24. Artic. 9.) que la charité pouvant s'augmenter pour avancée qu'elle soit en cette vie, qu'il y ait un degré de charité qu'on nomme parfait, distinct de celui qui croît, puisque croître, profiter et s'augmenter n'est qu'un.

Le Saint répond, que les parfaits croissent aussi en charité, mais que leur principal soin ne se tourne point de ce côté-là ; que leur principale occupation est de demeurer unis à Dieu.

* Ce sont là les vertus du terme, ou de ceux qui ont déjà acquis la divine ressemblance, qu'on nomme les vertus de l'âme déjà purifiée. Les vertus vont peu à peu disposant l'âme à cette ressemblance. Car les vertus politiques adoucissent les passions, c’est-à-dire, les réduisent au milieu, quoiqu'avec beaucoup de travail ; les purgatives les ôtent ; celles qu'on nomme de l'âme déjà purifiée les oublient. En sorte, dit S. Tomas, que la (a) prudence ne regarde plus que les choses divines, que la tempérance ne connaisse plus les cupidités terrestres, que la force ignore les passions, que la justice soit unie d'une perpétuelle alliance d'amitié, à l'esprit de Dieu en l'imitant : et il ajoute, nous disons que ces vertus sont celles des Bienheureux ou des plus parfaits qui soient en cette vie. Notes et remarques sur J. de la Croix. Sisc. 2. §. 1.

(a) Cela est immobilité dans la vertu.

34. Je ne puis en cette occasion omettre la preuve de ces paroles divines exagérées par S. Denis Aréopagite, en la Lettre [10.] qu'il écrit à l'apôtre S. Jean, Théologien Evangéliste relégué en l'île de Pathmos ; je ne suis pas de si peu d'esprit que de croire que vous enduriez quelque chose, 131

* Purification, n. 64.

mais je pense que vous sentez seulement les maux du corps en les discernant. Il lui mandait, qu'il y a des hommes si spirituels qu'il méritent d'être appelés libres de tous maux, étant saisis de l'amour de Dieu, qui trace dès cette vie le commencement de l'autre, imitant parmi les hommes la vie des Anges en toute tranquillité d'esprit, et appellation du nom de Dieu : de façon qu'il semble que la douleur ne parvient jusques là, mais que seulement, c'est sentir et juger si c'est un fléau ou non ; de même que celui qui verrait détacher [sic] le coup, encore qu'il ne sentit la douleur, en pourrait bien juger.

O notable abstraction ! notable perfection ! notable ignorance de passions ! Il disait auparavant qu'il se rencontre des hommes si spirituels qu'ils méritent d'être appelés libres de tout mal, parce qu'ils se réjouissent même en la peine, émus et incités de l'amour divin, tant qu'ils méritent d'être appelés Dieux.

C'est la merveilleuse et mystérieuse conjonction que S. Jean vit en cette femme[53] tellement marquée et remarquée, qu'elle portait le nom du signe même (le grand signe[54]) couverte d'étoiles qu'on n'aperçoit que la nuit et en l'absence du soleil, et du soleil découvert et apparent, qu'on ne voit pas quand les étoiles reluisent : ainsi il semble avoir joint jour et nuit, ténèbres et lumière, ciel et terre, la patrie et l'exil ; bref, leur pointe, c’est-à-dire, le commencement des compréhenseurs[55], signifiée[56] par le soleil en état de voyageurs et qui cheminent par foi désignée par la lune et les étoiles qui éclairent la nuit : Car cette Eglise militante a tant de parfaits enfants et des esprits si purifiés, comme disait St. Tomas, qu'en l'application et perfection des vertus le Docteur 132 Angélique a mis les Bienheureux de là et les plus parfaits d'ici quand il dit : Nous disons que ces vertus sont celles des Bienheureux ou des plus parfaits qui soient en cette vie.

Cette perfection va si avant que S. Ambroise a pu dire (Serm. 22. sur le Psaume 118.) l'oubli des péchés est déjà enraciné en eux, et la force d'un parfait amendement est si grande, qu'ils ignorent les voies d'erreur, qu'ils ne sauraient commettre de crime quand ils le voudraient. Là-même. §. 2.

35. S. Bernard passe bien plus outre en la Vie solitaire aux Frères du Mont-Dieu, où il parle de la plus parfaite ressemblance qui se puisse concevoir entre Dieu et l'âme. Voyez Mariage spirituel. n. 11. et 12.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON

36. C'est ce qui les rend inaltérables dans leur arrêt et fermeté, et très stables en la vue et en la contemplation de Dieu, lequel a fait cela en eux, et le continuera toujours de plus en plus jusqu'au point de leur suprême accomplissement, selon l'ordre de son éternelle préscience. Esprit du Carmel. Chap. 9. §. 12.

37. Touchant ce que je dis, que les plus parfaits qui se puissent concevoir en cette vie, sont inattingibles, impénétrables, immobiles, et inaltérables en leur fond, et que là-même ils vivent bien loin au-delà de leur propre fond ; j'ajoute encore que cela soit très vrai, néanmoins on les peut excéder, non pas eux : mais en ce qui paraît d'eux. Là-même. §. 22.

38. Ce n'est pas sans cause qu'on dit que ceux-ci sont Esprit ; car ils sont tellement revêtus et remplis des qualités de l'Esprit, que leurs puissances et leur fond ne sont qu'une seule chose, où rien 133 n'entre au[57] dehors pour les atteindre et leur donner empêchement. On atteindrait, par manière de dire, aussitôt Dieu qu'eux, d'autant que leur *âme est moins dans le corps qu'elle anime, qu'en Dieu, c’est-à-dire, par appétit, non seulement en tant que Dieu est en leur fond où ils se sont pleinement transformés à vive force de plongement[58] amoureux en son infinie mer ; mais encore au-delà de tout cela, ils sont perdus là-dedans sans ressource, en l'essence de Dieu sans réflexion sur eux-mêmes ni sur le créé. Là-même. Chap. 14.

39. Or celui (a) qui est entré au repos de Dieu, repose de ses œuvres, comme Dieu reposa des siennes après la création de toutes choses. Cet Esprit éternel dans le repos (b) de sa simple jouissance est totalement incompréhensible et inattingible à tout esprit inférieur. C'est en ce suprême point de consommation que toute la mysticité est réduite, faisant esprit très simple et très perdu au-delà du fond, en la suressence qui l'engloutit et l'absorbe dedans son tout. En cette suprême unité (c) rien n'est vu, appréhendé, ni entendu de distinct, ni de séparé, de distinguible ni de séparable. Là n'est rien que le maintenant éternel, et là Dieu seul est et vit en soi en la créature, devenue lui-même par un amoureux reflux ; laquelle quoique refuse[59] en son éternel principe

(a) Hebr. 4. Vs. 10.

(b) Ceci se rapporte à ce qui est écrit dans les Explications sur Genès. 3. Vs. 6. Exod. 20. Vs. 10. et sur Hebr. 4. vs. 10. Etc.

(c) Endroit admirable.

* Perte. n. 38.

demeure néanmoins, et demeurera (a) créature, même en la gloire, son être créé lui demeurant totalement pénétré de l'Etre incréé, fondu et tout perdu là-dedans. De sorte qu'encore que dans toute la plénitude de Dieu, elle ait toutes les propriétés et qualités de son être fait divin, si ne désiste-t-elle pourtant pas de sa créaturalité[60]. Au reste, nous n'écrivons pas pour être crus et entendus, si ce n'était peut-être de quelques-uns, qui pour être arrivés pleinement ici le doivent recevoir avec très grand plaisir pour se voir par tout ceci parfaitement eux-mêmes, tant en l'ordre de leurs expériences, que très loin par-dessus cela en l'éternelle mer de l'amour éternel, qui en l'effort de sa rapidité amoureuse n'a point de cesse qu'il n'ait tout abîmé et tout perdu en soi pour heureusement et glorieusement vivre au total de sa propre vie. Là-même. Ch. 22.

(a) Explic. Du Cantique. Ch. I. vs. I. Ch.7. vs. 11. Etc.

40. Par même moyen tout ce que ce feu a consommé et transformé en soi et par soi, est lui-même sans différence ni distinction, autant que cela peut être vrai d'une créature. En effet il n'est pas possible à l'âme ainsi consommée, de se divertir de cette très simple fruition par intention et volonté, d'autant que ses forces sont entièrement consommées pour n'avoir jamais d'appétits contraires. Je dis de volonté et d'intention ; parce que la vie dont on vit ici, est éternelle, simple et suressentielle, en repos et fruition de l'essence divine. Car l'âme dans sa consommation est totalement refuse et perdue en cette divine essence avec (b) tous les Bienheureux. Cab. Myst. P. I. Ch. 10. §. 6.

(b) Raison pour laquelle elle ne peut prier les Saints ; c'est qu'ils sont tous consommés en unité.

41. L'âme 135 étant réduite et fondue, comme elle est, totalement selon ses puissances et son essence, elle est là arrêtée et établie infiniment au-dessus de tout le passé en Dieu. Là-même. §. 8.

42. Il faut encore savoir, que Dieu seul et non autre peut agir et pâtir, soit à l'ordinaire, soit à l'extraordinaire, dans les âmes vives et mortes en lui par lui-même sans qu'aucun esprit touche leurs puissances. Là-même. P. I. Ch. 1. n. 3.

43. Mais quoi ? Ne semble-t-il point, ô mon Amour, qu'en mon abondance je craigne de me voir frustré de votre jouissance, ainsi que je l'ai été par le passé ? Non mon Epoux ; quoique je dise, je ne crains point cela ; car vous êtes mien, et je suis vôtre. Vous me possédez, et je vous possède parfaitement. Nous ne sommes qu'un en l'un et en l'unique de nous deux. Soliloque 6.

44. Afin de demeurer toujours uniques dans l'unique, simples dans le simple, sans aucune altération ni variété. Contempl. 2.

45. Mais ce que nous avons à faire en cette occupation, qui est si importante et pour laquelle nous vivons, parce que c'est votre propre bien et repos en chacun de nous ; c'est de demeurer toujours égaux à nous-mêmes, inaltérables et immuables en tous évènements, comme fermes rochers en votre mer infinie, que les flots ne battent que par dehors sans toucher aucunement au fond. Contemplat. 10.

46. Dieu est toujours lui-même, et ne peut changer ; et nous, tandis que nous ne sommes point passés en lui, demeurons par tout muables et changeants. Il faut tâcher selon notre pouvoir de demeurer stables, et sans changement en lui. Cela est le fond, l'essence et l'éminence des esprits 136 plus purs, plus profonds et plus perdus. Cela tient toujours tout le sens ravi et attaché au-dedans, en très pure nudité ; et lorsque tout est réduit en la suprême unité de l'esprit, comme l'esprit est simple et unique en l'unité de Dieu, il n'y a plus de distinction entre le haut et le bas. Dans cet éminent état il faut faire en sorte qu'on ne sorte jamais de cette divine unité, pour quelque sujet que ce soit. Lettre 19.

47. Voyez Simplicité. n. 32.

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.

48. Taulere dit qu'Albert le Grand assure que le centre de l'âme est très merveilleux, très pur et très certain ; que c'est la chose qu'on peut le moins arracher, et qui de toutes peut être le moins empêchée ; qu'elle est la plus inhérente et qui persévère le plus ; que nulle contrariété ni adversité ne se trouve dans ce fond ; point d'image, point de sensualité, point de mutabilité ; il est sans aucune différence ou distinctions, qui procèdent de sa fantaisie, comme dit S. Denis ; – il est le suprême entre les choses et il n'y a rien qui soit au-dessus de lui. Il est appelé très pur (a) parce qu'il n'a rien de commun avec la matière ni avec les choses matérielles ; très certain, d'autant que ses voies donnent la certitude à toutes les autres. – Ce fond ne peut être arraché ni par la sensualité, ni par les défauts des vices et des tentations charnelles : il ne peut non plus être empêché, l'âme ayant acquis une grande lumière par son étude, par son effort, et par sa diligence, qui lui est tournée en nature et en habitude ; en sorte 137

(a) parce que rien n'y entre et que tout demeure à la porte. Heureux qui demeure enfermé dans son fond ! il ne craint point ses ennemis. Malheureux qui en sort ! car il est presque assuré de sa ruine.

qu'elle n'y ressent plus aucune peine ou difficulté. Il est fixe et invariable ; parce qu'il ne ressent aucune contrariété, et que le plaisir qui se ressent en ce fond n'est mêlé d'aucune douleur ni goûté dans la partie sensible. – Ce sont les paroles d'Albert le Grand rapportées par Taulere. (Serm. 2. Dim. 3. après la Trinité) Livr. II. Trait. III. Ch. 10. Sect. 8.


 

XI. Conversion.

Quoique cela soit renfermé dans l'article des Actes, je ne laisserai pas de l'écrire pour ne rien omettre.

MOYEN COURT.

La Conversion n'est autre chose que se détourner de la créature pour retourner à Dieu. La conversion n'est pas parfaite (quoiqu'elle soit bonne et nécessaire pour le salut) lorsqu'elle se fait seulement du péché à la grâce. Pour être entière, elle doit se faire du dehors au-dedans. L'âme étant tournée du côté de Dieu, elle a une facilité très grande de demeurer convertie à Dieu. Plus elle demeure convertie, plus elle s'approche de Dieu et s'y attache ; plus elle s'approche de Dieu, plus elle s'éloigne nécessairement de la créature qui est opposée à Dieu. Si bien qu'elle se fortifie si fort dans la conversion 138 qu'elle lui devient habituelle et comme toute naturelle.

Or il faut savoir que cela ne se fait pas par un exercice violent de la créature. Le seul exercice qu'elle peut et doit faire avec la grâce, c'est de se faire effort pour se tourner et se ramasser au-dedans. Après quoi il n'y a plus rien à faire que de demeurer tourné du côté de Dieu dans une (a) adhérence continuelle.

(a) Notez, qu'il n'est pas dit de demeurer inutile ; mais d'adhérer continuellement à Dieu sans relâche.

Dieu a une vertu attirante qui presse toujours plus fortement l'âme d'aller à lui ; et en l'attirant, il la purifie : comme l'on voit le soleil attirer à soi une vapeur grossière, et peu à peu, sans autre effort de la part de cette vapeur que de se laisser tirer, le soleil en l'approchant de soi, la subtilise[61] et la purifie. Ch. 11. n. 1, 2.

CANTIQUE

Le retour (a) de l'Epouse est aussi prompt et sincère que la faute avait été légère et imprévue. Ch. 6. Vs. 12.

(a) Notez qu'en quelque état qu'on soit, lorsqu'on s'est détourné, on a besoin de conversion.   139

AUTORITÉS.

S. DENIS

1. Voyez Consistance. n.1.

2. Comme il n'est pas possible qu'on soit participant tout à la fois de deux choses extrêmement contraires : aussi (a) ne se peut-il faire que celui qui a quelque participation de l'unité, soit comme divisé et démembré en deux vies, si tant est qu'il conserve et maintienne constamment cette participation qu'il a de l'unité ; c'est pourquoi il ne doit être nullement retenu ni assujetti à pas une des affections par lesquelles l'unité peut être décousue et divisée. * Ce que la doctrine des symboles[62] voulant d'une sainte façon donner à entendre sous le voile de ses énigmes, en dépouillant et déchaussant celui qui s'approche du baptême, elle le fait ni plus ni moins que si elle le dépouillait de sa première vie, et comme si elle le détachait et déliait de toutes les affections, voire des dernières et des plus petites qui le pourraient retenir, en le laissant ainsi tenir debout tout nu et déchaussé, le visage tourné vers le Soleil couchant : et par ce repoussement avec les mains qu'elle lui fait faire, il semble qu'elle lui fasse rebuter et rejeter [en] arrière de soi toute la communication qu'il avait avec le vice qui cause les ténèbres en l'âme ; et encore comme souffler et chasser avec le vent de son haleine toutes les mauvaises habitudes des affections vicieuses qu'il avait contractées : et [il] semble de plus qu'elle lui fasse faire profession 140

(a) Cause des dépouillements et purifications ; c'est afin de ne tenir à rien qu'à Dieu seul.

* Nudité. n. 1.

de renoncer absolument à tout ce qui est contraire, et qui peut empêcher qu'il ne devienne semblable à Dieu. Ainsi fait, quitte entièrement et dépêtré qu'il est de toute affection vicieuse, on le fait tourner vers l'orient, pour lui donner à entendre que par la fuite entière du vice, il obtiendra un état ferme et assuré, et un regard pur et net en la divine lumière : et après que par l'amour de la vérité il est rendu parfaitement conforme à l'unité, alors on reçoit les saintes promesses et les protestations qu'il fait d'aspirer de toutes ses forces et par une inclination toute entière à cette même unité. Hierarch. Eccles. Ch. 2.

Ste. TÉRÉSE.

3. Ceci arriva, mon Seigneur, depuis que vous me retîntes par votre bonté afin que je ne commisse plus tant d'offenses contre vous, et lorsque je m'allais retirant de tout ce qui me semblait vous pouvoir donner de l'ennui ; car faisant cela vous commençâtes d'ouvrir et de communiquer vos trésors à votre servante : de sorte qu'il semble que vous n'attendiez autre chose sinon que j'eusse la volonté et la disposition pour les recevoir ; tant vous commençâtes à me les donner promptement et à vouloir encore qu'on sût que vous me faisiez ces grâces. En sa Vie. Ch. 19.

 


 


 

XII. Création. Dernière fin. Origine.

MOYEN COURT.

Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés, et ils ne leur apprennent point 141 assez à jouir de cette fin. Ch. 3. n. 1.

Cette douce dépendance de l'Esprit de Dieu est absolument nécessaire ; et fait que l'âme en peu (a) de temps parvient à la simplicité et unité dans laquelle elle a été créée. Elle a été créée une et simple, comme Dieu. Il faut donc pour parvenir à la fin de notre création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. Ch. 21. n. 4.

(a) Ce peu se doit entendre en comparaison de ceux qui ne prennent pas ce chemin, qui n'y arrivent pas en cette vie.

Dieu en nous créant, nous (b) a créés à son image et ressemblance. Il nous inspira l'esprit du Verbe par ce souffle de vie qu'il nous donna lorsque nous fûmes créés à l'image de Dieu, par la participation de cette vie du Verbe, qui est l'image de son Père. Or cette vie est (c) une, pure, simple, intime et toujours féconde. n. 5.

(b) Gen. 1. vs. 27. & 2. vs. 7.

(c) Unité, pureté, simplicité, fécondité : toutes ces opérations sont du Verbe.

L'âme n'arrive à l'union divine que par le repos de sa volonté : et elle ne peut être unie à Dieu, (d) qu'elle ne soit dans un repos central et dans la pureté de sa création. Ch. 21. n. 3.

(d) Ceci doit être entendu de l'union essentielle et du centre, et non de celle des puissances.                   142

Ce qu'on souhaite de ces âmes, c'est qu'elles avancent fers leur fin, qu'elles prennent le chemin le plus court et le plus facile, qu'elles ne s'arrêtent pas au premier lieu ; et que suivant le conseil de S. Paul, (a) elles se laissent mouvoir à l'Esprit de la grâce qui les conduira à la fin pour laquelle elles ont été créées, qui est de jouir de Dieu. Là-même. n. 9.

(a) Rom. 8. Vs.

C'est une chose étrange, que n'ignorant pas qu'on n'est créé que pour cela, et que toute âme qui ne parviendra pas dès cette vie à l'union divine et à la pureté de sa création, doit brûler longtemps dans le purgatoire pour acquérir cette pureté ; et qu'on ne puisse néanmoins souffrir que Dieu y conduise dès cette vie. Comme si ce qui doit faire la perfection de la gloire, devait causer du mal et de l'imperfection dans cette vie mortelle. n.10.

Nul n'ignore que le Bien souverain est Dieu ; que la béatitude essentielle consiste dans l'union à Dieu ; que les Saints sont plus ou moins grands, selon que cette union est plus ou moins parfaite ; et que cette union ne se peut faire dans l'âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l'âme qu'autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. n. 11.         143

CANTIQUE.

Comme Dieu possède ici toute l'âme sans interruption, c'est ce qui fait la différence de l'union à Dieu-même, avec les autres unions ; en ce que dans les unions avec les êtres créés, l'objet ne se peut posséder que pour des moments ; à cause que les créatures sont hors de nous : mais la jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu'elle est au-dedans de nous-mêmes ; et que Dieu étant notre dernière fin, l'âme peut sans cesse s'écouler dans lui comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée, sans en ressortir jamais (a) ; ainsi qu'un fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer ; jusqu'à ce qu'y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu'il y était perdu et mêlé avant que d'en sortir ; et il ne peut plus être distingué.

(a) C’est-à-dire à moins qu'elle ne déchoie et soit rejetée de Dieu.

Il faut encore observer, que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être, propre à être réunie à lui ; et 144 en même temps une tendance à cette réunion. Ch. 1. vs. 1.

Notre lit ; ajoute-t-elle, ce fond où vous habitez en moi, que j'appelle nôtre pour vous inviter à y venir m'y donner ce baiser nuptial que je vous demandai d'abord, et qui est ma fin ; notre lit, dis-je, est préparé et orné par les fleurs de mille vertus. Ch. 1. vs. 15.

Son âme se fondit et se liquéfia dès que son Bien-aimé eut parlé ; et par cette liquéfaction elle perdit ses qualités dures et rétrécies, qui empêchaient la consommation du mariage spirituel : en sorte que par-là elle fut toute disposée à s'écouler dans son origine. Ch. 5. vs. 6.

Vous êtes si fort à votre Bien-aimé, ô Epouse, que rien ne vous empêche de vous perdre en lui ; depuis que vous avez été toute fondue par la chaleur de son amour, vous avez été disposée à vous écouler en lui, comme dans votre fin. Ch.6. vs. 2.

Dès que l'âme commence de recouler[63] en son Dieu comme dans un fleuve dans son origine, elle doit être toute perdue et abîmée en lui. Là-même. vs. 4.

Cette âme est unique, parce qu'elle est réduite en Dieu dans l'unité parfaite de son origine. Elle est très parfaire, mais des perfections de Dieu-même, et parce qu'elle est 145 exempte de toute propriété, et dégagée de sa nature dure, rétrécie et bornée, dès que par son recoulement[64] entier elle est entrée dans l'innocence de Dieu. vs. 8.

Je vous ai ressuscitée sous un pommier. Je vous ai tirée du sommeil de la mort mystique, vous retirant de vous-même, de votre propre corruption, et de l'être corrompu et bâté que votre mère vous avait communiqué par son péché : car toutes les opérations de Dieu dans l'âme ne tendent qu'à deux choses : l'une, de la délivrer de sa malice actuelle, et de la malignité de sa nature corrompue : l'autre, de la rendre à son Dieu aussi pure et nette qu'elle l'était avant qu'Eve se fût laissé séduire.

Eve dans son innocence appartenant à Dieu sans nulle propriété : mais elle se laissa violer[65], se retirant de son Dieu pour se prostituer au Démon : de sorte que nous avons tous participé au malheur de cette prostitution. Nous venons au monde comme des enfants illégitimes, qui n'ont plus de trace de leur véritable père ; et ils ne peuvent être reconnus comme appartenant à Dieu qu'ils ne soient légitimés par le baptême. Mais quoiqu'ils le soient, ils ne laissent pas de tenir quelque chose de cette malheureuse fornication. Il leur en reste une qualité maligne et 146 opposée à Dieu, jusqu'à ce que Dieu par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne (a), tirant l'âme d'elle-même lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d'innocence, et la perdant en lui : c'est ce qu'il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère qui est la nature humaine, fut corrompue. Ch. 8. vs. 5.

(a) Propriété : partie propre maligne.         

AUTORITÉS.

HENRI SUSO.

1. Ce Rocher si beau et si vaste a néanmoins très peu d'habitants. Mais l'intention de Dieu n'était pas qu'il en eût si peu. Sachez, que là est la porte qui conduit à l'origine d'où sont sorties toutes les créatures du ciel et de la terre.

Mais d'où vient que ces hommes si faibles au dehors, paraissent au-dedans brillants comme des Anges ?

C'est qu'ils se sont affaiblis en montant si haut et qu'il n'est pas resté en eux la moindre particule de sang ou de moelle qui n'ait été desséchée. – Ils ne subsistent en vie que par un sang pur et chaste qui a été mis en la place par celui pour l'amour duquel tout leur sang naturel et impur a été consumé. Des neuf Roches. Ch. 31.

2. Voyez Communications. §. II. n. 2.

CATERINE DE GENES.

3. Cette Epouse de Jésus-Christ, pour faire voir 147 comme se fait l'anéantissement de l'homme en Dieu, disait : Prends un pain et le mange ; après que tu l'auras mangé, sa substance va en nourriture et le reste en excréments que la nature jette dehors comme une chose inutile et pernicieuse au corps. Or si ce pain te disait : Pourquoi m'ôte-tu mon être, puisque de ma nature je ne suis pas content d'être ainsi anéanti ; et si je pouvais me défendre de toi, je me défendrais pour me conserver l'être qui est naturel à toute créature ; tu lui répondrais[66] : Pain, ton être est ordonné pour sustenter mon corps qui est plus digne que toi, et tu dois être plus content de la fin pour laquelle tu es créé que de ton être propre : parce que ton être ne serait point estimable si ce n'était à cause de ta fin. C'est ce qui te donne une dignité à laquelle tu ne peux parvenir que par le moyen de ton anéantissement. Donc, si tu ne vis que pour parvenir à ta fin, tu ne te soucieras point de ton être, mais tu diras : Tirez-moi promptement de mon être, et me mettez dans l'opération de la fin pour laquelle j'ai été créé. Vie Ch. 31.

4. Voyez Anéantissement. n. 14.

5. Quand Dieu a purifié l'esprit des imperfections contractées par le péché originel et actuel, l'esprit alors est tiré, et s'en va au lieu pour lequel il a été créé ; parce que se trouvant si beau, si net, si digne et si excellent, il ne peut plus trouver de lieu qui lui soit propre et convenable que Dieu-même qui l'a créé à son image et semblance, à laquelle il a une telle conformité et une si grande inclination, que s'il ne se pouvait transformer et demeurer en lui, tout autre lieu lui serait un enfer. L'esprit étant réduit et ramené en son être propre de pureté avec Dieu et étant encore vivant, devient une chose si subtile et si petite que l'homme ne la connaît et ne l'entend pas ; il est comme une goutte d'eau jetée en la mer, laquelle étant cherchée ne peut être trouvée autre chose que la mer. Car l'esprit étant réduit à son être propre, et perdu en Dieu, n'est plus autre chose que Dieu-même par participation. – On ne peut parler de cette dernière perfection, parce que toutes les paroles, figures et exemples ne seraient que confusion et faussetés, n'y ayant aucune proportion. On peut dire seulement, que l'âme qui se trouve en cet état, est dès cette vie dans un profond contentement sans saveur qui participe avec les Bienheureux. Vie Chap. 35.

Le B. JEAN DE LA CROIX

6. L'âme répète deux fois ce vers (ma maison était en repos) en ce Cantique et au précédent, à raison de ces deux parties de l'âme, spirituelle et sensitive, lesquelles afin de parvenir à la divine union d'amour doivent être premièrement réformées, ordonnées et acoisées[67] touchant le sensible et le spirituel, à la façon de l'état d'innocence qui était en Adam ; encore qu'elle ne soit du tout libre des tentations de la partie inférieure : et ainsi ce vers qui au premier Cantique s'entendait du repos de la partie inférieure et sensitive, se prend particulièrement en ce second, de la supérieure et spirituelle : car pour ce sujet elle le répète deux fois. Obscure Nuit Livr. II Ch. 24.

7. En disant, suçant les mamelles de ma mère ; elle veut dire, suçant, desséchant et éteignant en moi les appétits et passions qui sont les mamelles et le lait de notre mère Eve en notre chair ; lesquels sont un empêchement pour cet état ; et ainsi cela étant fait que je te trouve seul dehors, 149 c’est-à-dire, hors de toutes choses et de moi-même en solitude et nudité d'esprit, ce qui arrive les appétits susdits étant sucés, c’est-à-dire desséchés, et que là seule je te baise seul, c’est-à-dire, que ma nature déjà seule et dénuée de toute impureté temporelle, naturelle et spirituelle fût unie avec toi seul, c’est-à-dire avec ta seule nature sans aucun autre moyen hors de l'amour : ce qui se trouve seulement dans le mariage spirituel, qui est le baiser que l'âme donne à Dieu, où[68] étant, personne ne la déprise[69] ni l'ose attaquer d'autant qu'en cet état ni Diable, ni chair, ni monde, ni appétits, ne l'importunent, vu qu'il s'accomplit ici ce qui est dit dans le Cantique ; (a) Déjà l'hiver est passé, la pluie s'en est allée et retirée, les fleurs ont paru. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux. Coupl. 28.

(a) Ch. 2. vs. 11, 12.

8. Parce que ta mère, la nature humaine, fut violée[70] en ses premiers parens sous l'arbre, là aussi sous l'arbre de la Croix tu as été réparée. Coupl. 29.

9. Ainsi cette partie sensitive avec toutes ses puissances, (b) forces et faiblesses en cet état, est déjà soumise à l'esprit : d'où vient qu'il y a là une vie heureuse, semblable à celle de l'état d'innocence, où toute l'harmonie et habilité[71] de la partie sensitive de l'homme lui servait pour une plus grande récréation[72], et une plus grande aide de connaissance et d'amour de Dieu en paix et concorde avec la partie supérieure. Heureuse l'âme qui parviendra à cet état ! Mais qui est celui-là, et nous le louerons, parce qu'il a fait des merveilles en sa vie.

Ce couplet a été mis ici pour donner à entendre la paix tranquille et assurée de l'âme qui arrive 150

 (b) Notez forces et faiblesses.

à ce haut état, non pour faire croire, que ce désir que montre ici l'âme que ces nymphes soient acoisées, comme il a été déclaré, soit pour ce qu'elle en est travaillée, car elles sont déjà apaisées, comme il a été dit ; vu que ce désir est plutôt des profitants[73] que des parfaits, dans lesquels les passions et les mouvements règnent peu ou point du tout. Là-même. Coupl. 32.

10. La fin pour laquelle l'âme désirait entrer dans ces cavernes, c'était pour parvenir entièrement et parfaitement, au moins autant que le permet l'état de cette vie, à ce qu'elle avait toujours prétendu, savoir à l'entier et parfait amour qui est donné en cette communication ; et aussi pour obtenir parfaitement, quant au spirituel, la rectitude et netteté de l'état de la justice originelle : et ainsi en ce couplet elle dit deux choses ; l'une, qu'il lui montrerait là, c'est à savoir en cette transformation de notices[74], ce que son âme prétendait en tous ses actes et intentions, qui est de lui montrer parfaitement à aimer (a) son Epoux comme il s'aime soi-même, avec les autres choses qu'elle déclare au Cantique suivant. La seconde est, que là il lui donnerait aussi la pureté et netteté qu'il lui donna dans l'état de la justice originelle en ses premiers parents, ou bien, qu'il lui donna au jour du baptême, achevant de la nettoyer de toutes ses imperfections et ténèbres comme elle l'était lors. Coupl. 38.

(a) Pur amour. L'âme apprend à aimer son Epoux du même amour dont  il s'aime soi-même.

11. Cela n'arrive pas de la sorte, sans que Dieu ait donné à l'âme dans ledit état de transformation une grande pureté, telle qu'a été celle de l'état d'innocence ou du baptême, laquelle aussi l'âme dit que l'Epoux lui devait donner aussitôt en la même transformation :             151

O vie, vous me donnerez

Ce que déjà d'un pur amour

Vous me donnâtes l'autre jour.

Elle appelle l'autre jour l'état de la justice originelle, et le jour du baptême, auquel l'âme reçoit la pureté qu'elle dit qu'on lui donnera en cette union d'amour, parce que, comme nous avons dit, l'âme arrive jusque-là en cet état de perfection. Là-même.

 

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA

rapporte

12. S. Ambroise sur ce passage du Cantique : (a) j'ai ôté ma tunique, comment est-ce que je la mettrai ? j'ai lavé mes pieds, comment est-ce que je les gâterai ? Elle ne sait pas comment elle pourra prendre l'habit du vieil homme entretissu[75] des vices de l'erreur, qui a été laissé dans le lavoir de la régénération ; car par l'étude de la correction, l'oubli des péchés est déjà enraciné en elle : la force d'un amendement consommé est si grande que l'âme revient dans l'âge d'une enfance spirituelle, qui ignore les voies de l'erreur et qui ne puisse (b) admettre le crime, quand même elle le voudrait, parce qu'elle a perdu l'habitude de connaître l'usage du péché. (Serm. 22. Sur le Ps. 118.) Eclaircissement sur J. de la Croix. Chap. 12. §. 2.

(a) Chap. 5. Vs. 3.

(b) C’est-à-dire qu'elle est si confirmée dans le bien, que difficilement elle peut pécher.

13. Albert le Grand. D'autant plus que tu seras dénué des fantômes de toutes les choses mondaines et créées, et que par la bonne volonté tu seras uni en esprit à Dieu, tant plus tu approches de l'état d'innocence et de perfection. (De l'attachement à Dieu. Ch. 8.) Là-même. §. 3.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.

14. Nous sommes donc créés pour retourner et refluer en notre infini Amour activement, ardemment, incomparablement, purement et sans cesse ; par le moyen de son amour actif et fortement efficace en nous, et non autrement : et tout cela selon l'ordre et l'effet de son amour en nous, et du nôtre respectivement en lui. Pour cet effet il faut frayer[76] et dépenser tout le nôtre amoureusement : Car nous ne pourrions jamais avoir rien fait ni donné, qui puisse ou doive récompenser et satisfaire à notre Amour infini, devant lequel toute créature est menteuse, et en comparaison duquel l'homme n'est rien du tout. Miroir et flammes de l'amour divin. Ch. 5.

15. Je suis arrivé en toi jusques ici, ma fille et mon Epouse, au dernier point de suprême satisfaction. J'étais avidement désireux de te consommer en moi, jusqu'à te faire mourir si doucement entre mes bras dans l'étendu infinie de mon Essence et de mon Amour. C'est pour cela que je te tiens si doucement serrée en la douce et amoureuse violence de mes embrassements, afin que par cet amour également actif entre nous deux, tu sois enfin rendue pleine et jouissante de moi en moi, et de tout ce que je suis. Tu es donc totalement transformée en moi par-dessus tout degré d'amour transformant, puisque tu as atteint ton essence originaire que je suis, en qui tu vivras et résideras comme moi-même, sans distinction (a) ni différence, autant qu'il est possible : car je suis ton repos, ton entière félicité et ton total Paradis. Soliloque. Vs. 6.

(a) Union sans distinction : c'est la transformation parfaite.

16. Quoique dans la première création, si nous 153 n'eussions point péché, nous eussions toujours été saints, justes et innocents ; ce que nous ne sommes pas maintenant, ainsi que la foi et l'expérience nous le font connaître ; néanmoins notre présent état est meilleur s'il nous est permis d'envisager notre intérêt. –

Comment les Anges ne défaillent-ils pas sur l'aspect d'un si prodigieux amour que le vôtre, ô mon Dieu, à l'endroit des pauvres hommes tombés en la puissance des Diables ? C'est, ô Dieu éternel, ce que nous étions devenus, et ce que nous sommes à présent en vous, notre amoureux Réparateur[77] ; mais à vos propres coûts et infinis dépens, et par des moyens très surnaturels et ineffables. Contemplat. 5.

17. Il nous faut tendre par un continuel reflux en notre mer éternelle et originelle, sans que le créé nous en puisse empêcher pour peu que ce soit. – C'est pour cela que nous sommes nés ; c'est de quoi nous vivons ; c'est par cet exercice que nous nous perdons en l'abîme de notre vie totale (a), auquel nous désirons toujours nous plonger de plus en plus sans aucun retour. Lettres 20.

(a) Perte totale sans retour.

18. Nous avons perdu un de nos plus intimes amis : mais il faut que nous préférions son bien infini au nôtre. – Etant replongé comme il était dans son origine, il savait combien tout emploi d'ici-bas est peu de chose : c'est pourquoi il désirait passionnément et en profonde résignation la dissolution de son corps. – Sa sainteté ne se peut concevoir ni exprimer : elle consistait en sa totale refusion[78] et perte inconnue dedans le vaste infini de son origine, d'où le flux et le reflux était émerveillable[79] en notions et manifestations mystiques et très intellectuelles, qui recoulaient incessamment en guise d'un gros fleuve en toute sa mer. Lette 35.

 


 


 

XIII. Défauts.

MOYEN COURT.

Sitôt que l'âme est tombée en quelque défaut, ou que l'on s'est égaré, il faut se tourner au-dedans : parce que cette faute ayant détourné de Dieu, on doit au plus tôt se tourner vers lui, et souffrir la pénitence qu'il impose lui-même.

Il est de grande conséquence de ne point s'inquiéter pour les défauts ; parce que l'inquiétude ne vient que d'un orgueil secret, et d'un amour de notre excellence. Nous avons peine à sentir ce que nous sommes.

Si nous nous décourageons, nous nous affaiblissons davantage ; et la réflexion que nous faisons sur nos (a) fautes, produit un chagrin qui est pire que la faute même. Une âme véritablement humble ne s'étonne point de ses (a) faiblesses ; et plus elle se voit misérable, plus elle s'abandonne à Dieu, et tâche de se tenir auprès de lui, voyant le besoin qu'elle a de son secours. Nous devons d'autant plus tenir cette conduite, que Dieu nous 155

(a) Notez qu'il est dit faiblesses et défauts.

dit lui-même : (a) Je vous ferai entendre tout ce que vous devez faire. Je vous enseignerai le chemin par lequel vous devez marcher, et j'aurai sans cesse l'œil sur vous pour vous conduire. Ch. 18.

(a) Ps. 31. vs. 8.

 

CANTIQUE

Comme les plus grandes grâces de Dieu tendent (a) toujours à la connaissance plus profonde de ce que nous sommes, et qu'elles ne seraient pas de lui, si elles ne donnaient, selon leur degré, une certaine expérience de la misère de la créature, cette âme ne sort qu'à peine des celliers de son Epoux, qu'elle se trouve noire. Quelle est votre noirceur, ô incomparable Amante ? dites-le nous : nous vous en conjurons. Je suis noire, dit-elle, parce que j'aperçois à la faveur de mon divin Soleil quantité de défauts que j'avais ignorés jusqu'à présent : je suis noire parce que je ne suis point purifiée de ma propriété.

Mais cependant je ne laisse pas d'être belle, et belle comme les tentes de Cedar : parce que cette connaissance expérimentale de ce que je suis, plaît extrêmement à mon Epoux. – Je suis belle ; parce que n'ayant point de tache 156

(a) Ceci se verra dans l'article de la vraie humilité.

(a) volontaire, mon Epoux me rend belle de sa beauté. Plus je suis noire à mes yeux, plus je suis belle en lui.

Je suis encore noire par les croix et les persécutions qui me viennent du dehors : mais je suis belle comme les pavillons de Salomon ; puisque ces croix et cette noirceur me rendent semblable à lui.

Je suis noire, parce qu'il paraît des faiblesses dans mon extérieur : mais je suis belle, parce que je suis exempte de malice. Ch. 1. vs. 4.

(a) Notez, volontaire.

Je vous vous autres mes compagnes, qui n'êtes pas encore arrivées si avant dans l'intérieur, vous qui n'êtes que dans les premiers pas de la vie spirituelle, ne jugez pas de moi par la couleur brune que je porte au dehors, ni par tous mes (b) défauts extérieurs, 157

(b) Pour comprendre ceci, il faut savoir qu'après que les premiers goûts qui avaient comme essuyé les défauts, sont passés, ces défauts n'étaient qu'assoupis et nullement morts, l'onction de la grâce tenant l'âme confite en douceur : mais lorsque Dieu veut purifier le fond, il permet que ces mêmes défauts qui étaient vraiment dans l'âme, quoique couverts de la douceur de la grâce, paraissent lorsque cette onction se dessèche : alors cette âme qui se croyait déjà toute divine et ne toucher plus à la terre, se trouve toute redevenue naturelle, toute appesantie. Cela lui était nécessaire pour l'enfoncer en Dieu en 157 l'éloignant de l'amour de soi-même. Mais comme il ne faut jamais se mettre de soi-même dans ce dessèchement que S. Jean de la Croix appelle Nuit, elle dit à ses compagnes, qu'elles ne doivent ni se scandaliser de ses défauts qui sont involontaires et pour son humiliation, ni aussi vouloir l'imiter en ne travaillant pas de toutes leurs forces à détruire les leurs qui sont réels et volontaires.

(a) Notez qu'elle dit : Ne m'imitez pas en cela. On ne met dans pas tout le monde dans les états avancés puisque l'on en précautionne.

 

soit réels, ou apparents ; car cela ne vient pas comme aux âmes commençantes, faute d'amour et de courage : mais c'est que mon divin Soleil, par ses regards continuels, ardents et brûlants, m'a décolorée. Il m'a ôté ma couleur naturelle, pour ne me laisser que celle que son ardeur me veut donner. C'est la force de l'amour qui me sèche la peau et la brunit ; et non pas l'éloignement de l'amour. Cette noirceur est un avancement, et non pas un défaut ; mais un avancement que vous ne devez pas considérer, vous qui êtes encore jeunes, et trop tendres pour (a) l'imiter ; parce que la noirceur que vous vous donneriez serait un défaut : elle ne doit venir, pour être bonne, que du Soleil de justice, qui pour sa gloire et pour le plus grand bien de l'âme, mange et dévore cette couleur éclatante du dehors laquelle l'aveuglait elle-même, quoiqu'elle la rendît admirable aux 158

autres, au préjudice de la gloire du l'Epoux.

Mes frères me voyant noire de la sorte, m'ont voulu obliger à reprendre la vie active, et à garder les dehors sans m'appliquer à faire mourir les passions du dedans : J'ai longtemps combattu avec eux ; mais enfin ne pouvant leur résister, j'ai fait ce qu'ils ont voulu : et en m'appliquant au dehors, à des choses qui me sont étrangères, je n'ai pas gardé ma vigne, qui est mon fond, où mon Dieu habite. C'est là ma seule affaire et la seule vigne que je dois garder : et lorsque je n'ai pas gardé la mienne, lorsque je ne me suis pas rendue attentive à mon Dieu, j'ai encore moins gardé les autres. C'est le tourment qu'on fait d'ordinaire aux âmes, lorsqu'on voit que la grande occupation du dedans fait négliger en quelque chose le dehors ; et qu'à cause de cela l'âme toute renfermée au-dedans ne peut plus s'appliquer à certains petits défauts que l'Epoux corrigera en un autre temps. Là-même. vs. 5.

L'Amante fidèle prie l'Epoux d'ôter les petits renards (a) qui sont quantité de petits 159

(a) les renards sont l'impuissance où elle est mise de la pratique des bonnes œuvres extérieures qu'elle faisait autrefois, et l'expérience de ses défauts. Cela est tellement nécessaire pour purifier l'âme de 159 l'attache qu'elle a à se propres œuvres, et lui faire connaître la dépendance où elle doit être de la grâce, que sans cela elle serait toujours propriétaire, et elle resterait enfoncée en elle-même, comme on le verra lorsqu'il sera parlé de la Propriété et de la Purification.

défauts, lesquels commencent à paraître ; parce qu'ils gâtent cette vigne intérieure, qui est, dit-elle, fleurie : et c'est ce qui rend cette vigne plus agréable, et qui fait qu'elle l'aime davantage, espérant d'en avoir bientôt le fruit.

Que ferez-vous, pauvre âme, pour abandonner cette vigne à laquelle vous êtes attachée sans le[80] connaître ? Ah, le Maître y mettra lui-même de petits renards qui la ravageront et en abattront les fleurs, et y feront un étrange dégât. S'il n'en usait de la sorte, vous êtes si amoureuse de vous-même, que vous n'en sortiriez jamais. Chap. 2. vs. 15.

Ceci est rapportant à ce qui a été écrit de l'examen dans l'article de Confession et à ce qui s'écrira de la Propriété, c'est pourquoi il y a peu de chose à mettre.

 

AUTORITÉS.

Ste. CATHERINE DE GENES.

1. Elle perdit toute espérance d'elle-même, estimant la partie propre de l'homme comme 160 du tout incurable ; et ne voulut plus perdre de temps pour y penser ni pour chercher quelque remède : mais elle mit toute sa confiance en Dieu son Amour, et lui dit : Seigneur, je vous fais un présent de moi-même ; parce que je ne sais plus ce que je dois faire, n'étant propre de moi-même qu'à faire de moi un Enfer. C'est pourquoi, Seigneur, je voudrais bien faire un échange avec vous, et vous donner mon être malin entre les mains, parce que vous seul le pouvez cacher et engloutir en votre bonté ; et que vous me donnassiez votre amour pur et net, qui éteigne en moi tout autre amour, me fasse tout anéantir en vous, et me tienne si occupée en vous, qu'autre chose ne puisse demeurer en moi. A quoi son très doux Seigneur répondit, qu'il en était content. En ce moment sa propre malignité lui fut ôtée de la mémoire, en sorte qu'elle ne s'en souvint plus. Dialog. Livr. 1. Ch. 12.

2. Voyez Purification. n. 28.

3. S'il survient à cette âme quelque soupçon de péché, elle n'a point de repos jusqu'à ce que son esprit en soit délivré et satisfait. L'âme qui vit en cette amoureuse paix, ne peut demeurer en trouble ni avec soi ni avec les autres. Que si par permission de Dieu il arrive que tels esprits habitués en l'amour divin soient troublés, ils sont presque insupportables ; parce qu'ils sont hors du paradis tranquille où ils habitent : et si Dieu ne les remettait dans leur état accoutumé, il serait presque impossible qu'ils pussent vivre. Livr. 3. Chap. 8.

Ste. TÉRÉSE.

4. Cela m'arriva quand je procurais[81] que les autres s'adonnassent à l'oraison, comme j'ai déjà dit ; et pour ce sujet j'y suis savante à mes dépens : 161 parce que comme d'un côté elles m'entendaient dire de grandes choses du bien signalé qu'il y a de faire oraison, et que d'autre part elles me voyaient si dénuée de vertus ; elles étaient tentées et troublées de ce qu'étant telle, je me mêlais d'oraison : et avec beaucoup de sujet ; d'autant que, comme elles me l'ont dit depuis, elles ne savaient comment l'un pouvait compatir[82] avec l'autre. Et j'étais cause que croyant quelque bien de moi, elles ne tenaient point pour mal ce qui l'était en effet, parce que je le faisais quelque fois. Et le Diable fait ceci ; car il semble qu'il se sert des vertus que nous avons pour autoriser, en ce qu'il peut, le mal qu'il prétend : ce qui est fort dommageable dans une Communauté, pour léger que cela soit. Combien plus pernicieux devait être ce que je faisais, vu que le mal était si grand ? D'où vient qu'en plusieurs années il n'y en a eu seulement que trois qui ont tiré du profit de ce que je leur disais : mais depuis que Notre Seigneur m'eut donné les vertus, plusieurs en profitèrent en deux ou trois années comme je dirai ci-après. Vie Ch. 13.

5. Or commençant à quitter les occasions et m'adonnant davantage à l'oraison, sa divine Majesté commença à me faire des grâces ; en quoi elle semblait ne désirer autre chose sinon que je voulusse les recevoir : elle me donnait (a) fort ordinairement l'oraison de quiétude, et souvent celle d'union qui durait longtemps. Vie Ch. 23.

(a) Notez qu'elle avait des défauts considérables quoiqu'elle eût l'oraison de quiétude et d'union.

6. Je demeurai quelque temps dans cette peine et agitation d'esprit, jusqu'à ce qu'après une forte baterie[83] que j'endurai intérieurement, accompagnée de crainte, je me résolus de traiter avec une 162 personne spirituelle, pour apprendre d'elle quelle était mon oraison, et pour trouver de la lumière dans le chemin que je tenais, si tant est que je fusse égarée, et pour faire tout mon possible afin de ne point offenser Dieu ; car la faiblesse que je voyais en moi, comme j'ai dit, me faisait être si timide.

O mon Dieu quelle grande tromperie, que désirant d'être bonne je me retirasse du bien ! Le Diable doit faire ici de grands efforts au commencement de la vertu : car je ne pouvais gagner cela sur moi-même : il sait bien que tout le remède d'une âme, c'est de traiter avec les amis de Dieu ; à quoi je ne trouvais aucun moyen de me résoudre. J'attendais que je me fusse auparavant amendée, comme quand je quittai l'oraison : et possible que je ne l'eusse jamais fait ; parce que j'étais plongée si avant dans de petites choses de mauvaise coutume, lesquelles je ne pouvais me persuader d'être pernicieuses, que j'avais besoin d'aide et qu'on me tendît la main pour m'en retirer. Notre Seigneur soit béni : car enfin ce fut lui qui vint le premier à mon secours. Vie Ch. 23.

7. Ne pensez pas aussi que bien que ces âmes aient de si grands désirs et de telles résolutions de ne faire aucune imperfection pour quelque chose que ce soit elles n'en commettent plusieurs et même des péchés, non pas toutefois avec advertance ; car Notre Seigneur les assiste spécialement pour cet effet. Or quand je parle de péchés, j'entends seulement les véniels ; d'autant que pour les mortels, à ce qu'elles peuvent entendre, elles en sont libres. Chat. VII. Dem. Ch. 4.

Le B. JEAN DE LA CROIX.

8. Quant au doute qu'on peut former ici, à savoir, puisque les choses de Dieu font d'elles-163-mêmes du bien à l'âme, la gagnent et l'assurent, pourquoi est-ce qu'en cette nuit, Dieu lui obscurcit les appétits et les puissances, voire même à l'égard des choses bonnes, de manière qu'elle n'en peut non plus jouir ni les pratiquer que les autres, et encore moins en quelque façon ? Je réponds qu'alors le vide de son opération et de son goût, même touchant les choses spirituelles, lui est fort convenable ; parce qu'elle a les puissances et les appétits bas et impurs ; et ainsi encore qu'on donnât à ces puissances le goût et la communication des choses surnaturelles et divines, elles ne le pourraient recevoir que bassement : car comme dit le Philosophe[84], tout ce qui est reçu est en celui qui le reçoit selon sa façon et sa disposition à le recevoir. D'où vient (a) qu'à cause que ces puissances naturelles n'ont ni pureté, ni force, ni suffisance pour recevoir et goûter les choses surnaturelles à leur manière qui est divine, mais seulement à la leur ; il faut qu'elles soient aussi obscurcies touchant ces choses divines pour faire une purgation parfaite, afin qu'étant sevrées, purgées et anéanties de ce côté-là, elles perdent cette façon basse d'opérer et de recevoir, et qu'ainsi toutes les puissances et appétits de l'âme viennent à demeurer disposées et atrempées[85] pour recevoir, sentir et goûter hautement ce qui est divin ; ce qui ne peut être, si premièrement le vieil homme ne meurt. D'où vient que tout ce qui est spirituel, s'il ne dérive d'en haut, communiqué du Père des lumières à l'arbitre et appétit humain, en quelque façon que s'exerce le goût 164

(a) Ce sont les raisons pour lesquelles Dieu ôte cette douleur éclatante du dehors, et met de petits renards, qui sont les impuissances susdites.

et appétit de l'homme avec ses puissances en Dieu, et qu'il leur semble de le goûter, néanmoins ils ne le goûtent point en cette manière divine et parfaite. A ce propos, si c'en était le lieu, nous pourrions montrer ici comme il y a plusieurs personnes qui ont des goûts, des affections et des opérations de leurs puissances touchant Dieu et les choses spirituelles, qui peut-être pensent que cela est surnaturel et spirituel ; et possible[86] ce n'est que des actes et appétits très naturels et humains. Car comme elles les ont en toutes autres choses, elles les ont encore avec le même tempérament en celles-ci qui sont bonnes, et par une certaine facilité naturelle qu'elles ont d'émouvoir leur appétit et leurs puissances à quelque chose que ce soit. Si nous trouvons l'occasion en ce qui reste, peut-être nous en traiterons. – Il suffit de savoir ici, qu'afin que les actes et mouvements intérieurs de l'âme puissent venir à être mus de Dieu hautement et divinement, ils doivent premièrement être endormis, obscurcis et acoisés[87] dans le naturel touchant toute leur habileté et opération jusqu'à ce qu'elle défaille.

Donc, ô âme spirituelle, quand vous verrez votre appétit obscurci, vos affections sèches et resserrées, vos puissances inhabilitées[88] à tout exercice intérieur, ne vous souciez pas de cela ; au contraire, tenez-le pour un bonheur, puisque Dieu va vous délivrant de vous-même, vous ôtant des mains les facultés avec lesquelles vous n'eussiez su opérer si entièrement, si parfaitement ni si sûrement, à cause de leur impureté et de leur pesanteur, comme à présent que Dieu vous prenant par la main vous conduit en ténèbres comme aveugle, où et par où vous ne savez et jamais n'eussiez trouvé le moyen de cheminer, quelque 165 bon pied et bon œil que vous eussiez.

La raison aussi pourquoi l'âme non seulement marche sûrement quand elle est en ces ténèbres, mais aussi avec le plus de gain et de profit, c'est parce que communément (a) quand l'âme de nouveau reçoit quelque mélioration[89] et qu'elle va profitant, c'est par où elle entend et pense le moins ; au contraire par où elle voit fort ordinairement qu'elle se perd. Car n'ayant jamais expérimenté cette nouveauté qui l'éblouit et la fait égarer de sa première façon de procéder, elle croit plutôt être perdue, que profiter et être en bonne voie ; comme elle voit qu'elle se perd touchant ce qu'elle savait et goûtait, et qu'on la mène par où elle ne sait et ne goûte : de même que le voyageur lequel pour aller à des terres étrangères et inconnues va par de nouveaux chemins inconnus dont il n'a l'expérience, sur la parole d'autrui, et non sur ce qu'il en savait, (car il est évident qu'il ne pourrait jamais arriver à des terres inconnues que par des chemins nouveaux et inconnus et laissant ceux qu'il savait.) Aussi l'âme en cette façon quand elle va profitant davantage elle marche en obscurité et sans 166

(a) Dieu donne les vertus par l'expérience de leur contraire : par exemple, la foi est rendue plus pure par les tentations contre la foi ; parce que les tourments que l'âme souffre en ces choses l'affermissent en cela même om elle se trouve plus contrariée, à cause de la fermeté avec laquelle elle se tient attachée à Dieu dans les tempêtes qui s'élèvent au dehors, (sa volonté et son affection en étant entièrement éloignées), et s'attache d'autant plus à Dieu que la contrariété qu'elle éprouve l'afflige davantage, comme il sera vu aux Tentations.

savoir. Obscure nuit. Liv. 2. Ch. 16.

9. Quand l'âme dit en ténèbres et en cachette, c’est-à-dire qu'en tant qu'elle allait à l'obscur à la manière que nous avons dit, elle était couverte et cachée du Diable, de ses (a) ruses et de ses embuches. * Or la cause pour laquelle l'âme en l'obscurité de cette contemplation va libre (b) et exempte des embuches du Diable, c'est parce que la contemplation infuse qu'elle a ici, se verse passivement et secrètement dans l'âme à l'écart et au-dessus des sens et puissances tant intérieures qu'extérieures de la partie sensitive. Et de là vient que non seulement elle est cachée et libre de l'empêchement que ces puissances lui peuvent apporter avec leur naturel et le leurs faiblesses ; mais aussi du Diable, lequel, si ce n'est pas le moyen de ces puissances sensitives, ne peut pénétrer ni connaître ce qui est dans l'âme ni ce qui s'y passe. – Alors comme le Diable voit qu'il ne peut les atteindre et contredire au fond de l'âme, il fait tout ce qu'il peut pour troubler et soulever la partie sensitive, qui est celle où il peut atteindre. –

Toutefois bien souvent quand la communication de telle contemplation saisit purement l'esprit et exerce sa force en lui, toute la diligence dont le Diable se sert pour l'empêcher ne lui profite de rien ; tant s'en faut, l'âme reçoit alors un nouvel amour et utilité[90] avec une paix plus assurée. Car en sentant la séditieuse présence de l'ennemi, chose admirable que sans savoir comme cela 167

(a) Il n'y a point de tromperies par la voie de la foi, comme par celle des sentiments ou visions.

(b) La contemplation est libre et exempte des embuches du Diable.

* Infusions. n. 5.

cela se fait, elle entre plus avant dans le fond intérieur, sentant fort bien qu'elle se met en un certain refuge, où elle se voit être plus éloignée et plus cachée de l'ennemi ; et ainsi la paix et la jouissance que le Diable veut ôter, lui sont augmentées : et pour lors toute cette vanité lui tombe seulement au dehors, ce qu'elle connaît clairement et se va réjouissant de posséder si surement cette tranquille paix et saveur de l'Epoux en cachette, que le monde ni le Diable ne peut donner ni ôter, l'âme sentant à ce propos la vérité de ce que l'Epouse dit dans le cantique. (a) Voyez que le Lit de Salomon est environné de soixante forts à cause des frayeurs nocturnes : et elle sent cette paix et cette force, encore que souvent elle sente la chait et les os être tourmentés au dehors. Là-même. Ch. 23.

(a) Chap. 3. Vs. 7, 8.

Le P. BENOIT DE CANFELD.

10. En cet état c'est imperfection de désirer Dieu comme s'il était absent. – Il se trouve aussi en ce désir un acte qui empêche l'anéantissement total : Part. III. Ch. 10. n. 9.

11. Il y a de l'imperfection, comme dit S. Bonaventure, de penser en Dieu par pensée imaginaire ; parce qu'on ne le doit et ne le peut faire : on ne le doit, parce que c'est un acte contraire à l'anéantissement : on ne le peut par les raisons alléguées ; comme parce que Dieu est tout surnaturel, mais la pensée est chose naturelle : Dieu est plus grand que nous et par-dessus nous, mais notre pensée est moindre et au-dessous de nous. –

C'est quelque sorte d'imperfection de jeter un regard en Dieu autre que le simple souvenir de lui. – 168

Finalement c'est imperfection de trop observer ces mêmes ou semblables imperfection : car ainsi, l'âme s'occupe trop et se rend trop active. Il ne les faut donc pas rechercher, sinon très subtilement, à savoir par une œillade qui passe vite comme un éclair.

Or il ne faut pas penser que tant de degrés apportent quelque multiplicité en cet exercice : d'autant qu'encore bien qu'il y ait beaucoup d'imperfections, toutefois elles se remédient par une seule perfection : Car comme elles proviennent toutes d'une cause, à savoir, de l'être, aussi sont-elles toutes remédiées par une unique cause contraire, à savoir, le non-être ; car comme toute imperfection s'élève quand l'homme est quelque chose, ainsi toute perfection naît quand il est anéanti, puisqu'alors Dieu seul vit et règne. Là-même. n. 10, 11, 12.

S. FRANCOIS DE SALES.

12. Représentons-nous le doux Jésus, Théotime, chez Pilate, où pour l'amour de nous les gens d'armes, ministres de sa mort, le dévêtirent de tous ses habits, et lui ôtèrent encore sa peau, la déchirant à coups de verges et de fouets ; comme par après son âme fut dépouillée de son corps et le corps de sa vie par la mort en la croix : mais trois jours après par sa très sainte résurrection l'âme se revêtit de son corps, et le corps de sa peau immortelle, et s'habilla des vêtements différents, en pèlerin ou en jardinier, ou d'autre sorte, selon que le requérait la gloire de son Père et le salut des hommes. L'amour fit tout cela, Théotime ; et c'est l'amour aussi qui entrant en une âme, afin de la faire heureusement mourir à soi et revivre à Dieu, la fait dépouiller de tous les désirs humains et de l'estime de soi-même qui 169 n'est pas moins attachée à l'esprit que la peau à la chair, et la dénue enfin des affections plus aimables, comme son celles qu'elle avait aux consolations spirituelles, aux exercices de piété, et à la perfection des vertus qui semblaient être la propre vue de l'âme dévote. Alors l'âme a raison de s'écrier : (a) j'ai ôté mes habits, comment m'en revêtirai-je ? J'ai lavé mes pieds de toute sorte d'affections, comment les salirai-je derechef ? (b) Nue je suis sortie de la main de Dieu, et nue j'y retournerai. Le Seigneur m'avait donné beaucoup de désirs, le Seigneur me les a ôtés : son Saint nom soit béni.

* Oui, Théotime, le même Seigneur qui nous a fait désirer les vertus en notre commencement, qui nous les fait pratiquer en toute occurrence, c'est lui-même qui nous ôte (c) l'affection des vertus et de tous les exercices spirituels, afin qu'avec plus de tranquillité, de pureté, et de simplicité nous n'affectionnions rien que le bon plaisir de la Divine Majesté. Car comme la belle et chaste Judith avait voiremement[91] dans ses cabinets ses beaux habits de fête et néanmoins ne les affectionnait point, ni ne s'en para jamais en sa viduité[92], sinon quand inspirée de Dieu elle alla ruiner[93] Holopherne : ainsi quoique nous ayons appris la pratique des vertus et les exercices de dévotion ; si est-ce que nous ne devons pas les affectionner, ni en revêtir notre cœur, sinon à mesure que nous savons que c'est le bon plaisir de Dieu. Et comme Judith demeura toujours en habit de deuil, sinon en cette occasion, en laquelle 170

(a) Cant. 5. vs. 3. (b) Job &. vs. 21. (c) Dépouillement. Explicat. Du Cantique Ch. 1. vs. 5.

* Vertu. n. 17.

le Dieu voulut qu'elle se mit en pompe ; aussi devons-nous paisiblement demeurer revêtus de notre misère et abjection parmi nos imperfections et faiblesses, jusqu'à ce que Dieu (a) nous exalte à la pratique des excellentes actions.

* On ne peut demeurer longtemps dans cette nudité, dépouillée de toutes sortes d'affections : c'est pourquoi, selon l'avis du St. Apôtre, (b) après que nous avons ôté les vêtements du vieil Adam, (c) il faut nous revêtir des habits du nouvel homme qui est Jésus-Christ : car ayant tout renoncé, voire même les affections et les vertus, pour ne vouloir ni de celle-ci ni de celle-là, ni d'autre quelconque, qu'autant que le bon plaisir divin y portera ; il nous faut [nous] revêtir derechef de plusieurs affections, et peut-être des mêmes que nous avons renoncées et résignées : mais il faut derechef s'en revêtir, non plus parce qu'elle nous sont agréables, utiles, honorables, et propres à contenter l'amour que nous avons pour nous-mêmes ; mais parce qu'elles sont agréables à Dieu, utiles à son honneur, et destinées à sa gloire. De l'Amour de Dieu. Livr. 9. Ch. 16.

(a) C'est e qu'on appelle résurrection.

(b) Col. 3. Vs. 9, 10.

(c) C'est la conduite que Dieu fait tenir à notre Epouse des Cantiques.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.

13. Il n'est pas besoin de parler de ceci à l'homme, qui n'a que le seul esprit d'un bon naturel, et qui ne demeure et n'agit que dans le sens. Car il ne saura jamais rien de meilleur que les bonnes œuvres, et ne se renoncera jamais comme il faut, s'il se voit impuissant et sans moyen de les faire. C'est pourquoi la vie active qui est plus dans le sens 171

* Résurrection. n. 12. Vertu. n. 18.

que dans la raison, est grandement délicieuse à ces personnes ; et ils[94] y souffrent volontiers plusieurs peines à cause des grands mérites qu'ils en espèrent : mais ils sont en cela-même tous[95] pleins de leurs propres voies, appétits, recherches et propriétés, totalement ignorants d'eux-mêmes et du vrai bien en lui-même. Ils ne se veulent jamais perdre de si loin que ce soit, et s'ils se perdent quelquefois à force de persuasions, ce n'est qu'avec une extrême crainte de perdre leurs sentiments et leurs goûts de Dieu. * Cela fait qu'ils ne se perdent et ne donnent le leur[96] en vrai abandonnement que peu à peu et le moins qu'ils peuvent, ne pouvant croire que la vie renoncée, indifférente et résignée soit la vraie sainteté. Erreurs, ténèbres et misère, qui procèdent de ce que l'homme prend pour soi-même le don et le goût de Dieu, qui ne lui est donné de Dieu, sinon pour le disposer à la sainteté ; ce goût est un moyen pour acquérir l'habitude de sainteté et cette habitude en est la fin, dont les vrais actes sont la vraie vie renoncée. Car à le bien prendre, qu'est-ce que telle vie, sinon les actes de toutes les saintes habitudes, pratiquées non tant en soi que par-dessus de soi-même, étant perdu totalement en Dieu à la Majesté duquel on désire toujours satisfaire et nullement à soi. Esprit du Carmel. Ch. 11.

14. Il arrive parfois que les personnes spirituelles se peuvent rencontrer parmi des objets sensibles, capables de toucher extraordinairement leurs sens, et d'émouvoir leurs passions. Par exemple, ils seront parfois tellement excités à rire, que cela paraîtra notablement, sans qu'elles s'en puissent empêcher. Cela ne laisse pas d'étonner certains faibles et infirmes, lesquels voyant que 172

* Habitude, n. 7.

ces objets ne les divertissent point du dedans d'eux-mêmes, admirent comme quoi nous sommes tirés de nous-mêmes si facilement à rire, sans savoir quelle en est la cause : Et en effet ils l'ignorent toujours, jusqu'à ce qu'eux-mêmes soient arrivés par leur fidèle activité au même degré d'amour et de vie consommée. Ils ne voient pas que cela ne nous touche qu'en superficie (a) et par le dehors. –

Or la raison pourquoi les personnes communes qui ont une bonne action intérieure, semblent avoir plus de force pour résister à ces objets folâtres que nous autres, c'est que nous sommes tous[97] nus et désarmés de nos forces actives dans les sens, et que nous ne pouvons faire quasi autre chose qu'attendre les coups, sans y pouvoir parer. Il n'est pas ainsi des autres, parce que leur force active, tandis qu'ils l'ont, leur sert comme de rempart contre tous semblables mouvements. Mais aussi quand ils sont en aridité, et qu'ils n'ont rien d'eux-mêmes pour la défense des sens, ils se trouvent tout accablés[98] par les efforts de telles folies. Car leur manière de souffrir en leur aridité, et de combattre ces folâtreries, n'est pas semblable à nos façons et manières de combattre. C'est toute autre chose d'eux et de nous. Miroir de Conscience. Traité II. n. 54.

(a) Voyez ce qui est dit de la purification de l'or. Moy. Court. Ch. 24. n. 4.

15. Néanmoins c'est une chose étrange qu'il se puisse trouver des hommes parvenus et même consommés en cet état, qui sortent de là pour raisonner et spéculer dans la circonférence et selon la vive activité de leurs sens, en sorte qu'ils viennent à être enfin presque continuellement agités de tourbillons et mouvements d'inquiétude 173 sur toutes choses, dont ils s'empêchent et se ferment l'entrée à leur cœur, rodant incessamment partout au dehors. –

Quelques-uns voient bien en eux-mêmes ce désordre, se croyant impurs et du tout ineptes pour la vraie introversion ; et néanmoins ils ne désistent pas de cette sorte de pratiques ordinaires pour embrasser les exercices qui leur seraient plus conformes et plus utiles pour leur bien et leur intérieur. Ils auraient sans doute besoin d'être poussés sans compassion, – et devraient prier Dieu très instamment qu'il les mît aux labeurs et exercices des hommes sans ordre ni discrétion : mais comme ce n'est pas ce qu'ils désirent, et qu'au contraire ils craignent cela comme la mort ; ils demeureront à jamais immortifiés par le dedans, totalement indomptés, captifs et fortement dominés de leur propre excellence. De la simplicité. Traité II. n. 34.

16. La charité dans les parfaits fait bien s'irriter patiemment, et s'indigner humblement. Cela étant inconnu aux hommes de médiocre vertu, ils nous jugent transportés et vaincus de passion toutes les fois que cela nous arrive ; néanmoins, si nous manquions à ce Saint zèle de la charité, nous croirions être dans le désordre et offenser Dieu. Voilà pourquoi lorsque nous conversons avec eux, nous ne contrarions point par cette pratique à la vraie perfection ; puisqu'à ceux que nous supposons ici omnia licent, et souvent il leur est expédient de faire des choses de cette nature. Là-même. n. 38.


 

XIV. Désir. Dieu désire de se donner à nous.

MOYEN COURT.

Rien n'est plus aisé que d'avoir Dieu et de le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Il a plus de désir de se donner à nous que nous de le posséder. Ch. 1. n. 5.

Dieu, qui ne demande qu'à se communiquer à sa créature, lui envoie des grâces abondantes et un goût expérimental de la présence, qui le lui rend très facile. Ch. 2. n. 4.

Mais le Verbe a la vie en lui : et comme ils communicatif de sa nature, il désire de la communiquer aux hommes. Ch. 21. n. 6.

Or tout le désir de Dieu est de se donner lui-même à sa créature, selon la capacité qu'il a mise en elle : et l'on craint de se laisser aller à Dieu ! Ch. 24. n. 12.

AUTORITÉS.

S. DENIS.

1. Cette mer immense et regorgeante de lumière divine est ouverte à tous les hommes, et toujours prête à se communiquer. De l'Hier. Cél. Ch. 9.

2. Voyez Consistance. n. 2.

3. Il sera toujours véritable que la lumière divine 175 envoie incessamment ses rayons bienfaisants sur les vues intellectuelles, et qu'il est en leur puissance de la recevoir, leur étant présente et toujours prête à leur communiquer les biens qui lui sont propres d'une façon digne de la bonté de Dieu (a). Là-même. Ch. 2.

(a) Si Dieu mesure ses dons à ce qu'il est, et non à ce que nous sommes, s'étonnera-t-on de leur magnificence ? Et après qu'il nous a donné son Fils unique, quel don peut-il faire, tout Dieu qu'il est, qui ne soit au-dessous de celui-là ?

Ste. CATERINE DE GENES.

4. Je vois que cette divine bonté a un si grand soin de l'âme, qu'il n'y a personne qui pour gagner tout le monde, quand même il serait assuré de gagner, le pût avoir si grand. Voyant donc avec combien d'amour et de soin il nous donne toutes les provisions nécessaires pour nous conduire en son pays, je suis contrainte de dire que ce bon Dieu semble être notre serviteur. Vie Chap. 12.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.

5. Pour notre regard, puisque nous ne saurions disposer les hommes à cela, ni les rendre meilleurs, c'est à nous de rendre notre vol de plus en plus actif et léger pour venir à la pénétration du tout de notre amour, au fin fond de lui-même que vous êtes, o mon Amour et ma Vie. Car vous avez plus de désir et d'avidité de vous communiquer, que vous n'avez de pouvoir de le faire, s'il est permis de parler ainsi ; parce qu'il n'y a point de vaisseau entre les mortels qui puisse tant contenir de votre grâce et de votre amour que vous désirez y mettre. En effet je crois dans cette vérité, qu'il y a eu un grand nombre de Saints qui l'eussent pu être davantage. Contempl. 8. 176


 

XV. Non-désir. Ne pouvoir désirer ni demander.

(Choix, vouloir ; tout est compris sous le nom de désir.)

Voyez INDIFFERENCE.

CANTIQUE.

Il ne faut pas croire qu'une âme du degré de cette Epouse soit empressée pour la présence sensible et pour la douce et continuelle jouissance de l'Epoux : nullement. C'était une perfection qu'elle avait autrefois, que de désirer ardemment cette charmante possession : car cela était nécessaire pour la faire marcher et aller à lui ; mais maintenant (a) c'est un empêchement quelle ne doit point admettre, son Bienaimé la possédant parfaitement dans son essence et dans ses puissances d'une manière réelle et invariable, au-dessus de tout temps, de tout moyen et de tout lieu. Elle n'a plus que 177

(a) Pour recevoir cette communication au-dessus de tous sentiments, il faut se laisser dépouiller de la présence sensible, ce qui a été vu ; [Voyez Abandon n. 25. etc.] Ce qui est perfection en un temps, est un défaut en un autre.

faire de soupirer après des moments de jouissance distincte et aperçue : Outre qu'elle est dans une si entière désappropriation de toutes choses qu'elle ne saurait plus arrêter un désir sur quoi que ce soit, non pas même sur la joie du Paradis. Cet état est même la marque qu'elle est possédée par le centre. C'est pourquoi elle témoigne ici à l'Epoux qu'elle est bien contente qu'il aille où il lui plaira. -- Non qu'elle méprise ou rejette les visites ou consolations divines ; non : elle a trop de respect et de soumission pour l'opération de Dieu : Mais c'est que ces sortes de grâces ne sont plus guère de saison pour une âme aussi anéantie qu'elle l'est ; et qui est établie dans la jouissance du centre ; et qu'ayant perdu toute volonté dans la volonté de Dieu, elle ne peut plus rien vouloir. --

L'indifférence de cette amante est si grande, qu'elle ne peut pencher ni du côté de la jouissance, ni du côté de la privation. La mort et la vie lui sont égales : et quoique son amour soit incomparablement plus fort qu'il n'a jamais été, elle ne peut néanmoins désirer le Paradis, parce qu'elle demeure entre les mains de son Epoux, comme les choses qui ne sont point. Ce doit être l'effet de l'anéantissement le plus profond. -- Elle est incapable de désirer d'aider aux autres, et 178 ne le peut même faire que par un ordre particulier de la providence. Ch. 8. vs. 14.

EXPLICATION.

Avant que de mettre les Autorités pour ne rien désirer, je crois devoir mettre ici l'explication que j'ai pris la liberté d'en donner à Monseigneur de Meaux il y a un an, après qu'il eut bien voulu prendre la peine de me voir. La voici, avec quelques autres explications. Comme il me parut que c'était le principal endroit qui l'arrêtait, je crois qu'il ne le sera plus lorsqu'il verra toutes les Autorités qui sont ici.

Il y a deux sortes de désirs : il y a un désir muable ou élans de désirs aperçus et distincts. Il y a un désir immuable qui est essentiel à l'homme, de retourner à sa dernière fin.

Il y a un amour agité qui a des flammes et des ardeurs ; et comme cet amour est distinct il est accompagné d'un désir aperçu.

Il y a un amour reposé dans sa fin par la mort de la volonté propre ; et le désir de cet amour est plein de repos, et ne s'aperçoit pas de l'âme à cause de sa tranquillité et de la mort de la volonté propre.

L'amour renferme nécessairement le désir, mais le désir est conforme à l'amour. Quand l'âme est éloignée de son Dieu, l'amour est impétueux aussi bien que le désir ; il y a l'agitation qui le 179 meut vers sa fin : plus il approche de sa fin, plus son impétuosité diminue.

Mais quand l'amour a uni l'Amant à l'Aimé, l'amour et le désir sont pleins de repos, et sont comme morts et tombés dans le tout, qui est un amour parfaitement tranquille quoiqu'il soit le plus fort.

Il y a une manière d'aller à Dieu par voie d'élévation au-dessus de soi ; et celle-là est accompagnée d'extases et ravissements : Il y a une autre manière de sortir de soi par voie d'anéantissement et de nudité ; et celle-là n'a point d'extase : c'est une voie toute de mort ; et par cette mort l'âme sort de soi et passe par une extase permanente en son divin Objet. Qu'on puisse dès cette vie entrer en Dieu, s'y perdre par une entière mort de volonté en ce qu'elle a de propre à l'âme, et dissemblable à celle de Dieu, [nul de ceux qui ont de l'expérience n'en peut douter.]

C'est ce que S. Jean appelle demeurer en charité. (a) Celui qui demeure en charité demeure en Dieu. Il faut voir ses Epitres. C'est ce que Jésus-Christ appelle (b) unité et consommation d'unité ; S. Paul (c) transformation ; le B. Jean de la Croix Déification ; (Voyez Dieu enseigne l'âme. n. 7.) comme aussi Frère Jean de S. Samson (Voyez là-même. n. 13. Transformation. N. 45. Union. n. 76. Etc.) ; ses œuvres étant plus fortes que ce que j'ai écrit.

Lorsque l'âme s'est écoulée en son Dieu par une perte de toute elle-même en lui, elle a perdu toute propriété : elle est alots comme un or très pur : ce qui n'empêche pas qu'elle ne puisse 180

(a) 1 Jean 4. Vs. 16. (b) Jean 17. Vs. 22, 23.

(b) 2 Cor. 3. Vs. 18.

toujours déchoir, n'y ayant point d'impeccabilité en cette vie. Mais Dieu ne le permet guère : cela ne pourrait arriver que par la plus grande infidélité, et même malice, comme [celle de] Lucifer. Ce qui fait la pureté de cette âme, est la perte de sa volonté en celle de Dieu : elle ne peut pécher sans tirer sa volonté de celle de Dieu, ce qui est difficile. [Voyez] St. Jean dans ses Epitres (a), Ste. Catherine de Gènes (b), Fr. Jean de St. Samson (c). Cela n'empêche pas que ces âmes n'aient de certains défauts extérieurs qui viennent du peu d'attention qu'elles font sur elles-mêmes, mais qui sont exempts de malice ; et même Dieu se sert de ces défauts qui sont légers pour les cacher à elles-mêmes et aux autres.

Il me semble qu'il est aisé de concevoir qu'une personne qui met son bonheur en Dieu seul, ne peut plus désirer son propre bonheur. Nul ne peut mettre tout son bonheur en Dieu seul, que celui qui demeure en Dieu par la Charité. Lorsque l'âme en est là, elle ne désire plus d'autre félicité que celle de Dieu en lui-même et pour lui-même : ne désirant plus d'autre félicité, toute félicité propre, même la gloire du ciel pour soi, n'est plus ce qui peut la rendre heureuse ; ni par conséquent l'objet de son désir. Le désir suit nécessairement l'amour. Si mon amour est en Dieu seul, sans retour sur moi ; mon désir est en Dieu seul, sans rapport à moi.

Ce désir en Dieu n'a plus la vivacité d'un désir amoureux, qui ne jouit point de ce qu'il désire : mais il a le repos d'un désir rempli et satisfait 181

(a) 1 Jean 3. vs 6, 9. Ch. 5. vs. 18.

(b) En sa Vie Ch. 32. Sur la fin. Voyez aussi Consistance. n. 5. etc.

(c) Voyez Là-même. n. 36. etc.

Car Dieu étant infiniment parfait et heureux, et le bonheur de cette âme étant dans la perfection et le bonheur de son Dieu, son désir ne peut avoir l'activité du désir ordinaire qui attend ce qu'il désire : mais il a le repos de celui qui possède ce qu'il désire. C'est donc là le fonds[99] de l'état de l'âme, et ce qui fait qu'elle n'aperçoit plus tous les bons désirs de ceux qui aiment Dieu par rapport à eux-mêmes, ni de ceux qui s'aiment et se recherchent eux-mêmes dans l'amour qu'ils ont pour Dieu.

Or cela n'empêche pas que Dieu ne change pas les dispositions, faisant que l'âme sentira pour des moments le poids de son corps qui lui fera dire ;[100] (a) Cupio dissolvi, et esse cum Christo. D'autres fois ne sentant plus qu'une disposition de charité pour ses frères, sans retour ni rapport à soi-même elle (b) désirera d'être anathème et séparée de Jésus-Christ pour ses frères. Ces dispositions qui paraissent se contrarier, s'accordent très bien dans un fonds[101] qui ne varie point : de manière que quoique la béatitude de Dieu en lui-même et pour lui-même, dans laquelle les désirs sensibles de l'âme sont comme écoulés et reposés, fasse le bonheur essentiel de cette âme, Dieu ne laisse pas de réveiller lui-même ces désirs lorsqu'il lui plait. Ces désirs ne sont plus de ces désirs d'autrefois, qui sont dans la volonté propre ; mais des désirs remués et excités de Dieu même, sans que l'âme réfléchisse sur soi : parce que Dieu qui la tient directement tournée vers lui, rend ses désirs comme les autres actes, sans réflexion ; de sorte qu'elle ne les 182

(a)  Phil. 1. Vs. 23. Je désire d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ.

(b) Rom. 9. vs. 3.

peut voir s'il ne les lui montre, ou si ses propres paroles ne lui en donnent quelque connaissance en la donnant aux autres. Il est certain que pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant d'abîmer la volonté de la créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir connu dans l'amour de sa divine volonté.

Il y a encore une autre raison qui fait que Dieu ôte et met dans l'âme les désirs sensibles comme il lui plaît : C'est [que Dieu voulant dispenser quelque chose à cette âme, il la lui fait désirer pour avoir sujet de la lui donner et de l'exaucer : car il est indubitable] qu'il (a) exauce les désirs de cette âme et la préparation de son cœur[102] : et même le S. Esprit désirant pour elle et en elle, ses désirs sont des prières et des demandes (b) du S. Esprit : et Jésus-Christ dit dans cette âme : (c) je sais que vous m'exaucez toujours. Un désir véhément de la mort dans une telle âme serait presque une certitude de la mort. Désirer les humiliations, est bien au-dessous de désirer la jouissance de Dieu : néanmoins lorsqu'il a plu à Dieu de me beaucoup humilier par la calomnie, il m'a donné une faim de l'humiliation. Je l'appelle faim pour la distinguer du désir. D'autrefois il met dans cette âme, de prier pour des choses particulières. Elle sent bien dans ce moment que sa prière n'est point formée par sa volonté, mais par la volonté de Dieu ; car elle n'est pas même libre de prier pour qui il lui plaît, ni quand il lui plaît ; mais lorsqu'elle prie, elle est toujours exaucée. Elle ne s'attribue rien pour cela ; mais elle fait que c'est celui qui la possède, qui s'exauce 183

(a) Ps. H. 10. vs. 17.   

(b) Rom. 8. vs. 26.

(c) Jean 11. vs. 42.

lui-même en elle. Il me semble que je conçois cela infiniment mieux que je ne l'explique[103].

Il en est de même pour la pente sensible, ou même l'aperçue, qui est bien moins que sensible. Lorsqu'une eau est inégale à une autre qui se décharge en elle[104], cela se fait avec un mouvement rapide et un bruit aperçu : mais lorsque les deux eaux sont de même niveau, la pente ne s'aperçoit plus. Il y en a une néanmoins, mais elle est insensible et imperceptible, en sorte qu'il est vrai de dire en un sens qu'il n'y en a plus. Tant que l'âme n'est pas unie entièrement à son Dieu d'une union que j'appelle permanente, pour la distinguer des unions passagères, elle sent sa pente pour Dieu. L'impétuosité de ce penchant, loin d'être une chose parfaite, comme des personnes peu éclairées le pensent, en est le défaut, et marque la distance de Dieu et de l'âme. mais quand Dieu s'est uni l'âme de telle sorte qu'il l'a reçue en lui, où il la tient (a) cachée avec Jésus-Christ, l'âme trouve un repos qui exclut toute pente sensible, et qui est tel que la seule expérience le peut faire comprendre. Ce n'est point un repos dans la paix goûtée, dans la douceur et dans la suavité d'une présence de Dieu aperçue ; mais c'est un repos en Dieu même, et qui participe à son immensité, tant il a d'étendue, de simplicité et de netteté. La lumière du soleil qui serait bornée par des miroirs, aurait quelque chose de plus éclatant que la pure lumière de l'air : cependant ces mêmes miroirs qui rehaussent son brillant, la terminent et lui ôtent de sa pureté. Lorsque le rayon est terminé par quelque chose, il s'emplit d'atomes, et il se fait mieux distinguer que dans l'air : mais 184

(a) Col. 3. vs. 3.

il s'en faut bien qu'il n'ait sa pureté et sa simplicité. [105]

Plus les choses sont simples, et pures, plus elles ont d'étendue. Rien de plus simple que l'eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité. Elle a aussi une qualité, que n'ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d'impressions. Elle n'a nul goût, et elle prend tous les goûts : elle n'a nulle couleur, et elle prend toutes les couleurs. L'esprit et la volonté en cet état sont si purs et si simples, que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu'il lui plaît, comme à cette eau qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût qu'on veut lui donner. Il est certain que quoiqu'on donne à cette eau les diverses couleurs qu'on veut à cause de sa simplicité et pureté, il n'est pourtant pas vrai de dire que l'eau en elle-même ait du goût et de la couleur ; puisqu'elle est de sa nature sans goût et sans couleur : et c'est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C'est ce que j'éprouve de mon âme : elle n'a rien qu'elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle ; et c'est ce qui fait sa pureté : mais elle a tout ce qu'on lui donne, et comme on le lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c'est de n'en avoir aucune. Vous lui diriez ;[106] Mais je vous ai vue rouge : je le crois ; je ne suis point néanmoins rouge : Ce n'est pas ma nature ; je ne pense pas même à ce qu'on fait de moi, à tous les goûts et à toutes les couleurs qu'on me donne. Il en est de la forme de même que de la couleur. Comme l'eau est fluide et sans consistance, elle prend toutes 185

les formes des lieux où on la met, d'un vase rond, ou carré. Si elle avait une consistance propre, elle ne pourrait prendre toutes les formes, tous les goûts, toutes les odeurs, et toutes les couleurs.

Les âmes ne sont propres qu'à peu de choses tant qu'elle conservent leur consistance propre : tout le dessein de Dieu étant de leur faire perdre par la mort d'elles-mêmes tout ce qu'elles ont de propre, afin de les mouvoir, agir, changer et imprimer comme il lui plaît. De sorte qu'il est vrai qu'elles ont toutes les formes ; et il est vrai qu'elles n'en ont aucune : ce qui fait que ne sentant que leur nature simple, pure et sans impression singulière, lorsqu'elles parlent ou écrivent d'elles-mêmes, elles nient toutes les formes être[107] en elles : parce qu'elles ne parlent pas conformément aux dispositions variables où on les met : elles n'y font nulle attention ; mais au fond de ce qu'elles sont, qui est leur état toujours subsistant[108]. Je vous conjure M. d'excuser les expressions, et si je dis mal, redressez-moi. Si on pouvait montrer l'âme comme le visage, je ne voudrais, ce me semble, cacher aucune de ses taches. Je soumets le tout.

J'ai encore ce défaut que je dis les choses comme elles me viennent, sans savoir si je dis bien ou mal.[109] Lorsque je les dis ou écris, elles me paraissent claires comme le jour ; après cela, je les vois comme des choses que je n'ai jamais sues, loin de les avoir écrites. Il ne reste rien dans mon esprit qu'un vide, qui n'est point incommode. C'est un vide simple qui n'est incommodé ni par la multitude des pensées ni par leur stérilité. Je prie Dieu s'il le veut, de faire entendre ce que je ne puis mieux exprimer. 186

Quoique l'âme écrive des états les plus les plus relevés de la vie intérieure, elle ne croit pas pour cela posséder ces états ; et lorsqu'elle écrit d'elle-même, elle l'écrit avec une telle abstraction qu'elle ne pense pas l'avoir écrit. Il en est de même des autres écrits : elle ne fait rien avant que d'écrire ; quand elle a écrit elle ne s'en souvient plus, quoiqu'en écrivant les choses lui paraissent claires comme le jour.[110]

AUTORITÉS.

CASSIEN.

1. L'oraison est parfaite lorsque tout amour, tout désir, toutes application, toute pensée, tout effort, tout ce que nous voyons, ce que nous disons, ce que nous espérons est Dieu, et que cette unité qui est entre le Père et le Fils a passé en nous. Alors nous obtenons l'effet de la prière du Sauveur qui disait à son Père ; mon Père (a) qu'ils soient une même chose comme je suis avec vous. Je suis en eux et vous êtes en moi, afin qu'ils soient aussi consommés dans l'unité. Confer. 10. Ch. 6.

(a) Jean 17. vs. 22, 23.

RUSBROCHE.

2. L'homme qui a renoncé à sa propre volonté et qui a donné tout pour tout, sans rien désirer que ce que Dieu veut, est le plus libre de tous les hommes : cependant Dieu pour l'éprouver et le santifier[111] l'éloigne quelquefois de sa droite, le met à sa gauche, le précipite du ciel dans l'enfer, et l'ayant arraché de toutes les douceurs, permet qu'il soit accablé de misères en sorte qu'il se voit abandonné et méprisé non seulement de toutes les 187 créatures, mais de Dieu même. Noces Spirit. Chap. 67.

L'IMITATION DE JESUS-CHRIST.

3. Voyez Propriété. n. 4.

4. Ainsi quelques-uns ont des désirs brûlants qui s'élèvent vers le ciel, et qui néanmoins ne sont pas exempts de la tentation des affections humaines et charnelles. De la vient qu'encore qu'ils me demandent avec tant d'ardeur les biens du ciel, ce mouvement néanmoins n'est pas entièrement pur et pour ma seule gloire. Le désir que vous avez pour le ciel, est souvent semblable au leur ; c'est pour cela qu'il est mêlé d'inquiétude. Ce qui est infecté d'amour et d'intérêt propre n'est jamais pur et vraiment parfait. Imit. De J. Ch. Liv. 3. Ch. 49. §. 2.

HARPHIUS.

5. Et vous devez tenir pour une règle générale, que tout ce que nous pouvons demander à Dieu, ou désirer de lui, dès qu'il ne va pas à la mortification et à l'entier délaissement de soi-même pour l'amour de Dieu, est mêlé de nature et de recherche propre dans les choses mêmes qui paraissent tout à fait divines. Livr. II. Ch. 9.

Ste. CATERINE DE GENES.

6. Cette pureté et netteté d'amour était ineffable et surpassait la capacité humaine : et elle avait cet amour en si grande abondance, qu'elle ne pouvait comprendre qu'il eût pu croître davantage : parce qu'elle en était tellement pleine (a) qu'elle n'en 188

(a) Notez que l'impuissance de désirer ne vient que de plénitude. La capacité de l'âme étant pleine, et Dieu l'élargissant par excès de plénitude, il la remplit à mesure qu'il l'agrandit ; de sorte que l'âme ne peut désirer, puisque tout désir est un vide et qu'elle est pleine : de plus le désir appartient à la volonté, qui est celle qui se trouve si fort remplie de sa fin, qui est la volonté de Dieu. La parfaite conformité l'ayant unie à la volonté de Dieu, et ensuite changée en elle, le vide de sa propre volonté et de ses désirs est rempli de la volonté divine, qui la meut et ne lui laisse vouloir ou désirer que ce qui lui plaît.

n'en pouvait désirer davantage que ce qui la tenait pleinement rassasiée. – Cette grâce que Dieu fait à l'homme surpasse tellement tout désir et toute pensée humaine, qu'il sent dès cette vie, qu'il est fait participant de la gloire des Bienheureux. Vie Chp. 18.

7. Voyez Mortification. n. 1.

8. Dieu convertissant une âme à soi, règle, ordonne et dispose ses puissances, jusqu'à ce qu'il les tire hors de leurs propres opérations ; en sorte que l'entendement ne peut plus comprendre, la mémoire retenir, ni la volonté désirer. – Elle ne peut rien penser (a) d'elle-même, ni en quel état elle est : elle n'a plus d'élection d'objet, ni de désir au ciel et en la terre. Elle ne peut avec cet amour aimer que ceux que Dieu veut qu'elle aime ; lequel ne permet pas qu'une autre âme (a) connaisse en elle cet amour, sinon celle qui approche de ce même amour pur et net, et en la même sorte qu'elle le sent dans son cœur. Ch. 32.

(a) L'âme s'ignore soi-même et est ignorée.

9. En l'an mil cinq cent sept, entendant dire l'Office des Morts, il lui vint un désir de mourir. L'âme désirait sortir du corps et s'unir à Dieu ; le corps le désirait aussi, pour sortir du grand tourment que lui donnait ce feu d'amour qui le brûlait. Toutefois elle n'ay apportant point le désir de la volonté, et ce n'étaient que des désirs 189 naturels de l'âme et du corps pour sortir de leur peine. Mais parce que son Amour la voulait purifier en tout et éteindre en son cœur tout désir, pour en faire sa demeure agréable, il lui donna un remords de ce désir de mourir ; et parce que le désir n'était pas de la volonté, quand elle sentait ce remords, elle disait : Amour, je ne veux que vous-même en la façon qu'il vous plaît. Mais au moins si vous ne voulez pas que je meure encore, ni même que je désire de mourir, laissez-moi aller voir mourir et ensevelir les autres, afin que je les voie sur le point de jouir du grand bien que vous me différez. Son Amour consentit encore à cela : et ainsi durant quelque temps elle alla voir mourir et ensevelir tous ceux qui mouraient l'en l'Hôpital. Puis ce désir et cette volonté de voir mourir les autres, peu à peu s'amortit tout à fait, son cœur purifié s'unissant plus étroitement en son doux Amour. –

Un jour ce Religieux lui dit, qu'elle voulait mourir subitement ; aussitôt la joie ou le désir de mourir se réveilla encore en elle, et elle lui dit : Je sens en moi réveiller une joie et cette parole intérieure : ô si une telle heure venait : puis cette pensée cesse incontinent : et je ne veux point qu'il y ait en cela une seule étincelle de désir. –

Depuis ce jour-là jusqu'à la fin tout désir fut éteint en elle, et elle était toujours unie et transformée au vouloir de son doux Amour. Aussi elle connaissait que tout désir est un manque de perfection ; parce que l'âme ayant quelque désir n'a pas encore Dieu pleinement, qui est toute chose : mais l'âme parfaitement unie à Dieu, trouve tout en lui, et ne peut désirer autre chose. Vie Chap. 38.

10. Cet amour intime, pénétratif, doux et gracieux 190 que l'homme sent en son cœur, ne se connaît pas ni ne se peut exprimer ni entendre qu'avec intelligence d'affection, en laquelle l'homme se sent occupé, lié, transformé, content, pacifique et réglé dans ses sens corporels sans aucune contradiction ; de sorte qu'il n'a rien, il ne veut rien, il ne désire rien, et il demeure en repos, paisible et satisfait au fond de son cœur sans connaître autre chose. Dial. Livr. 3. Ch. 1.

11. La mémoire est contente étant occupée de choses spirituelles, et ne se peut souvenir d'autre chose ; mais elle n'en sait ni le moyen ni la forme. L'amour naturel qui est en l'homme, dit qu'il a été saisi et environné d'un autre Amour surnaturel, et qu'il ne peut pas s'occuper à autre chose : mais il demeure satisfait et content ; il ne veut et ne cherche point d'autre viande, de il croit avoir tout ce qu'il pourrait désirer. Là-même. Ch. 14.

12. Cette vue-là donne une grande paix et un extrême contentement à l'âme : mais ce contentement ne diminue pourtant pas la peine ; et même on ne pourrait la faire tant souffrir qu'elle voulût sortir de cet ordre de Dieu sur elle[112] : elle ne sort point de prison ni n'essaie et ne désire point d'en sortir, jusqu'à ce que Dieu fasse tout ce qui sera nécessaire. Tr. du Purgatoire. n.33. Edit. de Col.

Ste. TÉRÉSE.

13. Cette satisfaction est au plus intime de l'âme ; mais elle ne sait pas par où ni comment elle est venue, et même souvent elle ne sait que faire, ni que désirer, ni que demander : il semble qu'elle trouve tout ensemble, néanmoins elle ne sait ce qu'elle a trouvé. Vie Ch. 14.

14. En cet état il ne veut plus désirer ni avoir 191 d'autre volonté que celle que Notre Seingneur lui donne ; il le supplie et lui consigne les clefs de la sienne. Vie Ch. 20.

15. Que me soucie-je de moi, mon Seigneur, et quel souci ai-je, si ce n'est de vous ? Vie Ch. 39.

16. Il n'y a ni honneur, ni vie, ni bien du corps ou de l'âme qui m'arrête, et je ne veux ni désire mon profit, mais seulement sa gloire. Je ne crois point que le Diable m'ait procuré tant de biens pour perdre après mon âme. Ch. 40.

17. Quant à l'Epouse, il lui semble qu'il n'y a plus rien à désirer ; mais il reste encore à notre très sacré Roi beaucoup à donner. Concept. De l'Am. De D. Ch. 6.

18. Ce qui m'étonne davantage, c'est que, comme vous avez pu voir, bien que les travaux et les afflictions qu'elles ont souffertes par le désir de mourir afin de jouir de Notre Seigneur, aient été telles, néanmoins la volonté qu'elles ont à présent de le servir, et de faire qu'il soit loué par elles, comme encore de profite à quelque âme, si elles pouvaient, est si grande, que non seulement elles ne désirent plus de mourir, mais bien de vivre plusieurs années etc. Chat. VII. Dem. Ch. 3.

Le B. JEAN DE LA CROIX.

19. En cette nudité l'esprit trouve le repos, parce qu'il ne désire aucune chose. Explic. De l'Enigme.

20. Aux désirs de l'espérance elle ne peine non plus ; parce qu'étant déjà contente et satisfaite dans l'union divine, suivant la condition de la vie présente, elle n'a rien à espérer touchant le monde ni rien à désirer touchant le spirituel, puisqu'elle se voit comblée des richesses de Dieu ; encore qu'elle puisse croître en charité : et ainsi au vivre et au mourir[113] elle est conforme et ajustée à la 192 volonté de Dieu. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux Coupl. 30.

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.

21. Rusbroche. Celui qui aime Dieu est content de lui, et ne désire rien autre chose. (De la vraie Contempl. Ch. 37.) Eclairciss. Des Phras. Myst. De J. de la Croix. Ch. 1. §. 3.

22. Taulere. Le pur amour ne doit point se chercher aux biens éternels, c'est à savoir, ne doit point désirer de jouir dans le ciel d'une grande gloire, d'un grand honneur et récompense pour se bonnes actions ; lesquelles choses et autres semblables la vertu parfaite et le pur amour ne permettent point de désirer ou chercher seulement pour l'amour de la foi : L'amour qui est véritablement pur, laisse le reste comme s'il n'y avait point d'intérêt, soit que Dieu veuille donner le paradis, soit qu'il veuille damner ou sauver. (Serm. Sur le 25me. Dim après la Trinité.) Là-même.

23. S. Tomas. La charité atteint Dieu-même, afin de s'arrêter en lui ; non pas afin que de là il nous revienne quelque chose. (2. 2. qu. 23.) Là-même. Ch. 7. §. 1.

24. S. Bernard. Je ne veux, dit l'Epouse, ta bénédiction, mais toi-même : (a) qu'y a-t-il dans le ciel pour moi ? Et qu'est-ce que je veux sur la terre hors de vous ? (sur Cant. 3.) Là-même. §. 1.

(a) Ps. 72. vs. 25.

25. Rusbroche. Dieu nous commande que nous l'aimions par-dessus nous-mêmes et par-dessus toutes choses sans aucun égard à la récompense. Car la charité est la récompense, et est la vie éternelle. Nous devons donc aimer sans aucun retour ni réflexion ; car (b) aimer pour être aimé

(b) O mon Amour, vous savez qu'il est ainsi ![114]     193

réciproquement, c'est un trait de la nature et d'un amour désordonné. – Et ce nous doit être une chose bien plus agréable et plus plaisante de croire, d'espérer et de nous confier en lui, que d'être certains et assurés de la vie éternelle : car il nous commande bien de l'aimer éternellement, mais il ne nous commande point de désirer la récompense. – Ceux qui sont bons et justes chérissent plus la volonté de Dieu que la leur propre, et aimeraient mieux être dans les Enfers avec la volonté de Dieu, que contre cette volonté régner dans les cieux. (De la vraie Contempl. Ch. 69.) Là-même.

26. Don Bartelemi des Martirs. Ceux qui vivent parfaitement, ne se portent point à Dieu par un amour vil ou mercenaire, mais par un amour filial, disant : qu'est-ce qu'il y a pour moi dans le ciel, et hors de vous qu'ai-je voulu sur la terre. (Abrégé. P. I. Ch. 7.) Là-même.

27. S. Bonaventure. Voyez Vertu. n. 15.

28. Albert le Grand. Voyez Pur Amour. n. 29.

29. S. Tomas. C'est une perfection laquelle on ne considère pas selon la totalité de la part de ce qui est aimable, ni selon la totalité de la part de celui qui aime, quant à cela qu'il soit toujours porté actuellement à Dieu, mais quant à cela qu'il exclue les choses qui répugnent au mouvement de la dilection[115] de Dieu, comme S. Augustin dit au Livr. 83. des Questions, que la convoitise est le venin de la charité ; la perfection, point de désir. Et cette perfection peut s'obtenir en cette vie. (En la dern. Part. de la seconde Quest. 184. Articl. 2.) Là-même. Ch. 14. §. 4.

30. – L'homme peut parvenir à tel état, dans lequel toutes choses laissées, on persiste dans la seule contemplation de Dieu. (Quest. 180. Art. 6.) Là-même.

Le P. JACQUES DE JESUS.

31. Voyez Actes. n. 11.

Le P. BENOIT DE CANFELD.

32. Nous n'entendons pas, par ce trop grand bouillonnement de désirs, blâmer ici les saint désirs qui sont en Dieu selon leur essence, ou en tant qu'ils sont bien réglés ; mais en tant que mal réglés, ou accompagnés de quelque circonstance qui empêche leur plénitude ou leur plein accomplissement et leur déification par une totale entrée, perte et mort en Dieu. *Cet empêchement est le trop grand bouillonnement, à savoir actif : je dis actif, pour exclure le passif, qui est doux, profond et déiforme, sans bruit et sans actes ; mais au contraire cet empêchement actif est impétueux, remuant, superficiel, qui ressent trop l'homme, la nature, l'opération naturelle et humaine. Et ces deux désirs sont semblables à deux eaux, dont l'une est bouillante et impétueuse, qui fait grand bruit, et toutefois n'est pas creuse[116] : l'autre douce, sans bruit, rassise, et toutefois très profonde. Or encore bien que ce bouillonnement de désirs paraisse bon dans les commençants, il est néanmoins vicieux dans cet état et doit être retranché : (a) non qu'il faille laisser les bons désirs, mais l'imperfection de ces désirs : non qu'il faille les quitter, mais les accomplir : ni les perdre, mais les purifier et parfaire en Dieu. Comme la semence n'est pas perdue pour être jetée en son lieu, mais se change et se multiplie ; ainsi qu'on voit au grain de froment, qui n'est pas perdu pour être jeté en terre, mais se change et se multiplie : de même les désirs ne sont pas perdus pour être jetés en Dieu mais se purifient, et 195

(a) Explication admirable.

* Actes. n. 12.

multiplient et s'accomplissent. Et comme le grain ne produit pas le blé[117], qu'il ne soit corrompu et amorti ; ainsi les bons désirs ne produisent jamais leurs effets, à savoir l'union, et la transformation, qu'ils ne soient jetés et consommés en Dieu. C'est pourquoi Notre Seigneur dit : (a) Si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeure seul ; mais s'il est mort, il fructifie abondamment. Et comme au commencement le grain est nécessaire, aussi à la fin sa corruption est expédiente pour multiplier le blé ; de même est-il des bons désirs et de leur anéantissement pour acquérir l'union de Dieu. Mais comme en telle corruption le grain n'est proprement dit être corrompu, mais  plutôt changé en blé ; ainsi ces désirs ne sont pas proprement anéantis, mais plutôt changés et transformés en union. Et toutefois comme ce grain ne revient jamais à soi, mais demeure toujours transformé ou changé en blé, comme en son effet, sa dernière fin et sa perfection ; ainsi les désirs ne doivent jamais revenir, mais demeurer transformés en en union, comme en leur effet et au comble de leur perfection. Mais comme il ne faut pas jeter le grain en tout lieu ni en tout temps, mais en son lieu et en son temps ; aussi ne faut-il pas laisser ou anéantir ces désirs en tout lieu, mais seulement en Dieu ; ni en tout exercice, mais en l'exercice de l'union ; ni au commencement, mais en son temps, qui est après la vie active bien pratiquée. *Là où se voit comme ceux-là se trompent, qui pensent qu'il faille toujours opérer et produire des fervents actes ou aspirations : et encore davantage ceux qui estiment telle façon de faire la vraie union, et condamnent 196

 (a) Jean 12. Vs.

* Actes. n. 13.

le contraire comme chose mauvaise, qui met l'âme dans une oisiveté vicieuse ; ce qui est contraire à la doctrine de S. Denis sus-alléguée au Chapitre second ; lequel dit encore ailleurs : Il fait retrancher toutes nos opération intellectuelles pour nous darder, comme il est convenable, au rayon suressentiel. Le même disent tous les Docteurs Mystiques[118]. Mais ceci sera parlé en son lieu.

Or l'âme ayant trouvé cette faute et cet empêchement en son chemin et en son union, y remédie par un écoulement de ses ferveurs en Dieu, non qu'elle y fasse quelque chose, mais qu'elle souffre en elle telle opération (a).

Cet écoulement d'adents désirs en Dieu est un changement de l'amour pratique, pour le fruitif ; et est le repos final et le parfait accomplissement des désirs en Dieu, où le désir est absorbé et changé en possession. Ce mot, écoulement, contient deux choses, à savoir la mort et la vie, ou bien la perte et le gain : parce qu'en tant que la ferveur coule hors de l'âme, elle s'assoupit et meurt, s'évanouit et se perd ; mais en tant qu'elle se perd en dieu elle s'augmente davantage et vit plus que jamais. C'est pourquoi je ne dis pas, anéantissement, comme s'ils étaient anéantis en Dieu, mais un écoulement en Dieu, comme étant en lui préservés. Aussi je ne dis pas une privation des désirs, mais, écoulement, pour montrer qu'ils ne sont plus sentis dans l'âme pour être subtilisés, et pour la vive et suave opération de Dieu en elle, lequel change (b) les désirs en la chose désirée.

 (a) Harph. Theol. Myst. L. 3. P. 4. C. 27.

(b) Il faut que lorsque l'âme est transformée en Dieu, tout se transforme avec elle.

Or 197 ce changement contient trois choses, à savoir une claire manifestation de la chose désirée, un remplissement de désirs, et un évanouissement de ces désirs. Touchant la première, cette manifestation de la chose désirée, qui est Dieu, ne vient pas tout à la fois, mais peu à peu et comme par degrés, selon l'accroissement de notre amour. Règle de la perfection. Part. 3. Ch. 5.

33. Il faut prendre garde qu'en cet état, c'est imperfection de désirer Dieu comme s'il était absent. Là-même. Ch. 10. n. 9.

S. FRANCOIS DE SALES.

34. Certes notre volonté ne peut jamais mourir, non plus que notre propre esprit ; mais elle outrepasse quelque fois les limites de sa vie ordinaire, pour vivre (a) toute en la volonté divine : c'est alors qu'elle ne fait ni ne veut plus rien vouloir, mais elle s'abandonne totalement et sans réserve au bon plaisir de la divine providence, se mêlant et se détrempant tellement avec ce bon plaisir qu'elle ne paraît plus, mais est toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu, où elle vit, non plus elle-même, mais la volonté de Dieu vit en elle.

Que devient la clarté des étoiles quand le soleil paraît sur notre horizon ? elle ne périt certes pas ; 198

(a) Le désir suit nécessairement la volonté. Si notre volonté passe en Dieu, comme dit S. François de Sales, notre désir y passe aussi ; car le désir en est inséparable. La volonté est comme le feu, et le désir en est comme la flamme. Le non-vouloir et le non-désir vient[119] de la même cause, qui est de la mort à nous-même et de la vie en Dieu, ce qui se fait par amour et transformation de notre volonté en celle de Dieu.

mais elle est ravie et engloutie dans la souveraine lumière du Soleil, avec laquelle elle est heureusement mêlée et conjointe. Et que devient la volonté humaine quand elle est totalement abandonnée au bon plaisir divin ? Elle ne parait pas tout à fait ; mais elle est tellement abîmée et mêlée avec la volonté de Dieu qu'elle ne paraît plus, et n'a plus aucun vouloir séparé de la volonté de Dieu.

S. François continue une comparaison admirable du voyage de S. Louis et de la Reine : il conclut n'avez-vous pas intention Madame d'y aller aussi ? Non vraiment je n'ai nulle intention, sinon d'être auprès du Roi, et les lieux où il va me sont indifférents et de nulle considération, sinon en tant qu'il y sera ; je vais sans désir d'aller. – C'est donc le Roi qui va et qui veut le voyage ; et quant à moi, je ne vais pas ; si je suis, je ne veux pas le voyage, mais la seule présence du Roi. De l'Amour de Dieu. Livr. 9 chap. 13.

35. Ainsi, mon cher Théotime, une volonté résignée en celle de son Dieu ne doit avoir aucun vouloir, mais suivre simplement celui de Dieu. Et comme celui qui est dans un navire, ne remue pas de son mouvement propre, mais se laisse seulement mouvoir selon le mouvement du vaisseau dans lequel il est ; de même le cœur qui est embarqué dans le bon plaisir divin, ne doit avoir aucun autre vouloir que celui de se laisser porter au vouloir de Dieu. Alors le cœur ne dit plus : Votre volonté soir faire et non la mienne, car il n'a plus aucune volonté à renoncer ; mais il dit ces paroles : Seigneur, je remets ma volonté entre vos mains ; comme si sa volonté n'était plus en sa disposition, mais en celle de la divine 199 providence. De sorte que (a) ce n'est pas proprement comme les serviteurs suivent leurs maîtres : car encore que le voyage se fasse par la volonté de leur maître ; leur suite toutefois se fait par leur volonté particulière, bien qu'elle soit une volonté suivante, soumise et assujettie à celle de leur maître ; si que tout ainsi que le maître et le serviteur sont deux, aussi la volonté du maître et celle du serviteur sont deux.

*Mais la volonté qui est morte à soi-même pour vivre à celle de Dieu, elle est sans aucun vouloir particulier, demeurant non seulement conforme et sujette, mais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu : comme l'on dirait d'un petit enfant qui n'a point encore l'usage de sa volonté, pour vouloir ni aimer chose quelconque que le sein et le visage de sa chère mère ; car il ne pense nullement à vouloir être d'un côté ni d'autre, ni à vouloir autre chose quelconque, sinon d'être entre les bras de sa mère, avec laquelle il pense être une même chose ; et n'est nullement en souci d'accommoder sa volonté à celle de sa mère : car il ne sent point la sienne et ne croit pas en avoir une, laissant le soin à sa mère,, d'aller, de faire, et de vouloir ce qu'elle trouvera bon pour lui. C'est certes la souveraine perfection de notre volonté que d'être ainsi unie à celle de notre Souverain Bien, comme fut celle du Saint qui disait : (b) O Seigneur, vous m'avez conduit et mené en votre volonté : Car que voulait-il dire, sinon qu'il n'avait nullement employé

(a) Admirable différence entre la soumission de la volonté et l'union de la volonté à celle de Dieu.

(b) Ps. 72. Vs. 24.

*Anéantissement. n. 27.

sa volonté pour se conduire, s'étant simplement laissé guider et mener à celle de son Dieu ? Là-même.

36. Ne nous amusons point à souhaiter ou vouloir les choses, mais laissons vouloir et faire à Dieu pour nous, ainsi qu'il lui plaira.

Non Seigneur, je ne veux aucun évènement ; je vous les laisse vouloir pour moi, et tout à votre gré. Livr. 9. Ch. 14.

37. Voyez Abandon. n. 22.

38. Voyez Défauts. n. 12.

Le Fr JEAN DE S. SAMSON.

39. Voyez Perte. n. 39.

40. C'est pourquoi tout ce que ces personnes désirent beaucoup et sans une parfaite indifférence, quand ce serait avec la meilleur intention du monde, sans doute cela est un effet de la superbe.

41. Là nous demeurons en un amour très pur, très paisible et très éternel, s'il faut ainsi dire. Car nous sommes là éternels, même par-dessus l'éternité, en tant que nous sommes totalement perdus, même à ces sentiments et vues-là, si peu que ce soit distinctes du même Objet, qui nous abîme et nous perd de plus en plus en lui-même. De là vient que nous sommes sans aucun désir de sortir de là, pour réfléchir en aucune façon sur nous-mêmes, pour voir où nous sommes et ce que nous sommes. Cab. Myst. P. I. Ch. 10. §. 9.

42. La suprême et perdue contemplation est la plus vive imitation de Dieu en terre ; et la vérité est que les hommes ne sont pas dignes de semblables personnes. Ceux qui habitent la région de leur fond, sont très merveilleux ici-bas. Il ne faut plus leur parler de la circonférence, non 201 plus que de ce qui n'est point ; mais bien de la plus vive et plus excellente pénétration de leur même fond, et il ne seront point contents, jusqu'à ce qu'ils aient pénétré cet abîme sans fond et sans rive, où Dieu est vivant à lui seul et pour lui seul, et où la créature est tellement anéantie en Dieu, qu'elle ne désire ni ne saurait parler ni entendre parler d'autre chose. Car tandis qu'on désire quelque chose, on n'est pas essentiellement perdu, (au moins entièrement,) en la sur-essence, en laquelle il n'y a point de vertu, sinon exemplairement, point d'essence sinon sur-essentiellement, sans distinction ni différence perceptible. De l'effusion de l'homme hors de Dieu et de la refusion[120] en Dieu. Traité 3. N. 14.

Mons. OLIER.

43. Quand les puissances intérieures sont occupées de l'Epoux et remplies des opérations divines, elles sont sans désir d'opérer en elles-mêmes, et elles sont contentes et satisfaites, parce qu'elles trouvent en lui leur plénitude naturelle. Lettre 12.

Le P. SURIN.

44. Le troisième degré est de ceux qui ont même abandonné entre les mains de Dieu leur salut et leur éternité, – ils ne sont émus à aucune chose que parce qu'ils servent Dieu de pur amour pour lui. Fondem. De la vie spirit. Livr. 3. Ch. 4.

45. La route des bons et spirituels, c'est de n'avoir point de désirs de chose aucune distincte ; mais être indifférent à tout, ne cherchant que le vouloir de Dieu pour son pur Amour ; et quoiqu'on ne sentît pas d'amour actuel, le faire en la lumière de foi. Chercher ce qu'elle prescrit, est le moyen de se mettre en paix : cherchant ce divin vouloir, il faut premièrement chercher l'union 202 divine par la conformité à la volonté de Dieu ; puis entrer en l'expérience de Dieu par cette union rassasiante où l'on trouve la félicité. Là-même. Livre 4. Ch. 4.

Le P. EPIPHANE LOUIS, Abbé d'Estival

rapporte

46. De Sœur Marie Rosette (conduite par S. François de Sales). Je sens et connais quoique sans réflexion, que je veux faire pour Dieu, pour son pur amour, pour sa plus grande gloire, avec toute la pureté, tout le dépouillement de propre intérêt qu'il m'est possible ; mais ne n'y pense pourtant pas, ni à vouloir Dieu : il m'est avis que comme je lui laisse de vouloir et de choisir tout pour moi, ne me retenant ni volonté ni choix dans le temps ni dans l'éternité, aussi je lui dois laisser le soin de se vouloir lui-même pour moi. Je ne veux donc rien des choses de la terre, ni de celles du ciel ; il me suffit qu'il les veuille pour moi : et même si je pouvais les posséder et jouir de lui éternellement sans aucune douceur ni satisfaction, ce qui est impossible, j'en serais contente. (Lettr. Circulaire sur sa mort.) Confer. Myst. 8me.

47. – Mon attrait et mon instinct, si j'en ai ou si j'en sais connaître, me porte plutôt à ne voir rien, à ne rien faire, même à ne pas regarder si je puis ou si je dois faire quelque chose, mais à marcher à l'aveugle et à me perdre tellement en Dieu, que même je ne m'amuse pas à voir que je me perds, et comme je me perds, ou comme Dieu-même me perd : Aussi ai-je mes puissances si liées que je ne m'en puis servir en aucun temps pour faire des actes intérieurs ; et je ne suis jamais en plus grande paix en ma portion supérieure et je ne suis jamais mieux dans mon centre que quand je me laisse à la merci de cet attrait de ne rien 203 faire et de ne m'effrayer de [ne] rien faire[121].

*Il m'est avis que quand une chose est perdue, celui qui l'a perdue ne la voit plus et ne s'en sert plus : de même quand l'âme s'est absolument abandonnée et donnée à Dieu, s'abîmant en lui sans réserve, elle est perdue en Dieu avec toutes ses puissances ; et elle ne saurait s'en servir à moins de sortir de Dieu pour se retrouver en elle-même. L'âme se perd en Dieu, pour ne plus être en elle et plus ne plus vivre en elle ; mais pour être toute à Dieu, afin que ce soit lui qui vive en elle. C'est donc à Dieu de vivre en l'âme, d'agir et d'opérer en elle tout ce qui lui plaira.

Mes puissances m'ont servi d'instruments pour parvenir à l'union avec mon Dieu ; je n'ai donc plus besoin de me servir de ces puissances pour arriver à cette union, puisqu'elle est faite, et que mon âme est unie avec Dieu depuis plusieurs années : (a) jamais je ne me sens attirée à lui dire aucune parole ni d'amour, ni de confiance, ni d'abandonnement ; ni d'en désirer les sentiments, ni de désirer les avoir ; si Dieu me les donne, je les reçois, sinon, je ne les cherche pas, ni ne pense pas à lui demander rien ni pour moi ni pour les autres.

Et quand je suis en sécheresse je ne m'efforce point de faire des actes de soumission pour me mettre en disposition de souffrir, ni de faire chose quelconque. Enfin il me semble impossible de faire quoi que ce soit, ni de rien désirer, sinon que le bon plaisir de Dieu s'accomplisse éternellement en moi et en toutes les créatures : je ne pense pas pour tant à le désirer ; mais c'est ma disposition intérieure. +[122] Il m'est avis que ne sens point 204

(a) Notez jamais : stabilité.

* Perte. n. 57.  +[123] Abandon. n. 35.

de résistance ni de difficulté, au moins en ma volonté, d'accepter et de souffrir tout ce que Dieu pourrait vouloir, quand même se serait les peines de l'Enfer et pour une éternité ; parce que quand ce serait son bon plaisir, je n'aurais point commis de péché, et n'en commettrais point, puisque son bon plaisir ne peut vouloir le péché, et n'en est jamais l'auteur.

Voilà donc tout mon fait, de ne rien faire, et de ne pas même désirer de ne rien faire : de sorte que non seulement mon désir est de ne rien désirer, ma volonté de ne rien vouloir, mon inclination de ne pas incliner, mon choix de ne point faire de choix ; mais je ne veux pas même désirer de ne rien désirer, parce qu'il m'est avis que ce serait encore un désir. Je ne voudrais pas même penser ni regarder si j'ai le désir de n'avoir point de désir, pour me perdre mieux toute, et pour marcher sans ces appuis qui ne sont pas Dieu, ôtant tous les obstacles qui sont entre lui et mon âme, afin qu'il puisse opérer et se communiquer à elle selon qu'il voudra. (Là-même.) Conf. 19.

48. – Je tâche de ne m'arrêter à rien, et de ne vouloir ni honneur ni mépris, si joie ni tristesse, ni suavité ni sécheresse, ni satisfaction ni désolation, ni mortification ni consolation, ni santé ni maladie, ni la mort ni la vie, ni le ciel ni l'enfer, ni chose aucune de tout le reste que l'on peut désirer en ce monde ou en l'autre[124] : tout mon attrait et instinct intérieur, si j'en ai ou si j'en sais connaître, me porte plutôt à ne rien voir de tout cela et à ne rien faire du tout. (Là-même.) Conf. 20.


 


 

XVI. Dieu enseigne l'âme. Science. Sapience.

Il y a en quantité d'endroits de [mes][125] écrits, que Dieu enseigne l'âme d'une manière admirable.

CANTIQUE.

L'âme ne saurait connaître le divin Objet de son amour, -- qu'elle ne se connaisse aussi soi-même : puisque le néant de la Créature aide à connaître le Tout de Dieu. Mais parce que c'est dans ce Tout de Dieu que se puise la lumière nécessaire pour découvrir l'abîme du néant de la créature, il lui ordonne de sortir. Et d'où ? d'elle-même. -- Et pour aller où ? afin d'entrer en Dieu. Ch. 1. Vs. 7.

Il faut même alors que l'âme perde la vue aperçue de Dieu et toute connaissance distincte, pour petite qu'elle soit : il n'y a plus de vue ni de discernement où il n'y a plus de division ni de distinction ; mais un parfait mélange : de sorte que la créature ne pourrait regarder Dieu (c’est-à-dire objectivement) dans cet état, sans se voir elle-même, et apercevoir en même temps les opérations de 206

son Amour. Or il faut que tout cela soit caché et dérobé à la vue, et que comme un Séraphin (a) elle ait les yeux voilés, pour ne plus jamais rien voir en cette vie. Ce qui s'entend de ne vouloir rien voir et ne ne point chercher par elle-même aucune découverte, ce qu'elle ne peut faire sans infidélité : mais cela n'empêche pas que Dieu ne lui fasse découvrir et comprendre ce qu'il lui plaît. Il n'y a que le cœur qui demeure découvert, parce qu'il ne peut trop aimer; Ch. 6. Vs. 4.

(a) C'est qu'on peint les Séraphins avec six ailes : deux couvrent les yeux, deux les pieds, et celles du cœur demeurent ouvertes.

O l'admirable science que celle qui s'enseigne à petit bruit dans le silence ineffable et toujours éloquent de la Divinité ! le Verbe parle incessamment à cette âme et l'enseigne d'une manière à faire honte aux plus grands Docteurs. Mais à mesure qu'il enseigne l'âme, en s'insinauant de plus en plus en elle, et élargissant incessamment sa capacité passive ; aussi cette âme fidèle fait boire à son Epoux de son vin mêlé de douceur et du doux aigre de ses grenades, qui est ce qui produit en elle la charité, lui rendant continuellement tout ce qu'il lui donne avec une entière pureté. Ch. 8. Vs. 2.

AUTORITES

S. DENIS.

1. La Divinité est par-dessus tout ce qui est l'essence et la  vie, et il n'y a point de lumière qui puisse la représenter. Tout verbe et tout esprit est incomparablement au-dessous de son excellence. De la hiérarchie Céleste Ch. 2.

2. Nous montons par ordre et par ce chemin-là vers celui qui est au-delà de toutes choses en tant que nos forces le peuvent permettre, en ôtant tout ce qui est au–devant de lui, et lui attribuant cela même que nous ôtons, disant qu'il est en lui d'une façon sur-éminente, comme celui qui est la cause de toute choses. Et pourtant Dieu est connu en toutes choses, et sans elles aussi : il est connu par connaissance et par ignorance. – *Cette connaissance-là qu'on a de Dieu, est véritablement divine, laquelle est connue par ignorance, par le moyen d'une certaine union qui est par-dessus l'entendement, lorsque l'esprit se retirant de toutes choses, et puis encore s'abandonnant lui-même, s'unit aux rayons plus que très lumineux et très clairs, et que de ces rayons et dedans eux il est illustré en l'abîme et en la profondeur investigable de la Sapience divine. Des Noms divins Ch. 7.

L'IMITATION DE JESUS-CHRIST

3. Heureux celui que la Vérité enseigne, non par des figures et par des paroles, mais par elle-même et selon ce qu'elle est. Livr. 3. §. 1.

4. Voyez Entendre n. 4.

5. Plus un homme sera recueilli en lui-même, et sera devenu simple au fond de son cœur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des 208

(*) Sortie de soi. N. 3.

choses, et en comprendra de plus relevées ; parce qu'il recevra d'en haut le don de l'intelligence. – L'humble connaissance de Vous-même est une voie bien plus sûre pour aller à Dieu qu'une profonde science. Là-même. §. 3, 4.

6. Il y a une très grande différence entre la sagesse d'un homme que Dieu instruit lui-même par l'onction de son Esprit, et la science humaine d'un très habile Théologien. Cette lumière qui vient du ciel et que Dieu répand dans l'âme par le don et l'influence de sa grâce, est sans comparaison plus noble et plus excellente que celle qui s'acquiert par le travail et les efforts de l'esprit humain. Livr. 3. Ch. 31. §. 2.

Le B. JEAN DE LA CROIX.

7. Il semble à l'âme que ce qu'elle savait auparavant, voire même tout ce que sait tout le monde, en comparaison de cette Saveur, est une pure ignorance ; et cette déification avec laquelle elle demeure – ne lui permet de prendre garde à nulle chose du monde. Cant. Entre l'Epouse et l'Epoux. Coupl. 18.

8. La science savoureuse (a) qu'elle dit ici qu'elle lui enseigne, est la Théologie Mystique, qui est une secrète science de Dieu, que les spirituels nomment Contemplation, laquelle est très savoureuse, parce que c'est une science par voie d'amour, lequel en est le maître, et celui qui rend tout savoureux ; et d'autant que Dieu lui communique cette science et intelligence dans l'amour avec lequel il se communique à l'âme, elle

(a) Science savoureuse, sagesse ; Je crois que c'est ce qui est dit dans 1 Jean 2. V. 27. L'onction vous enseignera toute vérité ; car cette onction divine ne laisse rien ignorer des choses divines quoiqu'on ignore des autres et de soi-même.

209 lui est savoureuse pour l'entendement, puisque c'est une science qui lui appartient, et elle est savoureuse à la volonté, puisqu'elle est amour, lequel appartient à la volonté. Là-même. Coupl. 19.

9. Allons au mont ou à la colline. C’est-à-dire, la connaissance semblable à celle que les Théologiens appellent matinale, qui est une connaissance dans le Verbe divin, qui est entendu ici par la montagne, parce que le Verbe est la très-haute Sagesse essentielle de Dieu : ou bien allons-nous-en à la connaissance du soir, qui est la Sagesse de Dieu en ses créatures, en ses œuvres et en ses admirables ordonnances, laquelle sagesse est ici signifiée par la colline, qui est plus basse que la montagne. Quand donc l'âme dit : Allons-nous voir à la montagne en ta beauté[126], c’est-à-dire, rendez-moi semblable et m'informez de la beauté de la Sagesse divine qui est, comme nous disons, le Fils de Dieu : Et disant, ou allons à la colline, c'est demander qu'il l'informe de sa Sagesse et de ses mystères en ses créatures et en ses œuvres, qui est aussi, une beauté dont l'âme se désire voir illustrée. Là-même. Coupl. 36.

10. Cette nuit est la Contemplation, car la contemplation est obscure ; c'est pourquoi on l'appelle d'un autre nom Théologie Mystique, qui veut dire Sagesse de Dieu cachée et secrète, en laquelle sans bruit de paroles et sans l'aide d'aucun sens, comme dans le silence et quiétude de la nuit, et au-dessus de tous les sens, Dieu enseigne très secrètement l'âme, sans qu'elle sache comment : ce qui s'appelle entendre n'entendant pas, parce que l'entendement actif ne fait pas cela, lequel opère aux formes et fantômes des choses ; mais cela se fait en l'entendement en tant que passible et passif, lequel ne reçoit point telles formes 210 et fantômes, mais reçoit passivement une intelligence substantielle qui lui est donnée sans aucune industrie propre. Là-même. Coupl. 39.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.

11. La Contemplation en ce degré est une science sans science et qui ne sait point de moyen ; laquelle est vue et possédée sans admiration, dont le retour est admiration. Miroir et flames de l'Amour divin. Chap. 7.

12.  La très-dévote ignorance nous convient bien, ô mon amour, puisque nous sommes infiniment amoureux par-dessus l'amour en vous-même, heureusement transformés en vous. Pour ce sujet nous abhorrons la science naturelle, qui n'est le pain que des hommes purement moraux. Je dis infiniment plus, que nous ne voulons point même de la science de l'amour intime. Et toutes fois ce même amour fait que tant moins nous la désirons et y pensons, plus nous l'avons excellemment au-dessus de tout ce qui nous est inférieur en état d'amour. Que s'il se pouvait faire, ô ma chère vie, que le seul mot d'amour nous pût suffire, pour comprendre et exprimer ce que nous croyons ignorer, lors même que nous le digérons nous nous ; ce nous serait un indicible plaisir. Mais comme cela même n'est que forme (quoique très expressive et délicieuse) que sortie, et que productions que vous faites de vous-même en nous et pour nous ; cette production mise en évidence ne nous est rien en comparaison de vous. Contemplations 1.

13. La Sapience naturelle infuse suffit toute seule pour rendre l'homme bienheureux dedans la nature, ainsi que le Sage (a) et toute l'Ecriture avec les Pères de l'Eglise, nous font foi, et

(a) Sag. 8. Vs. 3-8.

211 même avec eux les sages Philosophes de l'antiquité. Cette Sapience par son habitude, par sa science, et par sa lumière savoureuse, fait un acte continuel, dont l'effet est une parfaite rectitude d'âme et de corps dans la très-étroite honnêteté morale. – En quoi certes l'amoureux de la Sapience est si content en cette vie, qu'il est autant éloigné de désirer quelque chose avec elle, que le ciel est éloigné de la terre, car elle suffit très pleinement à son possesseur.

A bien plus forte raison la Sapience divine remplit l'âme et le cœur de ses Amoureux d'indicibles délices : et certainement pour lors la Déité et son Paradis sont écoulés en la tere et en la chair, qui par ce moyen est fait esprit et déifiée de Dieu selon que les infusions divines ont été grandes et profondes ; de sorte que celui qui est rapi de Dieu à son aspect et à sa contemplation, (a) goûte à sa manière possible quelque chose de la béatitude future et éternelle dont les habitudes sont si nobles qu'il est presque impossible, comme j'ai dit, qu'il se délecte désormais dans les créatures. De la simplicité. Tr. III. n. 10.

(a) Goûts de la béatitude éternelle. Paradis sur terre.

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.

14. L'Oraison, ainsi que disent les SS. Pères, est une élèvation de l'âme en Dieu, un entretien familier et réciproque entre la créature et son Créateur, qui lui découvre ses secrets, et lui révèle ses mystères, pour se faire aimer d'elle en se faisant connaître : mais il ne fait cette grâce qu'à celles qui sont petites à leurs propres yeux, et qui demeurent abaissées devant lui par la connaissance de leur néant, par l'aveu de leurs faiblesses et par le sentiment de leurs misères et de leur indignité. Livr. I. Trait. 1. sect. 10.

XVII. Distractions. Tentations.

Il faut joindre cela ; parce que c'est la même manière de combattre les unes et les autres, et que j'ai peu à dire sur les Tentations, à cause qu'il en est beaucoup parlé dans l'article de la Purification ou des Epreuves.

MOYEN COURT.

Comme l'exercice direct et principal doit être la vue de la présence de Dieu : ce qu'on doit aussi faire le plus fidèlement, c'est de rappeler ses sens lorsqu'ils se dissipent.

C'est une manière courte et efficace de combattre les distractions : parce que ceux qui veulent s'opposer directement, les irritent et les augmentent ; au lieu que s'enfonçant par la vue de foi de Dieu présent, et se recueillant simplement, on les combat indirectement, et sans y penser ; mais d'une manière très efficace. Chap. 2. n. 4.

Dans les distractions ou tentations, au lieu de les combattre directement, (ce qui ne ferait que les augmenter, et tirer l'âme de son adhérence à Dieu, qui doit faire toute son occupation,) on doit en détourner simplement la vue et s'approcher de plus en 213 plus de Dieu ; comme un petit enfant, qui voyant un monstre ne s'amuse pas à le combattre, ni même à le regarder, mais s'enfonce doucement dans le sein de sa mère, où il se trouve en assurance. (a) Dieu est au milieu d'elle, elle ne sera point ébranlée, il la secourra dès le point du jour.

Faisant autrement, comme nous sommes faibles, pensant attaquer nos ennemis, nous nous trouvons souvent blessés, si nous ne nous trouvons pas entièrement défaits : Mais demeurant dans la simple présence de Dieu, nous nous trouvons tout à coup fortifiés. C'était la conduite de David. (b) J'ai, dit-il, le Seigneur toujours présent devant moi, et je ne serai point ébranlé : c'est pour cela que mon cœur est dans la joie, et que ma chair reposera même en assurance. Il est dit dans l'Exode : (c) Le Seigneur combattra pour vous, et vous vous tiendrez en repos. Chap. 19.

(a) Ps. 45. V[127]. 6.   (b) Ps. 15. V. 8, 9.   (c) Chap. 14. V. 14.

AUTORIT ÉS.

L'IMITATION DE JESUS CHRIST.

1. Vous surmonterez plus aisément les tentations peu à peu par la patience et par une humble attente du secours de Dieu, que par un empressement humain accompagné de chagrin et 214 de mauvaise humeur envers vous-même. Livre 1. Ch. 13. §. 5.

2. Le principe de toutes les mauvaises tentations est l'inconstance de l'âme et le peu de confiance en Dieu. Là-même §. 5.

3. Aidez-moi mon Dieu, et quelque pressé que je sois de la tentation, je ne craindrai pas de tomber. Que puis-je faire en cet état ? Seigneur, que votre volonté soit faite. J'ai bien mérité d'être si affligé et si accablé. Je ne mérite que de souffrir ; et plaise à votre bonté que ce soit avec une humble patience, en attendant que cette tempête passe et que le calme succède. Votre main qui peut tout, est assez puissante pour me tirer de cette tentation et pour en adoucir la violence, afin que je n'y succombe pas entièrement ; puisque c'est une grâce que vous m'avez déjà faire tant de fois, ô mon Dieu et ma miséricorde. Plus je me trouve dans l'impuissance de sortir de ce mal, plus la main du Très-haut se signalera en m'en tirant avec une facilité toute puissante. Livr. 3. Ch. 29. §. 1. 2.

4. Voyez Joie de l'âme n. 5.

Ste. TH ÉRÈSE.

5. Pour les mauvaises pensées, qu'il n'en fasse point d'état, qu'il considère que le Diable les présentait aussi à S. Jérôme dans le désert : je sais que ces travaux ont leur récompense, comme celle qui les a endurés plusieurs années. – Je crois quant à moi que sa Majesté veut souvent donner ces tourments au commencement et à la fin, et permet aussi qu'on soit travaillé de plusieurs tentations, afin d'éprouver ceux qui l'aiment, et savoir s'ils pourront boire le calice et l'aider à porter sa croix, avant que de leur communiquer de grands trésors. Vie Ch. 11.       215

6. Or sachez, mes filles, que je tiens pour certain que ceux qui parviennent à la perfection, ne demandent point à Notre Seigneur d'être délivrés des travaux, des tentations et des combats ; car ceci est un autre effet très assuré et très spécial, que c'est l'Esprit de Dieu, et non point une illusion cachée dans la contemplation et dans les grâces qu'ils reçoivent : parce qu'au contraire ils les désirent, les demandent et les chérissent : ils ressemblent aux soldats qui sont plus contents lorsqu'il y a plus de guerre, espérant de faire un plus grand butin : s'il n'y en a point, ils se passent[128] de leur solde ; mais ils voient qu'ils ne peuvent faire un grand profit en cet état. Chemin de perf. Ch. 38.

7. Ne craignez pas, mes Sœurs, d'aller par ces chemins : car il y en a plusieurs dans l'Oraison : – le chemin est assuré et vous serez plutôt délivrées des tentations en étant près de Notre Seigneur, qu'en étant éloignées. Chemin de perf. Ch. 39.

8. Le diable (a) vous remplira de mille fausses craintes pour troubler votre âme, afin qu'elle ne jouisse pas ce ces grands biens, et fera que d'autres vous en donnent. Pensez-vous qu'il lui importe peu de vous intimider ainsi ? Je vous dis qu'il lui importe grandement, parce qu'il cause par-là deux dommages ; l'un qu'il épouvante ceux qui l'écoutent, et fait qu'ils n'osent s'approcher de l'Oraison, pensant qu'ils tomberont ainsi dans les mêmes abus ; l'autre est que sans cela il y en aurait beaucoup plus qui s'appro-216

(a) Satan porte une grande envie à l'âme qui prie, et se sert de tout moyen, pour divertir son repos.

-procheraient de Dieu, voyant qu'il est si bon, et qu'il est possible qu'il se communique si intimement aux pêcheurs. Là-même ch. 40.

Le B. JEAN DE LA CROIX

9. Il arrive plusieurs fois à ces commençants que dans les exercices spirituels (sans qu'il  soit en leur puissance de s'en garantir) il s'élève[129] et ils sentent des mouvements sales, et quelquefois quand l'esprit est bien recueilli en oraison, ou bien quand ils communient, et se confessent : lesquels sans qu'ils aient le pouvoir de l'empêcher, comme je viens de dire, procèdent d'une de ces trois causes. –

La deuxième raison d'où ces rebellions parfois procèdent, c'est le Diable, lequel pour inquiéter et troubler l'âme lorsqu'elle est en oraison, ou prête de la faire, tâche d'émouvoir en la nature ces sales mouvements, qui sont très dommageables à l'âme si elle s'en met en peine ; parce que non seulement pour la crainte de telle chose il la rend lâche à l'oraison, qui est ce qu'il prétend[130], afin d'entrer en combat avec eux : mais il faut encore que quelques-uns la quittent tout à fait, estimant que cela leur arrive plus en cet exercice qu'ailleurs, comme il est véritable : car le Diable les réserve plus à ce temps pour leur faire abandonner les exercices spirituels. Et non seulement cela ; mais il vient à leur[131] représenter vivement des ordures, et parfois très conjointement à toutes sortes de choses spirituelles, et à des personnes qui profitent à leurs âmes[132], afin de les terrasser et de les abattre du tout : de manière que ceux qui font cas de cela, n'osent rien voir ni rien considérer à cause qu'elles bronchent[133] aussitôt en ceci ou en cela[134] ; ce qui arrive particuliè-217-lièrement aux mélancoliques, avec tant d'efficace et tant de véhémence qu'il y a sujet d'en avoir compassion : – ils n'en guérissent guère, – si ce n'est que l'obscure nuit entre dans l'âme qui la purifie du tout.

La troisième source d'où ces mouvements ont coutume de procéder et de faire la guerre, c'est la crainte qu'ils[135] ont déjà conçue de ces mouvements et représentations déshonnêtes : d'autant que la crainte, que la prompte ressouvenance leur en donne en ce qu'ils voient ou ce qu'ils traitent, ou ce qu'ils pensent, leur fait souffrir ces actes sans qu'il y ait de leur faute. –

Quelques-uns d'entre eux sous couleur et prétexte de Spiritualité conçoivent des affections envers quelques personnes, qui plusieurs fois procèdent de la luxure et non de l'esprit ; ce qu'on reconnaît être de la sorte, (a) lorsque par le souvenir de cette affection la mémoire et l'amour de Dieu ne croît point, mais plutôt les remords de conscience ; car quand l'affection est purement spirituelle, à mesure qu'elle croît, celle de Dieu Croît aussi : et tant plus ils se souviennent d'elle, tant plus aussi ils se souviennent de celle de Dieu et ont un désir de lui. Car l'esprit de Dieu a cela de propre qu'il accroît le bien avec le bien, à cause de la ressemblance et conformité qu'il y a. Mais quand cette affection naît du vice sensuel 218

(a) C'est la différence qu'il y a des âmes qui sont véritablement d'avec les autres, que leur approche fait tomber les tentations, recueille et porte à Dieu ; leur seul souvenir met en oraison : et les autres au contraire qui ont le cœur et le corps corrompu, n'excitent que de mauvais désirs. Ceci est une marque très sûre.

susdit, elle a des effets tout contraires ; parce que tant plus l'une croît, tant plus l'autre diminue. Et de même du souvenir : Car si cet amour croît, il verra incontinent[136] qu'il va se refroidissant en celui de Dieu et s'oubliant de lui, par le souvenir de la personne qu'il aime ; et de plus il ira sentant quelques remords de conscience : au contraire si l'amour de Dieu croît en l'âme, il se refroidit en l'autre et le met en oubli. Car comme ce sont des amours contraires, tant s'en faut que l'un aide à l'autre, que plutôt celui qui prédomine éteint et confond l'autre, et se renforce soi-même. C'est pourquoi Notre Seigneur dit dans l'Evangile ; (a) que ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est esprit. C’est-à-dire que l'amour (b) qui vient de la sensualité demeure en la sensualité, et que celui qui vient de l'esprit s'arrête en l'Esprit de Dieu et le fait croître. Voilà quelle différence il y a entre les deux amours pour les discerner et connaître. Obscure Nuit Livr. I. Ch. 4.

(a) Jean 3. V. 6.   

(b) Cette remarque est très nécessaire pour faire connaître la vérité.

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA

Rapporte

10. S. Grégoire : Il arrive souvent que l'esprit élève l'âme aux choses les plus sublimes et les plus relevées, et que néanmoins la chair l'attaque de tentations fâcheuses ; et lorsque l'esprit est conduit à la contemplation des choses célestes, il est repoussé par les images qui lui sont présentées d'une action illicite, car l'aiguillon de la chair blesse soudainement celui que la sainte contemplation ravissait hors de la chair. Le ciel donc et l'enfer sont resserrés ensemble, lorsque le même esprit est 219 élevé et illuminé par la contemplation, et obscurci par l'importunité de la tentation, afin qu'en s'élevant il voie et qu'il désire, et qu'étant revalé[137] par telles pensées, il prenne patience et tolère ce dont il est honteux : car la lumière dérive du ciel, et l'enfer est occupé par les ténèbres : le ciel dont et l'enfer sont réduits en un, lorsque l'esprit qui considère déjà la lumière de la céleste patrie, porte ainsi avec la guerre de la chair les ténèbres d'une tentation cachée. (Livr. 10. des Morales Ch. 8.) Eclairc. des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. II. Ch. 10. §. 3.

11. S. Jérôme. Fort souvent en mon oraison je me promène par les porches et galeries ou je m'occupe en des comptes de profit et d'intérêt, ou emporté par une pensée déshonnête, je souffre de choses qi sont honteuses à dire. (Dial. contre les Lucifériens.) Là-même.

12. S. Diadoche. On voit que l'âme dans le même instant du temps pense des choses honnêtes et déshonnêtes ; comme l'homme duquel nous avons apporté l'exemple, a froid et est tiède dans le même instant : car d'autant que notre âme est tombée en une double connaissance, [celle du bien et du mal][138] elle est nécessitée de supporter au même moment, bien que malgré elle, des pensées honnêtes et sales, principalement ceux qui parviennent à la subtilité de discerner ; car l'âme se hâtant de considérer quelque chose honnête, il lui vient aussitôt le souvenir du mal. (De la perf. spirit. Ch. 88.) Là-même.

13. Blofius parlant de Ste. Brigitte et Ste. Catherine de Sienne : Elles ont souffert plusieurs mouvements et pensées déshonnêtes, même au temps de la Communion et des exercices spirituels, dont elles 220 ne recevaient pas peu de douleur (a) et de déplaisir ; et par conséquent cela ne leur était pas imputé à coulpe ni à démérite, mais plutôt leur tenait lieu de mérite. C'est pourquoi Notre Seigneur dit à Ste. Catherine dolente et affligée, de quoi te désoles-tu, si cela te fait de la peine je suis là présent : et Paladius rapporte cela de soi-même. Là-même.

(a) C'est la différence des âmes vraiment à Dieu [d'avec les faux spirituels][139] : elles souffrent leurs tentations avec une extrême douleur, tâchant de ne les point regarder, mais de s'appliquer directement à Dieu, ce qui les fait tomber d'abord : au lieu que les autres s'y plongent, s'y délectent, quittent la vue de Dieu et s'en détournent tout à fait volontairement, afin de se délecter dans leur sensualité, et quittent l'oraison ou n'en font point, de peur que le souvenir du Dieu de pureté ne les tire de leur impureté.

14. Le P. Jean de Jésus-Maria : C'est une chose constante entre les Docteurs, que toutes et quantes[140] fois qu'il arrive quelque déshonnêteté contre l'intention, provenant de de quelque chose nécessaire ou convenable au corps, comme est le boire ou le manger modéré, ou à l'âme comme de prier, d'étudier, etc. il n'y a aucune coulpe (b) à ne point dé-

(b) S'il n'y a point de coulpe à ne se pas désister de ce que l'on fait, combien à plus forte raison n'y a-t-il point d'inconvénient de se détourner de ces pensées par une forte application à Dieu. O si je pouvais faire comprendre comme c'en est l'unique remède, et comme elles tombent d'elles-mêmes par cette occupation de la présence de Dieu ! Vous savez, mon Seigneur que je dis la vérité : mais parce que cette vérité coule par un canal si méprisable, elle ne sera pas crue.  221

désister[141] de cette occupation-là. Là-même.

15. Encore S. Grégoire : Celui qui est plus ravi en contemplation, est plus travaillé de tentation ; comme il arrive souvent à ceux qui profitent bien, que lorsque leur esprit est touché de la componction ou ravi par la contemplation par-dessus soi-même, il est aussi talonné et suivi incontinent de la tentation, de peur qu'il ne s'enfle et s'enorgueillisse des choses auxquelles il est ravi : Car par la componction[142] ou la contemplation il est élevé à Dieu ; mais par le poids de la tentation est-il repoussé vers soi-même ; en tant qu'elle l'appesantit, afin que la contemplation ne s'avance[143]. (Livr.2 sur Ezech. Homil. 14.) Là-même. Ch. 11. § 1.

16. – Comment est-il dit (Job. 30. vs. 13.), il n'y a eu personne qui donnât du secours ; si ce n'est que Dieu tout puissant laisse quelque fois pour un temps ceux qu'il aime pour jamais : car Dieu aide ses Saints, en les visitant ; les éprouve, en se retirant ; les confirme par les dons ; les tente par les tribulations : d'où vient que le Sage (a) a bien dit ; il l'a spécialement élu, il attirera sur lui la crainte et l'épreuve, et le tourmentera dans la tribulation de la doctrine jusqu'à ce qu'il l'ait tenté en ses pensées. (Moral. Livr. 20. Ch. 19.) Là-même.

(a) Eccli. 4. vs. 18, 19.

Le P. BENOIT DE CANFELD

17. la première de ces imperfections subtiles et inconnues en cette vie suressentielle, c'est de contester ou combattre contre les pensées superflues et distractions : et la raison est, d'autant que par telle contestation les pensées s'impriment plus fortement dans l'esprit. Car comme la volonté qui aime ou hait une chose, réveille l'intel-222-tellect pour la comprendre, et la mémoire pour s'en souvenir ; il s'ensuit que d'autant plus que la volonté hait et s'émeut contre ses propres pensées, d'autant plus elles sont comprises de l'entendement et ressouvenues de la mémoire, et plus imprimées dans l'esprit : Voilà pourquoi il ne faut pas s'émouvoir et contester contre les pensées et les distractions. Une autre raison est que d'autant plus on conteste, d'autant plus il y a de mouvements et d'actes dans l'âme ; et ainsi d'autant plus est-on éloigné, selon notre règle, de cette mort et anéantissement ; puisque tant plus on fait, tant plus on est.

Le remède de cette imperfection et de cette contestation est son contraire, à savoir le mépris de telles pensées et distractions ; et l'anéantissement de soi-même en cet abîme de lumière et de vie ; où étant anéanti, les pensées conséquemment s'évanouiront. Car le même abîme qui anéantit la personne, noie aussi les distractions. Et il ne faut pas faire différence entre le sentir et non-sentir de ses pensées, mais se tenir toujours ferme et assuré dans son rien, et laisser combattre son Tout, à savoir cette volonté essentielle, ou son Dieu. Et cette sorte de conduite (je ne dis pas combat) se doit observer en cette vie suréminente contre toutes les tentations. Règle de la perfection. Part. 3. Ch. 10. n. 1.

S. FRANCOIS DE SALES

18. Voyez Quiétude. §. 1. N. 48.

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE

19. La volonté qui dans sa quiétude plaisante et savoureuse est tourmentée de la partie inférieure, doit prendre garde de ne pas acquiescer ni adhérer au sens ainsi troublé, mais le méprisant elle doit nourrir son repos et sa quiétude le plus 223 qu'elle peut. Il y a des âmes qui s'affligent fort quand leur partie inférieure traverse le doux repos de leur volonté. Ste. Thérèse en était une. Quelquefois, disait-elle (a) je désirerais mourir d'autant que ne puis point remédier à cette inconstance de pensées. Mais il ne faut pas adhérer à cette partie inférieure qui est insensée ; parce que cela empêche l'âme de conserver et de fortifier la quiétude qui réside en la volonté, n'y ayant rien qui la fasse plutôt perdre ni[144] le goût aussi que l'on ressent en cette quiétude, que de s'arrêter aux sottes pensées qui la brouillent en tel temps. C'est pourquoi la même Sainte au lieu cité donne un bon conseil. La volonté, dit-elle, se voyant en cette quiétude, ne doit point se soucier de l'entendement, ou de la pensée, ou de l'imagination, car je ne sais lequel c'est, non plus que d'un fou ; parce que si elle le veut amener après soi, il faudra qu'il l'empêche ou inquiète et trouble en quelque chose[145] ; et en ce degré ici d'oraison elle n'en aura autre chose que tu travail sans y gagner davantage, mais plutôt elle y perdra ce que Notre Seigneur lui donne sans aucune peine de sa part.

C'est pourquoi le premier avis que je donne, est de mépriser les boutades de nos sens. Premièrement parce que comme dit Ste. Thérèse, le sens est un fou. Un Théologien Mystique apporte une autre raison : Il le faut négliger, dit-il (b) comme celui qui n'a nul commerce et nul rapport avec le goût, dont la volonté par autre voie que lui[146] jouit avec Dieu. J'enchéris et je dis pour troisième raison ; que non seulement le sens n'a point de commerce ni d'alliance avec la jouissance et le 224

(a) Chem. De perf. Ch. 31.

(b) Barbançon Secrets sentiers. Livr. 2. Ch. 15.

repos de la volonté, mais qu'il lui est diamétralement opposé et comme ennemi juré ; et partant qu'elle ne doit pas faire cas de lui. Quatrièmement, il n'y a rien qui le rende plus morfondu, ni qui émousse plus la pointe de ses armes que le mépris. Cinquièmement, ce mépris est le remède général que les Maîtres de la vie spirituelle conseillent, et en cela et en toute chose. Ste. Thérèse le dit parlant de cette oraison en plusieurs endroits. Et donc puisque ce tourment et agitation de la partie inférieure ne nous ôte point le goût et le repos de la quiétude de la volonté, de quoi nous mettons-nous en peine ? qu'il demeure tant qu'il voudra : il suffit que nous soyons assurés que Dieu nous le laisse pour exercer notre patience.

Le second avis que je donne à l'âme, est de ne s'efforcer point plus que de raison, de ramener le sens à son devoir ; parce que cet effort qu'elle fera pour l'apaiser et l'attirer à son goût, ne lui peut-être que préjudiciable en tel état pour plusieurs raisons : Premièrement, parce qu'il est inutile, le sens n'obéissant pas à la raison. Secondement voyant ces efforts inutiles, elle aura de l'inquiétude, croyant que la furie de cette partie inférieure est un empêchement pour jouir de son doux repos, et que ce désarroi est un grand mal ; et cette  inquiétude est très contraire à cette oraison de repos, et la tristesse à son goût[147]. La troisième raison est que travaillant son esprit pour apaiser les révoltes de la partie inférieure, la volonté embrasse plus d'affaires qu'elle n'en peu digérer. Le soin d'apaiser les sens est seul capable d'engloutir toute son attention ; celui d'entretenir le goût de Dieu n'en demande pas moins : ayant deux fusées[148] à démêler si difficiles qu'à peine peut-elle 225 satisfaire à une, comment le pourrait-elle à toutes deux ? Et ainsi elle tombera accablée sous le faix[149], comme l'a remarqué ci-dessus Ste. Thérèse. La quatrième raison est, que le pénible et inutile travail que prend l'âme d'apaiser le sens troublé, lui fait perdre le goût de son repos savoureux ; parce que l'attention qu'elle donne au sens, diminue celle qu'elle doit à l'entretien de ce goût ; et que le défaut d'attention et de coopération à telles grâces les diminue, ou fait évanouir tout à fait. Elle perdra, dit Ste. Thérèse, ce que le Seigneur lui donne sans aucun sien travail[150] ; et force lui sera de laisser tomber le lait de la bouche et de perdre cette viande divine. – Et en son Château de l'âme, donnant la raison pour laquelle la partie inférieure tourmente ainsi et traverse la quiétude de la volonté, c'est à cause, dit-elle, que l'entendement ne peut comprendre ce que la volonté veut et aime ; par l'entendement cette Sainte entend l'imagination, car elle confond ces deux choses. Ce qu'elle confirme autre part, en disant (a) ; l'entendement a honte de voir qu'il n'entend pas ce que l'âme veut, et ainsi il va de part à autre[151] comme étourdi et tout étonné ; car il ne s'assied et ne se repose en chose aucune. La volonté est si plongée en Dieu que l'inquiétude de l'entendement lui donne une grande peine ; et partant il ne faut point qu'elle en fasse cas, car il lui ferait perdre beaucoup de ce dont elle jouit : mais il faut qu'elle le laisse là et qu'elle s'abandonne entre les bras de l'amour : car sa Majesté lui enseignera ce qu'elle doit faire en ce temps-là ; et quasi le tout gît[152] à s'estimer indigne d'un si grand bien, et à s'employer en actions de grâces. Il arrive souvent que quelqu'un voulant 226

 (a) Dem. IV. Ch. 3.

empêcher un autre de se noyer, se noie avec lui et perd la vie qu'il veut sauver : ainsi l'âme voulant tirer le sens au point de tranquillité et de repos, se noie avec lui dans les eaux de ses inquiétudes, perdant la grâce de son précieux repos. Livr. IV. Traité VII. Ch. 6. Sect. 6.

20. Si la pensée ou l'entendement s'écoule à des choses impertinentes, il faut se rire de lui comme d'un insensé, et se tenir en son repos et quiétude ; parce qu'il ira et viendra : et parce que la volonté est ici la maîtresse, elle le ramènera sans que l'âme s'en empêche[153].

Secondement parce que les sens d'eux-mêmes s'apaiseront ; car ils ne peuvent pas toujours continuer leur révolte contre leur reine. Quand les abeilles prennent l'essor, si la maîtresse mouche, qui est leur reine, ne sort point avec elles, elles retourneront bientôt ; car elles ne peuvent vivre sans elle : ainsi en feront nos sens quand ils s'égarent en mille distractions et fantaisies, si la volonté se tient en sa quiétude, savourant le doux miel de cette ruche ; ces mouches importunes rechercheront leur maîtresse sans laquelle elles ne peuvent demeurer en repos. Car il y a une telle sympathie de ces puissances à la volonté, qui est leur reine et leur mère, que bien que pour un temps elles se débandent[154] de sa maison et obéissance ; néanmoins si elle fait semblant de ne s'en pas soucier, elles retourneront au logis comme l'enfant prodigue ; se souvenant que quand elles étaient d'accord avec la raison leur mère, elles jouissaient d'une grande paix et d'un grand plaisir. Là-même. Sect. 7.

21. Le premier profit que pourrait tirer la volonté du désordre des sens, serait, une force indomptable pour conserver sa paix contre les efforts 227 de ses ennemis, et empêcher qu'ils ne puissent altérer son goût. –

Cette oraison tourmentée par la partie inférieure est plus méritoire à l'âme et plus précieuse devant Dieu, que celle qui est exempte de tourment. –

Lorsque l'âme a ses passions émues, et que nonobstant elle rentre en soi-même avec un repos doux et un goût sans inquiétude, elle apprend à se tenir en repos toutes les fois qu'elle a ses mêmes sens émus, et qu'elle est sevrée de ce doux lait ; parce que lorsqu'elle est en sécheresse sans aucun goût, elle doit s'introvertir tranquillement et doucement, sans se soucier de ses passions ou imaginations, ainsi qu'elle fait lorsque Dieu lui donne un repos et un goût plaisant ; ce qui n'est pas un petit profit. Là-même. Sect. 8.


 

XVIII. Entendre. Intelligence. Parole. Dieu parle à l'âme

On n'a pu séparer ces deux verbes parler et entendre.

MOYEN COURT

La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, c'est que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin qu'il soit reçu dans l'âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu'il est.

Or il est certain que pour recevoir la parole 228 il faut prêter l'oreille et (a) écouter. L'ouïe est le sens qui est fait pour recevoir la parole qui lui est communiquée. L'ouïe est un sens plus passif qu'actif, qui reçoit et ne communique pas. Le Verbe étant la parole qui doit se communiquer à l'âme et la revivifier, il faut qu'elle soit attentive à ce même Verbe, qui veut lui parler au-dedans d'elle.

C'est pourquoi il y a tant d'endroits qui nous exhortent d'écouter Dieu, et de nous rendre attentifs à sa voix. – (b) Ecoutez-moi vous tous qui êtes mon peuple : nation que j'ai choisie. Ecoutez-moi vous tous que je porte en mon sein, et que je renferme dans mes entrailles. (c) Ecoutez, ma fille, voyez et prêtez l'oreille : oubliez la maison de votre père, et le Roi concevra de l'amour pour votre beauté. Il faut écouter Dieu, se rendre attentif à lui, s'oublier soi-même, et tout propre intérêt : ces deux seules actions (ou plutôt passions, car cela est fort passif,) attirent l'apour de la beauté que lui-même communique.

Le silence extérieur est très nécessaire pour

(a) Tout ceci ne s'entend pas d'écouter extérieurement ; mais d'une attention simple à Dieu par le moyen du silence intérieur.

(b) Isa. 51. vs. 4. Ch. 46. vs. 3.

(c) Ps. 44. vs. 12.

229 cultiver le silence intérieur ; et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite. Dieu nous le dit par la bouche de son Prophète : (a) Je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cœur.

Le moyen d'être occupé de Dieu intérieurement, et de s'occuper extérieurement de mille bagatelles ? Cela est impossible. Chap. 14. n. 1, 2, 3.

(a) Osée. 2. vs. 14.

O si l'on connaissait le bonheur qu'il y a d'écouter Dieu de la sorte, et combien l'âme en est fortifiée. (b) Il faut que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Ch. 21. n. 11.

(b) Zach. 2. vs. 13.

CANTIQUE

Cette âme, qui est endormie pour tout le reste, est plus attentive à la voix de son Bienaimé : elle l'entend et le distingue d'abord : voilà la voix de mon Bienaimé, dit-elle ; je le connais, je l'entends, et l'effet qu'il opère en moi ne me permet pas d'en douter. Ch. 2. vs. 8.

La voix de mon humanité vous invite à venir vous perdre et vous cacher avec elle dans le sein de mon Père : Vous entendrez mieux 230 cette vois lorsque vous serez dans la terre où je vous appelle, que vous ne faites à présent, qu'elle vous est encore inconnue. Cette voix de ma simplicité et de mon innocence, dont je veux vous gratifier, est bien différente de la vôtre. Là-même. vs. 12.

J'ai mis en bien des endroits qu'on a peine à se faire entendre. Tout cela est renfermé dans la phrase d'Entendre.

AUTORITÉS

S. DENIS

1. Voyez Foi nue. n. 4.

2. (Parlant de la première cause divine.) Derechef en montant nous disons qu'elle n'est ni âme ni entendement, qu'elle n'a ni imagination ni opinion, ni raison, ni intelligence ; qu'elle n'est point aussi ni parole, ni pensée, et qu'elle n'est ni énoncée ni entendue. –

Elle n'est aucune des choses qui n'ont point d'être ni de celles qui ont l'être : et nulle des choses qui ont de l'être ne la connaît en la façon qu'elle est : aussi ne connaît-elle point les choses qui sont, en la façon qu'elles sont. Il n'y a d'elle ni parole, ni nom, ni science : elle n'est ni lumière, ténèbres, ni vérité. Théol. Myst. Ch. 5.

3. Le mystère de Jésus-Christ est caché et n'a été divulgué par aucune parole, ni révélé à aucun entendement, comme il est en soi : mais encore qu'il se dise et se profère, il demeure néanmoins 231 inexplicable par paroles, et lors même qu'il est pensé et entendu il demeure inconnu et non entendu. Epître 3.

L'IMITATION DE JESUS CHRIST

4. Celui qui écoute la Parole éternelle ne s'embarrasse point dans les questions inutiles. Tout a été fait par cette unique Parole, ce principe souverain qui parle à nos cœurs. Sans elle nul ne peut ni bien comprendre les choses, ni en juger sainement. Celui qui trouve tout dans l'unité souveraine, qui rapporte tout à cette unité, et qui voit tout dans cette unité, conservera son cœur en paix dans le sein de Dieu. O Vérité qui êtes mon Dieu, rendez-moi une même chose avec vous en me liant à vous par une éternelle charité. Je m'ennuie souvent de tant lire et de tant écouter ; c'est en vous seul que je trouve tout ce que je cherche et que je désire. Que tous les Docteurs se taisent, que toutes les créatures demeurent en silence devant vous ; parlez-moi vous seul. Livr. 1. Ch. 3. §. 2.

5. J'écouterai ce que le Seigneur dit à mon cœur. Heureuse est l'âme qui écoute Dieu qui lui parle, et qui reçoit de sa bouche la parole qui le[155] console ! Heureuse est l'oreille qui entend les sons sacrés de ce langage divin, et qui se rend sourde[156] aux bruits et au tumulte du monde ! Heureuse encore une fois est l'oreille qui n'écoute point une parole, qui résonne au dehors, mais qui entend la vérité même, qui l'enseigne divinement et dans le fond du cœur. Livr. 3. Ch. 1. §. 1.

6. Parlez Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute. Je suis votre serviteur, donnez-moi l'intelligence, afin que j'apprenne ce que vous me commandez. Rendez mon cœur soumis aux paroles 232 de votre bouche ; et faites qu'elles pénètrent dans mon âme comme une rosée céleste. Les Israélites disaient autrefois à Moïse : (a) Parlez-nous et nous vous écouterons : mais que le Seigneur ne nous parle point de peur que nous ne mourions. Ce n'est point là la prière que je vous fais ; non, mon Dieu, je ne vous fais point cette prière : mais je vous demande avec un humble désir la même grâce que vous demandait le Prophète Samuel lorsqu'il vous disait ; (b) Parlez Seigneur, parce que votre serviteur vous écoute. Que Moïse ni aucun des Prophètes ne me parle point ; mais parlez-moi vous-même, mon Seigneur et mon Dieu, qui avez été l'oracle et la lumière de tous les Prophètes : car vous pouvez seul sans eux m'enseigner parfaitement ; et eux sans vous ne me serviront de rien.

Ils peuvent bien faire entendre leurs paroles ; mais ils ne peuvent donner la grâce et l'esprit. Ce qu'ils disent est admirable ; mais le cœur n'en est point touché si vous-même ne lui parlez. –

Parlez-moi parce que votre serviteur vous écoute, et que vos paroles (c) donnent la vie éternelle. Livr. 3. Ch. 2. §. 1, 2, 3.

(a) Exod. 20. vs. 19.   (b) 1 Rois 3. vs. 10.   (c) Jean 6. vs. 69.

7. Mon fils, écoutez mes paroles pleines d'une douceur céleste, et qui passent infiniment la science présomptueuse de tous les Sages du monde. Mes paroles (d) sont esprit et vie, et elles ne doivent point être considérées par le sens humain. Vous ne devez point les écouter pour prendre une complaisance vaine, mais vous les devez recevoir en silence avec une humilité profonde et une affection pleine d'ardeur. Là-même. Ch. 3. §. 1.                    233

 (d) Jean 6. vs. 64.

8. Je suis la Souveraine Vérité ; je vous enseignerai ce qui est juste et ce qui me plaît. Là-même. Ch. 4. § 3.

9. C'est moi qui enseigne sans bruit de paroles. Là-même. Ch. 43. §. 3.

HARPHIUS

10. Quand nous outrepassons toutes choses par amour, mourant à toute considération, nous entrons dans une certaine ignorance et obscurité : là nous sommes mus et revêtus du Verbe éternel, qui est l'image du Père ; et dans l'inaction de notre esprit nous recevons une clarté incompréhensible ; – c'est une vue sans bornes ; enfin nous devenons ce que nous voyons dans une lumière qui nous transforme en Dieu. Etc. Théol. Myst. Livr. 3. Part. 1. Ch. 2.

Ste. CATHERINE DE GENES

11. Un entendement humilié voit, entend goûte et sent ce secret, et arrive bientôt à l'union divine. Vie Ch. 31.

12. La langue en peut parler en quelque sorte, et non de tout : car l'entendement est plus grand en capacité que n'est la capacité de s'exprimer par la langue. Mais pour la grande abondance de cette intelligence, et pour le grand sentiment que Dieu verse dans l'âme, la langue ne se peut taire ; et toutefois elle ne peut dire ce qu'elle voudrait : et ceux qui ne sont point dépouillés de leurs mauvaises habitudes, ni illuminés d'en haut, ne peuvent comprendre ce que cette langue dit alors ; parce que si l'entendement n'a la lumière de la grâce, il n'entend ces choses que confusément sans goût et sans sentiment. Ch. 32.

Le B. JEAN DE LA CROIX

13. Puisque Dieu n'est compris sous aucune forme ni intelligence distincte, l'âme aussi pour s'unir 234 à Dieu ne doit point tomber sous forme ni intelligence distincte. Or qu'en Dieu il n'y ait aucune forme ni semblance, le S. Esprit le donne assez à entendre disant : (a) Vous avez ouï la voix de ses paroles, et vous n'avez vu aucune forme. – Vous n'avez vu aucune semblance le jour que le Seigneur parla du milieu du feu sur le Mont Oreb. – (b) S'il y a quelque Prophète entre vous, je lui apparaîtrai en vision, ou je parlerai à lui en songe : Mais il n'y en a point comme mon serviteur Moïse, lequel en toute ma maison est très fidèle : car je parle à lui bouche à bouche ; et il ne voit pas Dieu par énigmes et figures, mais ouvertement. Montée du Mont Carm. Liv. 2. Ch. 16.

(a) Deut. 4. vs. 12, 15.    (b) Nomb. 12. vs. 6, 7, 8.

14. La principale cause pourquoi les demandes qu'on faisait à Dieu dans l'ancienne loi, étaient permises, et qu'il était convenable que les Prêtres et les Prophètes demandassent des visions et révélations de Dieu, c'est qu'alors la foi n'était pas encore tant fondée, ni la loi Evangélique établie ; et partant, ils avaient besoin que Dieu parlât à eux tantôt par des paroles tantôt par des visions, maintenant par des révélations, d'autres fois en figures. – parce que tout ce qu'il répondait, parlait et révélait, était des mystères de notre foi, ou des choses concernantes[157] et adressées à elle. – Mais à présent que la foi est fondée en Jésus-Christ, et que la loi Evangélique est manifestée en cet état de grâce, il ne s'en faut plus enquérir, ni vouloir que Dieu réponde comme auparavant. Car en nous donnant son Fils qui est son Verbe et son unique Parole, il nous a dit et révélé (c) toutes choses en une seule fois par cette 235 seule parole. Là-même. Chap. 22.

(c) De la Vraie Révélation de J. Christ. Voyez Extase. n. 11, 12, 13. Etc.

15. Touchant ces paroles [substantielles][158] l'âme n'a rien à faire ni à vouloir pour lors de soi, mais qu'elle s'y tienne avec résignation et humilité prêtant son libre consentement à Dieu : Elle n'a aussi rien à rebuter ni à craindre : elle n'a que faire de travailler à opérer ce qu'elles disent, parce qu'avec ces paroles substantielles Dieu l'opère[159] en elle et avec elle ; ce qui est différent dans les formelles et successives : elle n'a rien à rejeter, parce que leur effet demeure substantié dans l'âme et rempli des biens de Dieu, lequel comme elle le reçoit passivement, son action y est moins en tout : elle ne doit point aussi craindre de tromperie (a), parce que ni l'entendement ni le Diable ne peuvent point s'entremettre en cela. Montée du Mont Carm. Livr. 2. Ch. 31.

(a) Moins il y a de notre action, moins il y a de tromperie.

16. Ces féconds sentiments intérieurs sont très hauts, très éminents et très utiles, dont ni l'âme ni celui qui la gouverne ne peuvent savoir, ni entendre la cause d'où ils procèdent, ni quelles sont les bonnes œuvres pour lesquelles Dieu lui fait ces faveurs, d'autant qu'elles ne dépendent point d'œuvres que l'âme fasse ni de considérations qu'elle ait, encore que ces choses soient de bonnes dispositions à cela[160]. Dieu les donne à qui lui plaît et pour ce qu'il lui plaît. Là-même. Ch. 32.

17. Voyez Foi nue. n. 17.

18. Comme la sagesse de cette contemplation est le langage de Dieu à l'âme de pur esprit, ce que les sens ne sont pas, ils ne le peuvent comprendre, et ainsi cela leur est caché et ils ne le savent et ne le peuvent dire. Obsc. Nuit. Livr. 2. Chap. 17.                236

19. Car ici leurs langues trop basses

Bégayant une je ne sais quoi,[161]

Qui me tue et me met hors de moi.

C'est comme si l'âme disait ; Mais outre la plaie que je reçois de ces créatures au récit qu'elles me font de la multitude de vos grâces, il y a un tel je ne sais quoi, qu'on sent rester à dire, et une chose qu'on connaît demeurer à couvert, et un sublime vestige de Dieu qu'on découvre à l'âme, qui reste à suivre, poursuivre et rechercher, et une très haute connaissance de Dieu qu'on ne peut expliquer, laquelle pour cela elle appelle un je ne sais quoi. Tellement que si l'autre que j'entends me navre et me blesse d'amour, celui-ci que je n'achève point d'entendre et dont j'ai un haut sentiment, me fait mourir. Cela arrive parfois aux âmes avancées auxquelles Dieu, en ce qu'elles entendent ou voient ou connaissent, et quelquefois sans ces choses, fait la faveur de donner une notice relévée[162], en laquelle on le donne à entendre ou à sentir la hauteur et grandeur de Dieu : et en ce sentiment l'âme sent de Dieu si hautement, qu'elle entend clairement que tout reste et demeure à entendre. Et cette intelligence et sentiment, que la divinité est si immense qu'elle ne se peut entendre parfaitement, c'est une connaissance très excellente, très haute et très éminente : et ainsi l'une des plus grandes faveurs que Dieu fasse en passant en cette vie, c'est de donner clairement à entendre à l'âme et la faire sentir si hautement de Dieu, qu'elle entend et connaît manifestement qu'on ne peut l'entendre ni sentir entièrement ; parce que c'est aucunement à la façon de ceux qui le voient dans le ciel, où ceux qui connaissent davantage, entendent plus distinctement l'infini qui leur reste à 237 entendre que ceux qui le voient moins, auxquels ce qui leur demeure à entendre ne paraît pas si distinctement comme aux autres qui le voient davantage. Je crois que celui qui ne l'aura pas expérimenté, ne le pourra bien entendre ; mais l'âme qui en a l'expérience, comme elle voit que ce dont elle a un très haut sentiment, lui reste à entendre, elle l'appelle un je ne sais quoi, parce que, comme on ne l'entend pas, aussi on ne le peut dire encore qu'on sache bien le sentir. Cantique entre l'Epouse et l'Epoux. Coupl. 7.

20. Dans cet état actuel l'âme ne peut faire ces actes, si le S. Esprit ne l'y pousse très particulièrement ; c'est pourquoi tous ses actes sont divins, en tant qu'elle est mue de Dieu avec cette particularité. D'où vient qu'il lui semble qu'à chaque fois que cette flamme flamboie, la faisant aimer avec la faveur et tempérament divin, on lui donne la vie éternelle qui l'élève à l'opération divine en Dieu.

C'est le langage que Dieu parle, et dont il se sert avec les âmes purgées et nettes, qui est de (a) paroles toutes embrasées, comme dit David ; (b) Vos discours sont grandement ardents, et le Prophète Jérémie ; (c) Peut-être que mes paroles ne sont pas comme du feu, lesquelles, comme le même Seigneur dit en S. Jean, (d) sont esprit et vie, desquelles sentent la vertu et l'efficace les âmes qui ont des oreilles pour les entendre[163], qui ont des âmes pures et éprises d'amour : car celles qui n'ont pas le palais sain et qui savourent d'autres choses, ne peuvent goûter l'esprit et la vie

(a) Ce ne sont point paroles distinctes, mais impressions opérantes et efficaces.

(b) Ps. 118. vs. 140.   (c) Jer. 23. vs. 29.

(d) Jean 6. vs. 64.

238 qui est en elles. C'est pourquoi tant plus le Fils de Dieu parlait hautement, tant moins quelques-uns y prenaient de goût, à cause de leur impureté, comme quand il prêcha cette tant savoureuse et amoureuse doctrine de la sacrée Eucharistie, plusieurs se retirèrent. Et parce que telles personnes ne goûtent pas le (a) langage de Dieu qui parle si fort en l'intérieur, elles ne doivent toutefois pense que d'autres ne les savoureront pas, comme S. Pierre les goûta bien quand il répondit à Jésus-Christ : (b) Seigneur, à qui irions-nous ? vous avez les paroles de la vie éternelle. Et la Samaritaine (c) oublia l'eau et la cruche pour la douceur des paroles de Dieu. Vive flamme d'amour Cant. 1. vs. 1.

(a) Cette parole est une intelligence savoureuse, qui dit tout sans rien dire, qui exprime tout sans rien spécifier.

(b) Jean 6. vs. 69.    (c) Jean 4. vs. 28.

21. Ainsi l'âme étant si près de sa Majesté divine, qu'elle est transformée en flamme d'amour où le Père, le Fils et le S. Esprit lui sont communiqués, est-ce une chose incroyable de dire qu'en cette inflammation du S. Esprit elle goûte un peu de la vie éternelle, bien que ce ne soit pas parfaitement parce que la condition de cette vie ne le permet ?

C'est pourquoi elle appelle cette flamme vive : non qu'elle soit jamais autrement ; mais parce qu'elle lui cause un te effet, qu'il la fait vivre en Dieu spirituellement, et goûter la vie de Dieu à la manière que dit (d) David : mon cœur et ma chair se sont réjouis au Dieu vivant : non qu'il soit besoin de dire vivant, car Dieu l'est toujours ; mais pour donner à entendre que l'esprit et le sens

 (d) Ps. 83. vs. 3.

239 goûtaient (a) vivement Dieu, et cela est se réjouir en Dieu vivant : et ainsi l'âme en cette flamme sent vivement Dieu et le goûte si savoureusement qu'elle dit : O vive flamme, ô sainte ardeur ! Là-même.

(a) Pour ne rien confondre, il faut comprendre que ces sentiments dont il est parlé ici sont bien différents des premiers auxquels il a fallu mourir, parce qu'ils étaient mêlés d'impuretés. Ce sont des sentiments purifiés et qui viennent de l'opération de Dieu immédiate et substantielle qui rejaillit sur les sentiments d'une manière autant pure qu'elle est instable.

22. Voyez Union. n. 55.

23. Voyez Actes. n. 10.

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA

rapporte

24. S. Thomas. Dire, se rapporte en trois manières à ce qui est dit ; l'une par une manière (b) d'énonciation. – L'autre en la façon d'une cause, et ceci convient premièrement et principalement à Dieu, parce qu'il a fait toutes choses par son Verbe selon ce que dit le Psalmiste (c) : Il a dit et elles ont été faites. (2. 2. q. 76. a. 6.) Eclairciss. des Phr. Myst. P. II. Ch. 5. §. 1.

(b) Ce parler est opération dans l'âme.

(c) Ps. 32. vs. 9.

25. S. Bernard. La langue du Verbe c'est la faveur de sa bonté ; mais celle de l'âme, c'est la ferveur de la dévotion. Lorsque le Verbe remue cette langue voulant parler à l'âme, l'âme ne saurait ne le point sentir. – Au Verbe donc, dire[164] (d) à l'âme,

(d) Dieu parle quelquefois à l'âme non avec des formes mais substantiellement ; d'autrefois sans rien dire, et presque toujours il imprime l'opération sans parole connue.

240 tu es belle, et l'appeler amie, c'est lui donner de pouvoir aimer et présumer d'être aimée. – Et partant le parler du Verbe c'est l'infusion du don, la réponse de l'âme c'est l'admiration avec action de grâces etc. (Serm. 45. sur le Cant.) Là-même.

26. Ste. Thérèse. Etant en cette grande angoisse ces paroles seules furent suffisantes pour me tirer de peine, et me pacifier entièrement : Ne crains point ma fille, je ne t'abandonnerai point, ne crains point. Il me semble selon l'état où j'étais qu'il eût fallu plusieurs heures pour me persuader que je me misse en repos, et que personne ne l'eût pu faire ; et me voilà avec ces seules paroles dans le calme avec force, courage, assurance, tranquillité et lumière ; de manière qu'en un instant je vis mon âme toute changée, et il me semble que j'eusse disputé et soutenu contre tout le monde que c'était le bon Esprit. O bonté de Dieu merveilleuse ! Ses paroles sont véritablement des œuvres –. Et ainsi je disais : Qui est celui-ci à qui toutes mes puissances obéissent de la sorte et qui en un moment donne lumière et clarté dans une si grande obscurité. (Vie. Chap. 25.) Là-même.

27. S. Bonaventure. Considérez que la porole de Dieu qui sort de sa bouche, ne retourne pas vide à Dieu ; mais elle est utile et féconde, et fait toutes les choses pour lesquelles il l'a envoyée, afin que vous puissiez aussi dire, la grâce (a) de Dieu n'a point été vide en moi. (Chem. 2. de l'étern.) Là-même.

(a) 1 Cor. 15. V[165]. 10.

28. Le B. Thomas de Villeneuve. Ce que je crois aussi s'accomplir aux Saints en cette vie, lorsque Dieu, non pas les Ecritures, mais par 241 Lui-même, leur parle, et ce qui est écrit s'accomplit ; (a) ils seront tous capables des enseignements de Dieu : lors que l'Esprit parle de la sorte, toute lettre est à dégoût. (sur le Cant.) Là-même. ajoutant :

(a) Jean 6 V[166]. 45.

29. Laquelle doctrine de la parole de Dieu opérante et effective ou infuse S. Grégoire enseigne aussi : Donc le répondre de Dieu c'est de verser dans leurs âmes l'attente volontaire de sa visite. (Livr. 2. des Moral. Ch. 4.)

30. Le P. Barthélémy des Martyrs a très bien enseigné que ces paroles se font dans les silences de l'âme : Car, dit-il, lorsque les facultés de l'âme se taisent et cessent de leur propre action, Dieu parle lui-même, et dispose et meut à sa volonté ces puissances de l'esprit, faisant en l'âme une œuvre très noble et très excellente. (Abrégé. P. 2. Ch. 11.) Ce que Samuel a voulu exprimer disant à Dieu : (b) parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute : et dans l'Ecclésiastique cela est exprimé en ces termes : (c) Ecoutez en vous taisant, et pour la révérence la bonne grâce s'approchera de vous. Là-même §. 3.

(b) 1 Rois 3. V[167]. 10.    (c) Chap. 32. V[168]. 9.

31. S. Bernard. Je confesse que le Verbe est venu chez moi plusieurs fois : mais encore qu'il y soit souvent entré, (d) je ne l'ai pas senti. Quelquefois lorsqu'il y est entré, je l'ai senti présent, il me souvient qu'il a été présent, j'ai même pu quelque fois pressentir son entrée, mais jamais la sentir, non pas même sa sortie. Car d'où il est venu en mon âme, om il s'en est allé

(d) Ignorance de l'opération divine quelque fois à cause de sa délicatesse.

242 en se retirant, ni par où il est entré ou sorti. Je confesse encore à présent que je l'ignore, suivant ces paroles : (a) Tu ne sais où il va, ou d'où il vient ; et toutefois ce n'est pas merveille, parce que c'est lui auquel il a été dit ; (b) Tes vestiges[169] ne se connaîtront point. – Donc le Verbe Epoux entrant quelque fois chez moi de la sorte, n'a jamais fait connaître son entrée par aucun indice, ni par la voix, ni par la beauté, ni par le marcher. (Serm. 74. Sur le Cantique.) Là-même Chap. 6. §. 1.

(a) Jean 3. V[170]. 8.    (b) Ps. 76. V[171]. 20.

32. S. Bonaventure. Quelques fois ô bon Jésus, haletant et aspirant après vous, comme les yeux fermés, vous me mettez dans la bouche du cœur ce qu'il ne m'est pas permis de connaître. (Soliloq.) Là-même.

Le P. JACQUES DE JESUS

rapporte

33. S. Bernard. Quelqu'un possible me demandera ce que c'est que jouir du Verbe. Je réponds qu'il cherche plutôt quelqu'un qui en ait l'expérience ; ou bien, moi-même si je l'avais, pensez-vous que je puisse exprimer ce qui est ineffable ? Ecoutez un homme qui l'avait expérimenté : (c) Soit que nous soyons en excès d'esprit auprès de Dieu, c'est pour Dieu ; soit que nous soyons sobres, c'est pour vous ; c’est-à-dire : C'est autre chose avec Dieu, lui seul en étant l'arbitre, et autre chose avec vous ; il m'a été permis d'expérimenter cela, mais non pas de l'expliquer (*) O vous qui êtes curieux de savoir ce que c'est que jouir du Verbe, préparez-lui non pas l'oreille, mais l'esprit ! La langue n'enseigne pas ceci, mais la grâce : il est caché aux sages et aux

(c) 2 Cor. 5. V[172]. 13.

(*) Oraison. §. 1. n. 15.

243 prudents et se révèle aux petits ; (+)[173] Mes frères, que l'humilité est une grande et sublime vertu, qui mérite ce qu'on ne lui enseigne pas, qui est digne d'obtenir ce qu'on ne saurait apprendre, digne de concevoir par le Verbe et du Verbe ce qu'elle ne peut exprimer de paroles ! Pourquoi cela ? Ce n'est pas quelle le mérite ; mais c'est parce qu'il a ainsi plu au Père du Verbe, l'Epoux de l'âme, Notre Seigneur Jésus-Christ. (Serm. 85. sur le Cantiq.) Notes sur J. de la Croix Disc. 1. §.1. Où le même P. Ajoute.

34. En ces matières si hautes et si spirituelles, comme disent les Saints, où l'expérience surmonte la doctrine, où celui qui le sait ne le peut dire, où la langue n'est pas maîtresse, mais la grâce, où l'humilité atteint à ce qui prend l'essor et s'envole, et où elle apprend ce qui ne se peut enseigner, où la Parole substantielle du Père fait de telles merveilles qu'on ne les saurait exprimer, où il ne se faut pas gouverner par l'entendement ni par les règles de maîtres, où les gémissements de l'oraison, la communication de Dieu comme Epoux, l'expérience et la suavité céleste est l'école et l'instruction, où il ne faut que regarder ce qu'on voit, qui ne s'acquiert point par discours, mais par la saison et le point[174] où donne le feu d'amour, où la mort et un saint désespoir est la vraie disposition à cette vie divine ; comment en ces matières, dis-je, mettons-nous ordre, ou bornes, ou taxes, aux termes par lesquels il faut expliquer des choses si élevées ? Voulant que ce qui est immense et ineffable passe par les règles ordinaires, sans excéder 244

 (+) Humilité. n. 11.

les phrases communes et les termes gardés aux écoles des Disciples et des Maîtres. Là-même.

35. Ceci est aussi touché, au Ps. 36. vs. 7. Où il y a selon l'Hébreu : Taisez-vous au Seigneur et priez : cela semble impossible : car prier, c'est parler ; – et taire sonne[175] ne pas faire et attendre à recevoir, et à ce que Dieu opère en l'âme, pour cela l'Hébreu ajoute, Attendez-le : Néanmoins comme ce silence doit être d'une personne qui prend garde et qui regarde, ce n'est pas un loisir, mais une opération : c'est un égard[176] à se taire et à ne pas empêcher l'œuvre que Dieu veut faire là, qui requiert que l'âme n'y mêle rien du sien : car cela divertirait et perdrait tout. Là-même. Disc. I. phras. 2.

 S. FRANCOIS DE SALES

36. Quelquefois non seulement l'âme s'aperçoit de la présence de Dieu, mais elle l'écoute parler par certaines clartés et persuasions intérieures, qui tiennent lieu de paroles : quelquefois elle le sent parler et lui parle réciproquement ; mais si secrètement, si doucement , que c'est sans que cela fasse perdre la sainte paix et quiétude ; si[177] que sans se réveiller, elle veille avec lui : c’est-à-dire elle veille et parle de cœur à son bien-aimé avec autant de suave tranquillité et de gracieux repos, comme si elle sommeillait doucement. Et d'autrefois elle sent parler l'Epoux ; mais elle ne saurait lui parler, parce que l'aise de l'ouïr ou la révérence qu'elle lui porte[178], la tient en silence : ou bien parce qu'elle est en sécheresse et tellement abattue d'esprit, qu'elle n'a de force que pour l'ouïr et non pour lui parler ; comme il arrive corporellement à ceux qui commencent à s'endormir, ou qui sont grandement affaiblis par quelque maladie. Mais enfin quelque 245 fois ni elle n'entend son Bienaimé, ni elle ne lui parle, ni elle ne sent aucun signe de sa présence. De l'Amour de Dieu. Livr. 6. Ch. 11.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON

37. Ce que je viens de te dire, ô ma Fille, et mon Epouse, c'est pour te tirer de moi (a) en évidence à toi-même. C'est tout te dire et te faire tout entendre : car mon action et mon opération essentielle en toi c'est mon parler et mon colloque amoureux avec toi, non seulement en tout ceci, mais encore infiniment au-delà. C'est ce qui fait notre commune réjouissance et notre commun repos. –

Voilà ma Fille mon Epouse, ce que je suis en toi, et ce que tu es en moi. Car comme mon Humanité et ma Divinité subsistent également l'une de l'autre, l'une en l'autre ; de même à proportion et en quelque manière, ton humanité rendue aucunement divine, subsiste de moi, en moi et pour moi. Et comme je possède à pur et à plein toujours également pour moi, toutes la félicité due à ma nature, de là te résulte, par amoureuse redondance de mon excessif amour, le flux simple et abondant de ma félicité, à proportion de ce que tu es et de ce que possèdes en moi pour ta pleine et entière satiété. Soliloq. 6. Ch. 7.[179]

(a) Dieu montre quelque fois à l'âme pour un moment le haut état où il l'a mise par sa bonté ; mais cela se fait sans réflexion, et passivement, comme elle ne peut se donner ces vues, ni aussi se les ôter.

38. Tu me conçois bien sur tout ceci : et tous ces secrets sont à toi et à moi les excès plus profonds, plus amoureux et plus intimes de nos amours réciproques, et signamment[180] du mien envers toi et en toi. Je le répète encore, nous nous 246 possédons l'un l'autre par un égal et réciproque amour en notre félicité égale, en la manière que tu sais. – Ainsi quelque part que tu ailles et que tu sortes, tu ne seras jamais sans moi et sans ma gloire, et sortant sans sortir, tu rentreras en moi en la même jouissance de moi-même et de ma gloire, d'où tu n'auras jamais sorti. Là-même. Chap. 8.


 

XIX. Expérience. Intelligence.

MOYEN COURT.

Que ceux qui auront de la difficulté à croire, qu'il est facile de trouver Dieu par cette voie, n'en croient point à ce qu'on leur a dit ; mais qu'ils en fassent l'expérience, et qu'ils en jugent par eux-mêmes : et ils verront qu'on leur en dit bien peu en comparaison de ce qui est.

On ne prétend point élever son sentiment au-dessus de celui des autres, mais on dit sincèrement l'expérience qu'on a eue tant par soi-même que par d'autres âmes. –

On sera encore plus certain de la vérité qu'il renferme, si l'on veut bien en faire l'expérience. – C'est votre ouvrage, ô S. Enfant Dieu, ô Amour incréé, ô Parole muette et abrégée, de vous faire aimer, goûter, et entendre. Préface. 247

Le langage d'amour est barbare à celui qui n'aime pas (a). Ch. 23. N. 8.

(a) S. Bernard. Voyez ci-dessous. n. 9.

AUTORITÉS.

Ste. THÉRÈSE.

1. Il est bien important que le directeur soit prudent : je veux dire qu'il ait un bon jugement et qu'il soit expérimenté ; que si avec ces deux conditions les lettres encore s'y rencontrent, c'est un grand bien : mais si ces trois choses ne se peuvent trouver ensemble, les deux premières sont plus importantes. Vie Ch. 13.

2. C'est une erreur de croire que les années nous feront comprendre ce qui ne se peut comprendre que par l'expérience. Vie Ch. 34.

3. Voyez Union. n. 41.

4. Que ceux qui n'en ont point l'expérience sachent, que la chose se passe de la sorte, et qu'on s'en aperçoit, et que l'âme le connaît plus clairement que je ne le dis ici ; car ce n'est point une chose qu'on puisse feindre ou s'imaginer, vu que nous ne pouvons pas l'acquérir par toutes nos diligences. Chat. Dem. IV. Ch. 2.

5. Je suis toute prête à suivre ce que me diront (a) des personnes éminentes en doctrine : car encore qu'ils n'aient point d'expérience de ces choses, ils ont néanmoins un je ne sais quoi de particulier ; en sorte que comme Dieu les a choisis pour éclairer son Église, lorsqu'il y a une vérité à déclarer il la leur fait connaître, afin qu'elle soit reçue des autres : et s'ils ne sont point 248

(a) J'en dis autant de tout mon cœur.

dissipés et dissolus, mais serviteurs de Dieu, jamais ils ne s'étonneront de ses grandeurs ; car ils savent bien que son pouvoir s'étend beaucoup plus loin : enfin quoique quelques choses ne soient point écrites, ils en trouvent d'autres dans l'Écriture, par lesquelles ils voient que celles-là peuvent être admises. J'ai une grande expérience de cela ; comme aussi de certains demi-doctes craintifs et ombrageux, lesquels m'ont couté bien cher. Là-même. Dem. V. Ch. 1.

Le B. JEAN DE LA CROIX

6. Pour ce chemin, au moins pour le plus haut, et encore pour le milieu, l'âme à peine trouvera un guide capable et doué de toutes les qualités nécessaires à cela ; parce qu'il faut que ce Directeur soit sage, discret et expérimenté ; car encore que pour conduire l'esprit, le fondement soit la science et la discrétion, néanmoins si ce maître n'a pas l'expérience des choses sublimes, il n'y acheminera point l'âme quand Dieu l'y attire, et il pourrait lui faire beaucoup de tort. Vive flamme d'amour Cant. 3. vs. 3. §. 4.

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA

rapporte

7. S. Bonaventure. Cette sagesse est différente en cela de toutes les autres sciences ; parce qu'en celle-ci il faut avoir l'expérience en soi-même avant que d'entendre les termes, et la pratique précède ici la théorie. (Théol. Myst. Préface.) Et encore : Cette sagesse est une certaine théorie distincte et différente de toute sagesse spéculative, qui surpasse toute capacité d'entendement ; et parce que plusieurs Sages et Docteurs ne parviennent pas à cette vue, ils se moquent de cette très haute Sagesse, et par conséquent, ils combattent en cela contre Dieu, le souverain distributeur de 249 cette Sagesse. – Pourtant avec le bienheureux St. Denis, et (qui plus est) avec jésus Christ, je prie celui qui regardera cet écrit, de ne le point manifester à ces Philosophes ignorants, aux Docteurs qui mènent une vie charnelle. –

Si ceux qui se moquent de cette sagesse viennent à la connaître par expérience, ils approuveront bien mieux et plus gaiement tout ce qui est dit par les Docteurs Mystiques avec une connaissance expérimentale. (Ch. 3.) Eclairciss. Des Phr. Myst. de J. de la Croix. P. I. Ch. 7. §. 2.

8. S. Bernard. En ces choses l'intelligence n'y comprend qu'autant que l'expérience y atteint. (Serm. 22. sur le Cant.) Là-même.

9. – En cet Epitalame[181] il ne faut pas penser aux paroles, mais aux affections ; pourquoi cela ? si ce n'est que le saint Amour, qui est l'unique matière de tout ce livre, ne doit pas être estimé par la parole et la langue ; mais par l'œuvre et la vérité. L'amour y parle partout, et si quelqu'un désire d'acquérir la connaissance des choses qu'on y lit, qu'il aime ; autrement celui qui n'aime pas, s'approche en vain pour entendre ou lire ce Cantique d'amour, parce qu'un cœur glacé ne peut comprendre des paroles embrasées : car comme qui est ignorant du Grec, n'entendra pas celui qui le parle, de même le langage d'amour sera barbare à celui qui n'aime pas. (Serm. 79. sur le Cantiq.) Là-même.

10. D. Bartelemy des Martyrs. Il y en pas plusieurs, dit S. Bernard, qui ont été parfaits dans la Théologie Mystique sans la spéculative ; mais jamais aucun Théologien spéculatif n'a acquis un tel comble de perfection, voire même n'a jamais été parfait dans la Théologie acquise sans la Mystique. – Or ceci arrive de la sorte parce qu'il ne 250 sera jamais donné à personne d'entendre les paroles d'un Apôtre ou d'un Prophète, s'il n'est touché et imbu[182] de l'affection de ceux qui les écrivent ; de même que personne ne pourra parfaitement entendre ce que c'est que la liberté des enfants de Dieu, ou la douceur de l'amour divin, s'il ne lui est jamais donné de l'expérimenter. (Abrégé Spir. Ch. 12.) Là-même.

11. S. Thomas. Sur ces paroles du Ps. 33. Vs. 9. Goûtez, et vous verrez combien le Seigneur est doux. On appelle goûter, expérimenter sa divine bonté. Et sur 1 Pierre 2. Vs. 3. Si toutefois vous avez goûté combien il est doux. On assigne deux effets à l'expérience, l'un est une certitude de l'entendement ; l'autre est une assurance de l'affection : quant au premier, il dit, et voyez : car dans les corps, premièrement on voit, et par après on goûte : mais aux choses spirituelles premièrement on goûte, et puis après on voit ; et pour cette raison il dit premièrement goûtez et après voyez. Là-même.

12. Hugues de S. Victor. L'expérience est la maîtresse qui nous fait entendre les choses ; et celui-là connaîtra parfaitement la vérité qui l'a apprise, non en l'écoutant, mais en la goûtant. Là-même.

13. Denis le Chartreux. La contemplation est une connaissance expérimentale de Dieu par un embrassement uni d'amour, ou une savoureuse notice[183] de la Divinité, lorsque la pointe la plus haute de l'affection lui est unie ardemment par amour. (Source de lum. Art. 13.) Là-même.

Le P. JACQUES DE JESUS

rapporte

14. S. Bernard. Voyez Entendre. n. 33.

15. – Voyez Entendre. n. 34.

16. S. Bonaventure. Par le moyen de cette sortie 251 entière et absolue du pur esprit hors de vous-même et de toutes choses, et après que vous aurez tout quitté et que vous vous serez délié et dépêtré de toutes choses, vous serez élevé au rayon suressentiel des ténèbres divines. (S. Denis Théol. Myst. Ch. 1.) Que si vous demandez comment cela se fait ? Interrogez la grâce, et non pas la doctrine ; le désir, et non pas l'entendement ; les soupirs de l'oraison, et non l'étude ou la lecture ; l'Epoux, non le maître ; Dieu, non pas l'homme ; l'obscurité, non la clarté ; non la lumière, mais le feu qui enflamme toute l'âme et qui la transporte en Dieu par des onctions excessives et des affections très ardentes ; duquel feu celui-là seul est embrasé qui dit ; (a) Mon âme a choisi la suspension, et mes os ont élu la mort. Celui qui aime cette mort, peut voir Dieu ; parce qu'il est indubitablement vrai (b) que nul homme ne me verra, et vivra. Mourons donc et entrons dans les ténèbres, imposant silence aux sollicitudes, aux concuppicences et aux fantômes. (Itinéraire de l'esprit en Dieu Chap. 7.) Notes sur J. de la Croix Disc. 1. §. 1.

(a) Job 7. Vs. 15.

(b) Exod. 33. vs. 20. Voyez Moyen court, Ch. 24. n. 1.

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.

17. Je m'étonne beaucoup de ce que certains qui ne font état que de la doctrine et d'une vie morale, nous attaquent sur nos termes. – Plusieurs sont assez doctes en tout autre sujet que celui-ci, et néanmoins ils en veulent parler comme gens entendus, ne sachant pas que ces matières ne s'apprennent que par expérience savoureuse, et que le sens et l'intellect humain n'en approche non plus par la spéculation que la terre du ciel[184]. Cab. Myst. P. I. Ch. 3.                     252

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.

18. Ce n'est pas à la faveur de la science humaine qu'on arrive à la connaissance de la Théologie Mystique, qui est sans formes et sans images, c’est-à-dire, qui enseigne l'oraison sans pensées et sans autre acte qu'un repos obscur. C'est le sentiment des Mystiques.

Personne, disent quelques-uns, (a) ne peut comprendre les secrets Mystiques par la profondeur de la science, ou par la subtilité de l'intelligence, ou par quelque exercice que ce soit ; mais la seule très-heureuse expérience y conduira ceux auxquels il plaira à la divine libéralité de se communiquer. Cette Sapience, disent quelques autres (b), n'est pas de la terre, mais du ciel ; ne gît pas en belles paroles bien agencées, mais en la vertu du S. Esprit ; ne procède pas de la subtilité de l'esprit, mais de la pureté de la vie. En vain vous feuilletterez les livres, si vous n'en cherchez la jouissance : car on ne la tire pas de la science, mais de l'expérience, sans laquelle on entendra bien peu de tous ces parlers Mystiques : ce sont des secrets d'amour ; si on ne les goûte on ne les comprendra pas. – Et Gerson (c) : avec la connaissance que nous donne la foi, que Dieu est tout désirable et tout aimable, la volonté et l'affection sera ravie à ce bien sans l'étude des livres, si elle est purgée, illuminée et disposée. Livr. III. Traité V. Ch. 2. Sect. 2.

(a)Harphius. Théol. Mystique. Liv. 3. Préface.

(b)Barbançon. Secr. Sentiers au commencement.

(c)Théol. Myst. Considér. 30.                  253

XX. Extase.

Cet état est au-dessus des Extases (a).

(Sous le nom d'Extase sont comprises les Visions et Révélations.)

CANTIQUE.

Comme il y a trois sortes de sommeils intérieurs, aussi l'Epoux conjure-t-il trois fois, dans des temps différents, qu'on n'éveille point sa Bien-aimée.

Le premier sommeil est dans l'union des puissances, où elle a un sommeil d'extase violente, qui se répand beaucoup sur les sens. Il prie alors qu'on ne l'éveille pas : parce que ce sommeil est alors de saison[185], en ce qu'il aide à détacher les sens de leurs objets auxquels ils s'attachaient impurement, et par là-même à les purifier. –

 (a) Voyez le Traité des Torrents. P. 1. Ch. 9. N. 27. Et la Vie de l'Auteur. P. 1. Ch. 9. Pour entendre cette proposition, il faut savoir qu'il y a de deux sortes d'extases : l'une qui est passagère et dans les puissances, qui paraît au dehors ; et l'autre qui se fait par anéantissement et sortie de soi pour passer en Dieu, et celle-là est durable et permanente. C'est de la première que j'ai voulu parler lorsque j'ai dit que cet état est au-dessus des extases.       254

Le troisième[186] est le sommeil du repos en Dieu permanent et durable ; c'est un repos d'extase, mais d'extase douce et continuelle ; qui ne cause plus d'altération aux sens, l'âme étant passée en son Dieu par l'heureuse sortie d'elle-même. Ch. 8. vs. 4.

J'ai parlé en plusieurs endroits de mes écrits de la véritable révélation de Jésus-Christ, et surtout dans les Epitres de S. Paul. (Voyez les Explic. Sur 1 Cor. 1. vs. 8, 9. Ephes. 1. vs, 18. Ch. 3. Vs. 7--9. etc.)

AUTORIT ÉS.

Ste. TH ÉRÈSE.

1. Quant à moi, je suis saisie d'étonnement voyant que l'âme étant parvenue ici, tous les ravissements lui sont ôtés, sinon quelques fois. J'appelle ici ôter le ravissement, quant à ce qui est de ces effets extérieurs, et de la perte (a) des sens et de la chaleur. Toutefois on me dit que cela n'est qu'une chose accidentelle aux ravissements, et partant que véritablement ils ne sont point ôtés, puisque dans l'intérieur ils augmentent plutôt. Les ravissements cessent donc de la façon que j'ai insinué, et l'âme ne souffre plus ces

(a) Ste. Thérèse traite des extases de faiblesse : ce sont celles des puissances et de la perte des sentiments. Si je pouvais faire comprendre combien il est dangereux de s'arrêter à ces choses, et comme le Diable par-là s'insinue et se transfigure en Ange de lumière ! mais je ne serais pas crue.       255

ces extases violentes, et ce vol d'esprit : que si cela arrive encore quelquefois, c'est rarement, et presque toujours, ce n'est point en public comme auparavant, et comme il lui était fort ordinaire. Et quelques grands motifs de dévotion qu'elle voie, cela ne cause point des effets violents comme il faisait autrefois ; parce que si elle voyait quelque tableau de dévotion, ou entendait un Sermon quoiqu'avec peu d'application, elle était dans les mêmes angoisses et dans de pareilles agitations que le petit papillon ; tout lui causait de l'épouvante, et lui faisait prendre le vol. A présent, soit parce qu'elle a trouvé son repos, ou parce que l'âme a vu tant de choses dans cette demeure, qu'elle ne s'étonne plus de rien, ou parce qu'elle ne se trouve plus avec cette solitude, puisqu'elle jouit d'une telle compagnie, ou bien, mes Sœurs, j'en ignore la cause, après que Notre Seigneur a commencé de lui montrer ce qu'il y a dans cette demeure et qu'il l'y a introduite ; cette grande faiblesse qui lui était auparavant très pénible, et dont elle n'avait point encore été délivrée, prend fin alors : c'est peut-être parce que Notre Seigneur l'a munie d'une plus grande force, l'a dilatée, et l'a habilitée. Chat. De l'âme VII. Dem. Ch. 3.

Le B. JEAN DE LA CROIX.

Pour rapporter tout ce que le B. Jean de la Croix dit, pour faire voir la nécessité (a) d'outrepasser ces extases, visions et paroles, et leurs dangers, il faudrait copier une grande partie de son livre. J'en rapporterai quelques endroits.

 (a) Une des principales raisons d'outrepasser tout cela, c'est que ces sortes de choses sont contraires à la vraie simplicité et nudité de la foi, disposition prochaine à l'union divine.          256

2. De ces notices surnaturelles les unes sont corporelles, les autres sont spirituelles. Les corporelles sont de deux sortes : les unes qui sont reçues par la voie des sens corporels extérieurs, les autres par la voie des sens corporels intérieurs, en quoi est compris tout ce que l'imagination peut appréhender, feindre et fabriquer. Les spirituelles sont aussi en deux manières : l'une est distincte et particulière ; l'autre est confuse, obscure et générale. En la distincte et particulière, il y entre quatre manières d'appréhensions particulières, qui se communiquent à l'esprit sans l'entremise d'aucun sens corporel, à savoir les visions, les révélations, les paroles et les sentiments spirituels. L'intelligence obscure et générale consiste en une seule, à savoir la contemplation qui se donne en foi. C'est (a) en elle qu'il faut mettre l'âme, l'acheminant par le moyen de toutes ces autres particulières, commençant par les premières et la dénuant et purifiant d'elles. Montée du Mont Carmel. Livr. 2. Ch.10.

(a) Si la contemplation en foi est la fin de ces quatre voies ou moyens, il est constant qu'elle est au-dessus, et qu'elle les comprend toutes ;

3. Or il faut savoir qu'encore que toutes ces autres choses puissent arriver aux sens corporels par la voie de Dieu, il ne s'y faut jamais assurer ni les admettre, mais les fuir entièrement, sans vouloir examiner si elles sont bonnes ou mauvaises : car tant plus elles sont extérieures et corporelles, tant (b) plus il y a de doute, si elles viennent de Dieu, auquel il est plus propre de se communiquer à l'esprit, où il y a plus de certitude et de profit à l'âme, qu'aux sens, où il y a

(b) Cependant on fait plus de cas de ces visions corporelles que de la voie de foi.       257

ordinairement beaucoup de danger et de tromperie ; d'autant qu'en elles le sens corporel se rend juge et appréciateur des choses spirituelles, pensant qu'elles sont comme il les sent, encore qu'il y ait autant de différence que[187] du corps à l'âme et de la sensualité à la raison. –

Ces objets et ces formes corporelles tant plus en soi elles sont extérieures, (a) tant moins elles servent à l'intérieur et à l'esprit, à cause de la grande distance et du peu de proportion qu'il y a entre le corporel et le spirituel. Car bien qu'elles communiquent parfois un peu d'esprit, comme elles font toujours étant de Dieu, c'est toutefois beaucoup moins que si les mêmes choses étaient plus spirituelles et intérieures. Et ainsi elles causent plus facilement de l'erreur, de la présomption, et de la vanité en l'âme : parce qu'étant si palpables et matérielles, elles émeuvent fort le sens ; et il semble au jugement de l'âme que ce soit quelque grande chose, à cause que cela est fort sensible, et elle court après pensant que cette lumière soit le guide et le moyen de sa prétention, qui est d'arriver à l'union de Dieu, et tant plus elle perd le chemin et le moyen parfait, qui est la foi, qu'elle fait état de cela.

Davantage, l'âme qui se voit avec ces choses extraordinaires, conçoit souvent une secrète opinion de soi-même qu'elle est déjà quelque chose devant Dieu, ce qui détruit l'humilité. Le Diable aussi sait bien glisser en l'âme une complaisance et une satisfaction cachée d'elle-même, et parfois assez claire et manifeste : c'est pourquoi il met souvent ces objets dans les sens, montrant

(a) Cependant on fait plus de cas de ces visions corporelles que de la voie de foi.[188]

258 à la vue des figures de saintes et de belles clartés, mettant dans l'ouïe des paroles flatteuses et bien déguisées, à l'odorat des suaves odeurs, des douceurs à la bouche, des délices au toucher : afin que les ayant appâtés de ces amorces, il les attire en plusieurs maux. Partant, il faut toujours rejeter ces représentations et ces sentiments : Car bien qu'il y en eût quelques-unes de Dieu, cela néanmoins ne lui fait point de tort et l'on ne laisse pas d'en recevoir l'utilité et le fruit que Dieu veut faire par leur moyen à l'âme, encore qu'elle les rebute et rejette. –

mais encore qu'elles soient de Dieu, si l'âme s'arrête beaucoup en ces sentiments ou visions extérieures, et si l'âme traite[189] de les vouloir admettre, elle peut tomber en six inconvénients. Le premier que la perfection de se conduire par foi se diminue ; d'autant que les choses qu'on expérimente avec les sens y dérogent grandement, vu que la foi, comme il a été dit, est au-dessus des sens, et ainsi on s'écarte du moyen de l'union de Dieu, ne fermant pas les yeux de l'âme à toutes les choses des sens. 2. Si on n'y renonce, cela empêche l'esprit d'autant que l'âme s'y retient, au lieu de voler à l'invisible. D'où vient qu'une des causes, pour laquelle Notre Seigneur dit (a) à ses disciples, qu'il fallait qu'il s'en allât afin que le St. Esprit vint, c'était cela : comme aussi il ne laisse (b) pas la Madeleine toucher ses pieds après la résurrection, afin que tous fussent mieux établis en la foi. 3. Que l'âme devient propriétaire en ces choses, et ne chemine pas en vraie résignation et nudité d'esprit –. 4. Qu'elle en perd l'effet et l'esprit. 5. Qu'elle va perdant les grâces et bienfaits de Dieu 259

(a) Jean 16. vs. 7.        (b) Chap. 20. vs. 17.

d'autant qu'elle s'en rend propriétaire et n'en use comme il faut : et les prendre avec propriété et n'en faire son profit, c'est le même que de les vouloir prendre seulement pour s'y arrêter et chercher son goût en elles, et néanmoins Dieu ne les lui donne pas pour ce sujet, ni elle ne doit facilement se déterminer à croire qu'ils sont de Dieu. 6. Que les voulant admettre elle ouvre la porte au Diable pour la tromper en d'autres semblables. –

Il est donc clair et manifeste que ces visions et appréhensions sensibles ne peuvent servir de moyen à l'union divine, attendu qu'elles n'ont aucune proportion avec Dieu. Montée du Mont Carm. L. 2. C. 11.

4. Avant que de parler des visions imaginaires qui ont coutume de se présenter surnaturellement au sens intérieur, qui est l'imagination et la fantaisie, nous traiterons ici des appréhensions naturelles du même sens intérieur corporel. –

Ce qui s'offre le premier est le sens corporel intérieur, qui est l'imagination et la fantaisie, de laquelle nous devons aussi évacuer toutes les formes et appréhensions imaginaires qui y peuvent tomber naturellement, et ensemble prouver qu'il est impossible que l'âme arrive à l'union divine jusqu'à ce qu'elle cesse son opération en elles, d'autant qu'elles ne (a) peuvent être ni propre ni proche moyen de cette union. Là-même Ch. 12.

(a) Tout ce Chapitre prouve cette proposition.

5. Après avoir traité des appréhensions que l'âme peu naturellement recevoir en soi, et dans lesquelles elle opère avec l'imaginative et fantaisie, il faut parler ici des surnaturelles qu'on appelle visions imaginaires, lesquelles étant sujettes aux images, formes et figures, appartiennent à ce sens

 

260 intérieur et corporel, aussi bien que les naturelles. Or il faut savoir que sous ce nom de visions imaginaires nous voulons entendre toutes les choses qui se peuvent surnaturellement représenter à l'imagination sous l'image, forme, figure ou espèces que ce soit ; et cela avec des espèces très parfaites. –

µ ici fin de la transcription. Marc terminera le tome I soit les pages 260 à 432 (172 pages)


 

[Tome II des éditions originales]

Les justifications de madame J.-M. B. de la Mothe-Guyon, Écrites par elle-même, et envoyées à Messeigneurs les évêques, ses examinateurs. Où l'on éclaircit plusieurs difficultés qui regardent la vie intérieure

Tome second

Vincenti

À Cologne

Chez Jean De La Pierre, 1720

µ page de titre en photo

µ Table des articles du II. Tome.

µ contribution précédée de titres = à revoir !


 

 

XXXVIII. Mortification. Pénitence extérieure.

Moyen court.

Dieu, à qui ces âmes se tiennent unies, leur fait pratiquer de toutes sortes de vertus (a) : il ne leur souffre rien, il ne leur permet pas un petit plaisir.

(a) Y a-t-il rien de plus fort qu'une mortification toujours égale, qui exclut les satisfactions les plus innocentes, jointe avec les austérités qui ne sont pas épargnées ? Ainsi il est aisé de voir que cette oraison n'est pas contraire à la pénitence ; puisque cet état exige non seulement la mortification, mais la mort à toutes choses, qui est la consommation de la mortification. Il est vrai qu'on ne sait pas le capital de la mortification ; mais on ne l'abandonne pas pour cela, quoiqu'on en perde la pratique à cause de l'habitude contractée et de la mort, qui ne laisse rien à mortifier.

Il est aisé de comprendre que la vraie mort c'est la consommation de toute mortification : ainsi la mort à soi-même est la plus parfaite mortification ; parce qu’elle s'étend partout et n’excepte rien, soit intérieurement, soit extérieurement ; au lieu que la mortification ne s'attachant qu'à certaines choses particulières en laisse bien d'autres immortifiées. La mortification ou la mort suit l'état de l'âme. Une personne qui n'a que la Méditation discursive et en détail, n'a qu'une certaine mortification objective de choses particulières : au lieu qu'une âme conduite par la foi nue a connaissance confuse et générale, aussi la mortification, qui est une vraie mort, renferme toute mortification possible, sans en envisager une objectivement. C'est comme des arbres qu'on rencontre en son chemin, qui servent de rafraîchissement au voyageur, mais sous lesquels il ne s'arrête point, avançant toujours vers la fin qui est Dieu ; au lieu que les autres âmes, quoique bien moins austères, en font leur capital, s'y arrêtent et ne passent point outre.

Quelle faim ces âmes amoureuses n'ont-elles pas de la souffrance ? À combien d'austérités se livreraient-elles si on les laissait agir selon leurs désirs ?

Elles ne pensent qu'à ce qui peut plaire à leur Bien-Aimé. Et elles commencent à se négliger elles-mêmes et à se moins aimer. Plus elles aiment leur Dieu, plus elles se haïssent et plus elles ont le dégoût des créatures. Chapitre 9. n.1, 2    [page]3

Je dis de plus qu'il est comme impossible d'arriver jamais à la parfaite mortification des sens et des passions par une autre voie.

La raison toute naturelle est, que c'est l'âme qui donne la force et la vigueur aux sens : comme ce sont les sens qui irritent et émeuvent les passions. Un mort n'a plus ni sentiment ni passion, à cause de la séparation qui s'est faite de l'âme et des sens. Tout le travail qui se fait par le dehors porte toujours l'âme plus au dehors, dans les choses où elle s'applique plus fortement. C'est dans celles-là qu'elle se répand davantage : étant appliquée directement à l'austérité et au dehors, elle est toute tournée de ce côté-là, de sorte qu'elle met les sens en vigueur, loin de les amortir.

Car les sens ne peuvent tirer de vigueur que de l'application de l'âme qui leur communique d'autant plus de vie qu'elle est plus en eux. Cette vie des sens émeut et irrite la passion, loin de l'éteindre : les austérités peuvent bien affaiblir le corps mais jamais émousser entièrement la pointe des sens, ni leur vigueur par la raison que je viens de dire.

Une seule chose le peut faire, qui est, que l'âme par le moyen du recueillement se tourne (a) toute au dedans d'elle pour s'occuper de Dieu qui est présent.

(a) C’est ce que dit David : Ps. 58. v.10 : J'emploierai toute ma force pour vous.

Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au dedans d'elle, elle se sépare des sens par cette seule action ; et employant toute sa force et sa vigueur au dedans, elle laisse les sens sans vigueur ; et plus elle s'avance et s'approche de Dieu, plus elle se sépare d'elle-même. C'est ce qui fait que les personnes pour qui l’attrait de la grâce est fort, se trouvent toute faibles au dehors et tombent souvent dans la défaillance.

Je n'entends pas par-là qu'il ne faille pas se mortifier. La mortification doit toujours accompagner l'oraison selon les forces, l'état d'un chacun et l’obéissance.

Mais je dis qu'on ne doit pas faire son exercice principal de la mortification, ni se fixer à telles ou telles austérités ; mais suivre seulement l'attrait intérieur et s'occuper de la préférence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification, Dieu en fait faire de toutes sortes ; et il ne donne point de relâche aux âmes qui sont fidèles à s'abandonner à lui, qu'il n'ait mortifié en elles tout ce qu'il y a à mortifier.

Il faut (a) donc seulement se tenir attentif à Dieu et tout se fait avec beaucoup de perfection. Tous (b) ne sont pas capables d'austérités extérieures, mais tous sont capables de ceci.

(a) Parce que l'âme attentive à Dieu est instruite de lui à chaque moment, de tout se qu'elle doit faire, d'une manière admirable et sans relâche.

(b) Il faut prendre garde que les personnes en qui l'attrait est fort, doivent plutôt être arrêtées que poussées aux austérités sans quoi elles détruisent absolument leur tempérament, d'autant qu'elles ne peuvent qu'avec grande peine manger, ce qui est nécessaire pour leur vie.

Il y a deux sens qu'on ne peut excéder à mortifier : la vue et l'ouïe, parce que ce sont ceux-là qui forment toutes les espèces : Dieu le sait faire, il n'y a qu'à suivre son esprit.

Par cette conduite l'âme a un double avantage, qui est, qu'à mesure qu'elle se tire du dehors, elle s'approche toujours plus de Dieu et en s'approchant de Dieu, outre qu'il lui est communiqué une force et vertu secrète qui la soutient et la préserve, c'est qu'elle s'éloigne d'autant plus du péché, qu'elle s'approche plus près de Dieu et elle est alors dans une conversion habituelle (Chap.10).

Cantique

Lorsque l'Épouse, ou plutôt l'Amante (car elle n'est pas encore Épouse) a trouvé l’Époux, elle est si transportée de joie, qu'elle voudrait d'abord s'unir à lui. Mais l'union de jouissance continuelle n'est pas encore arrivée. Il est à moi, dit-elle, je ne puis douter qu'il ne se donne à moi dans ce moment puisque je le sens, mais il est à moi comme un bouquet de myrrhe. Il ne l'est pas encore comme un Époux que je doive embrasser dans son lit nuptial, mais seulement comme un bouquet de croix, de peines et de mortifications, comme un Époux de Sang (a) et un Amant crucifié qui veut éprouver ma fidélité en me donnant une bonne part de ses souffrances: car c'est ce qu'il donne alors à cette âme-là.

Pour (b) marquer néanmoins l'avancement de cette âme, déjà héroïque, elle ne dit pas: « mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix, mais il sera lui-même ce bouquet, car toutes mes croix seront celles 7 de mon Bien-aimé ». Le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque qu'il me doit être un Époux d’amertumes aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les croix extérieures sont peu de chose quand elles ne sont pas accompagnées des intérieures : et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par l'union des extérieures. Mais quoique l'âme n'aperçoive que la croix de toutes parts, c'est pourtant son Bien-aimé qui est lui-même cette croix et il ne lui fut jamais plus présent que dans ces amertumes pendant lesquelles il demeure au milieu de son cœur. Chap. 1.vs. 12.

(a) Ex. 4. vs.25

(b) J'ai déjà dit que la vraie mortification de cet état consiste en une mort entière. Celui qui est mort, est bien plus que mortifié, ainsi qu'on l'a vu dans l'article précédant. La mortification est pour la voie active et la mort pour la voie passive.

AUTORITES

Ste Catherine de Gênes.

1. L'anéantissement étant fait, la vigueur et l'opération des sentiments corporels se perd en cette sorte. Premièrement, elle ne peut plus rien voir en terre qui lui donne du plaisir ou de la peine: car si elle voit quelque chose qui de sa nature donne du plaisir ou de la peine, elle ne s'en réjouit et ne s'en attriste point parce que l'âme étant transformée en Dieu, il ne la laisse pas correspondre aux sentiments corporels : mais peu à peu il les laisse tous mourir sans en avoir aucune compassion : de sorte que, bien qu’elle regarde quelque chose, elle ne la peut plus comprendre par le goût corporel et ne peut rendre raison comment les choses plaisent aux hommes. Et quand elle entend dire : cela est beau ou bon, 8 elle ne comprend plus ce qu'est bonté ou beauté.

(*) Il en est de même de tous les autres sentiments : et ainsi (a) tous leurs goûts sont sans saveur, et tous leurs désirs étant mortifiés et éteints, elle sent une aussi grande paix qu'elle la peut comprendre : et parce que l'âme et le corps sont aliénés de leurs opérations naturelles, ils vivent comme par force : il leur semble (b) qu'ils sont en Enfer, parce qu'ils n'espèrent plus sortir de cette occupation qui les détruit ni vivre selon leur nature, et s'ils pouvaient parler, ils diraient à Dieu : Combien il serait meilleur pour eux de mourir que de vivre dans cet anéantissement ! Mais l'état surnaturel dans lequel Dieu met cette créature est de si grande force qu'elle ne peut plus faire état ni de la vie de l'âme ni du corps, non plus que si elle n'avait ni âme ni corps Vie .Chap.31.

* Non désir, n. 7.

 (a) Cette opération est très douloureuse, assez longtemps, puis tout devient facile et comme naturel.

 (b) Elle parle toujours des sentiments

2. Voyez : Anéantissement. n.15.

3. Dieu donc tient l'âme si recueillie en elle-même, que le corps demeure abandonné sans aucune délectation ; et l'âme demeure arrêtée dans son recueillement et dans la paix ; et ne se soucie point de son corps, sinon à l'extrême nécessité.

Dieu tenant ainsi cette créature, consume tous ses méchants instincts, et enfin l'âme tire le corps à sa sujétion sans qu'il lui soit plus rebelle. Alors ils font la paix ensemble et sont contents l'un de l'autre, le corps, par correspondance avec l'âme, jouit de quelque chose de la douceur 9 de sa paix par participation quoiqu'il soit réduit à cette nécessité.

Car tout de même que l'âme soit séparée du corps, le corps meurt; aussi (a) retirant les opérations de l'âme, des choses de la terre et du corps, le corps demeure comme un oiseau sans plumes qui veut voler et encore moins : car il demeure comme sans sentiment et il est réduit dans une si grande mortification qu'il ne sait s'il est vif ou mort. L'âme étant alors comme sans corps parce qu'elle attire à soi tous les sentiments corporels, elle s'étonne comme il se peut trouver des créatures qui ne puissent jamais délecter en autre chose qu'en Dieu. Elle a en horreur toutes sortes de péchés en général parce que le feu d'amour a consumé (b) toutes les humeurs des mauvaises habitudes (*) et même le (c) corps vient à tel point d’anéantissement de son être naturel, habitué au mal, qu'encore l'âme le laissât faire à sa mode, il ne peut plus néanmoins faire autre chose que ce qu'elle veut ; et ainsi il demeure hors de son être malin, consentant en tout sans aucune rébellion à l'âme, laquelle étant attentive (d) à Dieu et n'obéissant plus au corps ni par amour ni par délectation, il faut nécessairement que le corps perde sa vigueur. La-même. Chap.32.

 (a) Cet état devient comme habituel : c'est ce que j'ai écrit ou quelque chose d'approchant dans le Pentateuque (Ex 14. v.21,22. Chap.15.v.22,23. Lv. 26.v.25. Et c.) de la division des deux parties et de leur réunion.

(b) Dieu consume lui-même nos méchantes inclinations et nous donne une véritable haine du péché.

* Anéantissement. N. 16.

(c) Conversion parfaite ou habitude de conversion:Le corps s'assujettit à l'esprit à mesure que notre esprit s'assujettit à Dieu. Comme la désobéissance d'Adam, en faisant sortir son âme de la fidèle dépendance de son Créateur, rendit son corps rebelle à l'esprit, c'est cette soumission sans borne, cette dépendance de Dieu, cette mort de notre volonté : car elle rétablit l'homme dans l'ordre de sa création en quelque manière. Mais comme Adam même n'était pas impeccable dans le paradis terrestre, quoiqu'il fût très facile de ne pécher point, parce que les sens étaient soumis à la raison et la raison à Dieu : aussi l'homme arrivé ici n'est point impeccable quoiqu'il soit très facile de ne pécher point à cause de l'habitude dans le  bien. Et comme l'on voit une personne habituée au mal, dire qu'elle ne peut plus s'empêcher de le commettre, de conserver même le désir du crime lorsque l'âge ou la facilité de pécher ; aussi une âme habituée dans le bien trouve que le mal lui est devenu si fort étranger qu'elle ne trouve plus en elle de correspondance ni de facilité pour les plaisirs dont les sentiments sont  mortifiés ou morts. De plus, l'amour de Dieu, par un sentiment ineffable, consume en soi ces sentiments grossiers, comme un grand feu consume un petit feu, une grande lumière absorbe une petite lueur. Si je dis mal, je soumets encore ceci

(d) L'âme attentive à Dieu ne correspond point aux sentiments naturels : au contraire elle rend son corps participant à de sa pureté. Tout ceci soutient ce qui est dit au Moyen Court Chap. 10. sur la Mortification.

4. Premièrement à l'égard de l'âme, (dit Notre Seigneur), mon amour a pour elle de si grands délices qu'il consume tout autre plaisir 11 et toute autre joie que l'homme puisse avoir en ce monde : mon goût éteint tout autre goût, ma lumière aveugle tous ceux qui la voient, tous les sentiments de l'âme sont tellement saisis et liés à cet amour qu'ils ne savent où ils sont ni ce qu'ils font; ils ne connaissent ni ce qu'ils ont fait ni ce qu'ils doivent faire : et l'âme est comme hors d'elle-même sans raison, sans mémoire et sans volonté. Dialogue. Livre 3. Chap.7.

Le B. Jean de la Croix.

La première chose que le bienheureux Jean de la Croix nous propose est une espèce d’Énigme où il y a trois sentiers, l'un qui est au milieu et fort au-dessus des autres, qu'il appelle l'état parfait. Cette Énigme est comme l'argument de tout son Livre. Il met à main droit le chemin de l'esprit imparfait qui n'arrive jamais en haut de la montagne et à main gauche, le chemin de l'esprit égaré. Voici ce qu'il est dit de l'esprit imparfait.

5. L'âme qui tient la main droite revêtue d'un habit (a) de pénitence, qui a la face et les mains tournées vers la montagne, représente celle qui en effet, ou du moins d'affection et de volonté, quitte les biens de la terre, s'occupant seulement en ceux du ciel que Dieu lui communique abondamment. Quelques fois Sa Majesté lui donne des lumières pour connaître quelque vérité, d'autres fois il l'attire par des consolations, d'autres fois il la comble de joie et souvent lui donne une tranquillité de conscience qui semble la mettre en sûreté, et avec cela, l'âme pense déjà jouir de la gloire par anticipation. Mais elle se trouve bien éloignée de son compte en ce 12 qu'étant liée de plusieurs petits filets qui (b) l'attachent à ces biens spirituels, elle demeure toujours en un même état et dans le chemin d'un esprit imparfait si bien qu'elle ne peut arriver à l'union divine : ainsi elle expérimente le même empêchement que la remore, poisson très petit, cause à un grand navire, l'arrêtant tout court  parce que cette affection déréglée empêche cet âme d'arriver au haut de la montage, comme elle le confesse : Plus je tarde et moins je monte, pour ne pont avoir pris le sentier . D'abondant, pour punition de l'infidélité que l'âme spirituelle commet, s'attachant (c) à ces biens surnaturels, Dieu l'en prive du tout, comme elle le confesse par ces paroles : Pour les avoir être procurés, j'ai moins eu que si j'eusse monté par le sentier. Explication de l'Énigme.

(a) Puisque cette âme est dans un état imparfait, la mortification n'est donc pas un état parfait. (b) Il faut être purifié de l'attachement au bien surnaturel. (c) Il faut être purifié de l'attachement au bien surnaturel.

6. Il y a beaucoup à dire touchant la gloutonnerie spirituelle parce qu'à peine y a-t-il un commencement quelque vertueux qu'il soit, qui ne tombe en quelqu'une des imperfections, lesquelles sont en grands nombres, d'autant que plusieurs de ces personnes affriandées du goût et de la saveur qu'elles trouvent en ces exercices, procurent plutôt la saveur de l'esprit que la pureté ou la vraie dévotion qui est ce que Dieu regarde et accepte en toute la voie spirituelle. C'est pourquoi, outre l'imperfection que ces commençants ont, en prétendant ces faveurs, la gourmandise les fait sortir du pied à la main, c'est à dire aller d'une extrémité à l'autre, passant les limites du milieu où consistent et s'acquièrent les vertus. Car quelques-uns, attirés et alléchés par le goût qu'ils trouvent là, se tuent de pénitences 13 et d'autres se débilitent par des jeûnes, faisant plus que leur force ne le permet sans ordre ni conseil d'autrui : au contraire, ils se cachent de celui à qui ils doivent obéir, en tel cas, et il y en a encore qui sont si hardis que de le faire, quoiqu'on leur ait commandé.le contraire : ces personnes sont très imparfaites et des gens sans raison qui laissent en arrière la sujétion et l’obéissance qui sont la pénitence de la raison et de la discrétion. C'est pourquoi ce sacrifice est plus agréable à Dieu que tous les autres de la pénitence corporelle, laquelle (sans l'autre) est très imparfaite, n'étant poussée à cela que du goût et appétit qu'ils y trouvent. En quoi, d'autant que toutes les extrémités sont vicieuses et qu'en cette façon de procéder tous font leur propre volonté, ils croissent plutôt en vices qu'en vertus. Car pour le moins en cette façon, ils acquièrent la gloutonnerie spirituelle et la superbe puisqu'ils ne marchent pas en l’obéissance et le Diable en trompe tellement plusieurs, provoquant cette gloutonnerie par des goûts et des appétits qu'il leur augmente, que ne pouvant faire davantage, ou ils changent ou ajoutent ou varient ce qu'on leur commande parce que toute obéissance leur est dure et trop étroite: en quoi, quelques-uns arrivent à un tel mal, qu'à cause de ces exercices se font par obéissance, ils perdent l'envie et la dévotion de les faire, n'ayant autre volonté sinon de faire les choses auxquelles ils sont mus et poussés par le goût, bien que peut-être il vaudrait mieux ne rien faire du tout.

Vous en verrez plusieurs de ceux-ci fort opiniâtres avec leurs Maîtres spirituels afin qu’ils leur accordent ce qu'ils veulent et ils l'obtiennent moitié par force, autrement ils s'attristent 14 comme des enfants, et marchent à regret et il leur semble qu'ils ne servent point Dieu quand ils ne leur permettent  de faire ce qu'ils désirent. Car, comme ils s'appuient au goût et à la propre volonté, aussitôt qu'on leur ôte [ces choses] et qu'on les veut mettre dans la volonté de Dieu, ils s'attristent, se relâchent et défaillent. Ceux-là pensent que d'avoir des goûts et être contents, ce soit servir Dieu et lui plaire. Obscure Nuit. Livre I. Chap.6.

Le P. Jaques de Jésus

7. Il ne faut pas conclure d’ici, comme quelques-uns inférent mal, que cette science (a) condamne la voie – d'acquérir la mortification et les vertus dans leurs commencements par des moyens qui touchent et dépendent du sensible et raisonnable, et de ce qui en l'ordre surnaturel peut-être dit acquis, à cause qu'il y intervient beaucoup de notre discours, travail et diligence, quoiqu'elle soit aidée et surnaturalisée de Dieu. Cela se prouve par ce que dit le B. Jean de la Croix, qu'il faut suivre ce chemin, jusqu'à ce qu'il y ait des signes que Notre Seigneur veuille faire passer l'âme à une simple et surnaturelle vue ou contemplation, desquels signes il parle dignement. (Au Chap.13 et 14 du Livre II de la Montée du Mont Carmel.) Secondement, parce que si l'état parfait, dont il entreprend de traiter, est supérieur et exclusif de ce chemin-là, comme ce qui est le plus accompli de ce qui l’est moins, il est tout évident que quiconque traite de cet état parfait ne doit point approuver pour lui cet autre chemin ; et lors qu'on l'improuve pour ceux qui sont déjà fort avancés et près de la 15 vie unitive, ou qui y sont déjà parvenus, ce n'est pas l'improuver absolument ; de même que celui qui dit, qu'on donne du pain avec de la croûte à l'enfant qui a des dents, et qu'on le sèvre, n’ôte pas pour cela la mamelle à l'enfant qui vient de naître ; comparaison dont (b) Saint Paul se sert. Notes et remarques sur Jean de la Croix. Dans l'introduction.

(a) On imputait au B. Jean de la Croix de détruire la mortification.

(b) Hebr. 5. Vs. 12,13,14.

Le Fr. Jean de S. Samson.

8. Tout ce que j'ai fait, fait assez voir combien ces hommes sont assez rares, peu connus, goûtés et suivis, même de tous ceux qui semblent être grandement excellents et relevés en sainteté aux yeux des hommes. Car la plupart de ceux-ci ne connaissent que leurs corps, et l'austérité ; et même les autres qui sont beaucoup meilleurs en esprit, à cause des attouchements qu'ils ont reçus de Dieu, prennent l'apparent pour le vrai, et l'ombre pour la vérité. Ainsi les vrais amis de Dieu ne sont connus que de leurs semblables ; et leur propre est d'être cachés autant qu'il leur est possible, selon que l'exige la vraie vie renoncée. Qui pourra comprendre ceci, le comprendra ; sinon il le laissera être ce qu'il est ; comme tous mes écrits. Esprit du Carmel. Chap.11.

9. Que si l'homme n'est courageux en ce temps de désolation pour croire ce qu'on lui dit et aussi pour supporter tout ce mortel état par une forte et confiante souffrance, il décherra de l’excellence de son état, retournant (a) peu à peu en soi-même et reprenant ses exercices extérieurs pour affliger son corps qui lui semble causer cette guerre et cette révolte : en quoi il se trompera extrêmement et au lieu d'y trouver sa force et son repos, il se sentira violenté de plus grands efforts que jamais. Là-même Chap.13.

(a) Il parle de l'état d'épreuve : il ne veut pas que l'âme retourne alors à ses pénitences, parce qu'elle se soustrairait par là à la Justice de Dieu qui est infiniment plus rigoureuse que toutes les austérités. Ceci est d'une extrême conséquence. J'ai connu une personne qui non par infidélité mais comme par excès de tourments s’emplissait d'orties, se jetait du plomb fondu afin de faire diversion, mais Dieu ne permit pas que le plomb fondu, qui devait la perdre, lui fit du mal. (Voyez la Vie de l'Auteur P.1.Chap. 17.§. 3 ; Chap. 19. §. 1; Chap. 21.n.7.) Ce n'est pas non plus un remède contre les tentations de ce degré que de faire des austérités ; cela les irrite. Il faut se supporter jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de délivrer, ce qu'il fait par sa bonté, lorsqu'il voit qu'on n’attend du secours que de lui seul.

10. Vous ne devez pas faire grand état de vos exercices, s'ils ne surpassent ce que la nature fait facilement dans les hommes du commun, qui sont d'un naturel disposé seulement à certaines choses conformes à leur appétit de propre excellence : par exemple, à jeûner, prier vocalement et même mentalement, visiter les Églises, donner l'aumône aux pauvres, prendre même la discipline, se mortifier à leur fantaisie, veiller longuement, et toutes autres choses semblables auxquelles la nature prend son plaisir à cause du bien qui lui doit en résulter. On reconnaît ceux qui sont de cette trempe en ce qu'ils ne savent et ne veulent savoir que cela, sans jamais passer au-delà de ces pratiques ; étant ignorants et totalement aveugles en la connaissance aux œuvres des sujets surnaturels, qui font uniquement reposer l'âme en Dieu et qui la portent toujours 17 à épurer, dénuer et perfectionner souverainement son amour. Ces gens-là ne connaissent que les sens et l'animalité, et tout au plus ce qui est pis que la sensualité de leur esprit, de leur âme et de toutes leurs puissances, dans les goûts, les lumières, attraits et autres dons sensibles de Dieu ; desquels aiyant un long temps abusé, ils s'y attachent avec une avidité soit grossière soit subtile, pareille à celle que les bêtes ont pour leur pâture où leur appétit les emporte par nécessité. Cela ne se peut assez déplorer dans une âme choisie entre mille pour de grandes choses, je veux dire, pour jouir souverainement de Dieu en cette vie en suprême liberté. Esprit du Carmel. Chap. 18 §. 13.

11. Il n'est rien de tel que la continuelle perte de soi-même, accompagnée de bon ordre et de discrétion savoureuse, avec une application continuelle d'entendement et de volonté à cela : en telle sorte pourtant, qu'on agisse plutôt du fond de l'esprit par une douce activité que par un bandement et effort de tête et des sens. C'est pourquoi il est même nécessaire de régler ses austérités et afflictions du corps afin qu'on soit plus propre pour le dedans, et que l'âme ne soit pas toute convertie, réfléchie et attentive aux tourments de son corps. Vous pouvez néanmoins en user ;  mais avec tel ordre et discrétion qu'elles ne vous causent aucun empêchement pour l'intérieur. Car la libre introversion à son fond, parfaitement acquise et expérimentée, est la voie royale pour parvenir à Dieu et le plus excellent bien si elle est (a) sans priorité qui se puisse penser. La vie parfaitement abstraite n'est connue et pratiquée que de peu de personnes et l'on trouve 18 de grands hommes, qui par défaut de s'y bien exercer, sont très multipliés et occupés au dehors, pleins de formalités et attachés à chaque petit fétu. Lettre 50.

(a) Notez : sans priorité.


 


 

XXXIX. Motion divine.

Moyen court.

Quelques personnes entendant parler de l'Oraison de silence, se sont faussement persuadés que l'âme y demeure stupide, morte et sans action.

Mais il est certain qu'elle y agit plus noblement et avec plus d'étendue qu'elle ne fit jamais jusqu'à ce degré ; puisqu'elle est mue de Dieu même et qu'elle agit par son Esprit. Saint Paul veut que nous nous laissions[190] mouvoir par l'Esprit de Dieu.

On ne dit pas qu'il ne faut point agir mais qu'il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce. Ceci est admirablement figuré en Ézéchiel. Ce prophète voit, dit-il[191], des roues qui avaient l'esprit de vie et elles allaient où cet esprit les conduisait. Elles s'élevaient s'abaissaient selon qu'elles étaient mues, car l'esprit de vie était en elles, mais elles ne reculaient jamais. 19 L'âme doit être de la sorte ; elle doit se laisser mouvoir et porter par l'esprit vivifiant qui est en elle, suivant le mouvement de son action et n’en suivant point d'autre. Or ce mouvement ne la porte jamais à reculer ; c’est-à-dire, à réfléchir sur la créature, à ne pas se recourber contr’elle-même mais à aller toujours devant elle, avançant incessamment vers sa fin.

Cette action de l'âme est une action pleine de repos. -- lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit avec effort ; c'est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu'elle agit par dépendance de l'esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée et si naturelle qu'il semble qu'elle n'agisse pas.-- Plus elle est en paix, plus elle court avec vitesse, parce qu'elle s'abandonne à l'Esprit qui la meut et la fait agir.

Cet esprit n'est autre que Dieu qui nous attire et en nous attirant nous fait courir à lui. Chap.21. n. 1,2,3.

Notre action doit donc être de nous mette en état de souffrir l'action de Dieu et de donner lieu au Verbe de retracer en nous son image. Une image qui se remuerait, empêcherait le peintre de contretirer un tableau sur elle. Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit, 20 empêchent cet admirable Peintre de travailler, et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix et ne nous mouvoir que lorsqu'il nous meut[192]. Jésus-Christ a la vie en lui-même. Et il doit communique la vie à tout ce qui doit vivre.

C'est l’esprit de l’Église que l'esprit de la motion divine. L’Église est-elle oisive, stérile et inféconde ? Elle agit ; mais elle agit par dépendance à l'Esprit de Dieu qui la meut et la gouverne.

Or l'esprit de l’Église ne doit point être autre en ses membres qu'il est en elle-même. Il faut donc que ses membres, pour être dans l'Esprit de l’Église, soient dans l'esprit de la motion divine.

Que cette action soit plus noble, c'est une chose incontestable. Il est certain que les choses n'ont de valeur qu'autant que le principe d'où elles partent est noble, grand et relevé. Les actions faites par un principe divin (a) sont des actions divines, au lieu que les actions de la créature quelque-bonnes qu'elles paraissent sont des actions humaines ou tout au plus vertueuses lors qu'elles sont faites avec la grâce. Là-même n.5.6.

Il faut nécessairement entrer dans cette voie qui est la motion divine et l'Esprit de Jésus-Christ. Saint Paul dit (b): «  Personne n'est à Jésus-Christ s'il n'a son Esprit. » pour être donc à Jésus-Christ, il faut nous laisser remplir de son Esprit et nous vider du nôtre : il faut qu'il soit évacué. Saint Paul, dans le même endroit (c) nous prouve la nécessité de cette motion divine. Tous ceux, dit-il, qui sont poussés par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu.

(a) Voyez Jean. de la Croix. Actes n.5. Centre n.3. Etc.

(b) Rom. 8, vs. 9. (c) Rm 8. Vs. 14 etc.

L'esprit de la filiation divine est donc l'esprit de la motion divine : c'est pourquoi le même Apôtre continue : l'Esprit que vous avez reçu n'est point un esprit de servitude qui vous fasse vivre dans la crainte, mais c’est l’Esprit des enfants de Dieu par lequel nous crions : Abba, notre Père. Cette esprit n'est autre que l'Esprit de Jésus-Christ par lequel nous participons à sa filiation : et cet esprit rend lui-même témoignage au nôtre, que nous sommes enfants de Dieu.

Sitôt que l'âme se laisse mouvoir à l'Esprit de Dieu, elle éprouve en elle le témoignage de cette filiation divine et c'est ce témoignage qui la comble d'autant plus de joie qui lui fait mieux connaître qu'elle est appelée à la liberté des enfants de Dieu et que l'esprit qu'elle a reçu n'est point un esprit de servitude mais de liberté. ---

L'esprit de la motion divine est si nécessaire pour toutes choses que Saint Paul dans le même endroit fonde cette nécessité sur notre ignorance dans les choses que nous demandons. Là-même n. 9,10.

C'est la conduite que nous devons tenir en notre intérieur, et en agissant de cette manière nous avancerons plus en peu de temps par la motion divine qu'en toute autre manière par beaucoup de propres efforts. --

Il faut donc s'abandonner à l'Esprit de Dieu et se laisser conduire par ses mouvements. Chap.22. n. 8, 9.

Cantique.

Il veut de plus que comme l’Amante doit suivre en toute liberté l’attrait du Saint Esprit pour tout ce qui est de son intérieur, elle se conforme aussi aux usages de l’Eglise et aux ordres des Supérieurs, en tout cas qui regarde son extérieurs : ce qui est bien désigné par marcher sur les traces des troupeaux, c’est-à-dire dans un train commun pour l’extérieur Ch. 1, vs. 7.

AUTORITES

S. Denis

1. Le (a) tout premier mouvement vers les choses divines est  l'amour de Dieu ; et le premier avancement de la sainteté charité est mettre en exécution les divins commandements. C'est cette opération-là, mystique et ineffable qui fait qui fait que nous avons un être divin. De l'Hierarch. Chap. Ecclés. Chap. 1.

(a) Si le tout premier mouvement de l'âme vers les choses divines est l'amour, c'est donc bien fait de conduire les âmes par l'amour.

2. Qu'est-ce que les Théologiens veulent dire lorsque tantôt ils appellent Amour et charité, tantôt aimable et chérissable ? C'est parce que du premier il est l'auteur, le producteur et le progéniteur ; et quant à l'autre c'est lui-même, qui est tel : * Par l'amour lui-même est mû, par être aimable il meut les autres ; ou bien parce que c'est lui-même qui se produit et qui excite les autres à foi. En cette sorte, ils l'appellent aimable et chérissable, comme étant beau et bon : et de l'autre ils le nomment amour et charité, parce qu'il a une force et vertu mouvante et attirante à soi, et parce que lui seul est bon et beau par soi-même, et que lui-même a la force de s'exprimer et de se déclarer par soi-même, et qu'il sort par un mouvement amoureux hors de cette union excellente et séquestrée de toutes choses, demeurant néanmoins dans la simplicité qui se meut de soi-même, et qui agit et opère par lui-même : et lequel mouvement d'amour est premièrement et avant que 24 d'être autre part, dans le bon, et du bon s’influe et regorge (a) sur tous les êtres, et d'eux retourne derechef au bon. En quoi le divin Amour fait excellemment paraître qu'il est sans commencement et sans fin (b), comme un certain cercle éternel, qui roule et qui tournoie sans jamais sortir de sa route. Des Noms Divins. Chap. 4.

* Centre n. 1.

(a) C'est toute l’économie de l'intérieur : nous sommes sortis de Dieu, il faut retourner à lui.

(b) admirable.

Henri Suso.

3. Voyez : Consistance. n.6.

Rusbroche.

4. Dieu nous donne une vie au-dessus de nous qui est une vie divine : elle consiste à contempler Dieu et à demeurer attaché à lui par un amour simple et nu, à goûter, à jouir de lui, à nous écouler en lui par amour. Quand étant élevé au-dessus de la raison et de toute notre propre opération, nous entrons dans ce regard nu, là, nous sommes mûs par l'Esprit de Dieu, nous soutenons l'opération de Dieu et nous sommes remplis de sa clarté divine, comme l'air est pénétré de la clarté du Soleil et le fer de l'ardeur du feu. Des Sept Gardes. Chap.17.

Ste Caterine de Gênes.

5. Voyez Anéantissement. n. 12.

Ste Térèse.

6. Il me semble que le Saint-Esprit est alors le médiateur entre Dieu et l'âme et que c'est lui qui la meut avec de si ardents désirs qu'il fait allumer le souverain feu dont elle est si proche. Concept. de l’Âme de D. Chap. 5.

Le B. Jean de la Croix.

7. D'autant que les vertus, tant morales que 25 théologales, sont infuses à l'âme pour agir conformément à la raison humaine, l'âme en cet état se conduit au-dessus de cette raison par des motions extraordinaires du Saint-Esprit, à cause que les transformés et unis à Dieu sont les vrais enfants de Dieu ; et comme tels, ils sont poussés en leurs opérations de l'Esprit de Dieu, ainsi que dit l'Apôtre[193] : Quiconque est mû de l'Esprit de Dieu est enfant de Dieu : joint qu'en cet état, l'âme mène une vie divine qui ne peut être exercée que par un principe divin qui est le Saint-Esprit. -- Or pour recevoir ces motions extraordinaires du Saint-Esprit, l'âme y doit être disposée, puisque, comme dit l’École : Omne quod movetur, necesse est proportionatum esse motori : ce qui se fait par les dons du Saint-Esprit donnés à l'âme pour recevoir ses instincts particuliers. C'est pour cela que vous les voyez nommés sur la Montagne sur le côté droit, la sagesse, la science, la force, le conseil, l'entendement, la piété, la crainte de Dieu. Explication de l’Énigme.

8. Voyez : Actes. n. 5.

9. Voyez : Extase . n.6

10. Voyez : Centre. n.3.

11. La volonté qui auparavant aime tièdement, est à présent changée en vie d'amour divin parce qu'elle aime hautement, avec affection d'amour divin, mue par le Saint-Esprit pour lequel elle vit déjà. --

Finalement tous les mouvements et opérations que l'âme auparavant avait du principe de sa vie naturelle et imparfaite, sont déjà changés en cette union en mouvements de Dieu : d'autant que l'âme déjà, comme la vraie fille de Dieu, est 26 mue de son Esprit, comme dit Saint Paul : Ceux qui sont mus de l'Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu[194]:  et la substance de leur âme, encore qu'elle ne soit substance de Dieu parce qu'elle ne peut se convertir en lui, néanmoins, étant unie avec lui, et absorbée en lui, est Dieu par participation : ce qui arrive en ce parfait état de vie spirituelle, encore que ce ne soit si parfaitement comme dans l'autre vie. Vive Flamme d'Amour. Cantique 2. vs. 6.

12. Voyez : Actes. n.8.

13. L'âme donc prenant garde que Dieu en cette affaire est le principal agent qui la doit diriger et conduire par la main où elle ne peut aller sans lui, à savoir, aux choses surnaturelles, lesquelles de savoir comment elles font, ni son entendement, ni sa volonté, ni sa mémoire n'y peuvent atteindre ; tout son principal soin doit être de regarder à ne mettre point d'obstacles à la guide qui est le Saint-Esprit, dans le chemin par où il la mène, qui est donné en la loi de Dieu et en la foi comme nous avons dit. Cet empêchement lui pourra venir, si elle se laisse guider par un autre aveugle : et les aveugles qui la pourraient tirer du chemin sont le Père spirituel, le Diable et l'âme même. Quant au premier, l'âme qui veut profiter et ne point reculer doit bien regarder à qui elle se confie, car tel que sera le maître, tel sera le disciple, car tel qui est le Père, tel est le fils, car pour ces choses si hautes et même pour les médiocres, l'âme trouvera à peine un guide capable. Là-même. Cantique 3. vs 3 §. 4.

14. Que tels gens prennent garde et considèrent que le Saint-Esprit est le principal agent et moteur 27 de ces âmes dont ils ne perdent jamais le soin, ni de ce qui importe à leur profit, et qui sert pour approcher Dieu plus promptement et par un meilleur moyen ; et qu’eux ne sont pas les agents mais seulement les instruments. Là-même.§. 9.

15. Or c'est une chose merveilleuse comment se fait ce mouvement de l'âme, Dieu étant immobile ; car sans que Dieu se meuve, elle est innovée et mue par lui, et avec une certaine nouveauté admirable on lui découvre cette divine vie, et l'être et l'harmonie de toutes les créatures, la cause prenant le nom de l'effet qu'elle produit. Selon lequel effet, on peut dire que Dieu se meut, comme le Sage dit que la Sagesse est plus mobile que toutes les choses mobiles[195]; non qu'elle se meuve mais parce que c'est le principe et la racine de tout mouvement, et demeurant stable en foi, comme il dit aussitôt, elle renouvelle toutes choses.[196] Et ainsi ce qu'il veut dire là, c'est que la Sagesse est plus active que toutes les choses actives. Partant, nous devons dire ici, que l'âme en ce mouvement est celle qui est mue et réveillée et partant nommer cela proprement du nom de réveil. Mais Dieu demeure toujours dans le même état que l'âme l'a vu :  mouvant, gouvernant et donnant l'être, vertu, grâces et dons à toutes les créatures, les ayant toutes en soi virtuellement, présentiellement et très éminemment, l'âme voyant ce que Dieu est en soi et ce qu'il est dans les créatures. Comme celui qui, à l'ouverture d'un palais, voit tout d'un coup l'éminence de la personne qui est dedans et ensemble ce 28 qu'elle fait. Et ainsi, selon ce que je puis entendre, la manière ou façon dont se fait ce réveil et vue de l'âme, est que Dieu tire quelques voiles et rideaux de plusieurs qu'elle a devant les yeux, afin qu'elle puisse voir ce qu'il est ; et alors on discerne et entrevoit (quoiqu’obscurément, d'autant qu'on n'ôte pas tous les voiles, celui de la foi demeurant) cette face divine pleine de grâces : laquelle, comme elle meut toutes choses par sa vertu, ensemble avec elle, paraît[197] tout celle qu'elle fait : c'est là le réveil de l'âme etc. Là-même Cantiques. 4. vs. 1.

Le P. Nicolas de Jésus Maria

Rapporte

16. Saint Thomas. L'homme spirituel n'est pas seulement instruit du Saint-Esprit pour savoir ce qu'il doit faire, mais aussi son cœur est mû du même Esprit ; et partant de là il faut entendre davantage en ce qu'il est dit : Tous ceux qui sont mûs du Saint-Esprit ; car ces choses-là sont dites être mûes, qui sont poussées d'un certain instinct supérieur ; d'où vient que nous disons des bêtes qu'elles ne gouvernent ni régissent, mais qu'elles sont conduites et dirigées, parce qu'elles sont mûes de la nature pour faire leurs actions et non de leur propre mouvement. Or semblablement  l'homme spirituel est incliné à faire quelque chose, non principalement par le mouvement de sa propre volonté, mais par l'instinct du Saint-Esprit, suivant ce que dit Isaïe,[198] lorsque, celui que le Saint-Esprit pousse, sera devenu comme un fleuve rapide. Et en Saint Luc, il est dit : que Jésus-Christ était poussé par l'Esprit au désert.[199] Par là néanmoins, on n'exclut point que les hommes spirituels n'opèrent 29 par la volonté (a)[200] et le libre-arbitre ; parce que le Saint-Esprit cause en eux ce mouvement de la volonté et du libre-arbitre, conformément à ce que dit l'Apôtre aux Philippiens[201] : C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et l'accomplissement. (Sur Rm. 8 vs. 14. Leçon 13.) Eclairciss. Des Phr. Mist. de Jean de la Croix. P. II. Chap. 4. §. 5.

(a)Toutes les choses libres qui sont mûes correspondent au mouvement en se laissant mouvoir volontairement ; et le consentement est une action : de plus étant agitées, elles sont fortement remuées comme le dit le Moyen Court. (Voir Chap.21. n.4 etc.)

17. -- Il faut néanmoins considérer que si la vertu qui est principe de l'action est mûe d'une vertu supérieure, l'opération qui procède d'elle, non seulement est une action, mais aussi une passion en tant qu'elle part d'une vertu qui est mûe d'une supérieure. (En la Question un. de l'Union du Verbe. Article 6.) Là-même.

18. Saint Prosper. Sans doute, c'est davantage d'être poussé que d'être conduit : car celui qui est régi fait quelque chose, pour cela il est régi afin de bien faire. Or celui qui est mû, à peine conçoit-on qu'il agisse ; et la grâce du Saint-Esprit confère tant à nos volontés que l'Apôtre ne craint point de dire[202] : Tous ceux qui sont poussés par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu. Et la volonté libre ne peut faire en nous rien de meilleur que de se recommander à celui qui ne peut pas mal faire. (Des sentences de Saint Augustin n. 30.) Là-même.

19. Cajetan. Lorsque vous lisez : Ceux qui sont poussés du Saint-Esprit, gardez-vous bien de 30 l'entendre d'une espèce de fureur, de peur que vous ne pensiez que les hommes sont poussés par l'Esprit de Dieu comme des insensés ; mais c'est qu'il est rendu par notre esprit une telle et si grande obéissance au Saint-Esprit, habitant dans les hommes parfaits, qu’obéissants, ils sont régis de lui, étant très souples et très soumis au Saint-Esprit habitant en eux. Or non seulement celui-là est mû, qui en est ignorant, ou qui ne veut être pas poussé, mais aussi celui qui obéit très promptement. (sur Rm. 8. vs. 14.) Là-même.

20. Tolete. Être poussé de l'Esprit de Dieu, c'est faire des œuvres selon l'Esprit, desquels le moteur et le premier auteur est l'Esprit de Dieu habitant dans les justes par la grâce, les vertus et les dons. (sur Rm. 8. vs. 14.) Là-même.

21. Bède. Quelqu'un me dira : on agit donc en nous et nous n'agissons pas. Je réponds : et que vous agissez et qu'on agit en vous, et qu'alors vous agissez bien quand un bon [Esprit] agit en vous car l'Esprit de Dieu qui agit en vous, vous aide en agissant. (Lesquelles paroles il a tiré de Saint Augustin). Là-même.

22. Benoît Justinien. Nous sommes donc conduits et poussés ; mais nous prêtons notre consentement et correspondons librement à la motion divine. L’Apôtre néanmoins a mieux aimé parler de la sorte afin de montrer la force et l'efficacité de la grâce divine. (Sur les mêmes paroles.). Là-même.

23. Saint Augustin. Qu'ils entendent s'ils sont enfants de Dieu, qu'ils sont poussés par l'Esprit de Dieu, afin qu'ils fassent ce qui doit être fait et qu'après l'avoir fait, ils rendent grâces à celui qui les a mus et portés à le faire : car ils sont mûs pour faire et non pour demeurer sans rien faire. 31 (De la correction et de la grâce Chap. 2.). Là-même.

24. Sainte Thérèse. J'ai suffisamment expliqué cette manière d'oraison et ce que doit faire l'âme, ou pour mieux dire, ce que Dieu fait en elle : car c'est lui qui fait déjà office de jardinier et qui veut qu'elle se réjouisse : la volonté prête seulement son consentement à ces grâces dont elle jouit et doit s'offrir à tout ce que la vraie sagesse voudra opérer en elle. (Vie Chap. 17.). Là-même.

25. Le Père Bartelemi des Martyrs. Ce n'est pas une opération humaine mais seulement une divine : car là, Dieu même est agissant et l'homme pâtissant. -- Et bien que cette fervente dilection soit produite par la volonté, elle est néanmoins dite passive parce que la volonté ne s'excite point à elle comme à la première mais elle est immédiatement excitée par Dieu. (Abrégé P. 2. Chap.11.).  Là-même.

S. François de Sales.

26. Voyez : Non-Désir. n. 35.

Mons. Olier.

27. L’Épouse, n'ayant plus aucun pouvoir sur elle-même puisqu'elle est transférée dans le domaine total de l’Époux, doit vivre si absolument dans la dépendance qu'elle n'agisse que selon ses désirs et par ses mouvements. Il faut qu'elle soit comme Jésus-Christ à l'égard de son Père qui ne faisait rien qu'il ne vit absolument ses ordres, en sorte que son opération était tellement unie avec son Père et animée de son opération propre, que c'était une simple et une même chose. Quel dégagement, quelle liberté, quelle soumission, quel abandon à l'Esprit doit être dans une âme pour agir toujours de concert avec lui ! Lettre 12.       32

28. Je prie Notre Seigneur de vous remplir de l'Esprit de la sainte enfance. -- C'est être enfant que de n'avoir point de prudence et de sagesse humaine, et d'aller où porte l’obéissance et le mouvement de l'Esprit-Saint. L'enfant va sans retour par tout où on le mène et les enfants de Dieu vont par tout où l'Esprit de Dieu les conduit. Ils ne s'amusent point à regarder si ce qu'ils font est selon les lois du monde et s'il est conforme à ses coutumes, mais se contentant de la sagesse de la foi qui est la sagesse de Dieu même qu'il donne à ses enfants pour règle et pour la lumière, ils s'abandonnent purement et sans retour à sa sainte conduite : ils évitent ainsi tout le mélange de la lumière humaine qui, par son impureté, éteint souvent en nous celle de Dieu. --

Voilà quelle est la conduite des enfants de Dieu, possédés de son divin Esprit qui, tout enfants qu'ils sont, ont une sagesse mille fois plus solide, plus sévère et plus réglée que tout le monde ensemble, puisqu'ils ont la sagesse de la foi qui est la sagesse de Dieu même pour règle et pour lumière.

Or non seulement cet esprit d'enfance donne lumière à l'âme pour la conduire en tout, mais encore, il donne doucement le branle à la volonté pour faire ce que Dieu veut. Lettre 59.


 

XL. Nudité.

Voyez : Foi nue et obscure.

Cantique

On jouit ici de Dieu dans la nuit de la Foi, où on a le bonheur de la jouissance sans avoir le plaisir de la vue : au lieu que dans l'autre vie on aura la claire vision de Dieu avec le bonheur de la posséder. Chap. I. vs. I.

Comme il est beaucoup parlé dans tous mes Écrits de dénuement, j'ai cru en devoir dire quelque chose ici quoiqu'il n'en soit presque point fait de mention dans les deux Livres que j'éclaircis; parce que je suis bien aise de donner plus de jour que je pourrai à toutes choses.

AUTORITES

S. Denis

1. Voyez : Conversion. n. 2.

2. Voyez : Foi Nue. n. 3.

3. Il est rare parmi les personnes spirituelles d'en trouver une qui soit vraiment dénuée de tout. Où sera le pauvre esprit, dégagé de l'amour de toutes les créatures ? Il faut aller au 34 bout du monde pour trouver cette perle précieuse. Livre 2. Chap. 11. §. 4.

4. Quand un homme sera tel que nous venons de dire, il sera vraiment pauvre d'esprit, dénué de tout, il pourra dire avec le Prophète : Je suis pauvre et abandonné[203]. Et il sera vrai en même temps qu'il n'y a point d'homme ni plus riche, ni plus puissant, ni plus libre que lui, sachant ainsi se séparer  de tout et de soi-même et se mettant toujours au-dessous de tous les autres. Là-même. § 5.

5.Voyez Propriété. n. 4.

6. Aspirez à ce grand bien : afin qu'étant dépouillé de toute propriété, vous puissiez suivre nu Jésus-Christ nu sur la croix et qu'étant mort à vous-même, vous viviez avec moi éternellement. Livre 3. Chap. 37. §. 5.

Ste Caterine de Gênes

7. L'amour nu ne voit que la vérité qui, étant de sa nature communicable à tous , ne peut être propre à chacun. En sa Vie. Chap. 25.

8. Voyez : Purification. n. 18.

9. Quand l'âme pouvait aimer et rendre à Dieu amour pour amour, cet amour lui laissait une certaine saveur dont elle vivait encore : mais cet amour actif et réciproque étant ôté à l'âme, l'humanité demeure sans vigueur et abandonnée comme morte : et pour lors Dieu donne à l'âme une autre opération amoureuse qui est si subtile et si cachée, que l’œuvre qui se fait en l'âme, demeure beaucoup plus noble et plus parfaite que la première ; à cause du dépouillement et de la nudité que Dieu lui donne : il ne lui reste plus aucune nourriture mais une force ferme et stable en Dieu. Dialogue Livre 3. Chap.10.   35

10. Que feras-tu , ô âme ainsi nue et dépouillée ? Et vous, ô cœur et esprit, que ferez-vous ainsi vidés ? Où êtes-vous en cet état dont vous n'avez point de connaissance. Là-même. Chap. 11.

11. Je suis sortie de mon sujet et je n'ai pas suivi le discours que je faisais de la nudité de l'esprit parce qu'on ne trouve point de termes pour exprimer l’état de la vraie nudité et l’âme, se trouvant en cette nudité, a une plénitude en esprit de laquelle elle ne peut parler. Toutefois, à cause de la véhémence avec laquelle elle souffre de cet amour si nu (a), elle est contrainte de parler. Là-même. Chap.12.

(a) Il est à remarquer que la foi obscure est toujours accompagnée de l'amour nu et les états distincts de l'amour senti et compris.

Le B. Jean de la Croix.

12. Il est dit dans l' Explication  de son Énigme, que la grandeur de la contemplation se doit mesurer par la grandeur du dénuement.

13. Pour chercher Dieu, il faut avoir un cœur dénué et fort libre de tous les maux et de tous les biens qui ne sont pas purement Dieu ou qui ne conduisent pas à Dieu. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Couplet. 3.

14. Cette transformation en Dieu conforme l'âme de telle manière avec sa simplicité et pureté, qu'elle la laisse nette, pure et vide de toutes les formes et figures qu'elle avait auparavant, comme le Soleil fait en la vitre (a) : car y répandant 36 la lumière, il la rend claire et dérobe à la vue toutes les tâches qui y paraissaient auparavant, mais lorsque le Soleil s'en retire et s'en éloigne beaucoup, ces tâches s'y voient comme auparavant.  Là-même. Couplet. 18.

(a) Admirable comparaison qui exprime, comme quoi une âme, qui paraissait toute pure dans les premières touches intérieures, paraît sale et pleine de défauts. Ce sont ces mêmes taches et non de nouvelles, comme elle le croit. Mais c'est que comme la présence du Soleil de justice nous dérobe nos défauts, son absence dans le dépouillement les fait voir de nouveau et avec d'autant plus de peine qu'on se croit plus pur.

15. Il faut premièrement savoir que ces cavernes de puissances, quand elles ne sont point purgées et nettes de toute affection de la créature, elles ne sentent point le grand vide de leur profonde capacité parce qu'en cette vie, la moindre chose qui s'y attache suffit pour les tenir si embrasées et si transportées, qu'elles ne sentent point leur perte et ne prennent garde aux biens immenses qui leur manquent, ni ne connaissent leur capacité : et c'est une chose merveilleuse qu'étant capables des biens infinis, les moindres soient capables de les brouiller de telle sorte qu'elles ne puissent  parfaitement recevoir jusqu'à ce qu'elles se soient évacuées de tous points, comme nous dirons tantôt. Mais quand elles sont vides et nettes, la soif, la faim et l'anxiété du sens spirituel sont intolérables. Vive flammes d'amour. Cantique. 3. vs. 3. §. 1.

Tout le Livre de la Nuit Obscure ne parle que de cette nudité.

16. Voyez : Défauts. n. 12.

17. Si on s'est dénué de la vieille affection aux consolations spirituelles, aux exercices de la dévotion, à la pratique des vertus, voire même à notre propre avancement en la perfection, il 37 se faut revêtir d'une autre affection toute nouvelle, aimant toutes ces grâces et faveurs célestes, non plus parce qu'elles perfectionnent et ornent notre esprit, mais parce que le Nom du Seigneur en est sanctifié, que son Royaume en est enrichi et son bon-plaisir glorifié. De l'Amour de Dieu. Livre 9. Chap. 16.

Le Fr. Jean de S.Samson.

18. Voyez : Abandon n. 25.

L’auteur du Jour mistique.

19. Cette âme ayant tout abandonné à son Dieu, son être et la capacité de son être ; tout son plaisir est de le laisser faire en elle et par elle tout ce qui lui plaira : par les ténèbres ou par les lumières, par les rebuts ou par les caresses, par les privations ou par l'abondance ; demeurant tranquille dans l'inquiétude des sens, dans le soulèvement des passions, dans les obscurités et tentations, en vue et par le respect de celui qui est et qui opère toutes choses en elle, selon qu'il l'entend et le veut, par le motif de son bon plaisir, le suivant en tout ; aimant tous les états qu'il y opère, même les plus obscurs et dénués, et lui adhérant pour lors par un repos mystique, c'est à dire par des actes non réfléchis et aperçus de foi et d'amour nu en la pointe de son esprit. Par ce nu consentement, par cet abandon muet, par cet amour pur, l'incompréhensible est aimé en l'âme au-dessus de toute pensée et de tout acte percevable. Livre I. Traité I. Chap. 1. Sect. 5.

Le même Auteur traite de cela dans plus de trente Chapitres, à savoir dans tout le livre second.

XLI. Oisiveté.

Cette oraison n'est point oisive.

Moyen court.

Ceux qui accusent cette oraison d'oisiveté se trompent beaucoup et c'est faute d'expérience qu'ils le disent de la sorte. Oh ! S'ils voulaient un peu travailler à en faire l'essai ! Dans peu de temps, ils seraient expérimentés et savants en cette matière. Chap. 12. n. 3.

Il n'est donc point question de demeurer oisif, mais d'agir avec dépendance de l'Esprit de Dieu qui nous doit animer. Chap.21. n. 4.

Alors l'âme est comme une habitude de l'acte, se reposant dans ce même acte.

Mais son repos n'est point oisif : car alors il y a un acte toujours subsistant qui est un doux enfoncement en Dieu. Chap.22. n. 5.

AUTORITES.

S. Denis.

1. Ici, en montant par les plus basses aux premières et principales, nous ôtons toutes ces choses (a) afin que nous connaissions à découvert 39 cette ignorance même, couverte et enveloppée au-dessous de toutes les choses qui sont et qui peuvent être connues, en quoi que ce soit, et afin que nous puissions  voir cette obscurité suressentielle, laquelle est cachée au-dessous de toute la lumière qui est en l'être des choses. Théologie Mystique. Chap. 2.

(a) Ce n'est donc pas oisiveté puisqu'on ne la dépouille d'une opération naturelle que pour avoir la surnaturelle.

Le B. Jean de la Croix.

2. Lorsque l'âme quitte la méditation, ce regard amoureux, ou notice générale lui est nécessaire ; parce que si l'âme n'avait alors cette notice ou assistance en Dieu, il s'ensuivrait que l'âme ne ferait et n'aurait rien, d'autant que la méditation lui manquant -- et n'ayant point non plus la contemplation, qui est la connaissance générale susdite en laquelle l'âme a ses puissances spirituelles actuellement appliquées, savoir : la mémoire, l'entendement et la volonté déjà unie en cette notice, elles manqueront infailliblement de tout exercice envers Dieu. Montée du Mont Carmel. Livre. 2. Chap. 14.

3. Cette oraison paraît très courte à l'âme parce qu'elle a été en pure intelligence. Et c'est la courte prière qu'on dit pénétrée les cieux : courte parce qu'on ne considère pas le temps et elle pénètre les cieux à cause que l'âme est unie en intelligence céleste. -- Encore qu'il semble à l'âme en cette notice qu'elle ne fait rien et qu'elle n'est occupée à rien d'autant qu'elle n'opère pas avec les sens ; qu'elle ne croit pas néanmoins perdre le temps et être inutile. Car encore que l'harmonie des puissances de l'âme cesse, toutefois, son intelligence demeure de la manière que nous avons dit. C'est pourquoi l’Épouse qui était sage, se répondit à elle-même sur ce doute, disant : Quoique je dorme en ce que je  cesse 40 naturellement d'opérer ; mon cœur veille surnaturellement[204], élevé en notice surnaturelle. Là-même.

4. En ces commencements, quand nous verrons par les choses susdites que l'âme ne sera pas employée en ce repos ou notice, il faudra se servir du discours jusqu'à ce qu'on ait acquis l'habitude que nous avons dit en quelque manière parfaite ; qui fera que, lorsqu'ils voudront méditer, ils demeureront en cette connaissance de paix sans pouvoir méditer, ni même en avoir envie. -- De sorte que souvent l'âme se trouvera en cette amoureuse et paisible assistance, sans rien opérer avec les puissances, comme il a été dit ; et elle aura souvent besoin de s'aider doucement et modérément du discours pour s'y mettre : laquelle étant acquise, l'âme ne discourt et ne travaille plus avec les puissances. Car alors on peut plutôt véritablement dire que l'intelligence et faveur sont produites en elle, que non pas qu'elle fasse quelque chose, cette âme n'ayant rien à faire, sinon d'être attentive à Dieu avec amour. La-même. Chap. 15.

5.Vous me direz que la volonté, si l'entendement n'entend distinctement, sera au moins oisive et n'aimera pas, d'autant qu'on ne peut aimer que ce qu'on entend. J'avoue et accorde cela, principalement aux opérations et actes naturels de l'âme que la volonté n'aime que ce que l'entendement connaît distinctement. Mais durant le temps que dure la contemplation dont nous parlons, laquelle Dieu communique à l’âme, il n'est pas nécessaire qu'il y ait aucune notice distincte ni que l'âme fasse plusieurs discours ; parce qu'alors Dieu lui communique une notice 41 amoureuse qui est conjointement comme une lumière ardente sans distinction, et alors selon la manière qu'est l'intelligence, l'amour est aussi en la volonté. Car comme la connaissance est générale et obscure, l'entendement ne pouvant connaître distinctement ce qu'il entend, la volonté aime aussi en général sans aucune distinction. Car attendu que Dieu en cette communication délicate est amour et lumière, il informe également ces deux puissances, encore que parfois il frappe plus en l'une qu'en l'autre et ainsi quelquefois on sent plus d'intelligence que d'amour, d'autres fois plus d'amour que d'intelligence. C'est pourquoi il n'y a point de sujet de craindre ni d’appréhender l'oisiveté de la volonté en cet état : car si elle cesse de faire des actes dirigés par des notices particulières, en tant qu'elles provenaient de son côté, Dieu l'enivre d'amour infus par le moyen de la notice de contemplation ainsi que nous venons de le dire, et les actes qui se font seront excellents, plus méritoires et plus savoureux que le moteur qui verse cet Amour, est meilleur. Vive Flamme d'Amour. Cantique  3. vs. 3.§. 10.

6. Il ne faut pas craindre, quoique la mémoire doive être vide de de ses formes et figures : car puisque Dieu n'a ni forme ni figure, elle va sûrement étant vide et s'approche plus près de Dieu. Car tant plus elle s'appuiera sur l'imagination, tant plus elle s'éloignera de Dieu et sera plus en péril ; vu que Dieu étant au-dessus de nos pensées, il ne tombe point en l'imagination. Là-même. §.11.

Le P. Nicolas de Jésus Maria.

Rapporte

Rusbroche (parlant de la fausse oisiveté des 42 Illuminés) : Avant que de passer outre, il est bon de faire ici mention de certaines gens, lesquels encore qu'ils semblent bons à l'extérieur, si est-ce qu'ils mènent une vie contraire à toute vertu. -- Car tous ceux qui vivent sans la charité surnaturelle, étant recourbés et réfléchis sur eux-même, (a) cherchent le repos dans les choses extérieures, d'autant que toutes les créatures naturellement désirent le repos. -- Mais qu'on prenne garde, je vous prie, comment on s'adonne à ce repos naturel. Ceux qui s'y attachent s'en vont à l'écart, demeurant oisifs sans aucun exercice extérieur ni intérieur afin de jouir du repos souhaité et de n'être point troublés ni empêchés d'ailleurs. Mais de s'adonner de la sorte à ce repos n'est ni bon ni licite : car cela cause en l'homme un certain aveuglement et une ignorance de toutes choses et fait que l'homme se repose en soi-même tout paresseux et non-chalant ; et ce repos n'est autre chose qu'une lâche oisiveté à laquelle s'adonnent tellement ceux de qui nous parlons, que pour toute action ils plongent dans un oubli de Dieu, d'eux-même et de toutes choses. Ce repos donc est contraire (b) à cette quiétude surnaturelle qu'on possède en Dieu puisque celle-ci est amoureuse liquéfaction de l'esprit, jointe à un simple regard vers la clarté incompréhensible. -- Ceux-là donc se 43 trompent beaucoup, qui s'aimant et se recherchant en eux-même, s'assoient mollement dans ce repos naturel et ne cherchant point Dieu par leur désir, ils ne le trouvent jamais par un amour jouissant. (Des Sept Gardes. Chap. 76.) Éclaircissement des phrases de Jean de la Croix. P. 1. Chap. 8. §.2.

(a) Il est aisé de voir combien les Écrits que Dieu m'a fait faire, sont différents de cela, puisqu'on tâche de bannir toute propre recherche et propre réflexion par l'oubli de soi-même, et loin de chercher le repos dans les choses extérieures, on s'éloignent même des choses intérieures pour ne trouver de repos qu'en Dieu seul. (b) Différence de la fausse et de la vraie oisiveté.

Le P. Jaques de Jésus

Rapporte

8. L’Abbé Gilbert. Dans le loisir, l'affection se déploie et on n'y fait pas peu. Il arrive quand nous sommes dans ce loisir que nous sentons le trait de l'amour divin bien plus pénétrant. Le soin enveloppe l'esprit, le repos le développe. (Sermon. 1. Sur le Cantique). Note sur Jean de la Croix. Discours 1. Phrase 2.).

Le P. Benoît de Canfeld.

9. C'est ici la bonne oisiveté où est l'épreuve de la fidélité, et où l'âme est constituée en vraie pureté et patience d'esprit comme aussi en la parfaite résignation ; c'est ici où est le dernier épuisement de tout ce qui est humain dans l'homme ; c'est ici où se trouve la totale mort et la pleine victoire et où l'on rend l'esprit à Dieu et par conséquent où l'homme est rendu divin : d'autant que par une telle confiance et une telle mort Dieu vit et règne en l'âme, y opérant toutes les œuvres. Règle de la perfection. Partie. 3. Chap. 14.

10. Il n'y a que le vrai mourant ou le vrai mort qui puisse soutenir le vrai repos (qui est l'effet du regard divin), en vraie et sainte oisiveté ; à laquelle seule convient éternellement mourir en son objet. L'âme qui est en cet état de sainte oisiveté peut seule et non autrement que par sa fidélité à mourir, soutenir l'effort très douloureux et presque insupportable de ce repos hors de soi, où elle va suivant à tels frais le regard qui 44 secrètement l'attire à soi. Si bien qu'à mesure que l'âme se consomme par les morts mystiques qui semblent devoir supprimer toute la vie de la nature, le pur esprit, ou pour mieux dire, tout le fond où toute âme est réduite, reçoit nouvelles constitutions et nouvelle force et vigueur. Cabinet Mystique. Partie. 1. Chap. 2.

Mons. Olier.

11. Il prouve admirablement dans la Lettre 123, que le calme et le silence où Dieu tient quelques âmes, n'est pas une oisiveté, mais une grande grâce. Je ne la rapporte pas pour être trop longue.


 

XLII. Opérations de Dieu en l’âme.

Les OPERATIONS DE DIEU se font dans l'âme d'une manière inconnue.

Cela a été vu en tant d'endroits qu'il en faut dire peu.

Moyen court.

Dieu purifie tellement l'âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées qui font une dissemblance très grande qu'enfin, il se la rend peu à peu conforme et puis uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant quoique d'une manière cachée et inconnue, c'est pourquoi on l'appelle mystique. Chap. 24. n. 8.

Cantique.

Ma noirceur apparente cache la grandeur des opérations de Dieu dans mon âme. Chap. 1. vs. 4.

L’Époux sacré est toujours dans le centre de l'âme qui lui est fidèle : mais il y demeure si caché que celle qui possède ce bonheur l'ignore presque toujours, exceptés certains moments où il lui plaît de se faire sentir à l'âme amoureuse qui pour lors, le découvre en soi d'une manière intime et profonde. Il en use à présent avec la plus pure de ses Amantes, ainsi que le témoigne ce qu'elle va dire. Lorsque mon Roi, celui qui me gouverne et me conduit en souverain, se reposait dans son lit, qui est le fond et le centre de mon âme où il prend son repos, mon nard, qui est ma fidélité, a répandu son odeur d'une manière si douce et si agréable qu'il l'a obligée de se faire connaître à moi. Alors j’ai reconnu qu’il se reposait en moi, comme dans son lit Royal, ce que j'avais ignoré auparavant : car quoiqu'il y fût, je ne l'y apercevais pas. Là-même. Vs 11.           46

Cette Amante ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu'étant toujours direct et sans réflexion, elle ne connaît pas son regard et ne s'aperçoit point qu'elle ne cesse point de voir. De plus, dès qu'on ne peut plus le voir et qu'on s'oublie soi-même aussi bien que toutes les créatures, il est nécessaire qu'on regarde Dieu. Chap. 4. vs. 9.

Comme l'écorce est la moindre partie de la grenade ? qui renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui parait extérieurement de l'âme de ce degré, est très peu de chose au prix de ce qui est caché. Chap. 6. vs. 6.

AUTORITES

Henri Suso.

1. Tandis que l'homme connaît Dieu ou sent son union avec Dieu ou quelque chose d'approchant dont il peut parler, il peut entrer encore plus avant. Dialogue de la Vérité. Chap. 8.

2. Voyez Anéantissement. n.3.

3. Voyez Actes. n. 1.

4. L'esprit créé est saisi par l'esprit suressentiel de Dieu et enlevé où il ne pourrait jamais parvenir par lui-même. Dans cet enlèvement il perd toute image, toute forme et toute multiplicité, et est conduit dans l'ignorance de soi-même et de toute chose, en sorte qu'il ne se voit plus lui-même ni les autres choses hors Dieu et qu'il est absorbé par une simple perte avec les trois 47 sacrées Personnes dans l’abîme de Divinité : là, il trouve sa béatitude selon la vérité suprême. Là-même. Chap. 21.

Ste Caterine de Gênes.

5. Voyez Anéantissement. n. 15.

6. Si les créatures qui sont rares au monde, étaient connues, elles seraient adorées : mais Dieu les tient inconnues et cachées à elles-mêmes et aux autres jusqu'à l'heure de la mort qui est le temps où l'on connaît le vrai d'avec le faux. Dialogues. Livre 3. Chap. 11.

7. L'âme n'entend point comment ni par où entre ce bien qu'elle voudrait ne point perdre. –

Or  ici, lui sont communiquées de grandes vérités parce que cette lumière est telle qu'elle l'éblouit, en sorte qu'elle empêche de connaître ce que c'est. --

Car comme un enfant ne sait point comme il croit ni comme il tête, vu même que, sans chercher la mamelle et sans qu'il fasse aucune chose, on lui met souvent le tétin dans la bouche, de même en arrive-t-il ici à l'âme : car elle ne sait du tout si elle sait aucune chose et ne sait comment ni par où ni ne peut entendre d'où lui est venu ce grand bien. Conceptions de l'Amour de Dieu. Chap. IV.

Le B. Jean de la Croix.

8. Il faut savoir que cette connaissance générale dont nous parlons est parfois si subtile et si délicate, principalement quand elle est plus pure, plus simple, plus parfaite, plus spirituelle et intérieure, que l'âme encore qu'elle y soit employée, ne l'aperçoit et ne la sent pas. Montée du Carmel. Livre  2. Chap. 14.

9. Cette âme ne s'entremettra guère des 48 choses d'autrui, car même elle ne se souvient point des siennes : et l'Esprit de Dieu a cette propriété en l'âme où il demeure, qu'aussitôt il l'incline à ne vouloir savoir les choses d'autrui, il les lui fait oublier toutes, principalement celles qui ne sont pas pour son profit, parce que l'Esprit de Dieu est recueilli et ne sort aux choses d'autrui ; et ainsi l'âme demeure en une ignorance de tout. Ce n'est pas dire qu'elle perde l'habitude des sciences et totalement les notices des choses qu'elle savait auparavant bien qu'elle demeure en ce non-savoir, mais c'est qu'elle perd l'acte et la mémoire de toutes les choses dans ces absorbements d'amour. Cantique entre l’Épouse et l’Époux. Couplet. 18.

Le P. Nicolas de Jésus-Maria

Rapporte :

10. D.Bartelemi des Martyrs. Ils deviennent semblables à un enfant qui embrasse sa mère et suce la mamelle, lequel le plus souvent ne voit et n'entend rien ou au moins ne juge pas qu'il voit et entend. (Abrégé spirituel. Chap. 13.§. 13.) Éclaircissement des Phrases Mystiques de Jean de la Croix. P. II. Chap.4. §. 2.

11. Saint Thomas sur Saint Denis. Il y a une très parfaite connaissance de Dieu par éloignement, c'est à savoir en ce que nous connaissons Dieu par ignorance, par une certaine union au-dessus de la Divinité, à savoir en ce qu'il connaît que Dieu est non seulement au-dessus de toutes choses qui sont au-dessus de lui et sur toutes choses qui peuvent être comprises de lui. Là-même.       49

12. Suarez. Partant cette ignorance de Dieu de laquelle parle Saint Denis, n'est pas une ignorance de privation ou de mauvaise disposition : car ainsi ignorer Dieu, c'est une très grande imperfection, donc par l’ignorance, il entend une certaine connaissance de Dieu, par laquelle on connaît plutôt ce que Dieu n'est pas que ce qu'il est et pour cela on l'appelle ignorance. (Tome. 2. de Relig. I.2. De Orat. Cap.12. n. 20.) La-même.

13. Saint Bernard.. Voyez Entendre. n. 31.

14. Saint Bonavanture. Voyez  Là-même. n. 32.

15. Hugues de Saint-Victor. Ils ne savent où ils se voient être et trouvent au-dedans quelque chose comme par les embrassements d'amour et ils ignorent ce que c'est et néanmoins, ils désirent de le tenir de toutes leurs forces. Là-même.

16. Le meilleur pour l'homme est d'ignorer en cette vie en quel degré de grâce et de charité il est et même d'ignorer du tout s'il est agréable à Dieu. Esprit de Carmel. Chap. 9. §. 17.

17. La sainteté des saints est inconnue aux hommes, leur vie est connue à Dieu seul et aux citoyens célestes. Toutefois elle n'est pas complètement inconnue aux Diables et ils craignent beaucoup de les aborder. Leur vie est sans miracles, n'y ayant pas de plus grand miracle que leur continuelle sainteté, par la force et vertu de laquelle ils demeurent fixes et arrêtés immobilement en Dieu, par-dessus toute vertu. De sorte que celui qui voudrait présumer de les toucher se tromperait grandement : on toucherait plutôt Dieu pour ainsi dire en l'abîme duquel ils sont entièrement absorbés et engloutis. Ils ne sont pas pourtant insensibles à cause de leur nu amour de Dieu dans lequel et pour lequel ils 50 combattent et résistent virilement aux assauts que les Diables et les hommes leur livrent continuellement. Plusieurs même qui paraissent justes en public, en jugent bien mal pour ne savoir pas quelle est leur vie et en quoi elle consiste, quelle est leur suprême renonciation et où elle réside. Dieu le permettant ainsi pour le plus grand bien de ses amis. Aussi apportent-ils en un jour plus de profit à l’Église par leur parfaite et continuelle union à Dieu que les autres ne font en plusieurs années. Cabinet Mystique. Partie 2. Chap.4. n. 5.

18. Voyez Saints inconnus. n. 7.

19. Pour le regard de vos vrais Amoureux qui se sont perdus entièrement et sans ressource à eux-mêmes, on ne peut en rien dire : on ne les voit point, on ne les connaît point ; on ignore leur demeure ; on ne sait quels sont leurs plaisirs et les délices où ils se reposent au midi. De sorte qu'étant inconnus, ils sont fort souvent et même pour l'ordinaire, persécutés des hommes, même des meilleurs et plus saints, à quoi ils prennent très grand plaisir de se soumettre pour se rendre en cela semblables à leur bien-aimé Sauveur. Car puisque pour leur amour vous avez été persécuté de vos propres enfants, comme si vous eussiez été l'ennemi de tout le genre humain, n'est-ce pas grand honneur au disciple d'être traité comme son Maître ? Contemplation. 16.

20. Les saints hommes mêmes cherchent assez souvent ces personnes ici et ne les peuvent trouver, vu la différence de l'état et constitution des uns et des autres. Cela fait que très souvent ils les persécutent et les calomnient outrageusement comme gens oiseux, inconnus, dont la vie ne vaut rien selon leur jugement. Ainsi les doigts de ces amis de Dieu, inconnus, distillent 51 souvent la myrrhe très éprouvée. Car ils ne sont pas insensibles comme la pierre et le bronze ni de nature impassible comme les Anges. -- J'ajoute néanmoins que, comme elles sont l'humilité même, l'affliction telle qu'elle soit, ne les fait jamais sortir, d'autant qu'elle ne les peut rencontrer ni ayant Dieu vivant en elles, qui  (a) souffre et endure toutes choses en elles pour ainsi dire, à quoi elles lui servent d'instrument éternel. Contemplation. 38.

(a) C'est porter Jésus-Christ dans ces états (Moyen court Chap. 8. n.1.) J'en ai écrit en bien des endroits. (Voyez les Explications sur nombre. Chap.20. Vs 7 à 9. 1 Co. 4.vs.10. Ga. 6. vs. 17. Ph. 19, 20, 21 etc.

21. Comme ces personnes sont si rares entre les hommes, ce n'est pas merveille si on n'en fait pas état, vu qu'il est impossible d'exalter et même de beaucoup aimer ce qu'on ne connaît point. Que si ces âmes excellentes sont mal traitées par les meilleurs moraux, que ne doivent-elles point souffrir de la part des libertins ? Sans doute il faut se résoudre à être vivement persécutés d'eux. De l'effusion de l'homme hors de Dieu. Traité 3. n. 14.

22. Celui qui, étant passé au total de Dieu semble n'avoir rien d'une telle Sainteté, est d'autant plus merveilleux que sa condition est infiniment élevée au-delà de la région élémentaire. Sa clarté reluit merveilleusement pour l'édification des prochains en toutes ses actions, paroles, gestes et sentiments ; tout cela manifestant assez à clair l'Esprit de Dieu à quiconque est disposé par vertu pour envisager cet état, lequel Esprit de Dieu remplit ces âmes suavement, les domine fortement, les échauffe vivement et les illumine excellemment. Toutefois, je sais bien de quoi je me dois plaindre, encore que je ne sache pas 52 de qui; -- à peine ai-je jamais connu ou connaîtrai-je quelqu'un à l'avenir qui demeure ferme et généreux dans les ennuis de la nature au temps même de l'extrémité : -- à la moindre et première rencontre de semblables ennuis, l'âme vaincue descend de la croix, allant se consoler par les sens. Cette vérité condamne de faiblesse certains spirituels qui ne sauraient agoniser en amour nu dans les ennuis de la nature, s'ils sont de quelque durée. Là-même. n. 70, 71.

23. La vraie et perdue sainteté est pur esprit. Elle consiste dans le pur et éminent amour, hautement et éternellement renoncé, et les spirituels qui sont au-dessous de cet état d'éminence n'y connaisse rien, à raison de l'extrême distance qu'il y a des uns des autres. Ces saints inconnus, comme ils sont, n'ont qu'à aller leur chemin par leur désert solitaire et scabreux en esprit, mourant très nuement à tous les dons de Dieu et faisant toujours chemin au-delà de tout cela. -- Il n'importe nullement si les hommes les connaissent ou non, au contraire, cette sorte de sainteté étant inconnue, est dès là même très assurée. Là-même. n. 73.

24. Leur humilité est ici en son propre domicile selon toute son étendue au dehors, autant qu'il le faut ; et au dedans elle est aussi dans son centre et dans sa propre forteresse, sans que personne, par manière de dire, que Dieu et eux la connaissent : au contraire, il se peut faire que certains les estiment superbes sans raison ni sujet, prenant leur bonne liberté d'esprit pour la même superbe, l'aveuglement desquels les empêche de mieux juger. La mort des Saints etc. Chap. 3. n.7.


 


 

XLIII. Opérations propres.

Ceci a tant de rapport aux Actes que c'est presque la même chose.

Moyen court.

Il faut se contenter de dire que c'est alors qu'il est de grande conséquence de faire cesser l'action et l'opération propre pour laisser agir Dieu. --- Mais la créature est si amoureuse de ce qu'elle fait qu'elle croit ne rien faire si elle ne sent, connaît et distingue son opération. Elle ne voit pas que c'est la vitesse de la course qui l'empêche de voir ses démarches et que l'opération de Dieu devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme on voit que le soleil, à mesure qu'il s'élève, absorbe peu à peu toute la lumières des étoiles qui se distinguaient très bien avant qu'il parût. Ce n'est point le défaut de lumière qui fait que l'on ne distingue plus les étoiles mais l'excès de lumière.

Il en est de même ici. La créature ne distingue plus son opération parce qu'une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait 54 entièrement défaillir à cause que son excès les surpasse toutes ---

Je dis donc que cette défaillance d'opérer ne vient pas de disette mais d'abondance, comme la personne qui en fera l'expérience le distinguera bien. Elle connaîtra que ce n'est pas un silence infructueux, causé par la disette, mais un silence plein et onctueux causé par l'abondance.

Deux sortes de personne se taisent : l'une pour n'avoir rien à dire, l'autre pour en avoir trop. Il en est de même en ce degré, on se tait par excès et non pas par défaut.

L'eau cause la mort à deux personnes bien différemment : l'une se meurt de soif et l'autre par l'abondance. C'est ici l'abondance qui fait cesser les opérations. Il est donc bien de conséquence de demeurer le plus en silence que l'on peut.

Un petit (a) enfant attaché à la mamelle de sa nourrice nous le montre sensiblement. Il commence à remuer les petites lèvres pour faire venir le lait, mais lorsque le lait 55 vient avec abondance, il se contente de l'avaler sans faire nul mouvement : s'il en fait, il se nuirait et ferait répandre le lait et il serait obligé de quitter.

(a) Il me semble que le B. Jean de la Croix se sert de cette comparaison : je crois l'avoir écrit plus haut [Voyez Oraison § II. n. 17 et Saint François de Sales. Là-même. n. 23. Comme aussi Sainte Térèse Ci-dessus  n.13. Opérations n. 7.

Il faut de même au commencement de l'oraison remuer d'abord les lèvres de l'affection : mais dès lors que le lait de la grâce coule, il n'y a rien à faire que de demeurer en repos, avalant doucement ; et, lorsque ce lait cesse de venir, remuer un peu l'affection comme l'enfant fait la lèvre. Qui ferait autrement ne pourrait profiter de cette grâce qui se donne ici pour attirer au repos de l'amour et non pour exciter au mouvement de la propre multiplicité.

Qu'arrive-t-il à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire qu'il se nourrit de la sorte ? Cependant plus il tète plus le lait lui profite. Qu'arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C'est qu'il s'endort sur le sein de la mère : cette âme paisible à l'oraison s’endort souvent du sommeil mystique où toutes les puissances se taisent jusqu'à ce qu'elles entrent par état dans ce qui leur est donné passagèrement. Vous voyez que l'âme est conduite ici tout naturellement, sans gêne, sans effort, sans étude et sans artifice. Chap. 12. n. 2, 3, 4, 5.               56

Qu'ils ne se mettent pas en peine de faire autre chose lorsque Dieu agit plus excellemment en eux et avec eux. C'est haïr le péché comme Dieu le haït que le haïr de cette sorte. C'est l'amour le plus pur que celui que Dieu opère en l'âme. Qu'elle s'empresse donc d'agir mais qu'elle demeure telle qu'elle est, suivant le conseil du Sage : [205] Mettez votre confiance en Dieu, demeurez en repos en la place où il vous a mis. Chap.15. n. 3.

Ceci (a) ne peut être pour les degrés précédents, où l'âme étant encore dans l'action, se peut et se doit servir de son industrie pour toutes choses, plus ou moins selon son avancement.

(a) Précaution à noter.

Pour les âmes de ce degré, qu'elles s'en tiennent à ce qu'on leur dit et qu'elles ne changent point leurs simples occupations.

Il en est de même pour la Communion : qu'elles laissent agir Dieu et qu'elles demeurent en silence : Dieu ne peut être mieux reçu que par un Dieu. Là-même. n. 5.

Cette prière est la prière de vérité, c'est adorer[206] le Père en Esprit et en vérité. En Esprit, parce que nous sommes tirés par là de notre manière d'agir humaine et charnelle pour entrer dans la pureté de l'esprit qui prie pour nous. Et en vérité, parce que l'âme est mise dans la vérité du Tout de Dieu et du néant de la créature.

Il n'y a que[207] deux vérités, le tout et le rien. Tout le reste est mensonge.

Nous ne pouvons honorer le Tout de Dieu que par notre anéantissement. Chap. 20 n. 4.

Notre action doit donc être de nous mettre en état de souffrir l'action de Dieu et de donner lieu au Verbe de retracer en nous son image. Une image qui remuerait, empêcherait le peintre de contretirer un tableau sur elle. Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable Peintre de travailler et font faire de faux traits.

Il faut donc demeurer en paix et ne nous mouvoir que lorsqu'il nous meut. Chap. 21. n. 5.

Pour être donc à Jésus-Christ, il nous faut laisser remplir de son esprit et nous vider du nôtre : il faut qu'il soit évacué. Là-même. n. 9.

Il faut que[208] toutes choses se fassent en leur temps : chaque état a son commencement, 58 son progrès et sa fin. Si on veut toujours s'arrêter au commencement, c'est trop se méprendre. Il n'y a point d'art qui n'ait son progrès. (a) Au commencement, il faut travailler avec effort, mais ensuite il faut jouir du fruit de son  travail.

(a) Manière de quitter ses propres opérations.

Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l'arracher de là pour le mettre en pleine mer, mais ensuite, ils le tournent aisément du côté qu'ils veulent aller. De même, lorsque l'âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut avec bien des efforts la tirer de là, il faut défaire les cordages qui la tiennent liée, puis en veillant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l'attirer au dedans, l'éloignant peu à peu de son propre port : et en s'éloignant de là, on la tourne au dedans qui est le lieu où l'on désire voyager.

Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte, à mesure qu'il avance dans la mer, il s'éloigne plus de la terre et plus il s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour l'attirer. Enfin, on commence à voguer doucement et le vaisseau s'éloigne si fort qu'il faut quitter la rame qui est rendue inutile. Que fait alors le Pilote ? Il se contente d'étendre la voile et de tenir le gouvernail. 59 Étendre les voiles, c'est faire l'oraison de simple exposition devant Dieu pour être mû par son esprit. Tenir le gouvernail, c'est empêcher notre cœur de s'égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de l'esprit de Dieu qui s'empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau. Tant que le vaisseau à le vent en poupe, le pilote et les mariniers se reposent de leur travail. Quelle démarche ne font-ils pas sans se fatiguer ? Ils font plus de chemin en une heure, en se reposant de la sorte et en laissant conduire le vaisseau au vent, qu'ils n'en feraient en bien du temps par tous leurs premiers efforts : et s'ils voulaient alors ramer, outre qu'ils se fatigueraient beaucoup, leur travail serait inutile, et ils retarderaient le vaisseau.

C'est la conduite que nous devons tenir dans notre intérieur et en agissant de cette manière nous avancerons plus, en peu de temps, par la motion divine qu'en toute autre manière par beaucoup de propres efforts. ---

Lorsqu'on a le vent contraire, si le vent et la tempête sont fort, il faut jeter l'ancre dans la mer pour arrêter le vaisseau. Cette ancre n'est autre chose que la confiance en 60 Dieu et l'espérance en la bonté, attendant en patience le calme et la bonace, et que le vent favorable retourne comme faisait David : J'ai entendu, dit-il, le Seigneur avec grande patience et il s'est enfin abaissé jusqu'à moi[209]. Chap. 22. n. 7, 8, 9.

Il faut que ce qui est de l'homme et de sa propre industrie, pour noble et relevé qu'il puisse être, il faut, dis-je, que tout cela meure. ---

Tout ce qui est de propres efforts et de propriété doit être détruit : parce que rien (a) n'est opposé à Dieu que la propriété et que toute la malignité de l'homme est dans cette propriété comme source de la malice. Chap. 24. n. I.

(a) Ceci se verra lorsque j'écrirai de la Propriété.

Dieu purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées qui sont une dissemblance très grande, qu'enfin il se la rend peu à peu conforme et puis uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant quoique d'une manière cachée et inconnue, c'est pourquoi on l'appelle mystique. Mais il faut qu'à toutes ces opérations l'âme concoure passivement.

Il est vrai qu'avant que d'en venir là, il 61 faut qu'elle (a) agisse plus au commencement puis à mesure que l'opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et successivement l'âme lui cède jusqu'à ce qu'il l'absorbe tout à fait. Mais cela dure longtemps.

(a) Ceci a été vu aux Actes. 

On ne dit donc pas, comme quelques-uns l'ont cru, qu'il ne faille pas passer par l'action puisque au contraire c'est la porte : mais seulement qu'il n'y faut pas toujours demeurer, vu que l'homme doit tendre à la perfection de sa fin et qu'il ne pourra jamais y arriver qu'en quittant les premiers moyens, lesquels lui ayant été nécessaires pour l'introduire dans ce chemin, lui nuiraient beaucoup dans la suite, s'il s'y attachait opiniâtrement puisqu'ils l'empêcheraient d'arriver à sa fin. C'est ce que faisait Saint Paul : Je laisse[210], dit-il, ce qui est derrière et je tâche d'avancer afin d'achever ma course.

Ne dirait-on pas qu'une personne aurait perdu le sens si, ayant entrepris un voyage, elle s'arrêterait à la première hôtellerie parce qu'on l'aurait assurée que plusieurs y ont passé, que quelques-uns y ont séjourné et que les maîtres de la maison y demeurent ? Là-même.n. 8, 9.

AUTORITES.

S. Denis.

1. Mais encore ici, tenons-nous dans les termes de cette loi des saintes Écritures qui nous défend d'astreindre et d'attacher la vérité des choses qui sont dites par Dieu aux paroles[211] persuasives de la sagesse humaine, mais veut qu'elle soit démontrée par la force de la science des Théologiens, mue et inspirée par le Saint-Esprit, par laquelle nous sommes conjoints aux choses ineffables et inconnues, d'une manière qui ne se peut ni exprimer ni connaître par le moyen d'une certaine union meilleure et plus excellente que toute puissance et action raisonnable et intellectuelle qui soit en nous. Des Noms Divins. Ch, I.

2. Par la même proportion de vérité, l'infinité qui n'a point de bornes et qui est au-delà de tout être, surpasse toutes les essences qui sont au monde : et l'un qui est par-dessus la pensée ne peut être imaginé par aucune pensée et le Bien qui est au-dessus de la parole ne peut être déclaré par aucune parole. Unité qui fait que toute unité soit une, être suressentiel, intellect non-intelligible, Verbe qui ne peut être exprimé, cela même qui ne peut être ni déclaré, ni entendu, ni nommé, qui n'est point en la manière de tout ce qui est et qui néanmoins est auteur de l'être à tout ce qu'il est, lui-même n'étant point par ce qu'il est au-delà de tout être. Là-même.

3. Les hommes doués d'un esprit divin étant conjoints à cette union, à la façon des Anges, d'autant que cette réunion avec la lumière plus 63 que divine se fait par une cessation de toute opération d'entendement, louent cette lumière plus que divine très proprement par une manière de négation par laquelle, on ôte de devant elle, tout ce qui est en quelque façon que ce soit et ceux qui la louent de la sorte, par cette union-là même, qu'ils ont avec cette souveraine splendeur, sont éclairés véritablement et surnaturellement, qu'à la vérité, cette lumière est la cause de tout être mais qu'elle n'est rien de tout ce qui est, comme étant suressentiellement séparées de tout ce qui est. Il n'est donc pas licite à pas un des amoureux de cette vérité qui est par-dessus toute vérité, de louer la suressentialité divine, quoique ce soit cette surexistence de la bonté qui est par-dessus toute bonté, de la louer, dis-je, comme raison, ni comme puissance, ni comme entendement, ou vie, ou essence : mais comme excellemment abstraite et séparée de toute habitude, mouvement, vie, imagination, opinion, nom, parole, pensée, intelligence , etc. Là-même.

4. Le Bon est appelé lumière (a) intelligible et spirituelle : parce que tout esprit qui est au-dessus des cieux est abondamment rempli de lumière spirituelle et parce qu'il chasse toute ignorance et toute erreur des âmes dans lesquelles il s'insinue et leur donne à toutes une lumière sacrée et à cause qu'il purifie (b) et qu'il nettoie les yeux de leur entendement du brouillard 64 causé de l'ignorance qui s'était répandu et accueilli tout autour, il éveille et leur désille les yeux qu'elles avaient cillés auparavant d'un grand appesantissement de ténèbres et leur verse premièrement (c) une médiocre lueur puis, quand elles ont goûté la lumière et qu'elles viennent à la désirer davantage, il leur en infond encore plus et lorsqu'elles l'ont beaucoup aimée, il les illumine abondamment et les attire toujours en avant à proportion de la force et de la vigueur de leur trait et de leur élévation.

Le Bien donc, qui est par-dessus toute lumière, est appelé lumière spirituelle comme un rayon fontal et originaire, une effusion de lumière qui regorge de toutes parts et qui, de sa plénitude, illumine tout esprit, soit par-dessus le monde, soit autour du monde, soit aussi dans le monde, qui renouvelle toutes leurs puissances et facultés intellectuelles, qui les embrasse et contient tous pour être étendu par dessus tous, qui les excède et surpasse tous, à cause qu'il est assis et établi par-dessus tous : bref, qui comprend en foi, qui surmonte (d) et qui a par anticipation toute la force et la vertu de ce qui a pouvoir d’illuminer comme étant le premier principe de la lumière et de tout ce qui est lumineux :  qui réveille et rassemble en un toutes choses intellectuelles et raisonnables, et fait qu'elles soient unies, serrées et pressées. Car tout ainsi que le propre de l'ignorance 65 est, de diviser et de séparer les esprits qui sont en erreur ; de même le propre de la lumière intelligible est de recueillir et réunir par sa présence les choses qu'elle illumine, de les perfectionner et de les convertir au vrai être, en les détournant de plusieurs opinions et recueillant leurs vues éparses et égarées en plusieurs objets ou pour mieux dire, leurs imaginations et fantaisies distraites et vagabondes à une seule, vraie, pure et uniforme connaissance, les emplissant de sa lumière qui est une et qui a le pouvoir de rendre uns ceux à qui elle se communique. Des Noms Divins. Chap. 4.

(a)Saint Denis fait voir comme cette lumière surmonte tout : elle doit donc surmonter notre lumière suivant la comparaison que j'ai rapportée. Moyen Court. Ch. 12 ; n . 2[1] 

(b)La même opération de Dieu qui éclaire et attire à foi, purifie. Voyez dans les Opuscules, Traité du Purgatoire, P. I. n. 12. Moyen Court. Ch.11. n. 2.

(c)Progrès de la Grâce dans les âmes. C'est une succession de toutes les dispositions intérieures qui mènent l'âme au recueillement et à l'union. Ce qui est en la conduite générale de la foi est aussi de même forte en la conduite particulière des âmes.

(d)Dieu surmonte notre opération par la sienne.

Henri Suso.

5. Voyez : Consistance n. 6.

Rusbroche.

6. Quand la manière de la créature cesse, défaut et ne peut aller plus loin, c'est alors que commence la manière de Dieu, c'est à dire quand l'homme s'est attaché à Dieu par les efforts, son amour et ses désirs sans pouvoir parvenir à l'union divine, alors l'esprit du Seigneur, comme un feu véhément, vient à son secours et brûle, absorbe en foi et consume tout ; en sorte que l'âme s'oublie elle-même et tous ses exercices, et se trouve devenue un même esprit et un même amour avec Dieu.

Là, tous les sens et toutes les puissances se taisent et s'épanouissent dans une paix divine, étant inondées des richesses de la Divinité plus abondamment qu'elles ne peuvent désirer. Cette première opération est attribuée (a) au Saint Esprit.

(a)Explication du Cantique. Chap. 1. Vs. 1.

La seconde est attribuée au Fils, par laquelle l'entendement élevé au-dessus de toute raison, de toute considération et de tout discernement, est pénétré de la lumière divine dans une intelligence nue, et par cette lumière, il peut contempler fixement la clarté divine et la Vérité éternelle.

La troisième opération, ou manière, est attribuée au Père, c'est elle qui vidant la mémoire des formes et des images, élève l'âme ainsi dénuée jusque dans l'origine qui est Dieu le Père, l'unit à son principe et l'y établit. Des Sept Gardes. Chap. 19.

Harphius.

7. Voyez : Anéantissement. n. 8.

Ste Caterine de Gênes.

8. Voyez Anéantissement. n. 12.

Or comment est cette participation de Dieu, cela ne se peut dire et nul ne le saura si l'esprit ne retourne en cette pureté et netteté en laquelle il fut créé de Dieu. Mais pour parvenir à ce but, il faut que Dieu (a) nous consume et dedans et dehors et que l'être de l'homme soit tellement anéanti, qu'il ne puisse non plus se remuer que s'il était un corps mort sans sentiment. Il est nécessaire que l'intérieur meurt en soi-même et que sa vie et tout son être soit caché en Dieu avec Jésus-Christ et qu'il n'en sache rien, ni ne le puisse savoir, ni même y penser non plus que s'il n'avait ni vie ni être. Il faut aussi que l'homme en l'extérieur demeure aveugle, sourd, muet, sans goût et sans opération d'entendement, de mémoire et de volonté, tellement perdu qu'il ne puisse comprendre où il est, qu'il demeure privé de soi-même, paraisse fou aux autres qui sont étonnés de voir une créature qui ait l'être sans l'opération. Là-même. Chap. 35.

(a)Voyez ce qui est dit au Moyen Court  de la purification (Chap. 24. n. 1, 2, 3, etc...)

10. Dieu détruit (a) toutes les choses que nous aimons par mort, par maladie, par pauvreté, par haine, par discorde, détractions, scandales, moqueries et infamies, avec parents, amis, avec nous-mêmes ; de sorte que nous ne savons que faire, nous voyant tirés hors des choses qui nous délectaient : au contraire de toutes ces choses, on reçoit de la peine et de la confusion, et l'on ne sait pourquoi l'amour divin fait de telles opérations, lesquelles nous semblent toutes contraires à la raison, et du côté de Dieu et du côté du monde : c'est pourquoi l'âme crie et se tourmente, elle tâche et espère de sortir de cette grande angoisse et jamais elle n'en sort.

(a)Lorsque Dieu veut une âme pour lui, il détruit et renverse [à son égard] toutes choses.

Quand ce divin Amour a tenu quelques temps cette âme ainsi suspendue et presque désespérée et ennuyée de toutes les choses qu'elle aimait auparavant, alors (a) il se montre à elle avec sa divine face gaie et éclatante, et sitôt que l'âme le voit et qu'elle demeure nue et délaissée de tout autre secours, elle se jette et se remet toute entre ses mains.

(a)Fin des opérations détruisantes de Dieu.

Lorsque l'âme a vu l'opération divine par le moyen du divin Amour pur, elle se dit ainsi : « Ô  aveugle, à quoi étais-tu occupée, que cherchais-tu, que désirais-tu ? Tout ce que tu cherches et toute la délectation que tu peux désirer est ici. Ô Divin Amour, avec quelle douce tromperie m'avez-vous déçue pour me dérober tout 68 amour propre et me revêtir du pur amour, plein de toute joie ». là-même. Chap. 41.

11. Toutes les autres opérations qui sont faites par cet homme sont encore faites avec cet amour, et sont rendues agréables par la grâce gratifiante ; parce que Dieu est celui qui opère avec son pur amour, sans que l'homme s'en entremette : et Dieu ayant pris le soin de cet homme et l'ayant tiré tout à lui, opère par le moyen de cet amour, l'enrichissant de ses biens avec une si grande libéralité, qu'il se trouve enfin attaché au fil de l'amour et noyé dans l'abîme divin sans qu'il le sache. Et bien que l'homme, en cet état, semble une chose morte, perdue et abjecte, il trouve néanmoins sa vie cachée en Dieu où sont tous les trésors et toutes les richesses de la vie éternelle : et il ne se peut dire ni penser ce qu'il a préparé à cette âme, sa bien-aimée. Dialogue. Livre. 3. Ch. 1.

12. Les œuvres qui sont faites par l'Amour sont encore plus parfaites parce qu'elles sont faites sans que l'homme y ait aucune part. L’Amour s'est rendu le maître et le vainqueur de l'homme ; et l'homme est tellement absorbé et noyé dans la mer de cet amour, qu'il ne sait où il est, et demeure perdu en lui-même, ne pouvant faire aucune chose. L'Amour est celui même qui opère en l'homme : et ces opérations sont des œuvres de perfection parce qu'elles sont faites sans propriété de l'homme : ce sont œuvres de grâce gratifiante que Dieu a toutes pour agréables. Ce doux et pur Amour a pris et tiré l'homme à soi et l'a privé de lui-même ; il en a pris possession et opère continuellement en cet homme et par cet homme, seulement pour son bien et utilité sans que lui-même s'en entremette. Là-même Ch. 5.

Ste Térèse.

13. En cette oraison, la volonté ne pourrait s'amuser à vouloir tirer l'entendement par force après elle sans se détourner et l'inquiéter : d'où il arriverait que non seulement elle ne tirerait pas par ce moyen un plus grand profit de son oraison, mais que tous ses efforts ne serviraient qu'à lui faire perdre ce que Dieu lui aurait donné sans qu'elle y eut rien contribué. Voici une comparaison que notre Seigneur me mis un jour dans l'esprit durant une oraison qui, à mon avis explique cela fort clairement : c'est pourquoi je vous prie le la bien considérer.

L'âme, en cet état (a) ressemble à un enfant qui tète encore, à qui sa mère pour le caresser lorsqu'il est entre ses bras, fait distiller le lait dans sa bouche sans qu'il remue seulement les lèvres. Car il arrive de même en cette oraison que la volonté aime sans que l'entendement y contribue rien par son travail parce que notre Seigneur veut que, sans y avoir pensé, elle connaisse qu'elle est avec lui, qu'elle se contente de sucer le lait dont il lui remplit la bouche, qu'elle goûte cette douceur sans se mettre en peine de savoir que c'est lui à qui elle en est l'obligée, qu'elle se réjouisse d'en jouir sans vouloir connaître, ni en quelle manière elle en jouit, ni qu'elle est cette chose dont elle jouit : et qu'elle entre ainsi dans un heureux oubli de soi-même par confiance que celui qui est auprès d'elle n'oubliera pas de pourvoir à tous ses besoins : au lieu que si elle s'arrêtait à contester avec l'entendement pour le rendre malgré lui participant de son bonheur en le tirant par force après elle, il arriverait de nécessité que ne pouvant avoir en même temps une forte attention à deux choses, elle laisserait répandre ce lait et se trouverait ainsi privée de cette divine nourriture.

(a)Voyez Moyen Court. Ch. 12. n. 4

Or il y a cette différence entre l'oraison de quiétude et celle où l'âme est entièrement unie à Dieu, qu'en cette dernière, l'âme ne reçoit pas cette divine nourriture comme une viande qui entre dans la bouche, mais elle la trouve tout d'un coup dans elle-même sans savoir comment Notre Seigneur l'y a mise : au lieu que dans la première, il semble que Notre Seigneur veut que l'âme travaille un peu quoiqu'elle fasse avec tant de douceur qu'elle s'aperçoit à peine de son travail. Chemin de la Perfection Ch. XXXI.

Le B. Jean de la Croix.

14. La première nuit ou purgation est amère et terrible pour les sens : la seconde n'a point de comparaison d'autant qu'elle est très éprouvante pour l'esprit, comme nous dirons incontinent -- . On ne traite guère de cette nuit spirituelle soit de paroles, soit d'écrits dont les discours tirés de l'expérience sont très rares. Donc, comme le style qu'ont ces commençants en la voie de Dieu est très bas et fort correspondant à leur amour et à leur goût, comme nous avons déjà dit, Dieu les veut avancer et les tirer de cette bassesse à un plus haut degré de son amour et les délivrer du bas exercice du sens et du discours qui cherche Dieu si écharsement ou mesquinement et avec tant d'inconvénients, comme il a été dit, et les mettre dans l'exercice de l'esprit, où ils peuvent plus abondamment et avec plus de liberté et d’affranchissement des imperfections, communiquer avec Dieu. Obscure Nuit. Livre 1. Ch. 8.

15. Cette contemplation sèche donne à l'âme une inclination et un désir d'être seule et en repos sans pouvoir penser à aucune chose particulière et même sans en avoir envie. Alors si ceux à qui cela arrive se savaient calmer, négligeant toute œuvre intérieure et extérieure qu'ils prétendent faire par leur industrie et leur discours, ne se souciant d'autre chose, sinon de se laisser conduire par Dieu, de recevoir et d'ouïr avec attention intérieure et amoureuse, incontinent (a) en ce loisir et oubli de toutes choses, ils jouiraient de cette délicate réfection intérieure. Laquelle est telle que si l'âme en a envie ou qu'elle fasse une particulière diligence de la sentir, elle ne la sent plus, parce que, comme je dis, elle opère en elle dans le plus grand loisir et oubli l'âme : c'est comme l'air qui s'évade quand on veut fermer la main pour le retenir. Nous pouvons entendre à ce propos ce que l’Époux dit au Cantique à son Épouse : détourner vos yeux de moi car ils me font envoler[212] ; d'autant qu'en cet état, Dieu met l'âme de telle manière et la conduit par un chemin si différent que si elle voulait opérer de soi-même et par son habileté, elle empêcherait plutôt l’œuvre que Dieu fait en elle, qu'elle n'y aiderait, ce qui était auparavant fort au contraire. La cause de cela est, parce que déjà en cet état la contemplation qui, lorsqu'elle sort du discours à l'état des avancés, Dieu est celui qui opère en l'âme, en sorte qu'il semble qu'il lui lie les puissances [72] intérieures, ne lui laissant aucun appui dans l'entendement, ni suc en la volonté, ni discours en la mémoire ; d'autant que ce que l'âme peut alors opérer de soi-même, ne sert, comme nous avons dit, que d'empêchement à la paix intérieure, et à l'œuvre que Dieu fait dans l'esprit en cette sécheresse du sens, laquelle étant spirituelle et délicate fait une œuvre coie [calme, tranquille] et délicate, pacifique, et fort éloigné de tous les autres premiers goûts qui étaient fort palpables et très sensibles. Car cette paix est celle que Dieu (comme dit (b) David) parle en l'âme pour la rendre spirituelle. Là-même chapitre neuf.

(a)Notez : incontinent.

(b)Psaume 84 verset neuf.

16. Voyez Oraison § II n.18.

17. Ainsi il était convenable que les opérations de ces appétits avec leurs mouvements fussent endormis en cette nuit, afin qu'il n'empêchasse à l'âme les biens surnaturels de l'union d'amour de Dieu ; d'autant que (b) durant leur vivacité et opération, elle ne se peut obtenir : car toute leur œuvre et mouvement empêche plutôt qu'elle n'aide à recevoir les biens spirituels de l'union d'amour ; par ce que toute habileté naturelle est courte en ce qui concerne les biens surnaturels que Dieu par sa seule infusion met dans l'âme passivement, secrètement et en silence. Et ainsi il est nécessaire que toutes les puissances se taisent pour recevoir ladite infusion, sans entremettre là leurs œuvres basses et leur vile inclination. Obscure nuit livre 2 chapitre 14.

(b) Voyez ce qui est dit au Moyen court (chapitre 24 paragraphe 1) qu'on ne peut arriver à l'union, ni par la méditation, ni par la contemplation active.

18. Il s'ensuit de là que plus l'âme va en obscurité et vide de ses opérations naturelles, tant [73] plus elle est assurée: parce que, comme dit le prophète (a), la perdition de l'âme ne vient que d'elle-même, c'est-à-dire de ses opérations et de ses appétits intérieurs et sensitifs, discordants et non ajustés ; et le bien que tu as, dit Dieu, ne vient que de moi. Partant elle étant ainsi divertie de ces maux, il reste qu'incontinent lui viennent les biens de l'union avec Dieu en ses appétits et puissances, laquelle union les rendra divines et célestes. D'où vient que si l'âme y prend garde dans le temps de ces ténèbres, elle connaîtra très bien que l'appétit et les puissances ne sont guère diverties aux choses vaines et inutiles, et qu'elle est hors de la vaine gloire de l'orgueil et présomption, de la vaine et fausse joie, et de plusieurs autres choses. Dont il s'ensuit bien que pour aller en ténèbres, tant s'en faut que l'âme court davantage danger de se perdre, qu'elle se gagne plutôt soi-même, puisque en cet état elle acquiert les vertus. La même, chapitre 16.

(a) Osée 13 versets 9.

19. L'épouse ne tient plus avec Dieu d'autre style ni façon de traiter que l'exercice d'amour, parce qu'elle a changé toute sa première façon de procéder en amour. Cantique entre l'épouse et l'époux, couplet 20.

20. Les biens intérieurs que cette tranquille contemplation laisse imprimés en l'âme sans qu'elle le sente, sont inestimables, parce qu'enfin ce sont des onctions très cachées et très délicates du Saint Esprit, où il remplit secrètement l'âme de richesses, de dons et de grâces ; parce qu'étant Dieu, il fait comme Dieu et opère comme Dieu. Or ces biens, ces grandes richesses, ces sublimes et délicates onctions et ces notices [74] du Saint Esprit, qui sont si subtiles et si pures, que ni l'âme, ni celui qui la gouverne, ne les entend, mais seulement celui qui les met et communique, pour se rendre l'âme plus agréable, sont détournées et empêchées très facilement, à savoir par la moindre action que l'âme voudra faire d'appliquer le sens ou l'appétit, de vouloir s'attacher à quelque suc ou notice ; ce qui est un dommage signalé, digne d'une grande douleur et compassion. Vive flamme d'amour, Cantique trois verset trois et sept et huit.

21. Donc, o âmes, quand Dieu vous fait de si grandes faveurs, que de vous conduire par l'état de solitude et de recueillement, vous écartant de votre sens pénible, n'y retournez pas : quittez vos opérations ; car si elle vous aidait auparavant à renoncer au monde et à vous-même, quand vous étiez en l'état des commençants ; maintenant que Dieu vous fait la grâce d'être lui-même l'ouvrier ou celui qui opère, elles vous seront un grand obstacle et embarras. Car ayant soin de n'interposer vos opérations en chose aucune, les détachant de tout, et ne les embarrassant point, (ce qui est ce que vous devez faire en cet état de votre part, et tenir conjointement le regard simple et amoureux sans faire aucune force à l'âme, si ce n'est pour la séquestrer de tout et l'élever, de peur de la troubler et d'altérer sa paix et tranquillité) Dieu la repaîtra d'une réfection céleste, puisque vous la lui laissez libre sans aucun embarras. Là même paragraphe 15.

22. Le troisième aveugle c'est l'âme même, laquelle ne s'entendant pas soi-même, se trouble et s'endommage. Car comme elle ne fait que coopérer par le sens, quand Dieu la veut mettre [75] en ce vide et solitude, où elle ne peut user des puissances ni faire des actes, pensant être inutile, elle tâche d'agir plus expressément et plus sensiblement ; et ainsi elle se distrait et se remplit d'aridité et de dégoût, elle qui jouissait auparavant du loisir, de la paix et du silence spirituel, où Dieu lui communiquait secrètement de la suavité et du goût. Et il arrivera que Dieu tâchera de la retenir en cette quiétude taciturne, et qu'elle contestera pour crier avec l'imagination et marcher avec l'entendement ; comme les enfants que les mères portent entre leurs bras, qui crient et battent des pieds pour être mis à terre ; et ainsi ils ne vont, ni de laissent aller leur mère ; ou bien comme (a) un peintre s'il peint quelque image et qu'on la remue, il ne peut rien faire. L'âme doit donc prendre garde que quoiqu'alors elle ne se sente pas marcher, elle marche néanmoins beaucoup plus vite que si elle marchait avec ses pieds ; car Dieu la porte entre ses bras, et ainsi elle ne sent point le chemin : et quoiqu'elle pense ne rien faire, elle avance plus que si elle agissait ; parce que c'est Dieu qui opère ; et si elle ne l'aperçoit, il ne s'en faut émerveiller, d'autant que ce que Dieu opère en l'âme n'est point connu du sens. Qu'elle se laisse donc entre les mains de Dieu, et qu'elle se fie en lui ; avec cela elle ira sûrement, et il n 'y a nul danger, sinon quand elle veut de soi-même ou par sa propre industrie opérer avec ses puissances. Là-même, paragraphe 16.

(a) Moyen court. (Chapitre 21 note cinq.)

Le père Nicolas de Jésus Maria rapporte

23. Taulère. Que si quelqu'un demande pourquoi [76] il faut renoncer (a) à toutes les images ; on répond que c'est parce qu'elles ne sont qu'un chemin à la vérité simple et nue ; si donc on veut parvenir à la vérité, il faut peu à peu laisser le chemin. Institution, chapitre 35.

(a) Il est bon de remarquer que Taulère prêchait publiquement cette doctrine. (Voyez sermon pour le cinquième dimanche après les Rois, pour le dimanche la septuagésime, sermon trois pour le dimanche de Pâques etc.)

24. D. Barthélémi des Martirs. Sitôt que l'âme, qui désire de parvenir à cette union, Dieu l'y appelant, se sentira grandement enflammée de l'amour divin et attirée en haut, qu'elle retranche promptement toutes sortes d'images, et court au Sancta Santorum, et à ce silence intérieur dans lequel il n'y a point d'opération humaine, mais seulement la divine. Car là Dieu est celui qui opère, et l'homme celui qui pâtit, ou celui qui reçoit : car lorsque les puissances de l'âme se taisent et cessent de leur propre action, étant enfin délivrée de toute imagination externe, Dieu parle de lui-même et selon sa volonté dispose et touche ces puissances de l'esprit, faisant en lui une œuvre très excellente. O l'âme véritablement heureuse, laquelle ayant laissé toute son opération propre est dénuée de toutes les images en sa mémoire ! (Abrégé spirituel, partie 2. Chapitre 11.) Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix partie 2 chapitre 3 paragraphe 3.

25. -- Il arrive fort souvent que celui qui est ravi (à la contemplation,) non seulement cesse les opérations des sens extérieurs, tellement qu'il ignore ce qui se fait au-dehors ; mais encore que la faculté fantastique et imaginative soit privée de son action, si bien qu'aucun fantôme [77] ne peut s'y mêler, ou s'il s'y glisse, il est tout à fait réprimé par la vertu de la raison et volonté supérieure. (Abrégé spirituel, partie 2, chapitre 12 paragraphe 1.) Là-même.

 Le père Jaques de Jésus rapporte

26. Saint-Thomas. Les opérations intellectuelles et sensibles s'entrent-empêchent, tant à cause que l'attention est requise aux œuvres de l'un et de l'autre, qu'à cause que l'entendement se mêle avec le sensible puisqu'il le reçoit des phantômes ; et par ainsi la pureté de l'entendement est aucunement souillé par les opérations sensibles. (Qu. 13, article 4.) Notes et remarques sur Jean de la Croix. Discours 1. Phrase 1.

Le frère Jean de S. Samson.

27. De là vient que l'homme ne veut point de cette vie renoncée, désirant toujours avoir la satisfaction de son appétit de propre excellence. Il ne veut pas aller là où il ne sait pas, n'y s'exposer à se perdre et s'abandonner à la conduite de Dieu, ne la voyant que par une foi fort éloignée, qui n'a aucune force en lui pour un si haut effet.

À la vérité lorsqu'il agit par voie d'entendement, la volonté s'y joint par une suite naturelle ; et quelquefois ces deux puissances sont tirées et éclairées de Dieu pour le connaître et l'aimer. Mais supposé qu'il n'y ait en ces deux facultés aucune touche précédente, ni aucune habitude infuse ou acquise, l'homme demeure gisant à terre, cherchant son contentement et sa consolation dans les goûts et dans les créatures, autant qu'il peut et qu'il lui est loisible, souvent même il passe jusqu'au plaisir [78] illicite (a) ; et le tout faute de vouloir mourir renoncé, pour l'amour et le bon plaisir de Dieu. Sans doute il faut que pour connaître et aimer Dieu nos puissances soient élevées par lui, selon l'ordre qu'il tient ordinairement pour cela dans les hommes spirituels ; et la seule foi selon le simple degré des hommes du commun, ne leur donnera jamais la force à suffire pour cela. Le Saint Esprit opère quelquefois d'admirables et extraordinaires effets en certains hommes ; mais la nature semble faire la même chose en ceux qui paraissent naturellement vertueux, quoique parfois portés et enclins à quelque vice mortel. D'où vient qu'ils semblent tous également émus, par la haute estime qu'ils sont de Dieu, jusqu'à mourir pour lui s'il était besoin, ce qui pourtant n'est qu'un effet de leur bon naturel, et le semblable se voit assez souvent dans les bons et généreux guerriers. Cela fait qu'il est très difficile de discerner si ces mouvements sont de nature ou de grâce. Esprit du Carmel chapitre II.

(a) c'est la différence d'une personne touchée vraiment de Dieu et de celles qui se disent intérieures, et ne le sont pas ; que les premières ne peuvent dans leur peine chercher de consolation hors de Dieu, ni même en trouver quand elles seraient assez infidèles pour en chercher ; et les autres au contraire se dédommagent par les plaisirs des sens de la privation des consolations sensibles ; et c'est de là que naissent tous les désordres.

28. À peine personne veut il entreprendre cette vie renoncée, encore que chacun la voie très héroïquement pratiquée par notre divin Sauveur. Personne ne le veut imiter à ses propres dépens, si ce n'est en peu de choses, et non jamais [79] en tout et pour toujours ; et ce qui est le plus à déplorer, les hommes sont en cette lâcheté, même après avoir senti les très forte attractions et opérations de Dieu. Pendant telles influences ils promettent merveilles ; mais sitôt qu'ils en sont destitués, plusieurs d'entre eux n'ont ni cœur, ni courage, pour suivre Jésus-Christ chargés d'un petit bout de sa croix, et pour souffrir et mourir avec lui dans les croix du corps et de l'esprit. Cela fait qu'il se plaint justement des hommes, qui ne lui veulent être amis qu'à la table, le laissent à l'abandon et à la merci de ses plus cruels ennemis, pour souffrir et mourir par leurs iniques et mortels efforts. Là-même.

29. Reprenant notre fil, nous disons qu'il n'y aura jamais de renonciation en l'âme (a) qui n'a pas été touché de Dieu par amour sensible ; et si outre cela elle n'aime davantage Dieu en lui-même, que ses propres dons et ses propres œuvres, elle n'arrivera jamais à recevoir l'infusion des habitudes divines très fortes et très excellentes qui appartiennent à la vie vraiment renoncée.

La raison est que cette âme est encore en toute la vie de la nature, quand même elle serait excellemment spiritualisée, de laquelle elle ne veut jamais rien perdre : que si elle se perd en un point, elle prétend pour cela un plus grand mérite. Si bien qu'elle ne sait que le goût et la lumière, et ne saura jamais rien de la vraie souffrance, étant éloignée de vouloir pâtir autant qu'elle est ignorante et amoureuse d'elle-même. Là-même.

 (a) S'il faut avoir goûté Dieu pour se renoncer, il n'est donc pas vrai qu'il faille être tout renoncé pour le goûter ; le goût de Dieu étant le moyen efficace du renoncement.

30. C'est ce (a) culte divin, que les mystiques persuadent premièrement et si vivement aux hommes comme le lien, le moyen et le principe du vrai bonheur de la créature humaine, gisante en un corps mortel, mais pleinement assujetti à son esprit, sans résistance ni contradiction de sa part. Ils font cette représentation très vivement et savoureusement, en faveur de ces excellents hommes que le monde ne connaît pas, quoiqu'ils connaissent très bien le monde et l'aient en horreur.

(*) Non seulement les mondains, mais encore les saints et vertueux, fort souvent leur font souffrir des persécutions vives et fréquentes, d'autant que leur voie est inconnue, comme infiniment différente et éloignée de la leur. La raison est, que ces personnes vertueuses sont pleines de leurs voies, ne pouvant penser ni croire qu'il y en puisse avoir de meilleures, ni de plus excellentes entre les hommes que les leurs. Ils ne savent que les exercices propres, choisis, recherchés et curieux ; et selon ceci ils se remplissent toujours de plus en plus de leurs propres inventions, attirant à soi les dons et sentiments pour y prendre leurs propres repos. Esprit du Carmel chapitre 14.

(a) le parfait renoncement de nous-mêmes ; ce qui comprend non seulement toutes les opérations propres, mais tout ce que nous sommes, assujettissant le corps à l'esprit ; c'est le sentiment de Sainte Catherine de Gênes que j'ai fait voir. Voyez Mortification note 3.

31. Quand l'homme est arrivé à son centre, alors comme un aigle amoureux, il se repose en Dieu à très grand plaisir. La jouissance divine [81] l'occupe en plénitude de délices sensiblement et perceptiblement d'une manière très simple, très subtile et très spirituelle, et le plus souvent par-dessus soi-même, par-dessus tout sens et toute perception. Tandis qu'il demeure en sa seule industrie, il est très éloigné de son entière perte et résolution, et son occupation vers Dieu est très éloignée de ce centre. Là-même chapitre 23.

Le père Épiphane Louis rapporte

32. Blosius. Pendant que vous naviguez sur la mer orageuse de ce siècle, Dieu vous enlèvera et vous fera arriver peut-être à un port, où vous vous trouverez dans une parfaite nudité de toutes sortes de formes et d'images. Il n'y aura en vos puissances aucune opération ; et manquant et désistant de la sorte en vous-mêmes, vous passerez heureusement en Dieu. Conférence mystique 19.

 


 


 

XLIV. Oraison.

Je mettrai ensemble l'oraison, la méditation et la contemplation ; tout cela ayant du rapport.

Paragraphe I. Que tous peuvent faire oraison.

Moyen court.

Tous sont propres pour l'oraison ; et c'est un malheur effroyable, que presque [82] le monde se mette dans l'esprit de n'être pas appelé à l'oraison. Nous sommes tous (a) appelée à l'oraison, comme nous sommes tous appelés au salut.

L'oraison n'est autre chose, que l'application du cœur à Dieu, et l'exercice intérieur de l'amour. Saint Paul nous ordonne (b) de prier sans cesse. Notre Seigneur dit : (c) Je vous le dis à tous, veillez et priez. Tous peuvent donc faire oraison, et tous la doivent faire.

Mais je conviens que tous ne peuvent pas méditer, et très peu y sont propres. Aussi n'est-ce pas cette oraison que Dieu demande, ni qu'on désire de vous.

Mais très cher frère, qui que vous soyez qui voulez vous sauver, venez tous faire oraison ; vous devez vivre d'oraison, comme vous devez vivre d'amour.

Venez ignorants et stupides ; vous êtes tous propres pour l'oraison, vous qui croyez en être incapables ; c'est vous qui y êtes les plus propres. Chapitre I n. 1.2.

(a) Lorsqu'on dit que tous sont appelés ici, on ne dit pas que tous soient appelés aux mêmes degrés de consommation ; mais tous sont appelés à prier de cœur, à renoncer à soi-même, à porter leur croix, à suivre Jésus-Christ : donc cette voie est pour tous.

(b)I Thess. 5 vs.17. (c) Marc 13 vs.33.37.

[83] En ce métier souvent les plus grossiers deviennent les plus habiles. Chapitre 23, n. 8.

AUTORITES.

Saint Denis.

1. La perfection de tous ceux qui sont enrôlés en la Hiérarchie, consiste à se rendre semblable à Dieu, chacun selon sa proportion et sa mesure. De la Hiérarchie Céleste chapitre 3.

2. Voyez Désir. n.1.

3. Voyez Consistance. n.2.

4. Voyez Désir. n.3.

Sainte Catherine de Gênes.

5. Voyez Désir. n.4.

6. Elle voyait encore, comme Dieu ne cesse de frapper au cœur de l'homme, pour y entrer et justifier ses opérations ; et que personne ne se pourra jamais plaindre que Dieu n'ait heurté et frappé continuellement à la porte de son cœur : parce que sans acception de personne il vient à tous, et nous appelle et attire tous à lui, n'ayant pas plus d'égard aux bons qu'aux mauvais. Vie Chapitre 13.

7. L'homme a été créé pour la fin d'être uni à Dieu, et d'être transformé en lui. Là-même Chapitre 32.

Sainte Thérèse.

8. Donc si l'oraison est si utile et si nécessaire à ceux qui ne servent pas Dieu mais qui l'offensent et qui l'irritent ; et si on ne peut véritablement trouver qu'elle puisse causer aucun préjudice, qu'on ne découvre un plus grand dommage à n'en pas faire ; pourquoi est-ce que ceux qui servent Dieu, et qui le veulent servir, la doivent [84] quitter ? Certainement je ne puis entendre pour quelle raison, si ce n'est pour endurer avec plus d'amertume et plus d'ennui les travaux de cette vie, et pour fermer les avenues aux consolations divines. À la vérité j'ai compassion de telles personnes ; car elles servent Dieu à leurs dépens, d'autant que pour les autres qui s'adonnent à l'oraison, c'est Notre Seigneur qui fait les frais ; puisque pour un peu de travail, il donne des goûts et des douceurs pour supporter les travaux de ce pèlerinage. -- Je dirai seulement que la porte par laquelle il m'a fait tant de grâces, ça été l'oraison : que si on vient à la fermer, je ne sais par où elles entreront ; car quoi qu'il veuille entrer, pour consoler une âme, pour la caresser, et pour prendre ses ébats avec elle, il y trouve pas d'entrer, la voulant seule, nette et avec désir de recevoir ses grâces. Vie, chapitre huit.

9. J'espère que Notre Seigneur m'aidera dans cette entreprise, Sa Majesté sachant bien qu'après l'accomplissement de l'obéissance, je n'ai autre intention en ceci que d'allécher les âmes à un bien si sublime : je ne dirai rien que je ne l'ai beaucoup expérimenté. --

Partant je dis que s'il y a des personnes qui soient parvenues aux communications de l'oraison, dont Notre Seigneur a favorisé cette misérable, (or il doit y en avoir plusieurs) et qu'elles veuillent en conférer avec moi, craignant d'être égarées; j'espère que notre seigneur assistera sa servante pour passer plus avant, et faire quelques profits à l'aide de ses vérités. Là-même chapitre 18.

10. Or quoique j'aie dit quelques-unes, si est-ce qu'il y en a bien peu qui n'entrent en cette [cinquième] demeure que je dirai maintenant. Il y a toutefois du plus ou du moins en ceci, c'est [85] pourquoi j'ai dit que la plupart y entrent. Château demeure cinq chapitre un.

Le bienheureux Jean de la Croix.

11. O âmes créées pour ces grandeurs et qui y êtes conviés, que faites-vous ? O déplorable aveuglement des enfants d'Adam, puisqu'ils ne voient goutte, entourés d'une si grande lumière, et qu'ils sont sourds à ces hauts cris ; car tant qu'ils cherchent les grandeurs et la gloire du monde, ils demeurent misérables, abjects et indignes d'un si grand bien ! Cantique entre l'épouse et l'époux. Couplet 39.

12. O que c'était ici un bon lieu pour avertir les âmes que Dieu conduit à ces onctions délicates, qu'elles regardent bien à ce qu'elles font, et en quelle main elles se mettent, de peur de retourner en arrière ; si ce n'était que cela semblerait hors du sujet que nous traitons. Mais j'ai un tel regret et compassion dans mon cœur, de voir reculer des âmes que Dieu conduit à ces onctions délicates, non seulement ne se laissant pas oindre en sorte que l'onction passe plus avant, mais aussi en perdant ses effets ; que je ne puis passer outre sans les avertir ici de ce qu'elles doivent faire pour éviter ce grand dommage. -- Or il faut premièrement savoir que si l'âme cherche Dieu, son bien-aimé la cherche bien davantage: et si elle lui envoie ses amours désirs, qui lui sont aussi odoriférants que la verge de fumée, qui sort des drogues aromatiques de la myrrhe et de l'encens ; il lui communique l'odeur de ses onguents, dont il l'attire et fait courir après lui, qui sont ses inspirations divines et ses touches ; lesquels étant siens sont toujours saints et réglés par des motifs de la perfection de la loi de Dieu et de la foi, par la perfection de laquelle l'âme doit toujours [86] s'approcher davantage de Dieu. Et ainsi l'âme doit entendre que le désir de Dieu en toutes les faveurs qu'il lui fait par ces onctions et odeur de ses onguents, est de la disposer pour d'autres onguents plus délicats, plus excellents et plus au goût de Dieu ; jusqu'à ce qu'elle parvienne à une disposition si pure et si délicate, qu'elle mérite l'union de Dieu et la transformation en toutes ses puissances. --

Si le Maître n'a l'expérience des choses sublimes, il n'y acheminera pas l'âme quand Dieu l'y attire, et il lui pourrait faire beaucoup de tort ; parce qu'ignorant les voies de l'esprit, il fait souvent perdre aux âmes l'onction de ces précieux onguents avec lesquels le Saint Esprit les dispose pour soi, les gouvernants par d'autres moyens bas qu'il a lus, qui ne servent que pour des commençants : car telles gens n'en sachant pas davantage etc. (Voyez oraison paragraphe deux note 19) Vive flamme d'amour. Cantique trois verset trois paragraphe quatre.

Le père Nicolas de Jésus Maria rapporte

13. Le P. Louis de Léon. Il reste maintenant à dire quelque chose à ceux qui trouvent du danger dans ces livres, à cause de la délicatesse de la matière de laquelle ils traitent, qu'ils disent n'être pas pour tous. Car comme il y a trois sortes de personnes, dont les unes traitent d'oraison, les autres qui en pourraient traiter si elles voulaient, et d'autres qui le voulant me le pourraient, à cause de la condition de leur état, je demande qui sont ceux qui sont en danger de ces livres ? les spirituels ? Non, si ce n'est que ce soit une chose dommageable à savoir ce qu'on fait et ce qu'on professe. Ceux qui ont de la disposition pour être spirituels ? Encore moins ; par ce que [87] non seulement ils trouvent ici un guide pour les conduire quand ils seront spirituels ; mais aussi qui les excite et les anime pour l'être, ce qui est un très grand bien. Or les derniers en quoi auront-ils du danger ? À connaître et entendre que Dieu se comporte amoureusement envers les hommes ? Que celui qui se dénue de tout, le trouve ? À savoir et apprendre les caresses que Dieu fait aux âmes, la différence des goûts qu'il leur donne, la manière dont il les purifie et les affine ? Qu'y a-t-il en ceci qui ne sanctifie celui qui le lira étant bien compris et bien entendu ? Qui ne cause de l'admiration de Dieu et ne l'enflamme en son amour ? Que si les considérations de ses œuvres extérieures, que Dieu fait en la création et dans le gouvernement des choses, sont une école d'utilité commune pour tous les hommes, comment est-ce que la connaissance de ses merveilles secrètes peut être préjudiciable à personne ?

Et quand quelqu'un par sa mauvaise disposition en aurait reçu du dommage, serait-il juste pour cela d'empêcher un si grand profit et de tant de personnes ? Qu'on ne publie pas l'Évangile parce qu'il est occasion d'une plus grande perte à celui qui ne le reçoit pas, comme disait Saint Paul (a). Quelles écritures trouvera-t-on, bien qu'on n'y comprenne les saintes et divines, desquelles un esprit mal disposé ne puisse concevoir une erreur ? Quand il faut porter jugement des choses, on doit prendre garde et considérer si elles sont bonnes en soi et convenables pour leur fin, et non pas à ce que causera le mauvais usage de quelques-uns ; car si on s'arrête à cela, il y a chose si simple qu'on ne puisse défendre. [88] Qu'y a-t-il de plus sain que les Sacrements ? Combien y en a-t'il qui devienne pires par le mauvais usage qu'ils en font ? Le diable, comme prudent et veillant à notre perte, change de couleurs différentes, et se montre aux entendements de quelques-uns, retenu, circonspect et soigneux du bien du prochain, afin de ravir aux yeux de tout le monde ce qui est bon et profitable et commun, pour éviter un dommage particulier. Il sait bien qu'il perdrait davantage par ceux qui s'avanceraient et deviendraient spirituels parfaits par la lecture de ces Livres, que par le petit nombre de ceux qui tomberaient par là à cause de leur indisposition ; et ainsi, afin qu'on évite le dommage de ceux-ci, il exagère et représente leur perte, laquelle il tient dans ses filets par mille autres voies ; bien que, comme je disais, je ne sache personne si mal disposée, qui tire sa ruine de la connaissance des chemins qui conduisent les âmes à Dieu, à quoi butent et visent tous ces Ecrits.

Je crains seulement pour quelques-uns, qui veulent gouverner et conduire un chacun par eux-mêmes, qui improuvent ce qu'ils n'ordonnent pas ; et qui procurent que ce qui n'est pas selon leur jugement, n'ait pas de crédit et d'autorité : auxquels je ne veux pas satisfaire ; par ce que leur erreur naît de leur volonté, et partant ils ne se voudraient tenir pour contents. Mais je veux prier les autres qu'il ne leur donne pas de créance, parce qu'ils ne le méritent pas. (Dans l'épître mise devant les œuvres de Sainte Thérèse.) Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la croix. Partie un chapitre cinq paragraphe trois.

14. Saint Bonaventure. Je présente donc ce livre et le donne à voir, non pas aux philosophes, non [89] pas aux sages du monde, non pas aux grands théologiens embarrassés d'une infinité de questions ; mais aux ignorants et grossier qui s'efforcent davantage d'aimer Dieu que de savoir beaucoup : car l'art d'aimer ne s'apprendra pas en disputant mais en opérant. Or j'estime que les choses qui sont contenues ici, ne pourront être entendues de ces questionnaires, éminents en toutes sortes de sciences, mais petits en l'amour de Jésus-Christ ; d'où vient que je n'ai pas eu dessein d'écrire pour eux si ce n'est que délaissant et oubliant toutes les choses qui appartiennent au monde, ils demeurent asservis et embrasés du seul désir de leur Créateur. (Préface du régime de conscience.) Là-même chapitre six paragraphe trois.

15. Saint-Bernard. Voyez Entendre. n. 33.

16. Gerson. Pour les choses qui s'éprouvent et s'expérimentent intérieurement les idiots contemplatifs goûtent et reçoivent plus parfaitement ces choses divines que plusieurs doctes, (Théologie mystique, considération trois, alphabet 64 lettre N.) Là-même.

17. D. Barthélémi des Martirs. Cette sagesse mystique, que Saint Denis appelle proprement celle des chrétiens, est ordinairement communiquée plus promptement et plus hautement aux simples idiots, qui n'ont autre soin que celui de faire leur salut avec crainte et tremblement, qu'aux doctes théologiens, si ce n'est qu'ils s'étudient à l'humilité de toute l'affection de leur cœur. (Abrégé spirituel chapitre 13 paragraphe trois.) Là-même.

18. Sainte Thérèse, (parlant à son confesseur.) Qu'il ne s'épouvante pas, et que ces choses ne lui semblent pas impossibles ; tout est possible notre seigneur, mais qu'il tâche de vivifier sa foi, et de s'humilier de ce que sa divine Majesté [90] rend peut-être une petite vieille plus savante que lui en cette science, quoiqu'il soit très éminent en doctrine. (Vie chapitre 34.) Là-même.

19. Suarez. Souvent les personnes simples aidées de la grâce divine pénètrent et pèsent la vérité plus profondément que les doctes. (Livre deux, de l'oraison chapitre 10 n.8.) Là-même.

20. -- Voyez Chemin court, note 11.

21. Saint Grégoire. Voyez Là-même. n.10.

22. Albarando. C'est une grande erreur de penser que la contemplation soit seulement pour ceux qui sont très parfaits et fort avancés, et non pour ceux qui commencent. (Art de bien vivre, Tome un, Livre un, chapitre 15.) Et (au Livre deux chapitre 1.) il dit, que suivant la doctrine de Saint Bonaventure, d'Henri de Palme, et des autres Docteurs, selon la loi ordinaire, on a coutume de demeurer seulement 15 jours en la voie purgative, avant que l'entrée soit ouverte à l'illuminative ; et enfin  plusieurs docteurs et maîtres signalés enseignent aussi le même. La même partie deux chapitre 21 paragraphe deux.

Le P. Jaques de Jésus.

23. Saint Augustin. Sur ces paroles du psaume 71 verset trois. Que les montagnes reçoivent la paix pour le peuple et les collines la justice, dit : Que les montagnes sont ceux qui excellent en sainteté dans l'Eglise, qui sont capables d'enseigner les autres, parlant en sorte qu'ils soient fidèlement instruits, et vivant tellement qu'ils puissent être saintement imités. Les collines sont ceux qui suivent leur excellence par leur obéissance.

Les montagnes, dit le cardinal Hugues, signifient aussi les contemplatifs qui ont besoin de paix, parce que l'œil troublé ne peut contempler les choses célestes. Nous tirons de là que les [91] montagnes qui doivent recevoir cette doctrine, (a) pax Dei quae exuperat omnem sensum, qui surpasse tout sens pour la communiquer au peuple, sont des hommes éminents en sainteté, grands maîtres spirituels, proches du ciel par la contemplation sublime, et les biens qu'ils reçoivent de là pour les communiquer aux inférieurs, et pour le profit des disciples ; c'est ce que veut dire, qu'ils reçoivent la paix pour le peuple.

Suivant cela cette doctrine si sublime et relevée, qui traitent de si près de la parfaite paix et union de l'âme à Dieu, communiquée à cette très haute montagne de notre B. Père, (Jean de la Croix) si éminent en sainteté, comme on voit en sa vie, et aux grands et continuels miracles que Dieu fait par lui, supérieur en qualité de contemplatif, chérubins élevé et séraphin embrasé, a été en faveur du peuple et pour son utilité, n'ayant pas grand besoin pour son regard de lettres ou paroles extérieures. C'est pourquoi il l'a écrite en sorte qu'elle peut servir à tous, et déclarer le sommet de l'union et contemplation de Dieu lui avait communiquée, avec des instructions très importantes, qu'il étale ici pour les maîtres et les disciples : et c'est pourquoi Dieu lui ayant révélé cette doctrine, et lui nous l'ayant enseigné à cette fin, il a eu raison de la mettre en une langue qui en pût bien exprimer la grandeur et ensemble en faciliter l'intelligence à ceux pour qui est écrite. Note sur Jean de la croix. Discours trois paragraphe un.

(a) Phil. 4 vs. 7.

24. Le sage se fait voir en ses paroles (b). L'écriture du sage est un portrait et une vive image de ce qu'il est. -- Le sage donc se découvre

(b) Eccli. 20 vs.29.

[92] soi-même en ses livres, -- afin qu'on ait de hauts sentiments de Dieu, qui donne une telle lumière, qui communique de telles grâces et faveurs, et qui a de tels amis. Et c'est ici, si ce qu'il dit est imitable, qu'il incite (a) à son imitation, non seulement par la bonté de ce qui se propose, mais encore par l'exhortation pratique de l'exemple ; et si cela est merveilleux et extraordinaire, on le loue et l'admire : en ce faisant chacun y profite, et Dieu est glorifié de tous ; ce qui est ce qu'on prétend directement en cela. Là-même paragraphe 2.

(a) Il n'est donc pas dangereux d'écrire de ces choses.

25. Quel profit (b) y a-t-il à la sagesse muette et au trésor caché ? Maudit soit celui qui ne tire pas son couteau, qui ne dégaine pas son épée pour faire une sanglante boucherie, qui ne découvre ni révèle la vérité comme dit notre seigneur Jésus-Christ. Maudit (c) celui qui retire son glaive du sang. Ce sont les paroles de Jérémie. Ainsi la doctrine de ce B. Père, (Jean de la Croix) étant saintement cruelle, sans pardonner non seulement à la chair et au sang, mais ni à l'âme ni à l'esprit, puisqu'il entre là et fait division pour unir parfaitement à Dieu ; que celui-là serait coupable, qui mettrait cette épée ou dans le fourgon du silence, ce qui serait insupportable, ou dans une autre langue moins reçue et moins universelle (d) que la nôtre. --

C'est pourquoi en ces choses il ne faut pas regarder l'abus de quelques-uns, (ce serait entièrement fermer la porte au bien ;) mais regarder au profit commun, et à ce que promet nettement

(b) Eccli. 20 vs.32.

(c) Jerem. 48 vs.10.

(d) donc il prétend que beaucoup doivent profiter de cet sorte d'écrits.

[93] est directement la chose dont il s'agit. Là-même.

26. Saint Bernard. (Sermon 62 sur le Cantique) parlant de la très éminente doctrine de Saint Paul, dit : après avoir pénétré le premier et le second ciel, d'une subtile mais pieuse curiosité, enfin ce bénin scrutateur ne l'a-t-il pas attiré du troisième ciel ? Mais il ne nous l'a pas cachée, mais représentée en des paroles claires, le plus fidèlement qu'il lui a été possible.

Donc les doctrines pour être hautes, ne doivent pas être cachées : et quand on les étalera si polies et circonstanciées, que parlant prudemment et moralement on n'en puisse craindre de dommage, il n'y a pas de doute qu'il ne soit très convenable de les publier. --

Le meilleur moyen d'en traiter, c'est de le faire avec reconnaissance et soumission à leur incompréhensibilité. Celui donc qui exhortera à cette reconnaissance et subjection en pure foi, la préférant à toute autre intelligence et notice, et à l'habitude de notre esprit, captivant tout ce qu'il pourrait de soi-même sous l'obéissance de la foi ; celui-là, dis-je, se conformerait fort bien avec les saints ; et traitant des choses très hautes, il les laisserait toujours très hautes ; et parlant de celles qui sont ineffables il s'en tairait en bégayant quelque chose, parce qu'il traite de nous recueillir dans le saint et divin silence ; et connaissant il ignorerait, d'autant qu'il discourt de soumettre la connaissance à la reconnaissance qu'on doit avoir de cette grandeur ; et écrivant il n'écrirait pas, parce qu'il écrit pour donner à entendre, que ces matières sont par-dessus toutes les Ecritures ; qui est la droite intention des saints, nommément de Saint Denis. -- Car ce serait une chose bien rude, que ceux, qui prétendent [94] servir Dieu plus purement, fussent de pire condition que les autres ; et que voulons servir Dieu en ce degré relevé, il n'y eut point d'instruction pour eux ; principalement y ayant peu de confesseurs et de maîtres, qui en puisse donner en ce haut degré, ayant eux-mêmes besoin de l'apprendre de quelque autre. Et qui approuvera que ces âmes pour n'entendre pas les langues et les sciences, soit privées des enseignements requis à leur avancement et direction ? -- Les inconvénients qui peuvent provenir (a) de malice ou d'ignorance grossière, ne nous doivent retenir et distraire du bien : autrement il faudrait supprimer la sainte Ecriture parce que les hérétiques en abusent. Qu'on brûle donc les Histoires ecclésiastiques, et tant de choses rares qui sont écrites en notre langue. Pourquoi imprimer en langue vulgaire les écrits de Sainte Thérèse remplis d'une sublime doctrine ? Que tout cela dont on tire tant de profit, ne soit plus exposé au public ; afin que celui-ci ou un autre, qui est ami de soi-même et de sa grandeur, ne prennent de là occasion d'être trompé et de tromper. Que la gloire de Dieu soit cachée ; qu'on ne sache pas ses merveilles ; qu'on ferme ce chemin par où de personnes s'animent à l'aimer et le servir. Dans les choses il ne faut pas regarder l'abus ou le scandale Pharisaïque, mais le profit commun. Là même paragraphe cinq.

(a) il est certain que les gens corrompus entendent et expliquent toutes choses selon la corruption ; semblable aux araignées qui tirent du poison des mêmes fleurs d'où les abeilles tirent le miel. Il ne faut pas juger d'un livre par le goût ou le discours d'une personne corrompue, mais par celui d'une personne pure, intérieure et qui juge selon l'esprit.

[95]

L'auteur du Jour Mistique.

 27. Il n'y a pas d'occupation, pour distrayante qu'elle soit, qui puisse empêcher la pratique de l'oraison du repos, quand elle est prise selon les règles de la volonté de Dieu ; car ce souverain Seigneur, appelant tous les hommes à l'oraison (a), même continuelle, sans doute il leur veut faire la grâce, s'ils s'en savent et veulent servir, de la pouvoir pratiquer en tout temps et en toutes choses. Livre trois traité cinq chapitres I section 2.

(a) Luc 18, 1.

28. C'est le plus commun sentiment des docteurs de la Théologie mystique, qui estiment que les personnes simples et ignorantes des sciences humaines, sont plus propres que les savants à apprendre et pratiquer cette science mystique. Dieu, dit Harphius, (b) communique aux simples cette Mystique théologie, afin que par ce moyen tous les sages du monde soient confondus, et que les humbles soient consolés et réjouis, vu qu'une vieille et un berger rustique se peuvent mieux élever à ces choses avec pureté d'esprit, que tous ceux qui sont enflés d'une sagesse mondaine, qui n'y peuvent atteindre par aucune industrie ni intelligence, pour pénétrante qu'elle puisse être.

Bien que la Théologie mystique, dit Gerson (c) soit une suprême et très parfaite connaissance, -- chaque fidèle néanmoins la peut avoir, fût-ce un idiot ou une petite femmelette. Il confirme ailleurs (d) et prouve même que les simples et les idiots parviennent plutôt et plus hautement à la théologie mystique par la foi, par l'espérance et par la charité, que les savants, -- rapportant quelques

(b) Théol. Mist. LIv.3. Préface.

(c) Théol. Mistique. Confid. 30.

(d) Confid. 9.

[96] raisons remarquées par S. Thomas sur la question, pourquoi le simple sont quelquefois plus dévots que les savants, qui sont, premièrement que la foi de telles personnes est moins troublée par les fantômes des opinions contraires, qu'elles n'entendent pas, et auxquelles elles ne pensent pas ; deuxièmement qu'elles sont ordinairement plus humbles, et que c'est à celles-là que Dieu communique ses grâces, abandonnant les superbes ; troisièmement que les simples ont souvent plus grand soin de leur salut et l'opèrent avec crainte.

Il assure au même endroit qu'un certain personnage avait coutume de dire, qu'après avoir passé quarante ans et plus à feuilleter, étudier, lire, méditer plusieurs choses, il n'avait rien trouvé de plus abrégé et de plus efficace pour acquérir la Théologie mystique, que de se rendre au-dessous de Dieu comme un enfant, vu que, lui-même s'est fait enfant pour nous, et comme tel s'est donné à nous. Et ailleurs (a) il fait voir cela même par une comparaison familière.

Considérons, dit-il, deux hommes, dont l'un soit très subtil au sens de la vue et de l'ouïe mais hébété à ceux de l'odorat, du goût et du toucher ; et supposons l'autre qui soit aveugle et sourd, mais très subtil aux trois autres sens ; il est certain que celui-ci pourra éprouver de plus grandes délectations que le premier. Appliquons ceci, poursuit-il, à la Théologie mystique. Les philosophes et les théologiens qui sont savants, ont la vue et l'ouïe spirituelle aiguë et pénétrante, mais il arrive que plusieurs d'entre eux ont les autres sens spirituels bien émoussés. -- Il ne faut pas s'étonner si les simples et sans doctrine, qui sont comme sourds et aveugles en tout autre [97] science, si ce n'est en celle de la foi, se délectent en Dieu, qu'ils aiment et désirent. Et en cette façon ils le sentent, le goûtent, odorent sa bonté, et en l'embrassant le touchent, ayant par pureté de vie et par simplicité les sens purgés et réformés, qui dans les autres vicieux sont entièrement stupides, sans pouvoir ressentir les choses divines très suaves, quoiqu'ils les voient ou entendent. --

Denis le chartreux (a) parlant de Rusbroche, l'appelle idiot qui à peine entendait le latin, cependant il l'appelle un autre S. Denis. --

(a) Sermon 1. Conférence non Pontif.

Tauler savant et grand contemplatif a été (b) instruits par un hommes ignorant des lettres humaines mais fort spirituel. Là-même chapitre 2. section deux.

(b) en sa Vie.

29. Tout ainsi, dit Gerson, (c) qu'il faut cacher les paroles de la théologie mystique à plusieurs doctes et lettrés, qui sont nommés sages, philosophes et théologiens ; aussi la faut-il enseigner à plusieurs simples, sans doctrine ni étude pourvue qu'ils soient fidèles. Là-même chapitre trois section un.

(c) Théologie mystique Consid. 31.                        [98]

§ II. Oraison et méditation.

Je continue de l'Oraison.

Moyen court.

Tous ceux qui veulent faire oraison, le peuvent aisément avec le secours de la grâce ordinaire et les dons du Saint Esprit, qui sont communs à tous les chrétiens.

L'oraison est la (a) clé de la perfection et du bonheur souverain, c'est le moyen efficace de nous défaire de tous les vices, et d'acquérir toutes les vertus ; car le grand moyen de devenir parfait est de marcher en la présence de Dieu. Chapitre 1. n. 3

(a) Ste Térèse dit la même chose. (Voyez Oraison paragraphe I. n. 8. Orais. § II. n.4. etc.)

Allez donc à l'oraison, non pour vouloir jouir de Dieu ; mais pour y être comme il veut : cela fera que vous serez égale dans les sécheresses comme dans l'abondance. Chap. 4.n.3.

O si on savait les biens qui reviennent à l'âme de cette oraison, on ne voudrait faire autre chose. Ch.20. n.4.                    [99]

Méditation.

Moyen court.

Tous (a) peuvent donc faire oraison, et tous la doivent faire. Mais je conviens que tous ne peuvent pas méditer, et très peu y sont propres. Aussi n'est-ce pas cette oraison que Dieu demande ni qu'on désire de vous. --- Vous devez vivre d'oraison comme vous devez vivre d'amour. Chap. I n.1,2.

Il faut vous apprendre à faire une oraison (b) qui se puisse faire en tout temps ; qui ne détourne pas des occupations extérieures ; que les princes, les rois, les prélats, les prêtres, les magistrats, les soldats, les enfants, les artisans, les laboureurs, les femmes, et les malades puissent faire. Cette oraison n'est pas l'oraison de la tête mais l'oraison du cœur.

Ce n'est pas une oraison de seule pensée ; parce que l'esprit de l'homme est si borné, que s'il pense à une chose, il ne peut penser à l'autre : mais c'est l'oraison du cœur,

(a) Ceci at été vu ci-dessus paragraphe un.

(b) Tout ceci est renfermé sous la proposition : tous peuvent faire oraison.

[100] qui n'est pas interrompue par toutes les occupations d'esprit.

Rien ne peut interrompre l'oraison du cœur que les affections déréglées. Et lorsqu'on a une fois goûté Dieu et la douceur de son amour, il est impossible de goûter autre chose que lui.

Rien n'est plus aisé (a) que d'avoir Dieu et de le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Il a plus de désir de se donner un nous, que nous de le posséder. Il n'y a que la manière de le chercher, qui est si aisée et si naturelle, que l'air qu'on respire ne l'est pas davantage. Oui vous qui êtes si grossier, qui croyez n'être propres à rien, vous pouvez vivre d'oraison et de Dieu même, aussi aisément et aussi continuellement que vous vivez de l'air que vous respirez. Chap. 1. n 4,5.

(a) Sainte Thérèse approuvée dans ce que j'ai raporté de ces écrits, quand peut on arrivait à l'oraison. (Voyez Chemin court. n.5. etc.)

Il y a deux moyens pour introduire les âmes dans l'oraison, dont on peut et doit (b) se servir pour quelque temps. L'un est la méditation ; l'autre la lecture méditée.

La lecture méditée n'est autre chose, que [101] de prendre quelques vérités fortes, soit pour la spéculative soit pour la pratique, préférant la dernière à la première, et lire de cette sorte.

[µ La suite du texte du Moyen court sera reprise notre édition elle couvre les pages 101 à 104]

 [105] AUTORITES.

Cassien.

1. L'abbé Isaac dit qu'il a appris de S. Antoine cette sentence, qu'il appelle céleste et plus qu'humaine. L'oraison n'est pas parfaite lorsque le solitaire connaît ce qu'il fait quand il prie. Conférence neuf chapitre 30.

2. Nous prions en secret quand il n'y a que notre cœur qui prie, en sorte que les puissances des ténèbres ne puissent pas connaître la nature de notre oraison. Ainsi il faut prier dans un grand silence, afin de cacher notre oraison à nos ennemis invisibles, qui nous tendent des pièges, particulièrement en ce temps-là. Là-même chapitre 34.

3. Voyez Non-désir n.1

Sainte Thérèse.

4. Je vois clairement la grande miséricorde que notre Seigneur m'a faite, vu que je devais converser avec le monde, de me donner du courage pour faire oraison. Je dis du courage ; d'autant que je ne sais pour quelque chose de toutes celles qui sont au monde, il en faudrait avoir davantage. ---

Or j'ai dit tout ceci afin qu'on voit la miséricorde et mon ingratitude, et afin qu'on sache le grand bien que Sa Majesté fait à une âme de la disposée à faire oraison avec affection, quoiqu'elle n'ait pas tant de dispositions comme il est requis ; et comme Dieu la conduit au port de salut, si elle persévère, nonobstant les péchés, les tentations et les chutes de mille manières, ou le Diable la pourrait engager : ce que je tiens pour certains --- suivant l'expérience que j'ai en ceci [106] je puis dire que celui qui a commencé à faire oraison, de la doit jamais quitter, pour quelques offenses qu'il commette, puisque c'est le moyen par lequel il pourra trouver son remède ; et sans cela il aura beaucoup plus de difficulté ; et qu'il prenne bien garde de ne se laisser aller à la tentation dont le diable m'a déçue, savoir est, de laisser ce saint exercice par humilité. ---

Or quiconque n'a encore commencé de s'exercer à l'oraison, je le prie pour l'amour de notre seigneur de ne se point priver d'un si grand bien. Il n'y a rien ici à craindre, mais tout y est désirable ; car bien qu'il ne s'avance pas et ne s'efforce d'être parfait, en sorte qu'il mérite les goûts et les caresses dont Dieu favorise les parfaits ; au moins il gagnera cela, qu'il viendra à connaître le chemin du ciel, et s'il persévère, j'espère en la miséricorde de Dieu que sa persévérance ne sera pas vaine, puisque personne ne l'a jamais pris pour ami, qu'il n'en ait été bien récompensé. D'autant que faire oraison mentale, à mon avis, n'est autre chose que de traiter et communiquer d'amitié, s'entretenant souvent seul avec celui que nous savons nous porter de l'affection. Vie chapitre huit.

5. Or j'avais cette manière d'oraison, savoir est, que ne pouvant discourir avec l'entendement, je tâchai de représenter notre seigneur Jésus-Christ au-dedans de moi : et à mon avis je trouvais plus de suc et plus d'affection dans les lieux où je le voyais plus seul. Il me semblait qu'étant seul et affligé, il me devait admettre comme une personne qui est nécessiteuse.

J'avais beaucoup de ces simplicités, mais spécialement je me trouvais bien dans l'oraison du jardin. --- Durant plusieurs années lorsque je [107] me recommandait à Dieu avant que de m'endormir, je pensais toujours un peu en ce mistère de l'oraison du jardin, même n'étant pas encore religieuse, d'autant qu'on m'avait dit que pratiquant cela on gagnait plusieurs indulgences. Et je tiens quant à moi, que mon âme profita beaucoup par ce moyen, d'autant que par là je commençais à faire oraison, sans savoir ce que c'était ; et la grande habitude que j'y avais prise m'empêcher d'omettre cette dévotion, non plus que de faire le signe de la croix avant que de reposer. Vie chapitre neuf.

6. (En méditant quelque mystère de la passion,) il est bon de discourir un peu de temps, et il ne faut pas se lasser à éplucher toujours ces choses ; mais après avoir accoisé l'entendement, et l'ayant mis dans le silence, on doit demeurer là avec notre seigneur, jouissant de son aimable présence. -- Celui qui pourra faire ceci, quoique ce soit au commencement de l'oraison, y trouvera un grand profit, et cette manière d'oraison produit beaucoup de fruit: au moins mon âme l'a expérimenté. Là-même chapitre 13.

7. Or tout ceci est accompagné d'une très grande consolation, et se fait avec si peu de travail, que l'oraison ne lasse aucunement quoiqu'elle dure longtemps. Chapitre 14.

8. Notre Seigneur donne des tendresses, des goûts, et des consolations à des personnes en mauvais état,-- pour voir si par cette faveur elles  se voudraient disposées à jouir souvent de lui : mais si elles ne s'y disposent pas, par donnez-leur, mon seigneur, car c'est un grand mal.-- Je tiens pour moi, qu'il y a plusieurs personnes que notre seigneur éprouve de cette manière, et peu qui se disposent à jouir de cette grâce ; car [108] quand il la fait et qu'il ne tient pas à nous, je tiens pour certain qu'il ne cesse jamais de donner jusqu'à ce qu'il nous mette en un très haut degré.

* Quand nous ne nous livrons pas à sa divine Majesté avec une si pleine volonté, comme elle se livre à nous, elle fait assez de nous laisser demeurer dans l'oraison mentale, et de nous visiter de temps en temps comme des ouvriers qui travaillent en sa vigne : mais ces autres sont ses enfants chéris que notre Seigneur tient toujours prêt de soi, et qu'il ne voudrait pas écarter de son amoureuse présence, parce que eux aussi ne s'en veulent pas éloigner : il les fait asseoir à sa table et leur fait part des viandes qu'il y mange, jusqu'à s'ôter, comme on dit, le morceau de la bouche pour le leur donner. Chemin de perfection chapitre 16.

9. C'est aussi un excellent remède de prendre un bon livre en langue vulgaire, pour recueillir l'entendement, afin de bien prier vocalement par ce moyen, et d'y accoutumer peu à peu l'âme par attraits et par artifices, pour ne la pas dégoûter ni épouvanter. -- Que si nous ne procédons de la sorte, et si nous ne marchons ainsi peu à peu, nous ne ferons rien. Et si vous vous accoutumez à ce que j'ai dit, vous en retirerez un si grand profit, quand je voudrais vous le déclarer, je ne le pourrais faire. Tenez-vous donc auprès de ce bon maître, bien résolues d'apprendre ce qu'il vous enseignera, et notre seigneur vous fera bonnes disciples, et ne vous laissera pas si vous ne le quittez pas. Chapitre 26.

10. Voyez Prière vocale. n.12.

11. Dieu voit que l'âme est perdue et aliénée [109] de soi par la véhémence de l'amour qu'elle a pour lui, et que la même force de l'amour lui a ôté le discours de l'entendement pour le pouvoir aimer davantage. Conception de l'amour de Dieu, chapitre six.

12. Je crois que vous aurez déjà appris dans quelques livres d'oraison, comme ils conseillent à l'âme d'entrer au-dedans de soi : or c'est ce que je dis en ce lieu. Il y a peu de temps qu'un personnage fort docte me disait que les âmes qui ne font point d'oraison, sont comme un corps paralytique ou perclus, lequel quoiqu'il ait des pieds et des mains ne s'en peut aider. Chat. Dem. I, chap. I.

13. Il importe grandement à toute âme qui fait oraison, soit peu, soit beaucoup, de n'être pas trop réservée ou tenue à l'étroit ; mais on doit la laisser aller par toutes ces demeurant en haut, en bas et aux côtés, puisque notre seigneur l'a voulu favoriser d'une si grande dignité. Qu'elle ne se resserre pas tant, que de vouloir demeurer longtemps dans une chambre, quoique ce soit dans la propre connaissance ; car encore qu'elle soit si nécessaire, -- que l'âme occupée à la connaissance d'elle-même me croie, et qu'elle prenne quelquefois l'essor, pour considérer la grandeur et la majesté de son Dieu : car là elle verra mieux sa bassesse qu'en soi-même ; et elle sera plus libre des bêtes et des vermines qui entrent dans les premières demeures. Château un demeure chapitre 2.

14. Remarquez bien mes filles ce que je vais dire. Toute la prétention de celui qui commence à faire oraison, doit être de se résoudre, de se disposer, et de travailler avec toutes les diligences possibles, à conformer sa volonté à celle de Dieu ; et comme je le dirai après, tenez [110] pour très certain qu'en cela consiste toute la plus grande perfection, qu'on peut obtenir en ce chemin spirituel. Celui qui aura ceci plus parfaitement, recevra davantage de notre seigneur, et sera plus avancé dans cette voie. Ne pensez pas qu'il y ait ici d'autres langues arabesques, ou d'autres choses inconnues, car en cela consiste tout notre bien. Que si nous manquons dès le commencement, voulant aussitôt que Dieu fasse notre volonté, et qu'il nous conduise par la voie que nous désirons, quelle fermeté pourra avoir cet édifice ? Demeure II. Chapitre un.

Le B. Jean de la Croix.

15. L'âme qui prétendra de parvenir en cette vie à l'union de ce souverain repos, doit passer par tous les degrés de considérations, formes et notices sans s'arrêter, vu qu'elles n'ont (a) aucune proportion ni semblance avec le terme où elle s'achemine, qui est Dieu[213].

 

 

-- D'où vient que quelques spirituels s'abusent grandement, qui s'étant exercés à s'approcher de Dieu par images, formes et méditations convenables aux commençants, Dieu voulant les attirer à des biens plus spirituels et plus intérieurs qui sont invisibles, leur ôtant déjà le goût et le suc de la méditation qui se fait par discours, ils n'achèvent pas de s'en défaire, et n'osent et ne savent quitter ces moyens palpables qu'ils ont accoutumé, et s'efforcent encore de les garder, voulant aller par leur considération et méditation de formes comme auparavant.-- Tant plus l'âme avance en esprit, plus elle cesse l'œuvre des puissances aux objets particuliers, se mettant en un seul acte général ; partant les puissances cessent d'opérer, comme elles faisaient auparavant, pour arriver où [111]

(a) Moyen court. Chapitre 24 : 1. 2. etc.

l'âme est parvenue, de même que les pieds s'arrêtent après avoir achevé leur journée. Car s'il fallait toujours marcher, on n'arriverait jamais et si tout était des moyens, quand est-ce qu'on jouirait des fins et des termes ? C'est une pitié de voir que leur âme voulant être en cette paix et repos de quiétude intérieure, où elle se comble de paix et de la réfection de Dieu, ils l'inquiètent et la tirent dehors au plus extérieur, et veulent qu'elle retourne à marcher par où elle marchait auparavant, et qu'elle laisse la fin et le terme où elle se repose déjà, pour reprendre les moyens qui l'y acheminaient, qui sont les considérations : ce qui n'arrive qu'avec un grand dégoût et répugnance de l'âme, qui désire demeurer en cette paix comme en son propre centre ; comme celui qui est arrivé avec peine en son lieu de repos, si on le fait retourner au travail, cela lui pèse fort. Montée du mont Carmel. Livre deux. Chapitre 12.

16. Nous donnerons ici quelques marques lesquels le spirituel doit voir en soi pour connaître s'il est à propos de laisser [les formes et discours de la méditation] en ce temps-là ou non.

La première est de voir en soi qu'il ne peut (a) plus méditer ni opérer avec l'imagination, et qu'il n'y a plus de goût comme auparavant. -- La seconde, quand il voit qu'il n'a nulle inclination

(a) il est à noter que les personnes qui ont combattu les attraits de la grâce par leurs propres efforts, et qui ont passé ce temps-là, peuvent facilement après méditer, parce qu'ils se sont exercés avec force à raisonner et en ont formé l'habitude. Ce n'est pas pour ceux-là que le Bienheureux parle ici : car il serait à souhaiter qu'ils changeassent de conduite ; il est à craindre qu'il ne le fasse jamais : il parle pour les commençants.

[112] ou volonté de mettre l'imagination, ni les sens, en aucune chose particulière, extérieure ni intérieure : je ne dis pas qu'elle n'aille et ne vienne, (car encore en un grand recueillement elle ne laisse pas d'être vagabonde ;) mais que l'âme ne prenne plaisir de l'appliquer exprès en d'autres choses. La troisième et la plus certaine est, si l'âme prend plaisir d'être seule avec attention amoureuse à Dieu, sans considération particulière, en paix intérieure, quiétude et repos, sans acte ni exercice des puissances, -- au moins où il y ait du discours, qui est d'aller d'une chose à l'autre, mais seulement qu'elle demeure avec la connaissance et le regard général et amoureux, que nous appelons sans intelligence particulière d'autres choses. --

 Il est bien vrai qu'au commencement de cet état on ne voit presque pas cette notice amoureuse, pour deux raisons : l'une, parce qu'au commencement cette notice amoureuse est très subtile et délicate et quasi insensible ; l'autre, parce que l'âme ayant été habituée à l'autre exercice de la méditation, qui est plus sensible, elle ne sent et n'aperçoit quasi pas cette autre nouveauté insensible, qui est déjà purement de l'esprit ; spécialement lorsqu'à faute d'entendre ce nouvel état, elle ne se laisse reposer en cela, procurant l'autre, qui est plus sensible : avec lequel quoique la paix intérieure et amoureuse soit plus abondante, on ne donne pas lieu de la sentir, ni d'en jouir. Mais tant plus l'âme se rendra habile à se laisser accoiser et mettre en paix, (a) elle ira

(a) C'est toute la méthode qu'on donne dans le Moyen court (chapitre trois .n.3, 4.), De laisser peu à peu surmonter son opération à celle de Dieu, ne la quittant que peu à peu, à mesure qu'on éprouve ce goût divin ou attention amoureuse. Plût à Dieu que ceux qui combattent cet état, en eussent fait l'expérience !

[113] toujours croissant en cette paix, et sentira davantage cette notice générale et amoureuse de Dieu, ce qu'elle goûte plus que tout autre chose : d'autant qu'elle lui apporte la paix, le repos, la saveur et un plaisir sans peine. Là même. Chapitre 13.

17. La première raison [pourquoi on doit quitter la méditation sensible] est, parce qu'on a déjà donné à l'âme en certaine manière tous les biens spirituels, qu'elle devait trouver aux choses de Dieu, par la voix de méditation et de discours.-- Car pour l'ordinaire, quand l'âme reçoit quelque bien spirituel de nouveau, elle le reçoit en le goûtant ; -- et ainsi il lui profite : ce serait merveille s'il lui profitait autrement ; par ce que cela se fait à la manière que disent les philosophes, ce qui a goût nourrit. C'est pourquoi Job disait : (a) pourra-t-on manger l'insipide, qui n'est pas assaisonné de sel.

La seconde cause est, que l'âme en ce temps a déjà l'esprit de la méditation en substance et en habitude ; par ce que la fin de la méditation, c'est de tirer quelque connaissance et amour de Dieu, et à chaque fois que l'âme l'attire c'est un acte ; (b) et comme plusieurs actes en quelque état que ce soit viennent à engendrer une habitude en l'âme ; de même beaucoup d'actes de ces connaissances amoureuses, que l'âme a tirées de fois à autres, se continuent tellement par l'usage, qu'il

(a) Job 6, vs.6.

(b) Moyen court. Chapitre 22. n.3.

[114] s'en fait une habitude. Ce que Dieu a aussi accoutumé de faire sans le moyen de ces actes de méditation, (au moins sans qu'il en ait beaucoup précédé) les mettant incontinent en contemplation ; de sorte que ce, que l'âme tirait auparavant de fois à autre travaillant à méditer en des notices particulières, s'est déjà par l'usage tourné en elle en habitude et en substance d'une notice amoureuse générale, non distincte, ni particulière comme auparavant[214]. C'est pourquoi se mettant en oraison, comme celle qui a déjà puisé l'eau, elle boit à son aise avec suavité, sans qu'il soit besoin de la tirer des aqueducs des considérations passées. -- Parce qu'il lui arriverait comme à l'enfant, lequel recevant le lait qu'il trouve amassé et rassemblé au tétin, on le lui ôte néanmoins, et l'on veut qu'avec sa diligence en maniant et épraignant [étreignant], il retourne de nouveau à le rassembler et le tirer. Ou comme celui qui ayant ôté la peau de quelque chose, goûte de sa substance, si on la lui faisait ôter pour recommencer à goûter la même peau qui est déjà coupée ; car il n'y trouverait plus de peau, et ne goûterait plus de la substance qu'il avait déjà entre les mains, ressemblant à celui qui laisse ce qu'il a pour prendre ce qu'il n'a pas. Là-même. Chapitre 14.

18. Ils ne doivent plus se soucier du discours et de la méditation, puisque comme j'ai dit, il n'en est plus temps : mais qu'ils laissent demeurer l'âme en repos et tranquillité, encore qu'il leur semble de ne rien faire et de perdre le temps, et que cela procède de leur tiédeur, de n'avoir envie de penser à chose quelconque ; vu qu'ils ne feront pas peu de se tenir en patience, et de persévérer en l'oraison, laissant seulement l'âme libre, désembarrassée et déliée de toutes les notices [115] et pensées, sans se soucier là de ce qu'ils penseront ou méditerons, se contentant seulement d'un regard amoureux et reposé en Dieu, et de demeurer sans sollicitude, et sans désir trop ardent de le sentir et de le goûter ; d'autant que toutes ces prétentions inquiètent et distraient l'âme du repos tranquille, et du doux loisir de contemplation qui se donne là. Et quelques scrupules qu'ils puissent avoir de perdre le temps, et qu'il serait meilleur de faire autre chose, puisqu'en l'oraison ils ne peuvent rien faire ni penser ; qu'ils patientent néanmoins et se tiennent à recoi, se persuadant qu'ils vont à l'oraison pour prendre leur plaisir et demeurer en liberté et latitude d'esprit.

* Car si d'eux-mêmes ils veulent opérer quelque chose avec les puissances intérieures, ils empêcheront et perdront les biens que Dieu, par le moyen de cette paix et loisir de l'âme, va gravant et imprimant en elle. Car comme si un (a) peintre tirait un visage, et que la personne vint à se remuer pour faire quelque chose, elle empêcherait le peintre de travailler, et d'achever son ouvrage commencé : de même quand l'âme est en paix et en repos intérieur, quelque opération et affection qu'elle puisse exercer, voire même un regard qui se fait alors avec sollicitude, lui donnera infailliblement de la distraction, et lui fera sentir l'aridité et le vide du sens ; par ce que tant plus elle prétendra quelque appui d'affection et de notice, d'autant plus sentira-t-elle le défaut, qui ne peut plus être suppléé par cette voie. L'âme donc ne doit se soucier ici, si elle perd l'opération des puissances : au contraire elle doit être contente de les perdre bientôt ; par ce que

(a) Moyen court. Chapitre 21. Paragraphe 5.

* Opérations propres, n.16.

[116] n'empêchant pas l'opération de la contemplation infuse, que Dieu va donnant avec plus d'abondance pacifique, on la récrée, et elle donne lieu à ce qu'elle brûle et s'enflamme dans l'esprit de l'amour, que cette obscure et secrète contemplation traîne avec soi et attache à l'âme. Obscure nuit de l'âme. Un livre un. Chapitre 10.

19. Tel gens n'en sachant pas davantage que pour conduire les commençants, (et encore Dieu sait comment) quoique Dieu appelle les âmes davantage, ils ne veulent laisser passer plus avant que ces commencements et ces moyens discursifs, avec lesquels ils ne peuvent pas faire beaucoup de fruit (a).

Pour mieux entendre ceci, il faut savoir que l'état des commençants et de méditer et discourir. -- Mais quand cela est déjà aucunement fait, aussitôt (b) Dieu commence à les mettre en cet état de contemplation ; ce qui a coutume de se faire en fort peu de temps, principalement aux religieux ; parce qu'ayant du tout renoncé aux choses du siècle, ils accommodent plus promptement à Dieu leur sens et leurs appétits : et cela étant fait, il ne reste qu'à passer soudain de la méditation à la contemplation. Et comme toutes les opérations que l'âme peut faire de soi naturellement, ne se font que par l'entremise des sens, de la vient que Dieu en cet état est l'agent particulier qui verse et enseigne ; et l'âme est celle qui reçoit, à laquelle Dieu donne en la contemplation des biens très spirituels, qui sont

(a) on ne fait pas grand fruit par la méditation. Ainsi le Moyen court (chapitre 24.n.1.) n'a pas tort de dire qu'on arrive pas par cette voie à l'union avec Dieu.

(b) Moyen court. Chapitre 4. n.1.

[117] la connaissance et l'amour divin ensemble, c'est-à-dire une notice amoureuse, sans que l'âme use de ses actes ou discours, car elle n'y peut plus entrer comme auparavant. Vive flamme d'amour. Cantique trois. Verset trois et quatre et cinq.

20. Voyez Actes. n.7.

21. Voyez Quiétude. §1.n.30.

22. Voyez là-même.n.31.

S. François de Sales.

23. Mais dites-moi, Téotime, l'âme recueillie en son Dieu, pourquoi je vous prie s'inquiéterait-elle ? N'a-t-elle pas sujet de s'accoiser et de demeurer en repos ? Car que chercherait-elle ? Elle a trouvé celui qu'elle cherchait. Que lui reste-t-il plus sinon de dire : (a) J'ai trouvé mon bien-aimé, je le tiens et ne le quitterai pas. Elle n'a plus besoin de s'amuser à discourir avec l'entendement ; car elle voit d'une si douce vue son époux présent, que les discours lui seraient inutiles et superflus. Que si même elle ne le voit pas de l'entendement, elle ne s'en soucie pas, se contentant de le sentir près d'elle, par l'aise et la satisfaction que la volonté en reçoit. La mère de Dieu, Notre-Dame et maîtresse, étant grosse ne voyait pas son divin enfant, mais le sentant dans ses entrailles sacrées vrai Dieu, quel contentement en ressentait-elle ? Et Sainte Élisabeth, ne jouit-elle pas admirablement des fruits de la divine présence du sauveur sans le voir, au jour de la sainte Visitation ? L'âme non plus n'a aucun besoin en ce repos de la mémoire, car elle a présent son amant. Elle n'a pas aussi besoin de l'imagination ; car qu'est-il besoin de se représenter en images, soit extérieure soit intérieure, celui de la présence duquel on jouit ? [118] De sorte qu'enfin c'est la seule volonté qui attire doucement, et comme en têtant tendrement, le lait de cette douce présence, tout le reste de l'âme demeurant en quiétude avec elle, par la suavité du plaisir qu'elle prend. De l'amour de Dieu. Livre six. Chapitre neuf.

(a) Cant.3 vs.4.

Le père Épiphane Louis, abbé d'Estival.

24. Voyez Confession, n.13.

25. Rusbroche distingue deux sortes d'oraisons ; l'une, ou le contemplatif est dans un sain loisir, et dans un parfait repos ; l'autre où il est dans l'action. En la première, l'homme sachant que toute son action, tant qu'il est dans le corps, tient originairement des fantômes et des objets corporels, et partant qu'il n'est pas possible qu'elle l'unisse parfaitement à Dieu, il se porte au-dessus de soi-même : toutes les vertus qu'il a acquises ou infuses, lui semble des principes trop bas pour le mettre où il prétend aller. Il s'élève au-dessus des opérations de toutes ses puissances, et dans cette nudité parfaite de fantômes, d'images, de vertus et d'opérations, il se met en un état aucunement proportionné à l'impression de Dieu qui travaille en son fond : et c'est ce qu'on appelle sacré repos et un sain loisir. Conférence mystique 19.

26. Tout mon attrait et tout mon instinct intérieur, si j'en ai, ou si j'en sais connaître, me porte plutôt à ne rien voir et à ne rien faire, et même à ne pas regarder, si je puis ou dois faire autre chose ; mais à marcher à l'aveuglette dans cette voie de ma simple occupation, par cet unique regard en Dieu. (La mère Rosset à Saint-François-de-Sales). Conférence 20.

[119]

§ III. Contemplation.

AUTORITES.

S. Denis.

1. C'est un désir, qui porte les natures intellectuelles constamment, sans cesse et sans relâche à la contemplation chaste et non sujette au trouble, des choses qui sont par-dessus l'être et la nature ; et cette affection qu'elles ont, de participer éternellement en esprit et en vérité à cette pure et souveraine splendeur, et à cette invariable beauté qui rend beau tout ce qui participe d'elle. De la Hiérarchie céleste. Chapitre 2.

2. Voyez Foi nue n.3.

L'imitation de Jésus-Christ.

3. Comment celui-là peut-il être longtemps en paix, qui s'embarrasse des soins inutiles et étrangers, qui cherche au-dehors des sujets de s'occuper, et qui se recueille très rarement en lui-même. Heureux sont les simples, parce qu'ils jouiront d'une grande paix ! Pourquoi s'est-il trouvé des saints si parfaits et si élevés en la contemplation ? C'est parce qu'ils se sont étudiés à mortifier en eux entièrement tous les désirs de la terre, et qu'ainsi ils se sont mis en état de s'appliquer à eux-mêmes avec liberté, et de demeurer unis à Dieu de toute la plénitude de leur cœur. Livre un chapitre 11 paragraphe 1,2.

4. Plusieurs désireraient de goûter Dieu dans la contemplation ; mais ils n'ont pas soin de faire ce qui devrait pour acquérir un si grand bien. Un des principaux obstacles à cet état si heureux, [120] c'est qu'on s'arrête à ce qui est extérieur et qui frappe les sens sans se mettre beaucoup en peine de mortifier l'esprit et le cœur. Livre trois chapitre 31 paragraphe trois.

Harphius.

5. Voyez Foi nue. n.7.

6. Il faut sortir de toute multiplicité par la contemplation simple et nue du bien-aimé. Livre 2 partie cinq chapitre 2.

Le P. Benoît de Canfeld.

7. L'âme contemplant son Dieu sans voiles ni images, le voit comme en plein midi, se reposant en elle ainsi qu'en sa propre maison, opérant doucement et familièrement dans son cœur, et voyant, goûtant et expérimentant comme il est plus près d'elle qu'elle-même ; quel est plus (a saint Augustin confession livre trois chapitres six. Saint Bonaventure soliloque chapitre un [µ références seules à corriger]) lui qu'elle-même ; et qu'elle le possède, non comme quelque chose, ni comme elle-même, mais plus que toutes choses et plus qu'elle-même. Selon cette lumière elle se comporte de telle façon, que sa joie, sa vie, sa volonté, son amour et ses regards sont plus en lui qu'en elle-même ; et ce d'autant plus qu'elle connaît qu'il est meilleur et plus digne qu'elle, et qu'elle a expérimenté qu'il est plus doux et suave qu'elle ; et enfin qu'elle voit plus beaux et glorieux qu'elle ; et même ayant parfaitement connu qu'il est tout, et qu'elle n'est rien, et quand lui est toute beauté, bonté et douceur, en elle toute laideur, malice, amertume, elle demeure et vit uniquement en lui et rien en elle-même.

D'où s'ensuit (b Saint Bonaventure aiguillon de l'amour divin. Partie trois chapitres 1) quel est toute en Dieu, 121 toute à Dieu, et toute pour Dieu, et toute de Dieu ; mais rien en elle-même, rien à elle-même, rien pour elle-même, rien d'elle-même : elle vit toute en l'esprit, volonté, lumière et force de Dieu, et rien en son esprit, volonté, lumière, force et capacité propre et naturelle. En cette capacité, en cet esprit, et en cette lumière elle contemple cette volonté essentielle, à savoir l'essence de Dieu, comme il est écrit : (a psaume 35 verset 10) Nous verrons la lumière en votre lumière. Règle de la perfection partie trois chapitres six.

Le Père Nicolas de Jésus Maria rapporte

8. Saint Bernard. Que mon âme meure, s'il se peut dire, même de la mort des Anges, afin que perdant la mémoire des choses présentes, elle se dépouille non seulement des désirs et convoitises des choses inférieures et corporelles, mais encore de leurs images et espèces, et que sa conversation soit pure avec ceux-là avec lesquels il y a ressemblance de pureté : tel transport ce me semble, est seulement ou principalement appelé Contemplation. Car en vivant n'être point arrêté par les désirs et convoitises des choses, c'est un trait de la vertu humaine ; mais en contemplant n'être point enveloppé dans les images ou espèces décors, c'est un don de la pureté angélique : l'un et l'autre toutefois vient de la largesse de Dieu ; l'un et l'autre est s'outrepasser et s'élever au-dessus de soi-même : mais l'un de beaucoup, et l'autre de peu. Bienheureux celui qui peut dire : (a psaume 54 verset 8) Voilà je me suis éloigné en fuyant, et j'ai demeuré en la solitude ! 122 (Sermon 25 sur le Cantique). Éclaircissements des phrases de Jean de la Croix, partie II, chapitre 3 §3.

9. -- Avez-vous passé au-dessus des délectations de la chair, afin de ne plus obéir à ses concupiscences, ni d'être pris à ces alléchements ; vous avez achevé, et vous vous êtes surmonté vous-même : mais vous ne vous êtes pas encore écarté, si vous n'avez obtenu d'être affranchi par la pureté de l'esprit des fantômes des ressemblances corporelles qui nous accablent de tous côtés. (Sermon 35 sur le Cantique) Là-même.

10. Saint Bonaventure. Cette révélation des choses éternelles se fait, comme dit Richard, en l'esprit humain, doucement touché par une inspiration intérieure, sans l'entremise d'aucune chose visible, est élevé à la connaissance des choses célestes. (5. Chemin de l'éternité. 5. Dist. 4.) Là-même.

11. -- Le quatrième degré de contemplation selon Richard, est celui qui est formé en la raison et selon la raison, ce qui arrive lorsque se retirant de toute fonction de l'imagination, l'esprit ne vague qu'aux autres choses qui sont inconnues à l'imagination. -- Ce degré est plus parfait que les précédents, parce qu'il est plus éloigné des choses corporelles et temporelles. D'où vient que Richard dit, qu'en cette contemplation l'esprit humain use premièrement de la pure intelligence ; parce que toutes les fonctions de l'imagination écartées et mises à part, notre intelligence en cette première occupation de soi-même et par soi-même, est vue en général. (Chemin de l'éternité 3. Dist. 4.) Là-même.

12. Que si encore par amour et illumination divinement infuse on sépare de l'entendement le mélange de la fantaisie, l'entendement néanmoins 123 conçoit toujours Dieu d'une manière finie et limitée. (Théologie mystique) Là-même.

13. -- Ce goût sert pour être porté au-dessus de toutes les choses sensibles, de toutes les occupations intellectuelles qui sont avec les fantômes, de passer aussi les intelligences angéliques, afin de pouvoir dire avec l'Epouse : (a) Les gardes m'ont trouvée. (Des luminaires de l'Eglise, Sermon 2.) Là-même.

(a) Cantique 3 verset 3.

14. Hugues de Saint-Victor. Que l'âme raisonnable retourne à soi et se recueille en soi, afin que sans les images des corps, elle se puisse considérer soi-même et la nature invisible de Dieu tout puissant ; et qu'elle rejette les fantômes des images terriennes, et tout ce qui se présentera de terrestre à sa pensée. Car lorsque l'âme, par une pure intelligence, aura commencé de s'excéder soi-même, et d'entrer toute dans cette clarté de lumière incorporelle ; pendant ce temps dans ce transport d'esprit, se trouve et s'obtient cette paix qui surpasse tout sens, afin qu'il y ait un silence au ciel l'espace d'une demi-heure (b), de sorte que l'esprit du contemplatif ne soit point troublé du tumulte ni débat des pensées turbulentes : la sensualité n'opère pas [remplacez pas parpoint] ici, ni l'imagination ; mais toute la force intérieure de l'âme est pendant ce temps dénuée de son propre office. (Livre 2 de l'âme chapitre 20.) Là-même.

(a) Par ce silence de demi-heure (voyez Apocalypse huit verset un) il veut dire, que je crois, suivant l'expérience, on ne passe guère plus de demi-heure de suite, sans qu'il vienne quelques pensées qui ne font que passer : elles ne distraient jamais la volonté, à cause de l'habitude du vide et de la nudité.              124

 15. Richard de Saint-Victor. Qu'est-ce que fait ici l'imagination créatrice, modératrice et réparatrice des fantômes corporels ? Que l'imagination formatrice de tant de fantaisie se retire loin d'ici, laquelle tous les jours va créant tant de formes nouvelles des choses corporelles. Cette grande multitude de ses images ne sert de rien ici ; au contraire elle nuit beaucoup. (Livre trois de la contemplation chapitre un.) Là même.

16. Albert le Grand. Heureux celui qui - par l'introversion et l'élévation de l'esprit en Dieu, enfin s'oublie des fantômes ! – Donc rejetez de votre esprit tous les fantômes, toutes les espèces, images et formes de toutes choses, hormis Dieu, afin que votre exercice soit dans le seul entendement nu, et dans l'affection vers Dieu au-dedans de vous. (De l'attachement à Dieu. Chapitre quatre.) Là même.

17. St. Nilus. Lorsque vous priez, ne figurez pas Dieu en vous-même, mais approchez sans matière de celui qui est sans matière et vous entendrez. --

Quand le diable envieux ne peut pas éveiller la mémoire en l'oraison, alors il fait violence au tempérament du corps, afin qu'il fasse paraître quelque figure inusitée pour représenter Dieu ; c'est pourquoi demeurez sur vos gardes, et en priant, préservez votre esprit de ses connaissances. (Chapitres 63 et 64 de l'oraison) Là même.

18. Taulère. Voyez Opérations propres. Numéro 23.

19. Rusbroche. Voyez Joie de l'âme. Numéros 15 et 16.

20. Sainte Thérèse. Qu'on entende bien ce point : car je voudrais me savoir bien expliquer. Quand Dieu veut suspendre toutes les puissances de l'âme, 125 comme nous avons vu dans les manières d'oraison, que nous avons rapportées, il est évident qu'encore que nous ne le voulions pas, on nous ôte (a) cette présence de l'Humanité de Notre Seigneur. Qu'elle s'en aille pour lors à la bonne heure. Heureuse telle perte qui est pour jouir davantage de ce qu'on semble perdre : car l'âme alors s'emploie toute à aimer celui, que l'entendement à tâché de lui faire connaître, elle aime ce qu'elle n'a pu comprendre et jouit de ce dont elle ne pourrait avoir une si parfaite jouissance, si elle ne se fut perdue de la sorte, afin, comme j'ai dit, de gagner davantage ! (Vie chapitre 22.) Là même. § 4.

(a) Cela arrive comme notre Seigneur dit à ses apôtres, (Jean 16 verset 7). Si je ne m'en vais, le consolateur ne viendra pas.

21. -- Notre seigneur met dans le plus intime de l'âme ce qu'il veut qu'elle entende, et le lui représente sans images ni forme de paroles. Qu'on remarque soigneusement cette façon, dont Dieu se sert pour donner à connaître à l'âme ce qu'il veut, soit de grandes vérités et de hauts mystères, soit autre chose. Et il me semble que c'est où le diable se peut moins fourrer et entremettre. Cette manière de vision où ce langage est si spirituel, qu'il y a aucun bruit ou mouvement dans les puissances ni dans les sens, à mon avis, d'où le diable puisse rien tirer. (Vie chapitre 27). Là même. § 3.

22. Dom Barthélémi des martirs. Plusieurs estiment que cette union peut être empêchée (a) par toute image, même utile de sa nature, telle que

(a) Ma pensée que je soumets, ou plutôt mon expérience est, que longtemps le seul souvenir ou image 126 de Jésus-Christ, la seule pensée d'un mystère ou d'un attribut nous recueille, et aussitôt suspend toutes images et espèces, quoi qu'on sente croître en soi l'amour de Jésus-Christ sans image formée de lui. L'âme est ensuite longtemps sans pouvoir avoir nulle occupation distincte de nulle image de Jésus-Christ. Mais quand l'âme est arrivée dans la fin, elle trouve Jésus-Christ en Dieu d'une manière ineffable : les images extérieures du même Jésus-Christ lui font alors un plaisir infini, et sont d'un goût si exquis sans embarras, nuages ou empêchement, que cela ne se peut exprimer : elles impriment dans l'âme l'effet substantiel de ce qu'elles représentent ; par exemple, une image de l'enfance de Jésus-Christ, outre un goût exquis, vous imprime un air de pureté et d'innocence ; celui de la croix, quelque chose de détruit, de douloureux sans douleur, et un goût sans goût de la croix et de l'humiliation ; ainsi des autres. Cet état est fort parfait et ne peut être compris que par expérience.

126 les images de l'humanité de Jésus-Christ et des divins attributs. Il faut néanmoins entendre ceci d'une manière sobre et précautionnée, de peur que l'erreur ne s'y glisse. Car si vous entendez par là, que ces images se présentant à l'entendement lorsqu'il est déjà immédiatement dans la quiétude, et qu'il jouit de la pure union divine, elles ne doivent pas être admises en sorte qu'on les retienne, et qu'en ce temps-là il ne faut pas s'arrêter à elles, ni à ce qu'elle représente, mais que parlant en rigueur, l'âme doit véritablement fermer les yeux à de tels objets ; il faut nécessairement avouer que cela est vrai : car s'arrêter à ces choses, et se distraire par elles, c'est s'opposer à son avancement dans l'union immédiate avec Dieu. Mais si on veut dire que ces images, toutes les fois qu'elle se présentent à l'âme qui contemple 127 purement, et qui aime Dieu, empêche, retardé affaiblisse la vigueur et la perfection de l'union, je crois que cela est faux ; par ce que nous voyons par expérience qu'il arrive souvent, lorsque l'homme se porte à Dieu seul de toute l'affection de son âme, en ce temps se présente soudainement à l'entendement cette image: Ce Dieu s'est fait homme et a été crucifié pour moi ; et que ces images non seulement n'empêchent pas, mais avancent plutôt et augmentent l'union d'amour et d'admiration suspensive : même l'image des péchés passants rapidement, le fera pas de dommage (a), comme de penser. Ce Dieu par sa clémence m'a pardonné tant de crimes : car cette image n'a pas coutume de troubler, mais plutôt d'accroître le repos de l'esprit, pourvu que l'homme alors ne descende pas à les considérer en détail, mais qu'aussitôt il rentre dans la source d'eau vive. (Abrégé spirituel. Partie : chapitre II. §Deux.) Là même.

(a) car c'est Dieu qui met ces choses ; mais elle passent et n'arrêtent pas ; c'est ce qui fait qu'en la confession on sent une augmentation de paix, même savoureuse.

23. Saint Thomas. L'homme en tant que contemplatif, et quelque chose au-dessus de l'homme, parce qu'en la simple vision de l'entendement, l'homme est continué aux substances supérieures qui sont appelées intelligences, ou bien Anges. (Dist.3. Question 35.I.A.2. in Quaestiunc.) Là même § 5.

24. -- Il faut qu'en l'âme, avant qu'on parvienne à cette uniformité, on ôte cette seconde difformité, qui est par le discours de la raison ; et cela même arrive selon que toutes les opérations de l'âme se réduisent à une simple contemplation 128 de la vérité intelligible : une convolution de ces vertus intellectuelles est nécessaire, afin que le discours cessant, son regard soit arrêté dans la contemplation d'une simple vérité. (2.2.q.180.Art. 6 ad2.) Là même.

25. -- Saint Augustin appelle la contemplation une certaine demeure de sérénité, et un vent ou souffle de l'éternité. (De la quantité de l'âme, chapitre 33). Là même.

26. Dom Barthélémi des Martirs. L'oraison est une élévation de l'esprit en Dieu : donc la parfaite oraison sera une élévation parfaite. Or celle-ci ne se fait que par la véhémence de l'amour et du désir, encore que celui qui prie (a) n'entende pas qu'il demande alors quelque chose. D'où vient que saint Antoine disait, que celui qui prie parfaitement, n'entend pas qu'il demande quelque chose : car celui qui prie, ne fait pas de réflexion sur soi, il ne compose et ne divise pas ; mais d'un simple et pur acte d'amour il s'assoupit avec le prophète, disant (b) Je dormirai et reposerai en paix en cela même. Et c'est là la pleine paix, (c) et le sommet de la félicité de cette vie qui surpasse tous les sens. (Abrégé spirituel partie 2 chapitre 12) Là même § 6.

(a) On peut donc désirer sans connaître qu'on désire : il demande sans demander, c'est-à-dire, sans savoir qu'il demande ; et c'est pourquoi il dit, qu'il ne demande pas ; il en est du désir comme de la demande.

(b) Ps. 4 verset 9.

(c) Paix au-dessus de tout sentiment. Phil. 4 v.7.

27. La méditation cherche une vérité certaine, et elle travaille avec fruit : la contemplation vole à l'entour sans travail, néanmoins avec un très grand fruit ; car elle ne s'arrête pas 129 dans l'enquête, mais dans l'admiration. Si la méditation se fait comme il faut, elle passe en la contemplation ; car après avoir fait une exacte recherche de la vérité, les essences des choses étant dénuées de tous les accidents et circonstances, par cette assiduité, il s'engendre une certaine habitude, la lumière d'intelligence est purifiée etc. (Voyez Joie de l'âme. Numéro 17.) Là même.

28. Saint Ambroise. Que le désir de la sagesse vous tire et vous possède comme Marie, car cette œuvre est la plus grande et la plus parfaite ; et que le soin du ministère ne vous détourne pas de la connaissance de la parole céleste. Marthe néanmoins n'est pas reprise dans son bon exercice ; mais Marie est préférée, parce qu'elle a choisi pour elle la meilleure part. (Livre 7sur saint Luc)  Là même chapitre 13.

29. Taulère (parlant de la contemplation) : ceci surpasse de beaucoup la plupart de tous les instituts extérieurs, et c'est du tout une très sainte occupation, instituée du Saint Esprit même. (Sermon du 16e dimanche après la Trinité) Là même.

30. Albert le Grand. Si vous commencez à vous dénuer et purifier des fantômes et images, et à simplifier et tranquilliser votre cœur et votre esprit en Dieu, afin que vous puissiez et sentiez le fruit de la complaisance divine en toutes vos actions intérieures, et que par la bonne volonté vous soyez unis à Dieu en esprit ; cela vous suffit pour une bonne étude et lecture de la sainte Ecriture. (L'attachement à Dieu. Chapitre 5.) Là même.


 

XLV. Perte, absorbement, perte d'opération pour passer en Dieu. Perte de distinction de Dieu et de l'âme.

Avant que d'écrire de la perte, il faut expliquer, que quoi qu'on parle de perte totale en Dieu, et de stabilité dans cette perte, je ne prétends pas que ce soit une cessation d'être, ni qu'il soit absolument impossible de sortir de là. Il y a une espèce d'impuissance morale, et non physique : cette impuissance vient de la forte habitude que l'âme a contractée. Un vase tombé dans la mer est entièrement perdu à notre égard, quoi qu'il ne le soit pas en effet, puisqu'il subsiste dans la même mer, et puis qu'on peut le retrouver par accident imprévu, soit en pêchant, soit par quelque voie indirecte : ainsi quoique le vase soit effectivement perdu, il ne l'est pas absolument : cependant on ne laisse pas de le regarder comme tel, parce qu'il est moralement impossible de le ravoir.

Je n'admets pas non plus un état permanent de lumière passive ; car cela ne peut être : quoiqu'il y ait une certaine permanence de mort d'esprit pour n'user plus de ses propres lumières ; et l'habitude de la nudité et du vide rend l'âme continuellement disposée à recevoir la lumière sans mélange, parce que tous les fantômes sont évacués et dissipés. Ou je mets la stabilité, c'est dans la volonté ; qui à force de se conformer à son divin Objet et de s'y unir, passe en lui et 131 s'écoule tellement dans la volonté de Dieu, que l'âme n'aperçoit plus cette volonté et la compte comme perdue. Elle l'est, non seulement comme le vase tombé dans la mer ; mais comme un fleuve qui après s'être écoulé se mélange avec elle : car cette eau est encore plus perdue que le vase ; néanmoins quoiqu'elle soit véritablement perdue, mélangée, et transformée en mer, elle n'est pas absolument perdue ; puisqu'un Ange pourrait séparer ces deux eaux. Cependant la difficulté de la chose la fait regarder comme moralement impossible.

Cantique.

La jouissance de Dieu est permanente et durable ; parce qu'elle est au-dedans de nous-mêmes, et que Dieu étant notre dernière fin, l'âme peut sans cesse s’écouler dans lui, comme dans son terme et son centre, et y être mêlée et transformée, sans en ressortir jamais : ainsi qu'un fleuve qui est une aux sorties de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer ; jusqu'à ce qu'y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu'il y était perdu et mêlé avant que d'en sortir ; et il ne peut plus en être distingué.

C'est comme une goutte d'eau, qui perd sa consistance sensible lorsqu'elle est mise 132 dans une cuve de vin, ou elle est changée sensiblement en vin, quoique son être et sa matière en soit toujours distincte, et qu'un Ange pût, si Dieu le voulait, en faire la division. De même cette âme peut toujours être séparée de son Dieu, quoique la chose soit très difficile. Chapitre un verset un.

La véritable droiture, qui portent l'âme à outrepasser tous les plaisirs de la terre, et toutes les douceurs du ciel, pour se perdre en son Dieu, est ce qui fait le pur et parfait amour. La même. Verset trois.

L'âme souhaite de se perdre en Dieu avec Jésus-Christ son Fils, d'y être cachée et de s'y reposer pour toujours. Verset six.

Par le recueillement la vie elle se possède ; mais par la sortie d'elle-même, elle meurt et se perd. Chapitre 2 verset 14.

Vous m'avez blessé, dit l'époux, par l'union de vos cheveux. Cela marque assez clairement que toutes les affections de l'amante ont été réunies en Dieu seul, et qu'elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.

De sorte que l'abandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre, et la droiture avec laquelle elle s'applique à Dieu, sans faire plus de retour sur soi-même, sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son époux. Chapitre quatre verset neuf.

J'ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale, et la consommation de mon mariage : car ce mariage divin ne peut être consommé que la perte totale ne soit arrivée. Chapitre cinq verset six.

Dès que l'âme commence de recouler en son Dieu comme un fleuve dans son origine, elle doit être toute perdue et abîmée en lui. Il faut même alors qu'elle perde la vue aperçue de Dieu, et toute connaissance distincte, pour petite qu'elle soit : (a) il n'y a pas plus de vue ni de discernement où il n'y a plus de division ni de distinction, mais un parfait mélange.

Par la consommation du mariage elle est recoulée en Dieu, et se trouve perdue en lui, sans pouvoir se distinguer ni se retrouver. La vraie consommation du mariage, fait le mélange de l'âme avec son Dieu si grand et si intime, qu'elle ne peut plus se distinguer ni se voir.

La consommation du mariage ne se fait que lorsque l'âme est tellement fondue, anéantie et désappropriée, qu'elle peut toute sans réserve s'écouler en son Dieu. Alors se

(a) Nous voyons ce qui est distincte de nous ; mais non ce qui est en nous.

134 fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur, qui les unit en unité, pour ainsi parler, quoiqu'avec une disproportion infinie, tel qu'est celle d'une goutte d'eau avec la mer, en ce que quoiqu'elle soit devenue mer, toutefois elle est toujours une petite gouttelette, bien qu'elle soit proportionnée en qualité d'eau avec toute la mer, et propre à être mélangée et ne faire plus qu'une mer avec elle. Chapitre six verset quatre.

L'épouse est l'unique de sa mère, en ce qu'ayant perdu toute la multiplicité de sa nature, elle se trouve seule est séparée de tout ce qui est naturel. Là-même verset 8.

Depuis, dit-elle, que l'ardent amour de mon Bien-aimé m'a entièrement dévorée, j'ai été si fort perdue en lui, que je ne puis plus me retrouver. Chapitre sept versets 10.

Tout ce qui se dit de cet ineffable union, s'entend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoiqu'avec une parfaite unité d'amour et de recoulement mystique en Dieu seul.

Elle ne craint plus de le perdre, puisqu'elle est non seulement unie, mais changée en lui. Verset 11.

O avantage admirable de la perte des appuis créés ! On reçoit en échange Dieu seul pour appui. Chapitre huit verset cinq.               135.

Si l'homme a eu assez de courage pour abandonner tout ce qu'il possédait, et tout son soi-même, afin d'avoir cette pure charité, qui ne s'acquiert que par la perte de tout le reste ; il ne faut pas croire qu'après un effort si généreux pour acquérir un bien qu'il estime plus que toutes choses, et qui effectivement vaut mieux que tout l'Univers, il vienne ensuite à le mépriser, jusqu'à reprendre ce qu'il avait quitté. La même verset sept.

AUTORITES.

Saint Denis.

1. Voyez Foi nue. n.3.

2. Voyez Foi nue. n.4.

Henri Suso.

3. Voyez Anéantissement n. 2.

4.Voyez Anéantissement n. 3.

5.Voyez Anéantissement n. 4.

6.Voyez Anéantissement n. 6.

7. Ici l'esprit se perdant lui-même, passe plus avant par le cercle de la Divinité éternelle, et s'élève à une riche perfection, qui consiste en ce que n'étant plus chargé du poids des vices, il monte par la vertu divine dans une intelligence lumineuse, où il reçoit un écoulement continuel des consolations célestes. Dialogue de la vérité, chapitre 21.

8. Voyez Opérations de Dieu n. 4.

9. Là il ne reste plus l'esprit aucune pente à l'activité et à l'effort ; parce que le principe et la 136 fin sont devenus une même chose, et que l'esprit en sortant de lui-même est devenu un avec Dieu. Chapitre 21.

Rusbroche.

10. Il y a 3 ruisseaux qui sortent de Dieu comme de leurs sources, dont le premier efface les images et les espèces de la mémoire, le second absorbe par sa splendeur les lumières de notre entendement, et l'élève au-dessus des révélations et des ravissements, le 3e perd etconsume la volonté par son ardeur. Livre II des Noces spirituelles. Chapitre 36. Etc.

L'Imitation de Jésus-Christ.

11. Étendez mon cœur, afin qu'il vous aime, et que j'apprenne par un goût intérieur et spirituel, combien il est doux de vous aimer, et de nager et comme se perdre heureusement dans l'océan de votre amour. Livre 3 chapitre 5 paragraphe 6.

12. Voyez Propriété, n. 6.

Sainte Catherine de Gênes.

13. La foi me semble toute perdue et l'espérance morte ; parce qu'il me semble que je tiens et possède ce que je croyais et espérais. Je ne vois plus d'union etc. (Voyez Transformation. n.8.) Vie chapitre 22.

14. Voyez Volonté de Dieu. n.16.

15. Qui ne perd son entendement naturel, ne peut avoir cette lumière surnaturelle ; par ce que quand notre entendement naturel la cherche, notre imperfection l'accompagne. Dieu nous laisse chercher tant que nous pouvons, et enfin il nous conduit à connaître notre imperfection ; laquelle étant connue, Dieu nous donne cette lumière surnaturelle, qui jette l'entendement par terre ; lequel étant abattu ne cherche plus rien en lui-même ; mais il dit à Dieu : V, ous êtes mon intelligence, 137 je ne saurai plus que ce qu'il vous plaira que je sache, et je ne me donnerai plus de peine à chercher aucune chose ; mais je demeurerai dans ma paix avec votre intelligence, de laquelle mon esprit est occupé. Vie chapitre 31.

16. Voyez Anéantissement. n.12.

17. Voyez Opérations propres. n.9.

18. Voyez là-même. n.11.

19. Par cette goutte gracieuse l'âme demeure plongée en cette suavité d'amour, elle ne peut et ne fait opérer aucune chose : mais elle est perdue en elle-même, et aliénée de toute créature, et demeure contente au fond de son cœur. Dialogue livre 3 chapitre 3.

20. Voyez Opérations propres. n.12.

21. Je ne sais plus vous je suis ; j'ai perdu le vouloir, le savoir, la mémoire, l'amour, et toute faveur. Je ne puis donner raison de moi-même. Je suis demeurée perdue, et je ne puis voir où je suis : je ne puis chercher et encore moins trouver aucune chose.

O si je pouvais trouver des termes propres pour exprimer cette amitié suave et divine, et cette union perdue ! Je dis perdue à l'égard de l'homme ; car il a perdu tous les termes d'amour, d'union, d'anéantissement, de transformation, de douceur, de suavité, de bénignité, et enfin toutes les paroles par lesquelles se peuvent comprendre et unir deux choses si séparées : il reste seulement un esprit nu et operatif sans mélange, qui même ne se peut comprendre. Dialogue livre 3 chapitres 11.

Sainte Thérèse.

22. Je manquais à ne mettre pas toute ma confiance en Dieu, et en ce que je ne perdais pas entièrement celle que j'avais en moi. Je cherchais 138 des remèdes et faisait des diligences : mais je n'entendais pas que tout sert de peu, si nous ne perdons entièrement les appuis de notre propre confiance, pour la mettre toute en Dieu. Vie chapitre 8.

Le B. Jean de la Croix.

23. Quand cette purification vient saisir plus intimement l'âme, il ne faut pas s'étonner, s'il semble derechef à l'âme, qu'elle a perdu toutes sortes de biens. Obscure nuit. Livre 2. chapitre 10.

24. La raison pourquoi l'âme non seulement marche sûrement lorsqu'elle est en ces ténèbres, mais aussi avec plus de gain et plus de profit, c'est par ce que communément, quand l'âme reçoit de nouveaux quelque mélioration et qu'elle va profitant, c'est par où elle entend et pense le moins : au contraire, par où elle voit fort ordinairement qu'elle se perd. Car n'ayant jamais expérimenté cette nouveauté qui l'éblouit, et la fait égarer de sa première façon de procéder, elle croit plutôt être perdue que profiter et être en bonne voie, comme elle voit qu'elle se perd touchant ce qu'elle savait et goûtait, et qu'on la mène par où elle ne sait et ne goûte : de même que le voyageur, lequel pour aller à des terres étrangères et inconnues, va par des chemins nouveaux et inconnus dont il n'a aucune expérience, sur la parole d'autrui et non sur ce qu'il en savait. Car il est évident qu'il ne pourrait jamais arriver à des terres inconnues que par des chemins nouveaux et inconnus, et laissant ceux qu'il savait. Aussi l'âme en cette façon, lorsqu'elle profite davantage, elle marche en obscurité et sans savoir. Dieu donc étant maître et conducteur de cette aveugle, de l'âme, elle peut 139 bien, maintenant qu'elle le connaît, se réjouir et dire : à l'obscur, mais hors de danger.

Il y a aussi une autre raison pourquoi l'âme marche sûrement en ces ténèbres, à savoir parce qu'elle marche en souffrant. Car le chemin de pâtir est plus obscur et plus profitable que celui de jouir et de faire ; tant parce que dans la souffrance Dieu lui ajoute des forces, et à faire et à jouir l'âme exerce ses faiblesses et ses imperfections ; qu'aussi parce qu'à pâtir on exerçe et acquiert les vertus, on purifie l'âme, et on la rend plus sage et plus avisée. Mais il y a ici une autre cause principale, pourquoi l'âme marchant en obscurité, va sûrement, qui est de la part de ladite lumière ou sagesse obscure : car cette obscure nuit de contemplation l'absorbe et l'imbibe en soi de telle sorte, et la met si près de Dieu, qu'il la protège et délivre de tout ce qui n'est pas Dieu. Obscure nuit livre 2 chapitre 16.

25. Voyez Purification. n.46.

26. Le monde, le diable, ni la chair ne l'oseraient attaquer ; d'autant que l'âme étant libre et purgée de toutes ces choses, et unie à Dieu, pas une d'elle ne la peut inquiéter. De là vient qu'elle jouit déjà en cet état d'une suavité et tranquillité ordinaire ; laquelle presque jamais elle ne perd et qui jamais ne lui manque. Cantique entre l'épouse et l'époux. Couplet 16.

27. L'âme perd l'acte et la mémoire de toutes les choses en cet absorbement d'amour, et ceci pour 2 causes : l'une, parce que comme elle demeure actuellement absorbée et imbue de ce breuvage d'amour, elle ne peut être actuellement en une autre chose ; l'autre, parce que cette transformation Dieu la conforme de telle manière avec sa simplicité et pureté, qu'elle la 140 laisses nettes, pure et vide de toutes les formes et figures qu'elle avait auparavant. La même. Couplet 18.

28. L'âme parlant aux gens du siècle, leur dit, que si elle ne se trouve plus dans tels entretiens, qu'ils croient qu'elle a fait banqueroute et s'est perdue à toutes ces choses. Vous direz que vraiment je me suis perdue. Celui qui aime ne rougit pas devant le monde de ce qu'il fait pour Dieu, et ne cache pas ses œuvres par honte ou vergogne, encore que tout le monde les doive condamner : car celui qui aura honte de confesser le Fils de Dieu devant les hommes, laissant l'exercice des bonnes œuvres, le même Fils de Dieu, comme il le dit en saint Luc (a Luc 9 verset 26), aura honte de le confesser devant son Père. Et partant l'âme, avec un esprit et courage d'amour, se prise et se glorifie plutôt qu'on sache pour la gloire de son Bien-aimé, qu'elle fait une telle œuvre pour son amour, à savoir, qu'elle s'est perdue à toutes les choses du monde. Peu de spirituels parviennent à cette hardiesse et détermination si parfaite dans les œuvres : car bien que quelques-uns pratiquent cette façon de procéder, et même qu'il y en ait qui se tiennent pour fort avancés, si est-ce que jamais ils n'achèvent de se perdre en certain points, soit du monde, soit de la nature, pour faire les œuvres parfaites et pures pour Jésus-Christ, sans regarder à ce qu'on dira ou à ce qu'il semblera ; et ainsi cela ne pourront pas dire : Vous direz que vraiment je me suis perdue, puisqu'ils ne sont pas perdus à eux-mêmes dans leurs œuvres. Ils ont encore honte de confesser Jésus-Christ devant les hommes par leurs actions ; ils ne vivent 141 pas véritablement en lui, puisqu'ils ont égard à d'autres choses. Cantique entre l'épouse et l'époux. Couplet 21.

29. Le véritable amoureux se perd incontinent à tout, pour se trouver en ce qu'il aime : et pour ce sujet l'âme dit ici, que d'elle-même elle se perdit, ce qui est se laisser perdre exprès. Et ceci arrive en 2 manières. Premièrement se perdant à soi-même, ne faisant aucun cas de soi en aucune chose, mais seulement de l'ami ; se livrant à lui gratuitement sans regarder à aucun intérêt ; se perdant volontairement et ne se voulant gagner en rien pour soi-même. Secondement se perdant à toute chose, le tenant compte d'aucune des siennes, mais seulement de celle qui touche son Ami. Et c'est là se perdre, qui est d'avoir envie d'être gagné.

(*) Telle est celui qui est vraiment épris de l'amour de Dieu, lequel ne prétend pas de profil ni de récompense, mais seulement de perdre (a) volontairement tout est soi-même pour l'amour de Dieu, ce qu'il tient pour son propre gain. Et il est ainsi selon le dire de saint Paul (b) ; Je gagne à mourir, c'est-à-dire, mourir pour Jésus-Christ spirituellement à toute chose et à soi-même, c'est mon gain. C'est pourquoi l'âme dit: Je me gagnai. Car celui qui ne sait pas se perdre, ne se gagne pas ; au contraire, il se perd, selon que notre Seigneur le dit dans l'Évangile : (c) Qui voudra sauver son âme, la perdra ; et qui voudra perdre son âme pour l'amour de moi, la sauvera. Et si nous voulons entendre les Vers

(a) Perte volontaire. Voyez l'explication du Livre des Juges chapitre 5 verset 15.

(b) Phil. Un verset 21.

(c) Mathieu 16 verset 25.

(*) Justice de Dieu II,4.

142 susdits plus spirituellement et plus à propos pour ce qui se traite ici, il faut savoir que dans la vie spirituelle, lorsqu'une âme est parvenue à tel point que de se perdre suivant tous les moyens et voies naturelles de procéder en la communication avec Dieu, et que déjà elle ne le cherche plus par les considérations, ni par les formes ou sentiments, ou autres moyens des créatures et du sens, mais qu'elle passe par-dessus tout cela, et par-dessus toutes ces façons et manières, traitant avec Dieu et jouissant de lui en foi et en amour ; alors on dit, qu'elle s'est véritablement gagnée à Dieu, parce qu'elle s'est véritablement perdue à tout ce qui n'est pas Dieu. La même. Couplet 21.

Le Père Nicolas de Jésus Maria rapporte

30. Rusbroche. La 4e propriété, par laquelle la simplicité de notre esprit est possédée de Dieu éternellement, est son (a) existence essentielle au-dedans de nous ; laquelle propriété nous tire aussi au-dedans. Car elle nous attire au-dedans de soi et nous fait égarer de nous-mêmes dans une obscurité inconnue, et infinie et abyssale,

(a) Ceci a rapport à la présence de Dieu en nous. Il est à remarquer une chose de conséquences, qui est, que toutes les propositions sont tellement mélangées l'une avec l'autre, et si fort dépendantes les unes des autres, que la vérité de l'une est une conséquence de l'autre. C'est comme une enchaînure de l'une à l'autre. Il faut ou nier tout à fait l'état intérieur, ou les admettre toutes ; par ce cas les unes sont le commencement, les autres le milieu, d'autres la fin et la consommation du même état ; les uns sont comme les principes ; et les autres comme la conséquence des mêmes principes. 143

où nous nous perdons dans une solitude déserte et très vaste. Or en nous perdant nous-mêmes nous trouvons la béatitude, et en trouvant nous élisons, et en élisant nous sommes élus ; et entre cet élire et être élu naît l'innocence, qui est la 4e propriété, dans laquelle toutes les vertus se commencent et se consomment. Car par l'innocence nous sommes tellement plongés en notre élection, et si fortement épris d'amour en Dieu, si serrés et si embrassés de lui, que nous ne pouvons, ni ne voulons, ni ne savons autre chose, sinon de demeurer en lui avec cet amour durant toute l'étendue de l'éternité, ce qui nous rend simples et libres en toute notre essence et en tous nos actes. (Tabernacle de l'alliance, chapitre 19.) Éclaircissements des phrases mystiques partie 2 chapitre 12 §3.

31. Denis le Chartreux. En cette transformation de l'esprit en Dieu, l'esprit même s'écoule de soi et défaut, et se laissant avec toute la propriété de soi-même et des autres choses, il est plongé et enfoncé, fondu et liquéfié, absorbé et abîmer en cet abîme surineffable, très simple et interminable, et aussi en cette obscurité inscrutable et inaccessible ; et afin de comprendre tout ensemble, il est anéanti et perdu : mais il vit en Dieu ; et étant avec lui nu, pur et libre de toute propriété, mélange et affection, il est fait une chose, un esprit, une âme, un être, une félicité; car il ne reçoit et n'admet autre chose. Parce qu'il a passé en la simplicité déiforme, l'influence de Dieu le tirant intérieurement, et le contact le surélevant aliène l'âme de soi, et la transporte comme dans un être nouveau : non pas qu'en tout ceci la nature ou l'existence de la créature soit changée ou cesse d'être, mais parce 144 que la façon est exaltée et la qualité déifiée. (De la vie solitaire, livre de chapitre 10) la même chapitre 16 paragraphe 4.

Le Père Benoît de Canfeld.

 32. Ce mot écoulement contient 2 choses, à savoir la mort et la vie, ou bien la perte et le gain ; parce qu'en tant que la ferveur coule hors de l'âme, elle s'assoupit et meurt, s'évanouit et se perd: mais en tant qu'elle s'écoule en Dieu, elle s'augmente davantage, et vit plus que jamais. Règles de la perfection, livre 3, chapitre 5.

Saint François de Sales.

33. Voyez Fonte de l'âme n.5.

Le Fr. Jean de S. Samson.

34. Voyez Opérations propres. n.27.

35. Voyez Abandon. n. 24.

36. Au reste tous ceux qui pensent être véritablement en leur degré, ne le sont pas. Il s'agit ici de mort et de mourir ; et plusieurs n'y veulent pas passer. Ils ne sont plein que d'eux-mêmes, et de leurs réflexions, justifications et propres recherches. Ils disent que personne ne veut et même ne peut être fidèle, pensant avoir bien couvert par ce moyen leur infidélité et non vouloir. Si bien qu'il faut confesser qu'il n'y a rien en ces fonds-là, puisqu'ils ne veulent pas sortir d'eux-mêmes par la mort et perte sensible, pour pouvoir être perdus en Dieu. Que s'ils y étaient entrés par vérité de mort, ils n'en voudraient jamais sortir par la moindre relâche de leur fidélité active ou passive. Enfin il ne s'outrepasseront jamais ; et gisant dans leur sphère naturelle, ils demeureront affamés les mains à la bouche, vide de Dieu, toujours languissants, et défectueux dans leur sens et contentement actif : ils ignoreront toujours ce que c'est, que la jouissance 145 de tout bien qui est en Dieu infini. Car cette jouissance ne se communique qu'après la totale transfusion de la créature en tout Dieu : alors toutes les (a) vicissitudes de la vie humaine demeurent au-dehors ; je dis, en tant que contraire au bien être humain, quoiqu'elle soit très conforme au bien-être divin de la créature perdue en tout Dieu. Esprit du Carmel, chapitre 13.

(a) il y a plus de vicissitudes dans le fond qui demeure immobile en Dieu au-dessus des sentiments.

37. Voyez Consistance. n. 38.

38. Leur vie est toute perdue quant à eux-mêmes, et si parfaitement et si entièrement à Dieu en tout événement de mort, tant grand que petit, qu'ils ne savent s'ils vivent à eux ou à Dieu ; qui est une vérité d'infinie étendue. La raison de cela est, que l'amour et l'humilité leur ôte toute réflexion, les occupants et les perdants toujours de plus en plus en Dieu, où ils sont et vivent sans distinction de discernement de ce qu'ils font ou ne font pas, de ce qu'ils sont ou ne sont pas. Ainsi ils vaquent incessamment au devoir de l'amour réciproque, sans croire ni penser qu'ils y satisfassent. Esprit du Carmel, chapitre 14.

39. Il ne faut rien désirer de précieux, de beau, de bon, de meilleur, d'excellent, de haut, ni même de saint, en un bon sens : tout cela n'est que curiosité et gibier de nature. Il faut se perdre en vérité, et ne s'attacher qu'à Dieu seul, et non à aucun de ses dons, tel qu'il soit, ayant une continuelle horreur de soi-même. Car tout appétit et toute attache à quoi que ce soit, même à la pénitence et à la sainteté, affecte la nature d'elle-même, et la porte à se satisfaire, et non pas à 146 Dieu, quoiqu'il lui semble contraire. La même. Chapitre 19.

40. Voyez Abandon. n.26.

41. L'âme abonde la de tous les biens et richesses de très haut esprit, au total de l'amour a créé, ou étant perdu, elle ne réfléchit plus sur les choses humaines et basses, non pas même sur les effets qui précèdent celui-ci. Esprit du Carmel, chapitre 22.

42. Dieu y est goûté et savouré en lui-même, en l'ineffable sentiment et goût de sa propre éternité toute présente, qui n'admet ni le temps ni la sortie. C'est la que tout est fondu et perdu ; et cependant tout ce qui reste de l'homme à remplir, demeurent pleinement et totalement assujetti à l'esprit, qui le tire toujours secrètement à soi, et opère au-dehors amoureusement selon l'ordre et l'exigence son devoir. Mais, ô bon Dieu, de qui et de quoi parlons-nous ici ? Vu qu'à peine connaît-on personne qui veuille en se perdant incessamment, se laisser polir et façonner par les attouchements fréquents de sa divine Majesté. La même, chapitre 23.

43. L'âme étant perdue entièrement à ses sens et à leurs opérations, demeure très-esprit selon sa propre substance, laquelle étant très pénétrée de ce feu de gloire, (s'il m'est permis de l'appeler ainsi,) n'a plus d'autre vie que la vie du même feu qui la dévore. Cabinet mystique, partie 1 chapitre 3.

44. Voilà ce que notre âme va suivant éternellement : c'est là qu'elle se perd sans ressource, et n'en sort jamais, ni n'en saurait sortir. La même, chapitre 4.

45. Il y a 6 degrère d'illumination, par lesquels on devient souverainement esprit par l'entière 147 pertes et abandonnement de tout soi, selon l'ordre de tous ces degrés. Il se trouve peu de personnes qui se veuillent donner en proie et en abandonnement entier et parfait jusqu'à l'extrémité : c'est pourquoi on voit si peu de spirituels, d'autant qu'ils ne veulent pas surpasser le sens, ni l'excellence des dons sensibles de Dieu en eux-mêmes ; si bien que ce n'est que feintes, que désordres d'esprit, que toute recherche et misère. Les (a) filles pour l'ordinaire y ont bonne part, et beaucoup d'hommes aussi, qui n'habitent ailleurs qu'en eux-mêmes, en perpétuelles réflexions et recherches, n'ayant jamais ni paix ni repos dans leur cœur. Miroir de conscience, traité I. n. 39.

(a) il est certain que les hommes sont beaucoup plus droits que les filles, et qu'ils se cherchent moins.

46. Quant à ceux qui s'abandonnent vraiment à Dieu, il faut qu'ils se donnent bien garde des subtiles attaches de la nature ; puisque cela les empêche de voler purement en Dieu, dans lequel ils se doivent perdre irrécupérablement, comme au lieu de leur souverain et objectif centre et repos. Il faut donc être vraiment mort à tout le sensible, afin de sentir simplement et conformément au très simple fond. La même n. 40.

47. Or la force divine doit être grande aux spirituels, qui en quelque état qu'ils se puissent trouver, ne veulent jamais plus savoir ce que c'est que réfléchir sur eux-mêmes ni sur les choses créées. Elle doit aussi être grande en ceux qui se surpassant toujours très fortement eux-mêmes, se placent et s'établissent, non tellement quellement en leur fond essentiel, mais en Dieu ; dans lequel ils se plongent et se perdent de plus en plus, et y 148 demeurent immobilement arrêtés : où ils sont faits et devenus lui-même en son tout. * C'est ici que sort tout le lustre et tout le bien de ces épouses, dans la conversation de ceux qui sont capables de les connaître, et de les discerner telles qu'elles sont en leur excellence. Que si quelques petits manquements paraissent en elles, cela, quoique contraire à leur fond, et ces faiblesses sont le sujet de leur douleur, de leur renonciation, de leur mort, et de leur très profonde humilité. Miroir et flammes de l'amour divin. Chapitre un.

48. Ah, que cette vie si douce est inconnue aux hommes, à ceux même qui s'exercent en de grandes choses, mais seulement pour leur propre vie ! Car cette vie propre est en plusieurs personnes qui s'exercent aux exercices de charité, lesquelles se délectent à faire de bonnes œuvres extérieures, pour aider le prochain dans ses nécessités : et quoique la vie active en sa perfection soit autant spirituelle que corporelle, et ne laisse pas d'être agréable à Dieu, et profitable à ceux qui la pratiquent ; néanmoins ces personnes-là fourmillent de propres attaches d'esprit au fait même de leur propre bien, qu'elle désire plus ou moins avec propriété, quoiqu'elles ne le connaissent pas. La même, chapitre 2.

49. Non, non ; je ne vois, ô ma vie, ni passé ni futur ; étant présentement vous-même, comme je suis, et devenue amoureuse de l'amour en l'amour que vous êtes en vous et en moi ; toute perdue en vous d'amour en amour, mais possédée de l'amour et possédant l'amour, je suis en vous sans connaissance essence science, et je n'en veux pas pour moi : par cela même que je suis

* Communications. Paragraphe II, n.11.

149 en ce que vous êtes ce que vous êtes, je suis totalement ignorante. Soliloque. 3.

50. Quel moyen y'a-t-il que ceux qui sont ainsi plongés et perdus dans ces abîmes, en veuillent sortir, et désirer de retourner aux choses créées ? Non, mon cher amour, cela ne sera pas. L'amour mutuel et réciproque de 2 si intimes amants, non seulement ne le permet jamais ; mais il abhorre infiniment ce retour, y allât-il de la vie et de tout le bien-être de votre épouse. Contemplation. 17.

51. Voyez Abandon. n. 32.

52. Le gain et l'abondance doive céder à la perte et à l'abandon. Mais comme vous n'avez pas entré mystiquement dans ce désert, quoiqu'il vous semble le contraire, vous ne savez pas par expérience ce que c'est. Comme donc vous ne voulez pas vous perdre, ni vous employer à une meilleure poursuite, vous demeurez dans un état grandement imparfait, en comparaison de celui de l'homme entièrement déifié. Lettre 63.

Monsieur Olier.

53. Il me semble que notre Seigneur désire si fort, que notre intérieur soit perdu dans le sien, pour être en lui et avec lui tout ce qu'il est à Dieu, que je ne le puis exprimer. Et quoique depuis qu'il m'a engagé au vœu d'hostie vivante à Dieu son Père, il m'ait obligé de vivre toujours en cet esprit, et de me perdre universellement en ses dispositions intérieures envers toutes choses ; je me trouve maintenant si efficacement établi en lui par son amour et par sa puissance, et si porté à vivre en lui à Dieu, pour être, opérer, et souffrir en la manière qui lui plaît, qu'il me semble 150 que je ne puis être autrement en ses bonnes grâces. Lettre 148.

54. Autant que l'on quitte la terre et tous ses sentiments, autant Dieu prend plaisir d'élever l'âme à lui, et de la mettre en liberté, lui faisant respirer la sérénité de la foi, et lui montrant la beauté et la vaste étendue de ses perfections, où l'âme doit entrer au sortir d'elle-même et de tout ce qui l'appuyait en marchant sur la terre. Il y a bien longtemps que je vous ai dit, et que Dieu même vous a fait voir l'état des (a) âmes pures en l'Eglise, qui vous paraissaient élevées et séparées de tout l'humain, qui semblaient vivre en l'air, et n'être soutenues, environnées ni possédées que de l'être divin. C'est cet état de foi qui retire et dégage esprit de tout, qui va toujours purifiant et consommant en la vertu de la charité tout ce qui n'est pas Dieu dans l'âme, et qui la met dans une telle sainteté, que Dieu la trouve en état d'être toute abîmée en lui. Ce divin Tout (b) ne peut rien souffrir en soi qui ne soit 3 fois saint, c'est-à-dire parfaitement purifié de tout sentiment, soit vicieux, soit naturel, soit même de ce qui se mêle d'impur dans le divin. C'est pourquoi après s'être séparé de tout ce qui est de grossier, il reste encore à s'abstenir des recherches de soi-même en Dieu, et des sentiments qui accompagnent ses premières faveurs. Car ces recherches et ces sentiments tenant du grossier et du sensible, ils revêtent et environnent l'âme comme d'une robe et d'un vêtement, qui l'empêche d'être dans son fonds unie si intimement et si purement à Dieu, en quoi consiste uniquement la souveraine perfection. C'est pour cela

(a) Vrai esprit de l'Eglise.

(b) admirable.

151 que notre Seigneur disait : mon Père est esprit, et il veut des adorateurs qui soient esprit pour être unis à lui en vérité. Lettre 155.

55. Je souhaite toujours que vous soyez bien fortifiée en la vertu du Saint Esprit : et je désire de tout mon cœur de vous voir animée et revêtue d'une foi vigoureuse et puissante, d'une foi vive et ardente de charité, qui vous dirige en tout. C'est proprement ce que vous aperçûte dernièrement par grâce spéciale, lorsque vous vîte avec tant de joie (a) 2 âmes vivantes divinement dans l'Eglise. La même.

(a) O Seigneur, faites en beaucoup de cette sorte.

56. Heureuse une âme qui est intimement unie à Jésus-Christ, et qui est converti en cet époux du cœur ! Par lui on est en Dieu, et on est perdu dans le sein du Père, où l'on se noie et l'on s'abîme soi-même heureusement. Là on est en solitude, en pureté, en sainteté ; là on ne peut souffrir de créature, on n'a plus soif de rien, et on ne veut plus que ce divin Tout ; là on est rassasié de ce Tout adorable qui remplit (b) tout désir ; on cherche d'être au Tout et d'y être uniquement ; et on évite ce tout malheureux qui nous vide de Dieu, et nous empêche de le posséder paisiblement. Ce vrai Tout fait voir et ressentir intérieurement à l'âme la jalousie qu'il a pour la tenir à lui tout seul, pour ne la pas laisser sortir de lui, pour empêcher qu'elle ne s'épanche en d'autres choses, qui la tirerait hors de cette solitude intérieure, où elle doit être uniquement occupée de lui. Quand votre âme sera toute en Dieu, il faudra lui parler d'une manière que fait notre Seigneur ; mais il faut en attendant travailler à notre retour en Dieu, et à notre parfaite consommation. Lettre 245.

(b) Les désirs sont remplis, c'est pourquoi l'on ne désire plus.

Le Père Épiphane Louis abbé d'Estival rapporte

57. Sœur Marie Rosette. Voyez Non-désir. n.47.

XLVI. Présence de Dieu.

Moyen court.

Le grand moyen de devenir parfait, est de marcher en la présence de Dieu. Il nous le dit lui-même (a): Marchez en ma présence, et soyez parfaits. L'oraison peut seule vous donner cette présence, et vous la donner continuellement. ---

Rien n'est plus aisé que d'avoir Dieu, et de le goûter. Il est plus en nous que nous-mêmes. Chapitre I.n.3.5.

(a) Gen. 17. v.1.

Après s'être mis en la présence de Dieu par un Acte de Foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel. ---

Il faut que la Foi vive de Dieu présent dans le fond de nos cœurs, nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu'ils ne se répandent au-dehors : ce 153 qui est un grand moyen dès l'abord de se défaire de quantité de distractions, et de s'éloigner des objets du dehors, pour s'approcher de Dieu, qui ne peut être trouvé que dans le fond de nous-mêmes, et dans notre centre. --- Saint Augustin s'accuse lui-même du temps qu'il a perdu, pour n'avoir pas d'abord cherché Dieu de cette manière. Chapitre 2. n.2.

Mais comme j'ai dit que l'exercice direct et principal doit être la vue de la présence de Dieu ; ce qu'on doit faire le plus fidèlement, c'est de rappeler ses sens lorsqu'ils se dissipent.

C'est une manière courte et efficace de combattre les distractions : parce que ceux (a) qui veulent s'y opposer directement, les irritent et les augmentent ; au lieu que s'enfonçant par la vue de foi de Dieu présent, et se recueillant simplement, on les combat indirectement et sans y penser ; mais d'une manière très efficace. Là même.n.4.

(a) Ceci a été prouvé aux Distractions.

Il faut commencer par un acte profond d'adoration et d'anéantissement devant Dieu ; et là tâchant de fermer les yeux du corps, ouvrir ceux de l'âme : puis la ramasser au-dedans, et s'occupant directement de la présence de Dieu par une foi vive que Dieu est en 154 nous, --- les tenir le plus qu'il se peut captifs et assujettis. Chapitre 3.n.1.

Si en faisant son acte de foi, l'âme se sent un petit goût de la présence de Dieu, qu'elle en demeure là, sans se mettre en peine d'aucun sujet, ni de passer outre ; et qu'elle garde ce qui lui est donné tant qu'il dure. S'il s'en va, qu'elle excite sa volonté par quelque affection tendre. Chapitre 4. n.2.

L'âme par le moyen du recueillement se tourne toute au-dedans d'elle, pour s'occuper de Dieu qui y est présent.

Si elle tourne toute sa vigueur et sa force au-dedans d'elle, elle se sépare des sens par cette seule action. Chapitre 10. n.2.

Suivant seulement l'attrait intérieur, et s'occupant de la présence de Dieu, sans penser en particulier à la mortification,(a) Dieu lui en fait faire de toutes sortes. La même. n.3.

(a) Ceci a été vu dans les Mortifications.

L'âme fidèle qui s'exerce, comme il a été dit, dans l'affection et dans l'amour de son Dieu, et toute étonnée qu'elle sent peu à peu, qu'il s'empare entièrement d'elle.

Sa présence lui devient si aisée, qu'elle ne pourrait pas ne la pas avoir : elle lui est donnée par habitude. Chapitre 12.n.1.

C'est ici que la présence de Dieu durant le jour, qui est le grand fruit de l'oraison, 155 ou plutôt la continuation de l'oraison même, commence d'être infuse et presque continuelle. L'âme jouit dans son fond d'un bonheur inestimable. Elle trouve que Dieu est plus en elle qu'elle-même.

Elle n'a qu'une seule chose à faire pour le trouver, qui est de s'enfoncer en elle-même. Sitôt qu'elle ferme les yeux, elle se trouve prise et mise en oraison.

Elle est étonnée d'un si grand bien ; et il se fait au-dedans d'elle une conversation que l'extérieur n'interrompt pas. Chapitre 13. n.1.

La couche est le fond de l'âme. Lorsque Dieu est là, et qu'on sait demeurer auprès de lui, et se tenir en sa présence, cette présence de Dieu fait fondre et dissoudre peu à peu la dureté de cette âme ; et en se fondant, elle rend son odeur. Chapitre 20. n.2.

Cantique.

L'époux sacré est toujours dans le centre de l'âme qui lui est fidèle : mais il y demeure si caché, que celle qui possède ce bonheur, l'ignore presque toujours ; excepté certains moments, où il lui plaît de se faire sentir à l'âme amoureuse, qui pour lors le découvre en soi d'une manière intime et profonde. Chapitre I. Verset II.

156  L'âme voyant que l'époux ne lui accorde pas une grâce à laquelle elle s'attendait, après la lui avoir accordée dans un temps où elle ne l'espérait pas, est étonnée de cette si dure absence. Elle cherche dans le fond d'elle-même, qui est son petit lit, et pendant la nuit de la foi : mais hélas, elle est bien surprise de ne l'yplus trouver ! Elle avait quelque raison de l'y chercher ; puisque c'est là qu'il s'était découvert à elle, et qu'il lui avait donné le plus vif sentiment de ce qu'il est, qu'elle ait encore éprouvé.

Mais, ô Amante, vous n'avez garde de trouver là votre époux ! Ne savez-vous pas, qu'il vous a conjurée de ne le plus chercher en vous, mais en lui-même ? Ce n'est plus hors de lui que vous le trouverez.(a) sortez

(a) [très longue note] Pour bien comprendre ceci, il faut expliquer de quelle manière se fait la sortie de soi ; parce que les personnes, qui n'ont pas l'expérience de ce qui est avancé ici, pourraient dire, que puisqu'il faut une fois cesser de chercher Dieu en soi pour le trouver en lui-même, il est bien plus à propos de l'y chercher tout d'un coup, que de commencer à le chercher en soi, et que c'est allonger le chemin, au lieu de le raccourcir, comme je l'ai dit ailleurs. Mais on se méprendrait beaucoup ; parce que celui qui n'est pas vraiment intérieur, cherchant Dieu en Dieu même, le cherche comme quelque chose fort distinct de soi et comme au-dehors ; il le cherche même au ciel : cela fait qu'au lieu de devenir intérieur 157 et de ramasser, comme faisait David (psaume 58, verset 10) toutes les forces de son âme, pour s'appliquer à Dieu, on dissipe ces mêmes forces : comme l'on voit des lignes fort petites et dispersées se rassembler, et se fortifier en se rassemblant au point central, et par un effet contraire s'affaiblir et se disperser d'autant plus qu'elles s'éloignent du centre. Il en est de même des forces de l'âme, soit de la force pour connaître, soit de la force pour aimer : plus elle est ramassée en elle-même et dans son centre, plus elle a de force et de vigueur pour connaître et aimer. Et comme ces mêmes lignes qui sont fort divisées deviennent indivises dans ce point central ; aussi toutes les fonctions de l'âme si diverses et distinctes hors du centre, se rassemblant toutes, ne sont plus qu'un seul point d'unité indivise, quoique non pas indivisible. Il en est de même de l'âme ; toutes ses forces étant dans cette unité, parce qu'elles y sont assemblées, elle a une vigueur admirable pour Dieu. Et il est de conséquence de prendre ce chemin ; car plus l'âme se recueille et demeure recueillie, plus elle approche de l'unité ; comme l'on voit peu à peu les lignes se rapprocher, et se joindre enfin insensiblement, plus elles approchent de leur point central, et être d'autant plus divisées et séparées qu'elles s'en éloignent davantage. Ceci supposé je dis qu'il faut donc, pour devenir intérieur et spirituel, commencer à chercher Dieu en soi par le recueillement, sans quoi on ne parvient pas à l'unité centrale. Mais lorsqu'on y est parvenu, c'est alors qu'il faut sortir de soi, non en se multipliant au-dehors et retournant d'où l'on est venu ; mais en 158 se surpassant soi-même, ou s'outrepassant pour entrer en Dieu. Car cette sortie de soi, ne se fait pas par le même chemin par lequel on est arrivé au recueillement ; mais comme en se traversant soi-même, pour ainsi parler, passant au-delà de soi, du centre créé dans le centre incréé qui est Dieu. Comme une personne arrivée à un lieu borné où il doit arriver nécessairement, ne retournerait pas sur ses pas pour en sortir, mais passe outre par le chemin qu'il trouve ouvert : ainsi sortir de soi c'est s'outrepasser. Et comme en arrivant au centre, qui est nous-mêmes, il nous a fallu faire d'autant plus de chemin que nous étions plus extérieurement dissipés et éloignés du centre ; aussi plus on s'outrepasse soi-même, plus s'éloigne-t-on de soi de vue et de sentiment ; comme celui qui ayant fait beaucoup de chemin pour arriver à une hôtellerie, en fait ensuite beaucoup d'autre par delà et s'en éloigne d'autant plus qu'il marche davantage. Sitôt que nous sommes arrivés à notre centre, nous trouvons Dieu, et nous sommes invités, comme je l'ai dit, à sortir de nous-mêmes en nous outrepassant ; et alors nous passons en Dieu même très réellement. Car c'est alors qu'il se trouve vraiment où nous ne sommes plus ; plus nous marchons, plus nous avançons en Dieu, et plus nous nous éloignons de nous-mêmes. Alors on doit mesurer l'avancement de l'âme en Dieu, sur l'éloignement où elle est de soi, c'est-à-dire quant aux vues, sentiments, souvenirs, propre intérêt, réflexions. Lorsque l'âme avance pour arriver à son centre, elle est toute réfléchie sur elle-même ; plus elle approche de son centre, plus elle se voit, quoique d'une manière moins multipliée ; mais lorsqu'elle est arrivée à son centre, elle 159 cesse de se voir elle-même : comme nous voyons tout ce qui est hors de nous et ne voyons pas ce qui est en nous. Mais plus elle s'outrepasse elle-même, moins elle se voit ; et en sortant de soi, comme elle se tourne le dos, pour ainsi parler, elle se voit toujours moins ; parce qu'elle n'est pas tournée pour se regarder. C'est ce qui fait que les propres réflexions, si utiles au commencement, lui deviennent si nuisibles dans la suite. Dans les commencements il faut des vues réfléchies et multipliées ; ensuite il faut des vues réfléchies, mais simples et non multipliées ; puis il est donné à l'âme un regard direct : comme celui qui s'approche de l'hôtellerie, ne se sert plus de réflexion, mais regarde le lieu qui est à la portée de sa vue ; puis étant entré dedans, il perd même cette vue directe. L'âme arrivée à son centre ne se voit plus, pour ainsi parler ; mais elle a une manière de se sentir et s'apercevoir propre à cet état ; mais lorsqu'elle s'est outrepassée soi-même, elle ne se sent plus, ne se discerne plus ; et plus elle avance en Dieu, moins elle se discerne, jusqu'à ce qu'enfin elle s'abîme totalement en Dieu et qu'elle ne sent, ne connaît, ne discerne que Dieu en lui et pour lui. Alors il est clair que toute réflexion est nuisible et mortelle ; puisque ce serait mettre l'âme en chemin de quitter Dieu, et retourner vers elle. Or cette outrepassement de soi se fait par la perte de la volonté, qui comme la souveraine des puissances entraîne avec soi l'entendement et la mémoire, lesquelles quoique puissances très distinctes et séparées, sont pourtant un et indivisibles dans leur centre. Or je dis, et il est clair, que cet état porte avec soi une sorte de stabilité ; et plus il avance, plus il devient stable. Car il est évident 160 que les fonctions de celui, qui passe outre de soi et qui se quitte, sont entièrement différentes de celles de celui, qui marche pour arriver à soi-même et à son centre ; et qui voudrait reprendre le premier chemin, trouverait la chose très difficile et presque impossible. Il faut donc que celui qui s'est outrepassé, se quitte toujours plus ; et que celui qui veut se convertir, s'approche toujours plus de soi. Car de vouloir faire revenir un homme déjà passé en Dieu, aux pratiques dont il s'est servi pour y arriver, c'est vouloir que la nourriture de celui qui a mangé (étant passé dans les intestins,) reviennent par la bouche, ce qui ne peut arriver que par une colique incurable et qui donne la mort : au lieu que la nourriture, qui est encore dans l'estomac se peut vomir ; aussi tant que nous sommes encore en nous, nous pouvons en sortir plus ou moins facilement, selon que nous sommes plus ou moins avancés : mais lorsque nous nous sommes outrepassés, (ainsi que la nourriture qui est passée dans les intestins,) la chose est difficile et presque impossible, à moins d'un renversement général par quelque chute mortelle ; comme quand les excréments reviennent par la bouche. C'est donc de cette sorte que se doit entendre la stabilité est sorti de soi. [Fin de note]

157 hors de vous-même au plus vite, pour n'être plus qu'en lui ; et ce sera là qu'il se laissera trouver. O artifice admirable de l'époux ! 158 Lorsqu'il est plus passionné pour sa Bien-aimée, c'est alors qu'il fuit avec plus 159 de cruauté : mais c'est une cruauté amoureuse, sans laquelle l'âme ne sortirait jamais 160 d'elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Chapitre 3. Verset 1.

AUTORITES.

Saint Denis.

1. Toutes choses l'apètent [cette Cause première] et la désirent, à savoir celles qui sont douées de raison et d'entendement par connaissance, celles qui sont au-dessous par sentiment ; 161 les autres par un mouvement de vie, ou bien par une certaine disposition, propre seulement à participer de l'être simple, accompagné de quelque qualité habituelle.

Ils la louent (a Présence de Dieu confuse générale indistincte) sans nom, comme quand ils disent, qu'en une certaine mystique vision, de la qualité de celles où elle manifeste sa Divinité sous quelques figures, elle reprit et tança celui qui lui demanda : (b juge 13. Verset 17,18.) Pourquoi me demandes-tu mon nom qui est admirable ? Car ce nom là n'est-il pas véritablement admirable, qui est par-dessus tout nom innominable, et qui est assis et colloqué par-dessus tout nom qui est nommé, soit en ce siècle, ou en l'autre à venir ? Des noms Divins chapitre 1.

2. Voyez Union. n.8.

3. Les choses les plus divines et les plus hautes, de celles qui se peuvent comprendre par l'entendement, ne sont que certaines raisons et notices des choses, qui sont au-dessous de celui qui surpasse tout, par lesquelles sa présence, qui est par-dessus toute notion et pensée, est démontrée, laquelle marche et passe par-dessus les très hautes cimes des très saints lieux. Théologie mystique chapitre 1.

L'Imitation de Jésus-Christ.

4. Le royaume (c Luc 17 verset 21) de Dieu est au-dedans de vous, dit le Seigneur. Car (d Romain 14 verset 17) le royaume de Dieu est la paix et la joie au Saint Esprit, qui n'est pas donné aux impies.

 Jésus-Christ viendra à vous, et vous fera sentir 162 au-dedans de vous la douceur de ses consolations, si vous lui préparez une demeure digne de lui. Toute la gloire et la beauté qu'aime cet Epoux céleste, est (a psaume 44 verset 14) au-dedans de l'âme ; et c'est là qu'il prend ses délices.

Lorsqu'un homme est véritablement intérieur, il se plaît à le visiter souvent, il s'entretient doucement avec lui, il aime à le consoler dans toutes ses peines, il le comble de sa paix, il le traite avec une familiarité incompréhensible. Livre 2 chapitre 1 paragraphe 1.

5. Tout devient doux, ô mon Dieu, en votre présence ; tout est amer en votre absence : c'est vous qui rendez le cœur tranquille. Livre 3 chapitre 34 paragraphe 1.

6. Le paradis est partout où vous êtes, ô mon Seigneur, et l'enfer partout où vous n'êtes pas. Là même chapitre 59 paragraphe 1.

Harphius.

7. Voyez Mariage spirituel. n.1.

8. Voyez Foi nue. n.7.

Sainte Thérèse.

9. Voyez Oraison. Paragraphe 2. n.6.

10. Voyez Là-même. n.8.

11. Puisque l'âme est absente de son Bien, pourquoi est-ce qu'elle voudrait vivre ? Elle sent encore une solitude étrange, et telle que tous les habitants de la terre ne la peuvent consoler par leur compagnie. Château de l'âme demeure 6 chapitres 11.

12. Toutes les trois personnes divines se communiquent ici à l'âme, lui parlent, et lui font comprendre ces paroles de notre Seigneur dans l'Évangile (b Jean XIV verset 23), que lui, son Père, et le Saint Esprit viendront faire leur demeure dans les âmes qui 163 l'aiment et qui gardent ses commandements. L'âme s'étonne tous les jours de plus en plus, parce qu'il lui semble de plus en plus que ces divines personnes ne se séparent pas d'elle ; mais qu'elle voit clairement, dans la manière que je l'ai dit, qu'elles sont dans le plus intérieur d'elle-même, comme dans un abîme très profond. Car elle sent en soi cette divine compagnie, et ne peut exprimer de quelle façon cela est, parce qu'elle n'a pas de lettres. Là même, demeure 17 chapitre1.

Le B. Jean de la Croix.

13. Montrez-vous présent à mes yeux.

Pour déclarer ceci, il faut savoir qu'il peut y avoir en l'âme trois manières de présence de Dieu. La première est essentielle, et en cette manière non seulement il est dans les âmes bonnes et saintes, mais même dans les pêcheurs et dans toutes les autres créatures, d'autant que par cette présence il leur donne la vie et l'être, et si elle manquait, elles s'anéantiraient toutes. La seconde présence est par grâce, par laquelle Dieu habite en l'âme qui lui est agréable, et de laquelle il est satisfait ; et cette présence n'est pas commune à toutes les âmes, d'autant que celles qui tombent en péché mortel en sont privées, et l'âme ne peut pas naturellement savoir si elle a ce bonheur.

La 3e présence est par affection spirituelle ; parce que Dieu en plusieurs âmes dévotes a coutume de faire quelques présences spirituelles de plusieurs manières, avec lesquels il les récrée, les délecte et les réjouit. Mais tant cette présence spirituelle que les autres sont couvertes et cachées, parce que Dieu ne se montre pas en elles comme il est, d'autant que l'état de cette vie ne 164 le permet pas, et ainsi de chacune d'elles se peut entendre ce vers :

Montrez-vous présent à mes yeux.

D'autant qu'il est certain que Dieu est toujours présent dans l'âme, au moins selon la première manière,

 

µ Fin des dictées à la page 163 = à faire la suite !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Tome III des éditions originales]

Justifications de la doctrine de madame de La Motte-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les saints Pères grecs, latins et auteurs canonisés ou approuvés ; écrites par elle-même.

Avec un examen de la neuvième et dixième conférence de Cassien sur l’état de l’oraison continuelle, par M. de Fénelon, archevêque de Cambray.

Nouvelle édition, exactement corrigée.

TOME III.

À Paris, chez les Libraires associés. 1790.

Justification du Moyen court, et de l’Explication sur le Cantique

Troisième partie


 

LI. Quiétude. Tranquillité. Repos. Recueillement. Paix. Calme. Silence.

Moyen court

Il faut que la vive foi de Dieu présent dans le fond de nos cœurs nous porte à nous enfoncer fortement en nous-mêmes, recueillant tous les sens au-dedans, empêchant qu’ils ne se répandent au dehors, chap. 2, no 2.

Après avoir prononcé ce mot de Père,[c1]  qu’ils demeurent quelques moments en silence avec beaucoup de respect, chap. 3, no 2.

On le regarde comme un médecin ; et on lui présente ses plaies, afin qu’il les guérisse : mais toujours sans effort, et avec (2)[c2]  un petit silence de temps en temps, afin que le silence soit mêlé d’action, augmentant peu à peu le silence et diminuant le discours, jusqu’à ce qu’enfin, à force de céder peu à peu à l’opération de Dieu, il gagne le dessus.

Lorsque la présence de Dieu est donnée et que l’âme commence à goûter peu à peu le silence et le repos, ce goût expérimental de la présence de Dieu l’introduit dans le second degré d’oraison, chap. 3 nos3 et 4.

Je demande surtout qu’on ne finisse jamais l’oraison sans qu’on demeure quelque temps sur la fin dans un silence respectueux, chap. 4, no 3.

L’âme, par le moyen du recueillement, se tourne tout au-dedans d’elle, pour s’occuper de Dieu qui y est présent, chap. 10, no 2.

Qu’arrive-t-il à cet enfant qui avale doucement le lait en paix sans se mouvoir ? Qui pourrait croire qu’il se nourrit de la sorte ? Cependant, plus il tète en paix, plus le lait lui profite. Que lui arrive-t-il, dis-je, à cet enfant ? C’est qu’il s’endort sur le sein de sa mère : cette âme paisible à l’oraison s’endort souvent du sommeil mystique, où les puissances se taisent, chap. 12, no 5.

Le Seigneur est dans son saint Temple (3)[c3] , que toute la terre demeure en silence devant lui (a)[c4] . La raison pour laquelle le silence intérieur est si nécessaire, c’est que le Verbe étant la Parole éternelle et essentielle, il faut, afin qu’il soit reçu dans l’âme, une disposition qui ait quelque rapport à ce qu’il est, chap. 1, no1.

Le silence extérieur est très nécessaire pour cultiver le silence intérieur, et il est impossible de devenir intérieur sans aimer le silence et la retraite.

Ce serait peu de faire oraison et de se recueillir durant demi-heure ou une heure, si on ne conservait pas l’onction et l’esprit d‘oraison durant le jour. Là-même, no 3.

C’est donc une action, mais une action si noble, si paisible, si tranquille, qu’il semble à l’âme qu’elle n’agit pas, parce qu’elle agit comme naturellement, chap. 21 no 2.

Qu’a-t-elle choisi, Madeleine ? La paix, la tranquillité et le repos. Là-même, no 7.

Il faut (b)[c5]  que toute chair se taise en la présence du Seigneur. Là-même, no 11.

Saint Jean rapporte que (c)[c6]  dans le ciel il se fit un grand silence, chap. 24, no 1.

Cantique

Tirez-moi, dis-je, ô mon divin Amant, et nous courrons[c7]  à vous par le recueillement.

Cet excellent parfum opère l’oraison du recueillement, parce que les sens aussi bien que les puissances courent à son odeur, chap. 1, v. 3.

L’âme, dans ce doux embrassement de fiançailles, s’endort du sommeil mystique, où elle goûte un repos sacré qu’elle n’avait jamais goûté. Dans les autres repos, elle s’était bien assise à l’ombre de son Bien-Aimé par la confiance, mais elle ne s’était jamais endormie sur son sein, ni entre ses bras. C’est une chose étrange comme les créatures, même spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil, quoique sous les plus beaux prétextes ; mais elle est si endormie qu’elle ne peut sortir de son sommeil, chap. 2, v. 7.

La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez, mais quitter cette douceur au-dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile ; outre que par le recueillement elle vit et se possède, mais (5) [c8] par la sortie d’elle-même elle meurt et se perd. La-même, v. 14.

L’Amante est si enivrée de la paix et de la tranquillité qu’elle goûtait, qu’elle n’en pouvait sortir, chap. 3, v. 2.

Les pas du dedans sont très beaux, puisque l’Épouse peut toujours avancer en Dieu sans cesser de se reposer. C’est la beauté ravissante de cet avancement que d’être un vrai repos, sans que le repos empêche l’avancement, ni l’avancement le repos : au contraire, plus on se repose, plus on avance, et plus on fait de progrès, plus le repos est tranquille, chap. 7, v. 1.

Comme Dieu est toujours agissant au-dehors et toujours reposant au-dedans, de même cette âme qui au-dedans est confirmée dans un parfait repos est aussi toujours agissante au-dehors, chap. 7, v. 12.

AUTORITES

§ I. Quiétude, etc.

Saint Denys

1. Voyez Union, no 8.

2. Honorons à présent et louons avec hymnes pacifiques la paix divine, dame et maîtresse de toute société et d’assemblée. Car c’est elle qui unit toutes choses, qui est la mère et l’ouvrière 6 de la concorde et de la liaison naturelle qui est en toutes choses. Ce qui fait que toutes choses l’appètent et la désirent, d’autant que c’est elle qui rassemble leur multiplicité divisée à une parfaite unité, et qui maintient en union toutes les parties de l’Univers, qui seraient autrement en une continuelle guerre civile, faisant que toutes demeurent en bon accord ensemble comme dans une même maison.

Donc par la participation de la paix divine, les premières puissances et vertus conciliatrices sont premièrement unies à elles-mêmes, et puis les unes aux autres, et après à l’unique et premier principe de la paix de tout l’Univers, et de suite elles unissent les choses qui sont au-dessous d’elles, premièrement avec elles-mêmes, puis avec les autres, et finalement à la cause et au principe unique et universel de la paix de toutes choses. Et cette paix cheminant sans se diviser par-dessus toutes les créatures, elle borne, renferme et assure toutes choses comme dans de certains cerceaux qui relient et rassemblent les choses divisées, et ne permet pas qu’elles s’en aillent par pièces et par morceaux, séparés les unes des autres, et qu’elles se répandent à l’infini, sortant hors de leurs bornes, sans ordre, sans fermeté ni solidité, abandonnées de Dieu, sortant hors de leur union, brouillées pêle-mêle ensemble avec tout désordre et toute confusion.

Or de ce calme et de cette divine paix que le saint personnage Justus[c9]  appelle silence et un repos immobile en toute émanation qui se connaît, il n’est pas possible à aucune créature de dire ni de penser ce que c’est, ni comme elle est tranquille 7 et demeure en repos, et comme quoi elle est en elle-même et dedans elle-même, et comment par une éminente raison elle est unie toute entière en elle-même, et comme quoi, soit qu’elle rentre à elle-même ou qu’elle sorte pour se multiplier, elle ne quitte jamais l’union qui lui est propre, mais elle sort au-dehors et elle passe en toutes choses, sans bouger de dedans soi toute entière, par la suréminence de l’union qui surpasse toutes choses. Mais lui attribuant cela même qui est ineffable et inconnu, à elle, dis-je, qui est au-delà de toutes choses, nous nous contenterons de considérer seulement ses participations qui peuvent être entendues par la pensée et exprimées par la parole. Ce que nous ferons autant qu’il est possible aux hommes, et autant que nous-mêmes le pourrons, qui sommes de beaucoup inférieurs à plusieurs bons et saints personnages.

Il faut donc dire en premier lieu que la part divine est la cause productrice de la paix même considérée en soi, tant de l’universelle que de la particulière, et que c’est elle qui tempère toutes choses les unes avec les autres, par le moyen de leur union qui n’est point confuse, par le moyen de laquelle étant unies et conjointes ensemble sans division et sans qu’il y ait du vide en ces deux, elles demeurent néanmoins en l’intégrité de leur espèce, pures et sans être troublées par le mélange de leurs contraires, et sans rien perdre de leur extrême pureté ni de leur union très exquise. Il faut donc, etc. (Voyez Union no, 1). Des noms divins, chap. 9.

3. Voyez Foi nue, no 3.

4. Voyez Foi nue, no 4.

5. Voyez Foi nue, no 5.

Saint Augustin

6. Que si (a)[c10]  votre œil intérieur s’éblouit, lorsqu’il veut s’appliquer aux choses qui sont si fort au-dessus des sens, tâchez au moins de calmer votre esprit, (b) [c11] ne contestez plus contre la vérité comme vous faites et ne vous défendez plus que contre les illusions (c)[c12]  de ces idées grossières, que vous avez tirées du commerce perpétuel que nous avons avec les choses corporelles. Mettez-vous au-dessus de cela seulement, et vous serez au-dessus de tout. (*) [c13] Nous cherchons l’Unité souveraine, qui est d’une parfaite simplicité de nature, cherchons-la donc dans une parfaite (d)[c14]  simplicité de cœur.

(a)Ce passage ne se peut entendre que de la contemplation. Voici le titre ou sommaire du Chapitre : simplicité de cœur ; condition nécessaire pour atteindre Dieu. Ce que font en nous les impressions des choses sensibles. Quel est ce repos et ce silence du cœur, où l’Ecriture veut que nous nous tenions pour arriver à la connaissance de Dieu ? Combien l’agitation que produit en nous l’amour des choses du monde nous éloigne de ce bienheureux repos.

(b)Le Traducteur ajoute qu’on ne conteste la plupart du temps que parce qu’on  n’entend pas ce que l’on conteste, et la contestation toute seule empêcherait de l’entendre, quand on aurait d’ailleurs assez de lumière pour y entrer.

J’ajoute que si on pouvait apporter un cœur docile, neutre et nu, ce qui paraît des montagnes, en s’expliquant paraîtrait de plein pied.

(c)Le Traducteur ajoute à côté : on ne trouve Dieu que dans le silence du cœur qui suppose celui des passions, de l’imagination et des sens. Ceux qui se sont accoutumés à ne faire agir que leur imagination, sont bien peu capables de connaître Dieu.

(*)Simplicité.  n. 6. Union. n. 16

(d)Le Traducteur ajoute, parlant de la simplicité du cœur, qu’elle consiste à ne goûter que Dieu seul, à n’être point touché des choses extérieures et sensibles, dont la multiplicité partage le cœur, et le met en pièces ; c’est-à-dire, de tout ce qui n’est point Dieu, puisqu’il n’y a que Dieu qui ne soit ni contenu dans l’espace, ni sujet aux vicissitudes.

 

Tenez (b)[c15]  vous en repos, nous dit-elle dans l’Écriture, et vous connaîtrez que je suis le Seigneur. Ce n’est pas dans un repos d’inaction et de paresse qu’elle veut que nous nous tenions, mais dans un repos qui nous (c)[c16]  mette le calme au-dedans de nous-mêmes en chassant de notre cœur toutes les choses contenues dans toute sorte d’espaces et de lieux, et sujettes aux vicissitudes du temps ; car c’est de là que viennent toutes nos agitations, et ce sont les fantômes dont ces sortes de choses nous ont remplis qui nous empêchent de voir l’unité immuable et toujours égale à elle-même. De la véritable religion, chap. 35.

(b)Ps. 45. v. 11

(c)Ceci est divin.

 

7. Lorsque Dieu se repose le septième jour, il le sanctifie. Il ne faut pas entendre cela puérilement comme s’il était lassé à force de travailler. Le repos de Dieu signifie le repos de ceux qui se reposent en lui, comme la joie d’une maison signifie la joie de ceux qui se réjouissent dans cette maison. Ainsi lorsque le Prophète dit que Dieu s’est reposé, il marque fort bien le repos de ceux qui se reposent en lui et dont il est lui-même le repos.

Henri Suso

8. Cette unité[c17]  nue est un silence ténébreux et un repos tranquille, que celui-là seul peut avoir à qui la vraie liberté se découvre sans mélange d’aucune malice. Dialogue de la vérité, chap. 20.

L’Imitation de Jésus Christ

9. Jamais le superbe et l’avare n’est en repos. Le pauvre et l’humble d’esprit conserve dans son cœur une paix profonde. --          

C’est donc en résistant aux passions qu’on trouve la vraie paix du cœur et non pas en les contenant. Ainsi la paix du cœur ne se trouve ni dans l’homme charnel, ni dans celui qui est extérieur et sensuel, mais dans les fervents et spirituels. Livre I, chap. 6, § 1 et 2.

10. Si votre conscience est pure, vous serez toujours dans la joie. L’âme qui est ainsi pure dans le fond du cœur peut souffrir beaucoup et sa joie se redouble dans les plus grands maux. Vous jouirez d’un repos très doux si votre cœur ne vous accuse de rien. Les méchants n’ont point de vraie paix, ni de joie intérieure parce que c’est un oracle que Dieu même a prononcé : (a)[c18]  qu’il n’y a point de paix pour les impies.

Celui qui ne se soucie ni du blâme ni des louanges n’aura rien qui trouble la paix de son cœur. L’âme pure demeure aisément contente et paisible. Livre 2, chap. 6, § 1, 2, 3.

(a)Isaie 57.v.21.

11. Ô mon âme ! repose-toi, en toutes choses et au-dessus de toutes choses, en ton Seigneur, parce qu’il est le repos éternel des saints. Livre 3, chap. 21, § 1.

12. L’homme sage et spirituel ne considère pas ce qui se passe en lui-même, ni de quel côté souffle le vent de l’inconstance et de l’instabilité humaine, mais ne pensant qu’à s’avancer dans sa voie, il recueille et réunit tous les mouvements de son cœur pour se porter tout à moi comme à son unique et à sa véritable fin. Là-même, chap. 33, § 1.

13. C’est vous qui rendez le cœur tranquille et qui le comblez de paix et de joie. Livre 3, chap. 34, § 1.

Sainte Catherine de Gênes

14. Voyez Consistance, no 7.

15. Alors l’âme, voyant que le corps, pour la moindre opération divine qu’il sente, se voudrait jeter par terre comme mort, parce qu’il ne la peut souffrir, n’étant pas de sa portée, elle désire être en un lieu où elle ne soit point sujette. Elle connaît (a) [c19] sa prison lorsqu’elle sent quelque excès du divin amour, mais non pas lorsqu’elle n’y connaît rien autre chose, sinon qu’elle est unie à Dieu. Toutefois l’âme et le corps sont et demeurent ensemble avec si grande paix et obéissance, et avec un si grand silence, qu’il ne se trouve pas un seul désir discordant en aucun d’eux, parce que le corps obéit à l’âme et l’âme à Dieu, de sorte que chacun d’eux a ce qu’il lui faut par l’ordonnance et disposition divine avec une grande paix. En sa Vie, chap. 30.

(a)Notez que ce sont les violences de l’amour qui donnent les désirs de la mort, ou les violences de la nature et non l’union paisible.

16. Voyez Mortification, no 3.

Sainte Thérèse

17. Ceci est un recueillement des puissances au-dedans de soi pour jouir de ce contentement avec plus de goût, mais néanmoins, elles ne se perdent et ne s’endorment pas ; la volonté seule est occupée de manière que sans savoir comment, elle demeure captive, seulement elle donne son consentement afin que Dieu la mette dans la captivité, sachant bien qu’elle est captive de celui qu’elle aime. Vie, chap[c20] . 14.

18. J’ai déjà dit qu’en ce premier recueillement les puissances de l’âme ne sont point privées de leurs opérations, mais l’âme est si contente avec Dieu que pendant que cela dure, quoique les deux autres puissances, à savoir l’entendement et la mémoire, soient distraites et vagabondes, néanmoins la volonté étant unie avec Dieu, la quiétude et la tranquillité ne se perd point ; au contraire la volonté rappelle peu-à-peu l’entendement et la mémoire au recueillement. Car quoiqu’elle ne soit pas encore toute absorbée en Dieu, si est-ce toutefois qu’elle est si bien occupée, sans savoir comment, que quelque effort qu’elles fassent, elles ne lui peuvent ravir son contentement. La-même, chap. 15.

19. Quand la quiétude est grande et dure longtemps, il me semble que si la volonté n’était liée à quelque chose, elle ne pourrait durer si longtemps en cette paix. Chemin de perfection, chap. 31.

20. Ô fort et puissant amour de Dieu ! Ah ! qu’il lui semble qu’il n’y a rien d’impossible à celui qui aime ! Heureuse l’âme qui a obtenu cette paix de son Dieu, laquelle Notre Seigneur donne pour triompher de tous les travaux et de tous les dangers du monde, car elle n’en redoute aucun pour faire service à un si bon Époux ! Concep.[c21]  de l’amour de Dieu, chap. 3.

Le bienheureux Jean de la Croix

21. Que le spirituel apprenne à se tenir avec un regard amoureux en Dieu, en tranquillité d’esprit, quand il ne peut méditer. Et s’il a scrupule qu’il ne fait rien, qu’il croie que ce n’est pas peu de calmer l’âme et de la tenir en quiétude sans aucune œuvre ni appétit, car c’est ce que Notre Seigneur nous demande par le Prophète : (a)[c22]  Apprenez à vous évacuer de toutes choses et vous connaîtrez savoureusement que je suis Dieu.[c23]  Montée du Mont Carmel, Livre II, chap. 15.

(a)Ps. 45. V. 11.

22. C’est pourquoi il vaut mieux apprendre à mettre les puissances en silence et les accoutumer à se taire afin que Dieu parle. Car (comme nous avons dit) pour arriver à cet état, il faut perdre de vue les opérations naturelles, ce qui se fait, selon le dire du Prophète, quand l’âme selon les puissances (b) vient en solitude et que Dieu parle à son cœur[c24] . La-même, chap. 39.

(b)Osée 2. V. 14.

23. Que si l’âme commence à se laisser aller à la faveur de la dévotion sensible, elle n’arrivera jamais à la force des délices spirituelles, qui se trouvent en la nudité de l’esprit, moyennant le recueillement intérieur. La-même, chap. 39.

24. Voyez Opérations propres, no 15.

25. Il est bien vrai que souvent quand il y a en l’âme de ces communications spirituelles très intérieures et très secrètes, encore que le diable ne puisse découvrir quelles ni comment elles sont, néanmoins pour la grande pause et grand silence que quelques-unes causent dans les sens et les puissances de la partie sensitive, conjecture de là qu’elle les a et que l’âme reçoit quelque grand bien. Nuit de l’âme. Livre II, chap. 23

26. Or il faut entendre, pour savoir trouver cet Époux, que le Verbe, ensemble avec le Père et le Saint-Esprit, est essentiellement caché dans le centre intime de l’âme ; et partant l’âme qui le doit trouver doit se retirer de toutes les choses créées selon la volonté, et entrer dans un très grand recueillement au-dedans de soi-même, ne faisant non plus cas de tout ce qui est au monde que s’il n’était point. C’est pourquoi saint Augustin s’écrie en ses Soliloques : « Seigneur, je ne vous trouvais point dehors, parce que je vous cherchais mal dehors, vous qui étiez dedans. » Dieu donc est (a)[c25]  caché en l’âme, où le bon contemplatif doit le chercher. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet I.

(a)Dieu est caché en l’âme, c’est où il le fait chercher.

27. En ce sommeil spirituel que l’âme a dans le sein de son Bien-Aimé, elle possède et goûte tout le repos, quiétude et tranquillité de la nuit paisible, et reçoit conjointement en Dieu une abyssale et obscure intelligence divine. C’est pourquoi elle dit que son ami est pour elle une paisible nuit,

Pareille à l’aube gracieuse.[c26] 

Elle dit que cette calme et tranquille nuit n’est pas une nuit toute sombre et obscure, mais comme la nuit quand elle approche du point du jour : car ce repos et cette quiétude en Dieu n’est pas à l’âme du tout obscure comme une sombre nuit, mais un repos et quiétude en lumière divine et une nouvelle connaissance de Dieu en laquelle l’esprit, très suavement calme, est élevé à la lumière divine.

En ce repos et silence de la nuit susdite, et en cette notice de la lumière divine, l’âme aperçoit une admirable convenance et disposition de la Sagesse de Dieu. Elle appelle cette musique « silencieuse » ou « sans bruit » parce que, comme nous avons dit, c’est une intelligence calme et tranquille sans aucun bruit de voix, et ainsi on jouit en elle de la douceur de la musique et de la quiétude du silence. Et elle dit que son Ami est cette musique sans bruit parce qu’en lui se connaît et se goûte cette harmonie de musique spirituelle. Là-même, couplet 15.

28. Le diable, au temps que Dieu donne à l’âme du recueillement et de la suavité en foi, envie tellement cette paix de l’âme qu’il tâche de jeter de l’horreur et de la frayeur dans l’esprit pour empêcher ce bien, parfois comme la menaçant intérieurement en l’esprit. Et quand il voit qu’il ne peut arriver à l’intérieur de l’âme, à cause qu’elle est fort recueillie et unie à Dieu, au moins par dehors il met en la partie sensitive de la distraction, pour voir s’il pourra tirer l’Épouse de la quiétude de son lit.

Ces peurs s’appellent « veillantes » à cause que de soi elles font veiller l’âme, la réveillant de son doux sommeil intérieur. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 30.[c27] 

29. Mon âme est si seule, si aliénée et détachée de toutes choses créées supérieures et inférieures, et est entrée si avant avec vous dans le recueillement, que pas une d’elles ne l’atteint point de vue.

Aminadab n’osait paraître.[c28] 

C[c29] et Aminadab en l’Écriture sainte, signifie le diable, ennemi de l’âme, qui la combattait toujours et la troublait par son indicible appareil de tentations, afin qu’elle n’entrât en cette forteresse et cachette du recueillement dans l’union de l’Ami, dans lequel lieu l’âme est si favorisée, victorieuse et forte en vertus que le diable n’ose paraître devant elle. D’où vient qu’étant favorisée de l’appui d’un tel bras, et le diable étant tellement mis en fuite, et même l’âme qui est arrivée à cet état l’ayant tellement vaincu, il ne paraît plus devant elle.

* Tromperie. n. 8.

Par une certaine redondance d’esprit, la partie sensitive et ses puissances reçoivent la récréation et délectation par laquelle ces puissances sont attirées au recueillement, dans lequel l’âme boit déjà les biens spirituels. Ce qui est plutôt descendre à leur vue que les goûter essentiellement. L’âme n’use point d’autre terme que de celui de descendre, pour donner à entendre que ces puissances descendent de leurs opérations au recueillement de l’âme, (a) [c30] dans lequel Jésus-Christ Notre Seigneur et très doux Époux veuille mettre tous ceux qui invoquent son nom. Ainsi soit-il. Là-même, couplet 40.

(a)Je fais la même prière à Notre Seigneur. Plût à Dieu que tous ceux qui combattent ces voies et les décrient en eussent fait expérience. Leur zéle changerait comme celui de Saint Paul ; ils deviendraient les prédicateurs des mêmes choses qu’ils combattent avec tant d’ardeur.

30. Si l’âme veut opérer alors du sien, se comportant d’autre manière que d’une attention amoureuse, fort passivement et tranquillement, sans discourir comme auparavant, elle empêchera les biens que Dieu lui communique en la notice amoureuse, lesquels lui sont communiqués au commencement dans l’exercice de purgation et depuis en une plus grande suavité d’amour, laquelle, comme je dis — et il est ainsi —, si on la reçoit passivement dans l’âme et à la manière de Dieu, non pas à la façon de l’âme, il s’ensuit que pour la recevoir l’âme doit être fort débrouillée, de loisir paisible et calme à la manière de Dieu ; comme l’air, tant plus il est net, pur et tranquille, tant mieux il est éclairé et échauffé du soleil. Partant elle ne doit être attachée à rien, ni à chose de méditation, ni à goût aucun, soit sensible, soit spirituel, parce qu’il requiert un esprit si libre et si anéanti que quelque chose que l’âme voudrait alors faire, soit discourant ou pensant à quelque chose de particulier, ou s’appuyant à quelque goût, cela l’empêcherait et inquiéterait et ferait du bruit dans le profond silence que doit avoir l’âme tant au sens qu’en l’esprit, afin qu’elle puisse entendre cette profonde et délicate parole de Dieu, qu’il parle au cœur en cette solitude, comme il le dit par Osée (a)[c31] , et qu’elle écoute en une très grande paix et tranquillité, comme dit David (b)[c32] , ce que parle le Seigneur, parce qu’il parle cette paix en elle.

* [c33] Quand donc il arrivera que l’âme se sentira mettre en silence et aux écoutes, le regard amoureux dont j’ai parlé doit être très simple, sans souci ni réflexion aucune, en sorte qu’elle l’oublie presque, pour être tout o[c34] ccupée à entendre, afin que l’âme demeure ainsi libre pour ce qu’on voudra lors d’elle. Vive flamme d’amour, cant. 3, v. 3, § 6.

a. Osée 2 v.14.

b. Ps. 84. V. 9

* Réflexions. n. 3.

31. Cette manière de calme et d’oubli vient toujours avec quelque absorbement intérieur ; partant, lorsque l’âme a commencé d’entrer en ce simple et tranquille état de contemplation (a),[c35]  en nul temps ni saison elle ne doit vouloir s’employer aux méditations, ni s’appuyer sur des sucs, des goûts et saveurs spirituelles.

a. Notez en nul temps ni saison.

Tâchez d’extirper de l’âme toutes les convoitises de sucs, de goûts et de méditations, et ne l’inquiétez avec aucun soin ni sollicitude des choses d’en-h[c36] aut et encore moins de celles d’en bas, la mettant en toute l’aliénation et solitude possible : car tant plus elle obtiendra cela et tant plutôt elle parviendra à ce calme et tranquillité, avec tant plus d’abondance on lui verse l’esprit de la s[c37] agesse divine, amoureux, tranquille, solitaire, paisible, suave, ravisseur de l’esprit, se sentant parfois ravi et doucement navré sans savoir de qui, ni d’où, ni comment, parce que cet esprit lui a été communiqué sans opération propre dans le sens qui a été expliqué. Et une parcelle de ce que Dieu opère en l’âme en ce saint loisir et solitude est un bien inestimable, et plus que l’âme ne saurait penser, ni celui qui la gouverne, et on ne peut voir pour lors combien il éclairera en son temps. Au moins, ce que l’on pourra alors obtenir de sentir, c’est une aliénation et une certaine abstraction de toutes choses, tant plus, tant moins[c38] , avec un doux respir de l’amour et vie de l’esprit, avec une inclination à la solitude et un ennui des créatures et du siècle. Car quand on trouve du goût dans l’esprit, tout ce qui est de la chair est dégoûtant[c39] .

Mais les biens intérieurs que cette tranquille contemplation laisse imprimés en l’âme, sans qu’elle le sente, sont inestimables, etc. (Voyez Opérations propres, no 20). Là-même, § 7.

32. Combien Dieu estime cette tranquillité, ou cet endormissement ou anéantissement du sens, on le peut bien voir en cette conjuration si remarquable et tant efficace qu’il fait au Cantique, disant (a)[c40]  : Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, par les cerfs et par les chèvres des campagnes, de ne point éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. En quoi il donne à entendre combien il aime l’endormissement et l’oubli solitaire, puisqu’il interpose ces animaux solitaires et retirés. Mais ces maîtres spirituels ne veulent pas que l’âme repose et demeure dans le calme, mais qu’elle travaille et opère toujours, en sorte qu’elle ne donne point lieu à l’opération divine ; et ils font que ce que Dieu va opérant se détruise et s’efface par l’opération de l’âme, etc. Là-même, § 11.

a. Cant. 2. V.7.

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte

33. Saint Augustin parlant de la plus haute contemplation : [c41] Là on voit la vérité claire sans aucune semblance de corps, elle n’est offusquée d’aucun nuage de fausses opinions. Là, les facultés de l’âme ne sont point opprimées ni laborieuses ; là toute vertu — et qui est seule —, c’est d’aimer ce que vous voyez, et la plus grande félicité, c’est d’avoir ce que vous aimez (Livre 12 Sur la Genèse, chap. 12). Alors le spirituel aura commencé de (b)[c42]  juger toutes choses, et lui, de n’être jugé de personne, bien qu’en cette vie, il regarde encore comme par un miroir (Traité 102 Sur saint Jean). Éclaircissement des phrases Myst. [c43] de Jean de la Croix. P. [c44] II, chap. 3, § 3.

b. 1 Cor.2. 15.

34. -- Si le tumulte de la chair ne faisait plus aucun bruit dans une âme, si les fantômes et espèces de la terre, des eaux, de l’air et du ciel même la laissaient en repos, ne lui disant plus rien ; si l’âme ne se disait plus rien elle-même et qu’elle passât au-delà de soi sans rien penser de soi et que dans cet état la vérité même lui parlât, non par ces sortes de songes ou de révélations qui se passent dans l’imagination, ni par des voix extraordinaires, ni par aucun autre de ces signes par où il a plu quelquefois à Dieu de se faire entendre, ni par la voix d’aucun homme, ni même par celle d’un ange, ni par le bruit du tonnerre, ni par les énigmes des figures et des paraboles, parce que toutes ces choses disent à qui a des oreilles pour entendre : « Nous ne sommes que l’ouvrage de celui qui subsiste éternellement » ; supposé donc qu’aucune de ces choses ne parlât à cette âme ou qu’elles ne lui disent que ce seul mot et qu’après cela elles se tussent pour lui donner moyen de porter toute son attention vers celui qui les a faites et que nous aimons en elles, et qu’elle l’entendît lui-même, comme nous avons fait en ce moment où, nous étant élevés au-dessus de nous-mêmes, nous avons atteint cette Sagesse suprême qui est au-dessus de tout et qui subsiste éternellement ; que ce qui n’a fait que passer comme un éclair à notre égard fût continu à l’égard de cette âme dont nous parlons et que, sans être partagée par aucune autre vision, elle fût abîmée et absorbée tout entière dans la joie tout intérieure et toute céleste de celle-ci et se trouvât fixée pour jamais dans l’état où nous nous sommes vus dans ce moment de pure intelligence qui nous a fait soupirer d’amour et de douleur de n’y pouvoir subsister : ne serait-ce pas là cette joie du Seigneur dont il est parlé dans l’Évangile ? (Confessions, livre 9, chap. 10.) Là-même.

35. Hugues de Saint-Victor. Voyez Oraison, § 3, no 14.

36. Le Père Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations propres, no 24.

37. Saint Bernard (ou plutôt l’Abbé Guillaume[c45] ). C’est ici la fin, c’est la consommation, la perfection, la paix, la joie divine, c’est la joie du Saint-Esprit, c’est le silence au ciel. Car pendant que nous sommes en cette vie, l’amour jouit quelquefois du silence de cette très heureuse paix dans le ciel, c’est-à-dire dans l’âme du juste, qui est le siège de la Sagesse, mais c’est une demi-heure ou presque ce temps-là, et pour ce qui reste des pensées, l’intention en fait une fête perpétuelle au Seigneur. (De l’amour et contemplation de Dieu, chap. 4.) Là-même, § 8.

38. Richard ([c46] expliquant ces paroles du psaume 23, v. 3 : Qui montera en la montagne du Seigneur, ou qui demeurera en son saint lieu ?). C’est une chose rare de monter en cette montagne, mais beaucoup plus rare d’y demeurer au sommet et de s’y arrêter, mais très rare d’y habiter et de se reposer en la montagne. (Préparation à la contemplation, chap. 76.) Là-même.

39. D. [c47] Barthélemy des Martyrs. Voyez Opérations de Dieu, no 10.

40. Suarez. La pensée de Dieu même s’unit mieux avec son amour que la pensée ou la connaissance de son amour. Car c’est là la pensée d’une chose créée qui ne conduit pas par elle-même à un tel amour, et même il arrive que lorsque l’âme est portée vers Dieu par amour, si elle est occupée autour de soi ou de ses actes, comme faisant réflexion sur ces actes, pensant ce qu’elle fait, elle est distraite et s’attiédit en l’amour de Dieu. (De l’oraison, chap. 4 etc.) La-même, chap. 4, § 2.

41. Blosius.[c48]  Ici à cause de la connaissance, étant faite sans connaissance, l’âme se repose en Dieu seul aimable, nu, simple et non connu. Car la lumière divine est inaccessible à cause de sa trop grande clarté, d’où vient qu’elle est appelée obscurité. (Institution spirituelle, chap. 12.) Là-même, § 2.

42. Le Père Louis du Pont. Ce repos semble être le sommeil que, dans le Cantique, Dieu commande aux âmes de garder. (a)[c49]  Je vous en conjure, ô filles de Jérusalem, de n’éveiller ni faire éveiller ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille. L’Épouse répond : « Cette voix est de mon Bien-aimé, ce morceau si doux et avec sûreté ne peut venir que de sa main. » (Vie d’Alvarez, chap. 13.) Là-même, § 7.

a. Cant. 2. V.7.

43. Laquelle explication, ([c50] ajoute le Père Nicolas de Jésus-Maria) saint Bernard avait donnée auparavant, comme aussi saint Anselme, Rupert et saint Thomas, lesquels se sont tous servis à ce sujet du mot de sommeil. Il est dit en l’Écriture (b)[c51]  : Dieu envoya un sommeil à Adam, auquel lieu d’autres lisent : Dieu envoya une extase à Adam, entendant par cet assoupissement ou sommeil quelque contemplation sublime ; car ainsi l’interprètent saint Ambroise, saint Grégoire, saint Jean Chrysostome, saint Isidore et d’autres commentateurs avec lesquels s’accordent, touchant la dite manière de parler, le bienheureux Thomas de Villeneuve (sur le Cantique) et Suarez au livre II de L’Oraison[c52] . La-même, avec beaucoup de citations.

b. Gen. 2. V. 21.

Le même Père rapporte encore :

44. Richard de Saint Victor. Être esprit en l’esprit, c’est entrer en soi-même et se recueillir tout au-dedans de soi, et cependant ignorer entièrement ce qui se passe en la chair et autour de la chair. Là-même, chap. 12, § 2.

Le Père Jacques de Jésus

45. St Denys appelle (a)[c53]  cette contemplation la très claire nue du silence qui enseigne secrètement et remplit les entendements aveugles : tout y sonne nuit, silence, ténèbres, ne pas voir, ne pas opérer, abandon des puissances, et comme une réduction de l’âme à son essence, laquelle se tenant vaincue et ainsi recueillie et comme mystiquement essentialisée en soi, se livre toute en union amoureuse et affective à Dieu qui assiste intimement, réellement et présentiellement selon son essence divine en l’essence de cette âme amie, non seulement par titre d’immensité, mais encore par titre d’amitié. Notes sur Jean de la Croix, discours I, phrase 4, § 3.

a. Théol. Myst. Ch. 1.

 

Saint François de Sales

46. Je ne parle pas ici du recueillement par lequel ceux qui veulent prier se mettent en la présence de Dieu, rentrant en eux-mêmes et retirant, par manière de dire, leur âme dans leur cœur pour parler à Dieu. Car ce recueillement se fait par le commandement de l’amour, qui, nous provoquant à l’oraison, nous fait prendre ce moyen de la bien faire, de sorte que nous faisons nous-mêmes ce retirement de notre esprit. Mais le recueillement dont j’entends parler ne se fait pas par le commandement de l’amour mais par l’amour même. C’est-à-dire : nous ne le faisons pas nous-mêmes par élection, d’autant qu’il n’est pas en notre pouvoir de l’avoir quand nous voulons et ne dépend pas de notre soin. Mais Dieu le fait en nous par sa très sainte grâce. « Celui, dit la bienheureuse Mère Thérèse de Jésus, qui a laissé par écrit que l’oraison de recueillement se fait comme quand un hérisson ou une tortue, se retire au-dedans de soi, l’entendait bien. Hormis que ces bêtes se retirent au-dedans d’elles-mêmes quand elles veulent, mais le recueillement ne gît pas en notre volonté, mais il nous vient quand il plaît à Dieu de nous faire cette grâce. Or il le fait ainsi. »[c54]  Rien n’est si naturel au bien que d’unir et attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquels les tirent toujours et se rendent à leur trésor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment ; il arrive donc quelque fois, etc. (Voyez Présence de Dieu, no 20.) De l’Amour de Dieu, livre VI, chap. 7.

47. Ainsi arrive-t-il à plusieurs saints et dévots fidèles qu’ayant reçu le divin Sacrement qui contient la rosée de toutes bénédictions célestes, leur âme se resserre et toutes leurs facultés se recueillent non seulement pour adorer ce Roi souverain nouvellement présent d’une présence  admirable en leurs entrailles, mais pour l’incroyable consolation et rafraîchissement spirituel qu’ils reçoivent de sentir par la foi le germe divin de l’immortalité en leur intérieur. Où vous remarquerez que tout ce recueillement se fait par l’amour qui, sentant la présence du Bien-Aimé par les attraits qu’il répand au fond du cœur, rapporte et ramasse toute l’âme vers lui par une très aimable inclination, par un très doux contournement et par un délicieux repli de toutes les facultés du côté du Bien-Aimé, qui les attire à soi par la force de sa suavité avec laquelle il lie et tire les cœurs, comme on tire les corps par les cordes et liens matériels.

Mais ce doux recueillement de notre âme en soi-même ne se fait pas seulement par le sentiment de la présence divine au milieu de notre cœur, mais en quelle manière que ce soit que nous nous mettions en cette sacrée présence, il arrive quelque fois que toutes nos puissances intérieures se resserrent et ramassent en elles-mêmes, par l’extrême révérence et douce crainte qui nous saisit, en considération de la souveraine majesté de celui qui nous est présent. Là-même.

48. L’âme donc à qui Notre Seigneur donne la sainte quiétude amoureuse en l’oraison se doit abstenir, tant qu’elle peut, de se regarder soi-même ni son repos, lequel, pour être gardé, ne doit point être regardé curieusement, car qui l’affectionne trop le perd. Et comme l’enfant qui, pour voir où il a ses pieds, a ôté sa tête du sein de sa mère, y retourne tout incontinent parce qu’il est fort mignard[c55] , ainsi faut-il que si nous nous apercevons d’être distraits par la curiosité de savoir ce que nous faisons à l’oraison, soudain nous remettions notre cœur en la douce et paisible attention de la présence de Dieu, de laquelle nous nous étions divertis. Néanmoins il ne faut pas croire qu’il y ait aucun péril de perdre cette sacrée quiétude par les actions du corps ou de l’esprit, qui ne se font ni par légèreté, ni par indiscrétion, car comme dit la bienheureuse Mère Thérèse, *[c56] c’est une superstition d’être si jaloux de ce repos que de ne vouloir ni tousser, ni cracher, ni respirer de peur de le perdre. D’autant que Dieu qui donne cette paix ne l’ôte pas pour de tels mouvements nécessaires, ni pour les distractions et divagations d’esprit quand elles sont involontaires. +[c57]  Et la volonté étant une fois bien amorcée à la présence divine (a)[c58]  ne laisse pas d’en savourer les douceurs, quoique l’entendement et la mémoire se soient débandés et échappés. Il est vrai qu’alors la quiétude de l’âme n’est pas aussi grande que si l’entendement et la mémoire conspiraient[c59]  avec la volonté, mais toutefois elle ne laisse pas d’être une vraie tranquillité spirituelle, puisqu’elle règne en la volonté qui est (b) [c60] la maîtresse de toutes les autres facultés. Mais pourtant la paix de l’âme serait bien plus grande et bien plus douce si on faisait point de bruit autour d’elle et qu’elle n’eût aucun sujet de se mouvoir, ni quant au cœur, ni quant au corps, car elle voudrait bien être tout occupée en la suavité de cette présence divine, mais ne pouvant quelque fois s’empêcher d’être divertie aux autres facultés, elle conserve au moins la quiétude en la volonté, qui est la faculté par laquelle elle reçoit la jouissance du bien. Et notez qu’alors la volonté retenue en quiétude par le plaisir qu’elle prend en la présence divine, elle ne se remue point pour ramener les autres puissances qui s’égarent, d’autant que si elle voulait entreprendre cela, elle perdrait son repos, s’éloignant de son cher Bien-Aimé, et perdrait sa peine de courir çà et là pour attraper ces puissances volages, lesquelles aussi bien ne peuvent être aussi utilement appelées à leur devoir que par la persévérance de la volonté en la sainte quiétude, car petit à petit, toutes les facultés sont attirées par le plaisir que la volonté reçoit et duquel elle leur donne certains ressentiments, comme des parfums qui les excitent à venir auprès d’elle pour participer au bien dont elle jouit. De l’Amour de Dieu, livre VI, chap. 10.

* Distractions. N. 18.

+ Volonté de Dieu. N. 33.

a. C’est le sentiment de Ste Thérèse (Voyez ci-dessus n. 18. Volonté de Dieu. N. 17. 18.)

       b. J’ai écrit en quelque endroit que comme la volonté est la souveraine des puissances, elle attire les autres après elle. (Voyez dans l’article Présence de Dieu, la note sur l’explication du Cant. 3. V. 1 tome II. p. 156.)

Le Frère Jean de Saint-Samson

49. Qui ne vous aimera, mon amour et ma vie, n’aura jamais en soi ni paix ni repos, car il n’y a point de paix ni de repos qu’en vous, et hors de vous, tout n’est que vanité et affliction d’esprit sur la terre. On ne peut dire que repos des méchants, s’ils en ont, soit un vrai repos : il n’est que bestial et encore moindre que celui des bêtes. Mais l’homme malheureux n’a de repos ici-ba[c61] s que pour le moment, trouvant toujours qui contrarie son appétit. Et ainsi pauvre et misérable qu’il est, il va consumant sa triste vie à la recherche d’un repos feint et simulé que vos amoureux estiment pire que l’enfer. Contemplation 4[c62] .

L’auteur du Jour mystique[c63] 

50. L’oraison de repos mystique savoureux est une plaisante et agréable tranquillité ou repos d’esprit, avec une allégresse de tout l’intérieur qui est accompagnée d’une inclination et mouvement au bien. Livre I, traité I, chap. 6, sect. 1.

51. Cette oraison, dit saint Bonaventure (a)[c64] , est une admirable et suave tranquillité, procédante en l’âme d’une douceur infuse qui lui est accordée en faveur de ses oraisons fréquentes. L’expérience de ce repos ne se donne qu’à ceux qui sont grands spirituels.

Harphius (b)[c65]  dépeint ce même repos avec d’autres couleurs. Alors, dit-il, le Père céleste élance de sa face une certaine lumière brillante et simple en la plus haute pointe de la plus simple et nue pensée etc. Là-même, sect. 3.

Le Jour mystique ne parle d’autre chose que de l’Oraison de repos dans le livre I, traité I. depuis le chapitre 3 jusqu’au 13 ou dernier, le tout soutenu d’autorités.[c66] 

a. Des Sept degrés de Contemplation.

b. Théol. Mystique. L.2 P.4. ch. 61.

§ II. Silence

Saint Jean Chrysostome.

1. Le silence est le langage des anges, l’éloquence du ciel et l’art de persuader Dieu.

Sainte Thérèse

2. Voyez Prière vocale, no 12.

Le bienheureux Jean de la Croix

3. Il dit dans son Énigme[c67] , ou dans la figure mise devant ses œuvres, que l’âme qui est au haut de la montagne est dans un silence divin et dans un banquet perpétuel.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte :

4. Tauler. Ici il se fait un certain silence intérieur et muet, et il n’y est pas permis de proférer aucune parole, ni même de rien opérer, ni dedans, ni dehors. Mais l’esprit souffre une certaine passion douce, insensible et ineffable dans le miracle surprenant de la Déité abyssale très clairement surluisante (Institutions, chap. 12). Eclaircissement des phrases myst[c68] . de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 4, § 3.

Antoine de Royas

5. Il y a trois façons de se taire dans le recueillement. La première, quand tous les fantômes, [c69] toutes les imaginations et toutes les espèces des choses visibles cessent dans l’âme, en sorte qu’elle se tait à tout ce qui est créé et demeure endormie pour toutes les choses temporelles, et qu’ainsi nous taisant au-dedans de nous, comme le dit saint Grégoire, nous nous recueillons au-dedans de notre âme, pour contempler notre Créateur, ne désirant aucune chose de ce monde. Au contraire, tachant de chasser de notre cœur tout mouvement des choses illicites et même des licites autant qu’on peut, comme l’enseigne le Docteur angélique, des viandes[c70] , des vêtements, des pensées licites, et ainsi on jouit d’une grande tranquillité.

La seconde façon de se taire dans le recueillement, c’est quand l’âme, étant mise en silence, a une espèce d’oisiveté spirituelle, demeurant couchée avec Madeleine aux pieds de Notre Seigneur, disant ces paroles : (a)[c71]  J’écouterai ce que le Seigneur parle en moi, et que Dieu dit à cette âme : (b) [c72] Écoutez, ma fille, oubliez la maison de votre père, et le roi concevra de l’amour pour votre beauté. Or cette seconde sorte de silence se compare à bon droit à une attention, car celui qui écoute, non seulement il se tait à l’égard des autres choses, mais encore, il veut que tout se taise à son égard, afin qu’il se convertisse plus parfaitement à celui qui lui parle.

Saint Grégoire déclare cette manière d’enseigner dont Dieu se sert, disant (c) [c73] que les paroles de Dieu sont sans paroles, qu’il enseigne celui qui se dispose pour entrer en son école à être son disciple, sans syllabes, sans bruit et sans voix.

Le troisième silence de l’entendement se fait en Dieu, quand l’âme se transforme tout en lui et que la volonté savoure la douceur de Dieu et s’endort en lui comme dans la cave des vins et se tait, (d) [c74] ne désirant rien davantage puisqu’elle se trouve satisfaite. Au contraire, elle dort à soi-même, s’oubliant de la faiblesse de sa condition, parce qu’elle se voit toute divinisée. --

Dans cette troisième sorte de silence, il arrive que l’entendement est si tranquillisé et si occupé qu’il n’entend rien de tout ce qu’on lui dit, comme on rapporte d’un saint vieillard qui s’exerçait en ce silence depuis cinquante ans. Vie de l’Esprit[c75] , Ière partie, chap. 18.

a. Ps. 84.v.9.

b. Ps. 44. V. 11, 12.

c. Livr. 28. Des Moral. Ch. 2.

d. Notez ne désirant rien davantage, parce qu’elle est satisfaite : ses délices sont rassasiés et remplis.

6. Toute sorte de connaissances, dit saint Grégoire (a)[c76] , étant disproportionnée pour connaître Dieu, il faut fermer les yeux si on le veut parfaitement contempler, à la façon de cette bonne vieille qui, entrant dans l’Église, disait à Dieu avec beaucoup de dévotion : « Seigneur, que ce que je vous souhaite m’arrive, et que ce que vous me souhaitez m’arrive. » Et aussitôt avec la foi de ce qu’elle était avec Dieu, et s’abandonnant entre ses mains, elle se taisait intérieurement et extérieurement, demeurant dans cette connaissance négative dont nous avons parlé. Là-même, dans les Avis après le chap. 20.

a. Homel. 13. Sur Ezech.

7. Saint Augustin disait à Dieu : « Ô mon très doux Seigneur, faisons un accord, à savoir que je mourrai à moi-même, à condition que vous vivrez en moi, dedans et dehors de moi. Je garderai le silence, mais à condition que vous parlerez en moi et qu’étant assis en la chaise de mon cœur, vous m’enseignerez comme celui qui est le Maître universel et de moi et de tout le monde. Je demeurerai ferme et immobile comme une borne, sans remuer ni pied ni main, me contentant de la vérité de la foi et de la résignation entre vos mains. » Avec cela le saint demeurait comme un mort à l’égard de toutes les choses sensibles et de tout le créé avec un grand silence et beaucoup de quiétude. La-même, IIe partie, chap. 20.

Le même auteur rapporte :

8. Saint Bernard. Le silence continuel et le détachement ou l’abstraction de tout ce qui n’est pas Dieu — autant que le permet l’obligation de l’état de chacun — dispose l’âme pour l’union avec Dieu et oblige Sa divine Majesté à nous favoriser de la contemplation. (Sur le Cantique.) Vie de l’Esprit, Ière partie, chap. 1.

9. Saint Thomas. Deux choses sont nécessaires : la première est de recueillir l’âme au-dedans de soi-même, la retirant de la diversité des choses extérieures, la seconde est qu’elle laisse le discours de la raison. (Ult. 2. Quest. 80. Art. 6.)[c77]  La-même, chap. 19.

Monsieur Olier

10. Le Prophète dit que la grandeur, la beauté et la sainteté de Jésus-Christ doivent être honorées par le silence. En effet, il n’y a point de parole qui ne soit indigne de lui. Toutes les expressions et les louanges sont au-dessous de ce qu’il est ; il est ineffable et l’on ne peut parler dignement de lui en sa présence. Sainte Magdel[c78] eine n’est pas accusée d’oisiveté pour ne dire mot en la présence de Jésus. Elle le regarde, elle l’entend, elle est pleine de lui et ne peut rien vouloir que lui. Elle est contente en tout, et rien ne peut entrer en elle que son Tout-Aimé. Cette âme recevait sans rien dire. Elle était occupée sans parler. Elle était en tendance universelle de toute elle-même vers lui. Son amour était vivant, et quoiqu’il fût renfermé en elle, il était très bien connu de son Époux, qui l’opérait dans le fond de son âme.

Soyez donc en paix dans votre silence, lorsque le Bien-Aimé par sa présence vous réduira en cet état et vous obligera à vous taire pour vous obliger à le voir, à le considérer, à l’entendre et à porter en paix ses opérations. Il n’est jamais présent à l’âme sans la vivifier et sans opérer en elle quelque renouvellement imperceptible. Lettre 123.

Le Père Épiphane Louys

rapporte :

11. Saint Augustin. Voyez Abandon, no 34.

LII. Rassasiement

Moyen court

Comme tous sont appelés à la béatitude, tous sont aussi appelés à jouir de Dieu, et en cette vie et en l’autre, puisque la jouissance de Dieu fait notre béatitude.

Je dis de Dieu lui-même et non de ses dons, qui ne pourraient faire la béatitude essentielle, ne pouvant pas contenter pleinement l’âme. Car elle est si noble et si grande que tous les dons de Dieu les plus relevés ne pourraient la rendre heureuse si Dieu ne se donnait lui-même à elle.

On dira que l’on feint d’y être. Je dis que cela ne se peut feindre, puisque celui qui meurt de faim ne peut feindre, surtout pour longtemps, d’être dans un rassasiement parfait. Il lui échappera toujours quelque désir ou envie et il fera bientôt connaître qu’il est bien loin de sa fin. Chap. 24, nos 12 et 13.

Autorités

Saint Denys

1. Voyez Consistance, no 1.

Sainte Catherine de Gênes

2. Voyez Non-désir, no 6.

3. Ô pauvre langue qui ne trouve point de mots ! Ô pauvre entendement, tu es vaincu ! Ô volonté, combien es-tu en repos ! Tu ne veux plus autre chose, parce que tu es noyée de ton rassasiement. Vie, chap. 21.

4. Voyez Perte, no 19.

Sainte Thérèse

5. L’âme est si contente de se voir près de la fontaine que même sans boire, elle est toute rassasiée. Il lui semble qu’il n’y a rien à désirer. Chemin de perfection, chap. 31.

Le bienheureux Jean de la Croix

6. voyez Quiétude, § II, no 3.

7. Il faut savoir que l’âme se voit tellement investie du torrent de l’Esprit de Dieu et être maîtrisée de lui avec tant de force, qu’il lui semble être inondée de toutes les rivières du monde qu’investissent et noient toutes ses actions et passions dans lesquelles elle était auparavant. Et bien que cela se fasse avec tant de force, c’est sans tourment, parce que ces fleuves sont fleuves de paix, comme l’Époux dit par Isaïe : (a)[c79]  Je ferai descendre sur elle comme un fleuve de paix et comme un torrent qui dégorge la gloire. Et ainsi il la remplit toute de paix et de gloire.

La féconde propriété que l’âme sent, c’est que cette eau divine remplit les vides de son humilité et comble le creux de ses appétits, selon que le dit saint Luc : (b)[c80]  Il a rempli de biens les affamés. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 14.

a. Isa. 66. V. 22.

b. Luc 1. V. 53.

8. Car en répandant ses odeurs[c81] ,[c82] 

Lesquelles sont parfois en si grande abondance qu’il semble à l’âme être revêtue de délices et baignée dans une gloire inestimable, en sorte qu’elle sent cela non seulement au-dedans, mais encore il a coutume d’en rejaillir tant à l’extérieur, que ceux qui y prennent garde de près le reconnaissent bien et il leur semble que cette âme est comme un jardin plein de délices et de richesses de Dieu. Et non seulement on aperçoit cela quand ces fleurs sont ouvertes, en ces saintes âmes, mais (c)[c83]  ordinairement elles portent en soi un je ne sais quoi de grandeur et de dignité qui cause du respect et de la retenue aux autres par l’effet surnaturel qui se répand dans le sujet, provenant de la prochaine et familière communication avec Dieu, comme il est dit de Moïse. La-même, couplet 27.

c. Admirable et vrai selon l’expérience.

9. Toute la fin et tout le désir de l’âme et de Dieu en toutes ses œuvres, c’est la consommation de cet état, et jamais l’âme ne se repose jusqu’à tant qu’elle y arrive, parce qu’en cet état, il y a bien plus grande abondance et réplétion de Dieu, une paix plus assurée et plus fiable, et une suavité plus parfaite sans comparaison qu’aux fiançailles. Là-même, couplet 28.

10. Encore qu’il soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est si suave, qu’encore que ce soit une flamme immense, c’est comme des eaux de vie qui rassasient et qui étanchent la soif. Vive Flamme d’amour. Cantique I, v. 1.

11. Ce grand sentiment arrive d’ordinaire vers la fin de l’illumination et purification de l’âme, avant qu’elle parvienne à l’union parfaite où les puissances se rassasient et satisfont pour lors. Là-même, v. 3, § 1.

Le Frère Jean de Saint-Samson

12. Là, le vide est tout plein, mais par différence du plein et sans différence du pleino Là, le vide ou indigent, qui n’est cependant ni vide ni indigent est surcomblé du plein, du plus plein, du très plein et même de la plénitude. Cabinet Mystique, Part. I, chap. 8.

L’auteur du Jour Mystique

13. L’union amoureuse, dit Gerson (a)[c84] , en laquelle consiste la théologie mystique, tranquillise l’âme, rassasie sa faim et l’affermit. Car comme chaque chose se tient en repos, lors qu’elle a acquis sa perfection et que notre esprit par amour est conjoint au souverain Bien perfectionnant, il faut ensuite par nécessité qu’il y trouve son repos, son rassasiement et sa sûreté. Livre I, traité I, chap. 10, sect. 4.

14. Cette opération, dit Harphius (b)[c85] , s’accomplit en la savoureuse volupté des délices spirituelles, dont la suavité étant goûtée, en même temps le cœur et toutes les puissances sensitives sont abreuvées d’un torrent d’une volupté divine, en sorte que l’âme aimante embrasée par le divin Époux et regorgeante de plaisirs célestes, et comme pénétrée d’une ivresse spirituelle d’un vin délicieux, n’en peut contenir la force ni l’abondance sans qu’elle éclate au-dehors. Livre 3, traité 6, chap. 8, sect. 4.

a. Théol. Myst. Cons. 42.

b. Théol. Myst. Liv. 2. Chap. 41.


 

LIII. Réflexions

Je crois avoir fait assez voir dans les articles Abandon, Mort, Perte, Propriété, Purification etc. l’importance de ne point réfléchir sur soi. C’est pourquoi j’en dirai peu.

Moyen court

L’âme ne s’aperçoit point de son acte parce qu’il est direct et non réfléchi. Chap. 22, no 6.

Cantique

Cette Amante ne sait pas que son regard est devenu si épuré, qu’étant toujours direct et sans réflexion, elle ne connaît point son regard. Chap. 4, v. 9.

Le véritable amour n’a point d’yeux pour se regarder soi-même. Chap. 5, v. 8.

Si cette Épouse avait pensé à elle-même, elle aurait dit : (a)[c86]  Ne m’appelez pas belle, elle aurait usé de quelque parole d’humilité. Mais elle est incapable de tout cela, elle n’a qu’une seule affaire, c’est la recherche de son Bien-Aimé. Elle ne peut penser qu’à lui et quand elle se verrait précipitée dans l’abîme, elle n’y ferait point de réflexion. Là-même.

a. Ruth 1. v. 20.

AUTORITES

Il faudrait écrire tout Jean de la Croix pour dire tous les endroits où il fait voir le dommage des réflexions. Et il y a tant de rapport aux propres opérations que je ne répète point ce qui en a été dit sous cet article-là.

Henri Suso

1. Voyez Anéantissement, no 5.

Ruusbroec.

2. Parlant des Illuminés, il dit entre plusieurs autres choses que ce sont des gens remplis d’une certaine inclination déréglée de l’amour (b)[c87]  naturel, qui est toujours réfléchi sur soi-même. Voyez Propriété, no 23.

b. L’amour-propre réfléchit toujours sur soi, et le pur amour ne regarde que Dieu sans retour sur soi-même.

Le bienheureux Jean de la Croix

3. Voyez Quiétude, § I, no 30.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

4. Le Père Thomas de Jésus. Dans cette union de l’âme avec Dieu, la force de l’âme est tellement absorbée et retirée de ses autres opérations, qu’elle ne peut en aucune manière réfléchir sur elle-même, ou sur les actes de ses puissances (De la contemplation, livre 5, chap. 13). Éclaircissement des phrases de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 4.

Saint François de Sales

5. Il y a des esprits actifs, fertiles et abondants en considérations ; il y en a qui sont souples, repliants et qui aiment grandement à sentir ce qu’ils font, qui veulent tout voir et éplucher ce qui se passe en eux, retournant perpétuellement la vue sur eux-mêmes pour reconnaître leur avancement. Tous ces esprits sont ordinairement sujets d’être troublés en la sainte oraison. De l’Amour de Dieu, livre 6, chap. 10.

6. Voyez Abandon, no 22.

Le Frère Jean de Saint-Samson

7. Voyez Franc-arbitre, no 5.

8. L’amour excessivement réfléchi sur soi ne rend que trop souvent et facilement son sujet imaginaire, si bien qu’il demeure pris dans l’effort de son imagination, quoique plus ou moins spiritualisée. Et vivant d’elle plus que de la foi nue, il la croit et la suit au grand préjudice de Dieu, et à son dommage propre. Diverses lumières appartenantes à la vie contemplative, no 71.

LIV. Renoncement

Moyen court

C’est pourquoi il est si nécessaire de renoncer à soi-même et à ses opérations propres pour suivre Jésus-Christ, car nous ne pouvons point suivre Jésus-Christ si nous ne sommes animés de son Esprit. Or afin que l’Esprit de Jésus-Christ vienne en nous, il faut que le nôtre lui cède la place. Chap. 21, no 7.

Cantique

Les directeurs que Jésus-Christ a véritablement rendus ses compagnons, se les associant pour le gouvernement des âmes, n’étant pas morts eux-mêmes, ni crucifiés au monde avec Jésus-Christ, n’apprennent pas à leurs dirigés à se renoncer et crucifier et mourir en toutes choses, afin de ne vivre qu’en Dieu seul et que Jésus-Christ vivent en eux. D’où il arrive que les uns et les autres étant dans une vie fort naturelle et immortifiée, leur conduite est aussi fort humaine. Chap. I, v.6.

Comment sortir de soi ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle et sans prendre vie en soi ni en rien de créé.

Cette sortie de soi-même par le renoncement continuel de tout propre intérêt est l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Là-même, v. 7.

AUTORITES

L’Imitation de Jésus-Christ

1. Lorsque je me vois destitué de la grâce et abandonné à ma pauvreté, il ne me reste point alors de meilleur remède que la patience et l’entier renoncement à moi-même, pour ne rien vouloir que ce que Dieu veut. Livre 2, chap. 9, § 6.

2. Quittez tout et vous trouverez tout. Renoncez à tous les vains désirs et vous trouverez le vrai repos. Livre 3, chap. 32, § I.

3. Voyez Propriété, nos 4 et 5.

Le bienheureux Jean de la Croix

4. Voyez Sortie de soi, no 10.

5. Ceux qui sont enclins à ces goûts ont une autre grande imperfection, à savoir qu’ils sont fort lâches à marcher par le rude chemin de la Croix, d’autant que l’âme qui aime la saveur, naturellement a du dégoût de l’abnégation. Ils ont plusieurs autres imperfections qui leurs naissent de là et que Notre Seigneur guérit avec le temps, par des tentations, dégoûts, aridités et travaux qui font partie de la nuit obscure. La sobriété et la tempérance spirituelle a une trempe et propriété bien différente, vu qu’elle incline l’âme en tout à la mortification, crainte et subjection, faisant voir que la valeur et perfection des choses ne consiste pas en la multitude, mais à savoir renoncer à soi-même, ce qu’ils doivent essayer de faire autant qu’il sera en eux, jusqu’à ce que Dieu les veuille entièrement purifier, les mettant dans la nuit obscure. Obscure nuit, livre I, chap. 6.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

6. D.[c88]  Barthélemi des Martyrs. Voyez Propriété, no 24.

Le Frère Jean de saint-Samson

7. L’amour renoncé, ou la renonciation et abnégation évangélique, est un abandon entier de tout soi à Dieu en toutes choses, sans aucune exception ni d’œuvres ni de temps. En vertu duquel abandon, la créature n’agit, ne pâtit, ne veut, n’ordonne et n’accepte rien pour soi ni pour son propre contentement, mais pour le seul bon plaisir de Dieu infini. Autant de fois qu’il se présente occasion de vraie perte et abandon de tout soi-même à Dieu, pour son infini amour, l’âme vraiment amoureuse le fait toujours, sans exception.

En effet, l’homme qui veut vivre à Dieu et l’aimer comme il faut doit par nécessité mener une vie renoncée, et Dieu désire cela de nous tous, parce que cette sorte de vie est une disposition nécessaire à son amour et qu’elle nous est plus conforme, quoique plus fâcheuse au sens et à la nature. Or ce qui rend une telle vie si difficile à aborder, et même si inconnue, c’est que l’homme n’est presque jamais que dans les sens. S’il monte plus haut que les sens, il ne veut concevoir les choses divines que par voie d’entendement et croit que toute la sainteté doit consister en la forte élévation et dans le lustre de son entendement illuminé de Dieu pour le connaître et le goûter. De là vient que l’homme ne veut point de cette vie renoncée, etc. (Voyez Opérations propres, no 27.) Esprit du Carmel, chap. 2.

8. Il faut encore savoir que les sujets de renonciation ne sont que peu de chose, tandis qu’on a inclination selon Dieu de se porter ou non à quelque acte de mortification, quoique cela soit de grand mérite si on s’y porte par le seul motif du pur amour. Mais la vraie vie renoncée en totale conformité et uniformité est lorsque Dieu, ou les hommes, ou l’un est l’autre ensemble, exigent de nous que nous allions et vivions à sens tout contraire de nous-mêmes, sans considérations de temps, de lieu ni de personnes.

Quant à la soustraction des satisfactions momentanées que nous ôtons à nos sens, cela est mieux appelé mortification que renonciation. Car la renonciation regarde les choses qui sont de durée et qui nous sont si dures et contraires qu’il semble que nous n’ayons point de liberté pour nous en délivrer ou pour faire autrement que ce qui se présente à souffrir, quoique nous soyons très libres, même à vouloir cela en notre amoureux désir et en notre amoureuse souffrance. Que si les croix, tant d’esprit que du corps, nous sont si douloureuses, pesantes et ennuyeuses[c89] , et de si grande durée que cela passe encore au-delà de ce que je viens de dire, alors nous passons de l’état de renonciation à celui de résignation. Là-même.

9. Cette vie renoncée est si surnaturelle qu’elle est par-dessus tous les miracles que les saints ont opérés et opèrent en Dieu. Aussi se trouve-t-il très peu d’hommes qui l’exercent fidèlement. Car il y a beaucoup à pâtir et même, ce me semble, parfois tout — ce qu’il ne faut pourtant pas croire, mais il semble que cela est ainsi, à cause de la grande nudité, destitution et faiblesse dont on est aggravé, avec une totale ignorance de soi et de Dieu, et une entière effusion de ses puissances inférieures. Ce qui fait qu’on ne sait si on est mort ou vif, si on perd ou si on gagne, si on consent ou si on résiste. C’est là que l’âme agonisante, rendant la vie à Dieu, meurt et expire plus de douleur et d’angoisse que d’amour, ce lui semble. Mais cette amoureuse douleur et angoisse qu’elle souffre entre ses bras divins, demeurant là pour jamais entièrement soumise, renoncée et résignée à tout ce qui est de son bon plaisir. Or cette perfection est totalement accomplie et consommée quand on est devenu simple et fort en habitude passive, soit pour contempler Dieu éternellement en très simple et très nue adhésion, ou pour lui adhérer simplement et uniquement en moindre état et constitution. Ou bien pour être totalement perdu et submergé en cette mer infiniment large, vaste et profonde, en laquelle on est totalement refus[c90] , simple et éternel, comme elle-même par-dessus toute distinction. Là-même.

10. Voyez Opérations propres, no 29.

11. Mais comme il n’est pas tant ici question de cet amour actif comme du passif, vraiment et entièrement renoncé pour toujours, tant à sentir qu’à ne sentir pas les grâces et dons de Dieu et autres choses semblables, ce dernier nous est bien plus sortable[c91]  parce que nous y pouvons donner plus de satisfaction à Dieu qu’en l’état précédent. C’est donc à quoi il faut nous résoudre, ne laissant rien à faire ou à endurer qui soit en notre pouvoir, afin d’effectuer selon le bon plaisir de Dieu notre Amour.

Or c’est un profond secret, qu’amour hautement exercé en soi-même, par tout le sujet, en tout son objet qui est Dieu, est infiniment autre en état et en constitution, que d’agir et de vivre seulement selon la volonté de Dieu. Quand vous serez perdu entièrement au vaste infini du total océan du même amour, vous verrez si je dis vrai et pourquoi. J’ai bien voulu le dire, afin que vous laissiez le moins noble pour le plus noble, et ce qui est moins, quoique beaucoup, pour avoir le tout. Miroir et flammes d’amour, chap. 3.

12. Voyez Abandon, no 32.

Ce commandement de Jésus-Christ : (a)[c92]  Renoncez-vous vous-même, est plus que suffisant pour justifier cette proposition.

a. Matth. 16. V. 24 etc.

LV. Résurrection. Vie nouvelle.

Cantique

Pour cette âme, la mort est passée sur toutes choses extérieures, en sorte qu’il n’y a rien qui la puisse satisfaire. S’il y paraît encore quelque chose, c’est un renouvellement d’innocence. Chap. 2, v. 11.

Jusqu’à ce, dit l’Époux, que le jour de la vie nouvelle, que vous devez recevoir en mon Père, commence à paraître et que les ombres qui vous tiennent dans l’obscurité de la foi la plus nue, s’abaissent et se dissipent, je m’en irai sur la montagne de la myrrhe. Chap. 4, v. 6.

L’Épouse invite l’Esprit saint, l’Esprit de vie, de venir souffler en elle, afin que ce jardin si rempli de fleurs et de fruits répande son odeur pour l’utilité de plusieurs âmes.

C’est aussi l’Époux qui demande que la résurrection de cette Épouse se fasse bientôt et qu’elle reprenne une nouvelle vie par le souffle de cet Esprit vivifiant, qui est celui qui doit ranimer et faire revivre cette âme anéantie, afin que le mariage soit parfaitement consommé. Là-même, v. 16.

L’Époux ne veut pas non plus que sa Bien-Aimée soit éveillée jusqu’à ce qu’elle s’éveille par l’effet de la voix toute-puissante de Dieu qui l’appelle du tombeau de la mort à la résurrection spirituelle. Chap. 8, v. 4.

Il leur en reste une qualité maligne et opposée à Dieu, jusqu’à ce que Dieu, par de longues, fortes et fréquentes opérations, ait ôté cette qualité maligne, tirant l’âme d’elle-même, lui ôtant toute son infection, lui redonnant une grâce d’innocence et la perdant en lui. C’est ce qu’il appelle la ressusciter innocente du même lieu où sa mère, qui est la nature humaine, fut corrompue. Là-même, v. 5.

AUTORITES

Saint Denys

1. Pour avoir l’être divin, il faut divinement renaître. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 2.

2. Le Bien donc qui est par-dessus toute lumière est appelé lumière spirituelle, comme étant un rayon fontal et originaire, une effusion de lumière qui regorge de toutes parts et qui de sa plénitude illumine tout l’esprit, soit par-dessus le monde, soit autour du monde, soit aussi dans le monde, qui renouvelle toutes leurs puissances et facultés intellectuelles, qui les embrasse et les contient tous. Des noms divins, chap. 4.

Saint Augustin

3. Voyez Consistance, no 5.

Saint Climaque

4. D’autres disent que cette tranquillité est une résurrection de l’âme qui précède celle du corps. Échelle sainte, degré 29, art. 4.

Henri Suso

5. L’homme, pour avancer et pour être spirituellement ressuscité et régénéré en Dieu, doit être mort à la nature déréglée et toujours réfléchie sur elle-même. Dialogue de la vérité, chap. 10.

Le bienheureux Jean de la Croix

6. Dieu fait ainsi défaillir l’âme à tout ce qui n’est point Dieu, pour la revêtir de nouveau, étant dénuée et dépouillée déjà de sa vieille peau. Ainsi sa jeunesse se renouvelle comme celle de l’aigle, demeurant revêtue du nouvel homme, lequel, comme dit l’Apôtre (a)[c93] , est créé selon Dieu. Ce qui n’est autres chose qu’illuminer l’entendement d’une lumière surnaturelle, en sorte que l’entendement humain se fasse divin étant uni avec le divin. Obscure nuit, livre II, chap. 13.

a. Ephes. 4. v. 24.

7. Voyez Mort entière, no 9.

8. Voyez Mort entière, no 10.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria

9. Notre docteur mystique dit (Vive Flamme, cant. 1, v. 6.) qu’aux âmes parfaites, en cet état tout se convertit en amour et en louanges, n’y ayant déjà plus de levain qui corrompe la pâte, laquelle façon de parler est très véritable et tirée de saint Paul, qui dit : (b)[c94]  Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte toute nouvelle. Éclaircissement des phrases Myst.[c95]  de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 14, § 3.

(b) I Cor. 5. v.7.

Le même rapporte :

10. Saint Bernard. Voyez Purification, no 51.

11. Saint Ambroise. Voyez Création, no 12.

Saint François de Sales

12. Voyez Défauts, no 12.

Le Frère Jean de Saint-Samson

13. Or certains de ceux-ci se sont exercés à cela si heureusement, qu’ils jouissent à présent très abondamment, même pleinement, des fruits éternels de leur amoureux labeur, en la pleine possession desquels on les pourrait dire bienheureux, autant qu’on peut être en cette vie. Certes on ne peut rien dire de cette excellente perception, non pas même ceux qui jouissent de ce bien et quoique leurs écrits en expriment des choses grandes, cela néanmoins n’est rien au respect de ce qui en est : toutes les démonstrations possibles ne sont rien et n’en expriment rien. Là il n’y a que silence et sérénité en amour ineffable. Esprit du Carmel, chap. 14.

14. Tout ainsi que le soleil fait diversement ses effets sur la terre, à proportion qu’il en est proche ou éloigné, afin de la rendre féconde pour le bien des hommes, ainsi le divin soleil de justice ne manque point de produire les effets de son amour dans les hommes, aux uns plutôt, aux autres plus tard, et en différent degré[c96] , selon qu’il trouve la terre de leur cœur diversement disposée à cela par la grâce. La saveur et l’expérience que nous avons de cette vérité nous est si délicieuse que nous ne le pouvons assez exprimer. Et c’est de cette manière que nous pénétrons tous les effets de cet amour, lesquels il ne produit dans les âmes que les enrichir de plus en plus de ses grâces, les élevant en lui et leur découvrant sa beauté et vives splendeurs, afin de les rendre parfaitement amoureux de lui-même, dont la vue et le goût éternel leur cause tout bien.

Par ces fréquents effets et ces divins succès, ils se dépouillent du vieil homme et se revêtent du nouveau qui est divin en eux et qui les rend divins en lui. Et cela se fait selon les divers degrés de grâce et selon la profonde lumière qu’ils ont reçue par le merveilleux écoulement de la divine sapience.

Ceux qui gisent au-dehors, dans la vie active, et qui y veulent reposer, n’arriveront point aux splendeurs, manifestations et délices de la vie intérieure. Au reste, celui qui est simple selon ces vérités se donne bien de garde de s’empêcher au-dehors ni au-dedans, qui est beaucoup dire, faisant plus de cas infiniment de son simple fond, auquel il est totalement réduit et transfus, que de tout ce que son fond même lui peut produire pour l’occuper et le tirer tant au-dehors qu’au-dedans.

C’est là que l’âme se délecte de Dieu lui-même en simplicité d’esprit et de repos par-dessus la compréhension. Là-même, chap. 15.

LVI. Sacrifice

Moyen court

La prière doit être et oraison et sacrifice.

Il faut que l’âme se laisse détruire et anéantir par la force de l’amour. C’est un état de sacrifice essentiel à la religion chrétienne. Par là, l’âme se laisse détruire et anéantir pour rendre hommage à la souveraineté de Dieu. Chap. 20, no 1 et 3.

Cantique

Une âme de ce degré porte un fond de soumission à toutes les volontés de Dieu, de manière qu’elle ne voudrait rien lui refuser. Mais lorsque Dieu explique ses desseins particuliers et qu’usant des droits qu’il s’est acquis sur elle, il lui demande les derniers renoncements et les plus extrêmes sacrifices, ah, c’est pour lors que toutes ses entrailles sont émues et qu’elle trouve bien de la peine où elle croyait ne plus en avoir. Et cette peine vient de ce qu’elle était attachée à quelque chose sans le connaître. Chap. 5, v. 4.

L’âme n’a pas plutôt reconnu sa faute qu’elle s’en repent et se relève par un renouvellement d’abandon et une étendue du sacrifice. Ce n’est pas toutefois sans douleur et amertume : la partie inférieure et toute la nature est saisie de tristesse et de frayeur. Toutes ses actions même en sont rendues plus pénibles et plus amères, mais de l’amertume la plus forte qu’elle eût encore éprouvée. Là-même, v. 5.

AUTORITES

L’Imitation de Jésus-Christ

1. Voyez Joie de l’âme, no 5.

Le bienheureux Jean de la Croix

2. Voyez Union, no 58.

Saint François de Sales

3. Lorsque la peste attaqua le diocèse de saint Charles, il s’immola en esprit au bon plaisir de Dieu, et en baisant tendrement cette croix, il s’écria du fond de son cœur avec saint André : « Je te salue, ô croix précieuse ! Je te salue, ô tribulation bienheureuse, ô affliction sainte, que tu es aimable ! » De l’Amour de Dieu, livre 12, chap. 9.

4. J’ajoute au sacrifice de saint Charles, celui du grand patriarche Abraham, comme une vive image du plus fort amour qu’on puisse imaginer en créature quelconque. Il sacrifia certes toutes les plus fortes affections naturelles qu’il pouvait avoir, lorsqu’entendant la voix de Dieu qui lui disait : (a)[c97]  Sors de ton pays et de ta parenté et de la maison de ton père, et viens au pays que je te montrerai, il sortit soudain et se mit promptement en chemin sans savoir où il irait.

a. Gen. 12. V. 1 ;

Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qu’il fit après (a[c98] ), quand Dieu l’appelant par deux fois et ayant vu sa promptitude à répondre, il lui dit : Prends Isaac ton enfant unique, lequel tu aimes, et va en la terre de vision où tu l’offriras en holocauste sur l’un des monts que je te montrerai. Car voilà ce grand homme qui part soudain avec ce tant aimé et tant aimable fils, fait trois journées de chemin, arrive au pied de la montagne, laisse là ses valets et l’âne, charge son fils Isaac du bois requis à l’holocauste, se réservant de porter lui-même le glaive et le feu. En montant, l’enfant lui dit : Mon Père, voici le bois et le feu, mais où est la victime de l’holocauste ? À quoi il répondit : Mon enfant, Dieu se pourvoira de la victime de l’holocauste.

a. Gen. 22. V. 1-10.

Qu’il lie son fils pour l’immoler, il l’a déjà sacrifié dans son cœur. Ah ! de grâce, voyez donc quel holocauste ce saint homme fit en son cœur. Là-même, chap. 10.

5. Voyez Franc-arbitre, no 4.

Monsieur Olier

6. Le malin esprit a demandé de vous cribler, dit Jésus-Christ à ses disciples (b)[c99] . Par là il les disposait à la grande tentation qu’ils souffrirent en sa mort, qui était l’heure de la puissance des ténèbres, en laquelle Dieu avait lâché la bride à la malignité des démons. Pendant tout ce temps-là, tous les disciples, hormis saint Jean, quittèrent le Fils de Dieu. Mais la Sainte Vierge demeura inébranlable dans la foi de son Fils et dans l’estime de sa grandeur. Tenez-vous (c) [c100] avec elle recueillie en silence et en paix au pied de la croix de Jésus-Christ. Tenez-vous intimement unie à la vertu et à la force de cette divine Mère, laquelle l’Écriture sainte nous marque avoir été debout sur le Calvaire, pour exprimer la force de son cœur et la constance dans la tribulation de la croix qui était inexplicable. Lettre 153.

       b. Luc 22. V. 31.

c. Disposition admirable dans le temps du sacrifice.

7. Mourez donc, je vous prie, à cette partie inférieure et délicate de vous-même, et par là vous ferez un sacrifice qui méritera votre résurrection spirituelle, étant toute revêtue de Dieu et de sa vie par la mort de tout vous-même. Que si vous êtes ainsi morte à tout vous-même et vivante à Dieu seul, votre vie, qui est maintenant cachée au fond de vous avec Jésus-Christ, éclatera en vous et rejaillira hors de vous-même. Ce sera là le fruit de votre mort et de la sépulture entière de vous-même et ce que vous devez espérer, après que vous aurez enseveli votre vieil homme et toutes vos propres facultés dans l’Esprit de Dieu et dans sa propre vie. Pour cela accoutumez-vous surtout, comme je l’ai dit, à la mort de l’esprit, le soumettant aux jugements et aux pensées d’autrui. Cela vous acquerra facilité pour cette mort que mille fois je veux vous répéter et sans laquelle vous n’aurez jamais en vous la vie divine. Car elle ne se donne à l’âme qu’après qu’elle est morte à sa propre vie, puisque c’est de la mort à elle-même qu’elle doit ressusciter à la vie de Jésus-Christ. Lettre 169.


 

LVII. Saints inconnus

Ces saints sont inconnus et même persécutés.

Cantique

C’est là ce qu’une âme bien abandonnée à son Dieu souffre parmi celles qui ne le sont pas. Car les autres font tout ce qu’elles peuvent pour la retirer de sa voie. Mais de même que le lis conserve et sa pureté et son odeur au milieu des épines, sans en être endommagé, aussi ces âmes sont conservées par leur Époux au milieu des contrariétés qu’il faut qu’elles essuient de la part de ceux qui n’aiment qu’à se conduire eux-mêmes et à se multiplier dans leurs propres pratiques, n’ayant point de docilité pour suivre le mouvement de la grâce. Chap. 2, v. 2.

C’est une chose étrange comme les créatures, même (a)[c101]  spirituelles, s’empressent de retirer l’âme de ce doux sommeil. Là-même, v. 7.

       a. Toutes les personnes qui commencent à servir Dieu sont ordinairement persécutées des gens du monde parce que la retraite de celles-là est une condamnation publique du désordre de ceux-ci. Mais d’autant plus qu’elles sont persécutées de ces sortes de personnes, d’autant plus sont-elles estimées des honnêtes gens. Il n’en est pas de même des personnes intérieures. Elles sont non seulement persécutées des gens du monde libertins, non seulement des honnêtes gens, mais beaucoup plus des dévots et spirituels qui ne sont pas intérieurs. Ceux-ci le font par zèle, ne connaissant point d’autres voies que celle qu’ils pratiquent. Mais ils reçoivent les derniers outrages des faux dévots et faux spirituels, parce que comme Dieu les éclaire de sa vérité, ils connaissent leurs désordres, leur malice et leur hypocrisie. Et il y a une pareille opposition entre ces gens là et les vrais spirituels, qu’entre les Anges et les diables.

Mais venez aussi des repaires des lions et des montagnes des léopards, car ce ne sera qu’à travers des plus cruelles persécutions des hommes et des démons comme d’autant de bêtes féroces que vous pourrez arriver à un état si divin. Chap. 4, v. 8.

Comme l’écorce est la moindre partie de la grenade, et qui [c102] renferme en soi toute sa bonté, aussi ce qui paraît extérieurement de l’âme de ce degré est très peu de chose au prix de ce qui est caché. Le dedans est plein de la plus pure charité et des grâces les plus réservées, couvertes cependant d’un extérieur très commun, car Dieu prend plaisir de cacher les âmes qu’il veut pour lui-même. En sorte que ceux qui en jugeraient selon l’apparence, les croiraient des plus communes, quoiqu’elles soient les délices de Dieu.

Ce ne sont point de celles-là qui éclatent dans le monde, ni par les miracles, ni par les dons extraordinaires : tout cela est trop peu pour elles. Dieu se les réserve et il en est si fort (a) [c103] jaloux qu’il ne les expose pas aux yeux de hommes, au contraire il les scelle de son sceau, comme il dit lui-même que son Épouse est (b)[c104]  la fontaine scellée, dont il est lui-même le sceau. Mais pourquoi la tient-il scellée ? C’est que (c)[c105]  l’amour est fort comme la mort et la jalousie dure comme l’Enfer. Oh, que ceci exprime bien ce que j’avance ! Car comme la mort enlève tout à celui qu’elle tient, aussi l’amour arrache tout à l’âme et la cache dans le secret d’un sépulcre vivant. La jalousie de Dieu est dure comme l’enfer, en ce qu’il n’y a rien qu’il ne fasse pour posséder pleinement ses épouses. Chap. 6, v. 6.

       a. Vraiment, ô mon Dieu, vous êtes un Dieu jaloux ! Il se nomme de ce nom dans l’Exode (Ch. 34. V. 14). La raison de la jalousie de Dieu est le peu qu’il y a d’âmes qui se donnent à lui sans réserve : il ne saurait souffrir de partage. C’est pourquoi il n’a que très peu ou point de goût pour les âmes partagées. Mais pour celles qui se sont données à lui sans partage, il les aime et les regarde comme son propre bien.  Il use sur elles de tous ses droits, sans que le franc-arbitre l’en empêche, parce que la donation est franche, entière et très libre. Mais aussi, il a pour elles une jalousie proportionnée à l’amour qu’il leur porte. Il ne peut leur souffrir aucune tache : ce sont de ces pièces rares qu’on renferme avec soin dans les cabinets et qu’on n’expose point aux yeux des hommes.

       b. Cant. 4. V . 12.

       c. Cant. 8. V. 6.

Le raisin a cela de propre que quoiqu’il soit plein de liqueur, ce n’est point pour lui, mais il donne ce qu’il renferme à celui qui le presse. Cette âme est de la sorte : plus elle est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux-mêmes qui lui font du mal. Chap. 7.v.7.

AUTORITES

Sainte Catherine de Gênes

1. Voyez Opérations de Dieu, no 6.

Sainte Thérèse

2. Voyez Communications, § II, no 4.

3. Voyez à ce propos comment les saints se réjouissaient au milieu des injures et des persécutions, parce qu’ils avaient quelque chose à offrir à Notre Seigneur. Chemin de perfection, chap. 36.

4. Voyez Souffrance, no 2.

Le Frère Jean de Saint-Samson

5. Voyez Opérations de Dieu, no 17.

6. Ces saints hommes ne savent ce que c’est du nom de saint, ni de sainteté, en eux ni pour eux, quoiqu’ils le sachent bien pour les autres, croyant qu’il ne leur est dû que perpétuelle confusion et ignominie pour leurs péchés. Ils savent seulement ce que c’est que de parfaitement aimer. C’est ce qui fait qu’ils ne se soucient pas comment ni quand mourir, ne craignant non plus la justice divine à la mort qu’en la vie ; et il ne leur importe de mourir seuls ou en public, confessés ou non, quoiqu’ils ne négligent pas de recourir aux sacrements de l’Église. Ils meurent assurément et avec une renonciation de tout soi et par cela même ils sont inconnus aux hommes. C’est pourquoi les diables ont fort peu d’avantage sur eux à ce point de la mort, et ainsi ils meurent plus d’amour que de douleur. Cabinet mystique, IIe partie, chap. 4, no 5.

7. Ces âmes, ô mon amour, sont autant de petites divinités sur la terre, inconnues aux médiocrement spirituels qui ne sont point fondus, réduits et tout perdus en votre immensité, comme elles. C’est pourquoi n’étant pas de même esprit et de même vie, ils les ont à dégoût et souvent à dédain, jusqu’à les calomnier et diffamer, même devant les plus saints. Mais tout cela ne leur sert que pour se mieux enfoncer et se perdre irrécupérablement en vous, ô mon Amour, où elles sont entièrement libres et exemptes des atteintes des langues envenimées et serpentines de ces misérables. Le dernier et le plus haut terme de la sagesse de ces calomniateurs et faux spirituels ne consiste qu’en eux-mêmes. Ils sont enlacés et conduits partout comme indignes esclaves de leurs plus secrètes et occultes propriétés intérieures qui les remplissent d’eux-mêmes et de leurs propres inventions subtiles et diverses, et qui les tiennent ainsi misérablement captifs et serfs d’eux-mêmes. Peut-être qu’en plusieurs d’entre eux, ce mal continuera jusqu’au point de la mort, où leurs yeux seront ouverts.

Mais, mon Amour, quelles sont ces secrètes propriétés ? Ce sont les effets de l’amour-propre et de la superbe spirituelle et très déliée. C’est de là que naît le propre jugement, propre bon-sembler, propre complaisance, propre sagesse, propre recherche en toute occasion. Tout cela n’a de source ni de fin que l’amour de soi-même, et ce sont des vices couverts du manteau de sainteté et des prétextes de vous plaire et de vous aimer. Cependant ces personnes ne sont devant vous qu’ordure et qu’esprit renversé, qui se plaît dans son propre malheur, mais d’une manière subtile et spirituelle. Ils ont une grande estime de leurs voies, de leurs œuvres, de leurs mérites, de leurs sentiments, en un mot d’eux-mêmes. Et pour se couvrir, ils s’humilient par des humiliations feintes et hypocrites devant ceux qu’ils savent éloignés de les croire tels, et desquels au contraire ils attendent des louanges pour s’en chatouiller et s’en délecter à plaisir. Contemplation 3.

8. Voyez Opérations de Dieu, no 20.

9. Ces vrais sages sont bien éloignés (a[c106] ) de l’esprit d’exagération et de toute indignation, abhorrant les extrêmes comme l’enfer. Aussi savent-ils qu’il ne peut rien arriver à aucun pécheur, tant selon les misères de l’esprit que du corps, qui ne leur puisse arriver par la divine permission. Il est vrai qu’aux pécheurs cela arrive par châtiment, et aux justes, c’est pour leur exercice et leur lustre, pour l’épreuve de leur amour, et pour faire en cela leur purgatoire en cette vie. C’est pourquoi il importe infiniment que ces personnes adhèrent aux jugements secrets de Dieu comme elles font, sachant bien leur infinie profondeur, et qu’ils sont redoutables et adorables comme lui-même en tout ce qu’il permet arriver aux hommes. De la simplicité, traité V, no 25.

a. Ce qu’il veut dire, c’est que quoi qu’ils expriment des grâces de Dieu, ils n’exagèrent point en parlant simplement de leurs expériences. Ils n’ont point non plus d’indignation contre leurs persécuteurs, sachant de quoi ils sont capables.

10. Or c’est la vérité que Dieu prend si grand plaisir au suprême lustre et sainteté des saints, que pour en exercer certains, il permet assez souvent que toute son Église souffre très grande perte et dommage. Témoin saint Bernard en l’exercice qui lui fut donné touchant la prédication de la croisade ; et le roi saint Louis, l’exercice et la fidélité duquel ne se peut voir sans pleurer de compassion et d’étonnement.

Il pourrait sembler aux personnes trop basses, sensibles et faibles, que Dieu ne devait pas se comporter ainsi au préjudice de toute l’Église et pour le bien et le lustre d’une seule âme. Mais c’est un sentiment puéril et une très grande faiblesse et ignorance, attendu que Dieu a aussi peu à faire de tout le créé que de ce qui n’est point. Et comment dira l’argile au potier qui la met en œuvre, pourquoi il lui donne plutôt une forme qu’une autre et pourquoi il la détruit selon son bon plaisir ?[c107]  Qui est-ce qui pourra reprocher à Dieu ce qu’il fait ou ne fait pas ? Et qui pourra lui imputer à tort, si en un moment il veut anéantir tout le créé ? Il importe infiniment à tout chrétien et à plus forte raison, aux fidèles serviteurs de Sa Majesté, de savoir que sa raison souveraine n’est pas conforme au sens et jugement des hommes qui sont tout répandu en la chair et au sang, et qui tels qu’ils soient, ne sont que terre au respect de la vue et des sentiments que les anges, esprits très purs, ont des raisons et des ordonnances de Dieu lui-même.

C’est une nécessité de nous dépouiller ici du vieil homme et par conséquent de recevoir temporellement le châtiment dû à la justice divine, en la corruption de notre vieil homme à cause duquel nous sommes répandus et totalement plongés dedans les ordures d’innombrables péchés qui accompagnent notre langoureuse vie. C’est pourquoi Sa Majesté, autant juste que miséricordieuse, fait un très grand bien et un avantage incomparable à ses créatures quand il se résout de les châtier, ce semble, à toute rigueur ici-bas, leur ôtant même la vie comme chose qui lui appartient et dont il peut faire ce qui lui plaît et comme il lui plaît, avec bonté, justice et équité. Car en son ordre et prescience éternelle, plusieurs ne seront jamais justes ni sauvés que par le moyen de ses très justes châtiments. Et les autres ne seraient pas sauvés si excellemment ni avec tant de gloire qu’ils le seraient pour s’être donnés en proie à la vie et à la mort à Sa divine Majesté.

Il faut (a) [c108] même aller jusque-là que, sans aucune considération de notre propre intérêt, nous désirions que le bon plaisir de Dieu soit fait éternellement à tout événement, vu qu’il en est infiniment digne. De la simplicité, traité V, nos 25 et 26.

a. Sentiments qui ne peuvent venir que d’un amour exquis.

11. Ces personnes sont déjà si parfaitement renouvelées et changées en leur chair mortelle, pleinement assujettie à l’esprit, que ce sont autant d’excellentes déités en terre, séparées et cachées du monde, totalement mortes et crucifiées au monde et à qui le monde est crucifié. Elles connaissent très bien le monde, quel il est, et le monde ne les connaît point. Que si d’aventure il leur est nécessaire de traiter avec lui pour la gloire de Dieu, il les persécute et les outrage cruellement par médisance et calomnie, comme ne les pouvant supporter, à cause de leur vie totalement contraire à la sienne. De la refusion de l’homme en Dieu, traité II, no 27.

12. Voyez Opérations de Dieu, no 23.

LVIII. Scandale

On se scandalise de cet état.

Cantique

On m’objectera que cette âme n’est pas si cachée puisqu’elle aide au prochain. Mais je réponds que c’est ce qui la couvre d’abjection, Dieu se servant de cela pour la rendre plus méprisable à cause des contradictions qu’il faut qu’elle essuie. Pour l’ordinaire, Dieu permet que l’extérieur commun de ces âmes choisies scandalise même ceux qui ont part à leurs grâces, jusque-là qu’ils s’en séparent souvent après que Dieu en a tiré l’effet qu’il prétendait.

L’Époux traite en cela son Épouse comme lui-même. Tous ceux qu’il avait gagnés à son Père (a) [c109] ne furent-ils pas scandalisés[c110]  en lui ? Que l’on examine un peu la vie de Jésus-Christ : rien de plus commun quant à l’extérieur. Ceux qui font des choses plus extraordinaires sont les copies des saints, desquels Jésus-Christ a dit (b)[c111]  qu’ils feraient de plus grandes œuvres que lui. Ces âmes sont d’autres Jésus-Christ en terre, c’est pourquoi on y remarque moins (c)[c112]  les traits des saints, mais pour les caractères de Jésus-Christ, si on les examine de près, on les y verra très clairement. Cependant Jésus-Christ (d)[c113]  est un sujet de scandale aux Juifs et semble une folie aux Gentils. Ces personnes scandalisent souvent dans leur simplicité ceux qui, attachés aux cérémonies légales plutôt qu’à la simplicité de l’Évangile, ne regardent que l’écorce de la grenade sans pénétrer le dedans. Chap. 6, v. 6.

a. Marc 14. V. 27.

b. Jean 14. V. 12.

c. Je veux dire les traits extraordinaires des Saints qui ont paru davantage : car il est certain que leur sainteté consiste à imiter Jésus-Christ.

d. 1 Cor. 1. V. 23.

 

AUTORITES

Sainte Catherine de Gênes

1. Il y a plusieurs personnes qui s’en étonnent et s’en scandalisent, parce qu’ils n’en savent pas la cause. Et si ce n’était que Dieu me soutient, je serais estimée du monde comme une folle. En sa Vie, chap. 22.

2. Qui voit ces créatures-là et n’entend pas quelles elles sont, les admire plutôt qu’il ne s’en édifie. Nul n’en doit porter jugement, s’il ne veut se tromper. Dialogue, [c114] livre III, chap. 10.

Sainte Thérèse

3. Voyez Humilité, no 6

Le Frère Jean de Saint-Samson

4. Il faut vivre inconnu entre les meilleurs hommes et n’être connu que Dieu seul et de ceux qui sont vraiment humbles, dont fort souvent le nombre est si petit qu’à peine en peut-on trouver un seul. Il vaut mieux passer pour indiscret et imprudent que de se justifier là-dessus, si ce n’était au respect des esprits grandement faibles ; mais à l’égard de ceux qui sont grandement sages à leurs propres yeux et qui pour cela sont curieux et subtils examinateurs et scrutateurs des esprits, il ne faut pas le faire. Esprit du Carmel, chap. 9, § 9.

5. Voyez Humilité, no 16.

6. Voyez Humilité, no 17.

7. Disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état demeurent dès là m[c115] ême ignorés et inconnus et qu’ils sont différents de beaucoup d’assez saints et excellents mystiques. On ne voit et on ne comprend point comment cela peut être vrai en eux, d’autant qu’on les voit très libres à l’action, dont même les bons et les saints font conscience. Mais il faut savoir que plus on est devenu esprit et divin, à force d’agir, de (a)[c116]  fluer, de pâtir et de mourir en Dieu, et à force d’aimer, soit dans l’amour, soit par-dessus l’amour, moins (b) doit-on être compris et jugé en ces voies, si ce n’est par un esprit tout semblable. Je ne les dis ni ne les crois pas impeccables, mais leurs fautes sont fort légères et fort petites devant Dieu. Esprit du Carmel, chap. 9, § 21.

a. Fluer veut dire se perdre ne Dieu

b. Je crois que c’est ce que St Paul a voulu dire que le spirituel juge de tout et n’est jugé de personne (1 Cor. 2. V. 15)

8. Je dirai seulement que la vraie liberté des saints et vrais spirituels, dans son action sortie, est prise de ceux qui ne le sont pas pour la même[c117]  superbe. Aussi est-il vrai qu’à cause des défauts qui s’y peuvent rencontrer, il n’est rien de plus difficile à connaître que la vraie humilité en telles personnes, d’autant que la vraie liberté n’en fait rien paraître en ses actions et paroles sorties. Car cette même liberté outrepasse tout propre intérêt, tant en soi-même qu’en autrui. Elle franchit librement toute crainte et respect humain, n’envisageant que la pure gloire de Dieu, que ces personnes-là désirent ardemment sur toutes choses, mourant à tout ce qui est du dehors et même à cette pratique.

Aussi est-il impossible que ce qui n’a rien de l’esprit voie et goûte l’esprit dans les actions et paroles sorties du vrai spirituel, d’autant que les vues de l’esprit sont simples et uniques en leur élévation, pénétration et étendue, et qu’elles pénètrent d’un clin d’œil des vérités infinies. Là où ceux qui leur sont contraires ne font état que des actions de vertus et de perfection acquise et conservée à force de bras. C’est pourquoi ils jugent les parfaits par leur propre imperfection et défaut et sont souvent blessés d’amertumes dans leur cœur et d’autres immortifications intérieures, par exemple de défiance et d’aversion de ces personnes spirituelles, ne pouvant plus croire de bien d’elles qu’à force de persuasion et à très grande peine.

Cependant ces personnes de si bas aloi ne sont en comparaison des spirituels totalement perdus[c118] , que terre, que sens, que tout désordre, qu’immortification de leurs mouvements et passions au-dedans, spécialement sur le fait des actions d’autrui ; ce qui serait encore bien plus véritable si elles étaient en autorité, (a) [c119] parce que cela leur donnerait toute licence de faire ainsi. Cabinet mystique, I, chap. 7.

a. On rapporte à ce propos du B. Jean de la Croix dans sa vie  que dans l’extrémité des peines qu’ils souffrit dans sa dernière maladie, le Prieur du Couvent le traita et le persécuta avec une dureté incroyable, lui refusant tout ce qui pouvait lui donner quelque soulagement, soit dans le corps, soit dans l’esprit et lui procurant tous les ennuis qu’il pouvait. Voyez la Vie du B.J. de la Croix, écrite par l e R.P. Joseph de Jésus-Maria. Livr ; 3. Ch. 17. Voyez aussi dans le Ch. 15 et 19, une autre persécution que le Définiteur de l’Ordre lui suscita environ le même temps.

9. Voyez Opérations de Dieu, no 24.


 

LXI. Sentiments

Dieu est au-dessus des sentiments.

Cantique

Quand le cœur de l’homme est assez fidèle pour vouloir outrepasser tous les dons de Dieu, afin de ne s’arrêter qu’à Dieu même, Dieu prend plaisir de le combler de ces mêmes dons qu’il ne recherche pas.

Ici l’Épouse préfère son Dieu à ses consolations spirituelles et aux douceurs de la grâce qu’elle éprouvait en suçant le lait de ses mamelles. Chap. 1, v. 3.

Les affections qui naissent de votre cœur sont si éloignées des choses de la terre qu’elles s’élèvent au-dessus des dons les plus excellents pour ne s’arrêter qu’à moi seul. Chap. 4, v. 1.

Autorités

Saint Denys

1. Après avoir parlé admirablement de cette première cause de toutes choses, il conclut : Bref, elle n’est ni n’a en soi chose quelconque qui puisse tomber sous les sens. Théologie msytique, chap. 4.

Sainte Catherine de Gênes

2. Tous les sentiments de l’âme sont tellement saisis et liés en cet amour qu’ils ne savent où ils sont ni ce qu’ils sont. Ils ne connaissent ni ce qu’ils ont fait, ni ce qu’ils doivent faire. Dialogue, livre III, chap. 7.

Sainte Thérèse

3. J’ai dit autrefois, et je le répète encore, que celui qui commence ne se souvienne point qu’il y ait des caresses et consolations en ceci, parce que c’est une façon fort basse de commencer un édifice si noble et si précieux. Château de l’âme, dem. II, chap.1.

Le bienheureux Jean de la Croix

4. Voyez Communication, § I, no 1.

5. Celui qui se veut beaucoup appuyer sur le sens corporel ne sera guère spirituel. Je dis ceci pour ceux qui pensent que par leur seule force et opération de leur sens vil et abject, ils parviendront à la hauteur et aux forces de l’esprit. Non, non, personne n’arrive ici, sinon que le sens corporel demeure dehors. C’est toutefois autre chose (a) [c120] quand il dérive de l’esprit quelque affection de sentiment aux sens, parce qu’il peut y avoir en cela beaucoup de spirituel, comme en saint Paul, dont (b) [c121] le grand sentiment qu’il avait des douleurs de Jésus-Christ redondait en son corps, ainsi qu’il écrit aux Galates : (c)[c122]  Je porte en mon corps les stigmates de Notre Seigneur Jésus-Christ. Vive flamme d’amour, cant. II, v. 2.

       a. Différence entre être remué par le sentiment, ou qu’il rejaillisse du fond sur les sens.

       b. C’est ce que j’ai appelé porter les états de Jésus-Christ. Moyen court. Ch. 8. n. 1 etc.

       c. Gal. 6. V. 17.

6. L’âme goûte ici par une admirable manière et participation de toutes les choses de Dieu, Sa Majesté lui communiquant la force, la sagesse, l’amour, la beauté, la grâce et la bonté. Parce que comme Dieu est tout cela, l’âme les goûte toutes par un seul attouchement de Dieu par une certaine éminence ; et parfois, de ce bien de l’âme, il découle sur le corps quelque peu de l’onction de l’esprit, qui semble pénétrer jusqu’aux os, conformément à ce que dit David : (a)[c123]  Tous mes os diront : Seigneur, qui est semblable à vous ! Et d’autant que tout ce qu’on en peut dire est au-dessous de la chose, il suffit de dire que cela sent la vie éternelle. Là-même, V, 4.

a. Ps. 34. V. 10.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

7. Saint Bonaventure. Il y a aussi des douceurs sensibles et suavités d’expérience qui sont quelque fois octroyées et infuses aux âmes dévotes, lesquelles étant véritables et venant de Dieu, nous pouvons croire qu’elles sont données à certains apprentis qui n’entendent pas encore clairement les choses spirituelles, afin qu’au moins ils soient consolés du Seigneur par des choses sensibles, puisqu’ils ne connaissent pas encore la vérité des choses purement spirituelles, dans lesquelles il y a une plus grande force, une vérité plus certaine, un avancement plus profitable et une perfection plus pure. Il faut savoir que plusieurs y sont trompés, qui croient que ceci, qui n’a en soi aucun mérite, soit grande chose. Éclaircissement des phrases de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 7, § 2.

LX. Simplicité

Moyen court

Le second degré est appelé de quelques-uns oraison de simplicité. Chap. 4, no 1.

Que l’âme se donne bien de garde de chercher d’autre disposition, quelle qu’elle soit, que son simple repos. Chap. 13, no 3.

Il faut quitter la multiplicité de nos actions pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu. (a) [c124] L’Esprit de Dieu est unique et multiplié, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là-m[c125] ême un même esprit avec lui. Et nous sommes multipliés au-dehors, en ce qui regarde ses volontés, sans sortir de l’unité. Chap. 21, no 4.

a. Sag. 7. V. 22.

Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Chap. 24, no 2.

On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité. Chap. 24, no 11.

Cantique

Mais pourquoi dit-il à son Amante qu’elle sera dans peu belle de cette double beauté ? C’est que ces yeux et ses regards sont déjà comme ceux des colombes, en ce qu’elle est simple au-dedans, ne se détournant point de la vue de son Dieu ; et au-dehors, dans toutes ses paroles et actions, qui sont sans déguisement.

Cette simplicité colombine est la plus sûre marque de l’avancement d’une âme ; car n’usant plus de détours ni d’artifices, elle est conduite par l’Esprit de Dieu. L’Épouse conçut dès le commencement la nécessité de la simplicité et la perfection de la droiture, lorsqu’elle dit : (a) [c126] Ceux qui sont droits vous aiment, mettant la perfection de l’amour dans la simplicité et la droiture de ce même amour. Chap. 1, v. 14.

a. Ci-dessus, v. 3.

Vos yeux, par votre fidélité, droiture et simplicité sont comme ceux des colombes. Cette droiture est pour le dehors et pour le dedans. La vertu de simplicité tant recommandée dans les Écritures nous fait agir à l’égard de Dieu incessamment, sans hésitation, directement, sans réflexion et souverainement, sans multiplicité de desseins, de motifs ou de pratiques, mais uniquement pour plaire à Dieu. Et même quand la simplicité est consommée, on le fait d’ordinaire sans y penser. Agir simplement avec le prochain, c’est agir avec naïveté, sans affectation, avec sincérité sans déguisement et avec liberté sans contrainte. Ce sont là les yeux et le cœur de la colombe qui charment le cœur de Jésus-Christ. Chap. 4, v. 1.

L’Époux, par ces paroles, demande à son Épouse deux choses également admirables : l’une, qu’elle sorte à son égard de ce profond silence dans lequel elle a été jusqu’alors, car comme dans tout le temps de la foi et de la perte en Dieu elle a été dans un grand silence, à cause qu’il fallait réduire son fond dans la simplicité et unité de Dieu seul, à présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consommé de l’âme, savoir l’accord de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité, ni l’unité la multiplicité. Chap. 8, v. 13.

Autorités

Saint Denys

1. Ceux qui furent les premiers chefs et les maîtres de notre hiérarchie, ayant été remplis du don du Saint-Esprit, que Dieu même, qui est par-dessus tout être, leur communiqua, et étant envoyés exprès par la même divine bonté afin de publier cette grâce par le monde et de la provigner[c127]  consécutivement sur les autres, comme ils étaient tous divins, aussi furent-ils très désireux d’attirer les autres après eux et de leur procurer le bien de divine ressemblance. Mais pour le faire (a)[c128] , ils se sentirent obligés, selon les lois et selon les saintes ordonnances, de nous donner et délaisser par leurs doctrines, écrites et non écrites, les choses plus que célestes en images sensibles, en variété et en multiplicité ce qui est un, simple et ramassé, en formes humaines ce qui est tout divin, sous des enveloppes de corps et de matière ce qui est purement spirituel, et de nous faire entendre les choses qui sont par-dessus tout être par le moyen de celles qui nous sont familières et communes. Ce qu’ils ont fait non seulement à l’occasion des profanes, auxquels même il n’est pas permis de manier les signes et les sacrés symboles, mais pour autant que, comme j’ai dit, notre hiérarchie est toute symbolique, c’est-à-dire qu’elle se sert de signes matériels pour s’accommoder à notre capacité, ayant besoin de choses sensibles pour nous élever par leur moyen plus divinement aux intelligibles. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 1.

a. Raisons pour lesquelles on a été obligé de multiplier, par les paroles et par les figures et symboles, ce qui est simple en soi. L’un simple multiplié par la nécessité de l’expression pour s’accommoder à notre capacité.

2. Cette très heureuse nature qui est Dieu (a)[c129] , bien que par sa bonté divine elle sort et saille en avant pour se communiquer à tous ceux qui participent en quelque façon des choses saintes et sacrées qui sont en elle, néanmoins elle ne sort jamais hors de l’état immobile et de la ferme assiette qui lui est propre et naturelle. Et elle verse et envoie ses rayons par proportion sur tous ceux qui lui sont faits semblables, sans bouger toutefois de soi-même et sans être tant soit peu démise ni ébranlée en façon que ce soit de son état qui est toujours un et de même sorte. Il en est de même du divin Sacrement de la sinaxe[c130] . Car bien qu’il ait un principe qui est simple, unique, serré et replié en soi-même, et qu’il se multiplie pour l’amour des hommes en la sainte variété des signes extérieurs, et qu’il passe jusqu’à toute autre représentation de la Divinité qui se fait par images, si est-ce néanmoins que de cette multiplicité de signes il se restreint et resserre derechef uniformément à l’unité qui lui est propre et rassemble en un tous ceux qui sont attirés et conduits à lui. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. III.

a. Je rapporte ces passages qui semblent ne point convenir à l’homme parce que le même saint a dit plus haut (voyez Consistance n. 1) qu’il fallait que nous fussions conformes à Dieu pour lui être unis. Dieu est simple et un, il faut donc être simple et un.

3. Il l’auteur, le principe, la cause, l’essence et la vie de toutes choses. C’est lui qui renouvelle et qui réforme ceux qui sont glissés et coulés au vice, par lequel est gâtée et corrompue en eux l’image et la ressemblance de Dieu. C’est lui qui affermit saintement ceux qui flottent en quelque sale et impure agitation (*)[c131] . Il est l’assurance de ceux qui tiennent ferme, la guide qui conduit par la main et qui tire à soi ceux qui tendent et aspirent à lui. Il est la lumière de ceux qui sont illuminés, le principe d’initiation à ceux qui sont initiés la Déité de ceux qui sont divinisés, la simplicité de ceux qui sont unifiés, le principe plus que suressentiellement premier de tout autre principe, le bénin distributeur de celui qui est occulte, autant qu’il est licite de le distribuer. Et pour le dire en un mot, il est la vie des vivants, l’être des êtres, cause et principe de vie et d’être qui produit et conserve l’être aux êtres par sa bonté. C’est pourquoi il n’y a presque pas un traité ni livre de la sainte Écriture où nous ne voyons que la Divinité est louée comme une monade et unité, à cause de la simplicité et de l’unité de son essence qui n’a point de parties, d’une façon surnaturelle par laquelle, comme par une force et vertu unitive, nous sommes faits un, et toutes nos diversités et multiplicités étant rassemblées, nous venons à être recueillis à une monade déiforme et à une unité semblable à Dieu, etc. Des noms divins, chap. 1.

* Union. n. 4.

4. Les puissances intelligibles des esprits angéliques étant épurées de toute matière et multiplicité, entendent ce qui est intelligible en la Divinité spirituellement, immatériellement et uniformément, et leur puissance et leur action intellectuelle est éclairée d’une pureté simple et sans mélange. Là-même, chap. 7.

5. Voyez Foi nue, no 1.

Saint Augustin

6. Voyez Quiétude, § I, no 6.

Saint Jean Climaque

7. J’en ai vu d’autres parmi ces hommes dignes d’une éternelle mémoire, qui, étant tout blancs de vieillesse et ayant des visages d’anges, avaient acquis par la ferveur de leurs travaux et par le secours de Dieu, une très parfaite innocence et une très sage simplicité qui n’avait rien de cet affaiblissement de la raison et de cette légèreté puérile qui fait qu’on méprise les vieillards du monde. On ne voyait en eux au-dehors qu’une extrême douceur, une bonté merveilleuse et une agréable gaieté, sans qu’il y eût rien de feint, ni d’étudié, ni de fardé, soit dans leurs paroles, soit dans leurs mœurs, ce qui ne se trouve pas en beaucoup d’autres. Et pour ce qui concernait le dedans de l’âme, ils ne soupiraient d’une part qu’après Dieu et après leur supérieur, comme de petits enfants simples et innocents qui regardent amoureusement leur père. Et d’autre part ils tournaient l’œil de leur âme avec un regard rude et audacieux sur les démons et sur les vices. Échelle sainte, degré 4, art. 20.

8. Sachez, mon Père, que si quelqu’un s’abandonne soi-même volontairement à la simplicité et à l’innocence, le démon ne trouve plus d’entrée dans son âme. Là-même, art. 25.

9. Ces sortes de choses sont utiles et nécessaires à ceux qui ont besoin de lumière et de connaissance pour pratiquer les vertus, quoiqu’elles soient entièrement inutiles à ceux qui agissent dans la simplicité et la rectitude du cœur ; car tous n’ont pas la lumière et la connaissance et tous aussi n’ont pas le don de cette bienheureuse simplicité qui est un bouclier contre tous les artifices des démons. Degré 15, art. 64.

10. L’âme qui est douce et paisible est le siège de la simplicité. Degré 24, art. 9.

11. L’âme qui est droite et sincère est la fidèle compagne de l’humilité, au lieu que celle qui est malicieuse et corrompue est la servante et l’esclave de l’orgueil. Là-même, art. 11.

12. La simplicité est une habitude de l’âme qui la rend incapable de toute duplicité, et immobile à tous les mouvements de la corruption de l’esprit et à la dépravation du cœur. Art. 14.

13. L’innocence est l’état d’une âme tranquille qui est pleine d’une joie sainte et exempte de tout déguisement et artifice. Art. 17.

14. La rectitude du cœur est une intention droite qui ne recherche point des subtilités et des détours pour s’écarter de la vérité. Elle est aussi sincère dans ses actions que simple et sans fard dans ses paroles. Art. 18.

15. L’innocent est celui qui est dans ma pureté (a)[c132]  naturelle, où son âme a été créée de Dieu et qui agit et parle avec tout le monde selon cette même pureté. Art. 19.

a. Notez l’innocence dans laquelle il a été créé.

16. L’une des premières qualités des petits enfants est une simplicité tout innocente, et tandis qu’Adam a possédé cette heureuse simplicité, il n’a eu aucune vue de la nudité de son âme, ni aucune honte de la nudité de son corps. Art. 24.

17. La simplicité que quelques-uns ont reçue de la nature est une qualité avantageuse et un bonheur inestimable, mais cette simplicité naturelle est beaucoup inférieure à la simplicité surnaturelle que nous avons comme entée sur la racine malheureuse de notre corruption et de notre malice, par le mérite de nos travaux et de nos sueurs. Car au lieu que la première, qui est celle de la nature, nous donne seulement une aversion de tous les déguisements et de tous les artifices, la seconde, comme étant au-dessus de la nature, nous procure l’humilité la plus sublime et la douceur d’esprit la plus parfaite. Et ainsi, au lieu que la récompense de l’une ne sera pas grande, celle de l’autre sera infinie. Art. 25.

18. Les passions sont bannies de l’âme par une parfaite simplicité et une innocence spirituelle et louable, comme venant de la grâce et non pas de la nature. Car selon David, (a)[c133]  Dieu, qui est juste, assiste ces âmes simples. Le Seigneur sauve ceux qui ont le cœur droit, et les délices de péchés, sans qu’ils le sentent ou reconnaissent, comme les enfants étant dépouillés de leurs habits, n’ont presque aucun sentiment de leur nudité. Degré 26, art. 65.

a. Ps. 7. V. 11. 12.

19. Un cœur droit se conserve pur dans la multiplicité des opérations et des affaires, et sa multiplicité innocente est comme un vaisseau dans lequel il navigue sûrement. Là-même, art. 120.

L’Imitation de Jésus-Christ

20. Plus un homme sera recueilli en lui-même et sera devenu simple au fond de son cœur, plus il avancera sans peine dans la connaissance des choses et en comprendra de plus élevées, parce qu’il recevra d’en haut le don de l’intelligence. L’âme pure, simple et constante ne se dissipe point en la multiplicité des actions parce qu’elle fait tout pour honorer Dieu et que, possédant la paix au-dedans de soi, elle tâche au dehors de ne se rechercher jamais soi-même. Livre 1, chap. 3, § 3.

21. Heureux sont les simples, parce qu’ils jouiront d’une grande paix ! La-même, chap. 2, § 1.

Harphius

22. Voyez Oraison, § III, no 6.

Le bienheureux Jean de la Croix

23. Toutes les grandeurs qui sont ici déclarées sont éminemment en Dieu d’une façon infinie, ou pour mieux dire, chacune de ces grandeurs qui se rapportent ici est Dieu, et toutes ensemble sont Dieu, car autant que l’âme s’unit avec Dieu, elle sent que toutes les choses sont Dieu en un simple être, comme saint Jean le sentit lorsqu’il dit : (a)[c134]  Ce qui a été fait en lui était vie. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 14.

a. Jean I. v. 3.

Le Père Benoît de Canfeld

24. Voyez Foi nue, no 9.

25. La raison pourquoi cette opération doit être simple et pure est afin qu’elle n'éloigne pas trop l’âme de l’union et de l’amour fruitif et ne l’approche trop près de la nature, et ne l’abatte pas trop en elle-même, mais qu’au contraire, elle l’approche et la remette immédiatement dans l’union et nous jette en l’essence de Dieu, en nous éloignant de nous-mêmes et nous élevant par-dessus la nature. Règle de Perfection, IIIe partie, chap. 15.

Le Frère Jean de Saint-Samson

26. L’esprit, ou pour mieux dire, tout l’homme rendu déiforme d’une ineffable manière, est si unique et si simple en sa perception qu’il ignore toutes les formes, images et figures scientifiques. Que si on ne les ignore pas parce qu’on les a apprises autrefois, elles sont si éloignées de l’appétit qui ne veut jamais savourer que l’éminente sapience dont il est pénétré, que ce qui ne lui était auparavant que science lui est désormais un vrai goût de sapience divine. Esprit du Carmel, chap. 8.

27. L’âme qui est parvenue à Dieu par la secrète et sensible onction du Saint-Esprit et qui se sent être par-dessus toutes choses créées, dont l’impression lui est si insipide que l’esprit se bouche à cela comme à ce qui est sous ses pieds, ou pour mieux dire, comme à ce qui n’est rien du tout, cette âme est élevée et tirée en Dieu d’une si simple et si vive manière qu’elle est déjà en quelque façon au-dessus des discours qui expriment les grandeurs et les perfections divines. Son présent état est d’élévation en une simple unité d’esprit. Ce qui fait en elle un repos et une quiétude en simple et nue contemplation de Dieu, lequel l’entendement regarde de son œil simple, vivement pénétré par ses fréquentes lumières et par ses divins attouchements. Cabinet mystique, Ière partie, chap. I.

28. Supposé que vous soyez passé et transfus en simplicité d’essence, en l’abîme de la charité, qui est l’Essence divine même, vous vous trouverez comme sans sentiment, tant de vous que de Dieu même, et sans pouvoir ni vouloir agir par simples aspirations qui supposent actions formées, ni même par regard simples et subtils qui supposent quelque pouvoir d’agir et par conséquent quelque désunion et entre-deux de simple et subtil moyen, dont on se sert pour se transformer davantage et plus parfaitement dans l’Essence même de l’Époux.

On commence déjà ici à voir Dieu simplement, sans formes et sans images, par-dessus le sens et les formes actives. Tout cela est anéanti avec la propre vie de l’âme, en ce fond vigoureux et suressentiel dans lequel elle est transfuse, et son appétit actif étant entièrement supprimé par la force de son simple amour, elle commence à jouir de l’Époux à pur et à plein en simple essence, par le moyen même de ses simples attouchements qui la dilatent et l’étendent tout autrement en simplicité que jamais elle n’avait senti. Là les simples délices sont si profondes, et simplifient tellement l’âme qui les ressent, qu’il lui semble être passée en l’étendue de l’essence de Dieu, qui est le fleuve d’où découlent ces mêmes délices. Là-même, chap. 5.

29. Cela étant ainsi, l’âme jouit de son suprême Bien dans un très simple et tranquille regard et repos, qui ne sait plus ce que c’est que les profondeurs abyssales faites de Dieu en elle-même en très simple et très profonde nudité et étendue d’elle-même en Dieu. Là-même.

30. Ces âmes ne sont touchées des choses que par dehors et non jamais dans leur fond. Et étant simples, comme elles sont toutes perdues et abîmées en Dieu, rien ne les peut atteindre ni toucher. De plus, telles âmes ne désirent point paraître ni sortir en évidence à elles-mêmes, si elles n’y sont mises et tirées sans elles et sans leur su, ou si ce n’est qu’elles jugeassent que cela fût pour leur très grande utilité ou nécessité. Comme par exemple il s’est passé un certain temps auquel le premier acte du simple fécond, je dis de la Très Sainte Trinité, se communiquant à elles en temps ordonné, leur versait ses vérités en l’entendement, auquel temps et durant lesquelles infusions, simplement divinement spéculées en contemplation simple, sous très simples formes, ces âmes pouvaient se sentir obligées de les tirer de ce simple fond pour leur future nécessité. Néanmoins ayant fait perte de tout cela, parce qu’elles se sont écoulées dans ce fond originaire, d’où elles avaient très fécondement flué, elles ne peuvent douter que cela n’ait été fait pour leur entière et totale consommation en ce même simple et vigoureux fond. Il y a une différence presque infinie entre le simplifié au-dehors et le simplifié au-dedans. La simplification du dehors procède toujours d’objets qui sont au-dehors. Au contraire, la vraie simplification du dedans procède toujours des objets intérieurs qui montrent évidemment son simple et intime objet en l’éminence de soi-même, conformément à ce que l’on est.

C’est là que le simple fond du simple créé est reçu par le simple unique incréé, aux embrassements et à la jouissance de l’unité simple et unique par-dessus toute fécondité, dedans la quelle toute l’âme vraiment flue fécondement de la simple unité et reflue en la même simple unité par-dessus toute fécondité, où elle est tout étendue, perdue, entièrement consommée au repos ineffable de son unique jouissance. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 9.

31. L’Esprit de Dieu dominant une âme l’éloigne autant de toutes multiplicités qu’il est simple et unique en lui-même. C’est assez que lorsque l’âme est totalement consommée en Dieu et de Dieu, par la force de ses divins attouchements, elle soit alors et non plus tôt propre pour les choses extérieures et capables d’aller, comme on dit, par le ciel et par la terre. De sorte que ceux-là se trompent beaucoup qui disent que c’est une marque certaine qu’on est bien intérieur quand on est suffisamment attentif à bien faire ses actions extérieures. Règles de conversation pour les personnes spirituelles, no 77.

32. Quant à l’amour simple et perdu, il est tout réduit, fondu, transfus en une simple force et nudité très abstraite et très pure de l’esprit, non seulement au plus haut de son essence, mais infiniment au-delà en Dieu même.

Cela se fait et se pratique ainsi fort diversement, sous diverses notions et manifestations, accompagnées pour l’ordinaire de très pénibles morts, qui suppriment jusqu’aux moelles du même esprit. Et dans ces agonies extrêmes, plus il fuit de soi-même, se perdant en Dieu, tant plus sa mort se trouve pénible, angoisseuse et insupportable. Mais c’est en ceci que l’amour se trouve fort (a)[c135]  comme la mort. Heureux (b)[c136]  sont ceux qui meurent de ce genre de mort en Dieu, car dès là même ils cessent et se reposent de toutes leurs propres œuvres et Dieu désormais agit et pâtit en eux comme il lui plaît. Lettre 19.

a. Cant. 8. v. 6.           b. Apoc. 14. V. 13.

33. La simplicité est une haute et excellente vertu, et plus elle est véritablement en un sujet, tant plus est-il abstrait et perdu à tout ce qui est visible, sensible et réfléchi. Lettre 20.

34. Quand je lise vos écrits et les miens et que je vois ce qu’il faut que nous soyons pour ne contrarier aucunement Dieu, je suis totalement confus. Pour faire cela comme il faut, notre pureté devrait être angélique tant au-dedans qu’au-dehors : au-dedans, en demeurant simples, uniques, également tendus, sans la moindre effusion d’esprit que ce soit. Lettre 21.

35. À peine personne peut-il savoir quelle est la simplicité de l’esprit, sinon celui qui est totalement converti à Dieu en esprit et sans réflexion sur soi. C’est à lui seul que convient l’éminente simplicité en suprême abstraction plus morte que mourante. Le vrai simple n’a rien qui l’arrête au-dehors, et il est divinement prudent, plein de l’éminente science des saints. Lettre 27.

36. Ordonnez tout l’extérieur par des voies moins multipliées que vous pourrez, car le trop de préceptes et de maximes montre qu’on est empêché au-dehors, ignorant la douce, savoureuse et simple unité au-dedans. Réduisez-vous donc à peu de ces choses qui sont uniques, simples et essentielles, afin que vous puissiez goûter expérimentalement l’excellence des vrais exercices intérieurs en vraie simplicité d’intention. Tant de multiplicités au-dehors sont plutôt cherchées, spéculées et apprises des livres que simples et uniques, et nuisent au vrai recueillement des puissances en l’unité du cœur. Lettre 50.

37. Puisque nous sommes tous deux simples et petits, il faut que nous nous aimions et consolions l’un l’autre, tant de nos prières devant Dieu, que par lettres quelquefois. Lettre 60.

38 Disons encore en peu de mots que la simplicité est une inclination amoureuse en l’âme, élevée plus ou moins hautement et excellemment en Dieu, laquelle inclination l’appelle et l’attire efficacement en son fond qui la produit et tire en même temps toutes ses puissances, tant hautes que basses, pour être toutes recueillies et fondues en lui, en unité et uniformité d’esprit. De la simplicité, traité I, no 3.

39. Le second état de simplicité est encore plus tiré et perdu que le précédent. Car il ne veut pas même réfléchir sur les objets plus simples de l’esprit, pour y raisonner de propos délibéré, si la chose ne nous touche d’office, et l’âme n’en est non plus touchée que de ce qui n’est point.

Le troisième et dernier état de simplicité répond du tout à l’esprit. Il a et fait non seulement tout ce que je viens de dire, mais encore il tient son sujet mort par-dessus toute appréhension et connaissance, et il est stable et arrêté à tout endurer d’une très haute et très forte manière, ne sortant jamais de là, pour quoi que ce soit. Sur quoi j’avertis que tout amour simplifie en haut ou en bas degré, selon que l’attrait et l’amour ont été forts à tout unir, tout fondre et tout perdre en Dieu. Là-même, no 4.

40. Les qualités donc essentielles de la simplicité sont 1. amour et charité en un temps ; 2. charité simple en un autre ; 3. lumière et science suffisante à leur état ; 4. et prudence pour tout juger et ordonner au-dedans et au-dehors, tant pour eux que pour autrui. Quiconque en est là fait toujours reluire sa charité à tout le monde, au plaisir et contentement de tous.

Les effets de cette charité divine en ses sujets sont voir, sentir et agir simplement, uniquement, essentiellement et d’un seul regard. Elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout, et à tout le reste des divins effets portés au texte de l’Apôtre (I Co 13). Là-même, no 8.


 

LXI. Sortie de soi. Oubli de soi.

On aura la bonté de faire attention à ce que j’ai dit plus haut de la Sortie de soi. Voyez la note sur Explication du Cantique, chap. 3, v. 1. Dans l’article de la Présence de Dieu, tome II, p. 156.

Moyen court

Il faut s’oublier soi-même et tout propre intérêt. Chap. 14 no 2.

Comment passer en Dieu ? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui.

Cantique

Il lui ordonne (a)[c137]  de sortir. Et d’où ? D’elle-même. Comment ? Par le renoncement et par la fidélité à se poursuivre en toutes choses, sans se permettre aucune satisfaction naturelle, et sans prendre vie ni en soi ni en rien de créé. Et pour aller où ? Afin d’entrer en Dieu par un parfait abandon (b) [c138] d’elle-même.

a. C’est là toute l’économie de l’intérieur. Remarquez s’il vous plait que dans cette sortie de soi-même, qui ne s’opère que par la mortification et la purification qui cause la mort et la défaillance entière à soi pour passer en Dieu, je fais toujours voir l’importance dont il est de ne se permettre aucun soulagement naturel, ni de ne point prendre de vie dans les choses créées. Je ne parle d’autre chose dans mes Ecrits, parce que je sais combien il est de conséquence de ne point prendre le change, et combien il est rare de trouver des âmes qui se livrent entièrement à l’amour rigoureux pour s’en laisser dévorer et consumer sans se soulager en se jetant dans les récréations qu’elles croient innocentes, pour soulager leur peine. Car c’est en cet endroit où l’on quitte tout à fait, ou du moins on passe sa vie à toujours agoniser, sans jamais mourir ni vivre. On ne se perd point en Dieu parce qu’on ne saurait se quitter soi-même, ainsi on demeure, comme dit Débora parlant de la Tribu de Ruben, (Voyez les Explications sur Juges 5. V. 16.) entre deux termes à écouter le sifflement des troupeaux, c’est à dire la propre réflexion et les cris de la nature et des sentiments qui ne veulent point mourir.. L’instance que je fais dans tous mes Ecrits et aux Directeurs et aux dirigés : aux uns pour ne point épargner la victime et n’en avoir point de compassion, parce que  c’est une compassion cruelle, que c’est faire respirer un pendu pour l’étrangler de nouveau ; et aux autres, pour se laisser égorger par ce grand Sacrificateur, qui ne veut que des victimes pures et innocentes. Cette instance, dis-je, marque que je suis bien éloignée de dire qu’il faut commettre des crimes, puisque je veux qu’on se refuse les satisfactions les plus innocentes. O si on savait combien il est de conséquence de ne point se soustraire à l’amour exact, juste et rigoureux, il n’y aurait point de tourments qu’on ne trouva doux.

b. C’est à dire abandonnement, qui signifie se quitter soi-même.

Cette sortie de soi-même, par le renoncement continuel de tout propre intérêt et l’exercice intérieur que l’Amant céleste conseille aux âmes qui soupirent après le baiser de la bouche. Chap. I, v. 7.

Cette âme s’oublie de tout intérêt de salut, de perfection, de joie, de consolation, pour ne penser qu’à l’intérêt de son Dieu. Chap. 2, v. 4.

Il la fait sortir d’elle-même par le trépas mystique.

Ma colombe simple et fidèle, levez-vous, sortez, puisque vous avez toutes les qualités nécessaires pour sortir de vous-même.

Cette sortie est bien différente de celle dont il a été parlé ci-dessus (b)[c139] , et beaucoup plus avancée, car la première était sortie des satisfactions naturelles, pour ne vouloir plaire qu’à son Bien-Aimé, mais celle-ci est une sortie de la possession de soi-même, afin de n’être plus possédée que de Dieu, et que ne s’apercevant plus en elle, elle ne se trouve plus (a)[c140]  qu’en lui. C’est un transport de la créature dans son origine. Là-même, v. 10.

b. Chap. I. v. 7.

Ô terre fortunée ! Que ceux qui ont le bonheur de vous posséder sont heureux ! Nous sommes tous conjurés avec l’Épouse de sortir de nous-mêmes pour y entrer. Là-même, v. 13.

La suprême partie de votre âme est déjà belle et elle a tous les avantages de la beauté : il ne vous manque plus qu’une chose, qui est de sortir de vous-même.

Si l’Époux n’attirait son Amante au-dehors avec tant de force et de douceur, elle ne sortirait jamais d’elle-même. Il semble qu’autant qu’elle s’est trouvée autrefois recueillie et (b[c141] ) enfoncée au-dedans, autant elle se sent maintenant tirée au-dehors et même avec plus de force, car il faut bien d’autres forces pour titrer l’âme d’elle-même que pour l’y enfoncer. La douceur qu’elle goûte au-dedans par le recueillement savoureux l’y invite assez. Mais quitter cette douceur du dedans pour ne trouver que des amertumes au-dehors, c’est ce qui est très difficile. Outre que par le recueillement, elle vit et se possède, mais par la sortie d’elle-même, elle meurt et se perd. Là-même, v. 14.

a. En tant que Dieu est son principe et sa dernière fin.

b. Il est à noter qu’afin que l’âme sorte d’elle-même, il faut qu’elle soit réduite déjà dans son centre, c’est pourquoi comme elle a goûté son propre centre, elle a peine à le quitter. Mais elle verra bien, si elle est fidèle, la différence du repos du centre créé à celui du centre incréé !

Ce n’est plus hors de lui que vous le trouverez. Sortez hors de vous-même au plus vite pour n’être plus qu’en lui, et ce sera là qu’il se laissera trouver. Ô artifice admirable de l’Époux ! Lorsqu’il est le plus passionné pour sa Bien-Aimée, c’est alors qu’il fuit avec plus de cruauté, mais c’est une cruauté amoureuse, sans laquelle l’âme ne sortirait jamais d’elle-même, et conséquemment ne se perdrait jamais en Dieu. Chap. 3 v. 1.

L’âme s’étant quittée soi-même et ayant outrepassé toutes les créatures, rencontre son Bien-Aimé qui se montre à elle avec de nouveaux charmes. Là-même, v. 4.

Jésus-Christ invite toutes les âmes intérieures qui sont les filles de Sion à sortir hors d’elles-mêmes et de leur imperfection. Là-même, v. 11.

L’âme étant passée en Dieu par l’heureuse sortie d’elle-même, c’est un repos dont elle ne sera jamais divertie. Chap. 8, v. 4.

L’âme monte peu à peu du désert, car son soi-même est un désert, depuis qu’elle l’a abandonné. Ce n’est plus seulement le désert de la foi, mais c’est le désert d’elle-même. Là-même, v. 5.

Autorités

Saint Denys

1. Quant à nous, après que par des ascensions (a)[c142]  saintes et spirituelles nous aurons élevé nos yeux vers les archétypes et les originaux de ces mystères, et que nous aurons été saintement instruits de leurs connaissances, alors nous entendrons de quels caractères sont ces impressions. De la hiérarchie ecclésiastique, chap. 2.

a. Ces ascensions, c’est sortir dehors de soi et de sa manière de concevoir, pour avoir les impressions sûres des choses divines.

2. Voyez Union, no 10.

3. Voyez Dieu enseigne l’âme, no 2.

4. Voyez Foi nue, no 3.

5. Voyez Anéantissement, no 6.

Ruusbroec

6. Voyez Motion divine, no 4.

L’Imitation de Jésus Christ

7. Celui qui aime sincèrement Notre Seigneur Jésus-Christ et sa vérité et qui est vraiment intérieur et dégagé des affections déréglées n’a point de peine à se donner tout entier à Dieu, et à s’élever en esprit au-dessus de soi-même, pour jouir d’un repos céleste dans la jouissance de son Bien-aimé. Livre II, chap. 1, § 6.

8. on ne peut arriver à cet état sans une grande grâce qui élève l’âme et qui la transporte au-dessus d’elle. Livre III, chap. 31, § 2.

9. Mon fils, vous entrerez et vous demeurerez en moi, à proportion (a) [c143] que vous pourrez sortir de vous-même. Livre III, chap. 56, § 1.

a. La mesure de notre avancement en Dieu est la mesure de notre éloignement de nous-mêmes.

Le bienheureux Jean de la Croix

10. L’âme rapporte en ce Cantique le moyen et la manière dont elle sortit d’elle-même et de toutes choses, quant à l’affection, mourant par ne vraie mortification à elles toutes et à soi-même, pour avoir le bien de vivre une vie d’amour, douce et savoureuse en Dieu, et dit que cette sortie hors de soi et de toutes choses se fit en une nuit obscure, qu’elle entend ici par la contemplation purgative, comme nous dirons après, laquelle fait renoncer l’âme à soi-même et à toutes choses. Et elle dit ici qu’elle eut pouvoir de faire cette sortie par la force et chaleur que l’amour de son Epoux lui donna pour ce sujet en ladite contemplation obscure, en quoi elle exalte le bonheur qu’elle eut de s’acheminer à Dieu par cette nuit, avec si bon succès, que pas un des trois ennemis, qui sont le Diable, le monde et la chair, lesquels y mettent toujours de l’obstacle, ne l’en purent empêcher, d’autant que ladite nuit de contemplation purifiée fit endormir et mortifier en la maison de sa sensualité, toutes les passions et appétits quant à leurs mouvements contraires. Obscure nuit, livre I, Introduction.

11. Cette nuit va tirant l’esprit de son ordinaire et commun sentiment des choses, pour l’élever au sens divin qui est étrange et éloigné de toute manière humaine, de sorte qu’il semble à l’âme quelle marche hors de soi. Là-même, livre II, chap. 9.

12. Voyez Purification, no 46.

13. Dans les plaies d’amour, il ne peut y avoir de remède sinon de la part de celui qui les a faites. C’est pourquoi l’Épouse sortit, cirant après celui qui l’avait blessée avec la force du feu que cause la palie. Et il faut savoir que cette sortie s’entend de deux façons : l’une est sortant de toutes choses, ce qui se fait les abhorrant et les méprisant ; l’autre est sortant de soi-même par un oubli de soi, ce qui se fait par l’amour de Dieu, lequel élève l’âme de telle manière qu’il al fait sortir de soi et des ses gonds et de sa façon naturelle, criant après Dieu. C’est ce qu’elle entend ici lorsqu’elle dit :

Je sortis après vous, criant.[c144] 

Comme si elle disait : mon Époux en ce votre toucher (a) [c145] et blessure d’amour, vous avez tiré mon âme non seulement de toutes choses, mais aussi vous l’avez faite sortir de soi, (car à la vérité, il semble qu’il la tire même du corps), et vous l’avez élevée à vous criant et soupirant pour vous, déjà dégagée de tout pour s’attacher toute à vous.

Mais vous alliez toujours fuyant.

a. C’est ici un toucher douloureux, quoique ce soit aussi une plaie d’amour.

[c146] Comme s’elle disait : lorsque je voulais comprendre votre présence, je ne vous ai point trouvé et je me suis vue déprise et dégagée de toutes choses (a) [c147] sans être attachée à vous, travaillant et peinant dans l’air d’amour sans l’appui de vous ni de moi. Ce que l’âme appelle ici sortir pour aller à son Bien-aimé, l’Épouse dans le Cantique l’appelle se lever, disant : (b)[c148]  je me lèverai et j’irai rodant la cité, par les rues et les places, je chercherai celui qu’aime mon âme. Je l’ai cherché et ne l’ai point trouvé. Ici se lever s’entend spirituellement de bas en haut, qui est le même que sortir de soi, c’est-à-dire de sa façon et de l’amour bas au haut et sublime amour de Dieu. Mais elle dit qu’elle demeura blessée, parce qu’elle ne le trouva point. C’est pourquoi celui qui est épris d’amour, souffre toujours pendant l’absence, parce que s’étant déjà livré, il attend de l’ami le paiement du don et de la délivrance qu’il a faite, et néanmoins, on ne le lui donne point. Et s’étant déjà perdu pour lui, il n’a point trouvé le gain désiré de sa perte, puisqu’il est privé de sa possession. Cantique de l’Épouse et l’Époux, couplet 1.

a. C’est la plus terrible peine de l’âme, car alors, elle n’est ni toute en soi, ni toute en Dieu. Elle est comme pendue entre le Ciel et la terre.

b. Cant. 3.v. 2.

14. J’oubliais ce que je savais.[c149] 

Parce que non seulement l’âme demeure aliénée de tout le monde, mais encore de soi-même, et anéantie et comme fondue en amour, qui consiste à passer de soi en l’Ami. Là-même, couplet 18.

15. En outre l’âme dit avoir reçu de grandes communications et beaucoup de visites de son Ami, où elle s’est allée perfectionnant et établissant en son amour, de manière que sortant de toutes choses et de soi-même, elle s’est livrée à lui par union d’amour en fiançailles spirituelles où elle a reçu de l’Époux de grands dons et de riches joyaux. Là-même, couplet 28.

Le Père Jacques de Jésus rapporte 

16. Saint Bonaventure. La perfection de la mémoire est que l’homme soit tellement absorbé en Dieu, qu’il oublie toutes choses et soi-même et qu’il repose suavement en Dieu seul. De l’avancement des religieux, livre I. Notes sur Jean de la Croix, discours 2, § 7.

Saint François de Sales

17. Voyez Fonte de l’âme, no 5.

Le Frère Jean de la Croix

18. Il est bon de savoir que la nature, même dans les plus avancés, est tellement encline à se rechercher et à se délecter de soi qui si on lui ôte une chose, elle a aussitôt recours à une autre pour s’y reposer et délecter. Que si on lui ôte un objet sensible, elle a aussitôt recours à un objet de l’esprit. Si on lui ôte ceux de l’esprit, elle se servira de Dieu même pour s’y reposer pour elle-même et pour sa satisfaction. On doit prudemment et diligemment examiner ceci pour ne point laisser attacher les personnes spirituelles à elles-mêmes par semblables réflexions, donnant ordre de les tirer de cela et d’elles-mêmes, pour les unir et attacher à Dieu. Esprit du Carmel, chap. II.

19. Les vrais Contemplatifs sont hors d’eux-mêmes nuement, simplement et totalement fondus en Dieu. Diverses lumière et règles pour les supérieurs, § « De diverses sortes d’abstractions ».

20. Je vous dis outre cela, qu’encore par-dessus cette adhésion qui vous est perceptible, mais comme hors de vous, il faut que vous viviez là d’une foi très nue. Lettre 45.

Monsieur Olier

21. Quel montre que l’amour de soi-même, qui veut se voir en tout et qui ne peut souffrir qu’avec grande peine les exercices et les conduites du pur amour, qui tend toujours à Dieu et nous dérobe à nous-mêmes, pour nous porter, nous perdre et nous abîmer dans ce divin Tout ! Lettre 129.

22. Vous dirais-je un mot qui m’est venu dans l’esprit et qui vous paraîtra peut-être un peu sévère ? C’est que Dieu veut porter les âmes de ses fidèles jusqu’à ce point de dénuement, que de les arracher à elles-mêmes, et les tenir suspendues au-dessus de toute propre satisfactiono Il veut qu’elle vivent toujours à lui, et qu’elles le cherchent en pureté, en sainteté et en droiture, sans avoir égard à elles et sans se retourner sur elles-mêmes. Il ne veut point qu’on se voie et qu’on se regarde que pour lui, et il désire qu’on agisse dans cette vue unique de lui plaire en tout. Lettre 143.

LXII. Souffrance

Moyen court

Soyez content de tout ce que Dieu vous fera souffrir. Si vous l’aimez purement, vous ne le rechercherez pas moins en cette vie sur le Calvaire que sur le Thabor. Il faut l’aimer autant sur le Calvaire que sur le Thabor, puisque c’est le lieu où il fait paraître le plus d’amour. Ne faites pas comme ces personnes qui se donnent dans un temps et se reprennent en un autre. Ils se donnent pour être caressés et ils se reprennent lorsqu’ils sont crucifiés, ou bien ils vont chercher dans les créatures leur consolation.

Non, vous ne trouverez point, chères âmes, de consolation que dans l’amour de la croix et dans l’abandon entier. Ô qui n’a pas le goût de la croix, (a)[c150]  n’a pas le goût de Dieu ! Il est impossible d’aimer Dieu sans aimer la croix, et un cœur qui a le goût de la Croix, trouve douces, plaisantes et agréables les choses mêmes les plus amères. (b)[c151]  Une âme affamée trouve douces les choses qui sont amères, parce qu’elle se trouve autant affamée de la Croix qu’elle est affamée de son Dieu. La Croix donne Dieu et Dieu donne la Croix. La marque de l’avancement intérieur est si on avance dans la Croix

a. Voyez Matth. 16. V. 23.       b. Prov. 27. V. 7.

L’abandon et la Croix vont de compagnie.

Sitôt que vous sentez quelque chose qui vous répugne et qui vous est proposé (a)[c152]  comme souffrance, abandonnez-vous à dieu d’abord pour cette même chose et donnez-vous à lui en sacrifice. Vous verrez que lorsque la Croix viendra, elle ne sera plus si pesante, parce que vous l’aurez bien voulue. Ce qui n’empêche pas qu’on n’en sente le poids. Quelques-uns s’imaginent que ce n’est pas souffrir que de sentir la Croix. Sentir la souffrance est une des principales parties de la souffrance même. Jésus-Christ en a voulu souffrir toute la rigueur. Souvent on porte la Croix avec faiblesse, d’autrefois avec force : tout doit être égal dans la volonté de Dieu. Chap. 7.

a. C’est qu’il est quelquefois proposé aux âmes au commencement de la voie en général (même cela est assez ordinaire) ce qui fut proposé à Jésus-Christ selon l’Apôtre (Hebr. 12. V. 2.) : proposito sibi gaudio sustinuit crucem. (Au lieu de la joie dont il pouvait jouir, il a choisi de souffrir la croix), et aussi dans le particulier en quelques occasions de terribles souffrances. Mais le cœur amoureux de son Dieu non seulement les accepte, mais s’y immole et dans la douleur ne dit jamais : c’est assez.

Cantique

Il est à moi, dit l’Amante je ne puis douter qu’il ne se donne à moi dans ce moment puisque je le sens. Mais il est à moi comme un bouquet de myrrhe. Il ne l’est pas encore comme un Époux, que je doive embrasser dans son lit nuptial, mais seulement comme un bouquet de croix, de peines et de mortifications, comme un (a)[c153]  Époux de sang et un Amant crucifié, qui veut éprouver ma fidélité en donnant part à ses souffrances, car c’est ce qu’il donne alors à cette âme-là.

a. Exode 4. V. 25.

Pour marquer néanmoins l’avancement de cette âme déjà héroïque, elle ne dit pas : Mon Bien-aimé me donnera le bouquet de la Croix, mais il fera lui-même ce bouquet, car toutes mes croix seront celles de mon Bien-aimé. Le bouquet sera entre mes mamelles, pour marque qu’il me doit être un Époux d’amertumes, aussi bien pour le dehors que pour le dedans. Les croix extérieures sont peu de chose, quand elles ne sont pas accompagnées des intérieures. Et les intérieures sont rendues beaucoup plus douloureuses par l’union des extérieures. Mais quoique l’âme n’aperçoive que la croix de toutes parts, c’est pourtant son Bien-aimé qui est lui-même cette croix, et il ne lui fut jamais plus présent que dans ces amertumes, pendant lesquelles il demeure au milieu de son cœur. Chap. 1, v. 12.

Ô Dieu, vous reprenez agréablement votre Épouse de ce qu’elle voulait sitôt se reposer dans un lit bien fleuri, avant que de s’être reposée comme sur le lit douloureux de la Croix. Je suis moi-même, dites-vous, la fleur du champ. Une fleur que vous ne cueillerez pas dans le repos du lit, mais dans le champ de combat, de travail et de souffrance. Il faut que vous entriez dans le combat et abs la souffrance. Chap. 2, v. 1.

Son fruit, qui est la Croix, la douleur et l’abjection, est doux à ma bouche. Il n’est pas doux à la bouche de la chair, car la partie inférieure le trouve âpre et bien rude, mais il est doux à la bouche du cour après que je l’ai avalé et pour moi qui a le goût de mon Bien-Aimé, il est préférable à tous les autres goûts. Là-même, v. 3.

Cette âme ne pense plus à jouir de ses embrassements, mais à souffrir pour lui. V. 4.

Il est incroyable combien il faut que ces âmes dévorent de croix, d’opprobres et de renversements. Chap. 3, v. 10.

Je m’en irai sur la montagne de la myrrhe, parce que vous ne me trouverez plus que dans l’amertume et dans la croix. Ce sera néanmoins pour moi une montagne d’une odeur très agréable, puisque l’odeur de vos souffrances montera vers moi comme un encens, et ce sera par elles que je prendrai mon repos en vous. Chap. 4, v. 6.

J’ai recueilli ma myrrhe, dit l’Époux, mais c’est pour vous, ô mon Épouse, car c’est votre met qui n’est que d’amertume, parce qu’il y a toujours à souffrir dans cette vie mortelle. Cette myrrhe pourtant n’est jamais seule, elle est toujours accompagnées de senteurs très agréables. L’odeur est pour l’Époux et la myrrhe amère est pour l’Épouse.

Ce divin Sauveur y invite tous ses Elus qui ont envie de se nourrir comme lui de souffrances, d’opprobres et d’ignominies, de l’amour de ses exemples et de sa pure doctrine qui sera pour eux un vin et un lait délicieux. Chap. 5, v. 1.

Je viens à vous de la sorte, afin de vous faire part de mes opprobres, de mes ignominies et de mes confusions. Jusqu’à présent vous avez eu part à l’amertume de ma croix, mais vous n’avez pas eu part à l’ignominie et à la confusion de ma croix. L’un est bien différent de l’autre, vous allez faire une expérience terrible. Là-même, v. 2.

L’Épouse voyant que l’Époux parle de lui faire part de ses ignominies, craint beaucoup et autant qu’elle a été courageuse et intrépide à accepter la croix, autant a-t-elle de peur de l’abjection dont elle est menacée. Plusieurs veulent bien porter la Croix, mais il n’y a presque personne qui veuille porter l’infamie de la croix. Là-même, v. 3.

Plus cette âme est pressée et opprimée par la persécution, plus elle se communique et est bienfaisante à ceux même qui lui font du mal. Chap. 7, v. 7.

Autorités

On a vu dans ce que j’ai écrit sur la Purification tant de souffrances intérieures, et même extérieures, qu’il en reste peu de chose à dire.

L’Imitation de Jésus-Christ

1. Nul ne sera propre à comprendre les choses du ciel s’il ne se soumet à souffrir pour Jésus-Christ les maux de ce monde. Rien ne nous sera plus salutaire et plus agréable à Dieu (104) que de souffrir de la sorte, vous devriez plutôt souhaiter d’être affligés pour Jésus-Christ, que d’être comblé de consolations, parce que vous deviendriez ainsi plus semblable au Sauveur et à tous les Saints. Livre II, chap. 12, § 14.

Sainte Thérèse

2. De là procède la force pour souffrir les persécutions et ce sont là les pommes dont parle aussitôt l’Épouse : (a)[c154]  Fortifiez-moi avec des pommes, comme si elle disait : donnez-moi, Seigneur, des travaux et des persécutions. Et véritablement, elle les désire, et la chose effectivement lui succède car n’ayant point d’autre pensée que de contenter Dieu, sans avoir aucun égard à son propre contentement, son goût est d’imiter en quelque chose la très pénible vie de Jésus-Christ. Or le pommier, j’entends ici, l’arbre de la croix, parce qu’il est dit dans un autre lieu des Cantiques : Dessous l’arbre du pommier, je t’ai ressuscitée. (b)[c155]  Et l’âme qui est environnée de croix et de travaux est dans l’attente d’un grand remède. Elle n’est pas si ordinairement jouissante du contentement de la contemplation, elle a une singulière délectation à souffrir sans que l’exercice de la vertu consume et détruise ses forces, comme le fait la suspension des puissances dans la contemplation, si elle est bien ordinaire. Conception de l’âme de Dieu, chap. 7.

a. Ct 2. V. 5.             b. Chap. 8. V. 5.

Le bienheureux Jean de la Croix

3. Qui m’avez en ce deuil laissée.[c156] 

Il faut remarquer que l’absence du Bien-aimé cause un gémissement continuel en l’amant, car n’aimant rien que lui, il ne trouve e rien du repos et du soulagement : c’est où l’on connaîtra celui qui aime véritablement Dieu, s’il se contente de quelque chose qui soit moins que Dieu. (a) [c157] Saint Paul donna bien à entendre ce gémissement, disant : (b)[c158]  Nous pleurons en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu. C’est là le gémissement que l’âme a en ressentant l’absence de l’Ami, principalement lorsqu’ayant goûté quelque douce et savoureuse communication, elle demeure aride et seule.

Vous fuyez m’ayant bien blessée.[c159] 

Comme si elle disait : je n’avais donc pas assez de la douleur et de la peine, que je souffre ordinairement en votre absence, sans que vous me perçassiez du trait de votre amour, augmentant le désir de votre vue, (c)[c160]  et fuyant avec la vitesse d’un cerf, sans vous laisser tant soit peu comprendre. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 1.

a. C’est à dire, il n’aime pas se contente de ce qui n’est pas Dieu.

b. Rom. 8.V. 23.

c. Voyez L’Explication du Cantique. Ch. 2. V. 9.

4. Voyez Sortie de soi, no 13.

5. Il semble à celui qui se donne à Dieu que le monde se représente à lui en l’imagination, comme les bêtes sauvages lui faisant de rudes menaces, et principalement en trois manières : la première que la saveur du monde lui manquera, les amis, le crédit, et même les biens. La seconde est une autre non moins cruelle, à savoir comment il pourra souffrir de n’avoir jamais de plaisir ni de contentement du monde et d’être privé de toutes ses caresses, attraits, et douceurs. La troisième est encore pire, savoir que les langues s’élèveront contre lui, et en doivent faire un objet et sujet de risée. Bref, que chacun le montrera au doigt et l’aura en mépris. Lesquelles choses sont tellement représentées à quelques âmes qu’il leur est difficile, non seulement de résister à ces bêtes, mais même de commencer et d’avancer d’un pas. Or il y a d’autres âmes plus généreuses, auxquelles se présentent d’autres bêtes qui sont plus intérieures et spirituelles, savoir des difficultés et des tentations, des tribulations et des travaux de plusieurs sortes, que Dieu envoie et permet que souffrent ceux q’il veut éprouver comme l’or en al fournaise, selon le dire de David (a)[c161]  : Les tribulations des justes sont en grand nombre.

L’âme appelle les diables, qui sont le second ennemi, des forts, d’autant qu’ils tâchent avec beaucoup de force de lui couper le passage de ce chemin et parce qu’aussi leurs tentations et leurs artifices et embûches sont plus difficiles à vaincre et à découvrir que celles du monde et de la chair, joint aussi qu’ils prennent escorte et renfort des deux autres ennemis, le monde et la chair, pour faire une cruelle et forte guerre à l’âme. D’où vient que David dit (b)[c162]  : Et les forts ont cherché mon âme, de la force desquels Job aussi parle en ces termes (c)[c163]  : il n’y a point de puissance sur la terre qui lui soit comparable, lui qui a été fait de telle sorte qu’il ne craignit personne. Cela s’entend qu’il n’y a point de pouvoir humain approchant du sien, et ainsi le seul pouvoir divin est capable de le vaincre et la seule lumière divine capable de connaître et de découvrir ses menées. C’est pourquoi l’âme qui aura à vaincre sa force, ne le pourra sans oraison et ne pourra aussi éventer ses ruses et ses tromperies sans humilité et mortification. Car pour ce sujet, St Paul dit ces mots d’avis aux fidèles : (d)[c164]  Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister aux aguets du Diable, parce que nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, entendant par le sang le monde, et par les armes de Dieu, l’oraison et la croix de Jésus-Christ, en quoi gît l’humilité et la mortification que nous avons dit. La-même, couplet 3.

a. Ps. 33. V. 20          b. Ps. 53. V. 5.

c. Job 41. V. 24.        d. Ephes. 6. V. 11, 12.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

6. Denis le Chartreux. Que l’homme spirituel n’ait point d’affection désordonnée ou immodérée à aucune chose créée, qu’il n’ait nulle délectation déréglée aux choses caduques, ni une crainte superflue de les perdre, ni une douleur excessive de leur perte, ni un désir démesuré pour les avoir. Que même il ne soit point affectionné à la renommée, ou à la gloire et à l’honneur vain et temporel, et ne se soucie ou s’attriste avec excès de son infamie et de son mépris, mais plutôt qu’il s’en réjouisse. De la vie des recluses, art. 14. Éclaircissement des phrases mystiques de Jean de la Croix, IIe partie, chap. 12, § 3.

Le Frère Jean de Saint-Samson

7. S’il se trouvait quelqu’un si fidèle à son devoir qu’il eut entièrement passé la région des mourants, en sorte que les profondes et continuelles morts lui eussent admirablement supprimé toute sa propre vie dans le feu de l’amour et dans la cuisante et consommante tribulation, tant d’esprit que de corps, ô Dieu qu’il serait excellent. Mais c’est chose si rare à trouver en ce siècle qu’à peine en connaît-on un seul. Il n’y personne qui se veuille cacher. Tout homme veut paraître, non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas, et être estimé et réputé saint. Et ce que les hommes ont reçu de Dieu pour le pouvoir aimer tourne à leur confusion et à leur dommage éternel.

Sans doute le sentiment amoureux et même le goût éternel, si ravissant qu’il puisse être, n’est point le vrai amour. Les pécheurs (a)[c165]  même, que Dieu veut tirer à lui, en sont quelquefois si pleins qu’ils semblent en regorger, encore qu’ils soient en péché mortel. C’est en la souffrance, c’est en la croix volontaire, c’est en la pratique des vertus aux occasions, c’est en profonde humilité et dans le mépris et abjection de soi-même, c’est en l’éternelle pauvreté d’esprit en suprême degré, c’est enfin en l’amour nu que consiste le pur, parfait et essentiel amour et la vraie sainteté, telle qu’elle doit être exercée en cette vie à l’éternelle suite de Notre Seigneur mourant tout nu sur la croix pour notre amour.

a. Il parle de l’amour sensible qui émeut les sentiments, et non cet amour spirituel qui redonde du fond de l’âme sur les sens. Car cet amour est si pur qu’il est incompatible avec le péché. Il est d’un si grand prix que Dieu même est obligé de l’aimer. Il est si uniforme ; qu’il consumerait en un moment toutes les dissemblances et contrariétés entre l’âme et Dieu. C’est cet amour qui produirait en un instant la contrition parfaite. C’est cet amour qui purge et consume toutes les imperfections de son sujet, afin de le transformer en soi. C’est cet amour qui est vie éternelle. Comment compatirait-il avec l’impureté et la mort ? Cela est impossible. C’est donc de l’amour sensible qu’il parle, ou plutôt de la sensibilité qui produit l’amour. Car partout où est l’amour, le péché n’y peut être, parce qu’il ne peut venir dans un cœur qu’en bannissant le contraire. Cet amour sensible des pécheurs est d’abord purement naturel, mais lorsque cette sensibilité vient à remuer le cœur, et à produire un mouvement spirituel, alors il prépare le cœur à l’amour, qui n’est pas un instant disposé de la sorte, que Dieu qui, comme une rosée céleste, répand sans cesse sa charité sur tous les hommes, les trouvant disposés et préparés, fait entrer dans leur cœur un commencement de charité et de vrai amour.

Pour mieux expliquer, il faut dire que Dieu n’est pas un moment sans verser cet amour sur tous les hommes, car il est impossible que Dieu étant un être communicable de sa nature, il ne se communique pas incessamment à tous les sujets disposés à recevoir ses communications, comme la rosée tombe sur tous les sujets qui lui sont exposés. Mais comme l’homme est né libre, il se ferme, il se retire de cette divine rosée, il lui tourne le dos, il ajoute obstacles sur obstacles pour empêcher qu’elle ne le pénètre. Que fait le sentiment qui naît de quelque bonne chose ? Il remue cet homme peu à peu, et lui ôtant ce qui l’empêche de se tourner, il les tourne ensuite du côté de celui qui répand et infuse sans cesse sa charité dans tous les cœurs. Sitôt que ce cœur est tourné et, comme la conque marine, il s’ouvre à la rosée, elle tombe d’abord sur l’âme. Et c’est les gouttes de cette rosée céleste plus ou moins abondante qui font le plus ou moins de charité. Plus le cœur est ouvert à Dieu, plus il reçoit de l’abondante plénitude de cette charité divine. Mais il faut savoir que cette même charité qui fait son propre chemin, nul ne le peut faire qu’elle-même : elle prépare notre cœur par sa plénitude à une plus grande plénitude, parce que le propre de l’amour est de dilater. Plus il dilate, plus il emplit, car il abhorre le vide. Quoiqu’il semble mettre l’âme en vide et en nudité, ce n’est que selon les sentiments. Il est vrai qu’il vide de tout ce qui n’est point Dieu, car comme la charité est Dieu, elle ne veut que lui seul, elle n’est compatible qu’avec lui seul, tout le reste lui fait ombrage. C’est pourquoi, il met tout en œuvre pour purifier son sujet, pour le dilater, l’étendre, l’agrandir, afin de s’y répandre plus abondamment. Mais ô divine Charité, où trouvez-vous de ces cœurs qui se laissent purifier, étendre et dilater par votre opération ?  qui étant infiniment aimable et bienfaisante, n’est dure qu’à cause de notre impureté. C’est encore beaucoup que vous trouviez quelques cœurs qui vous donnent entrée. Hélas, que vous êtes à l’étroit dans ces cœurs, que vous y êtes contrainte, que vous y êtes souvent contristée ! O Amour ! N’avez-vous pas la puissance d’un Dieu pour agir ? faut-il que nous employions notre liberté qu’à vous résister ? Que cette liberté nous est funeste, et qu’elle nous serait avantageuse si nous la sacrifions toute entière !

Je le dis encore une fois, s’il se trouvait quelqu’un qui ne fût autre chose en pratique que l’amour mourant, ce serait un Phénix entre les hommes. Peut-être y en-a-t-il mais croyez-moi qu’on ne les connaît plus. Tandis qu’un homme (b)[c166]  ne s’excédera point, il s’affranchira  toujours de la Croix, pour vivre à la satisfaction de ses sens. Plusieurs même que l’on croit excellents sont vaincus à ce point et se couvrent en cela de la volonté de Dieu. Chose qui ne se peut assez déplorer. N’être véritable que jusqu’à un certain terme, c’est ne rien faire. Il faut tout donner et toujours rendre la vie en cette agonie, sans espoir d’aucune allégeance et consolation. Et si les saints n’eussent ainsi éternellement agonisé, Dieu ne serait pas si glorieux en eux, ni eux en lui. Celui qui ne se rassasie jamais des souffrances et des angoisses, dans leur abondance et dans leur durée, est très saint et partant est très merveilleux entre les hommes, c’est ce que je n’ai encore guère connu entre les vivants. Il est vrai que c’est assez à un corps faible d’endurer ce qu’il peut, et le peu en ce sens, même le désir dans les saints, est réputé pour le tout. Mais il faut de nécessité que l’esprit soit infiniment fort pour n’être jamais ébranlé, ni touché des désordres et des calomnies dont les vrais Saints sont souvent persécutés à tort et sans cause, quoique ceux qui les traitent ainsi le fassent ignoramment et avec la meilleure intention, ce leur semble. Esprit du Carmel, chap. 6.

8. Ils ont encore assez à faire et à souffrir, tant de la part d’eux-mêmes que des créatures, et ils reçoivent et soutiennent en toute humilité, patience, force et joie d’esprit, autant qu’il leur est possible, tout ce qu’il leur arrive de fâcheux, non comme venant de la main des créatures, mais purement de la libérale main de Dieu et comme les effets de son amour infini. Là-même, chap. 9, § 18.

9. C’est pourquoi la fidélité de l’Épouse est parfaitement éprouvée, car se montrant généreuse et constante à souffrir l’absence de son Bien-aimé, elle pâtit extrêmement, ne cherchant, comme j’ai dit, consolation ni au-dehors ni au-dedans ni directement ni indirectement. elle ne se console que de ses propres désolations, de ses et de ses gémissements plus amoureux, par lesquels elle exprime à son Époux comme elle peut ses regrets tristes, lamentables et angoisseux, si toutefois il lui reste quelque respir actif pour cela. Sinon elle se plaint encore plus douloureusement dans sa totale suspension dans ses souffrances, angoisses et langueurs mortelles, par le continuel regard de son esprit vers son Époux. L’Épouse, dis-je, souffre plus ainsi qu’on ne peut exprimer, étant en cette manière attentive et arrêtée au regard de son Epoux, sans qu’elle y pense, pendant que l’action de ses puissances est totalement suspendue. Car encore qu’elle ait souvent expérimenté les rigueurs de l’absence de son Époux dans les précédents moyens et de grâce et d’amour, celui-ci toutefois est beaucoup plus pénible. Il lui semble ici qu’elle est toute nouvelle et sans expérience en matière de souffrance, à cause des effets rigoureux qu’elle ressent, tout autres que les précédents. Et elle ne sait, par manière de dire, si elle est morte ou vive, ni si elle est à elle ou à son Époux. L’unique consolation qu’elle a, c’est qu’aucune créature ne la peut consoler dans la perte qu’elle pense avoir faite. Esprit du Carmel, chap. 15.

10. C’est à cette perfection qu’il faut parvenir avec un ardent désir et y étant parvenus, il faut y demeurer pour conformer pleinement notre vie à celle de Notre Sauveur. Or pour faire cela comme il faut, rien n’est tant à désirer que la tranquille souffrance. Car en cela consiste la pleine félicité des amoureux esprits en cette présente vie, de souffrir cette amoureuse guerre, et la soutenir en pleine paix de cœur et d’esprit, et en très grandes délices. Ce qui toutefois ne sera pas plutôt, qu’on ne soit mort à toutes choses par dedans. Car pendant qu’on sent de la répugnance à quelque chose, c’est une marque que le cœur n’est pas entièrement plein de Dieu, ni l’esprit entièrement assujetti à sa Majesté. Il faut donc toujours mourir à ses répugnances, et si elles durent toute la vie, il faut les supporter allégrement et arrêter là. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 1.


 


 

LXIII. Transformation

Cantique

Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée sans en ressortir jamais. Ainsi qu’un fleuve, qui est une eau sortie de la mer, et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer, jusqu’à ce qu’y étant enfin retombé, il se perde et se mélange avec elle, ainsi qu’il y était perdu et mêlé avant que d’en sortir. C’est ce mélange que saint Paul appelle (a)[c167]  transformation, et Jésus-Christ (b)[c168]  unité, mêmeté et consommation.

Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu. Chap. 1, v. 1.

a. 2 Cor 3, 18 b. Jn 17- 11, 21, 23

Il faut savoir que l’âme quoiqu’arrivée en Dieu, s’élève peu à peu et se perfectionne dans cette vie divine, jusqu’à ce qu’elle arrive au séjour éternel. Elle s’élève en Dieu insensiblement, comme l’aurore, jusqu’à ce qu’elle vienne à son jour parfait et son midi consommé qui est la gloire du Ciel. Chap. 6, v. 9.

L’Épouse ne craint plus de perdre Dieu, puisqu’elle est non seulement unie, mais changée en lui. Chap. 7, v. 11.

L’Amante demande que son union s’enfonce davantage. Quoique l’âme transformée soit dans une union permanente et durable, elle est néanmoins comme une Épouse qui s’applique aux besoins de sa maison et qui a beau aller et venir sans qu’elle cesse d’être Épouse.

Elle demande de plus une autre grâce qui ne s’accorde que plus tard, et c’est que le dehors soit transformé et changé comme le dedans : car le dedans est longtemps transformé avant que tout le dehors soit changé. En sorte qu’il reste durant quelques temps certaines faiblesses légères qui servent à couvrir la grandeur de la grâce et qui ne déplaisent pas à l’Époux. Cependant elles sont une espèce de faiblesse qui attire en quelque sorte le mépris des créatures. Qu’il me transforme donc, dit-elle, par dehors, afin que personne ne me méprise plus. Chap. 8, v. 14.

Autorités

Saint Denys

1. Voyez Consistance, no 1.

Saint Augustin

2. Que si l’homme pendant qu’il est encore dans la carrière de cette vie, (a) travaille à combattre ses passions et ses désirs déréglés à qui il a donné des armes contre lui-même en se laissant aller au plaisir de jouir des choses passagères, et que mettant sa confiance dans le secours de la grâce de son Dieu, il vienne à bout de les vaincre, étant d’ailleurs fidèle à le servir avec un esprit pur et droit, il sera indubitablement renouvelé et réformé par cette Sagesse incréée dont toutes choses tiennent leurs formes et leur perfection aussi bien que le premier degré de l’être, et passant de la multiplicité des biens (a)[c169]  périssables et sujets à changer à la simplicité du seul bien immuable, il arrivera à la jouissance (b)[c170]  de Dieu même par le Saint-Esprit qui est le don de Dieu.

a. Tous biens qui ne sont point Dieu-même, sont biens périssables.

b. Notez de Dieu même et non de ses dons. Le St Esprit est le don des dons.

Voilà de quelle manière l’homme de charnel qu’il était devient spirituel et se trouve en état (c) [c171] de juger de tout, sans pouvoir être jugé de personne, aimant son Seigneur et son Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit et son prochain comme lui-même, c’est-à-dire d’un amour pur et qui ne tient rien de la chair et du sang, comme nous devons nous aimer nous-mêmes. De la véritable religion, chap. 12.

c. 1Cor. 2. V. 15.

3. les anges et les bienheureux, toutes les substances intellectuelles, ne peuvent avoir de bonheur et de perfection que de Dieu, de sorte qu’elles (d) [c172] ne sont heureuses qu’autant qu’elles le connaissent, ni parfaites qu’autant qu’elles se portent par leur amour vers ce premier principe de toutes choses.

d. Le vrai bonheur consiste à chercher ce bonheur en  Dieu seul par véritable amour. Et tout le malheur vient de chercher, désirer et faire son bonheur en soi-même.

(*) [c173] Il faut donc que la religion (e) [c174] nous lie et nous unisse au seul Dieu tout-puissant et qu’elle nous y unisse (f)[c175]  immédiatement et sans l’entremise d’aucune créature, que cette lumière intérieure qui nous fait connaître le Père se communique à nos âmes et comme cette lumière n’est autre chose que la vérité éternelle, adorons aussi dans le Père et avec le Père cette vérité qui l’exprimait parfaitement et sans aucune différence, est la forme et le modèle de toutes les créatures, puisqu’il n’y en a aucune qui ne vienne de l’unité. Ce qui fait voir clairement à ceux qui ont les yeux de l’esprit ouverts que toutes choses ont été faites par cette forme primitive qui seule exprime parfaitement ce que toutes les autres choses cherchent et imitent en quelque manière.

*Union. N. 18.

e. Effets de la Religion en nous : tout ceci est conforme aux Manuscrits (aux Explications sur la Ste Ecriture  imprimées depuis.)

f. St Augustin prouve que la Religion Chrétienne doit avoir pour fin l’union immédiate et sans moyen. Il est certain que l’esprit intérieur de la Religion Chrétienne et Catholique nous conduit à cela.

Adorons donc cette Sainte Trinité d’une seule et même substance : c’est l’unique Dieu en qui se trouve le principe qui nous a fait, et le don ineffable par lequel il nous conserve et nous fait subsister. Ce Dieu que nous avions abandonné et de qui nous avions perdu la ressemblance et qui n’a pas voulu nous laisser périr. Ce principe vers lequel nous retournons, ce modèle que nous suivons et auquel notre renouvellement nous rend conformes, et cette bonté, source de toute grâce qui opère notre réconciliation, ce Dieu souverainement bon, qui est l’auteur de notre être, cette (b)[c176]  ressemblance substantielle du Père, par laquelle l’image (a) [c177] de cette souveraine unité se retrace en nous, et cette (b)[c178]  paix éternelle qui nous tient unis à Dieu, qui n’a eu qu’à parler pour faire tout ce qu’il y a de natures et de substances. Cette Parole éternelle par laquelle il les a faites, ce don ineffable de sa bonté qui a fait que les créatures qu’il a tirées du néant par sa parole ont trouvé grâce devant ses yeux et qu’il a bien voulu ne les pas laisser périr entièrement, cet unique Dieu qui comme Créateur nous a donné l’être et la vie, qui comme Réparateur nous a fait entrer par le renouvellement qu’il fait en nous, dans une vie conforme aux règles de la véritable (c) [c179] Sagesse, qui comme Sanctificateur nous fait arriver à la vie bienheureuse (d) [c180] en nous communiquant son amour et en nous faisant jouir de lui, enfin cet unique Dieu de qui, par qui et en qui sont toutes choses : à lui soit honneur et gloire dans tous les siècles des siècles (e)[c181] . Ainsi soit-il. Là-même, chap. 55.

b. Comme un, il nous appelle à l’unité. Comme ressemblance du Père, il nous appelle à la conformité.

a. Le Traducteur : cette image se retrace à mesure que notre cœur se simplifie, se retirant de toute la multiplicité des objets qui le dissipent. (Comment l’image du Verbe se retrace en nous, voyez Moyen court. Chap. 21. N.5)

b. Notez paix éternelle qui nous tient unis à Dieu

c. Cette véritable Sagesse n’est autre que la Sagesse de Jésus-Christ, et non la fausse sagesse que le monde estime, et que Jésus-Christ a condamnée.

d. Aimer et jouir de Dieu, c’est l’unique félicité de toutes substances spirituelles. N’est-ce donc pas in étrange malheur de se priver par soi-même de cette unique et essentielle félicité ?

e. Ainsi soit-il, même à mes dépends.

4. Vouloir être heureux, c’est chercher Dieu, et l’être effectivement, c’est l’avoir trouvé et le posséder. Or le chercher, c’est (a)[c182]  l’aimer, et le posséder, ce n’est pas être transformer et comme fondu en sa substance, en sorte qu’on ne soit plus qu’une même chose avec lui ; c’est être près de lui jusqu’à le toucher, mais d’une manière ineffable que la seule intelligence peut concevoir, en sorte qu’on soit non seulement éclairé, mais environné et pénétré de sa vérité et de sa sainteté infinie, car il est la lumière par essence et toute l’excellence de notre nature ne consiste qu’en ce que nous sommes capables d’en être éclairés.

[a. cette recherche ou ce désir n’est pas la transformation...]

a. cette recherche ou ce désir n’est pas la transformation, car la transformation, qui consiste à être transformé et comme fondu, non en sa substance, en sorte qu’on ne soit plus qu’une même chose avec Dieu, mais en réalité de volonté et de vérité, au sens que je vais dire, est incompatible avec la recherche et le désir sensible, mais non pas avec le désir propre de cet état qui est le poids de l’amour, ainsi qu’il est écrit (aux Confess. De St Augustin. Livr. 13. Chap. 9.) : mon amour est mon poids. C’est donc parler improprement que de dire que l’âme ne désire pas, puisqu’il est certain qu’elle désire toujours, mais c’est qu’il y a un temps où l’âme sent son désir, alors elle connaît qu’elle désire et elle dit : je désire. Mais il en vient un autre où ne connaissant et ne distinguant point son désir, son ignorance lui fait dire qu’elle ne désire point, et elle ne peut dire autre chose, à moins qu’une lumière surnaturelle ne lui fasse voir autrement. Cette lumière surnaturelle lui fait donc comprendre que le désir sensible est la recherche de Dieu, que le désir qui n’est point aperçu dans la jouissance du bien qu’on cherchait est le poids de l’amour. La recherche se fait de l’amour et c’est un désir pour l’amour. Mais la jouissance est la possession de l’amour même. Et ce désir qui se fait dans l’amour n’est autre que le poids de l’amour qui ne peut se distinguer de ce même amour, comme le poids qui nous enfonce dans la mer ne nous laisse rien distinguer que la même mer, au lieu que le désir d’arriver à la mer nous laisse distinguer toutes nos démarches et le désir d’y arriver est très sensible. Mais lorsqu’on y est plongé, on ne distingue plus rien en elle qu’elle-même, sans cesser néanmoins de s’y enfoncer toujours plus. Car si la mer était infinie, n’est-il pas vrai qu’on s’y enfoncerait à l’infini, sans autre action ni distinction que la mer ? Et c’est cet enfoncement indistinct en Dieu qui est le désir de l’âme à ce degré.

Ceci fait voir la différence de la transformation des Mystiques d’avec l’erreur des Manichéens, qui croyaient que nos âmes étaient des portions de la substance de Dieu, ce qui ne peut jamais être, dieu étant une substance indivisible mais aussi communicative. Entant que communicative, c’est donc une émanation de Dieu et non une portion de sa substance. Nous sommes transformés en Dieu par l’amour qui faisant passer notre volonté dans la volonté de Dieu, elle n’a plus certaines fonctions propres qui la rendaient imparfaite et dissemblable à Dieu.

La transformation de notre esprit se fait lorsque perdant ses lumières propres, il se laisse remplir et éclairer d’une vérité nue, simple et générale qui chasse si fort tout ce qui lui est contraire, soit erreurs, soit opinions, soit confusions d’espèces, multiplicité de raisons, qu’elle semble tout convertir en elle. Il est vrai que cette lumière de vérité et cette volonté de Dieu change la nature des opérations de l’esprit et de la volonté en se les conformant, en sorte que l’entendement, qui par son opération grossière ne comprend les choses que successivement, et montant des unes aux autres, ou comparant les unes avec les autres, est surpassé par la lumière pure et nue de la vérité. Il est donné à cet entendement une lumière conforme à cette vérité, qui est une foi nue, confuse, générale, qui embrasse son objet tout d’un coup, sans succession ni comparaison, sans raisonnement. Or cette simple disposition de foi nue dans l’esprit étant conforme à la vérité, attire la vérité. Et cette vérité ne trouvant plus dans l’esprit de contrariétés qui lui sont opposées, parce que la foi l’en a purifié, elle illustre tellement l’entendement que l’esprit paraît transformé en cette même vérité, comme l’air pénétré des rayons du Soleil éblouit les yeux tout ainsi que le Soleil même, quoique l’air ne soit point le Soleil, ni le Soleil l’air. Il est certain que l’esprit conserve toujours sa substance et même sa forme créée, mais il est tellement changé quant à son opération, qu’il reçoit sans mélange la vérité nue, parce qu’il a été disposé pour cela par la foi nue. Et cette vérité claire et nue surmonte tellement toutes les lumières de notre esprit qu’elles paraissent comme éteintes. Elles ne le sont pas néanmoins, mais elles sont informées d’une autre lumière de vérité nue, propre à l’esprit purifié. Si je dis quelque chose qui ne soit pas bien, je le soumets, car comme je l’ai dit, ce que j’écris me paraît toujours nouveau et il passe par moi sans être de moi.

       Pour la transformation de la volonté, elle se fait aussi forte. La volonté de Dieu purifiant peu à peu les contrariétés et les oppositions de notre volonté, elle attire à elle par conformité de telle sorte la volonté de l’homme, l’imprimant des caractères propres à cette conformation, en sorte qu’ôtant à l’homme l’usage propre de sa volonté, en ce qu’elle a de contraire à la volonté de Dieu, l’âme ne trouve plus en elle que la volonté de Dieu, quant à l’acte de cette volonté qui ne veut que ce que Dieu veut. Dieu la change si fort en la sienne, ne lui laissant que les impressions de ses divins vouloirs que l’âme ne distingue plus sa volonté. Ce qui n’empêche pas que sa  volonté comme portion essentielle d’une âme indivisible, aussi bien que son esprit, ne subsiste toujours, mais l’usage de la volonté, en ce qu’elle avait de contraire à Dieu, est changé en une telle uniformité des vouloirs divins qu’elle est dite être faite volonté de Dieu. Mais cela ne peut jamais être pris substantiellement, ainsi que je l’ai fait voir dans l’Explications du Cantique (Ch. 1v. 1), où je dis que l’être de l’homme subsiste dans son entier et n’est point transformé autrement que comme je le viens d’expliquer. Je voudrais pouvoir l’exprimer aussi nettement que je le conçois, mais votre science suppléera au défaut de mes expressions.

       Il faut savoir que toute transformation d’esprit et de volonté se fait par l’amour, car la vérité est la lumière de l’amour, et l’amour en est la chaleur. Ils sont distincts et indivisibles, comme dans la gloire, l’amour et la lumière béatifique quoique très distincts de l’amour se trouvent conjoints et inséparables dans jouissance de Dieu.

Or si la souveraine félicité n’est autre chose que la possession de Dieu, il s’ensuit que le plus important des commandements, et qui nous conduits le plus sûrement à cette félicité, c’est sans doute celui qui nous ordonne d’aimer (a)[c183]  le Seigneur notre Dieu (b)[c184]  de tout notre cœur, de toute note âme et de tout notre esprit (a)[c185] . Et c’est ce qui résulte de ce que dit saint Paul, (a)[c186]  que tout tourne en bien à ceux qui l’aiment, et il ajoute un peu plus bas, que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les vertus, ni les maux présents, ni les biens à venir, ni ce qu’il y a de plus élevé ou de plus profond, ni aucune créature ne sauraient nous séparer de l’amour de Dieu qui nous est communiqué par Jésus-Christ Notre Seigneur.

 

a. Tout est compris dans le commandement d’aimer.

b. Matth. 22. V. 37.

[a. Comment aimer Dieu de tout notre esprit ?]

a. Comment aimer Dieu de tout notre esprit ? C’est lorsque la vérité et l’amour unis nous ont rendus uniformes et transformés en Dieu. Alors on aime de tout l’esprit, puisque cette vérité, qui est la clarté de l’amour, pénètre notre esprit à proportion et à mesure que sa chaleur pénètre notre cœur ou notre volonté, car la volonté est le cœur de l’âme, comme l’entendement en est l’esprit. Notre esprit étant transformé dans la lumière de vérité, et notre volonté en chaleur d’amour efficace, nous aimons Dieu de tout notre cœur et de tout notre esprit. Nous l’aimons de toute notre âme, puisque ce sont nos puissances indistinctes qui composent son tout indivisible. Nous l’aimons de toutes nos forces, parce qu’en aimant de la sorte, nos forces multipliées et divisées dans tous les objets du dehors, se trouvent recueillies et ramassées dans cet amour unique et uniforme.

L’amour pur ne souffre ni division, ni partage, parce qu’il est unique et souverain : comme unique, il abhorre la division ; comme souverain, il ne peut souffrir de partage.

Tout autre amour est partagé : il n’y a que le pur amour dégagé de toute multiplicité, tel que le requiert l’état intérieur dans toutes ses parties et dans sa totalité, selon qu’il est expliqué en cet éclaircissement, qui soit le seul amour sans partage, puisqu’on marche par le dénuement et la séparation de tout objets créés, on se ramasse et on se recueille en un seul et unique objet qui est Dieu. Il est véritablement notre objet béatifique, lorsqu’il nous a purgé de toutes les contrariétés qui l’empêchent de régner souverainement en nous. De sorte que, comme je pense l’avoir déjà dit, (voyez ci-dessous n°27 la note. Voyez aussi Perte, n°30, la note), la voie intérieure est un tout indivisible, composé de parties auxquelles on ne peut toucher sans la détruire. En sorte que si vous en admettez une partie et ôtez l’autre, vous la détruisez. Il faut tout ou rien. Si vous admettez ses principes et son commencement, aussi bien que son progrès, il faut admettre sa consommation et sa fin. Sans quoi, c’est une ébauche de la vérité de l’intérieur, mais ce n’est point l’intérieur parfait.

Que si on dit que l’on remet sa consommation dans l’autre vie, je dis que dans l’autre vie sera la consommation de la grâce et de la gloire, la consommation de tout accroissement et de tout mérite, le fruit, la récompense et la jouissance claire de la vérité de l’intérieur. Mais pour l’intérieur en lui-même, il doit avoir sa totalité composée de ses parties perfectionnées et consommées dans cette même totalité dès cette vie. Il a son commencement, qui n’est autre que la parfaite conversion en tous les sens que le parfait recueillement l’exige. Son progrès qui est cette faim et cette recherche continuelle de Dieu par l’éloignement, la fuite et la purification de tout ce qui lui est contraire, la fin de cet état est le repos dans le Souverain bien qu’on a cherché et désiré. Mais il faut remarquer que ce repos est dans la jouissance de Dieu, autant qu’on la peut avoir en cette vie. Ce qui n’empêche pas qu’on n’avance toujours en lui, ainsi l’état est consommé quant à l’activité de la créature, mais il n’est pas consommé ni achevé quant à l’opération perfectionnante de Dieu. Je crois qu’on peut se servir de la comparaison du corps humain qui est dit être parfait, lorsqu’il est composé de toutes ses parties Et quoiqu’il se trouve des aveugles, boiteux, manchots, on ne dit pas pour cela qu’il faille être de cette sorte, ni que le corps doive manquer de ces parties, mais on dépeint un corps parfait, lorsqu’il ne lui manque rien. Et outre cette perfection, il y a la beauté et l’éclat de la perfection, lorsque toutes ses parties sont non seulement entières, mais qu’elles ont toutes les justes proportions qu’elles doivent avoir, que le coloris y est ajouté. Lorsqu’on peint un corps parfait, on le peint de cette sorte, et tout le monde convient que la beauté de ce corps est une beauté parfaite, quoiqu’il soit certain que sa perfection ne soit rien au prix de celle qu’il aura dans la gloire. Or pour nous faire voir que le corps n’a pas la perfection de la gloire, quelque beau qu’il nous paraisse, on ne lui ôte pas pour cela les parties essentielles qui composent son tout. Il en est de même de l’intérieur. Disons que sa perfection sera toute autre dans l’autre vie, mais ne lui ôtons aucune de ses parties qui composent ce tout admirable, qui est le chef-d’œuvre de l’amour et de la puissance de Dieu, puisque selon le témoignage du B. Jean de la Croix, que j’ai déjà rapporté, (V. Purification, n. 32) Dieu a plus fait en purifiant et réformant l’homme qu’en le créant. On peut voir dans l’ordre général du monde ce que j’avance, pour l’ordre particulier de l’âme. Un fiat a tiré toutes les créatures du néant, et il a fallu la mort d’un Dieu pour les réparer, purifier, renouveler et rétablir dans l’ordre de Dieu.

Le traducteur du Livre de St Augustin, ensuite de cette apostille ; Qui aime Dieu le cherche et qui le cherche le trouve, ajoute que puisque, comme l’on a vu, aimer Dieu c’est le chercher, et quiconque le cherche, le trouve, il arrive infailliblement à le posséder, c’est-à-dire, comme on l’a vu au Chap. 10, qu’il est heureux et qu’il l’est quoiqu’il lui arrive, puisque les biens et les maux contribuent également à le porter à ce qui fait son bonheur : tout le bonheur de la vie consiste à marcher incessamment vers Dieu, sans s’arrêter pour toutes les prospérités ou adversités qui nous arrivent et de s’y reposer au-dessus de tous les maux et de tous les biens.

a. Rom. 8. V. 28, 38, 39.

Il ne faut donc qu’avoir compris ce que nous venons d’établir, et en être bien persuadé, pour voir clairement que s’il est vrai, comme nous n’en saurions douter, que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, il est donc ce qu’il y a de meilleur pour nous, c’est-à-dire qu’il est le Souverain Bien, à l’acquisition duquel nous devons travailler avec un empressement qui nous fasse mépriser tous les autres, et à qui tout le monde convient que tout notre amour est dû. Aussi nous ordonne-t-il non seulement de l’aimer, mais de l’aimer de telle sorte que nous aimions nulle autre chose.

Car c’est ce que l’Écriture nous veut faire entendre quand elle nous ordonne de l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et s’il est vrai d’ailleurs, comme nous n’en saurions douter non plus, qu’il n’y a rien qui nous puisse séparer de l’amour de Dieu, ni par conséquent nous le (a)[c187]  faire perdre, n’est-il pas plus clair que le jour qu’il est le plus solide et le lus assuré, aussi bien le plus grand et le plus excellent de tous les biens ? (b)[c188]  Comment pourrait-on nous séparer de l’amour de ce Bien ineffable, en nous menaçant de la mort, puisque la partie de nous-même par où nous l’aimons ne saurait mourir qu’en cessant de l’aimer ? Car la mort de l’âme n’est autre chose que l’extinction de l’amour de Dieu en elle, et (a)[c189]  cet amour s’éteint dès qu’elle aime quelque chose plus que Dieu, c’est-à-dire, dès qu’elle cherche quelque autre bien préférablement à celui-là.

Comment pourrait-on nous en séparer par la promesse de la vie, puisque ce serait comme sien nous promettant de l’eau, no nous séparait de la source ? Comment les anges pourraient-ils nous en séparer, puisque (b)[c190]  la force d’une âme qui est unie à Dieu n’est point inférieure à celle des anges (c)[c191]  ?

a. Si la charité se perd sitôt qu’on aime quelque chose plus que Dieu, il est constant qu’elle s’affaiblit dès qu’on aime quelque chose avec Dieu, quoiqu’on l’aime moins que lui. Car comme ce que nous aimons frappe les sentiments, il est à craindre que d’un amour dépendant nous n’en faisions un amour égal. Ce qui affaiblit si fort la charité qu’elle n’a presque plus de vie. Lorsque l’inclination est parvenue jusque-là, elle éteint bientôt la charité, faisant un amour souverain d’une charité subordonnée.

b. Force d’une âme unie à Dieu égale à celle des Anges.

c. Le traducteur : les Anges n’en ayant eux-mêmes que par leur union avec Dieu.

Comment les vertus le pourraient-elles, puisque si on entend par ce mot-là quoique ce puisse être, de ce qui peut quelque chose dans l’Univers, l’union d’une âme avec Dieu l’élève au-dessus de l’Univers ? Ou si on entend par le mot de vertus les dispositions de l’âme qui en font la rectitude et la perfection, tant s’en faut que les vertus nous puissent séparer de Dieu, que si elles sont dans les autres, elles nous sont un secours pour nous unir à lui ; que si elles sont en nous, c’est par elles que nous sommes (a)[c192]  unis à Dieu.

Comment les maux pourraient-ils nous en séparer, puisqu’ils nous sont d’autant moins sensibles (b)[c193]  que nous sommes plus unis à celui dont ils semblent nous vouloir séparer ?

Comment les promesses de quelque bien à venir pourraient-elles nous séparer de Dieu ? Puisqu’il n’y a de promesses solides et sûres que les siennes, ni de biens véritables que ceux qu’il nous promet, qu’il est lui-même le plus grand de tous les biens et qu’il est même déjà (c)[c194]  présent à ceux qui lui sont unis de la manière dont on doit l’être ?

a. Le traducteur : St Augustin fait voir au Chap. 13 qu’il n’y a que la charité qui puisse nous unir à Dieu. Cela s’accorde bien avec ce qu’il dit ici : que c’est par la vertu que nous lui sommes unis, puisque comme on verra au chap. 15, toute vertu est charité.

b. Apostille du même. L’union avec Dieu est le seul véritable adoucissement des maux de la vie. Mais l’on y cherche toujours plutôt tout autre adoucissement que celui-là.

c. Dieu est présent à ceux qui lui sont unis, ou parce qu’ils ont une expérience réelle de sa présence, ou comme bien Souverain qu’ils possèdent déjà en quelque manière par leur union qui est une béatitude commencée.

Comment ce qu’il y a de plus élevé et de plus profond pourrait-il nous séparer de Dieu, puisque si on entend par ces mots, la sublimité ou la profondeur de la science, je sais que la curiosité est une des choses que je dois éviter pour ne me point séparer de Dieu ; qu’en vain les plus savants hommes s’efforcent de m’en séparer, sous prétexte de me tirer de l’erreur, puisque je sais que (a)[c195]  personne n’est dans l’erreur que pour être séparé de lui ? Que si on entend par ces mots-là le ciel et l’enfer, comment la promesse du ciel ou la crainte de l’enfer pourraient-elles me séparer de Dieu, puisque je sais que le ciel est son ouvrage, et que si je n’étais point séparé de lui, je n’aurais rien à craindre de l’enfer ?

a. Apostille. Quelle est la source de l’erreur où les hommes sont plongés ?

Enfin en quelque lieu qu’on me mette, comment pourrait-on me séparer de Dieu puisqu’il est partout ? Ce qui ne pourrait être, si quelque sorte d’espace ou de lieu pouvait le renfermer ou le contenir. Des mœurs de l’Église, chap. 2.

Ruusbroec

5. Nous passons de clarté en clarté, et par la lumière créée de la grâce divine, nous sommes élevés dans la lumière incréée qui est Dieu même. Nous sommes introduits et transformés en notre éternelle image qui est la Sainte Trinité. Là le Père nous trouve et nous aime en son Fils. Le Fils nous trouve et nous aime du même amour en son Père. Le Père et le Fils nous embrasse dans l’unité (130) du Saint Esprit. Des sept gardes, chap. 17.

6. Voyez Opérations propres, no 6.

Harphius

7. Cette déification est au-dessus de toute raison, et n’est connue que de l’expérience. La raison se peut tromper aisément dans ces choses qui sont au-dessus d’elle, mais celui qui est pleinement éclairé de Dieu trouve et possède la vérité sans fausseté et sans erreur. Théologie mystique, livre III, chap. 24.

Sainte Catherine de Gênes

8. Je ne vois plus d’union, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, ni ne cherche pas à le savoir, ni n’en veux avoir de nouvelles. Je suis aussi noyée dans la source de l’amour et dans ce doux feu qui surpasse toute mesure, comme si j’étais abîmée (a) dans la mer sans pouvoir ni voir ni sentir que l’eau. En sorte que je ne puis plus comprendre autre chose que tout amour, qui me fait fondre toutes les moelles de l’âme et du corps. En sa Vie, chap. 22.

a. Ceci est une expérience de la doctrine précédente. Il me semble qu’on peut aussi se servir de la comparaison du feu et du bois pour prouver de quelle nature est la transformation : car comme véritablement le feu communique ses qualités au bois, sans le faire changer de nature, quoiqu’il le change néanmoins de telle sorte en ses qualités qu’il a toutes celles du feu, cependant son être reste différent de celui du feu. (Il en est de même de la Transformation.) Voyez Purification. n. 45.

9. Voyez Anéantissement, no 12.

10. Voyez Création, no 5.

Le bienheureux Jean de la Croix

11. Comme cette transformation et union ne peut tomber dans le sens et habileté humaine, il faut que l’âme se dénue parfaitement et volontairement de tout ce qui peut être en elle. Je dis d’affection et de volonté, en ce qui est de sa part, car qui empêchera Dieu de faire ce qui lui plaira en une âme résignée, dénuée et anéantie. Montée du Mont Carmel, livre II, chap. 4.

12. D’où vient que Dieu se communique plus à l’âme qui est avantagée en amour, ce qui consiste à avoir sa volonté plus conforme à celle de Dieu, et celle qui l’a du tout conforme et semblable est totalement unie et transformée en Dieu surnaturellement. Là-même, chap. 5.

13. Dieu enflamme la volonté avec l’amour divin de manière que la volonté ne soit plus que divine, n’aimant pas moins que divinement, faite et unie en un avec l’amour et la volonté divine. Et la mémoire pareillement, comme aussi les affections et les appétits sont tous changés selon Dieu divinement, et ainsi cette âme sera toute céleste et plus divine qu’humaine. Obscure Nuit, livre II, chap. 13.

14. Or sur ce crayon de la foi, il y a un autre crayon d’amour en l’âme de l’amant qui est selon la volonté en laquelle la figure de l’ami se crayonne de telle manière et se dépeint en elle si conjointement et si vivement quand il y a union d’amour, qu’il est vrai de (132) dire que l’ami vit en l’amant et l’amant en l’ami. Et l’amour fait une telle sorte de ressemblance en la transformation des aimés qu’on peut dire que chacun est l’autre et que tous deux font un. La raison est parce qu’en l’union et la transformation d’amour, l’un donne possession de soi à l’autre et chacun se laisse, se donne et s’échange pour l’autre. Et ainsi chacun vit en l’autre, et l’un et l’autre, et les deux sont un par transformation d’amour. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 12.

15. Voyez Mariage spirituel, no 6.

16. L’âme étant sortie de tout, se transforme en Dieu qui est celui qu’elle appelle ici jardin pour le lieu suave et délectable que l’âme trouve ne lui. (*) [c196] Or on n’arrive point à ce jardin de pleine transformation, lequel est déjà joie, délectation et gloire de mariage spirituel, sans passer premièrement par les fiançailles et par l’amour loyal et commun des fiancés. D’autant qu’après que l’âme a été quelque temps fiancés en un entier et suave amour avec le Fils de Dieu, après le même Seigneur l’appelle et la met en ce jardin fleuri pour consommer avec lui ce très heureux état de mariage, où il se fait une telle union des deux natures, et une telle communication de la divine à l’humaine, que, pas une ne changeant son être, chacun semble être Dieu, encore que pendant cette vie, cela ne puisse être parfaitement, bien que ce soit au-dessus de tout ce qu’on peut dire et penser. Elle jouit d’une délectation de gloire de Dieu en la substance de l’âme déjà transformée en lui. Là-même, couplet 28.

* Fécondité Spirituelle. n. 6.

17. Nous entrerons dans ces celliers.[c197] 

C’est autant que si l’âme disait : là nous nous transformerons en transformation de nouvelles notices et de nouveaux actes et communication de l’amour. Car encore que l’âme, lorsqu’elle dit cela soit déjà transformée, à cause de l’état susdit, cela n’empêche pas néanmoins quelle ne puisse avoir de nouvelles illustrations et transformations, de nouvelles connaissances et lumières divines. Au contraire, il y a des illuminations très fréquentes de nouveaux mystères que Dieu communique à l’âme en la communication perpétuelle qui est entre lui et l’âme. Oui même il lui communique cela en soi-même et elle entre comme de nouveau en Dieu, selon la notice de ces mystères qu’elle connaît en lui et en cette connaissance de nouveau elle l’aime hautement et très étroitement, se transformant en lui selon ces nouvelles notices. Et la saveur et délectation qu’aussi elle reçoit pour lors de nouveau est totalement ineffable. La-même, couplet 37.

18. Voyez Mariage spirituel, no 9.

19. Voyez Création, no 11.

20. Voyez Communication, § I, no 2.

21. Voyez Entendre, no 21.

22. En cet état cette liaison paraît une toile si déliée, à cause qu’elle est déjà fort spiritualisée, illustrée, affinée ou subtilisée, que la Divinité ne laisse pas de luire au travers, et comme l’âme sent la force de l’autre vie, elle voit la faiblesse de celle-ci et la toile lui semble très délicate, et même une toile d’araignée. Et encire est-elle bien moindre aux yeux de l’âme qui est déjà si agrandie. Car étant élevée à une manière divine de sentir, elle sent et juge les choses à la façon de Dieu devant lequel, comme dit le Prophète (a)[c198]  mille ans sont comme le jour d’hier qui est passé, et selon Isaïe (b)[c199]  tous les peuples sont comme s’ils n’étaient point. Et tout est devant l’âme en ce prix et en cette estime, parce que toutes choses ne lui font rien, et elle encore à ses yeux n’est rien, Dieu seulement lui est toutes choses.

Dieu, pour la consommer et élever davantage de la chair, fait en elle des investitures glorieuses et divines, à guise et forme de rencontres qui le sont véritablement, par lesquels il pénètre toujours, déifiant la substance de l’âme et la rendant comme divine. En quoi l’être de Dieu absorbe l’âme, tout ainsi qu’il l’a rencontrée et transpercée vivement au Saint-Esprit, duquel les communications sont impétueuses quand elles sont fervents, comme celle-là l’est, en laquelle, parce que l’âme goûte vivement de Dieu, elle l’appelle douce, non parce que les autres attouchements et rencontres qu’elle reçoit en cet état ne soient doux et savoureux, mais à cause de l’éminence que ce rencontre a pardessus tous les autres.

Vive flamme d’amour. Cantique 1 vs. 6.

a. Ps. 89. V. 4.          b. Is. 40. V.17

23. Voyez Sentiments, no 5.

24. Voyez Union, no 58.

25. Voyez Communication, § I, no 4.

26. C’est un don mystique et affectif de l’âme à Dieu, car il lui semble véritablement que Dieu est sien et qu’elle le possède comme enfant adoptif de Dieu, avec propriété de droit, par la grâce que Dieu lui a fait de soi-même. Elle le donne donc à son Bien-aimé, qui est le (135) même Dieu qui s’est donné à elle. En quoi elle paye tout ce qu’elle doit, car de la volonté elle lui en donne tout autant avec plaisir et joie inestimable, donnant le St Esprit chose sienne, en donation volontaire, afin qu’il soit aimé comme il mérite. Et en cela l’âme reçoit une délectation indicible de voir qu’elle donne à Dieu une chose qui lui convient selon son Être infini. Car encore qu’il soit vrai etc. (Voyez Union, no 62). Vive flamme d’amour, v. 5 & 6.

27. En ce réveil que fait ici l’Époux en cette âme parfaite, tout est parfait (a)[c200]  car c’est lui qui fait tout au sens qu’il a été dit. Là-même, cant. 4, v. 3.

a. Tous les états de vie intérieure, lorsqu’elle est véritable et profonde, sont tellement rapportant les uns aux autres, et supposent si fort la nécessité les uns des autres, qu’on ne saurait en nier aucun sans les nier tous, ni les démembrer sans rendre le tout défectueux et destitué d’une des ses parties. Ceci est d’une grande conséquence et mérite une attention singulière.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

28. Saint Bernard. Voyez Fonte de l’âme, no 2.

29. D.[c201]  Barthe[c202] lemy des Martyrs. Voyez Propriété, no 24.

30. Albert le Grand. Voyez Pur amour, no 29.

31. Richard. L’esprit semble défaillir de l’humain au divin, tellement qu’il n’est plus lui-même. Livre V. De la contemplation, chap. 12. Éclaircissement des phrases myst[c203] . de Jean de la Croix. IIe partie, chap. 16, § 4.

32. Rossignolius[c204] , qui dit que saint Grégoire de Nazianze a qualifié cette union du nom de déification ; d’autres de celui de déiformité. Livre V, De la Perfection, chap. 24. Là-même.

33. Saint Augustin, à qui Notre Seigneur disait : « Je suis la viande des forts, croissez et puis vous me mangerez, vous ne me changerez pas néanmoins en votre substance, comme il arrive en la nourriture corporelle, mais ce sera vous qui serez changé en moi » Confessions, livre. VII, chap. 10. Là-même.

34. Albert le Grand. C’est l’amour seul par lequel nous nous convertissons à Dieu, nous nous transformons en Dieu, nous adhérons à Dieu, nous sommes unis à Dieu et sommes un esprit avec lui.

Il n’y a rien de plus aigu que l’amour, rien de plus subtil ou pénétrant, et il ne se repose point jusqu’à ce que naturellement il ait pénétré amiablement toute la vertu, profondeur et totalité. Et il se veut faire une chose avec l’aimé et s’il le peut, la même chose que l’aimé. Car l’amour est une force unitive et transformative, transformant l’amant en l’aimé, et l’aimé en l’amant, afin que l’un des amants soit en l’autre réciproquement, le plus intimement qu’il se peut. De l’attachement à Dieu, chap. 12. Là-même.

35. Denis le Chartreux. En cette transformation de l’esprit en Dieu, l’esprit même s’écoule de soi, et défaut, et se laissant avec toute la propriété de soi-même et des autres choses, il est plongé et enfoncé, fondu et liquéfié, absorbé et abîmé dans cet abîme surineffable, très simple et interminable, et aussi en cette obscurité inscrutable et inaccessible, et afin de comprendre tout ensemble, il est anéanti et perdu, mais il vit en Dieu et étant avec lui nu, pur et libre de toute propriété , mélange et affection, il est fait une chose, un esprit, une âme, un être, une félicité, car il reçoit et n’admet autre chose. Parce qu’il a passé en la simplicité déiforme, l’influence de Dieu le tirant intérieurement, et le contact le surélevant, aliène l’âme de soi et la transporte comme en un être nouveau, non pas qu’en tout ceci la nature et l’existence de la créature soit changée ou cesse d’être, mais parce que la façon est exaltée et la qualité déifiée. De la vie solitaire, livre II, chap. 10. Là-même.

Le Père Benoît de Canfeld

36. L’âme hait à mort tout ce qui peut faire ressentir quelque plaisir, ou avoir autre pensée d’elle-même, ou qui lui persuade qu’elle est une et son Époux un autre, en qui elle désire que toutes les créatures soient fondues, liquéfiées, consommées et anéanties. Ici elle s’entend et reçoit cette essence en elle, non comme un vase reçoit quelque chose, mais comme la lumière de la lune celle du Soleil. Ici elle étant ses purs et chastes bras, pour plus étroitement embrasser et étreindre son Époux, mais elle s’en trouve plus étroitement embrassée et étreinte. Ici elle ouvre la capacité de son esprit pour engloutir cet abîme, mais au contraire elle s’en trouve heureusement absorbée et ne sait que faire pour satisfaire l’impétuosité de cet amour. Elle demeure seulement en une pure, simple et constante conversion et adhésion à Dieu, auquel elle demeure si immuablement attachée que comme parle l’Apôtre, elle (a)[c205]  s’en revêt, car par ce fixe regard elle le voit uniquement, par cette simple conversion elle se divertit de toutes les créatures, et par son immutabilité, elle les oublie toutes, afin qu’elle n’entende, n’aime et ne se ressouvienne que de lui. Et ainsi vraiment, comme dit l’Apôtre, elle le revêt et se transforme en lui. –

a. Rom.13. V. 14. Eph. 4. V. 24.

Cette vaste étendue d’anéantissement est cette solitude de laquelle l’Époux dit en Osée : (a)[c206]  Je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cœur. Mais d’autant que cet immense espace d’anéantissement lui est maintenant comme habituel, pour en avoir vu le fond par expérience, aussi bien que cet excellent amour pour être fondue et transformée en lui, de là vient que leur effet est comme continuel, à savoir l’habitude d’union ou la continuelle assistance et propre vision de cette essence.

Toute cette imperfection est ici purgée, attendu que l’âme a découvert en elle , et expérimentalement goûté, comme son Époux est plus dedans qu’elle-même, et que par ce degré de continuelle et habituelle union, elle s’occupe toujours en lui, sans en plus douter ni hésiter, de sorte qu’une telle âme vit toujours en la lumière, et toujours avec l’Époux céleste, sans que les ténèbres, la mort ou le Diable lui puissent nuire ou s’approcher d’elle, mais (b)[c207]  le Diable sortira de dessous ses pieds, la mort s’enfuira de devant sa face. Et (c) [c208] les ténèbres ne seront point obscurcies de toi, et la nuit sera éclairée et comme le jour. (d)[c209]  Les ténèbres des œuvres extérieures ne seront pas obscurcies par toi, et la nuit de la vie active sera illuminée comme le jour de la vie contemplative. Ses ténèbres seront de même que sa lumière.

a. Osée 2. V. 14

b. Hab. 3.v.5.

c. Ps. 138. V. 12.

d. Tout ceci est lorsque l’âme, après avoir été passivement patissante, si on peut se servir de ce terme, devient passivement agissante.

Enfin voilà la vraie vie active et contemplative, non pas séparées comme quelques-uns pensent, mais jointes en même temps, parce que la vie active de cette personne est aussi contemplative : ses œuvres extérieures, intérieures ; les corporelles, spirituelles ; et les temporelles, éternelles. Règle de perfection, IIIe partie, chap. 7.

Saint François de Sales

37. À force de se plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu et notre volonté se transforme en celle de la divine Majesté par la complaisance qu’elle y prend. De l’amour de Dieu, livre VIII, chap. 1.

38. Voyez Non-désir, no 34.

Le Frère Jean de Saint-Samson

39. L’âme Épouse de Dieu étant arrivée à cette divine unité de son fond est dorénavant toute transformée en Dieu, non par nature, car cela ne se peut, mais par grâce et par effet d’abondance d’un amour vigoureux, lequel est généreusement actif en un temps, et nuement et simplement passif en un autre. Esprit du Carmel, chap. 14.

40. Cette âme si heureuse vit de la vie de Dieu et Dieu vit en elle comme en soi-même (s’il faut ainsi dire), sans aucune résistance de la créature, car elle est comme ce qui n’a jamais été, au moins si elle n’est menteuse, contrariant en quelque chose à son juste devoir, comme en effet elle pourrait bien vivre de plus près ou de plus loin à soi-même. Là-même, chap. 22.

41. Voyez Consistance, no 39.

42. Voyez Foi nue, no 44.

43. C’est le feu divin et ineffablement délicieux, coulé en la terre de l’homme, je veux dire en son esprit, auquel toute l’âme étant convertie, on doit croire que tout l’homme est très divin, autant qu’il est possible selon le présent état. En effet sa déiformité est si excellente que les Anges mêmes s’en étonnent, à cause de ce qui est intervenu en ceci de la part de l’homme qui est la très libre application de son franc-arbitre, pour aimer Dieu son divin objet infatigablement et à perte d’haleine, vers lequel l’amour la fait courir et quelquefois voler. Et enfin il atteint son Objet à force de courir après lui, tantôt à l’odeur de ses parfums, tantôt et beaucoup plus souvent en morts et destitutions de sa présence sensible, et est parvenu à l’union inséparable avec lui.

L’âme lui est déjà si étroitement et si inséparablement unie, qu’elle a quelque sorte de communion à toutes les perfections, en toute sa déité. Car elle est pleine de Dieu selon la capacité présente de son vaisseau qui n’en peut davantage contenir en son présent état. La déiformité est déjà si grande et si haute en la créature que Dieu se complaît déjà grandement en elle en la jouissance de sa beauté. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 3.

44. Il faut savoir que la créature en cet état est encre fort éloignée de sa consommation tandis qu’elle est capable de recevoir quelque chose en la lumière divine, soit pour la simple spéculation, soit pour le goût, soit pour l’extase, qui sont choses toutes différentes. Car sa consommation ne doit et ne peut-être que la fin et le succès de tous ces moyens mystiques ; De sorte que si le sujet a été trouvé fort, tout cet ordre de mysticité moyenne a eu son succès par une abondance d’effets si prodigieux, si mystiques et si laborieux que le seul souvenir en est très plaisant au vrai et perdu mystique. Mais ce qui reste de ceci à l’âme, perdue en Dieu son Objet, est toute autre chose, et c’est ce qui la ravit imperceptiblement, et en quoi s’accroît et s’augmente de plus en plus sa très simple et ineffable jouissance. Bonheur qu’elle possède en son repos ineffable, très simple et très unique, qui lui fait expérimenter qu’on ne peut (a) [c210] aller ni passer outre. Là-même, chap. 4.

a. Tout étant achevé de la part de la créature et non de celle de Dieu.

45. Dieu se délecte souverainement à inonder toute l’âme de ses délices, pour l’unir à soi tout autrement que jamais, en union d’unité. En quoi l’on peut dire que l’âme est Dieu en Dieu même, non par nature, mais en amour et par amour. D’autant qu’elle a et possède ce qu’il possède, d’une toute autre amplitude, largeur et profondeur, qu’elle ne se faisait aux unions simples et profondes de son action précédente. Car celle-ci est union au-delà de l’union, en l’unité suressentielle de soi-même, comme on pourrait dire, que l’unité de l’âme et du corps fait un même de deux parties, unies et conjointes d’un lien et d’un amour inséparable. Je crois que j’exprime naïvement par cette similitude autant qu’il est possible, cette déification profonde et suressentielle de l’âme, déjà acquise en ce premier degré dans lequel elle est si pleinement regorgeante des délicieuses et efficaces actions de Dieu, tant dehors que dedans, qu’elle ne paraît ni ne sent autre chose que cela en cela même. De là vient que sans son sû et sans son action, elle (a) [c211] s’enfonce et s’abîme de plus en plus dedans ce fond abyssal. –

a. Par le poids de l’amour.

En ce degré et en cette divine voie, l’âme jouit, contemple et repose, en profondeur de délices, soit en profondeur de simples vues qui est un degré beaucoup au-delà du premier et de plusieurs autres qui sont entre l’un et l’autre, pour faire arriver l’âme au dernier et suprême point de consommation. Dès ici, dis-je, et pour jamais elle est en fruition de tout cela, dans la jouissance objective de son unique Objet, sans temps, sans éternité, sans admiration. Et possédant ainsi son bien objectif en la suprême plénitude suressentielle de lui-même, elle se va plongeant et dilatant là-dedans, ni plus ni moins qu’une petite goutte d’eau jetée dans la mer se perd et s’anéantit à elle-même, s’incorporant à ce corps élémentaire, où elle est conservée, toute perdue à soi-même pour jamais, et sans jamais en pouvoir sortir telle, ou comme elle était en distinction. Je ne veux pas dire qu’ici, ni même en la suprême consommation de l’esprit parvenu au dernier point et degré des profondeurs consommées, l’essence créée de l’âme ne lui demeure pour simplement subsister et agir en ses fonctions ordinaires. Mais elle est perdue à son appétit sensitif et actif, par lequel elle désirait suprêmement et impatiemment retourner à son souverain et éternel principe et son bien unique et objectif, pour n’en ressortir jamais vive. J’entends sans avoir jamais envie d’en sortir pour retourner à son appétit actif. Elle saint très bien qu’il y a une infinie distance entre le désir et la commune possession qui consiste dans les plus profondes unions, et la très parfaite et entière possession du bien objectif possédé en lui-même, en la réplétion du simple surpassif où l’âme étant arrivée, opère d’une manière inconcevable, non par elle-même, mais par la très simple action de Dieu qui l’agit, la tire, la ravit hors d’elle-même et de tout le créé, en l’abîme incréé, de profondeur en profondeur, et de plénitude en plénitude. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 5.

46. Cet état n’est autre chose que la très simple transfusion de tout le créé en l’incréé, lequel créé se dilatant par succession de temps là-dedans de plus en plus, jusqu’au dernier point de consommation, se trouve entièrement perdu pour jamais en ces abîmes de profondeur. Alors il se trouve simple, unique ; je dis qu’il se sent et se voit d’une très simple vue, simple dans la très simple unité dans l’Essence divine.

Là étant arrêté et établi, il est fait identité de son même fond vigoureux, simple et originaire, et cela se fait et se contient en l’éminence d’une double fécondité, faite unique en unité du simple fond vigoureux. Car le simple fond du simple créé se dilate et se perd en même temps totalement au-dedans de l’abîme de son fond originaire qui est Dieu, allant à cet effet et s’enfonçant là-dedans comme d’abîme en abîme, jusqu’à ce qu’il soit arrivé, comme nous avons dit, au dernier point de mêmeté et d’identité possible, sauf la distinction et la différence qui demeure toujours entre l’être incréé et le créé. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 9.

47. Il n’est plus possible à l’âme ainsi consommée, de se divertir de cette très simple fruition par intention et volonté, d’autant que ses forces sont entièrement consommées, pour n’avoir jamais d’appétits contraires. Je dis de volonté et d’intention, parce que la vie dont on vit ici est éternelle, simple et suressentielle, en repos et fruition de l’Essence divine. Car l’âme dans sa consommation est totalement recoulée et perdue en cette divine Essence avec tous les bienheureux esprits qui s’y sont amoureusement perdus par leurs amoureux, perpétuels et très vigoureux plongements. En laquelle s’étant totalement surpassés, et rien ne se trouvant plus d’eux, cette union intime fait qu’il n’y a plus qu’une infiniment simple, amoureuse et aimable essence et substance, de laquelle et en laquelle ils vivent tous de pareille vie et plaisir d’elle-même.

Au reste tout ce qui vit éternellement au Père vit de même éternellement au Fils, et tout ce qui vit au Fils et au Père, vit pareillement au Saint-Esprit qui embrasse et ravit à soi et en soi toute la fécondité, et (a) [c212] nous avec elle, en toute l’étendue de cette suressentielle Essence dont les Personnes sortent incessamment à leur béatifique action, et nous avec elles, en rentrant incessamment avec nous en leur repos ineffable. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 10, § 6.

a. Participer au commerce de la Très Sainte Trinité.

48. Je ne veux plus que vos Épouses s’emploient à vous annoncer que je languis de votre amour, car nous nous possédons l’un l’autre en notre commune jouissance. Nous nous embrassons très étroitement et mutuellement en l’étendue infinie de vous-même, où je suis, non tellement quellement amoureuse, mais je suis passée au même amour que vous êtes pour vous-même. L’Épouse qui a fait cette expérience sait si les traits et les attraits de votre ravissante beauté et les délices dans lesquelles vos Épouses sont toutes fondues de joie et d’amour, en vos divins et uniques embrassements, se peuvent exprimer par paroles si profondes et si essentielles qu’elles puissent être. Car la vue charmante de son objet que vous êtes, ravissant en soi-même son sujet, je veux dire son Épouse que je suis, dès ce même moment, il lui ôte les paroles, et les lui ravit en la force impulsive de son contentement qui surpasse tout sentiment. Il lui ôte, dis-je, le désir et la parole en sorte qu’elle ne veut, qu’elle n’ose, et même qu’elle ne peut rien exprimer de ceci. Soliloque VI, chap. 1.

49. Quand nous sommes parvenus à notre centre qui est Dieu, transfus et perdus en lui par l’entière transformation de notre volonté en la sienne, nous jouissons dès ici-bas de la plénitude des Saints, même au plus fort de nos batailles et de nos croix. Cela est si merveilleux que dieu prend un singulier plaisir à nous polir de plus en plus par toutes sortes d’exercices. Abrégé de sa vie, IIe partie, chap. 3, no 94.


 


 

LXIV. Tromperie

Moyen court

Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie qui est Jésus-Christ, se donnant à lui, le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en sa grâce et tendant de toutes nos forces à son plus pur amour. Chap. 23, no 3.

On ne peut être uni à Dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit dans cette passiveté ne peut être mauvaise ; au contraire, elle est la meilleure et il n’y a point de risque d’y marcher. Chap. 24, no 11.

Cantique

Je serai là en toute assurance, je ne me pourrai plus tromper. Chap. 1, v.6.

Vous êtes terrible (a) [c213] au Démon et au péché, comme une armée rangée en bataille. Chap. 6. v. 3.

a. Le Diable craint ces âmes.

L’Épouse est terrible et redoutable aux démons, au péché, au monde, et à l’amour-propre, comme une armée rangée prête à donner la bataille. Là-même, v. 9.

Autorités

Saint Denys

1. Voyez Opérations propres, no 4.

Sainte Catherine de Gênes

2. Ô amour ! Qui m’empêchera que je ne vous aime. Quand même je me trouverais parmi un camp de soldats, je ne pourrais en être empêchée. Si le monde, ou les maris pouvaient empêcher le pur amour de Dieu, ce serait une faible vertu, mais je sens en moi qu’il n’y a rien qui puisse vaincre cet amour, car il surmonte toutes choses.

Il fut dit qu’elle pouvait être trompée du diable, elle répondit : « Je ne puis croire qu’un amour qui n’est point propre puisse être trompé. »

On peut aussitôt dire qu’il n’y a point de Dieu comme de dire que l’amour de Dieu pur et net en quelque créature puisse être trompé. En sa Vie, chap. 19.

3. L’âme ne peut plus être trompée par sa partie propre, mais elle la réduit à un si grand désespoir, qu’elle ne lui veut donner aucun rafraîchissement, soit corporel, soit spirituel. Là-même, chap. 26.

Sainte Thérèse

4. Voyez Non-désir, no 16.

Le bienheureux Jean de la Croix

5. Voyez Défauts, no 14.

6. Lorsque Dieu visite l’âme par le moyen du bon ange, elle n’est pas du tout sûre, ni si à l’obscur, ni si cachée que l’ennemi n’en découvre quelque chose. Mais quand Dieu la visite lui-même, c’est alors que se vérifie bien le vers susdit :

À l’obscur, mais sans nul danger[c214] 

Parce que du tout à l’obscur et cachée à l’ennemi, elle reçoit les faveurs spirituelles de Sa divine Majesté. La cause en est, parce que comme Dieu est le Seigneur souverain, il demeure substantiellement en l’âme, où l’ange ni le diable ne sauraient aborder pour entendre ce qui s’y passe, et ne peuvent connaître les intimes et secrètes communications qui se traitent là entre Dieu et elle, car celles-ci, à cause que Notre Seigneur les fait par soi-même, sont totalement divines et souveraines.

*[c215]  Ce qui est, quand déjà avec liberté d’esprit, sans que la partie sensitive le puisse empêcher, ni le Diable par son moyen le contredire, l’âme jouit en faveur et en une paix intime de ces biens. Parce que pour lors le Diable n’oserait l’attaquer, d’autant qu’il n’y pourrait atteindre, ni entendre ces divins attouchement en la substance de l’âme avec celle de Dieu par la notice amoureuse. Personne n’arrive à ce bien là, si ce n’est par intime purgation, nudité et cachette spirituelle de tout ce qui est créature, et c’est là être à l’obscur. Obscure nuit, livre II. chap. 23.

* Joie de l’âme n. 12.

7. Voyez Consistance, no 24.

8. Voyez Quiétude, § I, no 29.

9. L’autre aveugle que nous avons dit pouvoir empêcher l’âme en ce genre de recueillement, c’est le diable qui veut qu’étant aveugle, l’âme le soit aussi. Lequel en ces très hautes solitudes où l’on reçoit les délicates onctions du Saint-Esprit, (dont il est fort fâché et envieux à cause que l’âme lui échappe des mains, qu’il n’y peut plus atteindre, et qu’il voit qu’elle s’agrandit merveilleusement), tâche de mettre en cette nudité et aliénation quelques cataractes de notices et ténèbres de sucs sensibles, parfois bons. Et en cela, il la distrait et retire facilement de cette solitude et recueillement. Vive flamme d’amour, cant. 2, v. 3, § 14.

Le Père Nicolas de Jesus-Marie

10. Saint Augustin. Voyez Quiétude, § I, no 33.

11. Saint Ambroise. Voyez Création, no 12.

Le Frère Jean de Saint-Samson

12. Tout ce temps-là, le diable est contraint de roder au loin, sans pouvoir aucunement approcher, car s’il voulait approcher de nous de la distance même de notre regard, il serait foudroyé par notre même regard. Cabinet mystique, IIe partie, chap. I, no 3.

L’auteur du Jour mystique

13. Il n’est pas croyable qu’un si grand nombre d’Auteurs aient été trompés en matière d’oraison qu’ils fréquentaient ordinairement et qui était toute la consolation de leurs âmes. Dieu qui est trop fidèle pour permettre que de saints personnages, qui ne respiraient que sa gloire, aient été déçus en une chose qui était toute la conduite et toute la direction de leur vie, vu même que les uns ont été canonisés de l’Église, que les autres ont opéré quantité de miracles, qu’entre eux, il y en a eu de très savants, et que tous ont vécu d’une vie très sainte et très exemplaire. De là, il est aisé de comprendre quel jugement on doit former de ceux qui, sans avoir égard à tout ce que dessus, décrient par leurs discours et mauvais écrits cette science des Saints, je veux dire, les pratiques et les exercices de la vie mystique et cachée dans les âmes humbles. Livre I, traité I, chap. 5, sect. 4.

14. Un des plus beaux et des plus élevés discours que Notre Seigneur ait jamais fait, fut celui qu’il eut avec la Samaritaine, où entre plusieurs choses éminentes dont il l’entretint, il lui dit (a) [c216] que Dieu était esprit et que comme tel il cherchait des adorateurs d’esprit et de vérité, comme insinuant qu’il ne pouvait être adoré en vérité s’il n’était adoré spirituellement, c’est à dire d’une manière rapportante à la nature de Dieu qui est tout esprit. Là-même, sect. 5.

a. Jean 4. V. 24.

15. Les auteurs mystiques disent que ce chemin est inconnu à l’esprit malin qui ne sait ce qui se passe dans une telle âme, bien qu’il puisse connaître par la disposition de l’homme intérieur que quelque chose de singulier se fait en elle, par la lumière de grâce qui procède d’elle, la présence de laquelle ne pouvant supporter, il est contraint de fuir et d’éviter cette âme.

Ils disent encore que le moyen de connaître si une lumière vient de Dieu, c’est de considérer si elle reluit au fond de l’âme, parce que le malin esprit ne peut décevoir cet âme qu’en causant quelque douceur ou consolation dans la partie sensible et que Dieu seul peut entrer et s’écouler dans son esprit ou partie suprême.

Ces autorités prouvent que le Diable n’a point de prise sur la suprême pointe de l’esprit, parce qu’il ne peut connaître ses opérations. Et la raison est que les opérations de cette pointe sont le repos et la tranquillité, et que ce repos tranquille est un consentement de volonté obscur et imperceptible.

De plus, si le Diable pouvait quelque chose sur cette suprême partie de l’âme, ce serait en produisant quelque espèce ou acte en elle, ou empêchant sa propre opération. Or il ne peut ni l’un ni l’autre. Il ne peut rien produire en elle parce que la chose reçue prend la forme de son sujet, comme l’eau se reçoit en rond dans un vase qui a cette figure. Or cette cime ou pointe de l’âme ne peut produire ou recevoir que des actes mystiques qui sont des quiétudes sans formes et sans images, que le diable ne peut produire, ni en soi, ni en autrui. Livre III, traité III, chap. 9, sect. 2.

LXV. Vertu

Que cet état renferme toute vertu.

Moyen court

C’est là le moyen court et assuré d’acquérir la vertu, parce que Dieu étant le principe de toute vertu, c’est posséder toute vertu que de posséder Dieu, et plus on s’approche de cette possession, plus on a la vertu en degré éminent.

De plus je dis que toute vertu qui n’est point donnée par le dedans est un masque de vertu, et comme un vêtement qui s’ôte et ne dure guère. Mais la vertu communiquée par le fond est la vertu essentielle, véritable et permanente. (a) [c217] La beauté de la fille du Roi vient du dedans. Et de toutes les âmes, il n’y en point qui la pratiquent plus fortement que celles-ci, quoiqu’elles ne pensent pas à la vertu en particulier.

a. Ps. 44. V. 14

Dieu auquel elles se tiennent unies, leur en fait pratiquer de toutes sortes : il ne leur souffre rien, il ne leur permet pas un petit plaisir.

Quelle faim ces âmes amoureuses n’ont-elles pas de la souffrance ? À combien d’austérités se livreront-elles, si on les laissait agir selon leurs désirs ?

Elles ne pensent qu’à ce qui peut plaire à leur Bien-aimé. Chap. 9, no 1 & 2.

Cantique

Ces ornements seront des chaînes en signe de votre parfaite soumission à toutes les volontés du Roi de gloire, mais elles seront d’or, pour représenter que n’agissant que par amour très épuré, vous n’avez que la simple et pure vue du bon plaisir et de la gloire de Dieu dans tout ce que vous faites ou souffrez pour lui. Elles seront néanmoins marquetées d’argent, parce que, quelque simple et pure que soit la charité en elle-même, elle doit se produire et signaler au-dehors par la pratique des bonnes œuvres et des plus excellentes vertus.

Il faut remarquer que le divin Maître, en bien des endroits, prend un soin particulier d’instruire sa chère disciple de la pureté souveraine de l’amour qu’il demande dans ses Épouses et de sa fidélité à ne rien négliger de tout ce qui regarde le service du Bien-aimé ou l’assistance du prochain. Chap. 1, v. 10.

Notre lit, dis-je, est préparé et orné par les fleurs de mille vertus. Là-même, v. 15.

L’Amante dit que son Bien-aimé prend son repas en elle parmi les lis de sa pureté. Il se repaît lui-même de ses grâces et de ses vertus ; il vit d’innocence et de pureté, afin de nous en nourrir. Chap. 2, v. 16.

Cette vapeur est composée des odeurs les plus choisies de toutes les vertus. Chap. 3, v. 6.

Ces trônes vivants du Très-haut étant pleins d’amour, ils sont aussi parés de tous les fruits et ornements de l’amour, qui sont les bonnes œuvres, les mérites, les fruits du St Esprit, et la pratique des plus pures et des plus solides vertus. Là-même, v. 10.

Venez, dit-il encore, du sommet des plus hautes montagnes, c’est-à-dire de la pure pratique des plus éminentes vertus. Chap. 4, v. 8.

L’odeur de vos vertus et de vos bonnes œuvres, qui vous servent comme de vêtements et auxquelles vous ne tenez plus, depuis que la propriété en est bannie, se répand partout comme un encens très odoriférant. Là-même, V. II.

Autorités

Saint Augustin

1. S’il est vrai que Dieu est le Souverain Bien de l’homme et s’il est vrai d’ailleurs que ce qu’on appelle bien vivre, c’est chercher le Souverain Bien, il s’ensuit que bien vivre n’est autre chose qu’aimer Dieu et l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Et cela (a) [c218] importe de lui conserver tout entier et pur de toute corruption cet amour que nous lui devons, ce qui est l’office de la tempérance ; de ne se laisser affaiblir par nulle sorte d’adversités, ce qui est l’office de la force ; de ne le laisser asservir à nulle autre chose, ce qui est l’office de la justice, et enfin de tenir les yeux ouverts pour juger de toutes choses et pour prendre garde que l’apparence de quelque faux bien ne nous séduise et ne détourne notre amour de son objet, ce qui est l’office de la prudence. (a)[c219] 

a. Qualités du pur amour. Pour être parfaitement chaste, il ne doit rien souffrir en l’homme que soi-même, tout ce qui partage l’amour corrompt.

 

a. Apostille du traducteur. Toue vertu se trouve comprise dans le pur amour de Dieu.

Voilà (b)[c220]  en quoi uniquement consiste toute la vertu et toute la perfection, et (c)[c221]  le seul moyen qu’il y ait pour parvenir à jouir de la vérité dans toute sa pureté. C’est sur quoi les deux Testaments sont parfaitement d’accord et à quoi l’un et l’autre nous porte et nous exhorte d’une commune voix.

Il faut donc que tous ceux qui se proposent d’arriver à la vie éternelle aiment dieu de tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit. Or la vie éternelle est toute la récompense qui nous est promise, et il faut que le mérite précède la récompense, et que l’homme en soit digne avant qu’elle lui soit donnée. Cela ne se pourrait autrement sans que la justice fût blessée, et Dieu est la justice même. Que si l’on demande ce que c’est que la vie éternelle, celui qui la donne nous l’apprendra. La vie éternelle, nous dit-il, (d)[c222]  c’est de connaître le vrai Dieu et le Christ qu’il a envoyé. La vie éternelle n’est donc autre chose que la (a) connaissance de la vérité, puisque Jésus-Christ est la vérité, et cette vie bienheureuse est la récompense de la vérité.

b. Apostille. En quoi consiste la perfection de l’homme et quelle en est la nécessité pour arriver où nous aspirons.

c. Notez, le seul moyen de jouir de Dieu, c’est l’amour pur et parfait.

d. Jean 17, 3.

a. Il faut donc commencer par l’amour, car la connaissance que l’amour produit est la solide et parfaite connaissance.

Ce que nous avons donc à faire, c’est (b) [c223] d’aimer de tout l’amour dont nous sommes capables celui à la connaissance duquel nous aspirons. Des mœurs de l’Église, chap. 25.

b. Apostille. Dieu n’est bien connu que de ceux qui l’aiment souverainement. Le traducteur ajoute qu’il était de la sagesse et de la justice de Dieu de compasser les choses de telle sorte que l’intelligence de ses Ecritures dépendit de la disposition avec laquelle on les lirait.

 

Saint Jean Climaque

2. Dieu m’ayant fait la grâce d’arriver à la seconde de ces vertus qui est la perpétuelle oraison, je me trouvai un jour au milieu des Anges et l’un d’entre eux m’éclaircissait des choses que je désirais avec ardeur de savoir. Degré 27, art. 48.

3. Quoique je sois comme plongé dans une très profonde ignorance, couvert des ténèbres de mes passions, j’ose néanmoins entreprendre de parler de cette vertu éminente qui nous fait voir un ciel sur la terre et des Anges dans des corps mortels. Échelle sainte, degré 29, art. 1.

4. Comme les étoiles sont la beauté du firmament, aussi les vertus sont la beauté de cette bienheureuse paix. Car j’estime qu’elle n’est autre chose qu’un ciel intérieur et spirituel, formé dans une âme qui ne considère plus tous les artifices du démon que comme des jeux et de vains fantômes. Là-même, art. 2.

5. Celui-là donc la possède véritablement aux yeux de Dieu et aux yeux des hommes qui a purifié sa chair de toute tache d’impureté, qui a élevé son esprit au-dessus de toutes les choses créées, qui a soumis tous ses sens à la raison et qui, tenant son âme toujours présente devant Dieu, se porte incessamment vers ce grand Objet par une force surnaturelle et qui est au-dessus de ses propres forces. Art. 3.

6. D’autres disent encore que cette tranquillité est une résurrection de l’âme qui précède celle du corps. D’autres, que c’est une parfaite connaissance de Dieu qui n’est inférieure qu’à celle des Anges. Art. 4.

7. Ainsi cette vertu qui fait toute la perfection des âmes en cette vie et qui néanmoins comme étant toujours imparfaite, croît toujours jusqu’à la mort, sanctifie l’âme d’une telle sorte, (selon qu’un grand personnage qui était instruit par sa propre expérience me le dit autrefois) et la détache si fortement de toutes les affections de la terre, qu’après l’avoir mise dans une porte céleste, elle l’élève presque dès ce monde par une espèce de ravissement, jusques dans le Ciel pour y contempler et pour y voir Dieu. Ce qui a fait dire à David, qui l’avait aussi éprouvé lui-même, que ces âmes extraordinaires sont comme (a) [c224] de puissants Dieux de la terre souverainement élevés au-dessus d’elle. Art. 5.

a. Ps 46, 10.

8. On peut dire qu’une âme possède cette parfaite tranquillité lorsque les vertus lui sont devenues aussi naturelles que les vices le sont aux voluptueux. Art. 9.

Sainte Catherine de Gênes

9. L’Amour fait les hommes justes, simples, purs, riches, vertueux, sages et contents, et il adoucit toute amertume avec sa suavité. Dialogue, livre III, chap. 5.

Sainte Thérèse

10. cette eau des grands biens et faveurs que notre Seigneur répand ici dans l’âme fait croître les vertus beaucoup plus sans comparaison qu’en l’oraison précédente, parce que l’âme sort de sa misère et on lui donne un peu de connaissance des goûts de la gloire. Cela à mon avis la fait croître davantage et la fait aussi approcher plus près de la vraie vertu, d’où procèdent toutes les vertus, savoir de Dieu, d’autant que sa Majesté commence à se communiquer à cette âme et veut qu’elle sente comme il se communique à elle. L’appétit des choses d’ici-bas et de quelques goûts légers commence aussitôt à diminuer, car elle voit clairement qu’on ne peut jouir ici un seul instant de ce grand bien et que toutes les richesses, tous les domaines, tous les  honneurs et toutes les délices de la terre ne sont pas capables de nous donner un seul moment de cette félicité qu’on voit être un véritable et solide contentement dont nous nous sentons remplis et rassasiés.

Je priais Notre Seigneur d’augmenter l’odeur de ces petites fleurs des vertus qui commençaient en apparence à vouloir sortir, et que cela fut pour sa gloire. Vie, chap. 14.

11. enfin c’est ici que les vertus sont beaucoup plus fortes qu’en la précédente Oraison de quiétude : de sorte que l’âme ne les peut ignorer parce qu’elle se voit toute autre et ne sait comment elle commence à faire de grandes choses avec l’odeur que ces fleurs jettent de soi. Car notre Seigneur veut qu’elles s’ouvrent afin qu’elle connaisse qu’elle a des vertus, quoiqu’elle voie clairement qu’elle ne les pouvait et ne les a pu acquérir en plusieurs années par elle-même, et qu’en ce petit espace de temps le jardinier céleste les lui a données. L’humilité qui demeure ici dans l‘âme est beaucoup plus grande et plus profonde qu’au degré précédent, car elle voit bien plus évidemment qu’elle n’a rien fait que consentir que Sa divine Majesté lui fit des grâces, et que les embrasser avec la volonté. Là-même, chap. 17.

Le bienheureux Jean de la Croix

12. Il revêt l’âme qui est au haut de la montagne (en son Énigme) de toutes les vertus Chrétiennes et morales.

13. L’Épouse dans les deux couplets précédents a chanté les grâces et les grandeurs de son Ami, en celui-ci elle publie le sublime et l’heureux état auquel elle se voit élevée, la sûreté de cette condition, et les richesses de dons et de vertus dont elle se voit douée et parée dans le lit de l’union de son Époux, car elle dit, qu’étant unie avec son Bien-aimé, elle a les vertus fortes et solides, la charité parfaite et une paix accomplie.

À cause de la force et du courage du lion, elle compare les vertus que l’âme possède déjà en cet état aux cavernes des lions, lesquelles sont très assurées et sans crainte de tous les autres anomaux, parce que redoutant la force et la hardiesse du lion qui est dedans, non seulement ils n’osent y entrer, mais même ils n’osent s’arrêter auprès. De même chaque vertus, quand l’âme les possède déjà en perfection, est un antre et une retraite de lion dans laquelle demeure et assiste l’Époux, fort comme un lion, uni avec l’âme en cette vertu, et chacune des autres. Et la même âme unie avec lui en ces mêmes vertus est comme un fort lion, parce qu’elle reçoit là les propriétés de l’Ami.

Mais outre cette paix et satisfaction ordinaire, les fleurs des vertus de ce jardin ont coutume de s’ouvrir en l’âme de telle manière, et rendre une telle odeur et un parfum si agréable, qu’il lui semble, et il est de la sorte, qu’elle est pleine de délices de Dieu. Or je dis que les fleurs des vertus qui sont dans l’âme ont coutume de s’ouvrir parce qu’encore que (a)[c225]  l’âme soit remplie de vertus en perfection, elle n’en est pas toujours jouissante en acte, bien que comme j’ai dit on jouisse ordinairement de la paix et tranquillité qu’elles causent. Car nous pouvons dire qu’elles sont en l’âme en cette vie enfermées dans le jardin, comme des fleurs dans leur boutono Et c’est une chose merveilleuse de les voir toutes s’ouvrir par l’opération du Saint Esprit et jeter un parfum admirable en grande variété, car il arrive que l’âme voie en foi les fleurs des montagnes, dont nous avons déjà parlé, qui sont l’abondance, la grandeur et la beauté de Dieu, et les lis des vallées ombrageuses, etc.

a. Quoique l’âme ait les vertus en perfection, elle n’en jouit pas toujours en actes.

Heureuse l’âme laquelle en cette vie mortelle méritera de sentir quelquefois l’odeur de ces fleurs divines !

Chaque vertu est de soi paisible, douce et forte, et par conséquent fait ces trois effets en l’âme qui la possède, à savoir la paix, mansuétude et force. Et d’autant que ce lit est fleuri et composé de fleurs des vertus, lesquelles toutes ont ces trois qualités, de là vient qu’il est bâti de paix, et que l’âme est pacifique, douce et forte, qui sont trois propriétés contre lesquelles ne peut prévaloir aucune guerre, ni du Diable, ni du monde, ni de la chair, et ces vertus tiennent l’âme si paisible et si assurée qu’il lui semble qu’elle est toute bâtie de paix. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 16.

14. Les fleurs sont les vertus de l’âme, comme nous avons déjà dit. Les rosiers sont les trois puissances de l’âme, à savoir l’entendement, la mémoire et la volonté qui produisent des roses et des fleurs de conceptions divines et des actes d’amour et des vertus. L’ambre est le divin Esprit qui demeure en l’âme, qui parfume les puissances et les vertus de l’âme, lui donnant en elles des parfums de suavité divine. Là-même, couplet 32.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

15. Saint Bonaventure. La prudence de l’esprit purifié, c’est non seulement en matière de choix, préférer les choses divines, mais ne connaître qu’elles seules, et ne regarder autre chose, comme s’il n’y avait rien hors d’elles : cette prudence a été singulièrement pratiquée par St Paul et par St François. La force de l’esprit purifié, c’est d’ignorer les passions par impassibilité, non pas de les vaincre, de ne savoir se mettre en colère et ne rien désirer : cette force a été principalement en Notre Dame et dans les saintes vierges et martyres, Agnès, Agathe, Luce, Cécile, Catherine, etc. La tempérance de l’esprit purifié est non de réprimer les désirs terrestres, mais de les oublier entièrement, c’est-à-dire de ne les pas sentir, comme il se voit au contemplatif frère Gilles. La justice de l’esprit purifié, c’est de surmonter tellement avec l’Esprit divin, qu’elle garde avec lui une perpétuelle alliance pour l’imiter. Sermon I. Des luminaires de l’Église. Éclaircissement, IIe partie, chap. 12, § 2.

Le Père Jacques de Jésus

16. Voyez Consistance, no 33.

Saint François de Sales

17. Voyez Défauts, no 12.

18. Voyez Là-même.[c226] 

Le Frère Jean de Saint-Samson

19. Le fond n’est point pénétré d’amour qu’il n’ait surpassé totalement les vertus en telle sorte qu’elles soient toutes ses servantes, pour en faire à son bon plaisir et à sa discrétion.

Le pur amour ne convient qu’aux souverainement parfaits, et personne ne le saurait incessamment exercer en pureté et vérité d’esprit, s’il n’est souverainement vertueux. Enfin ce sont les vertus qui aboutissent immédiatement à l’amour comme à leur fin, après quoi elles ne sont plus qu’une même chose avec lui. Bref, l’amour se conserve par les vertus qu’il a transformées en soi. Esprit du Carmel, chap. 5.

20. Voyez Opérations propres, no 30.

21. Ceux qui n’ont que la vertu pour principe, sujet et matière d’exercice, à peine tout ce qui s’en peut écrire leur suffira-t-il, et ils ne passeront jamais au-delà parce qu’ils trouvent cela beau, excellent et meilleur que toute autre chose. C’est pourquoi ils ne sauront jamais les vrais exercices par la pratique desquels on devient esprit, en se perdant toujours de plus en plus à soi-même, abhorrant son propre repos sensible, que les communs spirituels prennent en toutes choses. Esprit du Carmel, chap. 14.

22. Cette voie, aussi bien que l’autre, requiert également la pratique de toutes les vertus. C’est pourquoi les mystiques disent bien à propos qu’en cette voie l’aspiration comme telle et les vertus sont le corps, et l’amour unitif très vif et très fort en est l’esprit. Cet amour devient discret à mesure qu’il est fait divin, pour pouvoir soutenir toutes les opérations de son divin feu en elle, sans en recevoir lésion, faiblesse ou empêchement quant à sa nature corporelle au-dehors, encore qu’il soit vrai qu’elle soit parfaitement navrée au-dedans d’elle-même. Là-même, chap. 22.

23. Au reste, il ne faut pas penser d’entrer en cet état si on n’est premièrement résolu à l’exercice et à l’acquisition des vertus, et de consumer chair et sang en éternel holocauste d’amour : cette œuvre demande tout l’homme. Que si on se sent imparfait dans la circonférence des vertus, qu’on ne présume pas d’entrer ici. Là-même, chap. 23.

24. Voyez Mystères, no 4.

LXVI. Union. Unité.

Moyen court

L’âme a été créée une et simple comme Dieu. Il faut donc, pour parvenir à la fin de sa création, quitter la multiplicité de nos actions, pour entrer dans la simplicité et unité de Dieu (a) à l’image duquel nous avons été créés. L’Esprit (b)[c227]  de Dieu est unique et multiplié, et son unité n’empêche point sa multiplicité. Nous entrons dans son unité lorsque nous sommes unis à son Esprit, comme ayant par là même un même esprit avec lui, et nous sommes multipliés au-dehors dans ce qui regarde ses volontés sans sortir de l’unité. Chap. 21, no 4.

a. Gn I, 27                b. Sg. 7, 22

 

David disait (c) qu’il lui était bon de s’attacher à Dieu et de mettre en lui toute son espérance. Qu’est-ce que cet attachement ? C’est un commencement d’union.

c. Ps. 72, 28.

L’union commence, continue, s’achève et se consomme. Le commencement de l’union est une pente vers Dieu. Lorsque l’âme est tournée au-dedans d’elle en la manière qu’il a été dit, elle est en pente centrale, elle a une tendance forte à l’union. Cette tendance est le commencement. Ensuite elle adhère, ce qui se fait lorsqu’elle approche plus près de Dieu. Puis elle lui est unie, et ensuite elle devient une, ce qui est devenir un même esprit avec lui. Et c’est alors que cet esprit sorti de Dieu retourne dans sa fin. Là-même, no 7 & 8.

Pour unir deux choses aussi opposées que le sont la pureté de Dieu et l’impureté de la créature, la simplicité de Dieu et la multiplicité de l’homme, il faut que Dieu opère singulièrement. Car cela ne se peut jamais faire par l’effort de la créature, puisque deux choses ne peuvent être unies qu’elles n’aient du rapport et de la ressemblance entre elles. Chap. 24, no 2.

L’âme n’arrive à l’union divine que par le repos de sa volonté et elle ne peut être unie à Dieu qu’elle ne soit dans un repos central. Là-même, no 3.

Cela posé, je dis qu’afin que l’homme soit uni à son dieu, il faut que la Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l’âme tout ce qu’elle a de propriété et de terrestre. Là-même, no 6.

Dieu donc purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu’enfin il se la rend peu à peu conforme et puis uniforme. La-même, no 8.

Nul n’ignore que le Bien Souverain est Dieu, que la béatitude essentielle consiste dans l’union à Dieu, que les Saints sont plus ou moins grands selon que cette union est plus ou moins parfaite, et que cette union ne se peut faire dans l’âme par nulle propre activité, puisque Dieu ne se communique à l’âme qu’autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. On ne peut être uni à dieu sans la passiveté et la simplicité, et cette union étant la béatitude même, la voie qui nous conduit à cette passiveté ne peut être mauvaise. La même, no 11.

On dit qu’il ne s’y faut pas mettre de soi-même. J’en conviens. Mais je dis aussi qu’aucune créature ne pourrait jamais s’y mettre, puisque nulle créature au monde (a)[c228]  ne pourrait s’unir à Dieu par tous ses efforts propres, et qu’il faut que Dieu se l’unisse.

a. Tout ceci a été prouvé. Voyez Actes, Opérations propres.

Si on ne peut s’unir à Dieu par soi-même, c’est crier contre une chimère que de crier contre ceux qui s’y mettent d’eux-mêmes. La même, no 13.

Cantique

Ce baiser que l’âme demande à son Dieu est l’union essentielle ou la possession réelle, durable et permanente de son divin objet. C’est le mariage spirituel.

Pour faire comprendre ceci, il faut expliquer la différence qu’il y a entre l’union des puissances et l’union essentielle.

L’une et l’autre est ou passagère et seulement pour quelques moments, ou permanente et durable.

L’union des puissances est celle par laquelle Dieu s’unit l’âme fort superficiellement : c’est plutôt la toucher que l’unir.

Elle est pourtant unie à la Trinité des Personnes, selon les différents effets qui lui sont appropriés, mais toujours comme aux Personnes distinctes et par opération médiate. L’opération servant ici de moyen et de fin, en ce que l’âme se repose dans cette union qu’elle éprouve, ne croyant pas qu’il faille aller plus avant.

Cette union se fait par ordre dans chacune des puissances de l’âme. Et elle s’aperçoit quelquefois dans une ou deux d’entre elles, selon le dessein de Dieu, et d’autres fois dans les trois ensemble. C’est ce qui fait l’application de l‘âme à la Sainte Trinité comme aux Personnes distinctes.

Lorsque l’union est dans le seul entendement, c’est l’union de pure connaissance et elle est attribuée au Verbe, comme Personne distincte.

Lorsque l’union est dans la mémoire, ce qui se fait par un absorbement de l’âme en Dieu et un profond oubli des créatures, elle est attribuée au Père comme Personne distincte.

Et lorsqu’elle se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, c’est l’union d’amour attribuée au Saint-Esprit comme Personne distincte. Et celle-ci est la plus parfaite de toutes parce qu’elle approche pus que nulle autre de l’union essentielle, et c’est principalement par elle que l’âme y arrive.

Toutes ces unions sont des embrassements divins, mais ce n’est point encore le baiser de la bouche.

Il est de deux sortes de ces unions : l’une passagère qui ne dure que très peu ; et l’autre permanente qui se soutient par une présence de Dieu continuelle et par un amour doux et tranquille qui subsiste parmi toutes choses.

Voilà en peu de mots ce que c’est que l’union des puissances, qui est une union de fiançailles, et qui a bien l’affection du cour, les caresses et les présents réciproques, comme les fiancés, mais qui n’a point la parfaite jouissance de l’objet.

L’union essentielle, et la baiser de la bouche, est le mariage spirituel où il y a union d’essence à essence et communication de substance, où Dieu prend l’âme pour son Épouse et se l’unit, non plus personnellement ou par quelque acte ou moyen mais immédiatement, réduisant tout en unité et la possédant dans son unité même.

Alors c’est le baiser de la bouche et la possession réelle et parfaite. C’est une jouissance qui n’est point stérile ni infructueuse, puisqu’elle ne s’étend à rien moins qu’à la communication du Verbe de Dieu à l’âme.

Il y a des personnes qui disent que cette union ne se peut faire que dans l’autre vie, mais je tiens pour certain qu’elle se peut faire en celle-ci, avec cette différence qu’en cette vie l’on possède sans voir, et dans l’autre, l’on voit ce que l’on possède.

On peut encore résoudre la difficulté de quelques personnes spirituelles qui ne veulent pas que l’âme étant arrivée en Dieu, (ce qui est l’état d’union essentielle) parle de Jésus-Christ et de ses états intérieurs, disant que pour une telle âme cet état est passé. Je conviens avec eux que l’union à Jésus-Christ a précédé très longtemps l’union essentielle, puisque l’union à Jésus-Christ comme divine Personne s’éprouve dans l’union des puissances et que l’union à Jésus- Christ homme-Dieu est la première de toutes et qu’elle se fait dès le commencement de la vie illuminative. Mais pour ce qui regarde la communication du Verbe à l’âme, je dis qu’il faut que cette âme soit arrivée en Dieu seul et qu’elle y soit établie par l’union essentielle et par le mariage spirituel, avant que cette divine communication lui soit faite, comme les fruits et les productions du mariage ne se font qu’après que le mariage a été consommé. Ceci est plus réel que l’on ne peut dire.

Et comme Dieu possède ici toute l’âme sans interruption, c’est ce qui fait la différence de l’union à Dieu même d’avec les autres unions. En ce que dans les unions avec mes êtres créés, l’objet ne se peut posséder que pour des moments, à cause que les créatures sont hors de nous. Mais la jouissance de Dieu est permanente et durable, parce qu’elle est au-dedans de nous-mêmes et que Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler dans lui comme dans son terme et son centre et y être mêlée et transformée.

Il faut encore observer que Dieu nous a donné, en nous créant, une participation de son être propre être réunie à lui, et en même temps une tendance à cette réunion. Il a donné quelque chose de semblable au corps humain à l’égard de l’homme dans l’état d’innocence, le tirant de l’homme même afin de lui donner cette pente à l’union comme à son origine. Mais cela étant entre des corps fort matériels, cette union ne peut être que matérielle et fort bornée, puisqu’elle se fait entre des corps solides et impénétrables. Pour mieux comprendre ceci, on peut se servir de la comparaison d’un métal que l’on veut joindre à un autre de différente espèce, mais quoiqu’on les fasse fondre pour les unir ensemble, ils ne peuvent être parfaitement alliés, à cause qu’ils sont d’une nature dissemblable. Cela réussit mieux dans le mélange d’un métal avec un autre de même nature. Ou bien c’est comme une eau versée dans une autre eau qui peut-être tellement mêlée avec elle qu’on n’y peut plus remarquer aucune distinction. Ainsi l’âme étant d’une nature toute spirituelle, elle est très propre à être unie, mêlée et transformée en son Dieu.

On peut être uni sans être mélangé. C’est l’union des puissances. Mais le mélange est l’union essentielle et cette union est toute entière, se faisant du tout dans le tout.

Il n’y a que Dieu à qui l’âme puisse être unie de cette manière, parce qu’elle a été créée d’une nature à pouvoir être mélangée avec son Dieu et c’est se mélange que St Paul appelle (a) [c229] transformation, et Jésus-Christ, (b)[c230]  unité, mêmeté et consommation.

a. 2 Cor. 3, 18.           b. Jn 17, 11 – 21-  23

Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu : ce qui se doit entendre mystiquement, par la perte de toute propriété et par un recoulement amoureux et parfait de l’âme en Dieu. Chap. I, v. 1.

L’âme sera admise à l’union divine par la sortie d’elle-même, par le renoncement continuel à tout propre intérêt. La même, v. 7.

Ce qui lui persuade que le moment fortuné de la consommation du mariage est proche et que l’union permanente se va lier. Chap. 3, v. 4.

Il faut monter plus haut et outrepasser toutes choses pour entrer avec moi dans le sein de mon Père et vous y reposer sans milieu et par la perte de tout moyen, l’union immédiate et centrale ne se faisant qu’au-dessus de tout le créé. Chap. 4, v. 8.

Sitôt que l’âme est entièrement désappropriée, elle est toute disposée pour être reçue dans le lit nuptial de l’Époux, où elle n’est pas plutôt introduite que, goûtant les sacrées et chastes délices du baiser de la bouche, qu’elle avait désiré d’abord et qu’elle possède à présent par l’union essentielle dont elle vient d’être gratifiée, elle ne peut s’empêcher d’exprimer son contentement par ces paroles : Je suis toute à mon Bien-Aimé, et mon Bien-Aimé est tout à moi. Chap. 6, v. 2.

C’est ce mélange qui divinise (pour ainsi parler) les actions de cette créature, arrivée à un état aussi haut et aussi sublime que celui-ci, parce qu’elles partent d’un principe tout divin, à cause de l’unité qui vient d’être liée entre Dieu et cette âme fondue et recoulée en lui.

C’est alors (après le mariage spirituel) que se fait cet admirable mélange de la créature avec son Créateur qui les réduit en unité, pour ainsi parler, quoiqu’avec une disproportion infinie, telle qu’est celle d’une petite goutte d’eau d’avec la mer. Chap. 6, v. 4.

Il faut remarquer que, quelques louanges que l’Époux eût données jusqu’ici à son Épouse, il n’avait point encore dit (jusqu’à ce qu’il fut entièrement recoulée dans son unité divine) qu’elle fut unique et parfaite à cause que ces qualités ne se trouvent qu’en Dieu. La même, v. 8.

Tout ce qui se dit de cette ineffable union s’entend avec toutes les différences essentielles entre le Créateur et la créature, quoiqu’avec une parfaite unité d’amour et de recoulement mystique en Dieu seul. Chap. 7, v. 11.

L’Épouse a été dans un grand silence à cause qu’il fallait réduire l’âme dans la simplicité et l’unité de Dieu seul. À présent qu’elle est entièrement consommée dans cette unité, il veut lui donner cet admirable accord qui est un fruit de l’état consommé de l’âme, savoir l’accord de la multiplicité et de l’unité, sans que la multiplicité empêche l’unité, ni l’unité la multiplicité. Chap. 8, v.13.

Autorités

Saint Denys

1. Voyez Conversion, no 2.

2. Voyez Simplicité, no 2.

3. Voyez Opérations propres, no 1.

4. Voyez La même, no 2.

5. Voyez Simplicité, no 3.

6. Il est vrai aussi de dire qu’on ne saurait expliquer ni connaître ce que sont les unions des vertus célestes, dignes d’elles et convenables à leur nature, soit qu’on les doive nommer infusions, ou réceptions de la bonté plus qu’inconnue et plus que très claire. Lesquelles unions sont et se trouvent seulement aux anges, qui par-dessus la connaissance angélique en ont été honorés et jugés dignes. Les hommes doués d’un esprit divin etc. (Voyez Opérations propres, no 3) Des noms divins, chap. 1.

7. Tout de même, pour ce que Dieu étant un et que départant cet un ) toute partie ou totalité, à tout un et multitude, il reste néanmoins toujours un et de même sorte d’une façon suressentielle, n’étant ni partie de plusieurs, ni un tout ramassé de plusieurs parties. Et partant, il n’est ni un, ni ne participe de l’un, et n’a point l’un. Mais bien loin de tout cela, (a)[c231]  il est un, par-dessus un, un dans les êtres, multitudes indivisible, qui ne peut être rempli, et néanmoins plein, regorgeant par-dessus, qui produit, qui perfectionne, qui contient tout un et multitude. D’avantage par cette force et vertu qu’il a déifiée, laquelle procède de lui, (a)[c232]  plusieurs Dieux étant faits, autant que chacun est capable de la divine ressemblance, il y a ce semble, et aussi en parle-t-on de la sorte, une division et multiplication d’un seul Dieu qui ne se peut diviser dans les choses qui ne peuvent être partagées, uni en soi-même, non mêlé ni multiplié en plusieurs. Celui que, mon maître et moi ensemble, nous avons eu pour guide et directeur à la lumière donnée de Dieu, personnage à la vérité très profond en la connaissance des choses divines, et qui a été la lumière du monde, ayant admirablement bien conçu et considéré ce que nous disons, parle de la sorte comme par un divin enthousiasme, en l’une de ses sacrées Épîtres. Car (b)[c233]  bien qu’il y ait, dit-il, plusieurs appelés dieux, soit au ciel ou en la terre, (comme véritablement il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs), toutefois nous n’avons qu’un seul Dieu, qui est le Père, duquel sont toutes choses et nous en lui, et un seul Seigneur qui est JÉSUS-CHRIST, par lequel sont toutes choses et nous par lui. Car en fait des choses qui appartiennent à Dieu, les unions dominent et précèdent les distinctions et les mêmes choses divines (c) ne sont pas moins unies après même la distinction, qui est en elles unie et singulière, et ne sort jamais hors de l’unité. La même, chap. 2.

a. Cela revient au passage : J’ai dit, vous êtes des Dieux. Ps. 81, 6. Jn 10, 34.

b. 1 Cor 8, 5-6

c. Il doit ne être de même des choses spirituelles.

8. Le Bien, qui est par-dessus toute lumière, comprend en soi, surmonte et a par anticipation toute la force et la vertu de ce qui a pouvoir d’illuminer, comme étant le premier principe de la lumière et de tout ce qui est lumineux, qui recueille et rassemble en un toutes choses intellectuelles et raisonnables, et fait qu’elles soient unies, serrées et pressées. (*) [c234] Car tout ainsi que le propre de l’ignorance est de diviser et de séparer les esprits qui sont en erreur, de même le propre de la lumière intellectuelle est de recueillir et de réunir par sa présence les choses qu’elle illumine, de les perfectionner et de les convertir au vrai être, en recueillant leurs vues éparses et égarées en plusieurs objets, ou pour mieux dire leurs imaginations distraites et vagabondes, à une seule vraie, pure et uniforme connaissance, les remplissant de sa lumière qui est une et qui a le pouvoir de rendre uns ceux à qui elle se communique. La même, chap. 4.

* Présence de Dieu. n. 1. Quiétude.§.1.n.1.

9. Par l’amour soit divin, soit angélique, soit intellectuel, ou il se peut dire, animal ou naturel, nous entendons une certaine vertu qui a la force d’unir et de tempérer les choses les unes avec les autres, laquelle meut les supérieures au soin et à la providence des inférieures, les égales à s’entretenir par une liaison mutuelle et les inférieures d’en bas où elles sont, à se tourner et convertir vers les supérieures. La-même. Extrait des hymnes de saint Hiérothée.

10.Il faut savoir qu’il y a deux puissances et facultés en notre entendement, dont l’une lui sert pour entendre, par laquelle il voit et contemple les choses intelligibles et spirituelles, l’autre est un certaine union qui surpasse la nature de l’entendement par laquelle il est uni à ce qui est par-dessus. Selon celle-ci donc, il faut considérer les choses divines, non point à la façon que nous considérons les nôtres, mais ne sortant entièrement hors de nous-mêmes et étant faits tout entiers à Dieu. Car il vaut mieux que nous soyons à Dieu qu’à nous-mêmes, d’autant que par ce moyen les dons et les grâces divines se communiquent à ceux qui sont avec Dieu. La même, chap. 7.

11. Voyez Quiétude, § 1, no 2.

12. Il faut donc que nous contemplions une certaine unique et simple nature de l’union de la paix, laquelle unit toutes choses et les conjoint premièrement en elles, puis à elle-même, et par après les unes aux autres, qui les maintient et les conserve toutes en bon tempérament les unes avec les autres, demeurant néanmoins pures, sans mélange et sans confusion. Par laquelle, dis-je, les Esprits divins étant unis à leurs propres notions et connaissances, sont par même moyen conjoints aux objets entendus et de là montent par après à l’union inconnue des choses qui sont élevées par-dessus l’entendement. Des noms divins, chap. 11.

13. Par cette union les âmes raisonnables venant à unir tous leurs raisonnements qui sont fort divers, et les ramassant tous à une pureté intellectuelle, montent à leur façon, par ordre et par méthode, en formant une pensée épurée de toute matière et sans aucune composition de parties, et s’élèvent à cette union qui est par-dessus la pensée.

Car cette paix (a)[c235]  tout entière et universelle passe et pénètre en toutes choses par la présence très pure et très simple de sa vertu et de sa force unitive, joignant ensemble les unes extrémités aux autres.

Et cependant cette divine paix ne laisse pas de demeurer indivise, montrant toutes choses en l’un, et passant partout, et néanmoins ne sortant jamais de son état toujours le même. Car elle sort et s’achemine vers toutes choses et elle se donne et distribue à toutes, autant qu’il est bon et convenable à chacune. Et toutefois elle est pleine et regorge (a)[c236]  par-dessus, par la redondance de sa paix féconde, et par la suréminente excellence de son union, elle demeure plus qu’unie toute entière à elle-même aussi tout entière. La même.

a. Il parle partout des effets de la paix de l’âme.

b. Regorgement, plénitude, fécondité de la paix divine. (Voyez l’Explic. Du Cant. Ch. 4. v. 11, 16. Ch. 6. V. 2, 3. Ch ; 7. V. 1. Ch. 8. V. 5., 11, 12 etc…)

14. Aussi faut-il que nous-mêmes étant convertis de la multitude de plusieurs objets à l’un, par la force et par la vertu de l’unité divine, nous célébrions d’une façon singulière la déité toute et une, le même auteur de toutes choses, qui est auparavant tout ce qui est un. La même, chap. 13.

15. Voyez Foi nue, no 3.

Saint Augustin

16. Voyez Quiétude, § 1, no 6.

17. Que (a) cherche l’orgueil, sinon le plus haut point de la puissance ? Or toute puissance se réduit à faire sans peine ce que l’on veut et (180) c’est à quoi (b)[c237]  l’âme ne parviendra que lorsqu’elle sera parfaitement soumise à Dieu, qu’elle ne dépendra que de lui, qu’une charité sans mesure la tenant unie à ce Dieu tout-puissant qui règne souverainement sur toutes choses fera qu’elle sera plus qu’un même esprit avec lui. De la véritable religion, chap. 52.

a. Apostille. Par où l’on parvient à ce que cherche l’orgueil.

b. Celui qui ne veut plus que la volonté de Dieu trouve que toutes ses volontés s’accomplissent toujours et en tout sens.

18. Voyez Transformation, no 3.

19. Par où est-ce que nous tenons à la vérité ? C’est par la sanctification dont l’effet et de nous embraser (b)[c238]  d’une charité qui pénètre toutes les puissances de notre âme. Car cette charité est le seul lien par où nous puissions être unis à Dieu, c’est aussi la charité qui nous rend conformes à Dieu et non pas au monde, et c’est par elle que s’accomplit en nous cette parole de st Paul (c)[c239]  : Dieu nous a prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils. La charité est donc ce qui nous conforme à Dieu.

Nulle créature ne saurait nous unir à la vérité en nous séparant de tout ce qui est sujet à la vanité et au changement. Car comment est-ce que ce qui serait lui-même au nombre de ces sortes de choses pourrait nous en séparer et nous unir à la vérité ? Des mœurs de l’Église, chap. 13.

b. Apostille. On ne peut être uni à Dieu que par la charité.

c. Rm 8, 29.

20. Nous avons vu que saint Paul (d)[c240]  veut que nous soyons tellement unis à Dieu par une entière dépendance de ses volontés que rien ne puisse nous séparer de lui. Mais puisque le Prophète nous fait entendre la même chose lorsqu’il dit : (a)[c241]  Mon bien est de me tenir uni à Dieu, ce seul mot de David, se tenir uni à Dieu, ne comprend-il pas d’une manière aussi précise qu’elle est courte, tout ce que saint Paul dit plus au long de cette heureuse union qui est l’effet de la charité en nous ? Et ce que saint Paul dit un peu plus haut, (b)[c242]  que tout tourne en bien à ceux qui aiment Dieu, ne revient-il pas à ce que dit David que son bien est de lui être uni ? Ainsi ce saint prophète nous fait voir dans une seule sentence qui ne consiste qu’en deux mots et la force de la charité, et le fruit que nous en recueillons. La même, chap. 16.

d. Rm 8, 35 ;

a. Ps 72, 28.

b. Rm 8, 28.

21. La vie souveraine est heureuse, c’est-à-dire celle où réside cette vérité qui nous rend indubitablement heureux quand nous sommes parvenus à la contempler dans toute sa splendeur, et que nous lui sommes intimement unis, dont nous ne saurions nous écarter sans nous jeter dans un abîme d’erreurs, de misères et de douleurs. La même, chap. 19.

Saint Jean Climaque

22. La prière n’est autre chose qu’un oubli de tout le monde visible et invisible. Disons à Dieu de tout notre cœur par la bouche du Prophète-Roi : (c)[c243]  Qu’y a-t-il dans le ciel que je désire ? rien que vous, Seigneur. Qu’y a-t-il dans la terre que j’aime et que je chérisse ? Rien que vous, Seigneur. Rien que d’être si fort uni à vous par la prière que je ne puisse jamais être séparé de vous. Les uns désirent des trésors, les autres de la gloire, les autres de grandes possessions et de grands biens. Mais pour moi je ne souhaite que d’être inséparablement uni à vous et c’est de vous seul que j’espère et que j’attends la parfaite tranquillité de mon âme. Échelle sainte, degré 28, article 29.

c. Ps 72, 25.

23. Je crois que c’est une des plus grandes preuves qu’on est parvenu à la bienheureuse paix de l’âme de pouvoir dire véritablement avec David : Quand mon ennemi s’éloigne de moi, je ne m’en aperçois pas. Et je ne sais ni comment il vient, ni pourquoi il vient, ni comment il se retire, parce que je suis insensible à toutes ces choses, étant parfaitement et inséparablement uni à Dieu de toutes les puissances de mon âme. Degré 29, art. 10.

24. Celui à qui dieu fait cette grâce de la mettre en cet état si sublime est dès ici bas, quoique revêtu encore d’une chair mortelle, le temple vivant de Dieu, qui le conduit et le gouverne toujours dans toutes ses actions, ses paroles et ses pensées, qui par la lumière intérieure dont il éclaire son âme, lui fait comme entendre la voix de sa volonté divine, et l’élevant au-dessus de toutes les instructions des hommes, lui fait dire avec David (a)[c244]  : Seigneur, quand irai-je jouir de la vue bienheureuse de votre gloire ? La même, art. 11.

a. Ps 41, 3

25. Que dirai-je davantage ? Celui qui possède ce bonheur inconcevable ne vit (b)[c245]  plus lui-même dans lui-même, mais c’est Jésus-Christ seul qui vit en lui, selon la parole de ce grand apôtre qui avait (a) [c246] si saintement et si généreusement combattu et qui avait achevé sas course et gardé une foi inviolable à Jésus-Christ. La même, art. 12.

b. Gal 2, 20

a. Tm 4, 7

Henri Suso

26. Voyez Opérations de Dieu, no 1.

27. Cet homme est tellement uni à Dieu, que Dieu même devient son fond. Dialogue de la vérité, chap. 10.

L’Imitation de Jésus-Christ

28. Celui qui trouve tout dans l’unité souveraine et qui rapporte tout à cette unité conservera toujours son cœur immobile et demeurera en paix dans le sein de Dieu. Ô Vérité-Dieu ! Rendez-moi une même chose avec vous, en me liant à vous par une éternelle charité. Livre 1, chap. 3, § 2.

29. Voyez Oraison, § III, no 3.

30. Comme on acquiert la paix intérieure en ne désirant rien au-dehors ; ainsi en se quittant intérieurement soi-même, on s’unit à Dieu dans le fond du cœur. Livre III, chap. 56, § 1.

Harphius

31. Voyez Mariage spirituel, no 1.

Sainte Catherine de Gênes

32. Cette sainte âme avait une si grande union avec Dieu et son franc-arbitre était tellement lié avec lui, qu’elle ne sentait en elle aucune résistance ni élection. Elle disait : si je mange ou si je bois, si je marche ou si je m’arrête, si je parle ou si je me tais, si je dors ou si je veille, si je vois, si j’entends ou si je pense, si je suis à l’église, à la maison ou à la place, si je suis saine ou malade, à tout heure et à tout moment je veux que tout soit en Dieu et pour Dieu. Je voudrais ne pouvoir, ni vouloir, ni faire, ni penser, ni parler autre chose, sinon la volonté de Dieu. Et je voudrais que la partie qui lui contredirait fut mise en poudre et jetée au vent. En sa Vie, chap. 28.

33. Qui goûterait le repos de l’union à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. Là-même, chap. 31.

34. Voyez Communications, § II, no 3.

35. Ô Amour ! Vous êtes appelé amour jusqu’à ce que l’amour que Dieu à versé dans le cœur de l’homme soit tout consumé, car après cela, l’homme demeure tellement enivré et plongé en lui qu’il ne sait plus ce que c’est que l’amour, parce qu’alors l’amour devient esprit et s’unit avec l’esprit de l’homme, ce qui fait que l’homme devient spirituel, et comme l’esprit est invisible et insensible et qu’il ne peut tomber sous les puissances de l’âme, l’homme demeure vaincu et surmonté, de sorte qu’il ne sait plus où il est, ni où il se doit arrêter, ni où il doit aller. Mais par cette intime et secrète union faite en esprit avec Dieu, il reste en l’âme une impression si suave et si délicieuse, avec une satisfaction qui a tant de force et de fermeté qu’il n’y a point de martyre que l’a pu vaincre, et l’âme est remplie d’un zèle si ardent que si l’homme avait mille vies, il les exposerait toutes pour satisfaire à cette intime impression qui est si forte que l’enfer ne peut troubler. Dialogue, livre III, chap. 11.

Sainte Thérèse

36. Cette manière d’oraison est, à mon avis, une très manifeste union de toute l’âme avec Dieu, sauf qu’il semble que sa Majesté veut donner licence aux puissances pour entendre et jouir des merveilles qu’elle opère alors. Il arrive quelquefois, et même fort souvent, que la volonté étant unie, on connaît que cette puissance est unie et liée et qu’elle est jouissante. Je dis qu’on connaît que la volonté seule est dans une grande quiétude et que d’autre part la mémoire et l’entendement sont si libres qu’ils peuvent traiter d’affaires et vaquer aux œuvres de charité. Or bien que ceci semble être le même que ce que j’ai dit de l’oraison de quiétude, néanmoins il est différent en partie, parce qu’en celle-là, l’âme ne voudrait point se remuer, jouissant de cette sainte oisiveté de Marie. Mais en cette oraison elle peut encore faire les fonctions de Marthe. Vie, chap. 17.

37. Ce que je prétends d’expliquer, c’est ce que sent l’âme lorsqu’elle est dans cette union divine. Pour l’union, on sait bien que c’est lorsque de deux choses divisées, il s’en fait une. Vie, chap. 18.

38. Il y a cette différence entre cette oraison et celle où l’âme est toute avec Dieu, qu’en cette dernière l’âme n’avale pas cette divine viande, mais la trouve dans soi, sans savoir comment Notre Seigneur l’y a mise. Il semble en cette première qu’il veuille que l’âme travaille un peu, quoique ce soit avec tant de repos que cela ne se sent presque pas. Ce qui la tourmente, c’est l’entendement ou l’imagination. Mais cela n’arrive pas quand il y a union des trois puissances, celui qui les a créées les suspend toutes, car par la jouissance qu’il leur donne, il les tient toutes occupées, sans qu’elles sachent comment et sans qu’elles le puissent entendre, l’âme sentant en soi cette oraison qui est un grand et tranquille contentement de la volonté, sans toutefois pouvoir discerner ce que c’est en particulier. Chemin de perfection, chap. 31.

39. Il est bien vrai que cette âme n se trouve pas même éveillée pour aimer, mais ô heureux sommeil ! Ô ivresse heureuse et désirable qui fait que l’Époux supplée à ce que l’âme ne peut, qui est de donner un ordre merveilleux à ce que toutes les puissances étant mortes ou endormies, l’amour demeure vif et que sans entendre comment elle opère, Sa Majesté ordonne qu’elle opère si merveilleusement qu’elle devienne une chose avec le même Seigneur de l’amour qui est Dieu par une pureté éminente, parce qu’il n’y a rien qui l’empêche, ni sens, ni entendement, ni mémoire : la seule volonté l’entend. Conceptions de l’Amour de Dieu, chap. 6.

40. Mais on peut former ce doute, savoir si l’âme est tellement absorbée et si hors de soi qu’il semble qu’elle ne peut rien opérer par l’exercice de ses puissances, comment elle peut mériter ? D’autre part il semble qu’il n’est pas possible que Dieu lui fasse une si grande grâce, afin qu’elle perde le temps et que pendant cet espace, elle ne gagne rien en méritant, cela n’est pas croyable. Ô secrets divins ! Nous n’avons ici autre chose à faire qu’à soumettre et captiver notre entendement et penser qu’il n’est nullement capable de pénétrer les grandeurs de Dieu. Nous nous devons ressouvenir ici de la façon dont se comporta la Vierge Notre Dame, avec toute la sagesse dont elle était douée quand elle interrogea l’Ange par ces paroles : (a)[c247]  Comment est-ce que cela se fera ? Car lui ayant répondu : Le Saint-Esprit surviendra en vous et la vertu du Très-Haut vous fera ombre, elle ne se mit point en peine de s’informer d’autre chose, et comme celle qui avait une grande foi et une singulière sagesse, elle entendit aussitôt que ces deux choses intervenant, il n’y avait plus rien à savoir, ni aucun sujet de douter. La même.

a.  Lc 1, 34-35

41. Ce n’est point comme certains savants que Dieu ne conduit pas par cette sorte d’oraison et qui n’en n’ont aucun commencement, qui se veulent conduire avec tant de raison en toutes choses, et les compassent ou mesurent tellement suivant la capacité de leur entendement qu’il leur semble qu’avec leurs lettres ils doivent comprendre toutes les grandeurs de Dieu. Or s’ils avaient un peu de l’humilité de la Sainte Vierge ! Ô Madame, qu’on peut bien entendre par vous ce qui se passe entre Dieu et l’Épouse, suivant ce que nous lisons dans les Cantiques ! La même.

Le bienheureux Jean de la Croix

42. tous les appétits ne sont pas également préjudiciables (je parle des volontaires), et n’embarrassent pas l’âme de même façon. Car les appétits naturels empêchent peu ou point l’union de l’âme avec Dieu, quand ils ne tirent aucun consentement et ne passent pas les premiers mouvements. J’appelle appétits naturels et premiers mouvements, tous ceux auxquels la volonté raisonnable n’a aucune part, ni devant, ni après, d’autant qu’il est impossible de les ôter et mortifier entièrement en cette vie. Et ceux-là ne préjudicient pas, en sorte qu’on ne puisse arriver à l’union divine, encore qu’ils ne soient totalement mortifiés, parce qu’il peut bien arriver qu’ils soient en la nature, et que cependant l’âme demeure en liberté et franchise quant à ce qui est de l’esprit raisonnable, d’autant qu’il arrivera parfois que l’âme sera en la haute union de quiétude en la volonté et qu’ils demeurent actuellement en la partie sensitive de l’homme, la partie supérieure qui est en oraison n’ayant aucune part en eux. Mais quant aux autres appétits volontaires, soit de péchés mortels qui sont les plus griefs, soit des péchés véniels qui sont plus légers, soit seulement des imperfections qui sont encore moindres, il les faut évacuer entièrement et l’âme doit être épurée de tous, pour petits qu’ils soient, si elle veut parvenir à cette totale union. La raison est, parce que l’état de cette union divine consiste en ce que l’âme tienne sa volonté dans une (a)[c248]  totale transformation en la volonté de Dieu, de manière qu’en tout et par tout son mouvement soit la seule volonté de Dieu.

a. Ceci marque un état stable d’union de volonté.

C’est pourquoi nous disons qu’en cet état de deux volontés, il n’en est fait qu’une, c’est à savoir de la mienne et de celle de Dieu. Encore que la volonté de Dieu soit aussi la volonté de l ‘âme. Or si cette âme voulait quelque imperfection, laquelle sans doute déplaît à Dieu, elle ne passerait pas et ne serait pas transformée en la volonté de Dieu, puisque l’âme voudrait ce que Dieu ne veut pas. D’où il paraît que l’âme, pour s’unir à Dieu par amour et volonté, doit auparavant être évacuée de tous appétits de la volonté, et même de plus petits, c’est-à-dire qu’elle ne consente sciemment et volontairement à aucune imperfection, et qu’elle ait le pouvoir et la liberté d’y résister aussitôt qu’elle s’en apercevra. Je dis sciemment, car sans y prendre garde ou sans l’entendre, ou sans être entièrement en son pouvoir de faire autrement, elle tombera bien en des imperfections ou en des péchés véniels, et dans les appétits naturels dont nous avons parlé. Car il est écrit de tels péchés qui ne sont point tant volontaires que (a) [c249] le juste tombera sept fois le jour et qu’il se relèvera de même. Mais le moindre des appétits volontaires et connus, si on ne les surmonte, suffit pour empêcher cette union. Et quant à certaines habitudes d’imperfections volontaires, qu’on ne surmonte jamais totalement, il est vrai que non seulement elles empêchent l’union divine, mais encore l’avancement à la perfection. Montée du mont Carmel, livre I, chap. 2.

a. Prov. 24, 16.

43. Ce n’est pas notre intention d’expliquer à présent en particulier qu’elle est l’union de l’entendement, quelle est celle de la volonté et aussi celle de la mémoire, quelle est l’union (b) passagère et quelle est l’union stable et permanente en ces puissances, et enfin quelle est la totale, parce que nous en traiterons après en son lieu.

b. Notez s’il vous plait, union passagère et union fiable et permanente en ces puissances. Il y a donc une union passagère et une union permanente dans les puissances, et une union totale qui est par-dessus celle des puissances, comme je l’ai expliqué au Cantique (Ch. 1. V. 1.)

Pour entendre quelle est cette union dont nous voulons parler, il faut savoir que Dieu demeure dans toutes les âmes, fut-ce celle du plus grand pécheur du monde et y est présent en substance, et cette manière d’union ou de présence, que nous pouvons appeler d’ordre naturel, est toujours entre Dieu et toutes les créatures, selon laquelle elle les conserve en leur être, de sorte que si elle venait à leur manquer, elles s’anéantiraient tout à fait aussitôt et ne seraient plus. Ainsi quand nous parlerons de l’union de l’âme avec Dieu, ce ne sera pas de cette présence substantielle de Dieu qui est toujours dans toutes les créatures (a)[c250]  mais de l’union et de la transformation de l’âme en Dieu par amour  qui se fait seulement lorsqu’il y a une semblance d’amour, et partant celle-ci se nommera union de semblance, comme l’autre s’appelle union essentielle ou substantielle, et celle-là naturelle, celle-ci surnaturelle qui est quand les deux volontés, à savoir celle de l’âme et celle de Dieu, sont conformes en un, n’y ayant rien en l’une qui répugnent à l’autre. Partant quand l’âme ôtera entièrement de soi ce qui répugne et n’est pas conforme à la volonté divine, elle demeurera transformée en Dieu par amour. Ce qui ne s’entend pas seulement de ce qui répugne selon l’acte, mais aussi selon l’habitude, de manière que non seulement les actes volontaires d’imperfection doivent être bannis, mais aussi les habitudes. Et (b)[c251]  d’autant que toute créature et toutes ses actions et habiletés n’arrivent pas à ce qui est Dieu, pour ce sujet l’âme se doit dénuer de toute créature, de toutes actions et habiletés d’icelle, à savoir de son entendre, de son goûter et sentir, afin que (191) chassant tout ce qui est dissemblable et no conforme à Dieu, elle vienne à recevoir la semblance de Dieu, ne demeurant en elle aucune chose qui ne soit volonté de Dieu et ainsi se transforme en lui. Montée du mont Carmel, livre II, chap. 5.

a. Rien n’est expliqué  plus nettement, et c’est ce que j’ai voulu dire dans le Cantique.

b. Voyez Moyen court. Ch. 24. N. 4, 5 , 6 de la purification de l’or.

44. L’âme donc faisant place, c’est-à-dire, ôtant de soi tout voile et toute tache de créature, ce qui se fait en tenant la volonté parfaitement unie avec celle de Dieu (parce qu’aimer est travailler à ce dépouiller de tout ce qui n’est point Dieu), elle demeure aussitôt éclaircie et transformée en Dieu, d’autant qu’il lui communique son être surnaturel, de telle sorte qu’elle paraît semblable au même Dieu et semble avoir en quelque sorte ce que Dieu possède. Et il se fait une telle union lorsque Dieu départ cette souveraine saveur à l’âme, que toutes les choses de Dieu et de l’âme sont un en transformation participée, et l’âme semble plus être Dieu qu’être âme, encore qu’à la vérité son être naturel soit aussi distinct de celui de Dieu comme il était auparavant, quoiqu’elle soit transformée, comme aussi la vitre a son être distinct de celui du rayon lorsqu’elle en est éclairée.

De ceci on voit plus clairement que la disposition pour cette union n’est pas l’entendre de l’âme, ni le goût, ni le sentir, ni le penser en Dieu selon la manière naturelle, ni quelque autre chose que ce soit, mais seulement la pureté et l’amour qui est une résignation parfaite et nudité totale seulement pour l’amour de Dieu. Et comme il ne peut y avoir de transformation parfaite s’il n’y a la parfaite pureté, aussi selon la pureté sera l’illustration, l’illumination et l’union de l’âme avec Dieu en moindre ou plus haut degré, bien que, comme je dis, elle n’arrive pas à être toute parfaite (a)[c252]  si elle n’est entièrement claire et nette. Ce qui s’entendra pareillement par une autre comparaison.

Il y a une image très accomplie d’une excellence très extraordinaire, avec un émail très délicat et très subtil, et en la diversité de cet émail il y en a quelques-uns si merveilleux et si fins que pour leur délicatesse et perfection on ne peut bien les discerner. Celui donc qui ne verra guère clair, n’y apercevra pas tant d’excellence et de délicatesse, mais un autre qui aura bonne vue en découvrira mieux la perfection, et si quelqu’un a encore la vue plus épurée, il y remarquera plus d’industrie et de délicatesse. Enfin, tant plus on verra clair, on y remarquera plus de perfection et d’excellence, parce qu’il y a tant à voir en cette image que quoiqu’on en découvre, il en reste beaucoup davantage à remarquer. Aussi nous pouvons dire que les âmes se comportent de même manière avec Dieu en cette illustration et transformation. Car bien qu’à la vérité une âme, selon son peu ou plus de capacité, puisse être arrivée à cette union, néanmoins toutes n’y parviennent pas en pareil gré, parce que c’est comme il plaît à Notre Seigneur de le donner à un chacun, ce qui est en la manière que les Bienheureux le voient au Ciel. Car les uns le voient plus parfaitement et les autres moins, encore que tous voient Dieu, et que tous soient contents et satisfaits, vu que leur capacité est remplie selon leur plus grand et leur moindre mérite.

D’où vient qu’encore qu’en cette vie nous trouvions des âmes avec un repos et une paix égale en leur état de perfection et que chacune demeure satisfaite, si est-ce néanmoins que l’une pourra être plus haut élevée que l’autre en cette union et toutes demeurer également satisfaite selon leur disposition et selon la connaissance qu’elles ont de Dieu. Mais celle qui n’arrive pas à la pureté requise aux illustrations et aux vocations de Dieu n’arrive jamais à la vraie paix et satisfaction, faute d’avoir évacué ses puissances, comme il est nécessaire à la simple union. La même.

45. Les âmes commencent à entrer dans cette obscure nuit quand Dieu les va tirant peu à peu de l’état de ceux qui commencent, (a)[c253]  qui est l’état de ceux qui méditent en la voie spirituelle, et les met dans celui de ceux qui profitent, qui est déjà des contemplatifs, afin que passant par là, ils arrivent à l’état des parfaits qui est celui de l’union divine de l’âme avec Dieu. Obscure Nuit, livre I, chap. 1.

a. C’est ici ce qui est dit au Moyen Court (ch. 24. n. 9 etc) que la méditation est la porte et l’entrée de la voie, et l’union, la perfection et la consommation de cette voie.

46. Voyez Purification, no 42.

47. Voyez Opérations propres, no 17.

48. Le huitième degré d’amour fait que l’âme embrasse et étreint son ami avec une liaison indissoluble.

Le neuvième degré d’amour fait que l’âme brûle avec suavité. Ce degré est des parfaits, lesquels déjà brûlent suavement en Dieu, parce que cette ardeur suave et délectable leur est causée par le Saint-Esprit, à raison de l’union qu’ils ont avec Dieu. C’est pourquoi saint Grégoire dit que quand les Apôtres reçurent visiblement le St Esprit, ils brûlèrent suavement d’amour en leur intérieur. On ne saurait parler des biens et des richesses de Dieu dont l’âme jouit en ce degré, on en ferait plusieurs livres avant que d’en dire la moitié. Obscure Nuit, livre I, chap. 20.

49. Ce repos et cette quiétude de cette maison spirituelle vient à être gagné par l’âme habituellement et parfaitement (en tant que la condition de cette vie le peut permettre), par le moyen de ces actes comme substantiels d’union divine que nous venons de dire, qu’elle a reçu de la Divinité secrètement et en cachette du trouble du Diable et des sens et des passions, où l’âme a été purifiée, tranquillisée et rendue forte, constante et stable pour recevoir avec durée la dite union qui est le mariage divin entre l’âme et le Fils de Dieu.

L’Épouse donne à entendre le même aux Cantiques, disant qu’après (a) [c254] qu’elle eut évadé ceux qui lui ôtèrent son manteau durant la nuit et qui la blessèrent, elle trouva celui que son âme cherchait. On ne peut parvenir à cette union sans une grande pureté, et cette pureté n e s’acquiert sans une grande nudité de toutes choses. La même, chap. 24.

a. Ct 5, 7 etc. et ch. 6. V. 1, 2.

50. En cette douce boisson de Dieu, en laquelle, comme nous avons dit, l’âme s’imbibe en Dieu d’une très grande volonté avec beaucoup de suavité, l’âme se livre toute à Dieu, voulant être toute à Lui et n’avoir jamais rien en soi qui ne soi convenable et séant à une telle Majesté, selon la portée de sa condition, Dieu causant en elle en ladite union la pureté et perfection qui est requise pour cela, car en ce qu’il la transforme en soi, il la fait toute sienne et évacue d’elle tout ce qu’elle avait d’écarté et éloigné de Dieu. D’où vient que non seulement selon la volonté, mais encore selon l’effet, elle demeure toute donnée et livrée à Dieu, sans réservée aucune chose, comme Dieu aussi s’est donné librement à elle, de manière que ces deux volontés demeurent réciproquement livrées, contentes et satisfaites entre elles, de sorte qu’en quoi que ce soit l’une n’ait à manquer à l’autre avec foi et assurance de mariage. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 19.

51. L’âme est en cet état comme dans un fourneau ardent et embrasé en une union d’autant plus paisible, plus glorieuse et plus tendre que la flamme de ce fourneau est plus ardent que le feu commun, de manière que l’âme sentant que cette vive flamme lui communique vivement tous les biens, parce que cet amour divin les port avec soi, elle dit :

Ô vive flamme, ô sainte ardeur ! Qui par cette douce blessure perce le centre de mon cœur.[c255] 

Voulant dire : Ô amour embrasé, etc. (Voyez Purification, no 47). Vive flamme d’amour, cant. 1.

52. Il faut par nécessité avoir rompu les toiles pour parvenir à cette possession de Dieu par union d’amour où toutes les choses du monde sont renoncées, le appétits et les passions mortifiés et les opérations de l’âme faites divines, ce qui a été rompu par la rencontre de cette flamme quand elle était âpre et pénible. Car l’âme en la purgation spirituelle achève de rompre ces deux toiles et de s’unir comme elle est ici, et il ne reste plus à rompre que la troisième, de la vie sensitive. C’est pourquoi elle parle en singulier et ne dit pas les toiles, mais la toile, car il n’y a plus que celle-là, laquelle la flamme ne heurte point rigoureusement ni rudement comme elle faisait les autres, mais doucement et savoureusement. Et ainsi (a)[c256]  la mort de telles âmes leur est très suave et très douce et plus douce que ne leur a été toute leur vie, d’autant qu’elles meurent avec des impétuosités et des savoureuses rencontres d’amour, comme le cygne qui chante plus mélodieusement quand il approche de la mort. C’est pourquoi David a dit (b)[c257]  que la mort des justes est précieuse parce que là les rivières de l’amour de l’âme vont entrer dans l’océan de l’aimer, et sont là si vastes et si calmes qu’elles paraissent déjà des mers, là se joignant le commencement et la fin, le premier et le dernier pour accompagner le juste qui part et qui va dans son royaume, s’entendant les louanges des extrémités de la terre, c’est à savoir la gloire du juste, et l’âme se sentant alors avec ces glorieuses rencontres sur le point de sortir et d’entrer dans les abondances à posséder parfaitement le royaume, parce qu’elle se voit pure et riche (autant que la foi et l’état de cette vie le peuvent compatir), et s’aperçoit disposé pour cela, car Dieu en cet état lui laisse déjà voir sa beauté, lui confie les dons et les vertus dont il l’a enrichie, vu qu’en elle tout se tourne en amour et louanges, (a) [c258] n’y ayant plus de levain qui corrompe la pâte. Là-même, v. 6.

a. Je crois que c’est ce qui est dit dans l’Apocalypse, (Ch. 20, 6) que ceux qui auront souffert la première mort, ne souffriront rien de la seconde.

b. Ps 115, 15.

a. Notez n’y ayant plus de levain qui corrompe la pâte.

53. L’âme bienheureuse qui a eu ce bien d’obtenir ce cautère, (b)[c259]  sait tout, goûte tout, fait tout ce qu’elle veut, prospère, et personne devant elle n’a l’avantage et ne la touche, car c’est celle dont l’Apôtre dit : (c)[c260]  Le spirituel juge de tout et il n’est jugé de personne ; et en un autre lieu : (d[c261] ) il sonde toutes choses jusqu’aux profondeurs de Dieu. Ô grande gloire des âmes qui mérités de parvenir à ce très haut feu, lequel ayant une force infinie pour vous consommer et anéantir, ne vous consommant point, il vous consomme en gloire avec immensité ! Ne vous émerveillez pas que Dieu amène jusques ici quelques âmes, vu que lui en certaines choses est singulier à faire des effets prodigieux. Donc ce cautère étant si suave, comme nous l’avons ici donné à entendre, combien sera caressée celle qui sera touchée de ce feu. La-même, Cantique 2, v. 1.

b. Ceci est divin. C’est comme celui qui est dans le fond de la mer, s’il pouvait vivre, il jugerait bien mieux de ses richesses inépuisables, qu’on ne peut faire par tous les raisonnements, et comme il aurait des espaces infinis à se promener, il découvrirait à chaque pas de nouvelles beautés qui le charmeraient.

c. 1 Co 2, 15.

d. 1 Co 2, 10.

54. Ô attouchement délicat ! Verbe Fils de Dieu qui par la délicatesse de votre Être divin, pénétrez subtilement en la substance de mon âme et la touchant délicatement, vous l’absorbez toute en des manières divines de suavités inouïes. Là-même, v. 3.

55. Dieu se comporte de la sorte envers ceux qu’il veut favoriser et avantager selon l’amendement le plus important car il les laisse tenter, affliger, tourmenter et épurer intérieurement et extérieurement jusqu’où on peut arriver, afin de les déifier, leur donnant l’union en sa Sagesse qui est le plus haut de tous les états et les purgeant premièrement en cette même Sagesse, selon que David le marque, disant (a)[c262]  que la Sagesse du Seigneur est un argent examiné par le feu, éprouvé en la terre de notre chair et purgé sept fois, c’est-à-dire très purgé. Et il n’y a pas de quoi s’arrêter ici davantage à déclarer comment se fait chacune de ces purgations pour parvenir à cette Sagesse divine qui est en l’état de cette vie mortelle comme l’argent, lequel de si haut aloi et si épuré qu’il soit, ne sera jamais comme l’or précieux qui est réservé pour la gloire.

L’âme confesse ici comme déjà bien satisfaite, disant :

Et paie toute dette.[c263] 

Comme aussi David par ces paroles (b)[c264]  Combien m’avez-vous montré de tribulations en grand nombre et mauvaises ; Et vous tournant, vous m’avez vivifié, et m’avez derechef retiré des abîmes de la terre, vous m’avez multiplié votre magnificence et vous tournant vers moi, vous m’avez consolé.

a. Ps 11, 7.                b. Ps 70, 20-21.

*[c265] De sorte que cette âme qui était auparavant dehors (a)[c266]  aux portes du palais de Dieu, pleurant, comme Mardochée aux places de Susan le péril de sa vie, vêtu de cilice, ne voulant recevoir le vêtement que la reine Esther lui envoyait et n’ayant reçu ni faveur, ni récompenses pour les services qu’il avait rendus au roi, ni pour la fidélité à lui conserver son honneur et sa vie, elle est payée de tout en un jour, la faisant non seulement entrer au palais et demeurer en la présence du roi, revêtue de robes royales, mais aussi la couronnant d’un diadème et lui donnant comme à une autre Esther, la possession du royaume, pour faire tout ce qu’elle voudra dans le royaume de son Époux, parce que ceux de cet état obtiennent tout ce qu’ils veulent, et toute la dette leur est bien payée, les ennemis de leurs appétits étant déjà morts, lesquels voulaient leur ôter la vie, et déjà vivant en Dieu. Vive Flamme d’amour, cant. 2, v. 5.

*Entendre. N. 22.

a. Est 4, 1-4. Ch. 6, 3 etc.

56. On a ici grandement besoin de la faveur de Dieu pour expliquer et déclarer la profondeur de ce cantique, et celui qui le lira y doit apporter une grande attention, parce que s’il n’a  de l’expérience, il le trouvera fort obscur, quoiqu’il soit clair et agréable si on l’entend. L’âme en ce cantique remercie intimement son Époux des grandes faveurs qu’elle a reçues de l’union avec lui, lui communiquant par ce moyen plusieurs connaissances de soi-même très hautes et très sublimes, avec lesquelles les puissances +[c267]  et les sens de son âme, qui avant cette union étaient obscures et aveugles, étant illuminées et enflammées d’amour, pour correspondre au Bien-Aimé, offrant cette même lumière et amour à celui qui les a embrasées et blessées d’amour, versant en elles des dons si divins. *[c268] Car le vrai amant est alors content quand tout ce qu’il est et ce qu’il vaut et peut valoir, et qu’il a et peut avoir, il l’emploie en l’Ami, et tant plus cela est grand et excellent, tant plus prend-il de plaisir à le donner. Là-même, cant. 3.

+ Pur amour. n. 25.

*Justice de Dieu. n. 16.

57. Ô lampes de feux lumineux ![c269] 

Supposé que ces lampes ont deux propriétés qui sont (a) [c270] d’éclairer et de brûler pour entendre ce vers, il faut concevoir que Dieu en son unique et simple être est toutes les grandeurs et vertus de ses attributs, parce qu’il est tout puissant, qu’il est sage, qu’il est bon, qu’il est miséricordieux, qu’il est juste, qu’il est fort, qu’il est amoureux, et qu’il est les autres attributs et vertus que nous ne connaissons pas de lui en cette vie. Et étant toutes ces choses quand il est uni avec l’âme, et qu’il lui plaît de se manifester à elle par une notice très particulière (a)[c271]  elle aperçoit et connaît en lui ces vertus et ces grandeurs en unique et simple être, parfaitement, selon que cela compatit avec la foi : et comme chacune de ces vertus est le même être de Dieu, qui est Père, Fils et Esprit, et chacun de ces attributs étant Dieu même, et Dieu étant une lumière infinie et un feu divin infini, comme il a déjà été dit ; de là vient que selon chacun de ces attributs il éclaire et brûle comme vrai Dieu.

a. c’est l’effet de l’amour en l’âme ; il est brûlant et lumineux.

 

b. Dieu se communique quelquefois à l’âme en distinction dans l’unité même.

Et ainsi selon ces notices que l’âme a connues de Dieu en unité, le même Dieu est plusieurs lampes à l’âme, puisqu’elle a connaissance de chacune, et que chacune en sa manière l’échauffe d’amour, et toutes sont en un être simple, et toutes sont (b)[c272]  une lampe qui est toutes ces lampes, car elle éclaire et brûle de toutes les manières, ce que connaissant l’âme, cette seule lampe lui est plusieurs lampes parce qu’encore qu’elle soit une, elle peut toutes choses, elle a seule toutes les vertus, et ramasse tous les esprits. Et ainsi nous pouvons dire que Dieu luit et brûle de plusieurs façons en une manière, parce qu’il luit et brûle comme tout-puissant, il luit et brûle comme sage, il luit et brûle comme bon, etc. donnant à l’âme l’intelligence et amour, et se manifestant à elle, en la façon qu’elle en est capable selon elles toutes, car la splendeur que lui donne cette lampe, en tant qu’elle est toute puissante, en l’âme de la lumière et de la chaleur d’amour de Dieu, en tant qu’il est tout-puissant, etc.

b. Unité et multiplicité dans l’unité, c’est une communication distincte dans l’unité même. C’est que toutes ces lumières sont renfermées dans cette unité divine, où tout est distinct sans distinction, tout est un et multiplié sans confusion.

Ces lampes furent montrées à Moïse sur le mont Sinaï, où dieu passant devant lui, il se prosterna à terre, et dit quelques grandeurs de celles qu’il avait aperçues en lui, et l’aimant selon les choses qu’il avait vues, il est distinctement par ces paroles : (a)[c273]  Domine, Seigneur Dieu miséricordieux, etc. La même, cant. 3, v. 1.

a.       Ex 34, 6-7.

58. Ô âme, quelle et combien excellente et en combien de manières sera ta lumière et ton contentement, puisque tu sens qu’en toutes et de toutes, ces lampes de notices, il te donne sa joie et son amour, t’aimant selon ses vertus, attributs et propriétés ? parce que celui qui aime et fait du bien à un autre selon sa condition et ses propriétés, l’honore et l’oblige, de même ton Époux en toi, (b) [c274] étant tout-puissant, te donne et t’aime avec toute-puissance, et étant sage, tu sens qu’il t’aime avec sagesse, étant bon, tu sens qu’il t’aime avec bonté, étant saint, tu sens qu’il t’aime avec sainteté, et ainsi du reste. Et comme il est libéral, tu aussi (c)[c275]  qu’il t’aime avec libéralité sans aucun intérêt, mais seulement pour te faire du bien, te montrant joyeusement cette face remplie de grâces et te disant : je suis à toi et pour toi et bien aise d’être tel que je suis pour me donner à toi et être à toi. Qui pourra expliquer ce que tu sens, ô âme bienheureuse, te voyant ainsi aimée et agrandie avec une telle estime. Nous dirons que (a)[c276]  ton ventre, qui est ta volonté, ressemble au monceau de blé qui est couvert et environné de lis, parce qu’en ces du pain de vie que tu goûtes, ensemble les lis es vertus qui t’environnent te recréent et te délectent, d’autant que ces filles du roi, qui sont ces vertus, de l’odeur de leurs drogues aromatiques, qui sont les connaissances qu’il te donne, te réjouissent merveilleusement, et tu y est si plongée et si imbue que tu es aussi le puits des eaux vives qui courent impétueusement du mont Liban qui est Dieu. En quoi tu es merveilleusement réjouie selon l’harmonie de ton âme, afin qu’il s’accomplisse en toi aussi le dire du Psalmiste (b)[c277]  : l’impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu. Ô chose admirable qu’alors l’âme (c)[c278]  répande et dégorge des eaux divines et qu’elles sortent d’elle comme d’une fontaine abondante qui regarde la vie éternelle ! Car encore qu’il soit vrai que cette communication est lumière et feu de ces lampes de Dieu, ce feu est ici si suave qu’encore que ce soit une flamme immense, c’est comme des eaux de vie qui (a) [c279] rassasient et étanchent la soif avec l’impétuosité que l’esprit désire.

b. Il est certain qu’une telle âme se trouve revêtue selon son besoin des qualités de Dieu, qu’il lui communique secrètement, lorsqu’aucune nécessité n’oblige de  le manifester.

c. O mon Seigneur, vous m’aimez gratuitement et je ne vous aimerai pas de même, et je pourrais chercher en vous autre chose que vous ! cela fait horreur d’y penser.

a. Ct 7, 2.

b. Ps 45, 5.

c. Comme ceux qui sont près d’un bassin qui regorge, sentent tomber sur eux les eaux de son regorgement ; de même ceux qui approchent de ces âmes ressentent l’effet de leur plénitude.

a. Rassasiement parfait qui étanche la soif et ôte par conséquent tous désirs aperçus, parce que le désir est proprement une soif de l’âme, ainsi que David l’avait éprouvé en un temps, lorsqu’il disait (Ps 41, 2-3) : Comme le cerf altéré désire les eaux, de même mon cœur vous désire, ô Dieu vivant, et dans un autre endroit, lorsqu’il sentait son rassasiement, il s’écrie (Ps 72, 25) : Qu’y a-t-il à désirer pour moi au Ciel, et que puis-je vouloir sur la terre ?

Et ainsi, bien que ce soient des lampes de feu, ce sont des eaux vives de l’esprit, comme aussi celles qui vinrent sur les Apôtres, encore que ce fussent des lampes de feu, étaient aussi des eaux pures et nettes, car Ézéchiel les nomme de la sorte, quand il prédit cette venue du Saint-Esprit : (b)[c280]  Je répandrai sur vous de l’eau nette et mettrai mon Esprit au milieu de vous. Partant encore que ce soit feu, c’est aussi de l’eau, car il est figuré par le feu du sacrifice que Jérémie cacha, (c)[c281]  lequel pendant qu’il était caché était de l’eau, et quand il servait au-dehors à sacrifier, c’était du feu. Et (d)[c282]  ainsi *[c283]  cet Esprit de Dieu, en tant qu’il est caché aux veines de l’âme, c’est comme de l’eau douce et fraîche qui étanche la soif de l’esprit, et en tant qu’il s’exerce au sacrifice d’aimer, il est de vives flammes de feu qui sont les lampes de l’acte de dilection, dont l’Épouse parle au cantique. (a)[c284]  Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes, lesquelles l’âme nomme de la sorte, parce que non seulement elle les goûte comme des eaux de sagesse en soi, mais encore comme feu d’amour, disant en acte d’amour : ô lampes de feu ! [c285] 

b. Ez 36, 25-26.

c. 2Machab. 1, 20 etc.

d. Etat de sacrifice bien dépeint

* Sacrifice.n. 2.

a. Ct 8, 6.                 205

*[c286]  Tout ce qu’on en peut discourir (b)[c287]  n’est rien au prix de ce qui en est. Si on remarque que l’âme est transformée en Dieu, on entendra en quelque façon comme c’est la vérité qu’elle est devenue fontaine d’eaux vives, ardentes, ferventes au feu d’amour qui est Dieu. La même.

*Transformation. N. 14.

b. Notez, s’il vous plait, que tour ce que je viens d’écrire est un état stable et exempt de vicissitudes.

59. Ces vues, ou ces montres de gloire en Dieu, qui se donnent ici à l’âme, sont déjà plus continuelles que de coutume, et plus parfaites et plus stables, mais en l’autre vie, elles seront très parfaites et (c) sans altération de plus ni de moins, et sans vicissitude ou interstice de mouvement. Alors l’âme verra clairement qu’encore qu’il parût ici que Dieu se mouvait en elle, il est toutefois immobile en soi, comme le feu qui ne se meut point dans sa sphère. Néanmoins ces splendeurs sont des grâces et faveurs inestimables que Dieu fait à l’âme, lesquelles on nomme autrement obombrations. Et celles-ci en cet état, à mon avis, sont des plus hautes qui puissent être ici en voie de transformation.

c. Notez, s’il vous plait, sans altération de plus ni de moins, ce qui marque que l’altération n’est déjà point quant au fond, mais seulement du plus ou du moins, sans interstice de mouvement. Ce qui veut dire que, quoique le fond de l’âme soit stable en Dieu, elle n’est pas toujours libre d’agir conformément à ce qu’elle expérimente.

Pour entendre ceci, il faut savoir qu’obombrer signifie faire ombre, qui est autant que protéger et faire des faveurs, car venant à toucher l’ombre, c’est signe que le corps qui la fait est proche pour favoriser et défendre.

C’est pourquoi il fut dit à la Vierge (a)[c288]  que la vertu du Très–Haut lui ferait une ombre, parce que le Saint-Esprit en devait approcher si près qu’il devait venir sur elle. Et (b)[c289]  notez que chaque chose a de l’ombre, et la fait selon sa propriété et sa figure. Si la chose est épaisse et obscure, elle rendra l’ombre de même ; si elle est plus rare et plus claire, l’ombre en sera plus claire, comme on peut voir au bois et au cristal, l’un qui est opaque la fait obscure et l’autre qui est transparent la rend claire. De même aussi aux choses spirituelles, la mort est privation de toutes choses, donc l’ombre de la mort sera des ténèbres qui privent aussi en quelque façon de toutes choses, ainsi l’appelle le Psalmiste, disant : (c)[c290]  Assis dans les ténèbres et en l’ombre de la mort. Si ces ténèbres sont corporelles, de mort corporelle, si elles sont spirituelles, de mort spirituelle. Ainsi l’ombre de la vie sera lumière ; (d)[c291]  si divine, lumière divine, si humaine, lumière naturelle, et ainsi l’ombre de la beauté sera comme une autre beauté, selon la façon et propriété de celle dont elle est l’ombre, et l’ombre de la force sera comme une autre force, selon sa forme et condition ; l’ombre de la sagesse

a. Lc 1, 35.

b. Ceci est divin et d’un goût exquis.

c. Ps 106, 10.

d. On peut sur cela voir si notre vie est naturelle ou divine. Si nos lumières sont naturelles, il faut conclure que notre vie est naturelle ; si nos lumières sont divines, concluons que notre vie est divine.

207 sera une autre sagesse, ou pour mieux dire, sera la même beauté, la même force, la même sagesse en ombre, en laquelle on connaît la forme et la propriété de la chose dont elle est l’ombre. Ceci présupposé, quelle sera, je vous prie, l’ombre que le St Esprit fait à l’âme de toutes les grandeurs de ses vertus et attributs ? Étant si près d’elle qu’il ne la touche pas tellement quellement en ombre, mais aussi (a) [c292] qu’il demeure uni avec elle en ombre, entendant et savourant la grandeur et les propriétés de Dieu en l’ombre de Dieu, c’est à savoir (b)[c293]  en goûtant et entendant la propriété de la puissance divine, en l’ombre de la toute-puissance divine et (b) [c294] entendant et goûtant la sagesse divine en ombre de la sagesse divine, bref, goûtant la gloire de Dieu en l’ombre de la gloire, laquelle fait (b)[c295]  savoir et goûter la 208

a. Notez qu’il demeure uni : ce qui marque une union permanente. Toute cette page est encore admirable.

[b. Notez qu’il met toujours goûter et savoir...]

b. Notez qu’il met toujours goûter et savoir, parce que la lumière et la chaleur sont inséparables de l’amour. Il est vrai qu’une telle âme fait tout et ne fait rien. Lorsqu’il est nécessaire de produire la science au-dehors, elle voit qu’elle fait tout ce qu’elle n’a jamais appris d’aucun homme, et même qu’aucun homme n’aurait pu lui apprendre. Hors de là, le Maître ferme le cabinet de ses trésors, en sorte que l’âme ne connaît point ce qu’elle fait, et ne songe pas même si elle le fait, demeurant comme la plus ignorante du monde, sans pouvoir même répondre un mot, si le Maître ne tire le rideau. Que s’il ne le tire, ou elle ne peut rien dire, ou ce qu’elle dit est si brouillé qu’elle ne s’entend pas elle-même sur les choses dont elle a le mieux parlé et le mieux écrit.

Du moins cela arrive à une petite femmelette comme moi qui ne sachant rien, ne peut ajuster avec l’esprit ce qu’elle doit dire, ni même ranger les matériaux pour l’édifice, quand même elle les aurait tous. Il faut que son divin Maître non seulement lui donne ces matériaux mais les lui range lui-même, et les fasse sortir selon leur ordre, de sorte qu’elle connaît si clairement que non seulement elle n’a rien d’elle, mais même rien à elle, que toute la terre lui dirait le contraire qu’elle ne prendrait rien pour elle et qu’elle se trouverait toute pauvre au milieu de sa richesse, sans sentir néanmoins de pauvreté ni d’indigence. Je crois qu’il n’en est pas de même des grands et saints hommes, parce que comme ils sont les lumières de l’Eglise, il faut qu’ils soutiennent sa doctrine avec une lumière concordante avec la science (si ce terme est bon ou mauvais, je n’en sais rien). Enfin ils voient et entendent ce qu’ils voient et entendent. Pour nous autres, nous écrivons non ce que nous voyons ou entendons, mais ce qu’on nous montre et nous fait entendre, en la manière qu’on nous le montre et le fait entendre, sans rien ranger, parce qu’on nous fait comme à un petit enfant qui ne fait que copier ce qui est écrit. C’est pourquoi la tête n’a nulle part à ce que nous écrivons, peut-être est-ce aussi que comme il y a plusieurs demeures dans le Royaume du Seigneur, il nous tient à celle-ci, ou peut-être encore afin que l’orgueil naturel à notre sexe ne dérobe rien à Dieu, ou pour quelque autre raison connue à lui seul. Cependant ce qui est admirable, c’est que n’ayant rien, on ne manque d’aucune chose. Il en est de même de la sagesse que l’âme possède en Jésus-Christ, Sagesse éternelle et non hors de lui ou distincte de lui, qui lui est donnée après qu’ayant perdu toute sagesse humaine, ses vides se trouvent remplis de la Sagesse divine, non pour en jouir en soi, mais en Dieu. C’est pourquoi bien qu’on la possède de la sorte en Dieu, et la discrétion des esprits, on n’en dispose néanmoins que selon la volonté de Dieu, car les trésors de l’âme en Dieu sont renfermés, cachés en Dieu. Il n’en est pas de même des dons reçus dans la capacité propre ; l’âme les distingue et en jouit même lorsqu’ils sont passés, parce que le pensées et images lui en restent. Il n’en est pas de même de ceux-ci, qui pour leur pureté ne laissent point d’images, mais bien quelques vestiges, encore souvent à cause de leur extrême pureté, ne laissant point de traces.

C’est comme dit l’Ecriture, ce me semble, en quelque endroit, (Pr. 30, 19) La voie d’un navire sur la mer, celle du serpent sur la pierre et celle de l’aigle dans l’air. Le vaisseau frise l’eau et laisse quelques vestiges pour de moments, c’est-à-dire dans l’eau qu’il coupe et fend actuellement, et non dans celle qui déjà coupée et traversée sur laquelle on ne voit plus rien. On ne connaît la voie du serpent sur la pierre que parce qu’il y laisse sa vieille peau, on ne connaît la voie de cette âme qu’à son dépouillement, mais on ne connaît point cette nouvelle peau qu’il a prise par aucun témoignage sensible, on sait seulement qu’il faut qu’il ait une nouvelle robe parce qu’il a quitté la vieille robe. Aussi on conjecture que l’âme est revêtue du nouvel homme qui est Jésus-Christ parce qu’il est dépouillé du vieil homme. Pour la voie de l’aigle en l’air, quel vestige en reste-t-il ? Aucun. Lorsqu’elle passe, le bruit de ses ailes est la marque de son passage, mais lorsqu’elle est passée, on juge de sa hauteur par la rapidité de son vol et par l’impuissance où l’on est de la découvrir. Il en de même de l’état de cette âme ou bien comme ce qui est  dit dans Esdras par l’ange Uriel (Esd 4, 5.) : Mesurez le temps, pesez le feu et rappelez le jour qui est passé : c’est la seule connaissance qu’on peut avoir de ces âmes. Comment peser le feu qui n’a aucun poids ?C’est-à-dire pesez la pureté de son amour : moins il tombera sous les sentiments, plus il sera léger et dégagé de la matière, plus il sera pur. Si notre feu pèse encore, il est attaché à la matière et à son sujet, qui est pesant, et non pas le feu qui est sans poids. Si notre amour, soit souffrant soit jouissant pèse encore, il n’a pas acquis toute sa pureté. Il faut mesurer le temps, c’est-à-dire celui des douleurs et des grâces, et juger des âmes, non par ce qu’elles sont alors, mais par ce qu’elles ont été. Et c’est aussi rappeler le jour qui est passé. L’amour de Dieu en Dieu n’a plus de poids, le jour passé en Dieu devient moment éternel, le temps en Dieu est sans temps, et c’est là où il n’y a plus de temps  parce que tout est éternité ! Je disais donc que le Maître ferme ses secrets et ses trésors, comme il tient lui-même son Epouse fermée en lui. Ce sont ces sept sceaux que lui seul est digne d’ouvrir (Ap 5, 1.). C’est lui qui ouvre, et quand il ouvre, nul ne ferme. C’est lui qui ferme, et lorsqu’il ferme, nul n’ouvre (Ap 3, 7). C’est lui qui ayant les clefs de la vie et de la mort peut seul tuer et rendre la vie. (Sg 16, 13).

propriété et la manière de la gloire de Dieu : tout cela se passant en des ombres claires et ardentes, puisque les attributs de Dieu et ses vertus sont des lampes, lesquelles, parce qu’elles sont resplendissantes et ardentes, doivent faire en leur manière et propriété des ombres claires et ardents, et plusieurs en une seule essence. Ô que sera-ce 211 de voir ici expérimentant la vertu de cette figure que vit Ézéchiel (a)[c296]  en cet animal de quatre formes et figures, et en cette roue de quatre roues ? voyant son aspect qui était comme de charbons allumés et comme un aspect de lampes, et voyant la roue, qui est la sagesse pleine d’yeux dedans et dehors, qui sont des notices admirables de sagesse, et entendant ce sont de leur démarche qui était comme le bruit d’une multitude d’armées qui signifient plusieurs choses en un (que l’âme connaît ici en un seul son, d’un seul pas de Dieu, et qui va (a)[c297]  passant par elle), bref, goûtant ce son du battement de leurs ailes qui était, au dire du Prophète, comme u son de plusieurs eaux, et comme le son du très-haut Dieu par où est signifié l’impétuosité des eaux divines à la chute desquelles le Saint-Esprit investit l’âme en flamme d’amour, laquelle jouit ici de la gloire de Dieu, à l’abri et saveur de son ombre, comme aussi le Prophète (b)[c298]  dit que cette vision était une semblance de la gloire du Seigneur. Ô que cette heureuse âme est ici élevée ! Ô quelle est agrandie ! Qu’elle est ravie d’admiration de ce qu’elle voit, étant encore dans les limites de la foi. Qui le pourra dire ? Vu qu’elle est si abondamment imbue des eaux de ces splendeurs divines, où le Père éternel donne à pleine main l’arrosement d’en-haut et d’en bas, puisque ces eaux arrosant l’âme, pénètrent aussi le corps. Vive flamme d’amour, cant. 3, v. 2.

a. Ez 1, 13 et 15.

b. C’est-à-dire comme se promenant dans son âme, si on peut se servir de ce mot, comme il est dit, que Dieu se promenait dans le paradis terrestre, dans le jardin de délices. Cette âme est un jardin de délices pour son Epoux, plein de fleurs et de fruits.

c. Ez 2, 1.

60. La capacité de ces cavernes est donc (a)[c299]  profonde, d’autant que ce qu’elles doivent recevoir en elles, à savoir Dieu, est profond et infini, et ainsi leur capacité sera en quelque façon infinie, leur soif infinie, leur faim aussi infinie et profonde, leur peine et leur défaite en sa manière infinie. Partant quand l’âme pâtit, encore que ce ne soit si âprement qu’en l’autre vie, néanmoins il semble que c’en soit une vive image : à cause que l’âme est en certaine disposition pour recevoir son comble, dont la privation lui est un fort grand tourment quoique cette peine soit d’une autre trempe, parce qu’elle est dans le sein de l’amour de la volonté et ici l’amour ne soulage point la peine, puisque tant plus il est grand, plus il est impatient pour la jouissance de son Dieu, qu’elle attend à chaque moment avec un désir très véhément. La même, v. 3, § 2.

[a. Il faut mesurer la plénitude de lumière sur la profondeur du vide...]

a. Il faut mesurer la plénitude de lumière sur la profondeur du vide et le rassasiement dans cette même union sur la vivacité du désir de cette union, car plus on la désire avec véhémence, plus le désir se trouve comblé. Ô vous, divin Amour, qui faites toutes ces choses, vous savez bien que vous les faites et que c’est pour vous seul que vous les faites ! Vous savez et leur profondeur et leur réalité, et que ces grâces sont d’une nature qu’elles ne se peuvent imaginer de ceux qui ne les possèdent pas, et ceux qui les possèdent n’en peuvent parler que par expérience puisqu’ils ne peuvent jamais se l’imaginer. Et comment se l’imagineraient-ils, ô mon Amour, et ma vie, puisqu’elles ne peuvent tomber ni sous le sens, ni par conséquent sous l’imagination, qui ne reçoit que ce que les sens ou extérieurs ou intérieurs lui donnent ? Tout ce qui est sensible et distinct se peut imaginer, mais de quelle manière s’imaginer ce qui est insensible et indistinct, sans figure ni images, sans couleur, sans goût, sans odeur, quoiqu’avec tous les goûts, les odeurs et les couleurs, qui est unique dans l’unité même et qui ne se peut exprimer que par des termes opposés, que par les vides, les dépouillements et les morts, qui ne se peut dépeindre ni exprimer ?

Car c’est cette sagesse dont il est parlé dans Job (Ch 28, v. 21, 22.) Elle est, dit-il, inconnue aux oiseaux du ciel, c’est-à-dire, à toutes les pensées de l’esprit et à l’esprit même ; elle est cachée à tous ceux qui vivent, c’est-à-dire aux sens et à l’imagination et aux puissances mêmes en tant que vivantes dans leur propre action. La perte et la mort ont seulement dit : nous avons ouï comme de loin le bruit de sa réputation, c’est que cette divine Sagesse commence à se découvrir comme de loin dans le temps de la perte et de la mort. Et de quelle manière ? C’est que la mort et la perte arrachant à l’homme sa propre sagesse, lui donnent un goût éloigné et obscur d’une autre sagesse, qui doit remplir ce vide profond qui s’est fait de sa propre sagesse. Car il faut savoir qu’à mesure que l’âme perd sa propre, elle éprouve en elle comme un vide profond de sagesse, et en même temps une faim d’une autre sagesse qui doit remplir ses vides, mais c’est comme de loin, comme un bruit éloigné, semblable à celui qu’entend une personne qui dort, lorsqu’on parle auprès d‘elle, mais peu à peu ce bruit et cette réputation de sagesse s’approche de l’âme et se laisse découvrir et posséder par celle qui en était enflammée, se laisse entendre proche de cette âme qui l’entendait fort éloignée. Ce n’est pas que cette Sagesse divine ne soit proche de l‘âme dans le temps de la mort et de la perte puisque c’est elle qui l’opère, mais c’est que l’âme est en léthargie : elle ne voit ni n’entend qu’à peine et si on la réveille, ce n’est qu’en la tourmentant et par excès de douleur, ainsi elle n’a garde de voir cette Sagesse bienfaisante telle qu’elle est. Mais lorsqu’elle a opéré un vide très profond dans l’âme, ô alors elle se manifeste ! Et c’est alors que l’âme s’écrie dans son transport que tous biens lui sont venus avec elle (Sg 7, 11.) parce qu’elle est elle-même source de tout bien. Elle commence par investir l’âme, ensuite elle l’inonde, la submerge et l’abîme en soi.

Or il est aisé de voir par tout ceci que l’âme éprouve avant l’union un désir vif, aigu, consommant, qui se diminue et s’affaiblit dans la mort par faiblesse et par impuissance, et par une espèce de désespoir, et qui enfin passe en Dieu dans l’union, et dans l’expérience et la possession de la Sagesse par l’union à cette divine Sagesse, qui n’est jamais sans être accompagnée selon le besoin de l’âme, ou de vide, ou de rassasiement : dans le vide, elle cause un désir piquant mais douloureux, et dans la plénitude, elle remplit ce désir d’elle-même, le rassasie, le surpasse, l’inonde, le submerge en soi.

O si tout cela se pouvait exprimer, qui pourrait jamais douter de cette vérité ! Mais après avoir beaucoup dit, on voit qu’on n’a rien dit, et qu’on ne peut rien dire de ce qui ineffable. O qu’un quart d’heure d’expérience ferait voir bien possible et bien réel ce qu’on regarde comme faux ou comme imaginé ! De quoi doute-t-on ? Est-ce du pouvoir ou de l’amour de mon Dieu ? Il veut tout pour nous conformer à lui selon notre capacité, et il peut tout ce qu’il veut. Il nous aime d’un amour infini, ce qu’il a assez marqué en se donnant lui-même, se faisant homme et mourant pour nous. On ne peut douter de la vérité de tout cela et l’on doute de l’effet et de l’application du sang et des témoignages de son amour. Cependant il a déclaré lui-même (Pr 8, 31) que ses délices sont d’être avec les enfants des hommes, lorsqu’ils sont assez simples et petits pour être enfants entre les hommes et pour lui laisser être toutes choses en eux.

61. Mais, mon Dieu, puisqu’il est certain que quand l’âme désire Dieu avec une entière vérité, elle a déjà ce qu’elle aime, (comme dit saint Grégoire), comment se peine-t-elle pour ce qu’elle a déjà ? Et si au désir qu’on les anges, dit saint Pierre, (a)[c300]  de voir le Fils de Dieu, il n’y a aucune peine ni angoisse, à raison qu’ils le possèdent déjà, il semble que si l’âme tant plus elle désire Dieu, tant plus elle le possède, et comme la jouissance de Dieu délecte et rassasie, tant plus devait-elle sentir de satiété et de délectation en ce désir qu’il était plus véhément, puisqu’elle possède davantage Dieu, et ainsi par raison elle ne devait sentir aucune peine ni douleur.

En cette question il faut noter la différence qu’il y a d’avoir Dieu seulement par grâce et de l’avoir aussi par union. Car l’un est se vouloir réciproquement et l’autre dit une très particulière communication, laquelle différence nous pouvons entendre de celle qu’il y a entre les fiançailles et le mariage. Car aux fiançailles il n’y a qu’un accord et une volonté des deux parties, quelques bagues et joyaux que le fiancé donne à la fiancée. Mais (b)[c301]  au mariage, il y a aussi union et communication des personnes : dans les fiançailles, encore que le fiancé voie quelquefois la fiancée et lui fasse des présents, néanmoins il n’y a point union des personnes, qui est la fin des fiançailles. De même quand l’âme est parvenue à une telle pureté en soi et en ses puissances, que la volonté soit très purgée des autres goûts et appétits étrangers selon la partie inférieure et supérieure, et qu’elle ait entièrement donné (a) [c302] son consentement à Dieu, touchant tout ceci, la volonté de Dieu et celle de l’âme étant déjà une en un consentement prompt et libre. Alors nous disons que l’âme est venue à posséder Dieu par grâces et fiançailles et en conformité de volonté, dans lequel état de fiançailles spirituelles de l’âme avec le Verbe, l’Époux lui fait de grandes grâces et la visite souvent très amoureusement, où elle reçoit de grandes faveurs et délices, mais ce n’est rien au prix de celles du mariage spirituel. Car quoique cela se passe en l’âme qui est très purgée de toute affection de créature (vu que les fiançailles spirituelles ne se font point devant cela), néanmoins pour l’union et le mariage spirituel, l’âme a besoin d’autres dispositions positives de Dieu, de ses visites et de plus grands dons, avec quoi il la va purifiant davantage, et l’embellit et subtilise pour être dûment disposée à une (b) [c303] si haute union, et en cela il y va du temps, en quelques une plus, en d’autres moins.

a. I P1, 12

b. Voyez Explication du Cantique. Ch. 6. V. 4

a. Notez son contentement. J’ai dit en bien des endroits que Dieu demande ce consentement de l’âme. Voyez Moyen court, Chap. 24. N. 7 etc. Voyez aussi Les explications sur Exode 19, 8 et sur St Luc 1, 38, etc.

b. Tout ceci est l’union permanente.

 

Ce qui a été figuré par les filles qu’on choisissait pour le Roi Assuérus (c)[c304] . Car encore qu’on l’eût déjà tirées de leur pays et de la maison de leurs parents, toutefois avant qu’elles vinssent au lit du roi, on les tenait un an enfermées (quoique ce fut dans le palais), en sorte qu’elles se frottaient pendant six mois de certains onguents de myrrhe et d’autres drogues aromatiques, et le reste de l’année se disposaient avec d’autres parfums plus exquis, et par après on les menait au lit du roi.

c. Esther 2, 3 -12.

Partant au temps de ces fiançailles et de l’attente du mariage spirituel, dans les onctions du St Esprit, quand les onguents des dispositions pour l’union de Dieu sont plus précieux, les angoisses des cavernes de l’âme ont accoutumé d’être extrêmes et délicates, parce que comme ces onguents disposent plus prochainement et plus immédiatement à l’union de Dieu, car ils lui sont plus conjoints, pour ce sujet ils lui causent plus de saveur et l’affriandent de lui plus délicatement. Et ainsi le désir est beaucoup plus délicat et plus profond, le désir de Dieu étant une disposition pour s’unir avec lui. Vive flamme d’amour, cant. 3, § 3.

62. Encore qu’il soit véritable, que l’âme ne peut donner de nouveau le même Dieu à lui-même, vu qu’en soi il est toujours le même, néanmoins elle fait sagement et parfaitement, donnant tout ce qu’il lui avait donné pour payer l’amour, ce qui est donner tout autant qu’on a reçu, et Dieu se paye par ce présent de l’âme, car il ne saurait se contenter à moins, et le reçoit gracieusement et avec remerciement, comme chose qui appartient à l’âme, laquelle lui est donnée dans le sens qu’il a été dit, en cela même il l’aime de nouveau et se livre librement à elle, et en cela même l’âme aime, et ainsi il y a actuellement entre Dieu et l’âme un réciproque, en la conformité de l’union et en la délivrance matrimoniale, en laquelle les biens des deux, qui sont la divine essence sont possédés des deux en la donation volontaire de l’un à l’autre, l’un disant à l’autre ce que le Fils de Dieu dit à son Père : (a)[c305]  Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et en tout cela, j’ai été glorifié, ce qui est dans l’autre vie en la jouissance sans intermission, et en cet état d’union, quand la communication de l’âme et de Dieu est mise en acte et exercice d’amour, alors dis-je, l’âme peut faire ce présent, encore qu’il soit de plus grande entité que sa capacité et son être. Car il est tout clair que celui qui a plusieurs royaumes et nations à lui, encore qu’elles aient plus d’entité que lui, il peut bien les donner à qui bon lui semble. Et c’est là le grand contentement et satisfaction de l’âme de voir qu’elle donne à Dieu plus qu’elle ne vaut en soi, donnant si libéralement dieu à soi-même, comme uns chose sienne, avec cette lumière divine et chaleur d’amour qui lui a été donnée. Et ainsi les profondes cavernes du sens donnent tout ensemble à leur ami lumière et chaleur, avec des excellences étranges ensemble, d’autant que la communication du Père, du fils et du Saint-Esprit est jointe en l’âme qui sont lumière et feu d’amour.

a. Jean 17, 10

Mais il faut noter ici brièvement avec quelles excellences l’âme fait ici cette délivrance. Sur quoi il faut remarquer que comme en l’acte de cette union, l’âme jouit d’une certaine image de fruition qui est causée de l’union de l’entendement et de l’affection en Dieu, réjouie en soi et obligée, elle fait à Dieu donation ou reddition de dieu et de soi-même en Dieu par des moyens du tout merveilleux, car à l’égard de l’amour, l’âme se comporte envers Dieu avec des excellences étranges, et de même touchant ce vestige de jouissance, comme aussi quant (a) [c306] à la louange pareillement et quant au remerciement. Et à l’égard du premier qui est l’amour, elle a trois principales excellences d’amour. La première, c’est que l’âme aime ici Dieu par le même Dieu qui est une excellence admirable, parce qu’elle aime enflammée par le St Esprit, et ayant soi-même le St Esprit, comme le Père aime le Fils, selon ce qui est dit en St Jean, afin que l’amour dont vous m’avez aimé (dit le Fils au Père) soit en eux et moi en eux. La seconde excellence, c’est d’aimer Dieu en Dieu, parce qu’en cette véhémente union l’âme

S’absorbe en amour de Dieu et Dieu se livre à l’âme avec une grande véhémence. La troisième excellence d’amour, c’est de l’aimer là pour ce qu’il est, parce qu’elle ne l’aime pas seulement (c)[c307]  à cause qu’il lui est splendide, bon, libéral etc., mais beaucoup plus, parce qu’il est tout cela en soi essentiellement. La même, v. 5 et 6.

a. Voyez Explication du Cantique. Chap. 8. V. 13, de la double louange que l’âme rend à Dieu.

b. Jean 17, 26.

c. Ce qui tient un peu de l’intérêt.

Le Père Nicolas de Jesus-Marie rapporte 

63. Albert le Grand. L’âme dévote doit être tellement unie avec Dieu et doit avoir et rendre sa volonté si conforme à la divine, qu’elle ne s’occupe ou n’adhère à aucune créature, comme lorsqu’elle n’était pas encore créée, ou comme si rien n’était que Dieu et l’âme seule. (De l’attachement à Dieu, chap. 6 & 8.) Éclaircissement des phrases myst. de Jean de la Croix, IIe partie, chap. I, § 3.

64. La plus haute perfection de l’homme en cette vie, c’est d’être tellement uni à Dieu que toute l’âme soit recueillie en Dieu son Seigneur avec toutes ses forces et puissances, afin qu’elle soit faite un esprit avec lui, et qu’elle ne se souvienne sinon de Dieu, qu’elle ne sente ou entende que Dieu, et que toutes ses affections unies en joie d’amour reposent doucement en la seule jouissance du Créateur. (Chap. 3.) La même, chap. 14, § 4.

65. Le vrai amateur de Jésus-Christ doit être tellement uni en esprit par la bonne volonté à la volonté divine, et si dénué de tous les fantômes et passions qu’il ne prenne pas garde s’il est moqué, aimé, ou à quelque chose que ce soit qu’on lui fasse. Car la bonne volonté accomplit tout et est au-dessus de toutes choses. D’où vient que si la volonté est bonne et purement conforme et unie à Dieu en esprit, la chair et la sensualité ne lui nuisent point. L’âme se plonge du tout et toute en son Créateur, tellement qu’elle dirige toutes ses opérations purement du tout en Dieu son Seigneur et ne cherche rien hors de lui, et ainsi elle est en quelque façon transformée en Dieu, en ce qu’elle ne peut peser, ni entendre, ni aimer, ni se souvenir sinon de Dieu. (Chap. 6.) La même.

66. Voyez Pur amour, no 29.

67. Saint Thomas. Il y a, dit le Docteur angélique, deux unions de l’amant à l’aimé : l’une réelle, comme lorsque l’aimé est présent à l’amant, et l’autre est selon l’affection. L’amour donc fait la première union effectivement, parce qu’il (a)[c308]  excite à désirer et rechercher la présence de l’aimé, comme lui étant convenable et lui appartenant ; mais pour la seconde union il la fait formellement, parce que l’amour même est une telle union ou tel lien, d’où vient que saint Augustin dit au 8ème de la Trinité : que l’amour est une certaine liaison conjoignant deux choses, ou désirant de les conjoindre, à savoir l’amant et ce qui est aimé, car en ce qu’il dit conjoignant, il se rapporte à l’union d’affection, sans laquelle il n’y point d’amour. Mais ce qu’il dit, désirant de conjoindre, cela appartient à l’union réelle. (1.2.Qu. 28. Art. 1. La même, chap. 16, § 1.

a. Ceci confirme ce que St Denis dit que le tout premier mouvement de l’âme vers les choses divines, c’est l’amour. Voyez Motion divine. n. 1.

68. Voyez Présence de Dieu, no 15.

69. Cornelius a Lapide. Voyez Présence de Dieu, no 18.

Saint François de Sales

70. Rien n’est si naturel au bien que d’unir et d’attirer à soi les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquelles tirent toujours et se rendent à leur trésor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment. De l’amour de Dieu, livre 6, chap. 7.

71. L’union se fait quelquefois sans que nous y coopérions, sinon par une simple suite, nous laissant unir sans résistance à la divine bonté comme un petit enfant amoureux du sein de sa mère, mais tellement alangouri qu’il ne peut faire aucun mouvement pour y aller, ni pour se serrer quand il y est, mais seulement est bien aise d’être pris et tiré entre les bras de sa mère et d’être pressé par elle sur sa poitrine.

Quelquefois nous coopérons lorsqu’étant tirés, nous courons volontiers pour seconder la douce force de la bonté qui nous tire et nous serre à soi par son amour.

Quelquefois il nous semble que nous commençons à nous joindre et serrer à Dieu avant qu’il se joigne à nous, parce que nous sentons l’action de l’union de notre côté, sans sentir celle qui se fait de la part de Dieu, lequel toutefois sans doute nous prévient toujours, bien que nous ne sentions pas toujours sa prévenance, car s’il ne s’unissait à nous, jamais nous ne nous unirions à lui. Il nous choisit et nous saisit toujours avant que nous le choisissions et saisissions. Mais quand suivant ses attraits imperceptibles nous commençons à nous unir à lui, il sait quelquefois le progrès de notre union, secourant notre imbécillité et se serrant sensiblement lui-même à nous, si que nous le sentons qu’il entre et pénètre notre cœur par une suavité incomparable. Et quelque fois aussi comme il nous a attirés insensiblement à l’union, il continue insensiblement à nous aider et secourir, et nous ne savons comme une si grande union se fait, mais nous savons bien que nos forces ne sont pas assez grandes pour la faire. Ainsi nous jugeons bien par là que quelque secrète puissance fait son insensible action en nous. Comme les nochers qui portent du fer, lorsque sous un vent fort faible ils sentent leurs vaisseaux cingler puissamment, connaissent qu’ils sont proches des montagnes de l’aimant qui les tire imperceptiblement et voient en cette force un connaissable et perceptible avancement provenant d’un moyen inconnu et imperceptible. Car ainsi lorsque nous voyons notre esprit s’unir de plus en plus à Dieu sous des petits efforts que notre volonté fait, nous jugeons bien que nous n’avons pas assez de vent pour cingler si fort, et qu’il faut que l’amant de nos âmes nous tire par l’influence secrète de sa grâce, laquelle il veut nous être imperceptible, afin qu’elle nous soit plus admirable, et que sans nous amuser à sentir ses attraits, nous nous occupions plus purement et simplement à nous unir à sa bonté.

Aucunes fois (a)[c309]  cette union se fait si insensiblement que notre cœur ne sent ni l’opération divine en nous, ni notre coopération. Ainsi il trouve la seule union insensiblement toute faite, à l’imitation de Jacob, qui sans y penser se trouva marié avec Lia, ou plutôt comme un autre Samson, mais plus heureux, il se trouve lié et serré des cordes de la sainte union sans que nous nous en soyons aperçus.

a. St François de Sales ne parle partout ici que de l’union passagère des puissances.

D’autre fois, nous sentons les serrements, l’union se faisant par des actes sensibles, tant de la part de Dieu que de la nôtre.

Quelquefois l’union se fait par la seule volonté, et en la seule volonté, et d’autrefois l’entendement y a sa part, parce que la volonté le tire après soi et l’applique à son objet, lui donnant un plaisir spécial d’être appliqué à le regarder, comme nous voyons que l’amour répand une profonde et spéciale attention en nos yeux corporels, pour les arrêter à voir ce que nous aimons.

Quelquefois cette union se fait de toutes les facultés de l’âme, qui se ramassent toutes autour de la volonté, non pour s’unir elles-mêmes à Dieu, car elles n’en sont pas toutes capables, mais pour donner plus de commodité à la volonté de faire son union, car si les autres facultés étaient appliquées, une chacune à son objet propre, l’âme opérant par elles ne pourrait pas si facilement s’employer à l’action, par laquelle l’union se fait avec Dieu. Telle est la variété des unions. De l’amour de Dieu, livre VII, chap. 2.

72. Sachez, Théotime, que la charité est un lien et un lien de perfection. Qui a le plus de charité, il est plus étroitement uni et lié à Dieu. Or nous ne parlons pas de cette union qui est permanente en nous par manière d’habitude, soit que nous dormions, soit que nous veillons, nous parlons de l’union qui se fait par l’action et qui est un des exercices de la charité et dilection. Imaginez-vous donc que saint Paul, saint Denis, saint Augustin, saint Bernard, saint François, sainte Catherine de Gênes ou de Sienne, sont encore en ce et qu’ils dorment de lassitude, après plusieurs travaux pris pour l’amour de Dieu ; représentez-vous d’autres part quelque bonne âme, mais non si sainte qu’eux, qui fut ne l’oraison d’union à même temps : je vous demande mon cher Théotime, qui est le plus uni, plus serré, plus attaché à Dieu, ou ces grands saints qui dorment, ou cette âme qui prie ? Certes, ce sont ces admirables Amants, car ils ont plus de charité et leurs affections, quoiqu’en quelque façon dormantes, sont tellement engagées et prises à leur Maître, qu’elles en sont inséparables. Mais, me direz-vous, comment se peut-il faire qu’une âme qui est en l’oraison d’union et même jusqu’à l’extase, soit moins unie à Dieu que ceux qui dorment, pour saints qu’ils soient ? Voici ce que je vous dis, Théotime : celle-là est plus avant dans l’exercice de l’union et ceux-ci sont plus avant dans l’union, et ceux-ci sont unis et ne s’unissent pas, puisqu’ils dorment, celle-là est en l’exercice et pratique actuelle de l’union. La même, chap. 3.

Le Frère Jean de Saint-Samson

73. C’est déjà ici que les noces amoureuses se célèbrent, au mutuel plaisir de Dieu et de l’âme divinement pénétrée des traits et attraits vifs, enflammés et délicieux de son cher Époux. Et c’est ce qu’ils expriment tous deux en leur étroite et divine union, sous d’innombrables similitudes. Dans cet amour réciproque, l’âme brûle de plus en plus de manifester, s’il lui était permis, à tout le monde la grandeur et la beauté essentielle de son très cher Époux. Et elle voit qu’on ne le peut dignement louer, sinon d’une distance infinie de ses infinis mérites. Se voyant pénétrée en fonds d’amour, de lumière et de notices des excellences de cet Objet infini, elle ne peut assez s’étonner de voir l’ingratitude des hommes qui louent si peu, et même déshonorent une si haute, si grande et si aimable Majesté.

L’âme en cet état ne peut plus se défier de la fidélité de son cher Époux, se voyant tirée de la masse de perdition, et choisie entre plusieurs milliers de personnes, pour connaître son infinie beauté, pour en jouir et pour l’aimer d’un amour parfait. C’est pourquoi elle sent toujours un très doux effort d’amour qui la ravit et la pousse à réciproquer éternellement son amour à sa Majesté, comme elle y est toute résolue. Elle ne peut faire moins, étant si élevée en lui, et si pénétrée de lui, dont l’action vive et le feu ardent l’agitent, l’occupent selon diverses voies et manières, en unité et simplicité mystique, qui tient toutes ses puissances recueillies et fondues en un et où tout l’homme est déjà esprit, pour le moins en unité de cœur. Esprit du Carmel, chap. 23.

74. C’est cette fruition qui pénétrant toujours de plus en plus l’immense total, s’augmente et s’accroît par subtilité et simplicité de repos, lequel semble être et e moyen et l’effet de la dite fruition en divers sens et manières. Celui qui est ici (a)[c310]  placé et arrêté m’entend bien. Tout ce qui se peut dire de toute cette fruition, c’est ce mot repos ineffable. Mais l’objet infini qui est la cause de tout ce bonheur demeure non-exprimé en notre très large et très étendue fruition, laquelle n’a que le simple et l’ineffable pour notre sortie. Ceci, dis-je, n’exprime rien du tout, ni de soi, ni de notre fruition aperçue toujours de mieux en mieux et de plus en plus, car plus nous sommes éloignés de nous sentir de si loin que ce soit, plus aussi cela est au suréminent ordre et en la suréminente nature de notre divin objet. Si bien qu’en cela même nous semblons ne différer nullement de notre surcomblée béatitude et félicité. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 4.

a. Notez Placé et arrêté : qui marque un état stable.

75. Je dis donc que ces âmes sont toutes perdues en l’unité jouissante qui en tant qu’unité n’opère point, mais est oiseuse. De cette unité les personnes de la Trinité sortant chacune à sa propre action se rend heureuse infiniment par un seul acte perpétuel qui est au-delà de toute compréhension et intelligence créée. Là, il n’y a ni temps ni éternité, mais infiniment au-delà cette Essence suressentielle réside et demeure ne soi et par soi, se comprenant toute totalement en sa suprême plénitude.

C’est en cette plénitude et étendue que les âmes dont nous parlons sont transformées en Dieu et très largement étendues au-delà de toutes bornes et limites créées et créables. Elles sont, dis-je, Dieu même en un sens véritable, soit en ténèbres, soit en lumière, soit en passion, soit en surpassion, soit ne ignorance, soit par-dessus l’ignorance. Et nous expérimentons que cela est ainsi par les perceptions sans connaissance et même par-dessus cela, ce qui nous porte bien loin au-delà de toutes connaissances.

Ce que j’ai déjà dit est vrai, que chacune des trois personnes connaît et comprend cette Essence infinie, au-delà de toute personnalité. Non que la compréhension actuelle des personnes distinctes soit au-dessous du vaste infiniment surétendu de leur commune essence. Mais je parle ainsi à cause de l’étroite connexion qui les lie, entrelace et unit en cette leur plus qu’essentielle unité, en laquelle les divines personnes jouissent de leur pleine et entière félicité, en repos et oisiveté, au-delà de toute personnalité distincte. Or cela fait ainsi en nous en toute manière exprimée ci-dessus.

On peut encore dire à notre égard que comme nous connaissons sans connaître et percevons sans percevoir, ainsi en ce même état nous expirons sans expirer, mourons sans mourir, et vivons sans vivre. Que nous sommes transformés en Dieu et sommes lui-même, au-delà de tout ce qui s’en peut dire ou concevoir, vu que Dieu est infiniment au-delà de tout ce qui se peut nommer, que dans cette sienne infiniment suressentielle unité, il jouit sans éternité et sans temps de tout soi, en soi, et par soi. Qu’encore que nous soyons lui-même, nous différons pourtant infiniment de cette suressentielle, d’autant qu’elle n’est et n’a rien de créé ni de créable pour sa propre félicité surinfiniment étendue.

Cependant nous sommes divinement transformés en elle au-delà de toute raison et conception, notre être créé nous demeurant toujours, car croire autrement ce serait une chose étrange et du tout absurde. Là, dus-je, bien loin au-delà de toute fruition aperçue, nous sommes ce que Dieu est, nous avons ce qu’il a, nous possédons ce qu’il possède, et cela en notre amour activement actif et continuellement enduré. Bref nous sommes lui-même en nous-mêmes et pourtant sans nous –mêmes. Car comment serait-il possible que cette infiniment noble et divine substance put très hautement béatifier tan de très excellente substances créées, par la force active d’une plus qu’admirable bonté et amour, si en lui-même il n’était infiniment au-delà de toute béatitude et félicité qu’il puisse communiquer en sa très haute, très étroite et très parfaite union à toute excellence d’être créé et créable ?

Il n’y a donc (a) [c311] que lui en lui, il n’y a que son être essentiel en sa suressentialité et il n’y aura et il n’y eut jamais aucun être créable, qui, nonobstant toute la jouissance compréhensive qu’il ait de lui, en lui et par lui, lui puisse être uni et conjoint, sinon d’une infinie distance. Cabinet mystique, Ière partie, chap. 8.

a. toutes les créatures en Dieu sont comme quelques grains de sable dans la mer, et c’est cette différence infinie du Tout au rien qui fait la félicité du pur amour.

76. En cet état, l’âme se trouve toute autre qu’elle-même, toute totalement anticipée de chacune des personnes distinctes, qui comme nous avons dit, sortent à leur propre action béatifique, sans sortir de leur commun repos et jouissance possédée, et de cette leur et notre commune unité suressentielle. Toutefois leur repos personnel excède le nôtre d’autant plus et d’une infinie distance que leur nature, leur personnalité et leur substance divine excèdent la créaturalié et capacité de nos âmes, tant active que suractive, tant passive que surpassive, lesquelles néanmoins, parce qu’elles sont là consommées par une entière consommation de tout elles-mêmes, sont transformées en Dieu, bien au-delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir par ce nom.

Voilà à mon avis, en quoi la déiforme déification de la créature qui a excédé toute créaturalité est différente de la totale Déité, infiniment abstraite de tout ce qui est créé, non créé ou créable, si suressentiellement suressentiel et suréminemment éminent qu’il puisse être, se connaissant et se comprenant toute elle-même en soi, par soi et pour soi.

Ce que je dirai encore des âmes déifiées par transformation, en toutes les manières exprimées ci-dessus, c’est que ce qui leur semble à présent procéder de leur vie propre, de leur propre action et de leur passion, n’est que Dieu (a) [c312] qui vit, agit et pâtit en elles, dans l’essence duquel étant entièrement consommées, perdues et totalement transformées, elles sont Dieu même au-dessus de toute nominalité de Dieu, comme nous avons dit. De sorte qu’on peut dire et l’on doit croire que ce que l’on désire et demande de telles âmes est au même instant sans instant, fait et ordonné, non tant par elles que divinement et de Dieu même, soit en action ou suraction, soit en passion ou surpassion, soit en perception ou imperception, (b)[c313]  en l’ignorance ou pardessus l’ignorance. La même, chap. 8.

a. Voyez la seconde partie du Traité des Torrents. Voyez aussi Explications sur le Cant. 7.v.10, 11. Sur  St Math.15.v.15,16. Sur St Luc 2. V ; 22, 24 etc.

b. C’est-à-dire quoique ce qui est accordé soit ignoré des personnes à qui il est accordé.

77. Tous les états qui précèdent celui-ci, en quelque voie que ce soit, sont déduits chez les Mystiques. Mais celui-ci comprend tous d’une assez divine manière par laquelle on se voit et on se sent fondu et réduit en un très petit point qui est le centre unique d’où sont tirées toutes les lignes qui se peuvent concevoir. Ce qui tombe sous les sentiment et sous la simple et spécifique perception, semble plutôt montrer ce qui est créé en une excellente manière que l’incréé où nous sommes arrêtés, lequel nous tient purement attachés par-dessus tout amour, en nudité et simplicité unique et du tout suressentielle, par-dessus tous les effets susdits du feu divin qui embrasait et consommait toute l’âme en soi au temps de son action. De sorte que l’âme étant ici arrivée ne trouve rien que dire, ni que penser, non pas même pour exprimer ce qu’elle a vu ou senti dans les états précédents et encore moins en celui-ci. La même, chap. 10, §7.

78. En ce véritable amour, l’âme est tellement une seule chose avec son Bien-Aimé qu’elle n’a comme plus d’ordre, d’égard, ni de réflexion sur la diversité des temps, son amour unique lui étant toujours un en toutes choses et en lui-même, attendu qu’amour est tout le plaisir, tout le feu, toute la joie, gloire, félicité, réplétion, sainteté, essence et totalité de son infini Objet.

Celui donc qui (a) [c314] perdu en amour vit très heureusement en l’image de Jésus-Christ et en sa vie très amoureuse, intérieure, divine, glorieuse et très unique, laquelle est très occulte à plusieurs et très connue à plusieurs. Un tel amour est très amoureusement et entièrement perdu en l’abîme de cette vie très divine et vivifiante de notre cher Sauveur et Époux, vrai Dieu et vrai homme, fait homme pour l’amour des hommes et pour l’attraction très forte et très rapide de ses intimes amis à soi, afin qu’ils ne soient plus jamais séparés de lui, mais qu’en toute éternité ils soient une seule chose en tout lui-même, no par nature, mais par grâce. Miroir et flammes d’amour, chap. 7.

a. Perte en Jésus-Christ dans l’état transformé. Jésus-Christ après avoir perdu et caché l’âme avec lui en Dieu, la fait sortir avec lui revêtue de lui-même, et vivante de sa vie dans tous ses états, ou dans quelques uns seulement selon sa sainte volonté.

79. Qui est-ce, ô mon Époux, qui exprimera le mutuel amour et les mutuelles délices que nous possédons nous deux en notre commune union et repos ? On semble dire merveilles de l’amour, mais on n’approche pas point de paroles ni de similitudes qui expriment cela en la manière que je l’expérimente en vous et pour vous ! Mais, ô mon Amour ! Rien à moi et pour moi, tout à vous et pour vous, qui comme vous êtes tout, faites tout en moi, non pour moi, mais en vous et pour vous, et qui en cela même avez fait que je suis devenue, non tellement quellement, mais éperdument et passionnément amoureuse de vous et ensuite de cela je suis devenue amour même de l’amour en amour. Soliloque 3.

80. Puis-je donc exprimer autre chose de l’unique union qui est entre vous et moi, sinon que vous êtes tout simple en ma propre chair ? N’est-ce pas tout dire ? Oui, puisque c’est tout être. Et je m’étonne beaucoup de voir la hardiesse qu’ont prises quelques-unes de vos particulières Épouses, de découvrir aux hommes les abîmes de ce sujet. Car on voit manifestement que de parler de ceci si hautement qu’on le puisse faire, ou si peu qu’on le fasse, c’est plutôt diminuer la gloire et la profondeur de notre simple, unique, intime et réciproque union en tout nous, que d’en dire quelque chose. Au contraire, le silence sur ce point ferait tout mon plaisir et tout mon déduit, car je sais que par ce moyen, j’en découvrirais plus aisément le mystère, en l’ineffable de nous deux, en notre union commune et réciproque et qu’ainsi faisant je vous honorerais ce me semble à l’infini. Que dis-je ? Pardonnez-moi, ô mon Époux ! Je veux dire que demeurant dans le silence, je vous verrai et vous posséderai ineffablement. Mais que dis-je encore, ô mon cher Époux ? Il semble que je ne fais ce que je dis, ni ce que je fais. Nous nous possédons ainsi l’un l’autre, vous en moi et pour moi, et moi en vous et pour vous. Soliloque 6, chap. 1.

L’auteur du Jour mystique

81. Dans l’oraison mystique, l’âme parla foi nue s’élève à un très pur amour et c’est par cet amour que Dieu est connu. Il est connu et aperçu, parce qu’il est goûté et savouré et que comme dit très bien saint Grégoire, l’amour même est une connaissance qui procède dans les âmes de l’union avec celui qu’elles aiment, outre que d’autant plus que l’amour est exquis dans les opérations mystiques, d’autant plus l’union y est étroite. Livre 1, traité I, chap. 1, sect. 9.

82. Salomon nous décrit merveilleusement bien dans le Cantique des Cantiques la méthode et la pratique d’une parfaite oraison. Car ce livre qu’il a composé comme organe particulier du Saint-Esprit est un pourparler et un entretien sacré et familier entre Dieu et une âme singulièrement aimée et ardemment amoureuse de ce divin Époux, qui explique et comprend les plus hauts secrets du divin amour et de tout l’oraison unitive, où il décrit, avec un artifice admirable, les divers accidents d’amour que souffrent les âmes, (234) qui sont arrivées au point de l’intime et souveraine union avec Dieu. La même, chap. 2, sect. 2.

83. Le vrai Dieu d’infinie Majesté regarde, aime et traite l’âme qui lui est unie par la charité, comme son (a)[c315]  Épouse et l’âme réciproquement regarde et aime Dieu et traite avec lui comme son Époux : tout est commun entre eux, ils s’accordent par tout ; ils agissent et conversent amoureusement ensemble avec une mutuelle intelligence. L’exercice (b)[c316]  de cette amitié qui procède en l’âme d’une charité parfaite fait qu’elle veut à Dieu tous ces biens, qu’elle s’en réjouit et quelle s’y complaît pour l’amour de lui-même et Dieu réciproquement aime efficacement l’âme, en sorte qu’il lui veut et lui communique ses même biens et plus l’union est étroite, plus ces deux esprits observent les lois de cette amitié divine, plus ils s’embrassent et jouissent l’un de l’autre par une mutuelle bienveillance.

a. Voyez L’Explic. Du Cant. Chap. I.V. I, chap. 2. V. 6, Chap. 4. V. 8, 9 etc…

b. St Thomas2. 2. Qu. 23. Art. I.

Si la gloire d’une âme unie à Dieu par les actes de l’oraison est grande, il faut dire que le plaisir qu’elle y ressent ne l’est pas moins, car l’oraison est le temps et le lieu des délices mutuelles entre Dieu et l’âme qui conversent ensemble avec des privautés dignes de l’infinie bonté et de la condescendance de cette suprême Majesté. Je souhaite, disait, une âme bien élevée, (c)[c317]  que mon entretien agrée à mon dieu car pour moi, je n’ai point de plaisir qui égale celui d’entendre sa voix et de jouir de présence.

c. Ps 103, 34.

C’est pour cette raison que quelques saints Pères de l’Église ont assuré que le plaisir que l’âme ressent en l’oraison, si elle atteint quelque degré d’union considérable, se peut appeler le Paradis de la terre. Le plus parfait bonheur de l’homme en cette vie, dit le Docteur séraphique (a)[c318]  est d’être tellement uni à Dieu que toutes ses forces et ses puissances étant recueillies en Dieu, il devienne un même esprit avec lui, en sorte qu’il ne ressente et ne voie que lui et que toutes ses affections plongées et réunies dans la joie du saint amour reposent doucement dans la jouissance du Créateur.

Et l’Angélique en parle en même sens lorsqu’il dit (b) [c319] que dans les hommes parfaits, tels que sont ceux qui sont en la voie unitive et qui ont atteint quelque éminent degré d’oraison, il y a quelque commencement de la béatitude future, parce que bien qu’en cette vie, ils ne puissent avoir la parfaite jouissance du souverain Bien qui est réservée pour l’autre, où ils verront Dieu face à face et à rideaux tirés, il y a pourtant en eux (c)[c320]  quelque ressemblance et quelque participation de cette éternelle félicité, dans l’actuelle jouissance qu’ils ont de Dieu dans l’oraison unitive, puisque cette jouissance est une expérience réelle des douceurs de Dieu et une certaine intime conjonction de ce souverain Bien avec l’entendement sous la raison d’une souveraine vérité, et avec la volonté sous celle d’une bonté universelle souverainement délectable, qui peut sans doute et doit être appelée un avant-goût de la béatitude, l’âme produisant alors les actes les plus parfaits qui soient possibles et que les théologiens appellent pour cet effet du nom de béatitudes.

a. De l’avancement des Relig. Ch. 5.

b. I. 2. Quest. 99. Art. 3.

c. Ceux qui se privent volontairement de ces délices ineffables sont comme ceux qui se laissent mourir de soif auprès des eaux d’une fontaine.

Ce qui est bien remarquable et considérable en tout ceci, c’est que la gloire et le plaisir qui est dans l’oraison est inséparablement accompagné d’une perfection et d’une sainteté égale à tous les deux, car comme l’union de l’âme avec Dieu se fait par la charité qui est le lien de toute perfection et que le propre de tout amour et surtout du divin, comme plus efficace, est de transformer la volonté en ce qu’elle aime, aimant Dieu, elle toute déifiée et transformée en lui par la participation de son esprit, n’opérant plus que par ses motions et ses instincts, d’où résulte en elle une ressemblance merveilleuse dans la vie et dans les mœurs avec le Bien-Aimé, fondée en une parfaite conformité de sa volonté à la sienne, d’où procède nécessairement l’exercice continuel de toutes les vertus qui rendent une âme vraiment sainte et lui font toucher le point de cette haute et sublime perfection, recommandée dans l’Evangile par notre Seigneur (a) [c321] où il nous exhorte de nous efforcer d’acquérir une perfection semblable à celle du Père céleste. Là-même, sect. 3.

a. Mt 5, 48.

LXVII. Volonté de Dieu

Que la volonté de Dieu est notre volonté.

Moyen court

Tout ce qui nous arrive de moment en moment est ordre et volonté de Dieu et tout ce qu’il nous faut. Chap. 6. no 1.

Pour la pratique de l’abandon, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu. Nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l’ordre éternel de Dieu sur nous et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, qu’elle est commune et inévitable pour tous. La même, no 4.

Cantique

µ vérifier car non relu tome III

Lorsque l’union se fait sentir dans la seule volonté, par une amoureuse jouissance, sans vue ni connaissance distincte, c’est l’union d’amour attribuée au St Esprit, comme Personne distincte et celle-ci est la plus parfaite de toutes, parce qu’elle approche plus que nulle autre de l ‘union essentielle. Et que c’est principalement par elle que l’âme y arrive. Chap. 1, v. 1.

On s’arrête trop aux moyens créés, quoique pieux : Dieu seul (a)[c322]  peut nous apprendre à faire sa volonté, parce que lui seul est notre Dieu. Là-même, v. 6.

Les lèvres représentent la volonté qui est la bouche de l’âme, parce qu’avec l’affection elle serre et embrasse fortement ce qu’elle aime. Et comme la volonté de cette Amante n’aime que son Dieu et que toutes ses affections sont pour lui, l’Époux la compare à un ruban teint d’écarlate, qui signifie les affections réunies en une seule volonté, laquelle est toute charité et tout amour, toutes les forces de cette volonté étant réunies dans leur divin Objet. Chap. 4, v. 3.

Cela marque assez clairement que toutes les affections de l’Amante ont été réunies en Dieu seul et qu’elle a perdu toutes ses volontés en celle de son Dieu.

De sorte que l’abandon de toute elle-même à la volonté de Dieu, par la perte de toute volonté propre et la droiture avec laquelle elle s’applique à Dieu sans faire plus de retour sur soi-même sont les deux flèches qui ont blessé le cœur de son Époux.

Les pas du dehors sont aussi pleins de beautés, car cette âme est toute réglée comme étant conduite par la volonté de Dieu et par l’ordre de la Providence. Chap. 7, v. 1.

Ayant perdu toutes volonté en celle de Dieu, elle ne peut rien vouloir. Chap. 8, v.14

Autorités

Saint Jean Climaque

1. Je présenterai à Dieu ma volonté dans l’oraison et j’attendrai qu’il me détermine en m’assurant de la sienne. Échelle sainte, degré 278[c323] , art. 68.

2. Dépouillons-nous de notre propre volonté, approchons nous ainsi tout nus de Jésus-Christ, lorsque nous nous présentons devant lui pour le prier et ne lui demandons que la seule connaissance de sa volonté. Car ce sera alors que l’Esprit de Dieu descendra dans nous, qu’il prendra le gouvernement de notre âme et la conduira sûrement dans le Ciel. Degré 28, art. 28.

L’Imitation de Jésus-Christ

3. Celui-là est véritablement savant qui sait bien faire la volonté de Dieu et abandonner la sienne propre. Livre I, chap. 3, § 6.

4. Faites-moi désirer vouloir toujours ce qui vous est le plus agréable et ce que vous désirez plus de moi. Que votre volonté soit la mienne et que la mienne suive toujours la vôtre et s’y conforme parfaitement. Que vouloir ou ne vouloir pas soit toujours en moi de même qu’en vous et que je ne puisse jamais vouloir que ce que vous voulez, ni ne vouloir pas ce que vous ne voulez pas !

Faites que je meure à tout ce qui est dans le monde et à être méprisé pour l’amour de vous. Faites que je me repose en vous, plutôt qu’en tout ce qui je puis jamais désirer et que mon cœur trouve en votre sein sa paix et sa joie. Vous êtes seul notre asile et notre port, hors de vous, tout est pénible, tout est inquiet. Livre III, chap. 15, § 3 & 4.

5. Celui-là est exposé à de grandes chutes qui ne se jette pas dans votre sein et qui ne se repose pas sur votre seule bonté de tout ce qui le regarde. Faites-moi la grâce seulement que ma volonté demeure ferme en vous et tende toujours à vous, et après cela disposez de moi comme il vous plaira, car il est impossible que tout ce qui m’arrive selon votre ordre ne soit pas toujours bon. Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez-en béni, si vous voulez que je sois dans la lumière, soyez-en aussi béni. Si vous daignez consoler mon âme, soyez-en loué, si vous voulez l’affliger, soyez-en encore béni ! La-même, chap. 17, § 2.

6. Voyez Abandon, no 3.

7. Attachez-vous fermement à ma volonté et rien ne vous pourra nuire. Si vous recherchez une chose plutôt que l’autre et si vous affectez d’être en un certain lieu pour satisfaire ainsi votre intérêt et votre propre volonté, vous ne serez jamais en repos et votre inquiétude vous suivra partout, parce qu’il manquera toujours quelque chose à ce que vous aurez désiré et que vous trouverez toujours quelque contradiction au lieu même que vous aurez choisi. Livre III, chap. 27, § 3.

8. Je souhaiterais que vous fussiez en cette disposition et que n’étant plus engagé dans votre propre amour, vous demeuriez attaché à ma volonté et aux ordres de celui que je vous ai donné pour conducteur et pour Père. Chap. 32, § 3.

9. Voyez Propriété, no 4.

10. Ce n’est pas une petite vertu que de se quitter soi-même dans les petites choses.

Le progrès véritable dans la piété consiste à se renoncer soi-même, et celui qui est en cet état marche en liberté et dans une très grande assurance. Livre III, chap. 39, § 3 & 4.

11. C’est là que votre volonté étant comme perdue et absorbée en moi, elle ne désirera plus rien, soit d’étranger, soit de particulier. Chap. 49, § 6.

Sainte Catherine de Gênes

12. Comme Adam voulut faire sa volonté contre celle de Dieu, aussi au contraire il nous faut avoir la volonté de Dieu pour notre objet, afin qu’elle efface et anéantisse la nôtre propre et parce que de nous seul nous ne saurions anéantir cette propre volonté, à cause de notre mauvaise inclination et amour-propre, il est fort utile de se soumettre à quelqu’un pour l’amour de Dieu, afin de faire purement et droitement pour son honneur plutôt la volonté d’autrui que la nôtre. Et plus on s’y assujettira, plus on se trouvera en liberté, délivré de cette maligne peste de la volonté propre qui est si subtile, si fine, et si malicieuse, si intime et profondément enracinée en nous et se couvre de tant de moyens et se défend par tant de raisons qu’il semble que ce soit un diable plein de subtilité et de malice, tellement que quand nous ne la pouvons faire en une sorte, nous la faisons en une autre, sous beaucoup de prétextes de charité ou de justice ou de perfection ou sous ombre d’endurer pour l’amour de Dieu. Vie, chap. 12.

13. Voyez Purification, no 20.

14. Voyez Abandon, no 10.

15. Nous devons vouloir faire la volonté de Dieu ayant fait de notre part tout ce que nous pouvons faire de bien, après cela tout ce qui nous arrive et qui n’est pas en notre puissance, nous devons toujours le prendre de la pure ordonnance et dispositions de Dieu et nous y unir en tout par volonté. Vie, chap. 31.

16. Qui goûterait (a)[c324]  le repos de l’union à la volonté de Dieu, il lui semblerait dès cette vie présente être déjà en paradis. Ceux qui s’étudient toujours à anéantir leur volonté, goûtent en quelque sorte ce contentement. Quand l’homme perd son propre vouloir, dieu prend son franc-arbitre, afin d’opérer par lui et ne lui laisse plus venir autre chose en la volonté que ce qui lui plaît et ses volontés ainsi réglées sont après toutes parfaites. Ô anéantissement de volonté ! Ô vertu singulière ! Tu es reine du ciel et de la terre, tu n’es sujette à aucune chose et ainsi tu ne trouves rien qui te puisse donner de la peine parce que les douleurs et les déplaisirs sont causés par la propriété spirituelle ou temporelle.

a. O qu’il est vrai, divine volonté de mon Dieu, que vous êtes le lit de repos des âmes qui vous sont abandonnées.

Oh, si je pouvais dire ce que je connais et ce que je sens de cet anéantissement de la propre volonté, je suis certaine que chacun aurait autant d’horreur de la sienne que si c’était un Diable, on ne soutiendrait jamais son opinion, on ne s’excuserait jamais, on ne dirait jamais cette chose est mienne ! La même.

Sainte Thérèse

17. La volonté seule est occupée de manière qu’elle demeure captive, sans savoir comment, seulement elle donne son consentement, afin que Dieu la mette dans la captivité, sachant bien qu’elle est captive de celui qu’elle aime. Ô Jésus et mon Seigneur, combien votre amour nous aide ici ! car il tient le nôtre tellement lié qu’il ne lui laisse point la liberté d’aimer autre chose que vous en ce temps-là. Les deux autres puissances aident la volonté, afin qu’elle se rende habile et propre pour jouir d’un si grand bien, encore qu’il arrive quelquefois que la volonté étant bien unie, elles incommodent beaucoup, mais pour lors, qu’elle n’en fasse point de cas et qu’elle demeure dans sa jouissance et dans sa quiétude, car si elle les veut recueillir, elle se perdra. Vie, chap. 14.

18. La volonté seule est celle qui soutient le combat, mais les deux autres puissances reviennent incontinent donner du trouble et de l’importunité. Or comme la volonté est ferme dans son calme et dans sa suspension, elle les suspend derechef, dans lequel état elles demeurent un peu de temps, puis elles retournent à leur premier être. En ceci se peuvent passer quelques heurs d’oraison et de fait elles s’y passent, car les deux autres puissances ayant commencé à s’enivrer et à goûter de ce vin précieux et divin, elles retournent facilement à se perdre d’elles-mêmes pour se gagner avec plus d’avantage et accompagnent ainsi la volonté. La même, chap. 18.

19. Voyez Opérations propres, no 13.

20. Voyez Oraison, § II, no 14.

Le bienheureux Jean de la Croix

21. L’âme retirant sa volonté de tous les témoignages et signes apparents, elle s’élève et exalte en une très pure foi, laquelle Dieu lui verse et augmente en degré beaucoup plus intense, et ensemble il lui accroît aussi les deux vertus théologales, à savoir la charité et l’espérance, où elle jouit de très hautes connaissances divines, par le moyen de la nue et obscure habitude de la foi, et possède une grande délectation d’amour par le moyen de la charité, avec laquelle la volonté ne se réjouit en autre chose qu’en dieu vivant. Bref l’âme jouit d’une satisfaction en la volonté par le moyen de l’espérance. Or tout ceci est un profit admirable, qui importe essentiellement et directement pour l’union parfaite de l’âme avec Dieu. Montée du Mont Carmel, livre III, chap. 31.

22. Voyez Transformation, no 13.

23. Voyez Union, no 50.

24. Comme la fiancée ne met son amour et sa pensée en autre qu’en son Époux, de même l’âme en cet état n’a déjà plus d’affections de volonté, ni d’intelligence d’entendement, ni souci, ni action que tout ne soit porté à Dieu avec ses appétits, parce qu’elle est comme divine et déifiée, de manière (a)[c325]  qu’elle n’a pas même les premiers mouvements contre ce qui est volonté de Dieu, autant qu’elle peut connaître et entendre. Car comme une âme imparfaite, fort ordinairement a au moins les premiers mouvements selon l’entendement, la volonté, selon la mémoire et les appétits enclin au mal et à l’imperfection, ainsi l’âme qui est en cet état, selon l’entendement, la volonté et la mémoire et les appétits ordinairement dans les premiers mouvements se meut et incline vers Dieu, à cause du grand secours et de la fermeté qu’elle a déjà en Dieu, et à cause de la parfaite conversion qu’elle a déjà au bien.

Ce que David a bien remarqué parlant de son âme en cet état (b) [c326] Mon âme ne sera-t-elle pas sujette à Dieu ? Car de lui vient mon salut. Il est mon Dieu et mon Sauveur, celui qui m’a reçu : je ne serai plus ému, dans lequel lieu disant : celui qui m’a reçu, il donne à entendre que son âme pour être reçue en Dieu et unie avec lui, comme nous disons ici, ne devait plus avoir de mouvements contre Dieu. Cantique entre l’Épouse et l’Époux, couplet 19.

a. Notez : elle n’a pas même les premiers mouvements contre ce qui est volonté de Dieu.

b. Ps. 61. V. 2, 3.

25. Voyez Non-désir, no 20

26. Voyez Mariage spirituel, no 9.

27. Voyez Oisiveté, no 5.

28. Voyez Communications, § I, no 4.

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte 

29. Albert Le Grand. Voyez Union, no 63.

Le Père Benoît de Canfeld

30. Cette volonté essentielle est purement esprit et vie, totalement abstraite, épurée en elle-même et dénuée de toutes formes et images de choses créées, corporelles ou spirituelles, temporelles ou éternelles, et n’est comprise par le sens ni par le jugement de l’homme, ni par la raison humaine, mais elle est hors de toute capacité et par-dessus tout entendement des hommes, parce qu’elle n’est autre chose que Dieu même, elle n’est chose séparée, ni jointe ni unie avec Dieu, mais Dieu même et son Essence. Car cette volonté étant en Dieu, il s’ensuit qu’elle soit Dieu, puisqu’en Dieu, il n’y a que Dieu, car s’il y avait autre chose que lui, il y aurait quelque chose d’imparfait, toutes choses étant imparfaites qui ne sont pas lui, et même il aurait beaucoup d’imperfections si sa volonté était autre que son essence, parce qu’il ne serait pas un pur acte, c’est-à-dire une simple essence (comme assurent les Docteurs) mais il aurait quelque composition. De plus, il ne serait pas Dieu si sa volonté était un être à part et n’était son essence. Règle de la perfection, IIIe partie, chap. 1.

31. Ce (a)[c327]  dénuement par son premier effet de purgation, purge l’âme particulièrement d’une très secrète image qu’elle retenait toujours de la volonté de Dieu qui est la seconde faute cachée de la contemplation dont il est parlé au quatrième chapitre, laquelle image était si subtile, déliée et spirituelle qu’en la volonté intérieure elle ne s’en apercevait point mais se persuadait que purement et sans image ou espèce, elle contemplait cette volonté en son essence, et même (a) [c328] elle ne se pouvait jamais apercevoir de cette image, jusqu’à ce qu’elle en eût été purgée, d’autant qu’une chose imparfaite n’est point connue pour imparfaite à celui qui ne fait rien de plus parfait. Or l’âme ne connaissait rien de plus parfait, parce que cette image est la chose la plus parfaite et la plus pure qu’elle eût jamais contemplée et par conséquence elle ne la pouvait reconnaître pour imparfaite bien que quand elle en a été purgée, elle ait connu qu’elle était (b)[c329]  imparfaite.

a. Il parle de la purification par voie de nudité.

a. Il fallait qu’elle fut bien subtile. On ne connaît ce qu’on possède en matière de choses spirituelles qu’en le perdant.

[b. Pour ne se point blesser de ce terme d’imparfait...]

b. Pour ne se point blesser de ce terme d’imparfait, dont je me suis servie dans mes Ecrits, il faut concevoir qu’il y a deux sortes d’imperfections dans les choses spirituelles, l’une qui est renfermée dans son sujet, et l’autre qui n’est que par comparaison à une chose plus parfaite. Comme par exemple dans les sciences, il y a la perfection d’une science inférieure : celui qui la sait est parfaitement savant dans cette science, mais il ne l’est nullement par rapport à ce qu’il apprend ensuite : la nouvelle science qu’il acquiert lui fait mieux comprendre que tous les raisonnements le peu qu’il savait en comparaison de ce qu’il a appris depuis, quoiqu’il se crut fort savant et même il est ordinaire aux demi-doctes de croire savoir tout. C’est pourquoi ils sont plus arrêtés à leurs opinions qu’un homme parfaitement docte, parce que les premiers croyant tout savoir n’apprennent jamais rien et le dernier retire de cette connaissance de la profondeur de la science, qu’il voit bien qu’il sait peu en comparaison de ce qu’il lui reste à savoir, car enfin qu’un Docteur en Théologie, parce qu’il est habile Docteur, se croie bon Médecin, il se tromperait parce que c’est une science particulière jointe à l’expérience, et qu’un Médecin se croit bon théologien, il se méprendrait. La science mystique est de même. Elle a ses convenances avec les autres sciences, mais elle a en même temps ses différences infinies. Et de même qu’un Médecin savant sans aucune expérience de son art ne sera jamais bon Médecin quoiqu’il soit très savant, aussi dans la science de l‘intérieur, l’expérience est la véritable science et même l’unique, parce que la science de l‘intérieur est une sagesse infuse par dedans, dont l’expérience est lumineuse et enseigne elle-même sans raisonnement successif, ce qui ne se trouve en nulle autre science, dont l’étude précède l’expérience. L’étude de la Sagesse est la contemplation de la Sagesse, parce que cette Sagesse se crayonne elle-même dans l’esprit de celui qui la contemple et dans le cœur de celui qui l’aime.

Il y a encore une comparaison de l’imperfection par rapport à une plus grande perfection. Un enfant d’une beauté parfaite ne peut être parfaitement bel homme qu’en changeant de beauté, car il est certain qu’un homme qui conserverait tous les traits d’un fort bel enfant ne serait point bel homme, n’ayant point les justes proportions. C’est donc en ce sens qu’on dit des choses être imparfaites dans un temps qui ont paru très parfaites dans un autre.

Si on demande comment elle se défait de cette image, puisqu’elle ne la connaît pas ? Je réponds que c’est par le feu de l’amour qui est toutefois une opération divine et non pas sienne et en laquelle elle est plus passive qu’active. Là-même, chap. 5.

32. Ce second moyen est plus éloigné du sentiment, plus surnaturel, plus nu et plus parfait que l’autre, ainsi qu’il a été dit. Car au lieu que l’autre opère nuement et surnaturellement, alors seulement, ou au moins principalement, quand l’âme est tirée hors d’elle par la force du susdit actuel attrait de la volonté de Dieu, celui-ci le fait aussi quand tel attrait n’est pas si actuel mais seulement virtuel. L’autre moyen est spirituel, nu et surnaturel lorsque l’âme est élevée et dénuée, mais celui-ci l’est aussi quand on est même empêché extérieurement et occupé d’affaires, ce (a) [c330] moyen rendant les choses extérieures, intérieures, les corporelles, spirituelles et les naturelles, surnaturelles.

Or ce moyen n’est autre que le commencement et la fin, à savoir la volonté de Dieu. La même, chap. 8.

a. Moyen, sans Moyen.

Saint François de Sales

33. Voyez Quiétude, § I, no 48.

34. Ô vrai Dieu, c’est une bonne façon de se tenir en la présence de Dieu, d’être et vouloir toujours et à jamais être en son bon plaisir ! Car ainsi comme je pense en toutes occurrences, oui même en dormant profondément, nous sommes encore plus profondément en la très sainte présence de Dieu. Oui certes, Théotime, car si nous l’aimons, nous nous endormons, non seulement à sa vue mais à son gré, et non seulement par sa volonté, mais selon sa volonté. Puis à notre réveil, si nous y pensons bien, (b) [c331] 

b. C’est une expérience des âmes fort avancées. (Voyez l’Explication du Cantique. Chap. 5. V. 2.)

nous trouvons que Dieu nous a toujours été présent et que nous ne nous sommes pas non plus éloignés ni séparés de lui. Nous avons donc été là en la présence de son bon plaisir, quoique sans le voir et sans nous en apercevoir, ainsi nous pourrions dire à l’imitation de Jacob : (a)[c332]  Vraiment j’ai dormi auprès de mon Dieu et entre les bras de sa divine présence et providence, et je n’en savais rien.

Or cette quiétude, en laquelle la volonté n’est en repos que par un simple acquiescement au bon plaisir divin, voulant être en l’oraison sans aucune prétention que d’être à la vue de Dieu, selon ce qui lui plaira. C’est une quiétude souverainement excellente, d’autant qu’elle est pure de toute sorte d’intérêt, les facultés de l’âme n’y prenant aucun contentement, ni même la volonté, sinon en la suprême pointe en laquelle elle se contente de n’avoir aucun autre contentement, excepté celui d’être sans contentement pour l’amour du contentement et bon plaisir de son Dieu, dans lequel elle se repose. Car c’est le comble de l‘amoureuse extase de n’avoir pas sa volonté en son contentement, mais en celui de Dieu, ou de n’avoir pas son contentement en sa volonté, mais en celle de Dieu. De l’amour de Dieu, livre VI, chap. 11.

a. Gn 28, 16.

36. Voyez Non-Désir, no 34.

Le Frère Jean de Saint-Samson

37. La meilleure vie spirituelle que les hommes puissent pratiquer est de se perdre en esprit par une actuelle, éternelle et totale résignation à la volonté et au bon plaisir de Dieu. C’est pourquoi il n’y a point de doute que ce ne soit votre meilleur de franchir toute difficulté et toute crainte même raisonnable et de passer aux œuvres que dieu désire maintenant de vous. En toutes ces occasions d’abandon à l’ordre et au désir de dieu, il y a un très grand gain à faire, et comme vous savez combien il importe de laisser Dieu pour Dieu, plus les œuvres auxquelles on vous applique se trouveront pénibles et laborieuses, et même contraire à votre solitude intérieure, plus aussi cela vous approfondira et vous perdra excellemment en Dieu. Car c’est en son amour que nous agissons et désirons tout faire, selon l’ordre de sa plus parfaite volonté, en sorte que par une totale conformité, nous nous transformons d’une excellente manière en lui, selon l’amour ardent duquel nous l’aimons en vérité. Lettre 51.

L’auteur du Jour mystique

38. L’objet de l’oraison de repos n’est autre que Dieu auquel l’âme se repose tant que dure cette quiétude qui n’admet aucune pensée, ce qui se prouve par les raisons suivantes.

La première est prise de la façon avec laquelle la volonté se repose en son objet, car cet objet n’est point aperçu de la volonté, disent plusieurs. Ou s’il l’est, comme il est plus probable, cette connaissance est si déliée et si directe qu’elle ne peut pas savoir en quoi elle se repose, d’autant que l’entendement ne lui peut donner plus de connaissance qu’il n’en a : or l’entendement ne saurait dire quel est l’objet auquel la volonté se repose encore qu’il le voie, comme on ne peut discerner une chose qu’on voit de loin. L’entendement présente bien à la volonté un objet désirable, mais il ne peut dire ce que c’est, de sorte qu’en cette oraison la volonté se repose sans savoir en quoi, ce qui donne une grande conjecture, que l’objet de cette oraison n’est pas créé, puisque la volonté étant une puissance libre, ne se porte jamais à aimer un objet créé, que l’entendement ne lui fasse voir la convenance qu’il y a entre elle et son objet, et le bien qui y est. Car un objet créé n’a pas une telle sympathie avec la volonté qu’il la tire à soi comme naturellement. Il faut donc que le bien de cet objet soit aperçu d’elle, comme convenable, et pour cet effet il est nécessaire que l’entendement raisonne et discoure sur les convenances de cet objet présenté à la volonté, ce qui ne se peut faire sans un acte réfléchi ou aperçu, ou au moins qu’il le puisse être par l’entendement, lorsqu’il réfléchira sur son acte. C’est pourquoi quand la volonté se porte à un objet qui n’est point aperçu et qui ne le peut être, il faut dire que c’est le Souverain Bien qui lui est présenté, auquel elle se porte sans savoir à quoi elle tend.

Secondement : dans cette oraison la volonté se repose en Dieu, plutôt par sympathie que par connaissance, comme les choses pesantes se portent en leur centre, sans connaissance de la convenance qu’il y a entre elles et leur centre ; ainsi le fer et tiré par l’aimant, sans connaître la convenance qu’il a avec lui. L’entendement en cette oraison ne fait autre chose que ce que fait la main de l’homme, qui prend la pierre d’aimant pour l’approcher du fer d’une distance proportionnée, lequel sans être poussé ni élevé autrement que d’une sympathie naturelle, malgré sa pesanteur, va embrasser ce cher aimant, ainsi l’entendement présente et approche son objet de la volonté sans lui découvrir quel il est et sans l’aider à s’élever vers lui, néanmoins (a) [c333] par une sympathie naturelle, avec les forces que la grâce lui donne, elle se porte à lui et s’y repose sans savoir en quoi, non plus que le fer attaché à l’aimant. Or qui peut avoir une si grande sympathie et convenance avec notre âme que Dieu, à l’image duquel elle est créée ? La ressemblance est cause d’amour et d’union et comme Dieu est la source de tout bien, chacun a inclination naturelle de l’aimer, comme un bien commun, de même que les fleuves sortant de la mer y retournent par instinct naturel. Le bien commun est préféré au particulier et chaque partie s’incline et se porte au bien du tout, ce qui fait que la main s’expose aux coups pour préserver le chef, ainsi par instinct naturel, chacun se dédie à Dieu comme à la fontaine de la béatitude et comme une partie au bien du tout, mais cela s’accomplit bien plus parfaitement par la vertu de charité.

a. Voyez Moyen Court. Chap. 11. n. 3. De la pente centrale.

La troisième raison est prise de la façon avec laquelle la volonté embrasse son objet en cette oraison, car c’est en s’élevant au-dessus de tout ce qui est créé et d’elle-même, au-dessus des sens et même de la parie raisonnable, jusqu’au faîte de la pointe de l’esprit, montrant bien que son objet est plus relevé qu’elle-même et que tout ce qui est créé, puisque pour l’atteindre il faut s’élever au-dessus de tout et monter au-dessus de soi. Et ce qui est plus considérable, c’est que cette âme, ainsi élevée au-dessus des plus hautes montagnes des choses crées, étendant les rayons de sa vue autant qu’elle veut, elle voit néanmoins son objet si obscurément qu’elle ne s’en peut apercevoir tant il se montre élevé au-dessus de tout. Or qui peut être si fort élevé au-dessus de l’âme faite à l’image de Dieu que Dieu-même ? Ce qui confirme ceci est que l’âme ne pourrait s’élever plus haut pour atteindre un objet, sans savoir quel il est, si elle n’avait pour lui une inclination naturelle qui est créée avec elle. Jour mystique, livre I, traité I, chap. 10, sect. 2.


 

[J’ajoute à toutes les autorités rapportées jusqu’ici...]

J’ajoute à toutes les autorités rapportées jusqu’ici ce que le Père Benoît de Canfeld dit à la fin de la préface de la troisième partie de sa Règle de perfection, ou de la volonté essentielle[c334] .

D’autant, dit-il, qu’en cette troisième partie, il se pourra trouver des propositions dont les simples ou ceux qui ne sont pas versés en la théologie mystique, ni aux docteurs qui en traitent, pourront être incapables de comprendre quelques termes qu’ils pourront juger n’être pas à propos d’avancer, j’ai jugé qu’il était expédient de les rapporter ici avec les saints docteurs qui s’en sont servis. Telles pourraient être ces propositions.

Être uni à Dieu sans aucun moyen. Saint Denys, Théologie mystique, chap. 8. Saint Augustin, De l’esprit et de l’âme, chap. 11, tome III. Saint Bonaventure, Théologie mystique, chap. 3, IVe partie. Harphius, Théologie mystique, livre III, IVe partie, chap. 27 et 28. Orig.[c335]  et Vercellensis dans saint Bonaventure, III. Chemin de l’Éternité, IIIe partie, dist[c336] . 2.

Contempler l’Essence divine sans formes ni images. Saint Bonaventure, Chemin III ; De l’éternité Distinct. 6. P. 1. Harphius Theol. Myst. Livre 3. P.4, chap. 30.

Voir Dieu, à savoir, comme il peut être vu en cette vie. St Grég. Liv. 14 et 18. Des Morales. St Bonav. dans le Chemin de l’Eterno Dist. 4. Art. 4. DIst. 6. Et dans le 6. Chem. de L’Eterno Distinct. 6. Harphius Théol. Myst. L.3. P. 4, chap. 27 et 29.

Contempler Dieu sans images. Orig. Sur Cantiq. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. Richard de la Contemplationo L. 1, chap. 8. ST Bonav. CHAP. 3. De la Théol. Myst. P. 4. Et quaest. unique et Chemin 1 de l’Eternité Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L. 3. P. 4, chap. 27, 29 et 30.

Cessation d’opération, ou bonne oisiveté. St Bonav. Chemin 5. De l’Eterno Dist. 6. après Lincolno Sur la Théol. Myst. de St Denis et le même Théol. Myst, chap. 3.P. 4. Harph. Théol. Myst. L. 3. P. 1, chap. 1. Et P. 4, chap. 27. et 28.

Ne penser à Dieu par pensée imaginaire. St Bonav. Théol. Myst, chapitre 3. Et derno Part. 4.

Denudation d’esprit. Orig. Sur Cant. 2. St Bernard sur le Cant. Serm. 53. St Bonav. dans le 3. Chem. ce l’Eterno P. 3. Dist. 4. Harphius. Théol. Myst. L.3. P. 4.

Inactions de Dieu. Harphius. Théologie. Myst. L. 3. P. 4.

Anéantissement. St Denis. De l’Hier. Eccle, chap. 2. Harphius. Plusieurs fois dans la Théol. Myst.

(256)

Il ajoute : j’omets plusieurs autorités pour éviter d’être prolixe, estimant que celles-ci seront suffisantes pour la pleine satisfaction de chacun, et remarquez que quand j’allègue Harphius, c’est toujours selon la correction faite à Rome, et tant saint Bonaventure que lui, selon que tous deux y ont été récemment imprimés. Je crois qu’il n’y a aucun autre passage ou terme de quoi les plus simples ne puissent être capables, que si j’en pouvais connaître, il me serait facile de le confirmer par de semblables autorités.


 

Conclusion

De la vérité de l’intérieur marquée par tout, et des oppositions que les démons et les hommes y font, mais inutilement. Soumission et docilité de l’auteur.

Il n’y a rien dans l’ordre de la nature, non plus que dans celui de la grâce qui ne prouve très clairement la vérité de l’INTERIEUR. Cette vérité est tellement répandue dans tout ce qui subsiste, qu’une personne éclairée la découvre en toutes choses, et quoiqu’il n’y ait point de vérité parmi les hommes, qu’ils soient tous menteurs, parce qu’ils sont tous coupables, on ne laisse pas au travers de mille faux traits, que le Démon a gravé sur eux, de découvrir cette vérité qui est une émanation de la Divinité, répandue nécessairement dans toutes les créatures qui ont été produites par la volonté et la puissance de Dieu.

Il n’y a rien dans la nature, soit plantes, éléments, pierres, qui n’ait un esprit et un sel. C’est le fonds de leur subsistance et la cause de leur incorruption. Dans leur corruption même, ce sel et cet esprit se conserve, mais pour les découvrir, il faut détruire la forme naturelle de la chose dont on veut tirer l’esprit et le sel. L’air fournit cet esprit et ce sel à ceux qui le tirent avec de machines ; la terre, les plantes et les métaux même laissent découvrir en eux ce principe universel.

Ce sel signifie la divine Sagesse, et l’esprit cet Esprit vivifiant. La vérité de l’intérieur se découvre dans tout ce qui est et subsiste. Il n’y a aucune créature qui, en devenant incorruptible par sa propre destruction, ne nous apprenne que notre anéantissement et notre destruction est ce qui nous rend incorruptible, nous réunissant à notre tout et nous mettant dans la vérité de la Sagesse et de l’Esprit vivifiant. Il n’y a pas une fleur qui ne nous enseigne que quelque agréable qu’elle paraisse à nos yeux, elle serait comptée pour rien si elle ne se perpétuait par sa mort et sa pourriture. Les plantes, les fruits et tout ce qui est ne s’éternise que par sa destruction, comme si Dieu avait voulu nous donner une plus grande idée de son Tout par la destruction de tout ce qui subsiste que par leur création, puisqu’il est vrai que leur destruction même, en nous faisant voir le peu de durée des choses du monde, nous découvre leur principe par leur incorruption dans leur corruption même.

Si toutes les choses naturelles subsistent, même dans leur destruction apparente, c’est un grand argument pour l’immortalité de l’âme, mais ce n’est pas ce que ce que je prétends de prouver, puisque tout homme raisonnable n’en doutera jamais. Ce que j’avance est que dans tout cela l’esprit de vérité se découvre et une souveraine raison de la conduite de Dieu sur l’âme. Il n’y a pas un endroit de l’Écriture, pas une histoire sacrée ou profane, pas une fable même où on découvre cette vérité, pas un événement dans l’ordre de la nature et de la grâce. Nous voyons les fortunes des hommes être comme une assurance de leur infortune. La jeunesse est imparfaite, quoiqu’elle soit la perfection de la beauté de l’homme. L’homme subsiste peu dans son état paraît : il croît et augmente jusqu’à la perfection de son état, après quoi il vieillit et éprouve en lui que les mêmes choses qui l’ont fait venir à la perfection de la jeunesse, de la santé, de la beauté, de l’esprit le quittent peu à peu et qu’il n’en éprouve plus qu’un triste débris. Ensuite de quoi, après la destruction des parties, la totalité se perd (pour ainsi parler) par la mort ; mais cette destruction apparente fait tout toute son incorruption et son immortalité. L’esprit se cultive par les sciences, mais ce qui fait son ornement, l’use et le détruit dans la suite. Les plaisirs qui semblent être la fin des désirs de l’homme sont la mort de ces mêmes désirs et à force de vouloir se livrer au plaisir, tout plaisir le quitte et rien ne lui en cause plus, de sorte qu’il est puni par son dérèglement même. Il n’y a pas une histoire où nous ne voyons après une fortune excessive, une décadence surprenante. La gloire d’un Royaume nous signifie sa prochaine destruction, le calme marque la tempête, etc.

Tous les commencements de la vie spirituelle sont pleins de douceurs, quoi qu’accompagnés de pénitences. C’est ce mélange de délices spirituels et d’austérités corporelles qui rend le plaisir intérieur plus piquant. Ces commencements sont comme une belle fleur qu’un enfant admire et cueille, mais qu’un excellent jardinier laisse flétrir pour la perpétuer pas sa semence. Si cet état ne changeait point, il périrait en ne périssant pas. C’est ce qui fait que Dieu conduit l’âme par de si étranges renversements qui ne sont que comme une flétrissure à cette fleur, [flétrissure] qui augmente à mesure que sa graine mûrit. Quoique cette graine paraisse mûre, elle n’apporte du fruit qu’après qu’on l’a jetée dans la terre où elle pourrit, selon le témoignage de Jésus-Christ    même.

La conduite que Dieu tient sur l’homme est une conduite universelle, car quoiqu’il y ait l’ordre particulier qui regarde chacun de nous, il est néanmoins tellement dépendant de cet ordre général et ce qui nous paraît désordre, à cause de notre manière de voir les choses est un ordre admirable selon la divine Sagesse. De sorte que ce désordre particulier est ce qui conserve l’ordre général.

Il est donc certain que c’est là la conduite de Dieu. On estime une fleur heureuse parce qu’elle est cueillie dans sa beauté par la main du roi et qu’elle lui a causé un instant de plaisir. Une personne qui meurt dans les prémices de l’esprit, dans toute sa beauté intérieure, est comme cette agréable fleur. Personne ne doute du plaisir qu’elle a fait, mais pour ces fleurs rares qu’on ne cueille point, qui sèchent et sont serrées par le jardinier, on n’y fait point d’attention. Cependant elles s’immortalisent par leur mort, qui pourtant les fait paraître vilaines aux yeux des hommes, dans les mêmes parterres dont elles avaient fait, peu de jours auparavant, tout l’ornement.

L’ordre donc général est, que Dieu établit, qu’il détruit ce qu’il a établi et qu’il perpétue les choses par cette destruction. Et c’est ce qu’il fait dans l’ordre de la grâce. Il établit d’abord les vertus, mais comme elles seraient semblables à la beauté d’une fleur que le vent et la chaleur gâtent, il tire de cette vertu l’esprit, il en ôte tout l’éclat au-dehors, de peur qu’elle ne soit corrompue par la vanité, il en laisse l’esprit et le sel, c’est-à-dire qu’il en laisse l’essentiel et la vérité et qu’il n’en ôte que l’éclat. Et c’est de cette manière qu’il la rend immortelle. Il en est de même de ses faveurs, il ôte, après les avoir faites, tout ce qu’il y a d’éblouissant, et par conséquent d’amusant. Et il n’en laisse que la substance, c’est-à-dire que Dieu donne à l’âme les qualités propres pour attirer ses faveurs, en lui ôtant la faveur apparente. Plus Dieu prend soin de détruire une chose, plus elle lui est chère. Les hommes n’envisagent les choses que superficiellement, de sorte qu’ils ont horreur de toute sorte de destructions, ne comprenant point assez que Dieu ne détruit qu’un éclat trompeur et qu’il laisse le solide.

La mort qui est la destruction d’une vie pleine de douleur, n’est-elle pas le berceau de la véritable vie ? Dieu met son plaisir dans la vérité de son Esprit et de sa Sagesse en tous les êtres, parce que cet Esprit et cette Sagesse sont la même vérité qui n’est autre que lui-même, et il n’y a rien dans toutes les créatures qui soit proprement sien, ni une émanation de lui-même, que cet Esprit et cette Sagesse.

Le démon a travaillé à détruire par des dehors trompeurs et éclatants l’essence de la vérité, mais tout ce qu’il a pu faire a été de la couvrir. Les hommes l’ont secondé en cela, de sorte que s’attachant désordonnément à l’extérieur de toutes choses, ils n’ont pas pénétré son esprit. Un petit nombre d’hommes ont découvert dans les choses naturelles leur quintessence qui est cet esprit et ce sel, encore n’ont-ils pas pénétré tous les usages. Un petit nombre d’hommes spirituels ont pénétré l’esprit de Sagesse et de vérité, répandu dans toutes sortes de biens, ce qui en fait l’essence et ce tout incorruptible. Cette connaissance de la vérité cachée dans l’essence des choses a fait qu’ils ne se sont point attachés scrupuleusement à mille petites brillants dans le bien, que le vulgaire estime parce qu’il ne pénètre pas plus avant, au lieu qu’au contraire, eux, en avouant qu’une fleur a tout l’agrément qu’elle peut avoir, ont fait plus de cas de sa semence et de sa racine que de son éclat. Le vulgaire amusé ou par l’éclat du dehors, ou par une habitude de n’agir que par ce qui frappe les sentiments, ne s’est attaché qu’au dehors et au brillant, sans pénétrer le solide, poussé qu’il est d’ailleurs à cela par l’esprit de ténèbres, lequel craignant que l’homme, sans s’amuser à l’appas trompeur, ni même au brillant de la vérité, ne passe jusqu’à la substance de cette même vérité, fait tous ses efforts pour l’empêcher. Les hommes mêmes et aussi la nature semblent s’y opposer. Les renversements, les ténèbres, les tremblements de terre qui arrivent à la mort de Jésus-Christ marquaient l’état violent de la nature, non seulement parce que l’auteur de la nature souffrait, mais de plus, parce qu’en mourant pour les hommes, il leur laissait son esprit de vérité. Et afin qu’ils pénétrassent la vérité cachée dans le mystère, il fit ouvrir son cœur, comme pour nous enseigner à pénétrer jusqu’au fond de la vérité.

Je ne suis point étonnée de tout ce qui s’élève pour empêcher la vérité de paraître dans sa substance, et ce sera ce désordre de toutes choses qui en rétablira tout l’ordre. La pente à agir par les sentiments et à préférer l’extérieur à l’intérieur est une suite du péché. Cependant quand (a) [c337] l’Esprit de vérité est dans un cœur, il lui découvre cette vérité en toutes choses. Il n’y a pas, comme j’ai dit, une histoire, une fable, un événement dans la foi ridicule des païens, ni dans les hérésies, où l’on n voie un caractère de la vérité, et ce qui les a fait écarter de cette vérité en quittant l’ordre général. Dans les lois, les coutumes même les plus barbares vous voyez partout cette vérité ; dans la fable des anciens, dans la multiplicité de leurs dieux, ce qu’ils leurs attribuent, tous leurs égarements et leurs erreurs me sont un si fort argument de la vérité de notre religion et de l’esprit de religion qui est l’esprit intérieur que par ces mêmes choses on pourrait leur enseigner la vérité. Que le monde se déchaîne, que les hommes et les démons se joignent, ils peuvent causer quelque mal de peine extérieure, mais ils retomberont infailliblement dans l’ordre de Dieu. Ils serviront même à l’établir en paraissant le détruire et mon Dieu régnera par ma destruction.

a. Jn14, 26. Ch.16, 13.

Je soumets encore de nouveau généralement tous mes écrits, tan les anciens que ce que j’ai ajouté ici, pour les éclaircir, protestant que ce que je me trouve dans une entière démission d’esprit, de jugement et de volonté pour tout ce qu’on voudra m’ordonner. Quoiqu’il me paraisse que je ne puis douter de la bonté de Dieu, et des expériences qu’il m’a fait faire, parce qu’elles portent avec elles un caractère ineffaçable, et ce serait mentir au Saint-Esprit si quelque crainte ou respect humain m’empêchait de le confesser. Je n’y réfléchis néanmoins jamais, pas même pour écrire. J’ai écrit ce que j’ai écrit dans une entière ignorance, et quoique je ne puisse douter, ainsi que je l’ai dit, des bontés de Dieu et de mes expériences, parce qu’elles sont d’une nature à ne laisser aucun doute d’elles, je n’ai néanmoins aucune certitude si je suis digne d’amour ou de haine, mais je laisse l’un et l’autre dans celui, qui m’étant toutes choses, renferme pour moi toutes choses. Que s’il se trouve encore quelques difficultés, j’espère de la bonté de Dieu qu’il me les fera éclaircir. Pour ce que j’ai écrit de moi, je proteste que je ne l’ai écrit que pour obéir et que j’avais écrit d’abord plus de défauts que de vertus. On me le fit brûler en me faisant comprendre qu’il y avait en cela un reste de propriété, et il est vrai. J’ai dons écrit ensuite selon le commandement qu’on m’en a fait, tout ce qui m’est venu plume courante. Peut-être l’orgueil s’en est-il mêlé, sans que je le susse, à cause de la grande difficulté que j’ai de réfléchir sur moi, mais je puis assurer et mon Dieu en est témoin que tant qu’il m’a été permis de me regarder moi-même, je n’ai eu sur moi que des yeux de condamnation et même d’horreur. Depuis que je ne me vois plus, il me semble n’avoir les yeux ouverts que sur Dieu, de sorte qu’on ne condamne ni approuve ce que l’on ne regarde point. C’est ce qui fait que je n’ai nulle difficulté de croire que je suis mauvaise lorsqu’on me le dit, non que je voie en particulier en quoi cela consiste, ni que j’en puisse avoir de peine, parce que je trouve en mon Dieu toute bonté, quoiqu’il me semble qu’une infidélité ou entre-deux me serait un enfer. Bien que ma conscience ne me reproche aucun crime, je ne me crois pas néanmoins justifiée pour cela. Il est vrai que je ne réfléchis pas et que je me laisse entièrement à mon Dieu, auquel je me suis donnée pour le temps et pour l’éternité, sans restriction ni réserve, pour la seule gloire et la seule volonté. Cependant je ne laisse pas de m’accuser devant ses yeux divins de mille recherches et fautes secrètes que lui seul connaît et que lui seul peut purifier.

FIN.

Non nobis, Domine, non nobis, etc.

Omnis honor et gloria ;

Deo soli…

 


 

Recueil de quelques autorités des saints Pères de l’Église grecque.

Avis

On a déjà marqué dans l’Avertissement qui se trouve après la préface de cet ouvrage que c’est selon les intentions de l’auteur des Justifications qu’on ajoute ici ce recueil d’autorités des Pères grecs. Aussi ont-elles tant de rapport avec celles qu’on a vues jusqu’ici qu’on y trouvera une entière conformité de la doctrine de ces grands hommes de l’antiquité avec celle des saints auteurs mystiques des temps postérieurs, comme chacun s’en pourra convaincre par lui-même, en conférant les articles de ce recueil avec ceux qui portent le même titre dans les Justifications. On remarquera d’abord que celui d’entre les saints Pères dont les témoignages sont le plus grand nombre de ce petit recueil est saint Cément d’Alexandrie, ce docteur apostolique qui a reçu les traditions dans leur source. Mais pour bien entendre ce Père, il ne sera pas peut-être inutile à l’égard de plusieurs lecteurs de les avertir que par le mot grec γυωσις dont saint Clément se sert assez souvent en ses Stromates, ou « tapisseries », et qu’on traduit ici gnose, il entend la perfection, et que par celui de gnostique, il entend le parfait Chrétien. Cela n’a pas besoin d’être prouvé, presque tous les passages de ce Père qu’on verra ici rapportés le marquent clairement. Et feu M. L’évêque de Meaux explique ainsi ces deux termes de gnose et de gnostique, dans son Instruction sur les états d’oraison (a)[c338] . C’est aussi ce que ce Père insinue lui-même en des termes exprès au commencement de son VIIe livre des Stromates, en expliquant le mot de gnostique par « véritable chrétien », $$$.[c339]  Au reste, comme ces livres des Stromates ne sont pas divisés en chapitres ou autres sections, comme le sont ordinairement ceux des autres Pères, on a pu désigner les passages qu’on en rapporte que par le nombre des pages où ils se trouvent dans l’édition qu’on a suivie, qui est celle de Cologne de l’an 1688, en grec et en latin.

a. Liv. VI. §. 8, 9, 10 et Liv. IX. §. 3

 

TABLES DES ARTICLES DE CE RECUEIL.

 

 I. Chercher dieu en soi. Règne de Dieu en nous.

II. Communications de Dieu à l’âme.

III. Consistance. Etat de Consistance ou stabilité.

IV. Distractions. Tentations.

V. Entendre. Intelligence.

VI. Fécondité spirituelle.

VII. Habitude des vertus et Actes.

VIII. Impassibilité ou immobilité de l’âme.

IX. Louange de Dieu.

X. Mystères.

XI. Oraisono Contemplation.

XII. Présence de Dieu.

XIII. Pur Amour.

XIV. Purifications. Epreuves.

XV. Quiétude. Repos.

XVI. Renoncement.

XVII. Souffrances.

XVIII. Transformation.

 


 

TABLE DES PÈRES RAPPORTÉS AU RECUEIL.

 

I. St Athénagore.

II. St Basile

III. St Clément d’Alexandrie.

IV. St Denis.

V. St Ephrem.

VI. St Grégoire de Naziance.

VII. St Grégoire de Nysse.

VIII. St Jean Chrysostome.

IX. St Jean Climaque.

X. St Ignace.

XI. St Macaire.

XII. St Maxime.

XIII. Nicétas, commentateur de St Grégoire de Naz.

XIV. Origène.

XV. St Polycarpe.

XVI. St Théodoret.

I. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous.

Saint Macaire

L’âme qui porte Dieu dans soi, ou plutôt qui est portée de Dieu même, devient tout œil. Et comme une maison qui jouit de la présence de son maître, se trouve ordinairement ornée, splendide et parée comme elle doit être, de même une âme qui jouit de la présence de son Seigneur, et qui le loge au-dedans d’elle, est toute remplie de gloire et de majesté, possédant comme elle fait ce vrai Seigneur avec tous ses trésors spirituels et sa divine direction.

Mais malheur à l’âme dont le Seigneur est éloigné ! Malheur à celle qui n’a point Dieu présent ! Il ne se peut qu’elle ne soit désolée, ruinée, pleine de toute immondice, et toute en confusion. Là, selon la parole du Prophète (a), se rencontrent les démons et les bêtes farouches, une maison abandonnée n’étant en effet qu’une retraite de toutes sortes de bêtes et de toutes sortes d’immondices. Malheur encore à cette âme si elle ne se relève point d’une chute si grave, et qu’elle retienne en elle-même des ennemis qui, la portent à l’intimité contre son divin Époux, qui s’efforcent de corrompre ses pensées et de les détourner de Jésus-Christ !

a. Isaïe 34. v. 14.

Si néanmoins le Seigneur vient s’apercevoir qu’elle tâche d’en revenir, de se recueillir en soi-même autant qu’il lui est possible, s’il voit qu’elle retourne avec persévérance à sa recherche, qu’elle veille en l’attendant nuit et jour, qu’elle crie vers lui sans cesse, selon son ordonnance, et qu’elle prie à toute occasion : il n’y a point de doute que selon sa promesse, il ne vienne (a)[c340]  la venger de ses ennemis ; et que l’ayant purgée de tout le mal qui est dans elle, il ne se (b)[c341]  la rende une Épouse sans tâche et irrépréhensible.

a. Lc 18, 1, 7-8.         b. Eph5, 26-27.

Si maintenant vous croyez que ces choses sont véritables, comme en effet elles le sont, rentrez en vous-même, et considérez si votre âme a trouvé cette lumière divine pour son conducteur, cette véritable viande et ce breuvage, qui sont le Seigneur même. Si cela n’est pas, cherchez-le nuit et jour afin qu’il vous soit donné. Si vous voyez le soleil, pensez à chercher le Soleil véritable, puisque vous êtes encore dans les ténèbres et l’aveuglement. Quand vous voyez la lumière, regardez dans votre cœur, si vous y trouverez la véritable lumière qui est la divine : en un mot, envisagez tout ce qui se présente à vos yeux comme autant d’ombres et de représentations grossières des grandes choses qui doivent se trouver réellement au-dedans de votre âme : car outre l’homme extérieur et visible, il y a dans nous un autre homme tout intérieur ; il y a d’autres yeux, que Satan a aveuglés ; et d’autres oreilles, qu’il a rendu sourdes. Or le Seigneur Jésus est venu pour la guérison et pour le rétablissement de cet homme intérieur. Homélie 33.

II. Communications de Dieu à l’âme.

Saint Clément d’Alexandrie

I. L’Esprit de Dieu est un flambeau qui pénètre le profond des cœurs ; et plus un homme accomplissant la justice devient gnostique, plus l’esprit qui illumine, lui est communiqué. Stomates, livre IV, p. 517.

2. De même qu’il paraissait un rayon de gloire sur le visage de Moïse, à cause de sa vertu et de son entretien continuel avec Dieu, ainsi la force divine de la bonté qui s’attache à l’âme juste par l’inspection, par la prophétie et par une opération familière lui inspire un caractère brillant de justice comme d’une splendeur intelligente, ou de la chaleur du soleil, et c’est une lumière qui s’unit à l’âme par une charité inséparable qui porte Dieu et qui est portée par lui. Livre VI, p. 666.

3. Les pensées des hommes vertueux se forment par la pensée, ou l’inspiration de Dieu, l’âme étant en quelque manière affectée et le vouloir divin étant répandu dans les âmes des hommes. Là même, p. 693.

4. Ceux même qui disent que Dieu est leur Maître parviennent à peine à la connaissance de Dieu, la grâce les faisant venir à quelque connaissance, comme s’accoutumant à contempler (276) la volonté par la volonté et le St Esprit par le St Esprit, parce que (a) l’Esprit sonde les profondeurs de Dieu et l’homme animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit. Là même, p. 697.

a. 1 cor. 2, 10.14.

Saint Grégoire de Nazianze

5. Il ne se sert (le vrai philosophe ou le parfait chrétien) des soutiens de la vie qu’autant que la nécessité l’y oblige : il n’a de commerce qu’avec soi-même et avec Dieu. Son âme l’élève au-dessus de toutes les choses sensibles, et comme un miroir sans tâche, elle lui représente au naturel les divines images, sans mélange des espèces terrestres et grossières. Il ajoute tous les jours de nouvelles lumières à celles qu’il a déjà, jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à cette source de lumières où l’on ne puise que dans l’autre vie, lorsque l’éclat de la vérité a dissipé l’obscurité des énigmes et qu’on est parvenu au comble de la félicité. Oratio 29.

III. Consistance. État de consistance ou stabilité.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Celui qui est établi dans la gnose ne mettra jamais sa fin dans son âme, mais en ce qu’il sera toujours heureux, étant ami de Dieu d’une amitié qui fait régner. Stromates, livre IV, p. 495.

2. Les apôtres, imitant Jésus-Christ et étant véritablement gnostiques et parfaits, ont souffert pour les Églises qu’ils ont fondées ; ainsi les gnostiques qui marchent sur les traces des apôtres doivent être sans péché et parla charité pour Jésus-Christ, ils doivent aimer le prochain, en sorte que si le cas le demande, ils doivent supporter les souffrances pour l’Église et boire patiemment le calice. Là-même, p. 503 & 504.

3. Soit qu’on dise que la gnose est une habitude et une disposition, la partie supérieure de l’âme demeure inaltérable, les différentes pensées n’y entrant point, elle ne reçoit point la diversité des images, ne songeant point pendant le sommeil aux images que forment les occupations du jour. Voilà donc en quoi consiste la ressemblance avec Dieu, autant qu’il est possible de conserver son esprit dans cette disposition à l’égard des mêmes choses et cette disposition est de l’esprit en tant qu’esprit. Là même, p. 530.

4. Il demeure donc dans une même situation immuable aimant gnostiquement. Livre VI, p. 651.

5. Ensuite par un soin continuel elle devient en habitude, il parle de la gnose et ainsi étant perfectionnée dans l’habitude mystique, par la charité, elle demeure sans pouvoir être renversée. P. 653

6. Le culte de Dieu est pour le gnostique un soin continuel de l’âme et une occupation continuelle de la divinité par une charité qui ne cesse jamais. Livre VII, p. 700.

7. Le gnostique est d’une grande dignité, il est d’un grand prix devant Dieu, lui en qui Dieu est établi, c’est-à-dire, en qui la gnose de Dieu est consacrée ; nous trouverons là l’image juste, lorsqu’elle est heureuse puisqu’elle est purifiée et qu’elle fait d’heureuses actions. P. 715.

8. Il ne désire rien de ce qu’il n’a pas, content de ce qu’il a, car il ne manque point des biens qui lui sont propres, étant suffisant à lui-même par la divine grâce et la gnose. Mais étant dans la suffisance et n’ayant pas besoin des autres choses, connaissant la volonté toute-puissante, possédant en même temps et priant, étant attaché à la force toute-puissante et s’appliquant à être spirituel par une charité sans bornes, il est uni à l’esprit. Il s’applique autant qu’il peut à posséder cette puissance (c’est celle de la contemplation permanente) étant devenu maître de ce qui combat contre l’esprit et demeurant perpétuellement dans la contemplation. P. 725.

9. Celui qui s’est exercé pour arriver à la sublimité de la gnose et de l’homme parfait, tous les temps et tous les lieux lui conviennent, ayant une fois choisi de mener une vie exempte de chute et s’étant exercé par cette stabilité égale de l’esprit. En celui qui par un exercice gnostique a acquis une vertu qui ne se peut perdre, se forme une habitude et comme la pesanteur ne peut être séparée de la pierre, de même le gnostique ne peut perdre la connaissance, elle est affermie volontairement et non involontairement, par une puissance raisonnable, gnostique et prévoyante, et par le soin que l’on en a, elle parvient à ne pouvoir être perdue.

C’est donc une très grande chose que la gnose, parce qu’elle conserve ce qui rend la vertu inamissible. Nous avons montré que le seul gnostique est pieux. P. 726.

10. La gnose est donc la perfection de l’homme en tant qu’homme : elle s’accomplit par la science des choses divines, et dans la vie, dans le discours, dans les manières, elle est uniforme et d’accord avec elle-même et avec le Verbe divin. Par elle, la foi se perfectionne et c’est par elle seule que le fidèle est parfait. P. 731.

11. La charité rend le gnostique ami, fils, homme véritablement parfait, qui a cru à la mesure de l’âge. P. 739.

12. Elle est cause (il parle de la connaissance gnostique) que s’il arrive quelque accident o trouble, le gnostique n’est jamais ébranlé de sa disposition naturelle : car la possession éclairée du bien excellent est ferme et inébranlable, étant la connaissance des choses divines et humaines. La gnose donc ne devient jamais ignorance, et l’excellent ne se change point en mal, c’est pourquoi il mange, il boit, il se marie, (a)[c342]  non par choix, mais par nécessité. Seulement il se marie si le Verbe (la raison) le dit, et de la manière qu’il convient de le faire. P. 741.

a. $$$$$$$$$grec$$$: ces deux adverbes expriment merveilleusement l’état passif : en rien l’homme ne marche le premier ; c’est ce que veut dire $$$$$$$grec$$$$$ : il faut nécessairement ($$$$$grec$$$) , cela marque la force dont  Dieu entraîne l’homme dans l’état passif, en sorte qu’il n’aperçoit ni son action ni sa liberté.

13. C’est pourquoi et en mangeant et en buvant et en se mariant, si le Verbe le dit, ayant même des songes, il fait et pense des choses saintes, étant, par cette manière, toujours pur pour la prière. Car il prie avec les anges, comme étant déjà égal aux anges : il n’est jamais hors d’une sainte garde, et quoiqu’il prie seul, le chœur des anges est avec lui. P. 746.

14. C’est avec raison que nul accident ne le trouble, il ne craint rien de tout ce qui lui arrive par la disposition de Dieu, ce qui est toujours pour une fin utile. Il n’appréhende point de mourir, sachant qu’il paraîtra devant les puissances, pur de toutes les taches de l’âme, et sachant bien qu’il sera bien mieux après sa mort : c’est pourquoi il ne préfère jamais ce qui est doux et utile à la disposition de Dieu. P. 749.

IV. Distractions. Tentations.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Il est austère (le gnostique) non seulement pour n’être point corrompu, mais même pour n’être point tenté : car la tristesse et le plaisir ne peuvent ni le vaincre, ni même trouver entrée dans son esprit. Il ne donne rien aux mouvements de l’âme, allant d’une manière immuable où la justice le demande. Livre VII des Stromates, p. 725.

2. Il a des tentations, (a) non pour sa purification, mais comme nous l’avons dit, pour l’utilité de son prochain. P. 744.

a. Ou : il lui surviennent de tentations : $$$$$grec$$$$$, ce mot marque que les tentations ne viennent point de son fond. 

Saint Macaire

3. Tous les efforts de note adversaire vont à ce qu’il puisse distraire notre esprit du souvenir de Dieu et de son amour, se servant à cet effet des appas de la terre, pour nous détourner du bien solide, vers des biens qui ne sont tels que par opinion et non en réalité. Ce malin tâche encore de fouiller et de contaminer tout le bien que l’homme fait, en mêlant à l’observance du commandement divin la semence de la vaine gloire ou du propre, afin d’empêcher qu’on ne fasse le bien pour l’amour de Dieu et d’une manière purement généreuse et désintéressée. De la garde de l’âme, chap. 3.

V. Entendre. Intelligence.

Saint Clément d’Alexandrie

1. S’il est vrai que le Seigneur est la vérité et la sagesse même et la puissance de Dieu, il faut montrer que celui qui l’aura connu, et le Père par lui, est véritablement gnostique. Le souvenir est pour les choses passées, l’espérance pour les futures. Nous croyons que les choses passées ont été, et que les futures arriveront. Nous aimons que ces choses soient ainsi, les une passées, la foi nous ne persuadant, les autres futures, l’espérance nous les faisant attendre, car la charité persuade tout au gnostique qui ne connaît que Dieu. Aux Stromates, livre II, p.383.

2. Moïse a déjà dit qu’il fallait écouter afin que nous reçussions Jésus- Christ qui est selon l’Apôtre l’accomplissement de la loi. Or le gnostique profite, ou avance, dans l’Évangile, ne se servant pas seulement de la loi comme d’un degré, mais la connaissant et la comprenant, comme l’a donnée aux Apôtres le Seigneur de qui viennent les Testaments. La même, livre IV, p. 526.

3. Nous osons dire : celui qui a la foi gnostique sait tout, il comprend tout, il pénètre par une sûre compréhension les choses sur lesquelles nous hésitons, quand il est véritablement gnostique comme ont été Jacques, Pierre, Jean, Paul et les autres Apôtres. La prophétie est aussi pleine de gnose, ayant été donnée par le Seigneur et par lui, découverte aux Apôtres. Et la gnose n’est-elle pas une propriété de l‘âme raisonnable qui s’exerce pour parvenir par la gnose à être introduite dans l’immortalité. Livre VI, p. 648.

4. Le gnostique dont je parle comprend ce qui paraît incompréhensible aux autres, persuadé que rien n’est incompréhensible au Fils de Dieu et par conséquent que tout peut-être enseigné, car celui qui a souffert pour nous, n’a rien omis pour l’instruction de la gnose. La même, p. 649.

5. Les choses que le Seigneur a dites sont claires et découvertes pour lui, quoiqu’elles soient cachées pour les autres, car il a reçu la gnose de toutes choses. P. 654.

6. Qui est le sage et il entendra ces choses ? Qui est l’intelligent et il comprendra ceci ? Car les voies du Seigneur sont droites, dit le Prophète (a)[c343]  déclarant que le seul gnostique peut connaître et expliquer les choses dites d’une manière cachée par l’Esprit. Mais celui qui les comprend se taira à propos, dit l’Écriture, c’est-à-dire, qu’il ne les dira pas à ceux qui en sont indignes. La même, p. 671.

a. Ps 106, 43

7. La nue, la grêle et les charbons de feu ont passé devant lui, dit le Prophète (b)[c344] , nous enseignant que les discours saints sont cachés, mais qu’ils sont clairs et éclatants pour les gnostiques, Dieu les envoyant comme une grêle innocente. P. 672.

b. Ps 17, 13

8. Il est du gnostique de savoir quand, de quelle manière et à qui il doit parler. La même.

9. Celui-ci descendant, (Il parle de Josué qui avait été le témoin de la gloire de Moïse, et à qui elle avait été plus découverte qu’à Caleb), raconta la Gloire qu’il avait contemplée, étant plus capable de voir que l’autre (c’est-à-dire que Caleb), comme étant plus purifié que lui, l’histoire nous faisant connaître par là que tous n’ont pas la gnose, car les sens regardent le corps des Écritures, les dictions et les mots, comme le corps de Moïse (que Caleb voyait simplement), les autres en voient les sens cachés et ce qui est marqué par les mots, cherchant à découvrir ce Moïse qui était avec les anges. P. 680.

10. Le gnostique entend toutes choses d’une manière vraie et élevée, comme comprenant la science divine. Il entend le propre sens de ces paroles : vous ne commettrez point de fornication, vous ne tuerez point. Il sait de quelle manière cela se dit au Gnostique et non de la façon dont cela est compris par la multitude. Livre VII, p.734.

11. Touchant les choses futures qu’il connaît et qui ne se voient pas encore, il en est si persuadé qu’il les croit plus présentes que celles qui sont proches de lui. P. 744.

VI. Fécondité Spirituelle.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Le Pasteur a soin de toutes les brebis. Il a pourtant un principal soin de ceux qui par leur nature excellente sont capables d’être utiles à la multitude. Ce sont ceux-là qui sont propres pour conduire et enseigner. C’est par eux que l’évidence de la providence paraît, quand Dieu veut, ou par l’instruction, ou par la place où il les met, faire du bien aux hommes et il le veut toujours. C’est pourquoi il meut ceux qui sont propres aux choses qui procurent la vertu et la paix. Livre VI des Stromates, p. 693.

2. Le gnostique qui est rendu semblable à Dieu se crée et se forme lui-même, il orne aussi ceux qui l’écoutent, rendant semblables, le plus qu’il est possible, à celui qui possède l’apathie par nature, celui qui est parvenu dans l’apathie par l’exercice, et il fait un commerce et une union avec le Seigneur de laquelle il ne peut être arraché. Livre VII, p. 706.

3. Le Gnostique est donc pieux, ayant premièrement soin de lui, et ensuite de ses prochains, afin qu’ils deviennent excellents. P. 707.

4. Le Gnostique supplée à l’absence des apôtres, vivant avec droiture, connaissant exactement, aidant ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de ses prochains et aplanissant les inégalités de leurs âmes. P. 745.

VII. Habitude des vertus et actes.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Celui qui possède la gnose prie et demande les vrais biens de l’âme, coopérant aussi lui-même pour venir dans l’habitude de la bonté afin qu’il n’ait plus les biens comme des instructions qui lui sont proposées, mais qu’il sait $$$ bon. Livre VII, p. 721.

2. Il ne loue pas seulement les choses bonnes, mais il est contraint lui-même d’être bon serviteur, à cause de la perfection de l’habitude qu’il a acquise par l’instruction et par le grand exercice vrai et pur. P. 735.

Saint Basile

3. On trouvera que les vertus seront devenues comme notre propre bien, lorsque par nos soins et exercices, elles nous seront devenues comme naturelles ou unies à notre nature même, en sorte qu’au milieu de nos épreuves et difficultés, elles ne viennent jamais à nous abandonner en cette vie si longtemps que nous ne les chassons par force en donnant place à des actions mauvaises. Homélie 23, Du dégagement des choses du monde.

VIII. Impassibilité ou immobilité de l‘âme.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Revêtez-vous donc comme les élus de Dieu saints et bien-aimés, des entrailles de la miséricorde, de la douceur, aimez à faire le bien, vous qui êtes encore dans le corps, comme les anciens justes qui ont recueilli pour fruit l’apathie de l‘âme et l’imperturbabilité. Aux Stromates, livre IV, p. 496.

2. Il a appris (le gnostique) que la viande ne nous rendra pas recommandable, ni le mariage, ni le renoncement au mariage sans gnose, mais la vertu qui consiste à agir gnostiquement. Autrement il faut dire qu’un chien, qui est animal sans raison, est tempérant quand il s’abstient de manger à cause du bâton qui est levé sur lui. Sachez qu’on connaîtrait la disposition de ces hommes si les récompenses ou les menaces étaient ôtées, car ils n’agissent point par le fond des choses, en sorte qu’ils s’y attachent gnostiquement jugeant que toutes les choses créées pour notre usage sont bonnes avec un usage modéré, comme le mariage, par exemple et que le plus grand des biens c’est de parvenir à une vertu impassible par la ressemblance avec Dieu. La même, p. 533.

3. Dieu est impassible, incapable de colère et de désirs ; ce n’est pas par crainte qu’il détourne les choses fâcheuses, et il n’est pas tempérant par commander à ses cupidités, car la nature de Dieu ne peut tomber dans rien de pénible, et Dieu ne suit point la peur, de (287) même qu’il n’aura point de désirs afin de leur commander. L’homme divinisé jusqu’à l’apathie n’ayant plus de souillure devient unique. De même donc que ceux qui sont sur mer tirent l’ancre qui les a affermis de telle sorte qu’ils sont attirés vers elle et qu’ils ne l’attirent point à eux, de même ceux qui attirent Dieu par la vie gnostique ne s’aperçoivent pas qu’ils sont attirés eux-mêmes vers Dieu. Car celui qui sert Dieu se sert lui-même, et dans la vie contemplative, celui qui sert dieu a soin de lui-même, et par la sincérité de sa purgation propre, il contemple saintement le Dieu saint, car la sagesse qui l’assiste, se considérant et se contemplant elle-même sans relâche devient semblable à Dieu, autant que la chose est possible. P. 535.

4. Les apôtres ayant surmonté la colère, la crainte, les désirs, par l’instruction gnostique du Seigneur, ils n’eurent plus en eux les suites des passions qui paraissent avantageuses, comme le zèle, la hardiesse, l’ardeur, car par la constitution ferme de leur esprit, ils ne pouvaient éprouver aucun changement, mais par l’habitude de l’exercice, ils demeurent toujours inaltérables depuis la résurrection du Seigneur. Car quoiqu’on regarde comme des bonnes choses celles dont on vient de parler, quand elles sont conduites par la raison, on ne doit point les admettre dans l’homme parfait. Il n’a point la hardiesse, ou il n’a point de quoi être hardi, car il ne se trouve point dans les choses fâcheuses, ne regardant nulle des choses de la vie comme fâcheuse, et rien ne le peut séparer de la charité qu’il a pour Dieu. Il n’a pas besoin de tranquillité, car il ne tombe point dans la tristesse, persuadé que tout ce qui arrive est bon. Il ne s’irrite point, car rien ne le peut porter à la colère, lui qui aime toujours Dieu, qui est tourné tout entier vers lui seul et qui par là ne hait aucune des créatures de Dieu. Il ne désire rien, car rien ne lui manque pour ressembler au beau et au bono Il n’aime personne de cette commune amitié, mais il aime le Créateur dans les créatures ou par les créatures. Il n’a aucun désir, car il n’a besoin de rien pour l’âme, étant par la charité avec son Bien-Aimé, avec qui il est uni familièrement par le choix qu’il a fait. Et par l’habitude qui vient de l’exercice, il s’en approche plus aisément, et il est heureux à cause de l’abondance des biens. Ainsi pour ces raisons, il s’efforce de ressembler au Maître dans l’apathie, car le Verbe de Dieu est intelligent, par lequel l’assimilation de l’esprit est aperçue dans l’homme seul. Par là, l’homme excellent par l’âme devient déiforme et semblable à Dieu et Dieu devient semblable à l’homme (homiforme). Livre VI, p. 650.

5. Il ne souhaitera point de ressembler aux bons ou aux choses bonnes, ayant par la charité l’être de la beauté. Quel besoin peut-il avoir de hardiesse et de désirs, lui qui a reçu par la charité la conjonction, l’union (la familiarité) avec un Dieu impassible et qui par elle s’est insérée au nombre de ses amis ? Il faut donc séparer de tout mouvement de l‘âme le gnostique et le parfait, car la gnose produit l’exercice, l’exercice produit l’habitude ou la disposition, et cette situation produit l’apathie et non une modération de désirs, et l’apathie est le fruit du retranchement total des désirs. Le gnostique n’a point de part avec les bons qui sont encore dans l’inégalité, c’est-à-dire qui sont encore sujets aux mouvements (aux sentiments) et sui sont bons. J’entends par ces sentiments, par exemple, la joie qui est sujette au plaisir et à la tristesse, à l’affliction, au soin et à la crainte. J’entends la véhémence car elle est proche de la colère. Et quoique quelques-uns disent que ce ne soient plus des maux, mais des biens, il ne se peut que celui qui est consommé (perfectionné) par la charité et qui se nourrit perpétuellement et sans être jamais rassasié, de la joie de la contemplation qui est insatiable, il ne se peut, dis-je, qu’il trouve de la joie dans des choses petites et basses. Car quel juste sujet aurait encore de retourner vers les biens du monde celui qui a reçu une lumière inaccessible et si ce n’est pas encore selon le temps et selon le lieu, il l’a reçue par cette charité gnostique par laquelle l’héritage est donné et le parfait rétablissement. Celui qui donne la récompense confirmant par les œuvres ce que le gnostique, pour avoir choisi gnostiquement, a reçu par avance par la charité.

Certes, n’étant plus dans un pèlerinage à l’égard du Seigneur, par la charité qu’il a pour lui, quoique sa demeure paraisse sur la terre, il ne se délivre point de cette vie, car cela ne lui est point permis, mais il a tiré son âme des passions car cela lui est permis : il vit ayant fait mourir ses désirs et il ne se sert plus de son corps, il lui permet seulement l’usage des choses nécessaires, de peur qu’il ne soit cause de sa destruction. Comment cet homme a-t-il encore besoin de courage, n’étant plus dans les maux, n’y étant plus présent mais tout entier avec celui qu’il aime ? Quel besoin a-t-il de la tempérance ? Il n’en a que faire. Car d’avoir encore des désirs qui rendent la tempérance nécessaire pour les vaincre n’est pas d’un homme pur, mais d’un homme sujet aux mouvements. La force est nécessaire à cause de la crainte et de la peur. Or il ne convient plus que celui qui est ami de Dieu, que Dieu a choisi devant la constitution du monde pour le faire entrer dans la parfaite adoption, soit encore sujet aux peurs et aux plaisirs, et qu’il soit encore occupé à vaincre (réprimer) ses passions. Et je ne crains point de le dire, de même qu’il est prédestiné par ce qu’il doit faire et obtenir, de même lui prédestinant, a par celui qu’il connaît celui qu’il aime. Il n’a pas besoin de connaître l’avenir, comme plusieurs qui vivent en conjecturant, comprenant par la foi gnostique ce qui est inconnus aux autres, et le présent est présent en lui par la charité, car il croit à dieu qui ne trope point, à cause de la prophétie et à cause de la présence il ace qu’il croit et il obtient ce qui est promis. Livre VI, p. 651 & 652.

6. Ce Gnostique qui est fidèle et qui est persuadé que ce qui regarde le monde est bien conduit, se complaît dans tout ce qui arrive. Livre VII, p. 726.

7. La tempérance qui doit être choisie pour elle-même, qui est perfectionnée par la gnose et qui est toujours permanente, rend l’homme maître de lui, en sorte qu’il est un gnostique tempérant, impassible à l’égard des plaisirs et ne pouvant être amolli par les afflictions, comme on dit que le diamant est à l’égard du feu. P. 739.

8. Comme la mort est la séparation de l’âme d’avec le corps, ainsi la gnose est comme la mort spirituelle, séparant l’âme et la tirant avec force des passions et la conduisant dans la vie où on fait le bien, en sorte qu’elle dit alors à dieu avec confiance : je vis comme vous voulez. P. 741.

9. Il convient à celui qui est parvenu à cette habitude d’être saint, ne tombant d’aucune manière dans aucune passion, mais étant déjà comme sans chair et étant sans se ressentir de cette terre. P.752.

Saint Grégoire de Nazianze

10. Il n’y a rien de plus fort et de plus indomptable que la vraie philosophie : tout cède à la générosité d’un philosophe. Si on le prive de toutes les commodités de la terre, il a des ailes pour s’élever, pour prendre l’essor et pour s’envoler vers Dieu qui seul est son maître. On ne peut vaincre Dieu, ni un Ange, ni un Philosophe : quoiqu’il soit composé de matière, il est comme s’il n’était pas matériel, il n’a point de bornes. Quoiqu’il ait un corps, il vit sur la terre comme un homme tout céleste : il est impassible au milieu de tant de passions, il souffre d’être vaincu en tout le reste, mais non pas en grandeur de courage, il se met en cédant au-dessus de ceux qui croient l’effacer, il ne tient plus ni au monde ni à la chair. Oratio 28.

IX. Louange de Dieu

Saint Clément d’Alexandrie

1. Il n’y a de véritablement pieuse que la manière gnostique dont le gnostique honore Dieu. Livre VI des Stromates, p. 616.

2. Le gnostique prie donc avec ceux qui sont nouveaux dans la foi, touchant les choses qu’il doit faire avec eux. Et sa vie entière est une fête sainte. Livre VII, p. 728.

Saint Jean Chrysostome

3. Glorifions le Fils de Dieu, non par la seule louange de la bouche, mais par celle de nos œuvres, sans laquelle l’autre n’est rien. Homélie 51 sur saint Jean, vers la fin.

X. Mystères

Saint Clément d’Alexandrie

1. À l’égard des grands mystères, on ne peut en instruire, il faut en contempler et connaître la nature et les effets. Livre V des Stromates, p. 582.

Saint Jean Chysostome

2. Il y a un danger à vouloir examiner avec curiosité les mystères de Dieu et en demander des raisons, il faut plutôt les embrasser avec amour. Homélie 27 sur l’épître aux Romains, vers le commencement.

XI. Oraison. Contemplation.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Heureux celui qui a la science de la contemplation, qui ne fait aucun tort aux citoyens et qui n’est jamais engagé dans des actions injustes, contemplant la beauté toujours subsistante de la nature immortelle, comment et de quelle manière elle est établie. Jamais la pensée d’une mauvaise action n’entre dans ces hommes. Platon a même eu raison de dire de celui qui contemplerait les idées que c’est un Dieu qui vivrait parmi les hommes. L’esprit est le lieu des idées et Dieu est le lieu de l’esprit, il a appelé celui qui contemple le Dieu invisible, un Dieu vivant parmi les hommes. Quand donc l’âme s’élevant au-dessus de sa nature est avec elle-même et converse avec les idées, cet homme devenu déjà semblable à un Ange, sera avec Jésus-Christ occupé de la contemplation, considérant toujours la volonté de Dieu : celui-là est le seul sage, les autres voltigent comme des ombres. Aux Stromates, livre IV, p. 536, 537 ;

2. Si donc, ôtant tout ce qui appartient aux corps et aux choses qu’on appelle incorporelles, nous nous jetons nous-mêmes dans la grandeur de Jésus-Christ, que nous avancions par la sainteté dans cette immensité, nous serons conduits en quelque manière à la connaissance du Tout-Puissant, connaissant non ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas. Livre V p. 582.

3. Abraham étant venu au lieu que Dieu lui avait dit, le troisième jour il vit le lieu de loin. Le premier jour est celui qui arrive par la vue des choses belles ; le second est le désir d’une âme excellente ; le troisième jour, l’esprit voit les choses spirituelles, les yeux de l’intelligence étant ouverts par le Maître qui a ressuscité le troisième jour. P. 583.

4. La gnose ayant été laissée par les Apôtres à un petit nombre sans écriture, est parvenue à nous. Il faut donc exercer la gnose ou la sagesse pour parvenir à une habitude de Contemplation continuelle et inaltérable. Livre VI, p. 645.

5. Dieu n’attend point la voix de celui-ci (du gnostique) dans la prière, lui qui a dit : demandez et je ferai, pensez et je donnerai. P. 653.

6. De la vérité, une partie est gnostique, l’autre est pratique et coule (vient) de la Contemplation. P.660.

7. Dieu accorde ce que demandent dans leurs prières ceux qui n’ont pas cru fermement et qui se sont repentis de leurs péchés. Mais à ceux qui vivent sans péché et gnostiquement, Dieu le leur accorde, lorsqu’ils ne font seulement que penser. Le gnostique prie donc en esprit à toute heure, vivant familièrement avec Dieu par la charité, et premièrement, il demande la rémission des péchés, ensuite de ne plus pécher, et puis de pouvoir bien faire, et de connaître les ouvrages et l’économie du Seigneur, afin qu’étant rendu pur de cœur par l’épignose qui vient du Fils de Dieu, il soit invité à l’heureuse vision de face à face. Livre VI, p. 665.

8. Je tais les autres choses, glorifiant le Seigneur, mais je dis que ces âmes gnostiques par la grandeur de leur Contemplation surpassent l’état de chaque degré saint, etc. Livre VII, p. 706.

9. Il scelle sur le Gnostique (il parle du Verbe) une parfaite contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable autant qu’il est possible à la seconde cause, à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement. P. 708.

10. Quelques-uns prennent des heures marquées pour la prière, comme la troisième, la sixième et la neuvième, mais le gnostique prie pendant toute sa vie, s’appliquant à être avec dieu par la prière. Celui qui est en cet état laisse toutes choses qui ne sont point utiles, étant parvenu à la perfection e ce qui se fait par la charité. P. 722.

11. À lui seul est accordé ce qu’il demande selon la volonté de dieu et lorsqu’il demande et lorsqu’il pense. Car comme Dieu peut tout ce qu’il veut, ainsi le gnostique obtient tout ce qu’il demande. P. 723.

12. Le gnostique demandera la permanence (la durée) des choses qu’il possède, l’aptitude pour celles qui doivent arriver, et la perpétuité de celles qu’il doit recevoir. P. 725.

13. Il ne cherche rien des choses nécessaires à la vie, persuadé que Dieu qui connaît tout donne aux bons, sans qu’ils le demandent, ce qui leur convient. Toutes choses sont données gnostiquement ou par la gnose au gnostique. P. 726.

14. Le gnostique, à cause de l’éminence de sa sainteté, est plus prêt de ne pas obtenir en demandant que d’obtenir en en demandant pas. Toute sa vie et son commerce avec Dieu est une prière. P. 742.

15. Quand il a reçu la compréhension d’une contemplation éclairée, il croit voir le Seigneur, portant ses yeux sur les choses visibles, quoiqu’il paraisse voir ce qu’il ne veut pas voir. P. 744.

16. Le genre de la prière est l’action de grâce pour les choses passées, présentes et futures comme étant déjà présentes par la foi, et cette disposition est précédée par le don de la gnose. Il demande (le gnostique) de passer le temps qu’il doit être dans la chair en gnostique et en homme qui n’a point de chair. Il demande aussi la rémission de nos péchés, etc. P.746.

17. Celui qui est tel, c’est-à-dire gnostique, il ne demande pas, mais il exige du Seigneur. P. 748.

Saint Macaire

18. Dieu est le Bien Souverain, vers lequel vous devez recueillir votre entendement et toutes vos pensées, sans songer à autre chose qu’à regarder après lui en l’attendant toujours. Que votre âme soit donc comme une mère occupée à rassembler ses enfants vagabonds et que contraignant par la discipline les pensées dispersées par le péché à rentrer dans son domicile, elle attende le Seigneur dans l’abstinence et avec amour, jusqu’à ce qu’il vienne lui donner le véritable et le solide recueillement. Et bien qu’elle ne sache quand le Seigneur voudra venir à elle, que cela même la fasse espérer avec d’autant plus de persévérance en ce divin directeur des esprits, se souvenant (a)[c345]  de Rahab, laquelle ayant cru aux Israélites, bien qu’elle fût encore au milieu des infidèles, devint pourtant dès là, en vertu de sa foi, digne d’être associée au peuple d’Israël, au lieu que les Israélites incrédules furent considérés, à raison de leur désir, comme retournés par effet dans le pays d’Égypte. Ou comme la demeure que fit encore Rahab avec les étrangers ne lui fut plus nuisible, mais que sa foi la rendit dès lors associée au parti des Israélites, de même aussi le péché, (ce fond corrompu de pensées d’égarements et de représentations étrangères dont nous sommes encore environnés), ne nuit plus à ceux qui attendent en espérance et en foi leur Rédempteur, lequel étant venu, change et transforme les pensées de l‘âme, les rend toutes divines, toutes célestes, toutes bonnes, et enseigne à l’âme l’oraison véritable, laquelle n’est plus sujette à l’égarement ni à la distraction. (a[c346] ) Ne crains point, dit Dieu lui-même par son Prophète, je marche devant toi, je vais aplanir les montagnes, briser les portes d’airain, mettre en pièces les verrous de fer. Et encore ailleurs : Veille sur toi-même, (b)[c347]  de peur que ton cœur ne donne lieu à quelque pensée secrète d’incrédulité qui le fasse pécher, et que tu ne dises en toi-même : cette multitude est trop nombreuse et trop forte pour être surmontée.

Si nous ne perdons pas cœur en nous abandonnant au relâchement et à la négligence ; si nous ne donnons point de nourriture aux pensées déréglées de la corruption, mais que notre volonté fasse effort à en retirer notre esprit, contraignant nos pensées à se tourner vers le Seigneur, sans doute que le Seigneur de son propre mouvement viendra enfin à nous et qu’il nous recueillera et nous réunira véritablement en lui-même. Tout ce par où nous pouvons lui plaire et lui rendre service est dans la pensée. Faites donc vos efforts pour lui plaire, en l’attendant toujours dans votre intérieur, le cherchant dans vos pensées, contraignant et forçant votre volonté et vos intentions à jeter toujours leur regard sur lui, et vous verrez comment il viendra dans vous et qu’il y établira sa demeure. Car plus vous recueillez et réunissez votre esprit au-dedans de vous pour le chercher, plus et beaucoup plus encore, est-il forcé par ses propres compassions et par sa clémence de venir à vous et vous donner repos. Cependant il lui plaît de se tenir arrêté quelque temps à vous considérer, vous, votre esprit, vos pensées, ce que vous avez dans le cœur. Il regarde de quelle manière vous le recherchez : si c’est de toute votre âme, ou bien d’une manière négligée et avec nonchalance, et s’il s’aperçoit de vos soins et de votre diligence à le chercher, le voilà qui vient tout d’un coup se manifester à vous se faire voir, vous donner son secours, vous accorder la victoire et vous délivrez de tous vos ennemis. Mais il avait voulu premièrement voir avec quelle ardeur vous le rechercheriez, et comment toute votre attente était entièrement et continuellement tournée vers lui.

C’est alors qu’il vient être votre Maître, qu’il vient vous enseigner et vous donner la vraie prière et le vrai amour, qui n’est autre que lui-même habitant en vous, et devenu en vous toutes choses, paradis, arbres de vie, perle précieuse, couronne de gloire, vigneron divin (cultivant notre âme pour qu’elle porte des fruits en abondance), passible (prenant sur soi ce que nous avons à souffrir), impassible (n’étant altéré ni ébranlé de rien), homme (âme et principe de toutes nos actions humaines), Dieu tout-puissant et rendant tout divin, vin céleste pour nous réjouir et fortifier divinement, eau vivante pour nous désaltérer et nous rafraîchir vivement, brebis, principe de simplicité, d’innocence, de douceur, de soumission, Époux, guerrier, combattant nos ennemis, armes invincibles pour les terrasser et détruire, en un mot JESUS-CHRIST TOUT EN TOUS. Ainsi donc, comme un enfant qui ne saurait se secourir, ni s’habiller soi-même, ne fait que regarder sa mère la larme à l’œil jusqu’à ce qu’émue de compassion, elle aille l’embrasser, que les âmes fidèles en fassent de même envers le Seigneur, mettant toujours leur espérance en lui seul. Homélie 31.

XII. Présence de Dieu

Saint Ignace

1. Rien n’est couvert au Seigneur : ce qui est le plus caché dans notre intérieur lui est présent. Faisons donc toutes choses comme en la présence de Dieu qui habite dans nous, afin que nous soyons ses vrais Temples et que lui soit notre Dieu dans nous. Épître aux Éphésiens, chap. 15.

Saint Polycarpe

2. Pour les veuves, qu’elles prient sans cesse, reconnaissant qu’elles sont les autels de Dieu, que Dieu nous regarde et tout ce qui nous concerne et que tous nos desseins, nos pensées et les choses les plus secrètes de notre cœur lui sont à découvert. Nous sommes exposés à la présence des yeux du Seigneur notre Dieu, comme aussi nous comparaîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ pour y rendre compte chacun de soi-même. Jésus-Christ a porté nos péchés dans son corps sur le bois, celui qui n’a point commis de péché, et dans la bouche duquel ne s’est point trouvé de fraude, a tout enduré afin que nous vivions dans lui. Aux Philippiens, chap. 4, 6, 8.

Saint Athénagore

3. Toute leur vie (il parle des chrétiens) regarde Dieu comme la règle d’une conduite irrépréhensible. Nous avons imprimé dans l’esprit que Dieu est présent à toutes nos pensées et à tout ce que nous disons : nous le considérons nuit et jour, et nous sommes persuadés que comme il est la lumière même, il voit ce qu’il y a dans le fond de nos cœurs. Apologie des chrétiens, chap. 27.

Saint Clément d’Alexandrie

4. Nous devons respecter en tout lieu la présence du Verbe qui est partout et sans lequel rien n’a été fait, et l’on ne saurait bien demeurer ferme qu’en ayant dans la pensée que Dieu nous est toujours présent. Pédagogue, livre III, chap. 5.

5. Ce n’est point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni dans certains jours et fêtes marquées, mais c’est pendant tout la vie, en tout lieu, soit qu’il soit seul, ou qu’il soit avec plusieurs fidèles, que le gnostique honore Dieu, c’est-à-dire qu’il lui rend grâce de l’avoir établi dans la gnose. Comment celui qui est toujours présent avec Dieu sans interruption par (301) sa vie, par sa gnose et par les actions de grâces, ne deviendra pas toujours meilleur ? Etc. Livre VII des Stromates, p. 719.

6. Toute notre vie étant donc un jour de fête, persuadés que Dieu est toujours présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges, et dans tout ce que nous faisons, nous nous conduisons avec soin. Le gnostique habite plus près avec Dieu. La même, p. 720.

7. Il priera en tous lieux et cela ne paraîtra pas à plusieurs. Il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables. Il prie en toute manière (c'est-à-dire quelque chose qu’il fasse. Que si dans le fond retiré de son âme, il pense seulement et qu’il invoque le Père par des gémissements inénarrables, il est auprès de lui dès qu’il parle. La même, p. 728.

Origène

8. Saurait-on trouver un plus grand repos à l’âme fidèle que de penser à Dieu et de converser toujours en sa présence. Sur le Lévitique, chap. 23, homélie 13.

Saint Basile

9. Il faut bien garder notre cœur sur toutes choses et ne pas permettre que la pensée continuelle de Dieu nous tombe hors de l’esprit, ni que le souvenir de ses divines merveilles soit souillé par l’entremise des pensées vaines et inutiles, mais qu’au contraire, nous fassions tant d’effort à nous ressouvenir de Dieu et cela si souvent et si purement qu’enfin sa sainte pensée nous en demeure imprimée au cœur, comme un caractère ineffaçable que nous portions toujours avec nous. C’est ainsi que s’acquiert l’amour de Dieu qui nous porte à observer ses commandements, et l’union de Dieu est aussi un effet du même souvenir de Dieu. Quiconque se détourne de la rectitude du commandement de Dieu en quoi que ce soit, c’est une marque que Dieu est bien faiblement imprimé en sa mémoire. Souvenons-nous donc toujours de ces paroles du Seigneur : (a)[c348]  N’est-ce pas moi qui remplis le ciel et la terre ? dit le Seigneur, et encore : Ne suis-je Dieu que de près ? dit le Seigneur, ne le suis-je pas aussi de loin ? Et : (b)[c349]  Où il y en a deux ou trois assemblés en mon Nom, je suis au milieu d’eux.

Et par conséquent faisons tout et pensons tout comme vivants effectivement devant ses yeux divins. C’est ainsi que sa sainte crainte, qui comme dit l’Écriture, hait le péché, qui hait l’orgueil, l’élévation du cœur et les voies des méchants, demeurera toujours avec nous et que naîtra ce divin Amour qui effectuera dans nous richement cette parole du Seigneur : (c) [c350] Je ne cherche point à faire ma volonté, mais celle de celui qui m’a envoyé. Enfin quiconque est véritablement persuadé que Dieu lui est présent ne se souciera que de lui plaire et de faire ses commandements, sans se mettre en peine ni de ce que les hommes penseront de lui ni de leurs coutumes, humeurs et inclinations, etc. Dans les Règles, demande 5.

Saint Grégoire de Nazianze

10. Nous devons nous souvenir de Dieu aussi souvent que nous respirons l’air, et même nous ne devons faire autre chose que de nous le mettre devant les yeux, soit que nous travaillions ou non, soit que nous soyons à la maison ou à la campagne, soit que nous ayons quelque autre occupation, parce que nous dépendons continuellement de sa présence pour conserver notre être et pour opérer, comme l’image que le miroir forme dépend de la présence de l’objet, comme la vie du corps dépend de la présence de l’âme, comme les rayons dépendent de la présence du Soleil. Oratio I, De Theologia et c[c351] . (rapporté par le Père Maillard, Direction des âmes, chap. 8.)

Saint Macaire

11. Il représente l’état des âmes (vraiment saintes) comme étant en parfaite réalité, ce chariot mystérieux qui fut montré en vision au Prophète Ézéchiel (a)[c352] , et il dit qu’une telle âme est un trône sur lequel Dieu repose continuellement, qu’elle est toute lumière et tout œil, comme ces animaux célestes qui étaient pleins d’yeux, qu’elle ne perd jamais Dieu de vue et que Dieu la dirige et la conduit dans toutes les voies par où elle doit marcher. Homélie I.

12. Comme après la dissolution de ce siècle, les justes vivront et converseront toujours dans le Royaume de Dieu, dans la lumière et dans la gloire, ne regardant plus rien que Jésus Christ, et comment il sera toujours assis à la droite de Dieu son Père, pareillement les mêmes justes étant, quant à leur esprit, transportés dès à présent dans ce siècle-là, où ils sont déjà comme captivés et domiciliés, ils y contemplent tout ce qu’il y a de grand et de merveilleux, car nous qui vivons encore sur la terre, nous avons néanmoins notre conversation dans le ciel ; oui nous vivons et nous conversons dans ce divin monde-là selon notre esprit et selon l’homme intérieur. Et comme l’œil du corps, quand il est pur voit toujours clairement le Soleil, de même notre esprit étant purifié voit toujours la lumière de la gloire de Jésus-Christ et demeure avec le Seigneur nuit et jour. Tout ainsi que le corps du Seigneur uni à la Divinité demeure toujours inséparable du St Esprit. Il est pourtant vrai que les hommes ne peuvent d’abord atteindre à des degrés si sublimes que premièrement ils n’aient subi beaucoup de travaux, d’afflictions et de combats. Homélie 17.

13. Comme un habile peintre ne saurait à la vérité exprimer par son travail le visage d’une personne qui détournerait sa vue de lui, mais qu’il dépeint très bien celui qui le regarde sans cesse, c’est ainsi que ce peintre est admirable, Jésus-Christ, en agit avec les âmes fidèles qui ont toujours les yeux jetés sur lui : il dépeint alors sur l’homme intérieur et céleste sa divine image, l’image céleste tirée de son Esprit et de la substance de sa lumière ineffable ; et c’est alors qu’il donne à l’âme son incomparable et son céleste Époux. Mais si quelqu’un refuse de jeter les yeux sur lui, en se détournant de tout le reste, le Seigneur ne dépeindra point aussi dans lui son image par le moyen de sa divine lumière.

Si donc nous croyons en lui et que nous l’aimons, jetons la vue fixement sur lui seul, en donnant congé à toute autre chose pour l’envisager toujours, afin qu’il puisse exprimer au-dedans de nos cœurs l’empreinte de son image céleste, et qu’ainsi portant Jésus-Christ dans nous, nous recevions la vie éternelle et jouissions dès-là du vrai repos avec pleine confiance. Homélie 30.

14. Il faut qu’un Chrétien ait en tout temps le souvenir de Dieu, car il est écrit : (a) [c353] Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. Il ne faut pas qu’il aime Dieu seulement quand il entre dans son cabinet pour prier, mais il faut qu’il se souvienne de Dieu, qu’il l’aime, qu’il lui donne ses affections quand il marche, quand il parle, quand il mange (b)[c354]  Où est votre cœur, là sera votre trésor, dit l’Évangile. Tout ce à quoi ce cœur est attaché, tout ce vers quoi le porte son désir, cela est son Dieu. Si donc un cœur désire Dieu partout et continuellement, dieu est véritablement le Dieu de ce cœur-là. Homélie 43.

Saint Éphrem

115. Il n’y a rien de plus nuisible, ni de faute plus grave que de mettre en arrière le souvenir de Dieu, puisque le souvenir continuel de Dieu écarte de l’âme les passions impures, ni plus ni moins que la présence d’un juge rigoureux fait fuir les méchants. D’où s’ensuit qu’une telle âme devient le pur habitacle du St Esprit, au lieu qu’il ne règne que des ténèbres, de la puanteur et toute sorte de méchante pratique dans une âme qui est destituée de la pensée et du souvenir de Dieu. De la vertu, chap. 10.

Saint Jean Chrysostome

16. Puisqu’il y a tant de combats à essuyer dans le chemin du salut, et tant d’obstacles à vaincre, comment serait-il possible d’en venir à bout sans la crainte de Dieu ? Mais comment obtenir cette crainte si salutaire ? En nous mettant bien avant dans notre esprit que Dieu est présent partout, qu’il entend, qu’il voit tout, non seulement tout ce que nous faisons et tout ce que nous disons, mais aussi tout ce qui est caché dans notre cœur et dans le plus profond de nos pensées, car (a)[c355]  il discerne les pensées et les intentions du cœur. Si nous nous mettons en ces dispositions, nous ne ferons, nous ne dirons et nous ne penserons jamais rien de mauvais. Car dites-moi si vous étiez toujours ne la présence du Prince, ne vous y tiendriez-vous pas dans la crainte ? Comment donc, étant devant Dieu, pouvez-vous rire, ou vous relâchez ? Et comment ne craignez et ne tremblez-vous pas ? Ne méprisez pas sa patience, car par sa longue attente, il vous invite à la pénitence. N’ayez donc jamais le cœur ou le courage de rien entreprendre quoique vous fassiez, sans penser que Dieu assiste, présent à tout, car en effet il y est présent. Soit donc que vous mangiez, soit que vous alliez coucher, soit que vous enleviez le bien d’autrui, soit que vous vous mettiez à faire bonne chère, soit que vous fassiez telle autre chose que ce soit, pensez que Dieu y assiste présent en tout, et ainsi vous ne tomberez jamais dans un ris dissolu, vous ne vous emporterez jamais de colère. Si vous conservez continuellement cette pensée dans votre esprit, vous marcherez toujours avec crainte et tremblement, comme étant toujours en la présence de votre Roi. Homélie 8 sur l’Épître aux Philippiens.

XIII. Pur Amour

Saint Clément d’Alexandrie

1. Si vous ôtez le péché qui est cause de la crainte, vous ôtez aussi la crainte et encore plus le châtiment, lorsque vous avez retranché ce qui de sa nature cause les désirs ; car la loi, dit l’Écriture (a)[c356]  n’est pas établie pour le juste. Livre IV des Stromates, p. 478.

2. Il ne faut s’approcher du Verbe salutaire ni par la crainte du châtiment, ni par le motif de la récompense, mais simplement à cause qu’il est bon. Ceux qui sont tels sont à la droite du Sanctuaire, mais ceux qui par le don qu’ils font des choses périssables, espèrent recevoir en échange les biens de l’incorruptibilité, sont appelés mercenaires dans la parabole des deux frères. Il dit deux lignes après que ces mercenaires sont à la gauche du Sanctuaire. Là-même, P.485.

3. Il y a le peuple qui aime des lèvres, il y a celui qui livre son corps pour être brûlé. Si je distribue, dit-il, tous mes biens, non selon la règle de la communication qui vient de la charité, mais selon la règle de la récompense, regardant ou le bienfait à recevoir, ou le Seigneur qui promet, quand j’aurais toute la foi, en sorte que je transportasse des montagnes, et que je guérisse les maux les plus cachés, si je ne suis pas fidèle au Seigneur par la charité, je ne suis rien en comparaison de celui qui rend témoignage gnostiquement devant la multitude. La même, p. 519.

4. Ces différences sont très justes : au gnostique est préparé ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu et ce qui n’est pas monté dans le cœur de l’homme, à celui qui a eu une simple foi, il lui assure le centuple de ce qu’il a laissé. La même.

5. Tel est le gnostique : son ouvrage n’est pas de s’abstenir du mal, ce qui est le fondement d’un plus grand progrès, ni de faire le bien pu par crainte ou par l’espérance de la récompense promise suivant qu’il est écrit (a) [c357] : voici le Seigneur et sa récompense est devant sa face pour rendre à chacun selon ses œuvres. (b)[c358]  Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu et ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme, que le Seigneur a préparé à ceux qui l’aiment. Faire le bien uniquement par amour et à cause du beau même, est le partage du gnostique. Livre IV, p. 528.

6. Dieu est représenté, disant au Seigneur (c) Demandez-moi et je vous donnerai toutes les nations pour héritage. Demande vraiment royale qui apprend à demander le salut des hommes sans récompense, afin que nous héritions et que nous jouissions de Jésus-Christ. Souhaiter la connaissance de Dieu pour quelque utilité, afin que ceci arrive ou n’arrive pas, ce n’est point le propre d’un gnostique. Il ne lui faut d’autre motif de sa contemplation que la gnose même. Et je ne crains point de la dire : celui qui suit la gnose par cette science divine, ne la choisit point pour vouloir être sauvé, l’habitude qu’il a de connaître toujours s’étend à connaître toujours : connaître toujours est la substance du gnostique. Elle est sans interruption, c’est une contemplation continuelle et une vive substance permanente.

Si quelqu’un, par supposition, demandait au gnostique ce qu’il choisirait ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu, jugeant qu’il faudrait choisir pour elle-même cette gnose qui, par la charité surpasse la foi. Celui qui est parfait fait le bien, mais ce n’est point à cause de son utilité. Quand il a jugé qu’il est bon de faire une chose, il s’y porte sans relâche, non en négligeant ceci et en faisant cela, mais en étant établi dans l’habitude constante de faire le bien, non à cause de la gloire que les philosophes appellent bonne renommée, ni pour la récompense qui lui vienne, ou des hommes, ou de Dieu, et il rend sa vie parfaite selon l’image et la ressemblance du Seigneur. Si lorsqu’il fait bien, on le traverse, il ne rendra point le mal pour le mal, étant bon et juste envers les justes et les injustes.

C’est à ceux-là que le Seigneur dit : Soyez comme votre Père qui est parfait. En cet homme, la chair est morte ; il vit seul. De son sépulcre, il en a consacré un temple au Seigneur, ayant tourné vers le Seigneur l’ancienne âme pécheresse, n’étant plus celui qui se contient et se surmonte, mais étant dans l’habitude de l’apathie, attendant qu’il soit revêtu de la forme divine. Si vous faites l’aumône, dit-il, que personne ne le sache, et si vous jeûnez, oignez-vous, afin que Dieu seul le connaisse et que nul homme ne le sache. Celui même qui fait miséricorde, ne doit point savoir qu’il est miséricordieux. Quelquefois, il aura ce sentiment, quelquefois il ne l’aura pas. En faisant par habitude ce qui va à soulager, il imitera la nature du bien. Livre IV, p. 528 & 529.

7. Celui qui s’abstient de mal faire par l’espérance de la récompense promise aux justes, n’est pas même bon par l’espérance de la récompense promise aux justes, n’est pas même bon pour un pur mouvement de sa volonté, car comme dans l’un c’est la crainte, de même dans l’autre, c’est la récompense qui le fait juste, ou plutôt qui le fait paraître juste. Livre IV, p. 532.

8. Mais celui qui obéit à la vocation toute nue, en tant simplement qu’il est appelé, il ne va à la gnose ni à cause de la crainte, ni à cause des plaisirs, car il ne regarde point s’il lui en reviendra quelque utilité ou quelque agrément. Étant attiré par l’amour du seul aimable, et conduit vers Dieu, il le sert en sorte que, si par supposition il recevait de Dieu la liberté de faire, sans être puni, les choses défendues, quand il saurait même qu’en les faisant, il aurait la récompense des Bienheureux, et qu’il serait sûr que Dieu ne saurait point ses actions ( ce qui est impossible), il ne voudrait jamais ne rien faire de ce qui est contre la droite raison, s’étant une fois déterminé au beau, parce qu’il doit être choisi et aimé pour lui-même. La même.

9. Si donc toute union qui se fait avec les choses belles et excellentes se fait avec le désir, comment peut demeurer dans l’apathie, disent-ils, celui qui désire ce qui est beau ? (Voilà une objection que l’on a faite à saint Clément, voici comme il y répond :) Il paraît que ceux qui parlent ainsi ignorent ce qu’il y a de divin dans l’amour, car cet amour n’est pas un désir de celui qui aime, mais c’est une union de bienveillance, qui rétablit le gnostique dans l’unité de foi, n’ayant plus besoin de temps ni de lieu. Celui donc qui est déjà par la charité dans les choses où il doit être, comme ayant déjà reçu l’espérance par la gnose, ne souhaite rien, ayant autant qu’il est possible ce qui est désirable. Livre VII, p. 709.

11. Il faut choisir la charité pour elle-même et non pour autre chose. P. 738.

12. Quand on est juste, non par nécessité, par crainte ou par espérance, mais par choix, cette vois est appelée royale, par elle marche une nation royale, les autres voies sont sujettes aux chutes, on peut en être renversé et elles ont des précipices. P.743.

Saint Basile

13. Je connais trois raisons d’obéir à Dieu : car nous nous abstenons des vices, ou par la crainte du châtiment, et en cela nous prenons un esprit servile : ou bien étant attirés par l’espérance de la récompense, nous rapportons l’observation de la loi à notre utilité et nous ressemblons en cela aux mercenaires ; ou bien étant touchés par le beau même et par l’amour de celui qui nous a donné la loi, nous obéissons en nous réjouissant d’être jugés dignes de servir un dieu si grand et si bon et ainsi nous imitons l’affection des enfants bien nés envers leurs parents. Le serviteur ne négligera point certaines choses, pendant qu’il en accomplira d’autres, mais il craindra également la peine de toute désobéissance et c’est pourquoi il sera bienheureux. De même le mercenaire ne négligera rien de tout ce qui est commandé. Car comment recevrait-il la récompense de son travail s’il omettait quelqu’une des choses nécessaires selon la promesse ? Nous avons mis au troisième rang le travail qu’on fait par charité. Quel est donc le fils qui n’a qu’une seule application et un seul dessein qui est de plaire au Père ? Dans la préface sur les grandes Règles. Sermon 7, Du péché.

14. St Paul a osé quelque chose pour ses frères selon la chair, qui est encore plus grand, en sorte que moi-même j’ose quelque chose en le rapportant. L’apôtre souhaite par sa charité de les introduire auprès de Jésus Christ en sa place. Ô grandeur d’âme ! Ô ferveur d’esprit ! Il imite Jésus Christ qui s’est fait malédiction pour nous, qui a pris nos infimités et portés nos maladies, ou pour parler plus modérément, il veut souffrir comme un impie pour l’amour d’eux, pourvu seulement qu'ils soient sauvés. Oratio I.

15. Nous nous soucions fort peu de plaire aux hommes, ne cherchant qu’une seule chose qui d’être glorifiés de Dieu, et même nous nous élevons encore plus haut, je parle de ceux qui sont véritablement philosophes et pleins du véritables amour de Dieu. Ceux-là souhaitent d’être unis au Souverain Bien pour l’amour de lui-même et non pour la gloire qui y est jointe dans l’autre vie, car ce n’est qu’un second ordre d’hommes louables qui agissent pour la récompense, comme il y en a un troisième de ceux qui fuient la corruption par la crainte du châtiment. Oratio 3.

16. Je sais qu’il y a trois ordres d’hommes qui sont sauvés, savoir les esclaves, les mercenaires et les enfants. Si vous êtes esclaves, craignez les coups ; si vous êtes mercenaires, bornez-vous à regarder la récompense ; mais si vous vous élevez au-dessus d’eux, et si vous êtes enfants, respectez Dieu comme un Père et appliquez-vous aux bonnes œuvres, parce qu’il est bon d’obéir au Père, quand même il ne nous en reviendrait jamais aucune utilité, c’est une assez grande récompense que de lui obéir. Oratio 40.

Nicetas

17. Le fils (ou le juste parfait, qu’il distingue de l’esclave et du mercenaire) ne sert et ne respecte point son Père par la crainte des châtiments, ni par l’espérance d’être récompensé, mais par amour, quand même il ne devrait recevoir aucune récompense de sa fidélité et de son attachement, l’exécution de ce qui est agréable à son Père, lui tient-il seule lieu de récompense. Au Commentaire sur Grégoire de Nazianze

Saint Grégoire de Nysse

18. Celui qui veut (a)[c359]  que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité, montre ici (dans le Cantique des cantiques) une manière très parfaite et bienheureuse d’arriver au salut. Je dis que c’est celle qui s’accomplit par la charité. Car quelques-unes se sauvent par la crainte, en s’abstenant du mal à la vue de la géhenne dont ils sont menacés ; il y en a d’autres qui se conduisent avec droiture et vertu, par l’espérance de la récompense réservée à ceux qui auront vécu pieusement, ne possédant pas le bien par la charité, mais par l’attente de la récompense. Mais celui qui court du fond de son cœur vers la perfection, chasse la crainte qui est une affection servile, il méprise la récompense même, de peur qu’il ne paraisse aimer la récompense plus que celui de qui elle vient. Première homélie sur le Cantique.

19. La perfection consiste certainement non pas à s’éloigner du mal par la crainte du châtiment, ce qui ne convient qu’aux esclaves, ni à faire le bien par l’espérance, ne menant une vie que comme des marchands qui font des contrats et des échanges, mais à ne regarder aucune chose, pas même celles qui nous sont promises et qui font l’objet de notre espérance, pour n’en craindre qu’une seule qui est de perdre l’amitié de Dieu et n’en croire qu’une seule digne d’être estimée, qui est de devenir ami de Dieu, ce qui est selon mon avis, la perfection de cette vie. Vie de Moïse, vers la fin.

20. Ceux qui sont doués du véritable amour de dieu, n’ont pas choisi de le servir pour l’espoir du royaume (céleste) comme des marchands pour le gain, ou des mercenaires pour le loyer. Non plus par la crainte des peines préparées aux pécheurs, mais l’aimant comme le vrai Dieu et comme leur Créateur, ils voient qu’il suit de là selon l’équité de l’ordre, que c’est le juste devoir des serviteurs que de plaire à leur Seigneur et Créateur ; L’âme est dans le péril de la tentation, non seulement du côté des afflictions, mais du côté des consolations, car le Créateur les met à l’épreuve de ces deux manières, afin qu’il paraisse avec évidence ce qu’elles sont, si ce n’est pas pour l’amour du gain qu’elle l’aiment, mais si c’est pour l’amour de lui-même, et parce qu’il est véritablement digne de tout amour et tout honneur. Opuscule VII, chap. 20.

Saint Jean Chrysostome

21. Les âmes bonnes et généreuses regardent la beauté divine sans aucun motif d’être récompensées : elles s’y attachent et font le bien pour plaire à dieu, elles estiment la chasteté pour éviter non la punition, mais l’offense de Dieu. Que si quelqu’un est trop faible, qu’il jette aussi les yeux sur la récompense. Homélie 76 sur saint Jean.

22. Nous considérons avec curiosité la récompense de nos œuvres, faisant une supputation de marchands. Vous auriez une plus grande, si vous agissiez sans espérance d’être récompensés. Il faut faire toutes choses pour Jésus-Christ et non pour la récompense. Aimons-le comme il est juste de l’aimer : cet amour est en vérité la grande récompense, le royaume du ciel, la volupté, les délices, la gloire, l’honneur, la lumière et la béatitude. Homélie 5 sur l’épître aux Romains, vers la fin.

23. Comment demandez-vous, ô Paul, d’être anathème ? Comment cherchez-vous l’aliénation et le divorce après lequel il ne reste plus rien ? C’est, dit-il par un excès d’amour. Mais comment cela ? Car la chose semble être une énigme. Comprenons d’abord ce que c’est qu’être anathème, par là nous apprendrons en quoi consiste ce genre d’amour secret et nouveau. J’eusse souhaité, dit l’Apôtre (a)[c360]  d’être anathème à l’égard de Jésus-Christ. Il ne dit pas simplement j’eusse voulu, mais se proposant cette fin, il dit : j’eusse souhaité. Que si ces choses comme trop rabaissées vous troublent, considérez non seulement  ce qu’il dit de son désir d’être séparé, mais encore la cause pour laquelle il voudrait cette séparation. Je n’ignore pas que les choses que je vous dis vous paraissent incroyables. Paul supportant cette chose impatiemment et s’affligeant pour la Gloire de Dieu, prie pour être anathème, si cela se pouvait, afin que les juifs fussent sauvés, que ce reproche qui tombait sur lui cessa, et que Dieu ne parut pas avoir trompé leurs ancêtres par la promesse de ses dons. C’est pour cela, dit-il, que je suis déchiré et je voudrais pouvoir être séparé de ce chœur qui environne Jésus-Christ et être aliéné non pas de son amour, à Dieu ne plaise (car ce n’était que par son amour qu’il faisait ce souhait), mais je souffrirais d’être privé de cette jouissance t de cette gloire, afin que mon Seigneur ne fut plus blasphémé. Afin donc qu’on ne parle plus ainsi contre Dieu, quoiqu’injustement, je déchoirais volontiers et du Royaume du ciel et de cette gloire cachée.

Que si vous ne comprenez pas encore ceci, songez que beaucoup de pères ont fait de même pour leurs enfants, ne refusant pas d’être séparés d’eux, afin qu’ils fussent dans un plus grand éclat, et préférant leur gloire à la douceur de leur société. Parce que nous sommes loin de cet amour, nous n’en pouvons pas même concevoir ce qu’on en dit. Car il y a des gens qui sont si indignés d’entendre le langage de St Paul, et si éloignés de la grandeur de son amour, qu’ils s’imaginent qu’il ne veut parler que de la mort temporelle. Je soutiens qu’ils ignorent autant le sens de St Paul et encore beaucoup pus, qu’un aveugle n’ignore les rayons du soleil. Non, non, cette explication n’est point véritable, c’est plutôt l’opinion des vers de terre cachés dans le fumier. S’il eut parlé en ce sens, comment aurait-il demandé d’être fait anathème à l’égard e Jésus-Christ ? Car cette mort corporelle l’aurait encore uni davantage au chœur des Bienheureux qui environnent Jésus Christ, et l’aurait fait jouir de la gloire. Cet amour était plus étendu que toutes les mers, plus ardent que toutes les flammes : nul discours ne peut l’exprimer dignement. Celui-là seul connaît cet amour qui en est entièrement rempli. Il ne songeait pas seulement à être aimé de Jésus-Christ, mais principalement et par-dessus tout à l’aimer, c’est pourquoi il n’avait en vue que cela seul et souffrait facilement toutes choses : il n’en considérait qu’une qui était de satisfaire cet excellent amour, et c’est pourquoi il faisait une telle demande. Homélie 16 sur l’épître aux Romains, vers le commencement.

24. St Paul ne courait point pour la récompense, car c’était pour lui une suffisante récompense que de faire ce qui plaisait à Dieu. C’est pourquoi quand il a dit (a)[c361]  Si nous n’espérions en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes. Il ne parle ainsi que pour eux, afin que la crainte de cette misère surmonte en eux l’incrédulité de la résurrection et c’est pour se rabaisser jusqu’à leur faiblesse qu’il parle ainsi, car dans le fond, c’est une grande récompense que de plaire à Jésus-Christ en toutes choses et de s’exposer à toutes sortes de périls pour lui, quand on ne devrait jamais en être récompensé. Homélie 40 sur la 1’Epître aux Corinthiens.

25. Il faudrait être bon, quand même il n’y aurait point de récompense promise. Mais dieu a voulu qu’on pût pratiquer aussi la vertu en vue de la récompense, afin de s’accommoder à notre faiblesse. Homélie 13 sur l’épître aux Hébreux.

26. Il faut aimer les commandements, non pour la récompense qui y est attachée, mais pour l’amour de celui qui commande ; non pour les menaces de la géhenne, ni pour les promesses du royaume, mais pour celui qui a fait la loi. Exposition sur le psaume CXI, v. 1.

27. Ne savez-vous pas que la récompense vous est augmentée quand vous travaillez non par l’espérance d’être récompensés, mais par l’affection de plaire ?

28. St Paul n’était pas comme nous autres mercenaires. L’amour avait tellement saisi son âme qu’il méprisait pour plaire à Jésus-Christ ce qui est infiniment plus aimable que tout le reste, je veux dire d’être avec Jésus-Christ même. Il était prêt de souffrir pour Jésus-Christ la privation du Royaume du Ciel, qui est la récompense de tout travail et il regardait comme une chose désirable pour l’amour de Jésus-Christ, d’être fait anathème à l’égard de Jésus-Christ même. De la composition du cœur, livre I, chap. 7.

Saint Théodoret

29. St Paul a défié le ciel et l’enfer de le séparer de Jésus-Christ. La gloire ne doit être rien pour le vrai fidèle en comparaison de l’amour, car il ne faut point aimer Dieu pour les promesses, mais les promesses pour Dieu. Sur l’Épître aux Romains.

Saint Denys

30. L’amour divin est extatique et ne permet pas que ses amoureux soient à eux-mêmes, mais au Bien-aimé. Des noms divins, chap. 4.

Saint Jean Climaque

31. Entre les créatures raisonnables, les unes sont les amis de Dieu, les autres ses vrais et fidèles serviteurs, les autres des esclaves inutiles.

Tous ceux qui renoncent volontairement aux commodités de la vie présente, le font ou par espérance du Royaume futur, ou à cause du poids énorme de leur péché, ou pour la gloire de Dieu souverainement bon.

Celui qui se retire du monde par l’amour de Dieu même est embrasé d’abord de ce feu du ciel et en ressent de plus en plus redoubler l’ardeur. Échelle sainte, degré I, art. 1, 6[c362]  ; 13.

32. J’ai vu trois hommes pieux traités indignement. Le premier craignant la justice divine réprima sa douleur par le silence ; le second se réjouissait pour soi, parce qu’il en espérait être récompensé, mais s’affligeait pour celui qui le traitait mal ; le troisième enfin s’oubliant, pleurait à chaudes larmes le malheur où se jetait celui qui l’outrageait. On voyait en cette occasion trois insignes athlètes de la vertu, l’un combattait par criante, l’autre par espérance d’être récompensé et le dernier avec désintéressement par la tendresse d’un parfait amour. Degré 8, article 28.

Saint Maxime

33. Il y a trois sortes de chrétiens sauvés : ceux qui commencent, ceux qui avancent et ceux qui sont arrivés à la perfection. Les premiers sont les esclaves, les seconds les mercenaires et les troisième les enfants de Dieu. Les enfants ne sont touchés ni de la crainte des menaces, ni de l’espérance des promesses, mais ils ne sont jamais séparés de dieu, tendant vers lui selon cette voie et cette habitude qui est la pente de leur volonté vers le bien. Ils sont comme ce fils auquel il est dit (a) : Mon fils, vous êtes toujours avec moi. Mystagogie, chap. 24.

XIV. Purification. Épreuves.

Saint Macaire

L’âme qui aime véritablement Dieu et Jésus Christ a un désir si insatiable de Dieu même, que bien qu’elle aurait fait mille et mille œuvres de justice, elle est pourtant à ses propres yeux comme si elle n’avait rien fait du tout : et quand même elle aurait consumé son corps dans les jeûnes et dans les veilles, elle se met néanmoins au rang de ceux qui n’ont pas encore commencé à travailler pour acquérir les vertus. Quand même elle aurait été avantagée de la diversité des dons du St Esprit et des révélations divines et des secrets, elle est cependant toujours à ses propres yeux, comme si elle ne possédait encore rein, tant est insatiable et immense le désir de l’amour qu’elle porte à Dieu.

L’amour du Saint-Esprit l’ayant blessée au cœur, elle est dans une oraison continuelle en soi et en charité, affamée et altérée après les biens secrets de la grâce et dans un désir insatiable de l’état solide de la vertu. Elle ne fait qu’exciter continuellement dans soi par la grâce divine des désirs enflammés envers son Époux céleste. Elle ne souhaite que d’être rendue parfaitement digne de sa communication secrète et inexprimable dans la sanctification de l’Esprit. Son visage intérieur étant dévoilé, elle jette toujours les yeux sur son Époux divin, qu’elle envisage face à face dans la lumière spirituelle et ineffable. Elle est transformée en sa mort, elle attend toujours avec beaucoup d’ardeur de pouvoir mourir pour Jésus-Christ, enfin elle espère avec une foi parfaite de recevoir du St Esprit une parfaite délivrance du péché et des ténèbres de toutes les passions, afin que purifiée par l’Esprit et que le corps étant sanctifié avec l’âme, elle soit digne d’être un vase pur qui reçoive l’onction céleste et qui serve d’habitacle de Jésus Christ le véritable Monarque du Ciel.

Une telle âme devenue de la sorte le domicile très pur du Saint-Esprit est aussi devenue digne du don de vivre d’une vie toute céleste et surnaturelle. Mais de parvenir à un tel degré, c’est ce qui n’est pas accordé à l’âme tout d’un coup, ni sans bien des épreuves : elle doit par beaucoup de travaux et de combats voir écouler bien du temps et bien des peines, passer par quantité d’essais et de tentations, parmi quoi elle doit s’avancer toujours et prendre accroissement spirituel, jusqu’à ce qu’elle atteigne à la parfaite extinction de ses passions alors ayant soutenu avec fermeté, avec courage et avec générosité tous les assauts du malin sans s’ébranler, on lui confère les grands et précieux honneurs, les dons spirituels et toutes les richesses du Ciel, c’est ainsi qu’elle devient l’héritière du Royaume céleste en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soit la gloire et l’Empire à jamais. Homélie 10.

XV. Quiétude. Repos.

Saint Clément d’Alexandrie

1. Il est permis à celui qui a appris suffisamment les choses qui conduisent à la gnose de demeurer dans la suite en quiétude, se reposant, dirigeant ses actions à la contemplation. Livre VI des Stromates, p. 60.

2. L’âme du gnostique étant devenue toute spirituelle, s’étant avancée à ce qui lui est naturel dans l’Église spirituelle, elle demeure dans le repos de Dieu. Livre VII, p. 739.

XVI. Renoncement

Saint Macaire

Tous les hommes, Juifs et Grecs, aiment la pureté, et cependant ils n’y peuvent parvenir. Il est donc nécessaire de bien rechercher comment et par quels moyens, on peut acquérir cette pureté du cœur. Cela ne se peut faire autrement que par celui qui a été crucifié pour nous, car c’est lui qui est la voie, la vie et la vérité, c’est la porte, c’est la perle de grand prix, c’est le pain vivant et céleste, et sans cette vérité nul ne connaîtra jamais la vérité, ni sera sauvé. Or comme vous avez déjà renoncé à toutes les choses de l’homme extérieur et aux biens visibles, lesquels vous avez donnés et quittés, il vous en faut agir de même avec votre sagesse mondaine : si vous avez des connaissances, si vous avez de l’éloquence , il vous faut rejeter tout cela et le réputer pour rien, afin que vous puissiez ainsi être fondé et construit sur la folie de la prédication, laquelle est la vraie sagesse, dénuée du bruit fastueux des paroles, mais munie de la vertu efficace et opérante de la Croix. Homélie 17.

XVII. Souffrances

Saint Macaire

Si longtemps quel le propre a lieu dans quelqu’un, et que même il s’accroît, on n’est pas encore pauvre d’esprit et à ne pas s’estimer soi-même, mais à se tenir pour abject et méprisable, à s’anéantir et à se croire ignorant et dénué de tout, quelques connaissances et quelques dons que l’on puisse avoir. Cette disposition doit être comme naturelle et unie inséparablement à l’esprit de tous. Ne voyez-vous pas comment notre Père Abraham, personnage choisi de Dieu, avouait qu’il n’était que (a) [c363] terre et que cendre ? Et David que Dieu qui était avec lui avait fait oindre pour Roi, que dit-il de soi ? (b)[c364]  Je suis un ver et non pas un homme, l’opprobre des hommes et le mépris des peuples. Ceux qui comme eux veulent hériter les biens éternels, devenir leurs combourgeois dans la Cité céleste et être glorifiés ensemble, doivent être tous doués de la même humilité de cœur et ne pas penser être quelque chose en eux-mêmes, mais avoir tous un cœur contrit et brisé. Car bien que la grâce opère différemment dans chacun des Chrétiens qui sont plusieurs, néanmoins comme ils sont tous d’une même cité, ils sont tous aussi d’une même disposition d’âme et d’un même langage, et s’entreconnaissent mutuellement à ceci. Et comme il y a plusieurs membres dans un corps, mais qu’il n’y a qu’une âme qui les remue et qui les gouverne, de même n’y –a-t-il qu’un seul esprit qui agit en tous, quoiqu’avec diversité. Tous sont cependant d’une même Cité et tous tiennent une même voie.

En effet tous les justes ont marché par la voie étroite et serrée des afflictions : ils ont été persécutés, maltraités, outragés, vivant (a) [c365] couverts de peaux de chèvres dans les cavernes et dans les antres de la terre. Les apôtres de même ne nous disent-ils pas :(b) [c366] Jusqu’à présent nous endurons la faim et la soif, nous sommes nus, outragés et errants sur la terre ? Les uns ont été décapités, les autres crucifiés, et les autres affligés en diverses manières. Mais le Seigneur des prophètes et des apôtres, oubliant pour ainsi dire sa gloire divine, quelle voie a-t-il tenue ? Voulant être notre modèle, il a porté une couronne d’épines qu’on lui avait mise sur la tête par dérision, il a enduré les crachats, les coups et la croix.

Si Dieu a tenu cette voie-là sur la terre, c’est à vous à être son imitateur, et si les apôtres et les prophètes ont tenu le même chemin, il faut que nous les suivions si nous voulons être édifiés et établis sur le fondement du Seigneur et des apôtres, puisque l’Apôtre nous dit par le mouvement du Saint-Esprit (c)[c367]  soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ. Mais si vous aimez la gloire des hommes, si vous désirez d’en être respecté, si vous recherchez vos aises, et votre repos, vous avez abandonné la voie. Il vous faut être crucifiés avec le crucifié et souffrir avec le souffrant, afin que vous soyez aussi glorifiés avec le glorifié, étant bien juste que l’Épouse participe aux maux de son Époux, pour être aussi participante à ses biens et à l’héritage de Jésus-Christ. Car il n’est permis à personne d’entrer dans la Cité des Saints, de s’y aller reposer, d’y régner éternellement avec le Roi de gloire, sans avoir été premièrement affligé, et sans avoir passé par la vie rude et étroite des tribulations. Homélie 12.

XVIII. Transformation

Saint Clément d’Alexandrie

1. Si nous suivons l’Écriture qui est la voie des fidèles, pour devenir semblables au Seigneur autant qu’il est possible, il ne faut pas vivre de manière commune, mais il faut être purifié des désirs et des voluptés et avoir soin de son âme qu’il faut consommer (perfectionner) seulement dans ce qui est divin, car l’esprit pur et délivré du mal devient capable de recevoir la puissance divine, l’image de Dieu se formant en lui. Aux Stromates, livre II, p. 443.

2. Il faut que celui-là surmonte les obstacles des désirs et des passions qui doit ne voir plus la gnose de Dieu avec un miroir. Livre IV, p. 479.

3. Celui qui est établi dans la gnose est semblable à Dieu, autant qu’il est possible. Il est déjà spirituel et par conséquent choisi, élu, séparé. La même, p. 542.

4. L’Écriture dit que c’est un holocauste pour le Seigneur que tout homme qui est attiré à la sainteté et qui est éclairé ou enlevé jusqu’à l’union qu’on ne peut discerner. Livre VII, p. 706.

5. Que dirons-nous donc du gnostique, ne savez-vous pas, dit l’Apôtre (a)[c368]  que vous êtes le temple de Dieu ? Le gnostique est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu. La même, p. 748.

6. C’est pourquoi dans l’usage des choses du monde, non seulement il rend grâce et admire la créature, mais il est loué pour l’usage convenable qu’il en fait. Car la fin qu’il se propose parvient à la Contemplation par une efficace opération gnostique qui est selon les commandements et par la science, jouissant déjà des richesses de la contemplation. Ayant reçu avec excès la grandeur de la gnose, il avance vers la sainte récompense de la transmutation, car il a entendu le psaume qui dit : (b)[c369]  Entourez Sion et environnez-la, racontez ses tours. Il signifie, comme je crois, que ceux qui reçoivent le Verbe d’une manière élevée, seront comme des tours élevées et qu’ils sont affermis dans la foi et dans la gnose. La même, p. 749.

7. Celui qui a abandonné l’erreur, qui a obéi aux Écritures et qui confie (abandonne) sa vie à la vérité, il devient Dieu en quelque manière d’homme qu’il était. La même, p. 757.

8. Ainsi celui qui obéit au Seigneur, et qui suit l’inspiration, la prophétie donnée par lui devient parfaitement selon l’image du Maître, un dieu conversant dans la chair. La même, p. 761.

Saint Macaire

9. Lorsque l’âme est arrivée à la perfection de l’esprit, elle est parfaitement purifiée de toutes les passions. Puis unie et mêlée qu’elle est avec le Saint-Esprit par une communion ineffable, elle est rendue digne de devenir esprit mêlé avec l’Esprit Saint, elle est alors toute lumière, tout œil, tout esprit, toute joie, toute récréation, toute allégresse, tout amour, toute entrailles de charité, toute bonté, toute clémence. Comme une pierre dans le fond de la mer est environnée d’eau de tous côtés, de même ces âmes mêlées entièrement avec le Saint-Esprit deviennent semblables à Jésus-Christ, ayant constamment dans elles les vertus de la puissance du St Esprit, sans tâche, sans macule et toutes pures intérieurement et à l’extérieur car tant rétablies par le St Esprit, comment pourraient-elles porter de mauvais fruits au dehors ? Tous au contraire, tous les fruits de l’Esprit y paraissent perpétuellement avec éclat. Homélie 18.


 

µ Jeanne-Lydie Goré[215]

 


 

LE TRAITÉ DE L'AUTORITÉ DE CASSIEN                    

INTRODUCTION par Jeanne-Lydie Goré

[µ txt + n = Garamond 9]                             

Nous republions ici le Traité De l'Autorité de Cassien, publié pour la première et unique fois en 1720 à Cologne à la suite des Justifications de Madame Guyon par Poiret, qui le donne bien d'ailleurs comme étant de Fénelon[216]. [246]                                                                    

                                                                                                                                             

Nous nous sommes toutefois reporté aux archives de la Compagnie de Saint Sulpice (n°s 6249-6257 et n° 6069). Il s'agit là d'une copie fort lisible, sans ratures ni corrections, d'une main qui n'est sûrement pas de Fénelon. Le numéro 6069 s'insère admirablement entre les n°s 6249 et 6250, mais aucun signe n'indique que la fin de la copie soit la fin de l'opuscule. Toutefois comme le dernier cahier a seize pages au lieu de douze comme les autres, tout laisse à penser qu'il a été calculé pour terminer exactement l'ouvrage.

A. Cherel, dans l'appendice de son édition de l'Explication des Articles d'Issy 2, a dressé la liste des Manuscrits de Saintes, c'est-à-dire des liasses restées à Saintes après la mort de Léon de Beaumont et qui contiennent des passages des saints, transcrits en majorité de la main de Fénelon : ce sont là les matériaux réunis soit au moment des Conférences d'Issy, soit en vue de l'Explication des Articles d'Issy, soit avant et après les Maximes des Saints.

Entre les ouvrages synthétiques comme le Gnostique de Clément d'Alexandrie, ou les Maximes des Saints, et ces fragments épars, extraits souvent volumineux qu'accompagnent parfois des notes, l'opuscule sur l'Autorité de Cassien correspond à un point d'équilibre. Il est d'un grand intérêt « méthodologique » : après une brève introduction, Fénelon commente en effet le texte des IXe et Xe Conférences en le suivant de fort près, quitte à négliger quelque détail secondaire. Nous assistons à une lecture d'un texte mystique par Fénelon, ce qui sur un autre plan nous conduit aux conclusions qui étaient les nôtres lorsque nous relisions [247] l'Odyssée avec le précepteur du duc de Bourgogne : esprit synthétique, Fénelon a l'art d'aller droit à l'essentiel.

Pourquoi porter cet intérêt particulier aux Conférences de Cassien ? Défions-nous de toute exagération. Il se trouve qu'en ce cas l'analyse de Fénelon forme un véritable opuscule, mais cette lecture attentive, il la fit peu ou prou pour toutes les autorités que cite A. Cherel.

Peut-être cependant Fénelon, si soucieux de l'antiquité chrétienne, a-t-il cherché à retrouver dans les Conférences les leçons des solitaires que Cassien et son ami Germain étaient partis visiter dans les déserts d'Egypte. Cassien se serait installé sur les bords du Nil vers 385 et, sauf un voyage en Palestine, ne serait guère rentré que vers 403 à Constantinople auprès de Chrysostome. Entre temps, il avait visité la Thébaïde et le désert de Calame, encore que l'on ait mis en doute ses dires 3. Envoyé à Rome, puis à Marseille, c'est à Saint Honorat, abbé de Lérins, qu'il dédiera la IIe partie des Conférences vers 426.

Fénelon en relisant Cassien cherchait à mieux comprendre la doctrine du monachisme primitif sur le sujet qui l'intéressait, c'est-à-dire sur le problème de la contemplation. Il s'adresse à lui comme à un maître spirituel, et le fait même qu'il commente le texte complet des IXe et Xe Conférences prouve cette vénération. Par delà Cassien son respect va à la tradition qu'il représente, tradition érémitique et alexandrine. D'après L. Wrzol 4, Evagre et Origène lui auraient fourni l'essentiel de sa conception de la Contemplation. Si l'on ajoute que sa culture profane avait affiné son art et permis à sa mystique de s'exprimer sans hermétisme dans la langue de cette morale éclectique si répandue à l'époque et où se retrouvent des éléments stoïciens, aristotéliciens ou néoplatoniciens, on comprend qu'il ait particulièrement séduit Fénelon. Le R. P. Olphe-Galliard peut justement dire 5, « à toutes ces dépendances, Cassien doit d'être profondément classique ».

3 P. de Labriolle, dans Histoire de l’Eglise de Fliche et Martin, t. III, p. 317.

4 L. Wrzol, Revue Ascétique et Mystique, 1935, p.250.

5 Dictionnaire de Spiritualité, Cassien (Michel Olphe-Gaillard), fascicule VII, col. 225.

248 L'insistance de Cassien à louer le désintéressement, l'accent convaincu avec lequel il décrit sans emphase la divinisation de l'esprit trouvaient un écho naturel dans l'esprit de Fénelon. Pour tous deux Dieu est présent à l'âme, il est incompréhensible, immuable, et la perfection consiste à aspirer à l'immutabilité de la béatitude, à participer à la vie divine.

Il s'agit donc toujours, comme chez Clément, mais dans un langage moins philosophique, du « retour à l'un » des maîtres alexandrins et plus tard de Denys. En tout cas, négligeant la thérapeutique des vices et dans une certaine mesure l'étude des moeurs monastiques, Fénelon centrera nettement son attention sur l’$$$, idéal spirituel des ascètes orientaux, sur la « science spirituelle » qui a pour but la contemplation, la « contemplatio Dei solius » qu'il identifie avec la prière pure et le parfait dépouillement de l'âme. Et si les anachorètes y sont plus particulièrement appelés, la vie commune par la purification qu'elle nécessite y prépare aussi 6. On devine combien Fénelon devait épouser un point de vue semblable.

6 P. L. 49, 956, Conférence 14.

 

Tradition des S.S. Pères du Désert sur l’Etat Fixe

d'Oraison Continuelle /ou

Examen de la IXe et Xe Conférence de Cassien

par

Feu Monsr. Fénelon, Archevêque-Duc de Cambrai 1

SOMMAIRE 2

1) De l'autorité de Cassien et de celle de ses Conférences.

2) Variété de leur matière.

Conférence IX

3) Ch. I. II. Sujet de cette conférence et de la suivante : l'Oraison continuelle et comment y parvenir. 4) En quoi consiste cette Oraison. 5) En quel sens l'oraison peut être continuelle ou non. 6) Contradiction apparente de l'abbé Moyse en la conférence I et de l'abbé Isaac en celle-ci. 7) que l'abbé Moise reconnait l'Oraison continuelle en son véritable sens. 8) Ch. III-VI. La même Oraison reconnue par l'abbé Isaac en cette vie. 9) Ch. VII-XVII. De plusieurs sortes d'Oraison. 10) Ch. XVIII. Qu'il y a un état d'Oraison plus élevée dont le Pater n'est que le chemin. 11) Pur amour dans cet état. 12) Ch. XIX, XXIV. 13) Ch. XXV. Que cet état exclut toute distinction. D'abord il n'est que passager. 14) Différence entre les communications passagères de Dieu et l'état même de l'Ame. 15) Ch. XXVI. XXX. Passiveté qui exclut les efforts pour la vertu active. 16) Cl. XXXI. Autorité de saint Antoine. 17) Ch. XXXII. Certitude du sentiment intérieur dans la voie passive. 18) Ch. XXXIII-XXXVI. Avis pour les commençants. Eloge de cette oraison. Ce qui en reste à expliquer.

1 Ce titre est celui de l'édition de 1720.

2 Ce sommaire est celui de l'édition de 1720.

250 

Conférence X

19) Ch. I-IV. Qu'on peut parvenir à cette Oraison très pure qui est sans aucunes espèce. 20) Ch. VI. Raison de sa pureté. 21) Ch. VII. Tout y devient Dieu à l'âme. Avant-goût de la béatitude.. 22) Déification. Union sans moien, etc. Conformité des Anciens avec les mistiques modernes. 23) Ch. VIII, IX. Des éléments pour être introduit en cette Oraison. 24) Cf. X. Formule donnée pour cela et qui comprend toutes pratiques de religion. 25) Ch. XI. Méditation active de cette formule suivie de l'état passif. 26) Description de cet état et de ses effets. Transformation. 27) Ch. XII, XIII. Instabilité de l'âme dans la méditation commune et comment y remédier. 28) Ch. XIV. Moiens actifs pour les commençans. 29) Effets de ces instructions en Cassien. Que personne n'est exclu de cette voie. 30) Récapitulation de la Tradition des Pères du désert exposée en ces deux Conférences. 251

DE L'AUTORITE DE CASSIEN

[ § 1] L'autorité de Cassien est assez établie dans toute l'Eglise pour les matières de spiritualité. Il n'est suspect que sur le dogme de la grâce 1. Encore même est-il facile de montrer que s'il a écrit sur ce poinct en des termes peu corrects il n'a fait en cela que ce que les Peres Grecs 2 ont souvent fait et qu'il a écrit avant les disputes de saint Augustin contre les Pélagiens. Quoiqu'il en soit, plus on le croira deffectueux sur la grace, moins on devra le croire suspect sur l'état d'oraison passive qui est sans doute (supposé qu'il soit véritable) le chef-d'oeuvre de la grâce 3. Saint Prosper 4, saint Fulgence 5, Cassiodore 6, saint Jean


[§ 1] 1 C'est principalement dans la XIlle Conférence que se manifeste le semi-prélagianisme de Cassien — mais cette XIIIe Conférence ne fait point partie essentielle du corps de sa doctrine.

Sur Cassien, Cf. Michel Olphe-Galliard, Vie contemplative et vie active d'après Cassien, Revue d'Ascétique et Mystique, 1935; La pureté de Coeur d'après Cassien, ibid., 1936 ; La science spirituelle d'après Cassien, ibid., 1937.

2 Cf. Dictionnaire de Spiritualité, Cassien, par M. Olphe-Galliard, VII-VIII : « La conférence 13 répond à des préoccupation inconnues des Orientaux soucieux surtout de protéger le christianisme de toute interprétation fataliste. Plutôt qu'une œuvre originale, Cassien semble ici encore avoir voulu faire une adaptation de la pensée de ses maîtres aux problèmes qui agitaient l'Occident. Il songeait peut-être à saint Chrysostome sans tenir assez compte de la différence des points de vue. »

3 Est-il besoin de rappeler que Pélage, au début du Ve siècle, juge notre volonté toute-puissante pour faire le bien? Mérite et récompense sont l'oeuvre de notre liberté; Pélage n'admet pas qu'Adam nous ait transmis son péché; Dieu l'aurait créé tel que nous sommes. Un orgueil tout stoïcien se retrouve dans cette doctrine que saint Augustin devait si âprement combattre. En 418, le grand concile de Carthage, dont il fut l'âme, condamne les erreurs pélagiennes. Mais jusqu'en 430 saint Augustin ne cessera d'enseigner la misère de l'homme sans Dieu.

4 Cassiodore, né en Calabre vers 477, fut le ministre principal du roi Theodoric, puis consul en 514. Vers 540 il se rendit dans un monastère en basse Italie et y composa les Institutions des Ecritures divines et profanes; P. L. LXX. 1, 105, 55. Il voulait l'union de l'antiquité classique et des sciences sacrées.

5 Saint Jean Climaque doit son surnom au titre de son ouvrage l'Echelle qui conduit au ciel. Scala Paradisi, P. G. LXXXVIII,

 

252 Climaque 7, Grégoire de Tours 8, Pierre Damien 9, saint Dominique, saint Thomas, Denys le Chartreux, Bellarmin et

 

632-1 164. Né vers 1525, il entra à seize ans au couvent du mont Sinaï. Il devait synthétiser la doctrine spirituelle de ses devanciers. Au vingt-septième degré de son échelle sainte Jean Climaque place la vie érémitique; au vingt-neuvième échelon, l'âme selon lui entre dans l’apateia chrétienne, dont le calme est presque déjà béatitude et immortalité. Jean Gerson (+ 1429) et Denys le Chartreux (+1471) devaient critiquer fortement ce chapitre et déclarer même que saint Jean Climaque s'y montrait plus stoïcien que chrétien.

6 Saint Grégoire de Tours, né à Clermont-Ferrand en 538, il séjourna à la cour de Sigebert, premier roi d'Austrasie, puis fut nommé vers 573 évêque de Tours. Il écrivit une Histoire des Francs et surtout les Livres des miracles, recueil d'hagiographie.

7 Saint Pierre Damien (+ 1072), né à Ravenne en 988, entré à vingt-huit ans au monastère de Monte Avellana en Ombrie, fut nommé par Etienne IX évêque d'Ostie. Il aida grandement la papauté dans son essai de réforme du clergé.

8 C'est sous l'influence de saint Basile (IVe siècle) que le monachisme oriental allait trouver sa forme définitive. Pour tout ce qui concerne la vie des pères du désert, Fénelon ne pouvait pas ne pas avoir lu l'ouvrage fort célèbre de Robert Arnauld « Les vies des saints Pères des déserts et de quelques saints » (Paris, 1668).

9 Avec son ami Germain, Cassien aurait en effet parcouru toute l'Egypte pour admirer la perfection des solitaires de la Thébaïde. Au commencement du Ve siècle les deux amis seraient retournés à Constantinople auprès de saint Jean Chrysostome. Cassien se déclare lui-même son disciple et l'assiste dans ces luttes contre la corruption de la cour. Cassien et Germain seraient même allés rendre compte à Rome des violences dont saint Chrysostome était victime. On trouvera Cassien avant 416 à Marseille et il établira des solitaires à la Sainte-Baume. Rappelons à ce sujet la belle page de Lacordaire citée par E. Cartier dans l'introduction à sa Traduction de Cassien, Paris, Poussielgue, 1868, p. xviii. Lacordaire, Sainte Marie-Madeleine, p. 181.

« Amoureux de la solitude où il avait vu tant de grands spectacles, il ne tarda pas à chercher un asile où il pût fuir quelquefois le bruit des flots et des hommes. La Sainte-Baume devait naturellement toucher son cœur, et rien sans doute ne pouvait lui rappeler davantage ses admirations du Nil. Il y vint donc avec quelques-uns des siens et y plaça cette garde qui, pendant mille ans, du ive au xiiie siècle, fut fidèle au souvenir et aux reliques que la Providence lui avait confiés. Etablis en même temps à la Sainte-Baume et à Saint-Maximin, au lieu de l'extase et au lieu de la sépulture, les religieux Cassianites se montrèrent dignes du choix qui avait été fait d'eux pour ce double monument de la grâce divine.

« On voit encore aujourd'hui, un peu au-dessous de la Sainte-Baume, vers l'Orient, un ermitage appelé l'Ermitage de Cassien, et tout proche une fontaine d'eau vive appelée aussi la Fontaine de Cassien. La montagne qui domine cette retraite sauvage porte le même nom. Les pâtres qui errent avec leurs troupeaux dans les sites escarpés d'alentour n'ont pas d'autre manière de désigner la montagne, l'ermitage et la fontaine. Ils ne savent qui est Cassien; mais ils répètent son nom aux voyageurs, et l'écho, fidèle à la tradition, le redit après eux, sans en savoir plus qu'eux. »

 

253 beaucoup d'autres l'ont loué magnifiquement. Mais l'autorité la plus remarquable est celle de saint Benoist qui le donne dans sa règle avec saint Basile comme les deux grands maîtres de la perfection monastique.

On peut révoquer en doute (car de quoi ne doute-t-on pas) si ces conférences sont de vrayes conversations qu'il a euës avec ces vénérables solitaires qu'il nous représente. Mais enfin on ne peut nier qu'il n'ait rapporté dans ces conférences les traditions des Solitaires qu'il avoit apprises dans le voyage qu'il fit pour les voir aprez la mort de son maître saint Chrisostome. D'ailleurs les saints que j'ay nommez l'admirent dans les choses qu'il rapporte. Donc on ne peut douter de l'autorité des choses qu'il dit, quand même on douterait que les Abbez Moyse, Paphnuce, Isaac, Chérémon les lui eussent enseignées en détail.

DE L'ORDRE DE CET EXAMEN

[§ 2] Je ne garderai point l'ordre de ses conférences parce qu'elles ne sont point liées les unes aux autres ni par la conformité des matières, ni par un ordre saint. Les unes sont les discours d'un abbé, les autres d'un autre sur des matières détachées. Chacun d'eux peut avoir eu ses pratiques, ses lumières, ses traditions. De ce que Moyse ne croit pas une chose, il ne s'ensuit pas qu'Isaac ne la puisse croire et qu'elle ne soit vraye selon Cassien. Il peut même se faire que l'un découvrira à Germain et à Cassien des mystères que l'autre n'osera leur découvrir. Celà dépend des occasions et des marques que ces deux voyageurs peuvent avoir donné à l'un de ces abbez plustost qu'à l'autre, de leurs dispositions pour recevoir avec fruit les mystères cachez.

 [§ 3] Je commencerai donc par la neuvième conférence qui n'est avec la dixième 1 qu'une seule explication suivie d'un certain genre d'oraison.

Il avait déjà promis dans ses institutions d'expliquer ce qu'il explique icy; et il déclare même qu'il en jette par avance quelques fondements afin que s'il venoit à mourir, sans avoir accompli son dessein, tout ne fut pas perdis. Vous voyés qu'il s'agit de quelque bien précieux : de perpetua oratione atque incessabili jugitate quod in secundo institutionum libro promissum est.

Voilà donc une chose importante préparée de loin, et qui fait le sujet de ces deux conferences IX et Xe. Il s'y agit de la perpetuelle continuité de l'oraison sans interruption 2. On ne peut pas dire que ces termes ne soient assez précis et assez décisifs. On ne peut les accuser que d'être un grand pleonasme — perpétuelle continuité.

Remarquez qu'il dit que cet ouvrage est plus long qu'il ne l'avait prétendu, s'étant appliqué non seulement à dire succinctement ce qu'il falloit dire, mais encore à taire beaucoup d'autres choses : studentibus nobis non solum sermone succincto narranda perstringere, sed etiam plu-rima silentio prœterire. C'est donc par ces deux conférences faittes exprez pour traitter la matière qu'il faut juger de ce qui n'en est dit ailleurs qu'en passant. Mais il ne faut pourtant pas croire qu'il développe à fond tous les mystères de la vie intérieure qu'il a appris : car il déclare qu'il veut tenir dans le silence beaucoup de ces choses : plurima silentio prœterire.

CONFERENCE NEUVIEME

La fin que le Moine se propose, dit Cassien (ou plutôt l'abbé Isaac, ch. 2) et la perfection de son coeur, c'est de

[§ 3] 1 Les Conférences, écrites entre 419 et 427, sont l'ouvrage le plus ;célèbre de Cassien.

2 Fénelon va donc vouloir peindre avec Cassien un état de prière immobile, en d'autres termes l'aspect proprement mystique de l’apateia.

 

255 tendre, autant que la fragilité humaine le permet à la persévérance sans interruption dans l'oraison, à l'immobile tranquillité de l'âme et à la perpétuelle pureté 2: Omnis monachi finis cordisque perfectio ad jugem atque indisruptam orationis perseverantiam tendit et quantum humanœ fragilitati conceditur ad immobilem tranquillitatem mentis, ac perpetuam nititur puritatem. Ensuitte il répète encore qu'il veut expliquer comment on peut acquérir et consommer cette perpétuelle et continuelle tranquillité d'oraison (acquiri et consummari perpetua orationis jugisque tranquillitas). Et il assure que l'oraison et les vertus sont inséparables; en sorte qu'on ne parvient à ce genre d'oraison perpétuelle et sublime, qu'aprez avoir vuidé du coeur tout ce qu'on en arrache en le purgeant, et tous les débris des passions mortes : nisi egesta prius omni repurgntione vitiorum mortuisque ruderibus passionum.

[§ 4] Il ne faut pas s'imaginer que cette oraison sans interruption dont il parle, et que saint Paul 1 aprez Jesus Christ a recommandée, soit une contention perpétuelle de l'esprit pour n'avoir jamais d'autre objet de sa pensée que Dieu seul. Je ne dirai pas que cette oraison fut absolument impossible : car rien n'est impossible à Dieu 2. Mais je dis qu'elle ne convient ni aux hommes engagez aux devoirs de la vie civile, ni même aux Solitaires qui sont obligez d'obéir. Cependant on ne peut douter qu'il n'y ait un genre d'oraison continuelle qui est possible et même recommandée aux chrétiens. Il faut donc qu'il y ait une certaine disposition fixe et habituelle de l'âme toujours tournée vers Dieu par état qui soit cette oraison continuelle, et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut qu'elle dure lors même que l'âme ne l'apperçoit point, et que l'imagination présente d'autres objets. C'est une tendance secrette et continuelle de la volonté vers Dieu qui n'est point un mouvement interrompu et par secousses mais une pente habituelle et

8 C'est la définition de l’apateia.

[§ 4] 1 I Thess., y, 17.

2 Luc, 1, 18; Luc, I, 37.

256 uniforme qui fait que la volonté par son état et par son fonds ne veut plus que Dieu, et le laisse sans cesse faire tout en elle. Cette union à Dieu ne peut être ni par effort, ni par excitation du coeur, ni par contention d'esprit, ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel : car tout ce qui est distinct et marqué ne l'est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit; d'où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères 3. Aussi voyons nous que ceux qui parlent de cette oraison sans interruption ne veulent pas même la nommer union, mais unité pour en exclure toute action distincte. C'est ce que dit saint François de Sales 4; c'est pour cela que le même saint dit que l'oraison dont il parle dure même en dormant 5. C'est cette présence de Dieu que l'Ecriture représente comme continuelle dans certains hommes de l'Ancien Testament 6 : ils marchoient en la présence de Dieu. Toute leur voye, toute leur conduite, toutes leurs actions communes n'étoient que présence de Dieu.

On ne pense pas toujours à la lumière mais on la voit toujours sans réflexion, et c'est par elle qu'on voit tout le reste. Il en est de même de Dieu pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à lui d'une pensée distincte et apperçue; mais elles en ont toujours une certaine occupation d'autant plus secrette et confuse qu'elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d'amour, mais ils aiment sans penser à aimer, comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement ni plaisir ni interest, ni bonheur. L'âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voila donc un état 7, où l'on fait oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C'est-à-dire que toutes les fois que l'âme s'apperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à

3 Fénelon explique en termes salésiens la « tranquilité » qu'imagine Cassien. C'est toujours le même processus : il éclaire une conception par l'autre. Nous ne revenons pas ici sur les fragments de l'Amour de Dieu, IX, IV, que nous avons rappelés in extenso à propos du Mémoire sur l'État Passif.

4 Saint François de Sales, Traité de l'Amour de Dieu. IX, XIV.

5 Ibid., VI, II.

Genèse, y, 22-24; vr, 8, 9; xrviii, 15. — Ps. xv, 8. — iv, Rois, iii.

 

257 faire des actes; mais dans une conversion constante, habituelle et fixe vers Dieu qui est une espèce d'unité avec lui. Dans le moment où l'âme apperçoit Dieu, elle ne commence point à s'unir, mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu'elle l'a toujours été, lors même qu'elle n'y pensoit pas actuellement. Voilà ce que tous les Mystiques appellent état d'oraison continuelle.

Outre cette raison sans relasche, il y en a une autre plus formelle et plus expresse que l'on fait en certains temps destinez à cet exercice. Alors l'âme est plus occupée de Dieu, parce qu'elle l'est uniquement, et que toute autre occupation est suspendüe. Cette oraison plus expresse se fait ou dans les temps réglez, si on est dans un état actif, ou dans les temps que l'esprit intérieur marque par son attrait si on est dans un état passif.

Quand on a demeslé ces deux sortes d'oraison dans une même personne, on n'a pas de peine à comprendre les manières de parler qui naissent naturellement de cette double oraison. En un sens il est vrai de dire que l'oraison ne peut être continuelle en ceste vie, que c'est l'état des bienheureux, et qu'ici-bas on est souvent distrait de l'Oraison.

Ces deux manières de parler sont également vrayes et ne se contredisent qu'en apparence. Le langage humain est rempli de ces apparentes contradictions.

[§ 6] C'est par là qu'il faut entendre la contradiction apparente de Cassien. Il fait parler dans cette neuvième conférence l'abbé Isaac sur l'oraison continuelle dans les termes les plus forts, et dans la premiere il dit qu'elle est impossible 1.

7 Fénelon comme dans le Mémoire cherche à préciser qu'il est un état passif qui n'est pas l'acte d'un moment précis. Cf. Cassien, IXe Conf. : « Lorsque notre âme sera fixée dans cette paix, et libre de tous les liens des passions humaines, lorsque notre cœur sera fermement attaché à Dieu, le souverain Bien, nous accomplirons le précepte de l'Apôtre : « Priez sans cesse... » Cette pureté parfaite de l'âme la rend, pour ainsi dire,, sur cette terre même, semblable aux anges; et tout ce qu'elle dit, tout ce qu'elle fait devient pour elle une prière très pure et très sincère. »

[§ 6] 1. Première Conférence. « L'abbé Moyse : S'appliquer à Dieu, comme vous le dites, s'y attacher sans; cesse par la contemplation, est certainement une chose impossible à l'homme dans sa chair fragile. Mais il faut savoir oir notre attention doit se fixer, et y ramener sans cesse notre esprit. »           

 

258  Germain demande à Moyse 2 qui est-ce qui peut dans cette chair fragile être toujours attaché à la contemplation en sorte qu'il ne pense jamais à l'arrivée de son frère, à la visite d'un malade, au travail des mains ou à l'hospitalité qu'il faut exercer vers les étrangers ? Nous désirons d'être instruits comment l'esprit n'est point distrait par les soins du corps, comment il peut être attaché inséparablement à Dieu invisible et incompréhensible.

2 Cf. ibid., 12.

Moyse répond 3 : il est impossible à l'homme dans cette chair fragile d'être attaché continuellement et inséparablement à Dieu et à sa contemplation, en la manière que vous le dittes (quemadmodum dicitis). Voilà une restriction qu'il faut bien remarquer, et sans laquelle Moyse se contredisait grossièrement lui-même. C'est-à-dire qu'on ne peut icy bas penser toujours actuellement à Dieu, sans être interrompu par les distractions du sommeil, des affaires, des objets extérieurs, et des besoins de la vie. Il faut obéir, consoler et secourir le prochain. Ainsi l'oraison de la terre a des distractions involontaires, au lieu que celle du ciel n'a aucune distraction.

3 Première Conférence, c. 13.                                                                                                       

                                         

[ § 7] Je dis que Moyse se contrediroit s'il ne reconnois-soit pas une oraison perpetuelle. En voici la preuve. En parlant à Cassien et à Germain du renoncement que les Solitaires refusent à Dieu sur les petites choses aprez l'avoir fait pour les grandes, le même Moyse dit : cela n'arriveroit pas s'ils conservoient la contemplation fixe d'un coeur détaché de tout ce qui n'est point lui, et une union qui ne fût point passagère, mais fixe, habituelle et uniforme. Le même dit bientost aprez, qu'il faut éviter comme nuisible tout ce qui trouble cette tranquillité et pureté d'âme, quelque utile et nécessaire qu'il paroisse. Voilà sans doute l'exclusion constante des meilleures pratiques de la voye active qui altèreroient ou interromproient la consistance de l'âme dans un état de détachement universel et de tranquillité. La raison qu'il en rend est encore 259 plus remarquable; c'est, dit-il, que les jeûnes, les veilles, la méditation de l'Ecriture, la privation de tous les secours, ne sont pas la perfection, mais les instruments ou moyens de la perfection. Ce n'est pas en ces pratiques que consiste la fin de notre discipline; elles n'en sont que le chemin; le terme, comme vous le voyez, qu'il faut preferer aux moyens, c'est la tranquillité et la pureté de l'âme.

Aussi Cassien avoist-il dit dez le commencement 1 que cet abbé Moyse étoit embrasé non seulement par l'actuelle contemplation, mais encore par la vertu contemplative. Vous voyez qu'il distingue la vertu contemplative, qui est l'oraison habituelle et continuelle, de la contemplation actuelle, qui est le temps où l'on suspend toute autre occupation pour contempler.                                                               

Il ajoute que Moyse n'ouvroit point la porte de la perfection à ceux qui ne la souhaittoient pas ou n'en étoient altérez qu'avec tiédeur, ni aux indignes ni aux dédaigneux; de peur de paroitre un homme qui se vante, ou de trahir ce mystere. On ne sauroit trop souvent remarquer cette économie et ce secret sur la perfection.                                

Ce même Moyse est si éloigné de condamner ce que nous verrons dans la doctrine de l'abbé Isaac sur l'oraison qu'en parlant de Marthe et de Marie, il dit que la part de Marie ne lui sera jamais ôtée 2, savoir la contemplation (et il ajoute), vous voyez que le Seigneur a mis le principal bien dans la contemplation seule; in sola Theoria, id est in Contemplatione divina. Le mot de sola est bien fort. Voicy sa conclusion encore plus forte.       

[§ 7] 1 Première Conférence.                                                                     

2 Ibid., Cassien et après lui Fénelon citent. Luc. xx, 41, 42.                      

Ainsi quoique nous jugions les autres vertus nécessaires et utiles, nous ne croyons pourtant les devoir mettre qu'au second degré, parce qu'on ne les recherche toutes qu'en vuê de cette chose unique dont Jésus-Christ dit : « Marthe, Marthe vous vous mettez en peine de plusieurs choses, il n'y en a qu'une de nécessaire. » Il a mis le souverain bien, non dans le travail quoique louable et abondant en fruits, mais dans la contemplation qui est véritablement simple 260 et une. Il déclare qu'il faut peu pour cette parfaitte béatitude qui est la Contemplation.

D'abord elle est dans la considération d'un petit nombre de Saints. Puis celui qui est encore dans le progrez s'élève et parvient par le secours divin à ce qui est appelé un, c'est-à-dire, au regard de Dieu seul afin que passant au-dessus des actions des Saints et de leurs fonctions admirables, il se repaisse désormais de la beauté et de la science de Dieu seul : ut scilicet etiam sanctorum actus, et minis-teria mirifica supergressus, solius dei jam pulchritudine scientiaque pascatur. On demande des preuves littérales; on n'a qu'à bien peser en toute rigueur grammaticale la force exclusive de ces termes : jam solius dei, le jam signifie désormais et emporte l'avenir absolu; et solius Dei exclut toute méditation des mysteres et des exemples. C'est comme quand saint Pierre dit : ut jam non desideriis hominum, etc... 3

3 « Ut jam non desideriis hominum sed voluntate Dei quod reliquum est in carne vivat temporis... » — afin de vivre non plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu, pendant le temps qui lui reste à vivre dans la chair (I Pierre rv, 2).

Il est donc clair qu'il y a une oraison continuelle que Moyse exclut et que nul Mystique moderne n'a jamais avancée, du moins je n'en ay vu aucun. Il y a une autre Oraison continuelle, que non seulement il ne condamne pas, mais qu'il autorise comme la vraye perfection à laquelle il faut tendre dans cette vie. Voila ce qui regarde l'abbé Moyse expliqué par lui-même.

Revenons à l'abbé Isaac dans la neuvième conférence, où nous verrons quelle est cette Oraison continuelle que le Solitaire doit croire non seulement possible ici bas, niais encore qu'il doit regarder comme l'unique but de la vie monastique.

[§ 8] Quand il parle d'un but, il ne veut point parler d'un but auquel on atteint aprez la mort, mais d'un but qui est dez cette vie la perfection de l'état monastique, et aprez lequel il ne reste plus rien. Car le but est le lieu où l'on s'arreste. C'est ce que nous allons voir. 261

Comme il a posé pour fondement de la contemplation la purgation des vices et l'acquisition des vertus, il traitte dans le chap. III de la pureté qui prépare à l'oraison. Dans le IV, il compare l'âme à une plume qui ne peut être enlevée par le souffle de l'Esprit divin, si elle est appesantie par l'humidité terrestre 1. Dans le V, il traitte des causes qui appesantissent l'âme. Dans le VI, il rapporte l'histoire d'un vieillard 2 qu'il finit en disant que d'autres affections empeschent l'union avec Dieu. Elles ne permettent pas, dit-il, que le solitaire quittant la lie terrestre respire vers Dieu, dans lequel son intention doit être toujours fixe; il doit croire que la moindre séparation de ce Souverain Bien luy est une mort présente et très funeste : non sinentes deposita fece terrena, ad deum, in quo semper debet esse fixa intentio, respirare monachum, cui ab illo summo bono vel parva separatio, mors prœsens ac perniciosissimus est intentas credendus. Voilà sans doute un but auquel on arrive, puisque le moindre instant qui en sépare, quand on y est arrivé est une mort funeste.

Voilà comment il conclut. Quand l'àme sera fondée dans une telle tranquillité, dégagée de tous les liens des passions charnelles, et attachée à cet unique Souverain Bien par cette très tenace intention du coeur, tenacissima tordis intentione, elle accomplira cette parole de l'Apôtre : priez sans intermission 3. Voila donc un enseignement de l'Apôtre qui s'accomplit ici bas par un regard fixe de Dieu seul en lui-même, par une intention qui ne lâche jamais prise — tenacissirna intentione. Il n'est pas question d'être dans cette Contemplation passagerement; il faut y être

[§ 8] 1 « Notre âme, écrit Cassien, ressemble à une plume très légère qui peut s'élever naturellement vers le ciel au moindre souffle, lorsqu'elle n'est pas appesantie par l'humidité ou par une autre cause extérieure; mais si l'eau la pénètre, elle perdra sa légèreté et ne pourra plus voler dans les airs le poids de l'eau la retiendra en bas. »

2 H s'agit d'uni solitaire qui s'épuisait à tailler la pierre et qu'un démon trompait en le persuadant de l'utilité de ce travail. Fénelon n'insiste pas sur la démonologie pittoresque qui affleure parfois chez 'Cassien. Au contraire il commente et développe le dernier paragraphe qui traite de la paix spirituelle.

3 I. Thess., y, 17.

263 établi, y être immobile, y être fondé avec tranquillité, et regarder la moindre interruption comme la mort de l'âme.

Dans cette puretté 4, dit-il, le sens de l'esprit étant pour ainsi dire absorbé, sensu mentis absorpto, et étant purifié de l'impureté terrestre pour être transformé en une ressemblance spirituelle et angelique, tout ce que l'âme reçoit, tout ce qu'elle traille, tout ce qu'elle fait, sera une très pure et très sincère Oraison.

4 Sic dans la copie de Saint-Sulpice.

On ne peut plus douter que dans celte disposition fixe et habituelle de l'âme, il ne reconnoisse une Oraison en cette vie sans aucune interruption. Cette Oraison ne se fait point par ne faire jamais autre chose. Si on prenoit l'oraison en ce sens, elle seroit souvent interrompüe, et il n'y a que les Bienheureux qui la fassent ainsi. Mais c'est une Oraison secrette et intime, qui se trouve dans toutes les actions communes de la vie. Ce n'est pas encore assez dire. Il faut ajouter qu'en cet état tout ce qu'on fait de plus commun est cette très pure Oraison. Rien ne peut l'interrompre que les distractions. Tant que la volonté n'est point distraitte, l'âme demeure dans son intention qui ne lache jamais prise — tenacissima tordis intentione, et elle n'est point détournée de son oraison par les égarements involontaires ni des sens, ni de l'imagination, ni même de l'esprit ou pensée. Voilà précisément ce que disent les Mystiques modernes. Ils n'en demandent pas davantage 5.

5 Ce paragraphe de Fénelon est une interprétation juste mais très développée de la phrase de Cassien : « Tout ce que l'âme entend, tout cc qu'elle dit, tout cc qu'elle fait, devient pour elle une prière très pure et très sincère. »

[§ 9] Dans le VIIe chapitre il examine s'il est plus difficile de garder les bonnes pensées que d'en exciter. Vous voyez que cela va toujours peu à peu au but, qui est la présence habituelle de Dieu. Dans le VIIIe chapitre il propose plusieurs sortes d'Oraison 1. Dans le IXe il en marque quatre sortes, dont saint Paul a parlé, savoir les Obsecrations, 263

 [§ 9] 1, Il est étrange que le grand psychologue qu'est Fénelon n'ait pas cherché à' détailler la formule de ;Cassien : a Il y a autant de prières qu'il y a dans l'âme, ou plutôt dans les âmes, de dispositions et d'états. »

Oraisons, Postulations, et Actions de graces 2. Il les explique toutes dans le Xe, dans le XIe, dans le XIIe, XIIIe, XIVe, XVe et XVIe. Il dit dans le XVIIe que Jésus-Christ a prié de ces quatre sortes d'Oraison pour nous en donner l'exemple. D'où il faut conclure qu'il ne s'ensuit pas qu'une Oraison soit la plus parfaitte de ce que J. C. l'a pratiquée. Car il dïra ensuitte qu'il y a une autre sorte d'Oraison, au-dessus de ces quatre sortes ci-dessus marquées. Dans le XVIIIe chapitre, il dit qu'il [§ 10] y a un autre état plus élevé et plus sublime que ces espèces de supplications : sublimior adhuc status ac priecelsior sub-sequitur. Voilà le terme d'état sur lequel on fait tant d'efforts inutiles et de subtilitez. C'est un état plus élevé que celui de ces quatre autres Oraisons et le mot de subsequitur marque un ordre, une suitte, et des degrez subordonnez dans la vie intérieure. Mais quel est cet état sublime ? Il se forme, dit-il, par la Contemplation de Dieu seul et par l'ardeur de la charité. L'âme résolue en cet amour et rejettée très familièrement en Dieu converse avec lui comme avec son Père dans une piété singulière. Contemplatione dei solius, et charitatis ardore formatur per quam mens in illius dilectionem resoluta, et rejecta familiarissime Deo, velut Patri proprio, peculiari pietate colloquitur.

Voilà la contemplation de Dieu seul, à l'exclusion de toute autre chose, quelque utile et nécessaire qu'elle paroisse, comme disoit l'abbé Moyse. La voilà cette Contemplation par état, tranquille et immobile. Elle se fait par une purgation et une reformation de l'homme en la ressemblance des Anges. Les mots de resoluta et de rejecta représentent l'âme fondue et jettée passivement dans le pur amour 1. C'est ce qui produit une familiarité incompréhensible avec Dieu.

2 I, Tim., II, 1 : « Obsecro igitur primum omnium fieri obsecrationes, orationes, postulationes, gratiarum actiones pro omnibus hominihus.

[§ 10] 1 Voilà enfin le but de Fénelon découvert : décrire le pur amour dans les termes de Cassien; amour extatique puisque la charité n'a d'autre fin que Dieu; amour a apathique» puisque toujours tendant d'une volonté immuable, à Dieu seul; amour désapproprié puisque, comme l'écrit Cassien : c Quand nous serons élevés à cet état d'enfant de Dieu, et que nous brûlerons d'une vraie tendresse filiale, nous ne penserons plus à nos intérêts, mais seulement it la gloire de notre Père, et nous dirons : Que votre nom soit sanctifié. »

 

264 Voilà sans doute l'oraison sans interruption qui aime toujours, qui prie toujours suivant le principe de saint Augustin, qui se laisse toujours passivement à l'Esprit de Dieu, ne cesse point d'aimer en la manière la plus parfaitte, ni par conséquent de prier. Celui en qui Dieu opère sans cesse, et qui se délaisse sans cesse totalement à l'opération divine, ne laisse point d'être dans la plus pure et la plus sincère Oraison, quoi qu'il n'ait pas toujours une pensée actuelle et distincte de Dieu.                                                  

La formule, dit-il, de l'Oraison dominicale nous a appris à rechercher soigneusement cet état. Voilà le mot d'état encore répété. L'Oraison dominicale n'est qu'une formule, à laquelle il ne faut point se borner. Elle ne nous est donnée que pour chercher cet état de Contemplation avec grand soin. Elle n'en est que le moyen, la voye, la formule préparatoire. Ensuitte il explique en détail le Pater. Il dit que quand nous serons élevez à cet ordre et à ce degré des enfans, in quem filiorum ordinem gradumque provecti, illa continua quae est in bonis filiis pietate flagrabimus, nous serons brûlants de cette piété filiale déjà marquée ci-dessus. Et le terme de continuelle nous fait reconnoitre cette Oraison continuelle dont le Pater n'est que le chemin.                                                      

[§ 11] Quand nous serons arrivez, nous ne répandrons plus alors nos affections pour nos propres utilitez, mais pour la gloire de notre Père — sanctificetur nom en tuum. Voilà sans doute l'amour pur et désintéressé qui ne se compte plus pour rien : témoignants, dit-il, que tout notre désir et toute notre joye est de la gloire de notre Père; imitants celui qui dit 1 : quiconque parle de soi-même cherche sa propre gloire, etc...

[§ 11] Jean, vii, 18.                                                                                                                                                         

Saint Paul vase d'élection plein de ce sentiment 2 souhaitte d'être fait anathème par Jésus-Christ pour ses frères, pourvu qu'il lui acquière une nombreuse famille. 265 Michée 3 veut être menteur et aliéné de l'inspiration du Saint Esprit, pourvu qu'il détourne de dessus le peuple de Dieu les playes qu'il a prédittes. Moyse 4 dit : ou remettez leur cette faute, ou si vous ne le failles, effacez moi de ce livre que vous avez écrit.

2 Rom., ix, 3.   

3 Michée II, 11.

Voilà trois exemples d'hommes qui ont renoncé pour Dieu à tout interest sans exception. C'est ainsi qu'il faut que le Contemplatif aime Dieu : il ne dit le Pater que pour entrer dans cet amour. Voilà l'abandon total, et l'Oraison continuelle qui sont inséparables. Mais enfin voilà un état où l'âme ne forme plus aucun désir ni demande pour elle même. Cet état n'est pas celui de l'âme qui dit le Pater, car le Pater a encore vers la fin diverses demandes : mais c'est un état d'immobile tranquillité, d'oraison pure et continuelle, de regard fixe de Dieu seul, état auquel le Pater prépare l'âme fidelle.

[§ 12] Dans les chapitres XIX et XX il explique les demandes du Pater, et il dit que quand on prononce ces mots : « que votre volonté se fasse sur la terre comme dans le ciel », on veut dire que la terre soit égale au ciel, l'Oraison, (lit-il, ne peut être plus grande. Ce sera alors, dit-il, que s'accomplira ce que dit Isaye — omnis voluntas mea fiet in eis 1. Aprez avoir examiné les demandes du reste du Pater dans les chapitres XXI, XXII, XXIII, et XXIV, il remarque dans ce dernier chapitre qu'il ne faut demander rien de temporel. Donc l'état suivant, qui exclut toute demande pour notre utilité, exclura même les demandes pour l'utilité spirituelle.        

[13] Le chapitre XXV doit être rapporté tout entier, tant il est fort. Cette Oraison (dit-il, parlant de la dominicale), quoiqu'elle paroisse contenir la plénitude de la perfection, comme étant instituée par l'autorité du Seigneur, élève néanmoins ses domestiques 1 à cet état plus élevé que nous avons déjà marqué, cet état d'immobile tranquillité (l'oraison sans intermission, le pur amour, la 

4 Exod., xxxii, 31-32.      

[§ 12] 1, Isaïe, 46.            

[§ 13] 1, Nous dirions plutôt : « Ceux qui lui sont fidèles...             

                                                                             

266 fonte de l'âme) et les mène à cette Oraison de feu connuë et éprouvée de très peu de gens; ou pour mieux dire, à cette Oraison ineffable par l'éminence de son degré, laquelle transcendant au-dessus de tout sens humain, n'est plus distincte, ni par le son de la voix, ni par le mouvement de la langue, ni par aucuns mots articulez. Ceci n'exclut pas seulement l'Oraison vocale, mais encore toute distinction de ternie et toute expression même intérieure. C'est ce que signifie le mot d'ineffable. C'est une Oraison que l'âme éclairée par l'infusion de cette lumière céleste ne désigne plus par les expressions humaines, qui sont trop étraittes; mais qu'elle répand largement comme d'une abondante fontaine, par des sentiments conglobez 2, et qu'elle pousse ineffablement au Seigneur, produisant dans ce très court moment tant de choses, que l'âme ne peut facilement ni les exprimer, ni même les parcourir, quand elle est revenue à elle. J'avoue que voilà un état qui n'est encore que passager et court; l'âme revient à elle-même; mais cet état est au moins passif, puisque par l'infusion céleste les sentiments sont conglobez. Commençons par établir bien cet état pour le connoitre dans toute son étenduë, puis nous examinerons si ce qui est d'abord passager, devient dans la suite fixe et habituel.

2 L'idée est que l'âme en cette oraison déborde d'affection et dit tant de choses à la fois qu'elle ne peut les dire et même se les rappeler.

[§ 14] Il faut même remarquer qu'il y a non seulement dans les commençants, mais encore dans les âmes consommées, une extrême différence entre les communications que Dieu leur fait, et l'état de la volonté en eux.

Les communications divines sont souvent passagères et courtes : elles vont, elles viennent; Dieu les donne, il les ôte; ce n'est point là l'état; ce n'est qu'un accident de l'état. L'état, c'est l'immobilité de l'âme toujours pure et détachée de tout ce qui n'est pas Dieu, toujours également tranquille, soit que l'esprit souffle ou ne souffle pas pour les communications distinctes, toujours fidellement passive pour se prester à toutes les opérations de Dieu. Voilà l'état qui est une disposition habituelle, et qui n'empesche pas 267 que l'âme aprez certaines communications ne demeure comme vuide, et dans un état où elle revient à elle, non pour s'en occuper par quelque intérest, mais pour voir ce que Dieu lui montre qu'il a opéré en elle. Cette vuè de soi en cette manière, loin d'être une interruption de la passivité, en est un exercice très pur 1.

[§ 14] 1, Ce paragraphe est essentiel : il distingue en effet entre la forme habituelle de l'oraison passive et ses moments extraordinaires. On voit le désir de Fénelon de « normaliser » la vie mystique.

 

[§ 15] Dans le chapitre XXVI, il reprend les choses de la voye active pour arriver au but, il parle des moyens d'exciter la ferveur. Le chapitre XXVII continue la même matière. Le XXVIIIe et le XXIXe parlent des larmes 1.

[§ 15] 1 Le thème des « larmes » revient fréquemment dans les ouvrages spirituels du temps, et l'on peut s'étonner que Fénelon n'y ait pas prêté plus d'importance. A titre d'exemple, nous signalons ici l'ouvrage anonyme d'un chartreux : La Psalmodie inférieure de l'Office des Morts, ouvrage dont nous possédons un exemplaire publié à Grenoble en 1699. A la page 405 le pieux auteur médite sur le verset du Psaume 41 : Fuerunt mihi lacrymae meae panes die ac nocte dura dicifur mihi quotidie, uhi est Deus tuus.

Haec recordatus sum et effudi in me animam meam : quoniam transiho in locum fabernaculi admirahilis, Heine ad domum Dei.

« ... C'est aussi ce qui étoit le sujet des larmes que le saint Prophète répandoit de jour et de nuit, en ressentant que nonobstant la bonne volonté qu'il avoit d'être tout à Dieu... il étoit ainsi attaqué de la servitude de la cupidité...

« On peut aussi entendre ces paroles de David, de l'âme qui ayant goûté Dieu, et étant élevée à la contemplation des choses célestes, se lasse d'être dans cette vie mortelle, qui est une vallée de larmes; et- s'afflige d'être toujours sujette aux attaques et aux dangers.

 

Le XXXe est remarquable. Il ne faut pas néanmoins, dit-il, extorquer ainsi cette profusion de larmes de ceux qui ont déjà passé au delà de l'affection des vertus, ni chercher beaucoup ces gémissements de l'homme extérieur, lesquels quand même ils seroient excitez, de quelque manière que ce soit, ne pourront jamais atteindre à cette profusion de larmes qui coulent d'elles mêmes : car distrayant par leurs efforts l'âme de celui qui est en Oraison, elles le rabaissent, le plongent en bas, et le font déchoir de cette sublimité céleste dans laquelle l'âme de celui qui prie, étonnée, doit être fixe indéclinablement, et en relaschant 268          son attention, la feront languir pour des petites gouttes de larmes stériles et contraintes.

Voilà sans doute ce que les Mystiques appellent la passiveté qui exclut les efforts. Les larmes excitées ne sont rien en comparaison des données. Il ne faut point chercher ces dévotions sensibles dans ceux qui ont passé au delà de l'affection des vertus. Il y a donc un état où cette afection des vertus n'est plus de saison. En cet état toute vertu excitée rabaisse l'âme, la distrait, relasche son attention, la plonge en bas, la fait déchoir de la céleste sublimité, la fait languir dans des pratiques forcées et stériles. Mais quelle est-elle donc cette céleste sublimité ? C'est d'être étonnée 2, c'est d'être fixe indéclinablement. Les Mystiques qu'on croit les plus outrez, n'ont jamais rien dit de plus fort. Voilà un regard fixe et indéclinable qu'il ne faut pas interrompre, même pour s'exciter à la pénitence. Si les actes les plus essentiels de la vertu active ne doivent plus l'interrompre, qu'est-ce qui l'interrompra ?

[§ 16] Aprez avoir avancé une chose si hardie, il sent qu'il a besoin de quelque autorité. C'est pourquoy dans le chapitre XXXI il cite la plus grande qu'on puisse citer sur la vie intérieure, aprU celle des Apôtres et des hommes apostoliques — ut orationis verie percipiatis affectum non meam vobis sed B. Antoni sententiam proferam 1. Saint Antoine 2, dit-il, persévéroit tellement dans l'Oraison, qu'il

2 Si l'on suit Cassien « l'étonnement » lui-même est en fait passager. Cf. § 27 : « Quelquefois au contraire l'âme se renferme dans un profond silence; l'étonnement où la jette cette illumination subite lui ôte la parole; tous ses sens sont suspendus, et elle n'a plus, pour élever ses désirs vers Dieu, que des gémissements inénarrables. D'autres fois, le coeur éprouve une componction et une douleur si vives qu'il n'a, pour se soulager, que l'abondance de ses larmes. »

Larmes et étonnement ne sont pas dans la norme de la passivité habituelle. Fénelon dans ce paragraphe passe insensiblement de l'état passif aux « accidents », comme il dit lui-même, qui peuvent l'accompagner.

[§ 16] 1 « Pour vous faire concevoir ce que c'est qu'une véritable prière, je vais vous rapporter non pas mes sentiments, mais ceux de saint Antoine. »

2 On sait l'influence considérable de saint Antoine dans l'antiquité : il fut le grand maître de la vie anachorétique. La Vita Antonii fut l'une des lectures préférées des fidèles et, dans ses Confessions, saint Augustin rappelle l'impression profonde que firent sur lui et sur Alypius les récits de Ponticianus sur saint Antoine. C'est à Saint Athanase que nous devons la Vita Antonii. Né vers 250, saint Antoine serait mort vers 355. Sa vie abonde en faits miraculeux.

 

 

269 se plaignoit quand le jour commençoit à paroitre. Voici, dit Cassien, une sentence de lui qui est céleste et plus qu'humaine sur le but de l'Oraison. L'oraison n'est point parfaitte, quand le Solitaire apperçoit encore qu'il prie, ou ce qu'il prie : « Non est perfecia in qua Monachus, vel hoc ipsum quod oral intelligit. »

Vous voyez qu'il apporte cette autorité pour exclure les vertus excitées de cette sublime Oraison. Et il ajoute que cette Oraison dont parle saint Antoine est celle qu'il a entrepris d'expliquer savoir la perpétuelle immobilité de l'âme.

[§ 17] Le chapitre XXXI montre combien Isaac entend parler d'une voye passive. Lors, dit-il, que nulle hésitation ne nous arrestera dans la prière, et ne nous fera désespérer de notre demande, si nous sentons dans le moment de notre demande que nous obtenons ce que nous demandons, ne doutons point que notre prière n'ait pénétré efficacement jusqu'à Dieu; chacun méritera d'être exaucé et d'obtenir autant qu'il croira être regardé de Dieu, et que Dieu peut lui accorder. Car cette parole du Seigneur est irrévocable : tout ce que Vous demanderez en priant, croyez que vous le recevrez etc...1.

Il réduit tout au sentiment intérieur. Dans le voye active ce seroit présomption, ce seroit tenter Dieu. Il veut que le mouvement intérieur fasse une pleine certitude : il faut donc que ce soit une chose inspirée. Aussi voyons nous que saint Clément dit que son Gnostique 2 n'a pas encore

 [§ 17] 1, Marc, II, 24. Il s'agit essentiellement de demandes qui n'ont rien de mondain ou de superficiel. Dieu nous faisant demander par sa grâce les biens véritables et éternels.

2 Clément d'Alexandrie, Stromates, VI. Cette citation se retrouve dans Autorités des Pères grecs qui font suite aux Justifications de Mme Guyon, t. III, p. 294. Article XI:

« Dieu accorde ce que demandent dans leurs prières ceux qui n'ont pas cru fermement, et qui se sont repentis de leurs péchés : mais à ceux qui vivent sans péché et. gnostiquement, Dieu le leur accorde lorsqu'ils ne font seulement que penser. Le gnostique prie donc en esprit à toute heure, vivant familièrement avec Dieu par la charité : Et premièrement il demande la rémission des péchés; ensuite de ne plus pécher; et puis de pouvoir bien faire, et de connoitre les ouvrages et Ptreonomie du Seigneur, afin qu'étant rendu pur de coeur par l'épignose qui vient du Fils de Dieu, il soit invité à l'heureuse vision de face à face. »

 

270 achevé sa demande, qu'elle est exaucée, suivant cette parole du Prophète : avant qu'ils crient il les exaucerait 3. Le même esprit qui désire et qui demande dans l'âme passive, exauce dans le moment. On ne peut point parler ainsi des demandes de la voye active, que notre esprit excite en nous et que Dieu rejette souvent.

La promesse de Jésus-Christ prise dans toute l'étendue de la lettre ne regarde que les demandes que son Esprit intérieur imprime en nous : elles sont toutes exaucées à cause de la révérence 4 de l'Esprit qui les fait.

Pourvu que nous n'hésitions point dans la foi, quand elle nous est ainsi mise au coeur, et que notre esprit par ses doutes n'arreste point l'impression soudaine de celui de Dieu, nous transporterions des montagnes selon sa promesse.

Il paroit par là qu'Isaac demande même des commencements de voye passive, dans les choses qui sont encore de la voye active 5. Il conclut au chapitre XXXIV qu'il faut finir toutes les demandes en disant à Dieu : Verum tamen non sicut ego volo sed sicut tu — neanmoins qu'il arrive selon votre volonté et non selon la mienne 6.

[§ 18] Le XXXIVe et le XXXVe chapitre parlent des dispositions, avec lesquelles il faut prier, et de ce qu'il faut prier en secret pour être plus recueilli, et pour n'être point veu du prochain.

3 Isaïe, 65, 24.

4 Révérence : la crainte respectueuse.

5 Demander en effet semble plutôt une activité de l'esprit ; mais demander de faire parfaitement la volonté de Dieu, c'est se conformer par avance à ce qui fait l'essence de la vie passive.

Cf. Cassien, Conférence IX, c. 34 : a Dieu lui-même, dans son désir de nous accorder les biens célestes et éternels, nous exhorte à lui faire violence par nos importunités, qu'il ne méprise pas, qu'il ne repousse pas, mais qu'il loue au contraire et qu'il réclame, promettant d'écouter avec bonté ceux qui espèrent avec persévérance. »

6 Matth., xxvi, 39.

 

271 Le XXXVIe et dernier chapitre recommande une Oraison fréquente et courte : frequenter quidem, sed breviter est orandum, ne immorantillus nobis, inserere aliquid nostro cordi insidiator possit inimicus. Vous voyez qu'il s'agit de ceux qui commencent cette voye d'Oraison qu'il a entrepris d'expliquer dans toute cette Conférence. Une trop longue oraison pourroit donner prise à l'ennemi dans une âme encore imparfaitte. C'est aussi ce que les Mystiques modernes recommandent aux commençants pour l'oraison de silence. Ils veulent qu'ils ne la fassent pas trop longtemps, et qu'ils reprennent même souvent la Méditation.

Au reste, cette Oraison est selon lui l'oblation salutaire, les libations pures, le sacrifice de justice et de louanges, les véritables victimes, l'holocauste et... en un mot toute la religion. Quoique la Conférence eût beaucoup duré, dit Cassien, et que plusieurs choses nous parussent là au-dessus de la mesure de notre faiblesse, nous crumes pourtant la Conférence courte, à cause de la sublimité et de la difficulté de la matière. Etant plus etonnez que remplis de ces Saints discours, nous allâmes etc... devant retourner dez le point du jour pour demander une plus ample instruction, nous réjouissant des préceptes déjà receux, et de la certitude de ceux qui nous étoient promis : car nous avions bien apperçu qu'Isaac nous avoit seulement montré par avance (proemonstratam) l'excellence de cette Oraison, mais que nous n'en avions point entièrement compris l'ordre et la vertu par laquelle il faut acquérir ou conserver sa perpétuité : ordinem vero atque virtutem, qua etiam perpetuitas ejus vel acquirenda vel tenenda, necdunz nos integre perce pisse illis disputationibus senseramus.

Voilà donc l'étonnement naturel à des hommes, à qui cette doctrine d'Oraison avoit été jusqu'alors inouiP. Cassien et Germain en sont d'abord plus étonnez qu'instruits. L'impatience d'achever suit de prez la surprise. Ils .avoient entendu bien des choses nouvelles. Mais ils comp-toient qu'il s'en fallait beaucoup qu'ils ne sçussent tout. Isaac leur avoit promis d'achever dans une nouvelle Conférence.

[§ 18] 1, Inouïe : inconnue.

272 Ils n'avoient encore veu que comme par avance l'excellence de cette raison. Il s'agissait de bien entendre son ordre et sa vertu. Son ordre signifie sans doute par quels degrez on y parvient, sa vertu marque l'état où elle y doit opérer. Cet ordre et cette vertu ont besoin d'être bien compris, parce qu'il faut en acquérir la perpétuité si on ne l'a pas encore, et la conserver si on l'a déjà.

Voilà donc sans doute l'Oraison de simple présence de Dieu, sans retour sur soi, sans désir, sans demande distincte, telle qu'Isaac la dépeint dans saint Antoine et dans les autres Solitaires les plus parfaits. Jusques ici nous n'avons pas encore entièrement veu un état habituel et fixe. Mais c'est ce qui est réservé à la Dixième conference : car la perpétuelle immobilité de l'âme est l'unique fin dans ces deux discours 2.

2 Fénelon dégage les deux conférences de l'anecdote et des méditations diverses, pour ne s'intéresser qu'à ce qui en fait le thème général : la prière, et plus précisément encore l'état de « perpétuelle immobilité », l’apateia à laquelle l'âme se destine.

***

CONFERENCE DIXIEME

[§ 19] Dans le premier chapitre il avertit qu'il mesle expres aux sublimes instructions des Anachorètes certaines disgressions : c'est pour les éclaircir de même que saint Clément 1. Dans le second il parle de la coutume de l'Égypte pour célébrer la Pasque. Dans le troisième il raconte l'histoire de Serapion tombé dans l'erreur des Antropomor-phites 2. Dans le quatrième à propos de Sérapion 3, Cassien et Germain demandent à Isaac une instruction nouvelle pour parvenir à cette qualité d'Oraison dont il leur avoit

 [§ 191 1 De même que : de la même manière que.

2 Antropomorphites : Ces hérétiques attribuaient à Dieu une forme humaine en interprétant mal quelques passages de l'Écriture.

3 Sérapion était un solitaire, renommé pour ses vertus, qui était tombé dans l'erreur en question. Cassien raconte sa conversion et l'explication du passage de la Genèse : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » par le diacre Photin.

273 parlé si magnifiquement. Elle nous étonne, disent-ils et nous ne savons comment y parvenir.

Dans le cinquième Isaac parle de l'erreur des Gentils sur la Divinité, de celle des Antropomorphites, et passe au Catholique qui peut parvenir, dit-il, à cette très pure qualité d'Oraison, qui ne meslera dans sa supplication non seulement aucune image de la Divinité (ce qu'il n'est pas même permis de dire), ni aucun linéament corporel, mais encore qui n'admettra en soi la mémoire d'aucune parole et d'aucune action, ni l'espèce ou forme d'aucun caractère : nec ullam in se memoriam dicti cujusdam vel facti speciem seu formam cujuslibet characteris admittet 4.

Voilà manifestement une qualité d'oraison qui exclut toute méditation des mystères mêmes de Jésus-Christ 5. Car on ne peut les méditer sans mémoire des paroles et des faits. Cette Oraison est la plus pure [de toutes] et on peut y parvenir : ad illam orationis purissimam perveniet.

[§ 20 Dans le chapitre sixième il dit que c'est à proportion de cette pureté que chacun s'élève et se forme dans l'oraison, c'est-à-dire, qu'il se retire de la considération des choses matérielles autant qu'il est pur et qu'il regarde Jesus par des regards intérieurs, ou comme dans sa chair

4 Il s'agit donc de préciser à travers Cassien ce qu'est une oraison non conceptuelle.

5 Fénelon outre la pensée de Cassien qui parle tout au contraire, dès le paragraphe suivant, de la place de Jésus-Christ dans la contemplation : « Plus l'âme s'éloigne de la vue des choses matérielles et terrestres, plus elle se purifie et voit intérieurement Jésus-Christ dans les abaissements de sa vie ou dans la majesté de sa gloire. » ,Cassien toutefois admet une connaissance plus haute de la vie du Christ : « Celui-là ne pourra voir Jésus-Christ dans toute sa puissance s'il est encore faible comme les Juifs, et il ne dira pas avec l'Apôtre : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, « nous ne le connaissons plus ainsi maintenant » (II cor., 16). Ceux-là seulement contemplant la Divinité d'un oeil très pur, qui s'éloignent des eruvres et des pensées basses et terrestres, pour monter avec lui sur la montagne élevée de la solitude où, libres du tumulte des passions et affranchis de tous les vices, ils contemplent à la clarté de leur foi et du haut de leur vertu la gloire et la beauté de son visage, que méritent de voir ceux qui ont le coeur pur. »

274 charnel ou comme glorifié 1 : si nous avons connu, dit saint Paul, le Christ selon la chair, nous ne le connoissons plus de même. Nous voyons un dessein suivi; il s'agit de la plus pure Oraison qui n'admet plus ni espèce ni mémoire, ni trace d'aucun fait, ni d'aucune parole distincte : en cet état on ne regarde plus le Christ selon la chair. Ceux-ci, dit Isaac, sont seuls à contempler sa Divinité avec des yeux très purs s'élevant au-dessus des oeuvres basses et terrestres : ils se retirent avec lui dans la solitude d'une haute montagne. Il révèle par une foi très pure la gloire de sa face à ceux qui méritent de le voir par les yeux très purs de l'ame a... Les troupes du peuple le voyent aussi; mais non dans cette clarté, ne pouvant monter sur la montagne. Retirons nous donc avec lui, dit Isaac, afin que dans ce corps mortel nous ayons une ressemblance de la béatitude promise, et que Dieu nous soit toutes choses en tout.

[§ 20] 1 III Cor., Y, 16.                                  

2 Voir note 5, p. 173 (note ci-dessus).                                          

[§ 21] Voici le septieme chapitre tout entier. Cette demande du Seigneur sera alors parfaitement accomplie en nous, cette Oraison, dis-je, par laquelle il demande à son Pere : que l'amour dont vous m'avez aimé soit en eux, et eux en nous, et encore qu'ils soient un, comme vous estes en moi et moi en vous, que de même ils soient un en nous Cette prière, dis-je, s'accomplira quand le parfait amour de Dieu, dont il nous a aimés le premier, passera dans notre coeur, la demande du Seigneur que nous ne croyons point pouvoir être sans effet, étant accomplie.

[§ 21] 1 Jean, xvii, 21.

Cela arrivera lorsque tout amour, tout désir, toute affection, tout effort, toute pensée en nous, tout ce que nous voyons, disons, espérons, sera Dieu; et que cette unité qui est maintenant du Père avec le Fils et du Fils avec le Père, sera transfuse dans notre âme : afin que comme il nous aime d'une sincère, pure et indissoluble charité, nous soyons de même unis à lui par une charité perpétuelle et inséparable, étant unis à Lui en sorte que tout ce que nous espérons, concevons et disons soit Dieu; arrivant de la sorte à la fin cy-dessus marquée, dont le Seigneur dans sa prière 275 a désiré l'accomplissement : qu'ils soient un comme nous ne sommes qu'un, moi en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient aussi consommez en un 2.

2 Fénelon, après Cassien, a aimé méditer l'évangile de saint Jean (cf. Mémoire sur l'État Passif). Dans une très large mesure, le pur amour est précisément insertion de l'homme dans la vie de la Trinité, l'homme aimant Dieu le Père par l'amour dont le Christ l'aime, le Saint-Esprit représentant l'amour qui va du Père au Fils et du Fils au Père.                                          

Telle est, dit Isaac, la destination du Solitaire; tel est le but auquel il doit tendre, afin qu'il mérite de posséder dans ce corps l'image de la future béatitude, et gouster par avance dans ce petit vase en quelque maniere un arrhe de la conversation et de la gloire céleste. C'est là, dis-je, le terme de toute perfection que l'ame soit tellement exténuée de tout ce qui est charnel, qu'elle s'élève chaque jour aux choses spirituelles jusqu'à ce que toute sa conversation et le mouvement de son coeur soit une seule et continuelle Oraison.                                      

[§ 22] Voila un Amour fixe, indissoluble, inséparable, très permanent. Voilà la perpétuelle et immobile tranquillité en Dieu dans ce corps mortel. Voilà ce que les Mystiques aprez saint Denys 1 et saint Clement nomment la Déification de l'ame. Alors tout ce qu'elle voit est Dieu. tout ce qu'elle opère est Dieu. Combien ces expressions dans un Mystique moderne scandaliseroient-elles un Docteur spéculatif et sans expérience ? Mais on les lit dans les Anciens sans les remarquer, parce que ce n'est pas ce qu'on y cherche.                     

Voilà ce que les Mystiques veulent dire quand ils parlent d'une union sans moyens. On ne tient plus à Dieu par les dons mais par lui-même, et par l'amour du Pere et du                

[§ 22] 1 Cf. Mémoire sur l'État Passif. Cf. Gnostique. Fénelon retrouve un de ses thèmes favoris. Le lyrisme de Cassien a ébranlé manifestement sa pensée : « C'est là le but que doit se proposer un religieux : c'est vers cette image de la béatitude éternelle qu'il doit tendre, afin de mériter, de goûter dans le vase fragile de son corps, les prémices, les arrhes de ce bonheur, de cette gloire qui l'attendent au ciel. Oui, la véritable perfection pour l'àme est de se dépouiller de tout ce qui est charnel, pour s'élever de plus en plus vers les choses célestes, jusqu'à ce que toute sa vie, tous les mouvements de son coeur, deviennent une continuelle prière... (Cassien, Xe Conf., VII).

                                         

277 Fils transfus en nous. On ne s'unit plus à Dieu par efforts passagers, par actes réfleschis et interrompus; mais on y demeure toujours habituellement et inséparablement uni. On est un avec lui comme le Fils avec le Père. On est consommé dans l'unité; et ce qui est très remarquable, c'est que Cassien employe précisément le même passage que les Mystiques Modernes pour prouver cette déification et cette consommation de l'âme. Que si on doute encore de cet état fixe et habituel, j'avoue que je ne connois plus de terme dans le langage des hommes, au delà de ceux que Cassien répète tant de fois pour prévenir les doutes.

Voilà la multiplicité des actes passagers et refleschis d'amour, de désir, d'espérance, de vigilance, tous les efforts, toutes les demandes, toutes les pensées, toutes les opérations intérieures réduites à quelque chose qui est uniquement Dieu, et Dieu par état, et un état d'oraison simple et continuelle et immobile qui se fait par l'exténuation de l'âme, c'est-à-dire de ses puissances, et où tous les mouvements du coeur ne sont qu'oraison.

En vérité si je voulois faire des passages exprez, je ne pourrois pas en faire autrement; peut-être même aurois-je honte de les faire si forts. Un Docteur qui croiroit ces expressions de quelque Moderne, les censureroit comme abominables.

[§ 23] Dans le huitième chapitre, Germain demande les premiers éléments pour cette discipline parfaitte, ut a quibusdam mollibus incipiens rudimentis, facilioribus primum ac tenerrimis initiis imbuatur. Puis il fait une comparaison d'un enfant qui apprend les lettres de l'alphabet avant que de pouvoir les joindre pour former les syllabes; il demande que de même on l'introduise pour la méditation dans la pensée de Dieu, qua meditatione teneatur vel cogitetur Deus. Enfin, dit-il, comment peut-on conserver immobilement ce bien : immobititer custodire car nous ne doutons point que ce ne soit le comble de la perfection.

Dans le neuvième chapitre, Isaac se rend à ses instances. Le désir si pur de cette oraison, dit-il, en est comme un commencement : ainsi je ne crains point de comettre une légèreté, ni de trahir le secret, en vous developpant ici sur la perfection de l'Oraison, ce qui manquoit à l'entretien précédent.

[§ 24] Dans le dixième chapitre, il reprend la comparaison de Germain. Il faut donc, dit-il, vous donner une formule de cette théorie spirituelle, comme on donne aux enfants des caractères de cire pour leur apprendre à lire. Attachez-vous, dit-il, à cette formule — tenacissime, indisrupta jugitate — très tenacement avec une continuité sans interruption, afin que par son usage et sa méditation vous puissiez monter à des plus sublimes regards — vel subli-miores intuitus scandere illius usu ac meditalione possitis.

Voilà donc une formule qui ne sera qu'un rudiment grossier, que les premiers éléments de la doctrine, que les caractères de cire qu'on donne aux enfants, et qu'ils quittent dez qu'ils savent un peu épeler. La formule n'est donc que passagère, et c'est l'oraison très pure, immobile et continuelle, sans images, sans mémoire ni de parole, ni d'action, qui lui sera substituée et qui est le terme où le solitaire doit s'arrester par état.

Cette formule donnée par les plus anciens Peres est : Deus in ajutorium meum intende 1. Vous remarquerez qu'au lieu de celle-là Gregoire Lopez 2 avoit pris : Fiat voluntas tua. Un Docteur spéculatif n'auroit garde de se contenter de cette formule; il exigeroit des actes distincts, d'espérance, de contrition, de foi et d'amour, des demandes expresses pour se conformer aux prières de toute l'Eglise, des retours sur soi-même pour s'examiner et pour accomplir le précepte essentiel de la vigilance. Mais le saint abbé Isaac moins attaché à la lettre de la loi a dit que cette formule et elle seule contient eminemment toutes les pratiques de religion. Elle réunit tout. Ce petit verset, dit Isaac, reçoit toutes sortes d'affections, et s'accomode à tout état; il comprend l'invocation, l'humilité, la sollicitude, la vigilance, la considération de sa fragilité, la confiance: il est le remède à tous les maux et à tous les dangers; il est l'âme

[§ 24] 1 Ps. 69-2.

2 Vie de Grégoire Lopez, Cologne, 1717, Ch. 3, n. 6 (Note mise par l'éditeur de 1720).

 

278 de la sobriété, de la pénitence; il conserve la chasteté, il réprime la colère, l'avarice, la tristesse; il rabaisse l'orgueil; il soutient l'âme contre les distractions dans l'oraison sans images.

Il faut donc condamner Cassien avec sa Tradition des plus parfaits solitaires, ou avouer que ce seul verset peut suffire à un chrétien sans aucune autre demande distincte, ni aucun autre intérieur de vertu. Si ce verset suffit, parce qu'il contient tout éminemment, à plus forte raison l'Oraison d'immobile tranquillité suffira-t-elle puisqu'elle est la perfection, dont le verset n'est que le rudiment très imparfait, et qu'elle lui doit succéder comme la science succède au hegayment des enfants 3. Méditez donc, dit Isaac, ce verset, en veillant, en dormant, et même dans les dernières nécessités de la vie. Cette formule vous conduira aux invisibles et celestes Contemplations, et vous élèvera à cette ardeur d'Oraison ineffable et éprouvée de très peu de gens, per-paucis expertum. Que le sommeil vous prenne dans cette méditation jusqu'à ce qu'étant formé par cet ineffable exercice, vous vous accoutumiez à le chanter dans le sommeil, per soporem. Vous voyez que ce chant n'est pas un vrai chant, mais une simple occupation intérieure. Qu'ainsi

3 Cassien justifie l'utilisation du verset « Deus in adjutorium meum intende » à deux points de vue :

1° Il exprime parfaitement et en toutes circonstances notre misère et notre besoin de grâce.

2° Il fixe la pensée, la simplifie, la rassemble dans une pauvreté qui est la vraie richesse, qui est conscience pure de notre dépendance. Ce verset est donc susceptible d'introduire l'âme dans l'état passif. Cassien, Xe Conf., XI :

« Fortifié par cette céleste nourriture, il se pénétrera tellement des sentiments exprimés dans les Psaumes, qu'il ne paraîtra plus les réciter de mémoire, mais les composer lui-même comme une prière qui découle du fond de son ooe,ur; ou du moins il semblera qu'ils ont été faits pour lui spécialement, et que tout ce qui s'est passé en David s'accomplit encore dans sa personne... C'est ainsi que notre âme arrive i cette perfection de la prière dont nous avons parlé dans notre dernière conférence, autant que Dieu nous en a fait la grâce. L'esprit alors n'est occupé d'aucune image, n'est troublé par aucune parole; il se laisse entraîner par une volonté, par une ardeur qui ne peut s'exprimer. L'âme s'élève au dessus des sens et des choses visibles, et n'offre plus à Dieu que ses soupirs et des gémissements inénarrables. » Cette « formule » introduit donc à la « prière perpétuelle » recommandée par l'apôtre.

 

279 votre Oraison devienne directe et perpétuelle, jugis et erecta.

[§ 25] Le onzieme marque que l'ame doit garder sans cesse cette formule, jusqu'à ce qu'étant affermie par sa continuelle meditation, elle rejette les richesses et les amples soutiens de toutes les pensées, et qu'étant resserrée dans la pauvreté de ce seul verset, elle parvienne par une pente facile à cette béatitude évangélique, qui tient le premier rang parmi les autres : Bienheureux, les pauvres d'esprit, etc. 1... Et qu'ainsi par l'illumination divine s'élevant à la multiforme science de Dieu, elle commence à être engraissée des plus sublimes et des plus sacrés mystères. La méthode de ce verset est ce qu'il a appelé l'ordre de cette Oraison; puis il parlera de ce qu'il a appelé la vertu de cette oraison.

Voilà un travail actif dans la méditation de ce verset, qui ne doit pas toujours durer. Ce n'est que jusqu'à ce que l'habitude fixe l'âme et change les actes passagers en état ou conversion habituelle. Cette méditation active appauvrit l'âme pour l'enrichir; elle lui retranche la multitude des objets, des motifs, des actes et des demandes, pour l'introduire par cette unité ou pauvreté interieure, dans la multiforme science de Dieu. Alors elle passe dans un état passif, ou Dieu, pour ainsi dire, la remultiplie aprez l'avoir simplifiée, et l'engraisse 2 des plus sublimes mystères.

[§ 26] Cet état est l'accomplissement de ces paroles du Prophete : montes excelsi cervis etc... 1 Le solitaire paîtra sur les montagnes des Prophètes et des Apôtres dans les plus sublimes mystères, recevant en lui les affections des Pseaumes (remarquez en passant cette expression « recevant en soi »); et il commencera à les chanter non comme composez par le Prophète, mais comme faits par lui-même, comme répandant sa propre Oraison de la profonde componction de son coeur, comme si ces Pseaumes étoient adressez à sa personne. Il connoit que les sens des paroles

[§ 25] 1. Matth., Y, 3.

2 Nous dirions : elle la nourrit.

[§ 26] 1. Ps. 103, 13. : « Les hautes montagnes sont pour les cerfs », sic dans le texte.

280 ne sont pas seulement accomplis par le Prophète ou dans le Prophète, mais encore en soi, chaque jour. Alors les divines Ecritures s'ouvrent plus clairement avec leurs veines et moelles. Car notre experience n'en reçoit pas seulement, mais encore en prévient la notion. Les sens sont ouverts non par voye d'exposition, mais par l'enseignement (sans doute de l'esprit intérieur et la suitte le montre), ayant en nous le même sentiment dans lequel le Pseaume a esté écrit : nous en sommes comme les auteurs. Nous ne suivons pas, mais nous prévenons le sens; nous recevons plutôt la vertu, que l'intelligence des paroles; nous nous ressouvenons de tout ce qui s'est passé en nous, etc... Etant ainsi instruits par les effets qui sont nos maîtres, magistratibus effectibus eruditi, nous ne connois-sons pas les véritez comme entendues, mais nous les touchons comme accomplies en nous; nous les avons non comme mises dans la mémoire, mais comme nées avec nous : naturœ insitoe; nous les enfantons de l'intime sentiment de notre coeur; nous les pénétrons non par le texte qu'on lit, mais par une expérience prévenante. Ainsi l'âme parvient à cette incorruption d'Oraison, à laquelle l'ordre marqué dans la Conférence précédente nous a conduits : elle est occupée sans aucun regard d'images; elle n'est distincte par aucune suite ni de voix ni d'expressions; elle est produite par le regard enflammé, par l'effort ineffable de coeur, avec une invincible joye; l'âme hors de tous les sens et de tous les objets visibles la répand devant Dieu par des gémissements ineffables.

Voilà sans doute un état d'inspiration habituelle, où l'âme prophétique et apostolique lit l'Ecriture par le même Esprit qui a animé les Auteurs sacrez; elle ne lit pas l'Ecri-ture, elle la fait, ce n'est pas l'Ecriture qu'elle a devant les yeux qui l'instruit : c'est Elle qui sort du fonds de son coeur comme de la source céleste. Voilà les Etats qu'on refuse (le croire, et qui sont manifestement l'état de transformation.

Vous voyez qu'aprez avoir parlé de l'ordre de cette Oraison, c'est-à-dire de la manière d'y arriver, qui est la méditation du -verset, il en a dépeint la vertu, c'est-à-dire 281 cet état où tout est Dieu à l'âme et dans l'âme, où elle n'est plus instruite par l'Ecriture et où elle est elle-même une Ecriture vivante, un Prophète et un Apôtre 2.

2 On voit comment la formule quasi-incantatoire du a Deus in adjutorium» finit par créer dans l'âme non les élans fugitifs et gratuits dont il parlait plus haut (Conf. IX, XV), mais un état de prière pure ou parfait dépouillement de l'âme. Comme pour Evagre (Centuries, 29, Frankenberg,. p. 453), l'apatheia est donc sa condition primordiale. Non que cette sensibilité soit morte : mais une nouvelle sensibilité est née qui a ses aspects propres, tel le don des larmes...

Comme Evagre encore, et comme Origène, Cassien et, après lui, Fénelon, envisagent la prière pure comme un état (cf. Viner, Revue Ascétique. et Mystique, 1930, p. 253 et sq.). Toutes les pensées et tous les actes du moins ne tendent dés ici bas qu'à le rendre un avec Dieu.

 

[§ 27] Le chapitre douzième n'est qu'une demande de Germain pour savoir comment les commençants peuvent retenir toujours ce verset.

Dans le chapitre treizième, le même Germain parle de la mobilité de l'âme dans la méditation commune. Il dit qu'aprez avoir compris un capitule d'un Pseaume, cet endroit lui échappe insensiblement et qu'elle passe avec étonnement et sans le savoir à quelque autre texte de l'Ecriture : à peine l'âme commence-t-elle à rouler celui-là en elle-même, et avant qu'il soit entièrement examiné, elle se ressouvient de quelque autre passage qui exclut la méditation du premier, de celui-là elle passe encore à un autre, une nouvelle méditation succédant. Ainsi, l'âme étant tournée comme une roue de Pseaume en Pseaume, sautant du texte de l'Evangile à la lecture de l'Apôtre, de là aux paroles des Prophètes, et ensuitte à quelques histoires spirituelles, demeure errante et instable par tout le corps des Ecritures, ne pouvant ni choisir, ni finir, aucun endroit par un plein examen; ce lecteur ne fait que toucher et gouster les sens spirituels; il n'en devient ni le générateur ni le possesseur. Germain conclut sa question en demandant comment on pourra donc garder immobilenient ce verset.

Vous voyez qu'il s'agit toujours, par un dessein suivi sans relasche, de parvenir à un état fixe et immobile. L'inconvénient de la mobilité d'âme, c'est que dans la 282 méditation discursive, la variété des objets fait qu'on ne s'en approprie aucun, qu'on les gouste tous; mais que l'âme n'en est pas substantiellement nourrie, pour faire sien ce qu'elle trouve en autruy; on ne parvient point par cette méditation variée à cet état où l'âme lit les paroles d'un Prophète comme étant le Prophète elle-même, et comme tirant les mystères de son propre cœur ainsi que de leur source. Elle ne prend aucune situation fixe et habituelle. Elle n'est point nourrie par le fond: c'est ce qui fait qu'elle a besoin d'être appauvrie même spirituellement. Il faut lui retrancher ces richesses de la parole divine, comme Isaac l'a remarqué. Voilà à quoi sert de demeurer borné à un seul verset, ou à quelque autre formule, qui appauvrisse et simplifie peu à peu l'âme, pour la rendre tranquille et immobile dans l'oraison continuelle. C'est en l'appauvrissant ainsi qu'elle sera mise dans la multiforme science de Dieu. C'est ce que saint Denys a exprimé quand il a dit : l'âme n'entendant rien surpasse toute intelligence 1.

[§ 27] 1, Cf. Pseudo-Denys, Théologie mystique, ch. I, 1001, A : « C'est alors que, dépassant le monde où l'on est vu et où l'on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l'incon-naissance; c'est là qu'il fait taire tout savoir positif, qu'il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision car il appartient tout entier à Celui qui est au delà de tout, car il ne s'appartient plus lui-même ni n'appartient à rien d'étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute connaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même, connaissant par delà toute intelligence. »

[§ 28] Dans le chapitre quatorzième et dernier Isaac répond que pour remédier à l'instabilité de l'âme, il faut employer les veilles, la Méditation, l'Oraison, et le détachement sans réserve de la vie présente.

Voilà selon lui les moyens de la voye active pour les commençants. Mais la fin qu'on se propose est l'accomplissement du précepte Apostolique : sine intermissione urate: priez sans intermission, car celui-là, dit-il, prie très peu, qui n'a accoutumé de prier que quand on fleschit le genouil. C'est pourquoi il faut que nous soyons avant le temps de l'Oraison, tels que nous voulons être dans l'Oraison même, et il faut que l'âme soit alors formée par son état précédent.

[§ 29] Voilà, dit Cassien, ce qu'Isaac dans cette seconde Conférence nous expliqua de la qualité de l'Oraison 1, dont nous fusmes bien etonnez. Nous admirions beaucoup sa doctrine sur la méditation de ce petit verset, qu'il nous avoit donné à retenir comme une méthode pour dresser des commençants — quam velut informationis loto inci-pienlibus tradiderat retinendam (ces paroles montrent encore que le verset n'est que pour un temps, et que la très pure et immobile oraison lui doit succéder comme la fin au moyen). Nous souhaittions, dit-il, de cultiver avec une entière fermeté ce verset — et excolere tenacissime cupientes —, croyants cette doctrine abrégée et facile — compendosam ac facilem. Nous avons néanmoins expérimenté qu'elle est plus difficile à observer que cette application d'esprit, par laquelle nous avions accoutumé de parcourir par la variété de la Méditation tout le corps des Ecritures sans aucun lien de persévérence — absque ullius perseverantiœ vinculo.

Voici les dernières paroles de Cassien sur ce genre d'Oraison sublime et sur le verset par lequel on peut y parvenir.

Il est donc constant que personne sans exception n'est exclus de cette perfection de coeur par l'ignorance des lettres, et que la rusticité 2 n'est point un obstacle pour acquérir cette pureté de coeur et d'âme, laquelle est à la portée de tous par ce chemin très abrégé, pourveu qu'ils conservent la crainte et entière attention à Dieu par la méditation continuelle de ce verset.

[§ 29] 1 Nous dirions : ce qu'Isaac met dans cette seconde conférence nous fit comprendre la nature de l'oraison.

2 La « rusticité » : à prendre dans le sens plus général de simplicité, de manque de culture et de raffinement.

 

[§ 30] La tradition des Pères du Désert rapportée par Cassien, témoin si autorisé dans toute l'Eglise, est donc :

1° Qu'il y a une Oraison encore plus parfaitte que la Méditation affectueuse de l'Ecriture et même que l'Oraison dominicale. 284

2° Que cette Oraison, encore plus sublime qu'il nomme très pure et incorruptible, est la Contemplation fixe de Dieu seul dans sa substance incorporelle et incompréhensible, sans images, sans espèces, sans aucune mémoire d'aucune parole ni d'aucune action, par conséquent sans aucune trace ni des mystères, ni des préceptes évangéliques, même sans aucune distinction discursive; et que l'âme doit être indéclinablement fixe dans ce regard de pure foi.

3° Que la perfection de cette Oraison est de ne s'apercevoir plus ni de ce que l'on fait, ni même si l'on y prie; que les efforts les plus pieux distrayeroient et rabaisse-roient l'âme en cet état.

4° Que cette Oraison lui est infuse par une lumière céleste, par l'amour du Père et du Fils transfus en nous, et par leur unité consommée dans l'âme, et par conséquent inspirée ou passive; qu'elle y devient remplie de la multiforme Science de Dieu, apostolique et prophétique en lisant les Apôtres et les Prophètes; que tout ce qu'elle voit au-dehors et tout ce qu'elle opère au-dedans est Dieu même.

5° Que cette oraison peut s'acquérir par la méditation d'un verset, qui n'est que les éléments et le rudiment de ceux qui commencent; que ce verset y introduit en exténuant, en appauvrissant l'âme et en la fixant.

6° Que cette Oraison, fin de toute la vie monastique, est éprouvée et connuè de très peu de Solitaires; que les plus anciens l'ont confiée à d'autres, qui la confient à leur tour à ceux qui ont la vraye foi.

7° Que la grossiéreté et l'ignorance n'excluent point de cette voye.

8° Que cette Oraison n'est point passagère, mais au contraire le terme de tout acte passager, le regard fixe et indéclinable, la perpétuelle et immobile tranquillité de l'âme.

µ notes séparées du tome III

µ A finir

P. 296

a. Jos. 2 et 6.

 

P. 297

a. Is 45, 1, 2.

b. Dt 7, 17.

 

P. 302

a. Jr 23, 24

b. Mt16, 20

c. Jn5, 30

 

P. 303

a. Ez 1 et 10

 

P. 305

a. Mt 22, 37

b. Mt 6, 21

 

P. 306

a. Hb 4, 12

 

p. 307

1 Tm 1, 9.

 

P. 308

a. Ap 22, 12

b. 1Co 2, 9

c. Ps 2, 8.

 

P. 313

a. 1Tm 2, 4.

 

P. 315

a. Rm 9, 3.

 

P. 317

a. 1Co.15, 19.

 

P. 320

a. Lc 18, 31.

 

P. 324

a. Gn 18, 27

b. Ps 21, 7.

 

P.325

a. Hb11, 37, 38

b. 1Co 4, 11

c. La même, v16 et ch. 11, 1.

 

P. 327

a. 1Co3, 16

b. Ps 47, 13.

 

P. 334

a. Institution Liv. 2, ch. 9.

 

P. 336

a. 1Th5, 17. Lc 18, 1.

b. Lc 1, 37.

 

P. 337

a. De l’amour de Dieu. Livr. IX. Ch. 14. Voyez dans le tome I Abandon. n. 21.

b. De l’amour de Dieu. Livr. VI. Ch. II. Voyez ci-dessus page 249. n. 34.

c. Gn 5, 22.24 ; 6, 8.9 ; 48, 15. Ps 15, 8. Rois 20, 3 etc..

 

P. 339

a. Confer. I. Ch. 12.

b. La-même, Chap. 13.

c. Chap. 6.

 

P. 340

a. Chap. 7

b. Chap. 1

 

P. 341

a. Chap. 8.

b. Lc 10, 41, 42.

 

P.342

a. 1P4, 2, que désormais il ne vive plus selon les passions des hommes.

 

P.343

a. 1Th 5, 17

 

P.345

a. 1 Tm 2, 1

 

P. 347

a. Jn7, 18

b. Rm 9, 3

c. Mi 2, 11

d. Ex 32, 31-32

 

P. 348

a. Is 46, 10

 

P.351

a. Pour vous faire concevoir ce que c’est qu’une véritable prière, je vais vous rapporter non pas mes sentiments, mais ceux de St Antoine.

b. Mc 11, 24

 

P. 352

a. voyez ci-dessus dans les Autorités des PP Grecs, Oraison N°5 et 7.

b. Is 65, 24 ;

c.Mt17, 19

d. CH. 26, 39.

 

P.356

a.2Co5, 16

b.Jn17, 21, 22, 23. 26.

 

P. 357

a. Voyez ci-dessus dans le tome I : Consistance, n°1, 2.

b. Voyez ci-dessus dans les Autorités des Pères Grecs : Transformation, n°7, 8.

 

P.360

a. Ps 69, 2 :  Mon Dieu, venez à mon aide.

b. Votre volonté soit faite. Voyez la vie de Gr. Lopez, imprimée  de nouveau à Cologne 1717. CH. 3. n. 6.

 

P. 361

a. Mt 5, 3.

 

P. 362

a. Ps 103, 18. Les hautes montagnes sont pour les cerfs.            

 

P. 365

a. Voyez dans le Tome I. L’article Foi nue. N°4. A la fin. 


 

ANNEXES

Liste des « Autorités » mystiques classées suivant le nombre total de citations.

Elle permet de retrouver facilement leurs citations[217] au sein des clefs I à LXVII... dont les paragraphes ou ensemble de paragraphes furent numérotées1 à n[218]. J’inclus les renvois de clef à clef [219].

Pour le vol.1 j’ai relevé le nombre de citations[220]. Puis pour les vol. 2 et 3 j’ai relevé les n° des paragraphes en vue de faciliter la recherche[221]. Quelques indications sont (rarement et brièvement) ajoutées[222].

Les pères Grecs donnés en supplément sont précédés d’un astérisque.

 

293 Jean de la Croix II8 III2 IV1 V1 VIII4 X1 X13 XII6 XIII2 XV2 XVII1 XVIII11 XIX1 XX12 XXI3 XXIII17 XXVII4 XXVIII2 XXXI4 XXXII3 XXXIV5 XXXVI4 XXXVII4 ;XXXVIII5/6 XXXIX7/15 XL12/15 XLI2/6 XLII8/9 XLIII14/22 XLIV11/12 XLIV23/25J XLIV15/22 XLV23/29 XLVI13/14 XLVII13/13 XLVIII16/22 XLIX19/25 L31/49 ; LI21/32 LI§II3/3 LII6/11 LIII‘toutJndelaCroix’ LIII3/3 LIV4/5 LV6/8 LV9/9N LVI2/2 LIX4/6 LX23/23 LXI10/16 LXII3/5 LXIII11/27 LXIV5/9 LXV12/14 LXVI42/62long LXVII21/28

 

241 Jean de Saint-Samson I11 II14 III4 IV3 V1 VII2 VIII5 IX3 X12 XII5 XIII4 XIV1 XV4 XVI4 XVI3 XVII4 XVIII2 XIX1 XX1 XXI5 XXIII4 XXV1 XXVI2 XXVII8 XXXI5 XXXII3 XXXIII1 XXXIV1 XXXV2 XXXVII9 ;XXXVIII8/11 XL18/18 XLI10/10 XLII16/24 XLIII27/31 XLV34/52 XLVI23/23 XLVII15/15 XLVIII34/40 XLIX38/43 L71/80 ; LI49/49 LII12/12 LIII7/8 LIV7/12 LV13/14 LVII5/11 LVIII4/9 LX26/39 LXI18/20 LXII7/10 LXIII39/49 LXIV12/12 LXV19/24 LXVI73/79long LXVII37/37

 

156 Catherine de Gênes I3 II1 III13 IV1 VIII1 IX7 X11 XII3 XIII3 XIV1 XV7 XVIII2 XXV1 XXVII2 XXVIII1 XXXI4 XXXII2 XXXVI1 XXXVII3 ; XXXVIII1/4 XXXIX5/5 XL7/11 XLII5/6 XLIII8/12 XLV13/21 XLVII10/10 XLVIII7/15 XLIX8/16 L13/30 ; LI14/16 LII2/4 LVII1/1 LVIII1/2 LIX2/2 LXIII8/10 LXIV2/3 LXV9/9 LXVI32/35 LXVII12/16

 

117 Thérèse I7 II1 III1 IV3 V1 V5 VI2 VIII3 X1 X1 XIII4 XV6 XVII4 XVIII1 XIX5 XX1 XXII3 XXIV1 XXVII3 XXIX1 XXXI1 XXXII1 XXXIV2 ; XXXIX6/6 XXXIX24/24N XLII7/7 XLIII13/13 XLIV8/10 XLIV18/18N XLIV4/14 XLIV§III20/21N XLV22/22 XLVI9/12 XLVII11/12 XLIX17/18 L55/58 ; LI17/20 LI§II2/2 LII5/5 LVII2/4 LVIII3/3 LIX3/3 LXII2/2 LXIV4/4 LXV10/11 LXVI36/41 LXVII17/20

 

100 Denys III1 IV1 VII1 VIII1 X1 X3 XI2 XIV3 XVI2 XVIII3 XXIII6 XXV1 XXVI3 XXVIII1 XXXI1 XXXIII1 ; XXXIX1/2 XL1/2 XLI1/1 XLIII1/4 XLIV1/7 XLIV§III1/2 XLV1/2 XLVI1/3 XLVII1/1 XLVIII1/1 XLIX1/2 L1/6 ; LI1/5 LI45/45J LII1/1 LV1/2 LIX1/1 LX1/5 LXI1/4 LXIII1/1 LXIV1/1 LXVI1/15

 

094 *Clément d’Alexandrie II1/4 III1/14 IV1/3 V1/11 VI1/4 VII1/2 VIII1/9 IX1/2 X1/1 XI1/17 XII4/7 XIII1/12 XV1/2 XVIII1/9

 

082 François de Sales I3 II1 III1 IV1 VI1 IX1 IX1 XIII1 XV5 XVII1 XVIII1 XX3 XXIV3 XXV2 XXIX6 XXX8 XXXII1 XXXVII1 ; XXXIX26/26 XL16/17 XLIV23/24 XLV33/33 XLVI20/22 XLVII14/14 XLVIII33/33 XLIX31/37 L68/69 ; LI46/48 LIII5/6 LV12/12 LVI3/5 LXI17/17 LXIII37/38 LXV17/18 LXVI70/72 LXVII33/36

 

075 Imitation Thomas a Kempis I8 III1 VI2  XV2 XVI4 XVIII6 XXVII1 XXVIII1 XXXI2 XXXV1 XXXVII3 ; XL3/6 XLIV§III3/4 XLV11/12 XLVI4/6 XLVIII2/6 XLIX3/7 L8/11 ; LI9/13 LIV1/3 LVI1/1 LX20/21 LXI7/9 LXII1/1 LXVI28/30 LXVII3/11

 

035 Jean Climaque ; XLVII2/9 ; LV4/4  LX7/19 LXV2/8 LXVI22/25 LXVII1/2

033 Suso I1 II1 III6 VIII1 X1 XII2 XXXI1 XXXVI1 ;XXXIX3/3 XLII1/4 XLIII5/5 XLV3/9 ; LI8/8 LIII1/1 LV5/5 LXI5/5 LXVI26/27

030 Auteur du jour mystique IV1 X1 XVI1 XVII3 XIX1 XXIII4 XXVII1 ; XL19/19 ?XLIV27/27 XLVII16/17 ; LI50/51 ?LI§II11/11E LII13/14 ?LV3/3 ?LX6/6 LXIV13/15 LXVI81/83 LXVII38/38

028 Bernard X1 XV1 XVIII1 XVIII1 XVIII3 XIX2 XIX2 XXIV1 XXVII1 XXX1 XXXIV1 XXXIV2 XXXVII1 ; XLII13/13N XLIV15/15N XLIV26/26J XLIV§III8/9N L51/51N ; LI37/37N LI§II8/8 LV10/10N LXIII28/28N

024 Benoit de Canfield  II2 III2 XIII2 XV2 XVII1 XXIII1 XXVI1 XXXVI1 ; XLI9/9 XLIV§III7/7 XLV32/32 XLVI19/19 L67/67 LX24/25 LXIII36/36N LXVII30/32 LXVIIaddMmeGuyon

024 Augustin I1 X2 ; XXXIX23/23N XLIV23/23 XLIV§III25/25N XLIX30/30N ; LI6/7 LI33/34N LI§II7/7 LXIII2/4long LXIII33/33N LXIV10/10N LXV1/1 LXVI16/21

023 Rusbroc XV1 XV2 XXIII2 XXXI1 XXXI2 ; XXXIX4/4 XLI7/7N XLIII6/6 XLIV28/28 XLIV25/25 XLIV§III19/19N XLV10/10 XLV30/30N XLVIII23/23N L7/7 L60/60 ; LIII2/2 LXI6/6 LXIII5/6

022 Harphius III1 IX1 XV1 XVIII1 XXIII2 XXIII1 XXXIV2 XXXVI2 ; XLIII7/7 XLIV28/28 XLIV§III5/6 XLVI7/8 L12/12 ; LI51/51 LX22/22 LXIII7/7 LXVI31/31

022 Bonaventure V2 XV1 XVIII1 XVIII1 XIX1 XIX1 XXIII2 XXXV1 ; XLII14/14N XLIV14/14N XLIV§III10/13N XLVIII30/30N L54/54N LI51/51 LIX7/7N LXI16/16J LXV15/15N

020 Thomas d’Aquin X1 XV1 XV2 XVIII1 XIX1 ; XXXIX16/17N XLII11/11N XLIII26/26J XLIV§III23/24N XLVI15/15N XLIX28/28N L50/50J L64/65 ; LI§II9/9 LXVI67/68N

020 Tauler IV5 XV1 XXIII3 ; XLIII23/23N XLIV28/28 XLIV§III18/18N XLIV§III29/29N XLVIII25/27N XLIX26/27N L59/59 LI§II4/4N

 

018 Barthélémy des martyrs XV1 XVIII1 XIX1 XXIII1 XXXI1 ; XXXIX25/25N XLII10/10N XLIII24/25N XLIV17/17N XLIV§III22/22N XLIV§III26/26N XLVIII24/24N L66/66 ; LI36/36N LI39/39N LIV6/6N LXIII29/29N

017 Olier IV1 IX1 XV1 XX1 ; XXXIX27/28 XLI11/11 XLV53/56 XLVI24 ; LI§II10/10 LVI6/7 LXI21/22

015 Albert le Grand VI1 XII1 XV1 XXIII1 ; XLIV§III16/16N XLIV§III30/30N XLVIII29/29N XLIX29/29N LXIII30/30N LXIII34/34N LXVI63/66N LXVII29/29N

011 *Jean Chrysostome IX3/3 X2/2 XII16/16 XIII21/28

 

009 Grégoire V1 XVII1 XVII2 XXXI1 XLIV21/21N L52/53N ; LI§II6/6

008 Jaques de Jésus II1 VIII1 XV1 XXVI1 XXXI1 ; XXXVIII7/7 XLVIII32/32 ; LXV16/16

008 *Macaire I1 XI18/18 XII11/14 XIV1/1 XVI1/1 XVII1/1

007 Sœur Marie Rosett & Sœur Anne Marie Rosset de la Visitation dir. Fr. de Sales XV3 ; XLIV26/26 XLV57/57 XLVII18/19E

007 Denys le Chartreux XIX1 XXIII1 ; XLIV28/28 XLV31/31N L61/61 ; LXII6/6N LXIII35/35N

006 *Basile VII3/3 XII9/9 XIII13/16

005 Suarez V1 ; XLII12/12N XLIV19/19N XLVI16/16N ; LI40/40N

005 Richard de St Victor XXIII1 ; XLIV§III15/15N ; LI38/38N LI44/44N LXIII31/31N

005 Ambroise  X1 XII1 ; XLIV§III28/28N ; LV11/11N LXIV11/11N

 

004 Mère de Chantal (Epiphane Louis) IX2 XXXV2

004 Hugues de St Victor XIX1 ; XLII15/15N XLIV§III14/14N ; LI35/35N

004 Gerson XXIII1 ; XLIV16/16N XLIV28/28 XLIV29/29

004 Blosius XVII1 XXXVII1 ; XLIII32/32 ; LI41/41N

003 Surin XV2 XXXII1

003 Gilbert XXIII1 ; XLI8/8J XLVIII31/31N

003 Cassien XV1 ; XLIV1/2

003 *Grégoire de Nysse XIII18/20

003 *Grégoire de Naziance II5/5 VIII10/10 XII10/10

002 Rosignolius ; XLVIII28/28N LXIII32/32N

002 Jean de Jésus Maria XVII1 ; L63/63

002 Cornelius à Lapide ; XLVI18/18N LXVI69/69N

002 Barbanson IV1 ; L70/70long

002 Albarado V1 ; XLIV22/22N

002 *Jean Climaque XIII31/32

001 Tolete ; XXXIX20/20N

001 Thomas de Villeneuve XVIII2

001 Thomas de Jésus ; ; LIII4/4

001 Ruis de Montoya XLVI17/17N

001 Rojas (Antoine de Royas) ; ; LI§II5/5

001 Prosper ; XXXIX18/18N

001 Pic de la Mirandole XXIII1

001 Nil ; XLIV§III17/17N

001 Marie de l’Incarnation XXXII1

001 Louis du Pont ; ; LI42/42N

001 Louis de Léon ; XLIV13/13N

001 Jérôme XVII1

001 Jean Chrysostome ; ; LI§II1/1

001 Ildephonse d’Orozco ; L62/62

001 Diadoche XVII1

001 Cajetan ; XXXIX19/19N

001 Benoit Justinien ; XXXIX22/22N

001 Bede ; XXXIX21/21N

001 Angèle de Foligni XXIII1

001 Ambroise Florentin XXIII1

001 *Théodoret XIII29/29

001 *Polycarpe XII2/2

001 *Origène XII8/8

001 *Nicétas comm. de G. de Naziance XIII17/17

001 *Maxime XIII33/33

001 *Ignace XII1/1

001 *Ephrem XII15/15

001 *Denis XIII30/30

001 *Athénagore XII3/3

Classement par ordre alphabétique d’auteur

Albarado V1 ; XLIV22/22N

Albert le Grand VI1 XII1 XV1 XXIII1 ; XLIV§III16/16N XLIV§III30/30N XLVIII29/29N XLIX29/29N LXIII30/30N LXIII34/34N LXVI63/66N LXVII29/29N

Ambroise  X1 XII1 ; XLIV§III28/28N ; LV11/11N LXIV11/11N

Ambroise Florentin XXIII1

Angèle de Foligni XXIII1

Augustin I1 X2 ; XXXIX23/23N XLIV23/23 XLIV§III25/25N XLIX30/30N ; LI6/7 LI33/34N LI§II7/7 LXIII2/4long LXIII33/33N LXIV10/10N LXV1/1 LXVI16/21

Auteur du jour mystique IV1 X1 XVI1 XVII3 XIX1 XXIII4 XXVII1 ; XL19/19 XLIV27/27 XLVII16/17 ; LI50/51 LI§II11/11E LII13/14 LV3/3 LX6/6 LXIV13/15 LXVI81/83 LXVII38/38

Barbanson IV1 ; L70/70long

Barthélémy des martyrs XV1 XVIII1 XIX1 XXIII1 XXXI1 ; XXXIX25/25N XLII10/10N XLIII24/25N XLIV17/17N XLIV§III22/22N XLIV§III26/26N XLVIII24/24N L66/66 ; LI36/36N LI39/39N LIV6/6N LXIII29/29N

Bede ; XXXIX21/21N

Benoit Justinien ; XXXIX22/22N

Bernard X1 XV1 XVIII1 XVIII1 XVIII3 XIX2 XIX2 XXIV1 XXVII1 XXX1 XXXIV1 XXXIV2 XXXVII1 ; XLII13/13N XLIV15/15N XLIV26/26J XLIV§III8/9N L51/51N ; LI37/37N LI§II8/8 LV10/10N LXIII28/28N

Blosius XVII1 XXXVII1 ; XLIII32/32 ; LI41/41N

Bonaventure V2 XV1 XVIII1 XVIII1 XIX1 XIX1 XXIII2 XXXV1 ; XLII14/14N XLIV14/14N XLIV§III10/13N XLVIII30/30N L54/54N LI51/51 LIX7/7N LXI16/16J LXV15/15N

Benoit de Canfield  II2 III2 XIII2 XV2 XVII1 XXIII1 XXVI1 XXXVI1 ; XLI9/9 XLIV§III7/7 XLV32/32 XLVI19/19 L67/67 LX24/25 LXIII36/36N LXVII30/32 LXVIIaddMmeGuyon

Cajetan ; XXXIX19/19N

Cassien XV1 ; XLIV1/2

Catherine de Gênes I3 II1 III13 IV1 VIII1 IX7 X11 XII3 XIII3 XIV1 XV7 XVIII2 XXV1 XXVII2 XXVIII1 XXXI4 XXXII2 XXXVI1 XXXVII3 ; XXXVIII1/4 XXXIX5/5 XL7/11 XLII5/6 XLIII8/12 XLV13/21 XLVII10/10 XLVIII7/15 XLIX8/16 L13/30 ; LI14/16 LII2/4 LVII1/1 LVIII1/2 LIX2/2 LXIII8/10 LXIV2/3 LXV9/9 LXVI32/35 LXVII12/16

Cornelius à Lapide ; XLVI18/18N LXVI69/69N

Denys III1 IV1 VII1 VIII1 X1 X3 XI2 XIV3 XVI2 XVIII3 XXIII6 XXV1 XXVI3 XXVIII1 XXXI1 XXXIII1 ; XXXIX1/2 XL1/2 XLI1/1 XLIII1/4 XLIV1/7 XLIV§III1/2 XLV1/2 XLVI1/3 XLVII1/1 XLVIII1/1 XLIX1/2 L1/6 ; LI1/5 LI45/45J LII1/1 LV1/2 LIX1/1 LX1/5 LXI1/4 LXIII1/1 LXIV1/1 LXVI1/15

Denys le Chartreux XIX1 XXIII1 ; XLIV28/28 XLV31/31N L61/61 ; LXII6/6N LXIII35/35N

Diadoche XVII1

François de Sales I3 II1 III1 IV1 VI1 IX1 IX1 XIII1 XV5 XVII1 XVIII1 XX3 XXIV3 XXV2 XXIX6 XXX8 XXXII1 XXXVII1 ; XXXIX26/26 XL16/17 XLIV23/24 XLV33/33 XLVI20/22 XLVII14/14 XLVIII33/33 XLIX31/37 L68/69 ; LI46/48 LIII5/6 LV12/12 LVI3/5 LXI17/17 LXIII37/38 LXV17/18 LXVI70/72 LXVII33/36

Gerson XXIII1 ; XLIV16/16N XLIV28/28 XLIV29/29

Gilbert XXIII1 ; XLI8/8J XLVIII31/31N

Grégoire V1 XVII1 XVII2 XXXI1 XLIV21/21N L52/53N ; LI§II6/6

Harphius III1 IX1 XV1 XVIII1 XXIII2 XXIII1 XXXIV2 XXXVI2 ; XLIII7/7 XLIV28/28 XLIV§III5/6 XLVI7/8 L12/12 ; LI51/51 LX22/22 LXIII7/7 LXVI31/31

Hugues de St Victor XIX1 ; XLII15/15N XLIV§III14/14N ; LI35/35N

Ildephonse d’Orozco ; L62/62

Imitation Thomas a Kempis I8 III1 VI2  XV2 XVI4 XVIII6 XXVII1 XXVIII1 XXXI2 XXXV1 XXXVII3 ; XL3/6 XLIV§III3/4 XLV11/12 XLVI4/6 XLVIII2/6 XLIX3/7 L8/11 ; LI9/13 LIV1/3 LVI1/1 LX20/21 LXI7/9 LXII1/1 LXVI28/30 LXVII3/11

Jaques de Jésus II1 VIII1 XV1 XXVI1 XXXI1 ; XXXVIII7/7 XLVIII32/32 ; LXV16/16

Jean Chrysostome ; ; LI§II1/1

Jean Climaque ; XLVII2/9 ; LV4/4  LX7/19 LXV2/8 LXVI22/25 LXVII1/2

Jean de Jésus Maria XVII1 ; L63/63

Jean de la Croix II8 III2 IV1 V1 VIII4 X1 X13 XII6 XIII2 XV2 XVII1 XVIII11 XIX1 XX12 XXI3 XXIII17 XXVII4 XXVIII2 XXXI4 XXXII3 XXXIV5 XXXVI4 XXXVII4 ;XXXVIII5/6 XXXIX7/15 XL12/15 XLI2/6 XLII8/9 XLIII14/22 XLIV11/12 XLIV23/25J XLIV15/22 XLV23/29 XLVI13/14 XLVII13/13 XLVIII16/22 XLIX19/25 L31/49 ; LI21/32 LI§II3/3 LII6/11 LIII‘toutJndelaCroix’ LIII3/3 LIV4/5 LV6/8 LV9/9N LVI2/2 LIX4/6 LX23/23 LXI10/16 LXII3/5 LXIII11/27 LXIV5/9 LXV12/14 LXVI42/62long LXVII21/28

Jean de Saint Samson I11 II14 III4 IV3 V1 VII2 VIII5 IX3 X12 XII5 XIII4 XIV1 XV4 XVI4 XVI3 XVII4 XVIII2 XIX1 XX1 XXI5 XXIII4 XXV1 XXVI2 XXVII8 XXXI5 XXXII3 XXXIII1 XXXIV1 XXXV2 XXXVII9 ;XXXVIII8/11 XL18/18 XLI10/10 XLII16/24 XLIII27/31 XLV34/52 XLVI23/23 XLVII15/15 XLVIII34/40 XLIX38/43 L71/80 ; LI49/49 LII12/12 LIII7/8 LIV7/12 LV13/14 LVII5/11 LVIII4/9 LX26/39 LXI18/20 LXII7/10 LXIII39/49 LXIV12/12 LXV19/24 LXVI73/79long LXVII37/37

Jérôme XVII1

Louis de Léon ; XLIV13/13N

Louis du Pont ; ; LI42/42N

Marie de l’Incarnation XXXII1

Mère de Chantal (Epiphane Louis) IX2 XXXV2

Nil ; XLIV§III17/17N

Olier IV1 IX1 XV1 XX1 ; XXXIX27/28 XLI11/11 XLV53/56 XLVI24 ; LI§II10/10 LVI6/7 LXI21/22

Pic de la Mirandole XXIII1

Prosper ; XXXIX18/18N

Richard de St Victor XXIII1 ; XLIV§III15/15N ; LI38/38N LI44/44N LXIII31/31N

Rojas (Antoine de Royas) ; ; LI§II5/5

Rosignolius ; XLVIII28/28N LXIII32/32N

Ruis de Montoya XLVI17/17N

Rusbroc XV1 XV2 XXIII2 XXXI1 XXXI2 ; XXXIX4/4 XLI7/7N XLIII6/6 XLIV28/28 XLIV25/25 XLIV§III19/19N XLV10/10 XLV30/30N XLVIII23/23N L7/7 L60/60 ; LIII2/2 LXI6/6 LXIII5/6

Sœur Marie Rosett & Sœur Anne Marie Rosset de la Visitation dir. Fr. de Sales XV3 ; XLIV26/26 XLV57/57 XLVII18/19E

Suarez V1 ; XLII12/12N XLIV19/19N XLVI16/16N ; LI40/40N

Surin XV2 XXXII1

Suso I1 II1 III6 VIII1 X1 XII2 XXXI1 XXXVI1 ;XXXIX3/3 XLII1/4 XLIII5/5 XLV3/9 ; LI8/8 LIII1/1 LV5/5 LXI5/5 LXVI26/27

Tauler IV5 XV1 XXIII3 ; XLIII23/23N XLIV28/28 XLIV§III18/18N XLIV§III29/29N XLVIII25/27N XLIX26/27N L59/59 LI§II4/4N

Thérèse I7 II1 III1 IV3 V1 V5 VI2 VIII3 X1 X1 XIII4 XV6 XVII4 XVIII1 XIX5 XX1 XXII3 XXIV1 XXVII3 XXIX1 XXXI1 XXXII1 XXXIV2 ; XXXIX6/6 XXXIX24/24N XLII7/7 XLIII13/13 XLIV8/10 XLIV18/18N XLIV4/14 XLIV§III20/21N XLV22/22 XLVI9/12 XLVII11/12 XLIX17/18 L55/58 ; LI17/20 LI§II2/2 LII5/5 LVII2/4 LVIII3/3 LIX3/3 LXII2/2 LXIV4/4 LXV10/11 LXVI36/41 LXVII17/20

Thomas d’Aquin X1 XV1 XV2 XVIII1 XIX1 ; XXXIX16/17N XLII11/11N XLIII26/26J XLIV§III23/24N XLVI15/15N XLIX28/28N L50/50J L64/65 ; LI§II9/9 LXVI67/68N

Thomas de Jésus ; ; LIII4/4

Thomas de Villeneuve XVIII2

Tolete ; XXXIX20/20N

*Athénagore XII3/3

*Basile VII3/3 XII9/9 XIII13/16

*Clément d’Alexandrie II1/4 III1/14 IV1/3 V1/11 VI1/4 VII1/2 VIII1/9 IX1/2 X1/1 XI1/17 XII4/7 XIII1/12 XV1/2 XVIII1/9

*Denis XIII30/30

*Ephrem XII15/15

*Grégoire de Naziance II5/5 VIII10/10 XII10/10

*Grégoire de Nysse XIII18/20

*Jean Chrysostome IX3/3 X2/2 XII16/16 XIII21/28

*Jean Climaque XIII31/32

*Ignace XII1/1

*Macaire I1 XI18/18 XII11/14 XIV1/1 XVI1/1 XVII1/1

*Maxime XIII33/33

*Nicétas comm. de G. de Naziance XIII17/17

*Origène XII8/8

*Polycarpe XII2/2

*Théodoret XIII29/29


 

Statistique selon l’ordre des fréquences

293 Jean de la Croix

241 Jean de Saint Samson

156 Catherine de Gênes

117 Thérèse

100 Denys

Total 907 (55.6%) pour 5 auteurs

 

094 *Clément d’Alexandrie

082 François de Sales

075 Imitation Thomas a Kempis

035 Jean Climaque 

033 Suso

030 Auteur du jour mystique

028 Bernard

024 Benoit de Canfield 

024 Augustin

023 Rusbroc

022 Harphius

022 Bonaventure

Total 1399 (85.7%) pour 17 auteurs

 

020 Thomas d’Aquin

020 Tauler

018 Barthélémy des martyrs

017 Olier

015 Albert le Grand

011 *Jean Chrysostome

009 Grégoire

008 Jaques de Jésus

008 *Macaire

007 Sœur Marie Rosett & Sœur Anne Marie Rosset de la Visitation dir. Fr. de Sales

007 Denys le Chartreux

006 *Basile

005 Ambroise

005 Richard de St Victor

005 Suarez

 

Total 1560 (95.6%) pour 32 auteurs

004 Blosius - Gerson - Hugues de St Victor - Mère de Chantal (Epiphane Louis)

003 *Grégoire de Naziance - *Grégoire de Nysse - Cassien - Gilbert - Surin

002 *Jean Climaque - Albarado - Barbanson - Cornelius à Lapide - Jean de Jésus Maria - Rosignolius 

 

Total 1603 (98.2%) pour 47 auteurs

001 *Athénagore - *Denis - *Ephrem - *Ignace - *Maxime - *Nicétas (G. de Naziance)

001 *Origène - *Polycarpe - *Théodoret - Ambroise Florentin - Angèle de Foligni - Bede 

001 Benoit Justinien - Cajetan – Diadoche - Ildephonse d’Orozco - Jean Chrysostome - Jérôme

001 Louis de Léon - Louis du Pont - Marie de l’Incarnation - Nil - Pic de la Mirandole - Prosper 

001 Rojas (Antoine de Royas) - Ruis de Montoya - Thomas de Jésus - Thomas de Villeneuve - Tolete 

Total 1632 (100%) pour 76 auteurs.

 


 

Début d’une comparaison entre le manuscrit B.N.F et l’édition Dutoit

J’ai comparé le manuscrit remis à Bossuet avec l’édition Dutoit qui ne s’écarte pas de celle de Poiret. Après un moment de perplexité j’ai compris que les « Autorités » furent replacées chronologiquement par l’éditeur... Voici ma transcription, mars 2000 :

Apologie de Me Guyon

BN Fds Fr. 25092 (à 25094)

paginé rouge 266 feuillets

on donne:

- (Msno) pour cette pagination du ms.,

- (Dp...s....n...) pour la page, la section et le numéro Dutoit lorsqu’on retrouve le texte

------------------------------------

(Ms2)

J’ai soumis purement et simplement mes écrits...(Dp3)...cette charité est digne de vous, Messeigneurs.

Propositions du moyen facile du Cantique des cantiques par ordre d’alphabet n’ayant pu faire autrement à cause du manque de temps[223],

Anéantissement[224]

 Première proposition il faut que l’âme soit anéantie[225] par la force de l’amour.

Comment passer en Dieu? Cela ne se peut faire qu’en sortant de nous-mêmes pour nous perdre en lui. Or cela ne s’exécutera jamais que par l’anéantissement.[226]

L’âme est mise dans[227] la vérité du tout de Dieu et du rien de[228] la créature. Nous ... (Dp47-48) ... de lui-même.[229]

(Ms2v°)

Cantique

Première proposition[230]

La connaissance de notre néant... D48-49 [231] [232] [233]...l’effet de l’anéantissement le plus profond.

Réponse à ces propositions. Anéantissement.

St François de Sales, Amour de Dieu, p.532 533[234]. La volonté qui est entièrement morte à soi pour vivre en celle (Ms3) de Dieu même est sans aucun vouloir demeurant non seulement conforme et sujette mais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu[235].

Ste Thérèse[236], Ch(âteau) intérieur, 554. Quelques fois la multitude de ces grâces les fait anéantir davantage. Elles craignent qu’il leur arrive comme à un navire trop chargé que le poids fait couler à fonds. Elle ne[237] manque pas de croix.

Ste Catherine de Gênes, vie ch 18 p.90  Quand l’âme est anéantie elle n’opère plus, elle ne parle plus, elle ne veut plus, elle n’a plus aucun sentiment qui la puisse mouvoir en toutes[238] choses. Dieu est celui qui la gouverne et la conduit, Dieu anéantit l’âme. Il demeure seul, et la créature demeure comme sans âme. Dieu lui donne le goût et l’entendement comme il lui plaît.

Chap. 31 p. 139-140  Ô si je pouvais dire ce que je connaîs et ce que je sens de cet anéantissement de la propre volonté, je suis certaine que chacun abhorerait autant la sienne que le Diable.

Dieu donne à l’âme une certaine occupation intérieure en laquelle il la tient tellement noyée qu’il semble qu’elle est comme abîmée dans une mer profonde : elle ne peut[239] faire son opération naturelle mais demeure anéantie et abîmée dans cette mer. Elle reçoit une si 2e rapport, paix tranquillité 144 grande participation de la tranquillité divine qu’elle serait suffisante pour adoucir les peines de l’enfer.

3e rapport mortification L’anéantissement étant fait, la vigueur et l’opération des sentiments corporels se perd en cette sorte. Elle ne peut plus rien voir en terre qui lui donne du plaisir ou de la peine, car si elle voit quelque chose qui de sa nature donne du plaisir, par[240] ce que l’âme étant 4e rapport transformation mortification mort des sentiments ch.32 p.144 transformée en Dieu il ne la laisse pas correspondre aux sentiments naturels mais peu à peu les laisse tous mourir sans en avoir aucune compassion.

 La Ste[241] exprime comment se fait cet anéantissement par la comparaison du pain. Dans le pain, il y a deux parties, l’une qui se change en substance, l’autre qui se jette dehors comme une chose (Ms3v°) superflue; aussi Dieu sépare et rejette de l’homme tous ces mauvais instincts corrompus par le péché originel qui lui donne inclination à tout mal, et l’âme voyant sa dangereuse maladie dit, 6. Il faut que Dieu nous purifie lui-même de la sorte je n’ai point d’autre remède, sinon que Dieu fasse de moi tout ainsi que je fais du pain quand je l’ai mangé duquel ma nature retient seulement la bonne substance et rejette le reste dehors.

Résistance de la volonté propre 7e rapport propriété Si Dieu avec ses doux moyens ne faisait en nous un si merveilleux effet, notre partie propre ne se laisserait pas anéantir, elle se défendrait tant qu’elle pourrait, mais elle se trouve dans l’ordonnance et disposition divine qui taille et coupe peu à peu 8e opération inconnue à l’âme les racines de l’arbre : ainsi il dessèche des branches de nos mauvaises inclinations sans que l’homme s’en aperçoive; il voit fortement qu’il ne peut plus prendre de plaisir aux choses extérieures et ne sent plus d’autre bien en soi sinon qu’il se contente que Dieu fasse de lui tout ce qu’il lui plaira.

9 rapport résignation et abandon ... tout ce que l’âme connaît en elle/ ch 32 p 199 Le corps devient dans un si grand anéantissement de son état naturel habitué au mal qu’encore que l’âme le laissât faire 10 rapport excellence pureté, prification à sa mode, il ne peut plus néanmoins faire autre chose que ce qu’elle veut et ainsi demeure hors de son être malin consentant en tout sans aucune rébellion à l’âme laquelle étant attentive 11 rapport mortification à Dieu[242] et n’obéissant plus au corps ni par amour ni par délectation. Il faut nécessairement que le corps perde sa vigueur.

Chap 41 p 181/ 12 rapport dénuement entier, oubli de soi et perte des plus délicates opérations Dieu dit à la Ste Je veux que tu fermes tellement tes yeux intérieurs que tu ne me puisse voir opérer aucune chose en toi comme te regardant; mais je veux que tu sois morte et qu’en toi toute vue soit entièrement anéantie quelque parfaite 13 rapport mort entière qu’elle soit. Je ne veux point que tu te puisse sentir ni te regarder toi-même comme ayant aucun être.

p 188 / 13 rapport aux actes ... opération Alors étant ainsi reprise de l’amour je ne fais plus d’actes ni intérieurs ni extérieurs. 

(Ms4r°) p 190 191 L’amour anéantissait non seulement cette partie maligne par le dehors mais même l’intérieure et spirituelle qui goûtait et comprenait les choses divines et semblait vouloir se transformer en Dieu et anéantir cette partie sensuelle.

P 192 / 14 rapport trans. / Se quitter soi-même/ pur amour Je suis encore de telle nature que je convertis et transforme les âme en moi, les dépouillant d’elles-mêmes et que je n’approuve jamais aucune chose qui ne soit tellement anéantie qu’elle ne puisse se voir en soi-même, ni sentir autre chose que par amour sans aucun mélange. L’amour pur veut être seul.

Dialogue de Ste Catherine de Gênes chap 19 p 176/ 15 rapport liberté (quatre mots raturés) Ô amour vous faites anéantir vos amants en eux-mêmes puis vous les rendez libres en vous-même d’une vraie et parfaite liberté.

St Denis Hyé. E  p 166 Ceux qui sont bien entendus aux mystères hiérarchiques ne peuvent ignorer ce me semble ce qui est assez clair et connu, c’est à savoir que les natures douées d’esprit et d’entendement n’obtiennent point autrement l’habitude immuable de la divine ressemblance 16 rapport unité si ce n’est en s’élevant continuellement avec  attention et force d’esprit vers l’unité en mortifiant et anéantissant entièrement toutes les choses contraires.

St Jean de la Croix Obscure nuit ch 157 J’ai été réduit au néant dit David et je n’ai su, parce que, comme il a été dit, l’âme ignore par où elle va. Ignorance de l’âme/ 17 rapport nudité et foi ténébreuse Elle se trouve anéantie pour toutes les choses d’en haut et d’ici bas qu’elle avait appris de goûter. Elle se voit seulement éprise d’amour sans savoir comment.

 Exposition du cantique St Jean de la Croix p 926 / 8e rapport sortie de soi. Fondue. L’âme demeure non seulement aliénée de tout le monde mais encore de soi-même, anéantie et comme fondue en amour qui consiste de passer de soi en l’ami.

(Ms4v°) Benoit de Canfeld Traité de la volonté essentielle ch 11 p 330 Il y a deux sortes d’anéantissements, l’actif et le passif, le passif se fait lors que la personne et toutes choses sont anéanties, évanouies; nous l’appelons passif par ce qu’il pâtit l’anéantissement dont il est parlé dans le chapitre précédent.

 331 L’anéantissement passif est lors qu’il ne reste nul sentiment ni images des créatures, l’actif c’est lors qu’il y a quelques images ou sentiment; mais toutefois l’on connaît par cette lumière qu’elles ne sont rien. L’une consiste en la connaissance 332 expérimentale se voyant réduit à rien, comme il est écrit, je suis réduit au néant, l’autre consiste dans la connaissance vraie et non expérimentale selon le sens mais bien selon l’entendement.

De ces deux anéantissements l’actif est le plus parfait parce qu’il anéantit toutes choses avec soi non seulement quand il est aidé de l’attrait actuel de cette volonté ou 19e rapport sécheresses essence divine, mais aussi quand la personne est en stérilité. Elle les anéantit autant quand elles demeurent comme quand elles ne demeurent pas. Elle anéantit ce qui anéantit les 20 rapport les propres opérations choses, savoir son esprit, sa connaissance avec son opération et ne permet pas que quelque sentiments ou images demeurent ains Dieu seul. L’anéantissement actif est encore plus parfait pour sa force parce que ni la multitude des affaires extérieures ni la multiplicité ne sont pas capables d’empêcher cet anéantissement ni de distraire. Il anéantit les choses non seulement quand l’âme est élevée au-dessus d’elle-même, mais aussi quand elle est recueillie au dedans de soi, les regardant comme ne les regardant pas : par là, l’anéantissement actif se continue et s’exerce en tout, l’anéantissement passif étant l’actuel attrait de Dieu.

(Ms5r°) Ces deux anéantissements sont l’amour de jouissance et de pratique.

Harphius p 548/ 20e rapport faire céder l’opération de la créature à celle de Dieu Cette lumière se manifeste comme un néant dont la sublimité oblige l’homme à faire cesser toute opération, vaincu par l’opération du divin amour.

Fr Jean St Samson Esprit du Carmel ch 21 p 134 Pour ceux qui sont véritablement morts je dis que c’est infiniment davantage d’être entièrement anéantis que d’être entièrement morts, car la mort est l’entrée de l’anéantissement, mais bon Dieu, de quoi parlons-nous puis que si peu sont entièrement morts, n’importe[243], disons que ceux qui sont vraiment anéantis selon le dernier et suprême état demeurent dès là même d’autant plus inconnus et ignorés qu’ils sont différents des autres saints mystiques.

22 rapport cessation d’opérations passives p 323 L’anéantissement passif est quand ni par dedans ni par dehors par l’opération d’aucune puissance ni des sens on ne fait rien que[244] de regarder et contempler Dieu purement en repos, l’on appelle très à propos[245] telle action passive, parce que nous ne faisons tout ce temps là qu’endurer l’action divine en force, joie et repos d’esprit.

343 24 rapport/ amour pur vrai/ anéantissement ?Je l’appelle anéantissement actif lors que tout ce que nous faisons d’oeuvres nécessaires nous paraîssent n’être rien et comme s’ils n’avaient jamais été, mais ceux qui sont anéantis par amour infini en leur éternel objet, leur gloire et leur puissance sera comblée du débordement de toute plénitude.

Puisque[246] Dieu a bien daigné prendre plaisir à nous anéantir en lui et à nous-mêmes, et que par ce moyen il a satisfait à son amour, il faut que pour satisfaire au sien en tout lui-même nous demeurions anéantis en lui selon lui et selon (Ms5v°) 25 rapport. Vie divine. Transformation nous en notre total... D 3.31

Imitation de JC Que si je perds... D 3.7

Henry Suso Dialogue de la vérité ch 8 p 286 (...) Il nous faut... D 3.2-6

 

Abandon

2e proposition moyen facile

p 17 Ils donneront à Dieu leur coeur et leur liberté afin qu’il en dispose à son gré. (Ms6r°)

p 25 1 rapport. Oraison/ patience dans l’oraison Soyez  patients dans l’oraison quand vous n’en feriez point d’autre que d’attendre en patience, dans un esprit humilié et abandonné, le retour du Bien-aimé. Ô l’excellente oraison.

C’est ici que doit commencer l’abandon et la donation de tout soi-même à Dieu. L’abandon est ce qu’il y a de conséquence dans toute la voie. C’est la clef detout l’intérieur. Qui sait bien s’abandonner sera bientôt parfait.

Plus haut même page. Je vous conjure qui que vous soyez qui voulez bien vous donner à Dieu de ne vous point reprendre lorsquevous vous serez donné unefois à lui.

Il faut donc se tenir ferme à l’abandon... D 1p4-5... (Ms6v°)... Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il lui plaira soit pour l’extérieur soit pour l’intérieur.

P 30 Non vous ne trouverez jamais de consolation que dans l’amour de la croix et dans l’abandon, ne faites point comme les personnes qui se donnent dans un temps et qui se reprennent dans un autre.

P 31 L’abandon et la croix vont de compagnie, quand vous sentez quelque chose qui vous répugne abandonnez-vous à Dieu pour cette même chose, elle vous sera moins pesante parce que vous l’aurez voulue

Il faut recevoir... D 1p6-7...   

 

Cantique

D 1p7-8 ...marge Ms en note D

J’ai levé la barrière qui empêchait et ma perte totale et la consommation de mon mariage divin. Car le mariage divin n’est consommé que par la perte totale. J’ai donc ôté cette barrière, par l’abandon le plus courageux et le sacrifice le plus pur qui fut jamais.

Ce sacrifice est celui de l’éternité D en note p9 (Ms8r°)... je m’aperçois que j’y fuis.

Ceci est bien différent... D en note p10-11 (Ms9r°)...je commençai à entendre parler de Molinos la première fois en écrivant les Epitres de Saint Paul vers la moitié, ce qui m’obligea de me mieux expliquer, comme on le verra si l’on veut bien pour l’amour et pour la gloire de Dieu les lire. J’ai toujours eu ces gens en horreur comme le Diable, puisqu’il les meut sans comparaison comme mon Dieu meut notre Epouse, il la meut pour la faire tendre vers lui, et le Diable conduit les autres en enfer, non dans un enfer spirituel mais éternel. Je prie ce Dieu de vérité... D en note p11 ...dans leurs sentiments. L’original est signé.

Dieu fait sa résidence continuelle auprès des âmes abandonnées qui comme des eaux promptes et rapides ne s’arrêtent pour chose du monde... Dp11-12 (Ms9v°) ... Si les plus grandes eaux des afflictions, des contradictions, des misères et pauvretés n’ont[247] pu éteindre la charité dans une telle âme, il ne faut pas croire que les fleuves de l’abandon à la providence le puissent faire, puis ce sont eux qui la conservent. Si l’homme a eu tant de courage pour abandonner tout ce qu’il possédait et tout soi-même afin d’avoir cette pure charité (qui ne s’acquiert que par la perte de tout le reste) il vienne à le quitter etc. qui regarde un autre état.[248]

(Ms10r°)

 Réponse à ces propositions.

Abandon résignation

Imitation... C’est moi qui sonde les coeurs ... D 1.1-8 p13-14

Ste Thérèse... Il me semble qu’ici... (Ms10v°) D 1.13-19 légères variantes en 1.17-18 Ah vous ne désirez rien autre chose si ce n’est qu’une âme qui s’est abandonnée entre vos mains obéisse. Elle n’a pas besoin de rechercher les chemins ni penser aux choses qu’elle doit faire, sa volonté étant déjà la vôtre.

Fr. Jean de St Samson... L’homme n’a rien à faire de meilleur que de se laisser et abandonner ... (Ms11v°) D 1.23-24 ...ni nous détendre d’un seul point d’esprit et de coeur de son éternelle fuite.

(Ms12r°) Tant[249] qu’il reste à l’âme un point de vie possible pour l’aspiration amoureuse, il met poussement amoureux, l’âme n’a point la disposition requise pour se donner et se livrer à pur et à plein en proie à Dieu pour faire les premières approches de la voie mystique par l’entière perte et abandonnement de tout soi-même.[250]

Souvenez-vous que la sainteté de Dieu dedans les hommes gît et consiste... D1.32-33 ...et à l’abandon.

Ces âmes sont toujours satisfaites... D1.29-30  (Ms12v°)...espèces sensibles.

St François de Sales... Notre volonté ne peut...  D1.15.34 attention à la note de D et non du Ms; il signale la différence par des crochets: [a] au lieu de (a) ...de Dieu.

Nous pouvons... D1.21-22 p17-21 avec de légères variantes ...elle ne le remercia point mais répéta les mêmes choses.

Catherine de Gênes... O bienheureuse âme... D1.10-12 p14-15 ...de ces facultés.

St Augustin... Que toutes les imaginations... D1.34 ...plus à soi.

Soeur  Marie Voss. conduite par St François de Sales lui rendant compte en sa lettre circulaire Il[251] me semble que je ne sens point de résistance ni de difficultés au moin en ma volonté d’accepter et de souffrir tout ce que Dieu pourrait vouloir quand même ce serait les peines d’enfer et pour une éternité, parce que (quand ce serait son bon plaisir,) je n’aurais point commis de péché et n’en commettrais point, puisque son bon plaisir ne peut vouloir le péché et n’en est jamais l’auteur.

Fr Jean de St Samson Cabinet mystique  Il faut que l’épouse toute dépouillée de soi-même et de toute satisfactions soit totalement résignée et renoncée, se conformant totalement à la volonté divine pour souffrir un temps et une éternité les rigueurs d’un tel hiver, je veux dire l’absence de son époux.

P 188 Notre[252] résignation est infinie et sans fin et n’a (Ms15r°)pas même le présent ni l’éternité quoiqu’il soit vrai qu’elle doit prendre fin avec nous, au reste nous ne pensons point à toutes ces distinctions et réflections d’autant que nous ne sommes point à tout parfaitement anéantis.

P 214 Quand quelqu’un qui tend à la perfection sera venu au point de la mort... D1.28 ...et continuel.

Cette lettre 74 sur la mort du Père Dominique de St Albert On[253] ne peut comprendre l’essentielle sainteté de ce grand homme dans la voie très perdue et très suréminente, d’où on peut juger pieusement qu’elle est son immense gloire essentielle en la ?patrie et sa gloire accidentelle qui suit indiciblement toutes les vertus lesquelles ont été très exemplaires et très éminentes jusqu’au point de la mort. Il ne s’est point recommandé aux prières de personne en mourant, il en savait la raison infinie. Pour mon regard cette vue et cette représentation m’est si délectable que je voudrais toujours y être occupé.

(Ms15v°)

3e proposition

Actes


 

TABLE DES MATIERES

Table des matières

µ Brouillon du Totum des Justifications à la fin juin 2017. 2

Le Florilège mystique né d’un procès  3

Contexte historique. 6

L’intérêt déborde largement celui d’un procès. 11

Les Justifications de Madame J.M.B. de la Mothe Guion. 15

µ Page de titre en image à reproduire ici 15

Préface  17

Addition de l'imprimeur 24

Tables des articles  26

µ pages 24-25 à reconnaître. 27

Table des auteurs  27

µ pages 26 à 28 omises, suivies d’une page 29 reprenant le titre puis d’une reprise des articles du tome I pages 31-32. 27

Justification du Moyen court et facile et de l'explication sur le Cantique des cantiques, 29

Propositions du Moyen court et facile et du Cantique des Cantiques  31

[Tome I des éditions originales] 31

I. Abandon. Résignation. 31

Moyen court 31

Cantique. 34

L'Imitation de Jésus-Christ 38

Henri Suso. 39

Sainte Catherine de Gênes. 39

Sainte Thérèse. 40

Saint François de Sales. 41

Le frère Jean de Saint-Samson. 45

Le Père Epiphane Louis, Abbé d'Estival, rapporte. 48

II. Actes  49

Moyen court. 49

Cantique. 54

Henri Suso. 54

Sainte Catherine de Gênes. 55

Le Bienheureux Jean de la Croix. 55

Le Père Jacques de Jésus. 60

Le Père Benoit de Canfeld. 61

Saint François de Sales. 62

Le Frère Jean de Saint-Samson. 62

L'Auteur du Jour mystique. 63

III. Anéantissement 67

Moyen court 67

Cantique. 67

Saint Denis. 68

Henri Suso. 68

L'Imitation de Jésus-Christ 69

Henri Harphius. 69

Sainte Catherine de Gênes. 69

Sainte Thérèse. 71

Le Bienheureux Jean de la Croix. 71

Le Père Benoit de Canfeld. 72

Saint François de Sales. 73

Le Frère Jean de Saint Samson. 73

IV. Centre, fond de l'âme  75

Moyen court 75

Cantique. 76

Saint Denis. 78

Sainte Catherine de Gênes. 78

Le Bienheureux Jean de la Croix. 78

Saint François de Sales. 80

Le Frère Jean de Saint Samson. 81

Monsieur Olier. 82

L'Auteur du Jour mystique. 82

V. Chemin court. Ce chemin est le plus court 85

Moyen court 85

Sainte Thérèse. 85

Le Frère Jean de Saint Samson. 85

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte. 85

VI. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous. 89

Moyen Court 89

Cantique. 90

L'Imitation de Jésus-Christ 90

Sainte Thérèse. 91

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte. 92

Saint François de Sales. 92

VII. Chute. Cause de Chute  93

Cantique. 93

Saint Denis. 94

Le Frère Jean de Saint Samson. 94

VIII. Communications. Conversations  97

Moyen court 97

Cantique. 97

§ 1. Communications de Dieu à l'âme. 99

Le Bienheureux Jean de la Croix. 99

Le Père Jacques de Jésus. 102

§. II. Communications avec les âmes d'esprit à l'esprit 103

S. Denis. 103

Henri Suso. 104

Sainte-Catherine de Gênes. 105

Sainte Thérèse. 106

Le frère Jean de Saint Samson. 108

IX. Confessions. Examen de conscience. 111

Moyen court 111

Sainte-Catherine de Gênes. 113

Saint-François-de-Sales. 116

Le frère Jean de Saint Samson. 116

M. Olier. 118

Le père Épiphane Louis, abbé d'Estival 118

X. Consistance. État de consistance ou stabilité. 123

Cantique. 123

S. Denis. 128

S. AUGUSTIN. 129

HENRI SUSO. 131

Ste CATERINE DE GENES. 132

Ste. TÉRÉSE. 134

Le B. JEAN DE LA CROIX.. 135

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA. 138

Le P. JAQUES DE JESUS. 139

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.. 142

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE. 146

XI. Conversion. 147

MOYEN COURT. 147

CANTIQUE.. 148

S. DENIS. 148

Ste. TÉRÉSE. 149

XII. Création. Dernière fin. Origine. 151

MOYEN COURT. 151

CANTIQUE. 152

HENRI SUSO. 155

CATERINE DE GENES. 155

Le B. JEAN DE LA CROIX.. 157

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.. 160

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON. 161

XIII. Défauts. 165

MOYEN COURT. 165

CANTIQUE.. 165

Ste. CATHERINE DE GENES. 169

Ste. TÉRÉSE. 170

Le B. JEAN DE LA CROIX. 172

Le P. BENOIT DE CANFELD. 176

S. FRANCOIS DE SALES. 177

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON. 179

XIV. Désir. Dieu désire de se donner à nous. 183

MOYEN COURT. 183

S. DENIS. 183

Ste. CATERINE DE GENES. 184

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON. 184

XV. Non-désir. Ne pouvoir désirer ni demander. 185

CANTIQUE. 185

EXPLICATION. 186

CASSIEN. 194

RUSBROCHE. 194

L'IMITATION DE JESUS-CHRIST. 195

HARPHIUS. 195

Ste. CATERINE DE GENES. 195

Ste. TÉRÉSE. 198

Le B. JEAN DE LA CROIX. 199

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA. 199

Le P. JACQUES DE JESUS. 201

Le P. BENOIT DE CANFELD. 201

S. FRANCOIS DE SALES. 204

Le Fr JEAN DE S. SAMSON. 207

Mons. OLIER. 208

Le P. SURIN. 208

Le P. EPIPHANE LOUIS, Abbé d'Estival 209

XVI. Dieu enseigne l'âme. Science. Sapience. 213

CANTIQUE. 213

S. DENIS. 214

L'IMITATION DE JESUS-CHRIST.. 215

Le B. JEAN DE LA CROIX. 215

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON. 217

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE. 218

XVII. Distractions. Tentations. 219

MOYEN COURT. 219

L'IMITATION DE JESUS CHRIST. 220

Ste. TH ÉRÈSE. 221

Le B. JEAN DE LA CROIX.. 222

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.. 225

Le P. BENOIT DE CANFELD.. 228

S. FRANCOIS DE SALES. 229

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE.. 229

XVIII. Entendre. Intelligence. Parole. Dieu parle à l'âme  235

MOYEN COURT.. 235

CANTIQUE.. 236

S. DENIS. 236

L'IMITATION DE JESUS CHRIST.. 237

HARPHIUS. 239

Ste. CATHERINE DE GENES. 239

Le B. JEAN DE LA CROIX.. 240

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.. 245

Le P. JACQUES DE JESUS. 248

S. FRANCOIS DE SALES. 250

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON.. 251

XIX. Expérience. Intelligence. 253

MOYEN COURT. 253

Ste. THÉRÈSE. 253

Le B. JEAN DE LA CROIX.. 254

Le P. NICOLAS DE JESUS-MARIA.. 254

Le P. JACQUES DE JESUS. 257

Le Fr. JEAN DE S. SAMSON. 257

L'AUTEUR DU JOUR MYSTIQUE. 258

XX. Extase. 259

CANTIQUE. 259

Ste. TH ÉRÈSE. 260

Le B. JEAN DE LA CROIX. 261

µ ici fin de la transcription. Marc terminera le tome I soit les pages 260 à 432 (172 pages) 265

[Tome II des éditions originales] 266

µ page de titre en photo. 266

µ Table des articles du II. Tome. 266

µ contribution précédée de titres = à revoir ! 266

XXXVIII. Mortification. Pénitence extérieure. 267

Cantique. 270

Ste Catherine de Gênes. 271

Le B. Jean de la Croix. 273

Le P. Jaques de Jésus. 276

Le Fr. Jean de S. Samson. 277

XXXIX. Motion divine. 281

Moyen court. 281

Cantique. 283

S. Denis. 284

Henri Suso. 285

Rusbroche. 285

Ste Caterine de Gênes. 285

Ste Térèse. 285

Le B. Jean de la Croix. 286

Le P. Nicolas de Jésus Maria. 288

S. François de Sales. 291

Mons. Olier. 291

XL. Nudité. 293

Cantique. 293

S. Denis. 293

Ste Caterine de Gênes. 294

Le B. Jean de la Croix. 295

Le Fr. Jean de S.Samson. 296

L’auteur du Jour mistique. 296

XLI. Oisiveté. 297

Moyen court. 297

S. Denis. 297

Le B. Jean de la Croix. 298

Le P. Nicolas de Jésus Maria. 300

Le P. Jaques de Jésus. 301

Le P. Benoît de Canfeld. 301

Mons. Olier. 302

XLII. Opérations de Dieu en l’âme. 303

Moyen court. 303

Cantique. 303

Henri Suso. 304

Ste Caterine de Gênes. 304

Le B. Jean de la Croix. 305

Le P. Nicolas de Jésus-Maria. 306

XLIII. Opérations propres. 311

Moyen court. 311

S. Denis. 316

Henri Suso. 319

Rusbroche. 319

Harphius. 320

Ste Caterine de Gênes. 320

Ste Térèse. 322

Le B. Jean de la Croix. 324

Le père Nicolas de Jésus Maria rapporte. 328

Le père Jaques de Jésus rapporte. 329

Le frère Jean de S. Samson. 329

Le père Épiphane Louis rapporte. 332

XLIV. Oraison. 335

Paragraphe I. Que tous peuvent faire oraison. 335

Moyen court. 335

Saint Denis. 336

Sainte Catherine de Gênes. 336

Sainte Thérèse. 336

Le bienheureux Jean de la Croix. 337

Le père Nicolas de Jésus Maria rapporte. 339

Le P. Jaques de Jésus. 342

L'auteur du Jour Mistique. 346

§ II. Oraison et méditation. 348

Moyen court. 349

Méditation. 349

Moyen court. 349

[µ La suite du texte du Moyen court sera reprise notre édition elle couvre les pages 101 à 104] 350

Cassien. 351

Sainte Thérèse. 351

Le B. Jean de la Croix. 355

S. François de Sales. 362

Le père Épiphane Louis, abbé d'Estival. 362

§ III. Contemplation. 363

S. Denis. 363

L'imitation de Jésus-Christ. 364

Harphius. 364

Le P. Benoît de Canfeld. 364

Le Père Nicolas de Jésus Maria rapporte. 365

XLV. Perte, absorbement, perte d'opération pour passer en Dieu. Perte de distinction de Dieu et de l'âme. 373

Cantique. 373

Saint Denis. 376

Henri Suso. 376

Rusbroche. 377

L'Imitation de Jésus-Christ. 377

Sainte Catherine de Gênes. 377

Sainte Thérèse. 378

Le B. Jean de la Croix. 379

Le Père Nicolas de Jésus Maria rapporte. 382

Le Père Benoît de Canfeld. 384

Saint François de Sales. 384

Le Fr. Jean de S. Samson. 384

Monsieur Olier. 388

Le Père Épiphane Louis abbé d'Estival rapporte. 390

XLVI. Présence de Dieu. 391

Moyen court. 391

Cantique. 393

Saint Denis. 396

L'Imitation de Jésus-Christ. 397

Harphius. 398

Sainte Thérèse. 398

Le B. Jean de la Croix. 398

µ Fin des dictées à la page 163 = à faire la suite ! 399

[Tome III des éditions originales] 400

LI. Quiétude. Tranquillité. Repos. Recueillement. Paix. Calme. Silence. 401

Moyen court 401

Cantique. 402

§ I. Quiétude, etc. 403

Saint Denys. 403

Saint Augustin. 405

Henri Suso. 407

L’Imitation de Jésus Christ 407

Sainte Catherine de Gênes. 408

Sainte Thérèse. 409

Le bienheureux Jean de la Croix. 410

Le Père Nicolas de Jésus-Maria rapporte. 415

Le Père Jacques de Jésus. 418

Saint François de Sales. 419

Le Frère Jean de Saint-Samson. 422

L’auteur du Jour mystique. 422

§ II. Silence. 423

Saint Jean Chrysostome. 423

Sainte Thérèse. 423

Le bienheureux Jean de la Croix. 423

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte : 423

Antoine de Royas. 423

Monsieur Olier. 426

Le Père Épiphane Louys. 427

LII. Rassasiement 427

Moyen court 427

Saint Denys. 427

Sainte Catherine de Gênes. 427

Sainte Thérèse. 428

Le bienheureux Jean de la Croix. 428

Le Frère Jean de Saint-Samson. 429

L’auteur du Jour Mystique. 430

LIII. Réflexions  431

Moyen court 431

Cantique. 431

Henri Suso. 431

Ruusbroec. 432

Le bienheureux Jean de la Croix. 432

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 432

Saint François de Sales. 432

Le Frère Jean de Saint-Samson. 432

LIV. Renoncement 433

Moyen court 433

Cantique. 433

L’Imitation de Jésus-Christ 434

Le bienheureux Jean de la Croix. 434

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 434

LV. Résurrection. Vie nouvelle. 437

Cantique. 437

Saint Denys. 438

Saint Augustin. 439

Saint Climaque. 439

Henri Suso. 439

Le bienheureux Jean de la Croix. 439

Le Père Nicolas de Jesus-Maria. 439

Saint François de Sales. 440

Le Frère Jean de Saint-Samson. 440

LVI. Sacrifice  441

Moyen court 441

Cantique. 442

L’Imitation de Jésus-Christ 442

Le bienheureux Jean de la Croix. 442

Saint François de Sales. 442

Monsieur Olier. 443

LVII. Saints inconnus  445

Cantique. 445

Sainte Catherine de Gênes. 447

Sainte Thérèse. 447

Le Frère Jean de Saint-Samson. 447

LVIII. Scandale  451

Cantique. 451

Sainte Catherine de Gênes. 452

Sainte Thérèse. 452

Le Frère Jean de Saint-Samson. 452

LXI. Sentiments  455

Cantique. 455

Saint Denys. 455

Sainte Catherine de Gênes. 455

Sainte Thérèse. 455

Le bienheureux Jean de la Croix. 456

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 457

LX. Simplicité  457

Moyen court 457

Cantique. 458

Saint Denys. 459

Saint Augustin. 461

Saint Jean Climaque. 461

L’Imitation de Jésus-Christ 464

Harphius. 464

Le bienheureux Jean de la Croix. 464

Le Père Benoît de Canfeld. 465

Le Frère Jean de Saint-Samson. 465

LXI. Sortie de soi. Oubli de soi. 471

Moyen court 471

Cantique. 471

Saint Denys. 474

Ruusbroec. 474

L’Imitation de Jésus Christ 474

Le bienheureux Jean de la Croix. 475

Le Père Jacques de Jésus rapporte. 477

Saint François de Sales. 477

Le Frère Jean de la Croix. 477

Monsieur Olier. 478

LXII. Souffrance  479

Moyen court 479

Cantique. 480

L’Imitation de Jésus-Christ 482

Sainte Thérèse. 482

Le bienheureux Jean de la Croix. 483

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 485

Le Frère Jean de Saint-Samson. 485

LXIII. Transformation  491

Cantique. 491

Saint Denys. 492

Saint Augustin. 492

[a. cette recherche ou ce désir n’est pas la transformation...] 495

[a. Comment aimer Dieu de tout notre esprit ?] 498

Ruusbroec. 502

Harphius. 503

Sainte Catherine de Gênes. 503

Le bienheureux Jean de la Croix. 504

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 507

Le Père Benoît de Canfeld. 509

Saint François de Sales. 510

Le Frère Jean de Saint-Samson. 510

LXIV. Tromperie  517

Moyen court 517

Cantique. 517

Saint Denys. 517

Sainte Catherine de Gênes. 517

Sainte Thérèse. 518

Le bienheureux Jean de la Croix. 518

Le Frère Jean de Saint-Samson. 519

L’auteur du Jour mystique. 520

LXV. Vertu  521

Moyen court 521

Cantique. 522

Saint Augustin. 523

Saint Jean Climaque. 525

Sainte Catherine de Gênes. 526

Le bienheureux Jean de la Croix. 527

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 529

Le Frère Jean de Saint-Samson. 530

LXVI. Union. Unité. 531

Moyen court 531

Cantique. 533

Saint Denys. 538

Saint Augustin. 541

Saint Jean Climaque. 543

Henri Suso. 544

L’Imitation de Jésus-Christ 544

Harphius. 545

Sainte Thérèse. 546

Le bienheureux Jean de la Croix. 548

[b. Notez qu’il met toujours goûter et savoir...] 564

[a. Il faut mesurer la plénitude de lumière sur la profondeur du vide...] 567

Le Père Nicolas de Jesus-Marie rapporte. 573

Saint François de Sales. 574

Le Frère Jean de Saint-Samson. 577

L’auteur du Jour mystique. 584

LXVII. Volonté de Dieu  587

Moyen court 587

Cantique. 587

µ vérifier car non relu tome III. 587

Saint Jean Climaque. 588

L’Imitation de Jésus-Christ 588

Sainte Catherine de Gênes. 590

Sainte Thérèse. 591

Le bienheureux Jean de la Croix. 592

Le Père Nicolas de Jesus-Maria rapporte. 594

Le Père Benoît de Canfeld. 594

[b. Pour ne se point blesser de ce terme d’imparfait...] 595

Saint François de Sales. 596

Le Frère Jean de Saint-Samson. 598

L’auteur du Jour mystique. 598

[J’ajoute à toutes les autorités rapportées jusqu’ici...] 601

Conclusion  603

Recueil de quelques autorités des saints Pères de l’Église grecque. 609

Avis. 609

TABLES DES ARTICLES DE CE RECUEIL. 610

TABLE DES PÈRES RAPPORTÉS AU RECUEIL. 611

I. Chercher Dieu en soi. Règne de Dieu en nous. 611

Saint Macaire. 611

II. Communications de Dieu à l’âme. 613

Saint Clément d’Alexandrie. 613

Saint Grégoire de Nazianze. 614

III. Consistance. État de consistance ou stabilité. 614

Saint Clément d’Alexandrie. 614

IV. Distractions. Tentations. 617

Saint Clément d’Alexandrie. 617

Saint Macaire. 617

V. Entendre. Intelligence. 618

Saint Clément d’Alexandrie. 618

VI. Fécondité Spirituelle. 620

Saint Clément d’Alexandrie. 620

VII. Habitude des vertus et actes. 621

Saint Clément d’Alexandrie. 621

Saint Basile. 621

VIII. Impassibilité ou immobilité de l‘âme. 622

Saint Clément d’Alexandrie. 622

Saint Grégoire de Nazianze. 626

IX. Louange de Dieu  626

Saint Clément d’Alexandrie. 626

Saint Jean Chrysostome. 627

X. Mystères  627

Saint Clément d’Alexandrie. 627

Saint Jean Chysostome. 627

XI. Oraison. Contemplation. 627

Saint Clément d’Alexandrie. 627

Saint Macaire. 630

XII. Présence de Dieu  632

Saint Ignace. 632

Saint Polycarpe. 633

Saint Athénagore. 633

Saint Clément d’Alexandrie. 633

Origène. 634

Saint Basile. 634

Saint Grégoire de Nazianze. 635

Saint Macaire. 636

Saint Jean Chrysostome. 638

XIII. Pur Amour 639

Saint Clément d’Alexandrie. 639

Saint Basile. 642

Nicetas. 644

Saint Grégoire de Nysse. 644

Saint Jean Chrysostome. 645

Saint Denys. 648

Saint Jean Climaque. 648

Saint Maxime. 649

XIV. Purification. Épreuves. 649

Saint Macaire. 649

XV. Quiétude. Repos. 651

Saint Clément d’Alexandrie. 651

XVI. Renoncement 651

Saint Macaire. 651

XVII. Souffrances  652

Saint Macaire. 652

XVIII. Transformation  653

Saint Clément d’Alexandrie. 653

Saint Macaire. 655

µ Jeanne-Lydie Goré. 656

LE TRAITÉ DE L'AUTORITÉ DE CASSIEN   657

INTRODUCTION par Jeanne-Lydie Goré. 657

Tradition des S.S. Pères du Désert sur l’Etat Fixe. 659

d'Oraison Continuelle /ou. 659

Examen de la IXe et Xe Conférence de Cassien. 659

DE L'AUTORITE DE CASSIEN.. 660

DE L'ORDRE DE CET EXAMEN.. 663

CONFERENCE NEUVIEME.. 664

CONFERENCE DIXIEME.. 683

µ notes séparées du tome III. 696

µ A finir. 696

ANNEXES  701

Liste des « Autorités » mystiques classées suivant le nombre total de citations. 701

Classement par ordre alphabétique d’auteur. 705

Statistique selon l’ordre des fréquences. 709

Début d’une comparaison entre le manuscrit B.N.F et l’édition Dutoit 711

TABLE DES MATIERES  719

Fin. 734

 

 

 


 

Fin

On a les clefs I à XX, XXXVIII à XLVI, LI à LXVII , Recueil des Pères I à XVIII, Tradition...Cassien

On a les clefs 1-20, 38-46, 51-67, Recueil Pères et Tradition...Cassien

Soit 20+9+17=46 sur 70 clefs=0.66=2/3des clefs

Clefs seules couvrent 564-32=532pages = 177pages à ajouter pour le dernier tiers non saisi

 

Conduit à un volume de  681+177=858 pages

Conduit à 2 tomes de  430Pages env .(en fait 450 avec études)

 

 

Impression en ligne Lulu juillet 2017

 

 



[1] Lettre au duc de Chevreuse,18 juillet 1694.

[2] L. Cognet, Crépuscule des Mystiques, Desclée, 1958, présente l’écheveau des intrigues mêlées aux divergences doctrinales. Sur les Justifications et les travaux parallèles de Fénelon, v. les pages 227, 246 à 250.

[3] A toutes fins utiles.

[4] Reprise des « Epreuves... »

[5] Vie, 3.11.5.

[6] Cm, p. 146.

[7] Vie, 3.11.5, contradictoire avec le « J’y restai deux ans et demi » que l’on situe comme un séjour avec sa fille encore très jeune à Vaux-le-Vicomte. Peut-être s’agit-il simplement d’un pied-à-terre - bien situé puisque à mi-chemin entre Vaux  (sud-est de Paris) et Versailles (ouest de Paris). Il est possible que la belle-mère ait été rapidement assez encombrante. Ce pied-à-terre permet aussi sa propre liberté pour recevoir discrètement des visiteurs. Il s’agit peut-être du « Passy » cité dans le troisième interrogatoire par la Reynie, f°145.

[8] Maintenon, Lettres, éd. Langlois, Paris, 1935, t. IV, p. 63. 

[9] Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de Chevreuse (1656-1712). Ce disciple très proche de Mme Guyon avait été élève des « Petites Ecoles » de Port-Royal. Gendre de Colbert, beau-frère et ami du duc de Beauvillier,  conseiller particulier respecté par Louis XIV, il fut ministre d’État après 1704. Saint-Simon lui élève le remarquable « tombeau » suivant : « …la disgrâce de l’orage du quiétisme qui fut au moment de le renverser, la perte de ses enfants, celle de ce parfait dauphin, nul événement ne put l’émouvoir ni le tirer de ses occupations et de sa situation ordinaire avec un coeur bon et tendre toutefois. Il offrait tout à Dieu, qu’il ne perdait jamais de vue; et dans cette même vue, il dirigeait sa vie et toute la suite de ses actions. Jusque avec ses valets il était doux, modeste, poli ; en liberté dans un intérieur d’amis et de famille intime, il était gai et d’excellente compagnie, sans rien de contraint pour lui ni pour les autres, dont il aimait l’amusement et le plaisir; mais si particulier par le mépris intime du monde… » (Saint-Simon, éd. Cherel, livre 10 chap. 12).

[10] Cm, p. 132 à 134 sur toute cette période où Mme de Maintenon travaille à éliminer doucement Mme Guyon et Fénelon.

[11] Cm, p. 134.

[12] Il s'agit du « Boileau de l'hôtel de Luynes » ou « de l’Archevêché », Jean-Jacques Beaulaigue d’Agen, qui subit la trouble influence d’une sœur, Rose, violemment hostile à Mme Guyon. Boileau fut lié au groupe janséniste ; il demeura avec Gaston de Noailles et lorsque ce dernier devint archevêque, il le chargea souvent de la rédaction de ses mandements (voir l’importante note 4 d’Orcibal à la lettre 101 du tome III de la Correspondance de Fénelon).

[13] Vie, 3.12.10.

[14] Vie, 3.11.6-8.

[15] Cm, p. 162-163.

[16] Vie, 3.12. ; dès le mois de mars selon Cm,  p. 155 : « Fénelon, dans une lettre du 2 mai 1693 à Mme de la Maisonfort, approuva cette mesure, qu’il estimait prudente… ».

[17] Vie, 3.13.1-4.

[18] Cm, p. 170. – La scène fait l’objet d’une séquence vivante du film « Saint-Cyr » (2000, réalisation Patricia Mazuy, prix Jean Vigo), dont l’ensemble rend fort justement une atmosphère ascétique mortifère tout à fait éloignée de celle, assez joyeuse et ne dédaignant pas les plaisanteries simplettes, qui régnait au sein du cercle quiétiste (dont témoigne par exemple la lettre de Mme Guyon d’octobre 1694 : « Mon bon abbé, faites–moi voir un cachet où il y ait un saint Michel qui marche sur le dragon […] le Tuteur [Chevreuse] tient la corne du milieu et lui couvre les yeux le mieux qu’il peut…, etc. ». - Dévotion inquiète et piété mortifère suintent des cinq volumes de la correspondance de Mme de Maintenon (éd. Langlois, 1935).

[19] Cm, p. 179 : « On saisit bien […] l’opposition entre l’ontologisme de Bossuet et le psychologisme [nous préférerions : la description expérimentale] de Mme Guyon… ».

[20]Leur supérieure et fondatrice, la « Mère du Saint-Sacrement », Mère Mechtilde ou Catherine de Bar (-1698), fut une correspondante de Jean de Bernières et fait partie du « réseau mystique » auquel se rattachent M. Bertot et Mme Guyon. De nombreuses et belles lettres de cette figure mystique ont été éditées assez récemment ; pas moins de 994 études qui lui sont consacrées sont répertoriées dans Bibliographia Mechtildiana, Benediktinerinnen, Köln, 2001.

[21] Vie, 3.13.5-11 ; 3.14.3-13.

[22] Vie, 3.11.9 (Var. Poiret) ; Cm, p. 225, note 2, situe cet événement vers mai-juin 1694. Sur la ville d’eau, voir la note qui la décrit brièvement à l’occasion du second interrogatoire par la Reynie.

[23] Les Justifications seront publiées par la suite par Poiret en trois volumes (avec des modifications par rapport au ms. de la B.N.F. affectant surtout l’ordre des matières).

[24] Texte fondamental pour comprendre la spiritualité de Fénelon et de Mme Guyon, édité en 1930 par Dudon, et par nos soins en 2005 (François de Fénelon, Le Gnostique de saint Clément d’Alexandrie / La Tradition secrète des mystiques, Arfuyen).

[25] Vie, 3.15 à 3.17. On doit à Cognet l’étude détaillée de toute la période, dont des lumières apportées aux manœuvres souterraines de Mme de Maintenon, v. Cm, Chapitres IV à VI.

[26] Manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 du fond Bossuet ;

[1720] Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720. [3 tomes en 1 vol. in-8° B.N.F., D.37253 et 6 vol. in-8° Rés. D.37254].

[1790]  Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de  la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris [Lyon] chez les Libraires Associés, MDCCXC. Cette édition de Dutoit reprend celle de Poiret. Elle comporte 3 tomes[26] soit :

1 : Tome I : Préface [par Dutoit] I-XVI. Justifications : chap. I-XXXVII p. 1-432. 

2 : Tome II : Justifications : chap. XXXVIII-L p. 1-379.

3 : Tome III : « Table des articles du IIIe tome » deux p. Justifications : chap. LI-LXVII. p. 1-256. Conclusion p. 257-265. Page : « Non nobis, Domine, non nobis … Deo Soli ». Recueil de quelques autorités des S. Pères de l’Eglise grecque : art. I-XVIII p. 267-328. Examen … de Cassien touchant l’état fixe… p. 331-368. Table des matières principales des trois volumes… p. 369-432.

L’apport de Fénelon se limite aux pages 267-368 du tome III.

[27] Vie, 3.16.7.

[28] Jean de la Croix est béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726, déclaré docteur de l’Église le 24 août 1926.

[29] Thérèse d’Avila est béatifiée le 24 avril 1614, canonisée le 12 mars 1622, déclarée docteur de l’Église le 27 septembre 1970 (date assez tardive correspondant à celle de la reconnaissance des femmes).

[30] Plus précisément, les occurrences des dix auteurs les plus présents sont les suivantes : 293 fois Jean de la Croix,  241 fois Jean de Saint Samson,  156 fois Catherine de Gênes, 117 fois Thérèse, 100 fois Denys, 94 fois Clément d’Alexandrie [pris en charge par Fénelon], 82 fois François de Sales, 75 fois l’Imitation de Thomas a Kempis, 35 fois Jean Climaque, 33 fois Suso. On note l’apport modeste de Fénelon - très présent dans les titres des éditions du XVIIIe  siècle de par son rayonnement sur l’Europe toute entière. Voir aussi sur les sources utilisées : L. Cognet, Crépuscule…, op.cit., p. 248.

[31] Une comparaison entre l’édition et les manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 nous a permis de vérifier la fidélité de celle-ci au contenu global des chapitres, en dehors du travail de transformation par « remise en ordre » chronologique des extraits et des amendements portant sur le vocabulaire : l’impression initiale selon laquelle il y aurait de profondes divergences entre le manuscrit et l’édition n’est qu’apparente et se résoud dès que l’on a saisi la nature de cette transformation au sein de chaque clé.

[32] Madame Guion.

[33] Paginations romaine pour la préface de Poiret, arabe par la suite. Reproduites au fil des textes de la première édition de 1720.

[34] moiens.

[35] Mistique. Dorénavant je n’indique plus les modernisations orthographiques.

[36] (a) Conc. Trid. Seff. 6. Can.4.

[37] Abnégation Evangelique : j’omettrai souvent des capitales très nombreuses dans les éditions Poiret.

[38] C’est la seule mais grande différence entre les originaux adressés à Bossuet et l’édition présente. On peut regretter le « désordre » primitif ainsi que quelques termes vifs arrondis par Poiret. DT.

[39] En fait l’extraordinaire ampleur d’un travail incluant, outre plus de mille pages de textes mystiques classés en 67 clés, incluant de très nombreux renvois les reliant, augmenté de profondes explications « pratiques » plutôt que théoriques, suggère une volonté commune à madame Guyon et Fénelon. Ils ont « tiré le meilleur d’une nécessité » : constituer un florilège mystique complet.  Utile aux membres des cercles mystiques, l’édition de l’ouvrage de 1694 a certainement été autorisée et encouragée par madame Guyon. Elle meurt en 1717, la sortie de presse a lieu en 1720.

[40] Explications des AT et NT qui couvriront 20 tomes dans l’édition des œuvres par Poiret.

[41] (a) Remarquez qu'il n'est pas dit qu'on s'abandonne et qu'on s'oublie, pour se dérégler ; mais pour ne s'occuper et ne penser qu'à Dieu.

[La remarque figure en corps réduit au fil du texte courant, à la suite de « n. 3 » avant « Ne faites pas... ». Je reporte en note (en omettant les « (a) », « (b) » etc. de l’imprimé) lorsque l’ajout de madame Guyon  au florilège d’auteurs mystiques est court ; parfois je le conserverai au fil du texte courant lorsqu’il s’agira d’une importante et parfois ample explication (qui peut parfois couvrir plus d’une page !) afin qu’elle ne soit pas perçue comme trop accessoire.]

[42] C'est le moyen de n'être pas trompés dans les désirs.

[43] Isa. 49, vs. 15.

[44] L'abandon est accompagné des vertus distinctes.

[45] Je ne répèterai pas le titre d’ « Autorités : » par la suite. Les extraits du Moyen court et du Cantique seront directement suivis de ceux des mystiques antérieurs.

[46] D’eschars, avare.

[47] Il s’agit du franciscain capucin Pierre de Poitiers, auteur du Jour [lumière] mystique.

[48] Constantin de Barbanson, capucin.

[49] Note du copiste [Marc Legrand ML] : 7 âges dont le dernier coïncide avec le repos éternel. Cf. Marguerite Porète et ses 7 "morts".

[50] Note D. Tronc. (mail au copiste du 31/01/2016) : "acoisée", du verbe "acoiser" : calmer, adoucir… (dictionnaire de Godefroy)

[51] Note D. Tronc. (mail au copiste du 31/01/2016) : "entretissu", du verbe "entretisser" : former un tissu (dictionnaire de Godefroy). Note du copiste : Il reste pour le moins curieux que le participe passé de ce verbe (du 1er groupe) ait donné "entretissu" (avec un "u") et non "entretissé" (avec un "é") comme on s'y serait plutôt grammaticalement attendu. Néanmoins c'est bien cette curieuse forme en "u" qui apparaît primitivement dans les Œuvres Spirituelles de Jean de la Croix (traduites de l'espagnol par le R.P. Cyprien de la Nativité, dans l'édition de 1665). On retrouve également cette forme dans l'édition de 1790 du tome I des Justifications.

 

[52] Note du copiste. "Réplétion" : plénitude

[53] Note du copiste : La vierge Marie ?

[54] Note du copiste : Il semble qu'il s'agisse du "grand signe" évoqué par saint Jean dans l'Apocalypse : " Et signum magnum appáruit in cælo : Múlier amícta sole, et luna sub pédibus eius, et in cápite eius coróna stellárum duódecim.". On peut lire dans l'édition de 1627 de La Vive Flame d'Amour (traduit de l'espagnol par M.R. Gaultier) : "C'est la merveilleuse & mystérieuse jonction que sainct Jean veit en ceste femme de remarque (appellée signum magnum, le grand signe)…".

[55] Note du copiste : "Compréhenseur" : celui qui comprend (dictionnaire de Godefroy). C'est le terme "compreneurs" qui est employé dans l'édition de 1627 de la Vive Flame d'Amour (traduite par M.R. Gaultier). Il lui sera préféré le terme (synonyme) de "compréhenseurs" dans l'édition de 1665 (traduction du R.P. Louis de sainte Thérèse). Tout invite à penser que Madame Guyon a puisé cet extrait dans l'édition de 1665.

[56] Note du copiste : Phrase assez complexe… L'éditeur de la version de 1790 des Justifications a jugé bon d'écrire "signifiés" (au masculin) en rapportant manifestement l'adjectif à "compréhenseurs" plutôt qu'à "pointe". Néanmoins c'est bel et bien le féminin qui est employé aussi bien dans l'édition de 1627 de La Vive Flame D'Amour  ("... sa poincte de compreneurs signifiee par le Soleil en estat de voyageurs, & qui cheminent en foy designee par la Lune et les estoilles qui eclairent la nuict...") que dans celle de 1665.

[57] Note du copiste. Curieuse formule… On aurait plutôt attendu "rien n'entre du dehors".

 

[58] Note du copiste. "Plongement" : terme qui ne figure pas dans le dictionnaire de Godefroy (une invention du Frère Jean ?)

 

[59] Note du copiste. "refuse" : réfugiée (dictionnaire de Godefroy)

[60] Note du copiste. Le terme "créaturalité" était-il en usage ? Il ne figure pas dans le dictionnaire de Godefroy. Il est possible qu'il s'agisse de l'une des (nombreuses) inventions terminologiques du Frère Jean… On retrouvera ce terme plus tard en philosophie chez Levinas ou Siewerth par exemple.

[61] Note du copiste : "subtilise", de "subtilier" : rendre fin, ténu, subtil, mince, délié, amincir, polir, perfectionner (Dictionnaire de Godefroy).

[62] Note du copiste : "Doctrine des symboles" : ???

[63] Note du copiste. "recouler" : absent du dictionnaire de Godefroy. Probablement dérivé de "couler" : plonger (Godefroy).

 

[64] Note du copiste. "recoulement" : voir note précédente.

[65] Note du copiste :  Madame Guyon met le verbe "violer" en italiques (italiques qui disparaîtront dans l'édition de P. Poiret en 1699). Faut-il l'entendre dans le sens qu'on lui donne aujourd'hui (en particulier, celui d'abuser sexuellement) ? Bizarrement, le verbe à l'infinitif figure bien dans le dictionnaire de Godefroy, mais uniquement en rapport avec l'usage de la viole (l'instrument de musique). Partant, ne faudrait-il donc pas plutôt  comprendre ici qu'Eve s'est laissé "séduire" ou "charmer" par le Démon ?  Ou bien Madame Guyon joue-t-elle sur l'ambiguïté du terme (d'où les italiques) ?

[66] Note du copiste : Le document de 1720 comporte ":" avant "tu lui répondrais" et ";" après. Ce qui ne nous a semblé conforme ni à la structure de la phrase, ni à l'usage de la ponctuation dans cet extrait. Nous les avons donc volontairement inversés.

[67] Note du copiste : voir note précédente…

[68] Note du copiste : "où étant" : le "où" est bien orthographié avec un accent. Formulation à vérifier / éclaircir

[69] Note du copiste : "déprise" : terme à expliquer

[70] Note du copiste : cette fois, le terme n'est pas mis en italiques comme (page précédente).

[71] Note du copiste : C'est bien "habilité" qui est écrit (avec un "i"). Faut-il comprendre "habileté" ?

[72] Note du copiste : C'est bien "récréation" qui est écrit (avec un "é"). Peut-être faudrait-il écrire "recréation" pour mieux rendre le sens de l'acte de (se) re-créer distinct de celui de l'actuel terme de "récréation" (scolaire) trop attaché à la notion de loisir, de distraction, etc.

[73] Note du copiste : Expliquer éventuellement l'opposition "profitants" / "parfaits"

[74] Note du copiste : De quelles "notices" s'agit-il ?

[75] Note du copiste : participe passé du verbe "entretisser". Forme en "u" étonnante. Voir note plus haut.

[76] Note du copiste : il est écrit "fraier". Terme à expliquer (payer le prix ?)

[77] Note du copiste : Le Frère Jean a décidément le sens de la formule !

[78] Note du copiste : "refusion" : action de trouver se réfugier.

[79] Note du copiste : superbe formulation, très imagée… mais dont le sens reste (pour nous et pour l'instant) un peu obscur…

[80] Note du copiste : "sans le connaître" au sens de "sans le savoir". Le pronom est au masculin parce qu'il renvoie au fait d'être attaché, et non à la vigne.

[81] Note du copiste : Expliquer "quand je procurais" (probablement au sens de "quand j'exigeais" ?)

[82] Note du copiste : "compatir" est (probablement) à entendre au sens de "être compatible avec" (et non au sens actuel du verbe compatir)

[83] Note du copiste : expliquer "baterie"

[84] Note du copiste : A quelle philosophie Jean de la Croix fait-il précisément référence ? NB : cette citation "philosophique" est très proche du principe de Thomas D'Aquin selon lequel : " Tout ce qui est reçu est reçu selon le mode de celui qui reçoit."

[85] Note du copiste : Expliquer "atrempées"

[86] Note du copiste : "et possible ce n'est que des actes" : comprendre : "et il est possible que cela ne soit que des actes…"

[87] Note du copiste : "acoisés" : de "accoiser" : calmer, apaiser…

[88] Note du copiste : "inhabilitées" : "rendues incapables de…"

[89] Note du copiste : "mélioration" : "amélioration"

[90] " … toute la diligence dont le Diable se sert pour l'empêcher ne lui profite de rien ; tant s'en faut, l'âme reçoit alors un nouvel amour et utilité avec une paix plus assurée." Construction surprenante. On se demande ce que vient faire ici le terme "utilité" (même formulation dans l'édition de 1790). De fait, Jean de la Croix écrit : "…toute la diligence dont se sert le démon pour l'empêcher ne lui profite de rien, au contraire, l'âme reçoit alors un nouveau profit et plus grand et une paix plus sûre".

[91] Vraiment

[92] Vacuité ? (à vérifier)

[93] Ruiner : expliquer

[94] On aurait plutôt attendu "elles" (à vérifier dans le texte original)

[95] On hésite à corriger "ils sont… tous pleins" en "ils sont… tout pleins". Le sens n'est pas le même selon que le "tous" réfère aux personnes (au sens de "toutes ces personnes") ou à "pleins" (au sens de "entièrement pleins")

[96] Curieuse expression. Elle rappelle l'expression "y mettre du sien" (s'appliquer, s'investir dans la tâche)

[97] Voir note précédente. Faut-il entendre "tous nus" ou "entièrement nus ? Si c'est la seconde hypothèse qui est la bonne, ne devrait-on pas avoir alors la graphie "tout-nus" comme on a quelques lignes plus bas "tout-accablés" ?

[98] Voir note ci-dessus.

[99] "fonds" est orthographié au pluriel.

[100] L'original porte bien un point-virgule.

[101] Idem note 51.

[102] La proposition : "il est indubitable qu'il exauce… la préparation de son cœur" est assez curieuse. Il est possible que le terme "exaucer" ait un autre sens qu'aujourd'hui.

[103] Comme un soupir un peu désolé…

[104] La métaphore de l'eau (très fréquente chez Mme Guyon)

[105] Il y aurait une thèse à faire sur la physique (l'hydraulique, l'optique…) de Mme Guyon !

[106] L'original porte ici un point-virgule (à remplacer par ":" ?)

[107] Sic. Il manque probablement un "d" apostrophe avant "être" ("elles nient toutes les formes d'être en elles"). A moins qu'il faille comprendre "elles nient que toutes les formes soient en elles" ?

[108] Proposition complexe, à comprendre comme ceci : "elles ne parlent pas conformément aux dispositions variables où on les met (…) mais [conformément] au fond de ce qu'elles sont."

[109] Paragraphe très personnel où Mme Guyon fait part de son expérience intime du travail d'écriture. Elle nous entraîne par ailleurs dans une sorte de circularité où cette expérience rejoint et se confond presque avec son propos : ce qu'elle dit ici d'elle-même est en effet très proche de ce qu'elle dit plus haut (et plus bas) de l'âme. On ne sait plus très bien, au final, qui, de Mme Guyon ou de l'âme, est ce "je" qui s'exprime ("J'ai encore ce défaut que je dis les choses comme elles me viennent…") ou qui tient la plume (cf. quelques lignes plus bas "lorsque [l'âme] écrit d'elle-même, elle l'écrit avec une telle abstraction qu'elle ne pense pas l'avoir écrit").

[110] Même remarque que plus haut. Dans le précédent paragraphe, Mme Guyon se "livrait" à la 1ère personne : "Lorsque je les dis ou écris, [les choses] me paraissent claires comme le jour ; après cela, je les vois comme des choses que je n'ai jamais sues, loin de les avoir écrites". Dans ce dernier paragraphe, Mme Guyon tient a peu de choses près le même discours mais cette fois à la 3ème personne et c'est de l'âme qu'il s'agit : "Quand elle a écrit elle ne s'en souvient plus, quoiqu'en écrivant les choses lui paraissent claires comme le jour."

[111] Orthographié comme tel dans le texte.

[112] La construction est assez obscure. Comprendre peut-être : "Et quand bien même son contentement ne diminuait pas sa peine, il était impossible de la faire souffrir au point qu'elle voulût sortir de cet ordre de Dieu sur elle" ?

[113] Qu'elle vive ou qu'elle meure.

[114] Etonnante, cette courte exclamation de Madame Guyon.

[115] Expliquer "dilection"

[116] Profonde

[117] Orthographié "bled" (idem pour les autres occurrences de "blé" dans la suite du texte).

[118] Tous les Docteurs Mystiques le disent également.

[119] Sic

[120] Refusion : action de prendre refuge.

[121] Le "ne" manque dans le texte original.

[122] Le texte original comporte ici une croix (chrétienne) que nous avons transcrite par un "+" faute de caractère plus adéquat…

[123] Idem

[124] Passage qui rappelle énormément Marguerite Porète… (à retrouver chez Marguerite)

[125] Sic : Le [mes] entre crochets figure tel quel dans le texte de Madame Guyon.

[126] Il semble que le "en" soit mal positionné dans la phrase. On attendrait plutôt, sur le même modèle syntaxique que plus haut : "Allons-nous-en voir ta beauté à la montagne."

[127] Le caractère qui figure dans le document de 1720 n'est pas exactement un "V". C'est un "V" dont la branche de gauche est barrée (caractère que je ne connais pas, et impossible à reproduire ici au clavier). Note valable aussi pour les deux "V" suivants.

[128] Comprendre : "… ils se satisfont de leur solde" ou "… ils se contentent de leur solde".

[129] Au singulier dans le texte. Le verbe "s'élever" (dans "il s'élève") est ici employé à la forme impersonnelle (comme "il arrive" au début du paragraphe…) contrairement au verbe "sentir" qui suit ("ils sentent") qui a pour sujet "les commençants".

[130] "Qui est ce qu'il prétend" : formulation un peu obscure, ou plus exactement, formulation que je ne comprends pas très bien.

[131] "Leur" : il s'agit des commençants.

[132] Comprendre que le "Diable … vient à leur représenter vivement des ordures conjointement (…) à des personnes qui profitent à leurs âmes".

[133] "Bronchent" : de "Bronchier" : baisser tristement (le visage), incliner d'un air sombre (Dictionnaire de Godefroy).

[134] " …de manière que ceux qui font cas de cela, n'osent rien voir ni rien considérer à cause qu'elles bronchent aussitôt en ceci ou en cela" : On a le sentiment que Jean de la Croix évoque implicitement des situations (peut-être personnellement vécues ?)  qu'il ne peut pas se permettre de formuler explicitement.

[135] Il s'agit toujours des commençants.

[136] Aussitôt, immédiatement.

[137] "Revalé" : Retourné, abaissé (dictionnaire de Godefroy)

[138] Entre crochets dans le texte.

[139] Entre crochets dans le texte de la note de Madame Guyon.

[140] "Toutes et quantes fois" : Toutes les fois que, à chaque fois que (Dictionnaire de Godefroy).

[141] "Il n'y a aucune coulpe à ne point désister de cette occupation-là" : comprendre "Il n'y a aucune coulpe à ne point renoncer à cette occupation-là" (autrement-dit, à l'accepter).

[142] "Componction" : Affliction, contrition, remord…

[143] "Afin que la contemplation ne s'avance." Comprendre probablement : "afin de faire obstacle à la contemplation".

[144] Phrase difficile à comprendre comme telle. Il manque peut-être un fragment indiqué ici entre crochets : "…n'y ayant rien qui la fasse plutôt perdre [ni…], ni le goût aussi que l'on ressent en cette quiétude…]

[145] "Parce que si elle le veut amener après soi, il faudra qu'il l'empêche ou inquiète et trouble…" : Comprendre "parce que si elle veut s'en rendre maîtresse, il ne manquera pas de l'empêcher, de l'inquiéter et de la troubler…"

[146] Comprendre : "celui…dont la volonté, par autre voie que le goût, jouit avec Dieu"

[147] Comprendre : "…et la tristesse est très contraire au goût de l'oraison de repos"

[148] "Fusée" : Masse de fil qui entoure un fuseau

[149] "Faix" : Fardeau, charge, contrainte morale…

[150] "Sans aucun sien travail" : sans aucun travail de sa part, sans qu'elle y contribue elle-même.

[151] "De part à autre" : de part et d'autre.

[152] "Quasi le tout gît à…" : Presque tout réside dans le fait de…

[153] "Sans que l'âme s'en empêche" : Sans que l'âme s'en soucie.

[154] "Elles se débandent" : elles s'échappent de la ruche en se dispersant.

[155] "Qui le console" : Qui console mon cœur.

[156] L'adjectif "sourd" est au masculin dans le texte : "… et qui se rend sourd aux bruits et au tumulte du monde." Il s'agit probablement d'une erreur d'accord.

[157] "… des choses concernantes et adressées à elle." : Comprendre "… des choses qui la concernent et qui sont adressées à elle."

[158] Entre crochets dans le texte.

[159] "Dieu l'opère en elle…" : Dieu opère (fait) lui-même en elle ce que ces paroles disent.

[160] "Encore que ces choses soient de bonnes dispositions à cela". Comprendre que les faveurs de Dieu ne dépendent ni des œuvres ni des considérations de l'âme, mais que, néanmoins, ces œuvres et ces considérations peuvent mettre l'âme dans de bonnes dispositions (conditions) pour recevoir les faveurs de Dieu (s'il Lui plaît, bien entendu !).

[161] "une je ne sais quoi" : au féminin dans le texte, ce qui est assez étonnant. D'autant que la formule apparaît au masculin quelques lignes plus bas (et qu'elle figure toujours au masculin chez Jean de la Croix).

[162] "relévée" : orthographié avec un accent aigu dans le texte. Est-ce qu'il n'y aurait pas eu ici une inversion des deux lettres "l"  et "v" ? Dans ce cas, il faudrait comprendre plutôt "révélée". C'est assez probable.

[163] Lire : "Desquelles les âmes qui ont des oreilles pour les entendre sentent la vertu et l'efficace."

[164] "Au Verbe donc, dire à l'âme(…) c'est lui donner…" : comprendre "Pour le Verbe donc, dire à l'âme (…) c'est lui donner…"

[165] Faute de disposer du caractère adéquat, nous transcrivons ici par un "V" ce qui dans le texte apparaît comme un "V" dont la première branche serait barrée.

[166] Idem note 117

[167] Idem note 117

[168] Idem note 117

[169] "Tes vestiges ne se connaîtront point" : comprendre "tes traces resteront inconnues" (ignorées, ou encore invisibles)

[170] Idem note 117

[171] Idem note 117

[172] Idem note 117

[173] Faute de disposer du caractère adéquat, nous transcrivons ici par un "+" ce qui est en fait une croix chrétienne placée entre parenthèses dans le texte. La raison d'être de ce symbole ici reste d'ailleurs à expliquer.

[174] "La saison" : l'époque, le temps (ou aussi la faveur ?) ; "le point" : le moment, l'instant (cf. le "point du jour")

[175] "taire sonne ne pas faire…" : comprendre "Taire signifie (ou veut dire) ne pas faire…"

[176] "Un égard" : une attention.

[177] "Si que" : tant et si bien que…

[178] Comprendre "parce que le plaisir qu'elle ressent en l'entendant ou le respect qu'elle lui inspire, l'empêche de parler".

[179] Passage assez difficile à comprendre. Mais ce n'est pas très surprenant de la part du Frère Jean…

[180] Tel quel dans le texte. Comprendre "significativement" ou  "notamment" ou encore "particulièrement".

[181] Expliquer le terme.

[182] Expliquer.

[183] Expliquer.

[184] Comprendre : "… et que le sens et l'intellect humain n'en approche pas davantage par la spéculation que la terre [n'approche] du ciel."

[185] Comprendre que ce sommeil est approprié, ou opportun.

[186] On passe directement du premier sommeil au troisième… Il est probable qu'un passage ait été omis (au moment de la composition ?)

[187] Comprendre : … encore qu'il y ait autant de différence (entre les "choses" dont il est question au début de cette partie, et la façon dont le "sens corporel" les appréhende) qu'entre le corps et l'âme, ou entre la sensualité et la raison.

[188] Fait rarissime dans les justifications, il s'agit du même commentaire que celui qui figure dans le bas de la page précédente.

[189] Expliquer "traite" ("si l'âme dit qu'elle veut les admettre" ?)

[190]   Rm 8 vs. 14

[191]   Ez I vs.19,20,21.

[192]   Jn 5 . v. 2.

[193]   Rm 8. vs. 14.

[194]   Rm.8 vs14

[195]   Sg. 7. vs. 24. 27.

[196]   Voir Moyen Court. Chap. 24. n. 3. 4. 6.

[197]   embellit

[198]   Is. 59. vs. 19.

[199]   Lc. 4. vs.1

[200]  

[201]   Ph 2. vs. 23.

[202]   Rm 8. vs. 14.

[203]   Ps. 24 vs. 16 

[204]   Cantique. 5. vs. 2.

[205]   Si 11. vs. 22.

[206]   Jn ????

[207]   On a vu la vérité de cette proposition dans l'Anéantissement et l'Humilité.

[208]   Qo. 3. vs. 1.

[209]   Ps. 39. vs. I

[210]   Ph. 3. vs. 13. 14.

[211]   1 Co  2. vs 4.

[212]   Ct. 6. vs.4.

[213] µ Note à exploiter DT : je découvre pour la première fois Jn de la X! une simple impression : par oubli ou à cause du meilleur choix? non, par la trad. elle-même ! ce qui est montré par le recours aux sources ! car la traduction qui précède est beaucoup plus intense que celle que nous trouvons par exemple chez la mère Marie du Saint-Sacrement livre deux chapitres 12 fin du paragraphe 5 : « l'âme appelée à s'unir en cette vie à celui qui est son souverain bien et son suprême repos, doit passer par les degrés des considérations, des images et des figures, mais pour les abandonner ensuite, parce qu'elles n'ont ni ressemblance ni proportion avec le terme vers lequel elle se dirige, terme qui est Dieu lui-même. » « Sans s'arrêter » est très différent de « pour les abandonner ensuite » dont "ensuite" montre le manque d'expérience de la plongée où tout se passe presque immédiatement en un flux qui s'il est coupé empêche la plongée en cours. « Qui est Dieu » respecte mieux l'espagnol « que es dios » (obras p.278)  que « qui est Dieu lui-même » qui s'allonge inutilement. Il reste à comparer à d'autres traductions -- retrouver la traduction XVIIe ...si elle existe. Assez proche, Cyprien p. 173 ! Mais ici un Cyprien revu avec suppression de "et bonheur" (il est vrai que nous avons "sumo descanso y bien" mais "bien" c'est "bien" comme opposé à "mal" et non "bonheur"!! ) ce qui est nécessaire  "et en finir avec elles " au lieu de "sans s'arrêter" montre l'inexpérience etc. étude à compléter opu du moins citer les trois traductions avec l'espagnol ! RéSULTAT : en prime le lecteur va disposer de la meilleur trad. -- encouragement à poursuivre le travail...]

 

[214] DT : reprise exacte, à qq détails sans importance, de Cyprien, p.181.

 

[215] Jeanne-Lydie Goré, La Notion d’Indifférence chez Fénelon, PUF, 1956 – Appendice De l’autorité de Cassien, 245sv.

[216] Cote à la Bibliothèque Nationale : D. 37 253.      

Les Justifications de Mad.

J. M. B. de la Mothe

Guion

Ecrites par Elle-même

Suivant l'ordre de Messieurs les Evêques ses examinateurs

Où l'on éclaircit plusieurs Dificultés qui regardent la vie intérieure

avec un Examen

de la IXe et Xe Conférence de Cassiers

touchant

L'État fixe d'Oraison Continuelle

par feu Monsieur de Fénelon

Archevêque de Cambrai

A Cologne, chez Jean de la Pierre, 1720 (3 tomes en 1 vol. in-8°). 11 existe une édition parallèle qui comprend 6 vol. in-8°. Cologne. 1720 (Bibliothèque Nationale, Rés. D. 37264).                                                          

En 1790 parut à Paris le 1er tome des Justifications, mais avec le titre suivant qui pourrait laisser croire à une republication du Traité sur Cassien, alors qu'il n'en est rien, les deux autres tomes n'ayant point paru :                                                                                                                                  

Justifications de la Doctrine

de Madame de la Mothe-Guion

pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les

Sts Pères grecs, latins et Auteurs cannonisés ou approuvés,

écrites par elle-même. Avec un examen de la Neuvième

et Dixième Conférence de Cassien sur l'état fixe

de l'Oraison Continuelle par M. de Fénelon archevêque

de Cambray. Nouvelle édition exactement

corrigée. Tome I in-8°.

A Paris chez les libraires Associés.

MDCCXC. (Bibliothèque Nationale : D. 90281).

2 A. Cherel, Explication des Articles d'Issu, Paris, Hachette, 1916, p. 161 et sq.

 

[217] Chiffre placé en tête du nom : 293 pour Jean de la Croix...

[218] Sans souci de différencier les auteurs ; n dépend de la clef.

[219] Ils couvrent une seule ligne de renvoi ce qui a permis de ne pas répéter la citation.

[220] Exemple au début : « II8 » signifie que Jean de la Croix est présenté par 8 citations à la clef II.

[221] Exemple : ... « LXVII21/28 » signifie que le même Jean de la Croix est présent à la dernière clef LXVII du numéro 21 à 28.

[222] Exemple relatif à Thérèse « XLIV§III20/21N » : elle est citée en troisième partie ou §III de la clef XLIV en 20/21, rapporté de Nicolas de Jésus-Maria. Mme  Guyon a en effet cité indirectement. N désigne Nicolas de Jésus Maria, J Jaques de Jésus, E Louis Epiphane. Autre exemple de signalement relatif à Jean de Saint-Samson: « LXVI73/79long ».

[223] Propositions du Moyen court et facile, et du Cantique des cantiques, rangées sous certains articles, par ordre d’alphabet D

[224] section III de D, page 47

[225] que l’âme se laisse détruire et anéantir D

[226] page 75 p. 76 1er rapport perte en Dieu, sortie de soi en marge Ms Ch. 20.n.3 D

[227] mise par là dans D

[228] du néant de D

[229] lui-même. Là-même.n.4. D

[230] p.25 en marge; D remplace les pages par les références, ici Ch.1. v.7 D

[231] Tout que Ms Tout de Dieu que D

[232] grands fruits qu’une âme Ms grands biens qu’une âme D

[233] Elle ne méprise ni rejette Ms Non qu’elle méprise ou rejette D

[234] en marge Ms ; dorénavant ces références marginales seront indiquées par  des italiques.

[235] D place les auteurs par ordre chronologique : ici 3.27 qui renvoie à non-désir, 15.34. On y trouve une longue citation de trois pages contenant page 199 ce passage comme suit : Mais la volonté qui est morte à soi-même pour vivre à celle de Dieu, elle est sans aucun vouloir particulier, demeurant non seulement conforme et sujettemais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu : comme l’on dirait...

[236] D place les auteurs par ordre chronologique: ici 3.22 p. 53.

[237] davantage et elles craignent qu’il ne leur arrive la même chose qu’à un navire trop chargé que le faix excessif fait couler à fond. - elles ne D traduction différente et moins élégante.

[238] elle n’a aucun sentiment ni dedans ni dehors qui se puisse mouvoir; et en toutes D

[239] mer profonde : elle ne peut Ms mer profonde; et étant occupée en une chose si grande et si divine, elle ne peut D 3.12 p.51

[240] plaisir (ou de la peine, elle ne s’en réjouit ni ne s’en attriste point add.marg.) par Ms

[241] en note D renvoit à Purification ! nous laissons D car l’ensemble des photocopies est requis! par ailleurs consulter Poiret! Qui ne semble pas adopter le même ordre?

[242] malin (deux mots raturés) (consentant en tout sans aucune rébellion à l’âme laquelle étant attentive add. interl.) à Dieu Ms

[243] l’entrée à l’anéantissement. Mais bon Dieu! Que disons-nous, de quoi et à qui parlons-nous, puisque si peu se trouvent entièrement morts? N’importe D exceptions...

[244] quand, soit par dedans, soit par dehors, il n’y a aucune autre opération de l’âme que D

[245] repos : et ils appellent très-à-propos D

[246] Au contraire ils appellent anéantissement... 30. Mais ceux qui se sont anéantis par amour infini en leur éternel objet, leur gloire et leur jouissance après cette vie en toute plénitude d’accomplissement et au surcomblé débordement de toute plénitude, sera d’autant plus noble et excellente en clarté, que la clarté du soleil surpasse la lueur d’une très petite chandelle là-même ch 4/ 31. Puisque D

[247] misères, pauvretés et traverses n’ont D

[248] reste); il ne faut pas croire, qu’après un effort si généreux pour acquérir un bien qu’il estime plus que toutes choses, il vienne ensuite à le mépriser. D

[249] fuite. JC notre cher Epoux a ainsi vécu pour nous. Chap. 12/ 25. Ici donc il faut s’armer de force (...) absence de son Epoux Esprit du Carmel Ch.16. D déborde ici les citations du Ms.

[250] ajouts : - se perdant et s’abandonnant... D

[251] apparemment absent de D

[252] D 1.28

[253] apparemment absent de D


 [c1]vérif si pas plutôt guilles

 [c2]

 [c3]

 [c4]

 [c5]

 [c6]

 [c7]ajouter réf

 [c8]

 [c9]note, et marques de citation ?

 [c10]

 [c11]

 [c12]

 [c13]

 [c14]

 [c15]

 [c16]

 [c17]unité est plus haut avec cap, vérif et harm

 [c18]

 [c19]

 [c20]cette disposition ital romain pose question s’il faut vraiment garder l’ital pour toutes ces réf de chap. La question va se poser souvent, se c’est peu lisible dans le cas présent, mais il faudra malgré tout distinguer les références du reste du texte.

 [c21]conepts ?

 [c22]

 [c23]vérif la délimitation exacte de la citation

 [c24]donner réf

 [c25]

 [c26]faire un style vers, si plusieurs cas

 [c27]harm partout numéros de couplets romain ou arabe

 [c28]style vers

 [c29]il y a ici une note, comme dans d’autres endroits lorsqu’il y a cet astérisque ; vérif que ces notes ont bien été copiées.

 [c30]

 [c31]

 [c32]

 [c33]

 [c34]harm car ailleurs au moins une fois j’ai laissé toute

 [c35]

 [c36]vérif dive, et harm avec en bas plus loin

 [c37]harm cap

 [c38]note

 [c39]note

 [c40]

 [c41]réfléchir à la disposition à adopter

 [c42]

 [c43]mystérieuses ? et du coup est-ce bien Nicolas, n’est-ce pas plutôt Jean ? Retrouver le titre exact

 [c44]?

 [c45]note. Cap à Abbé ?

 [c46]note

 [c47]Dom ?

 [c48]note

 [c49]

 [c50]que faut-il faire, parenthèse, crochets, autres ?

 [c51]

 [c52]je met l’article avec cap, mais vérif s’il ne s’agit pas d’un titre tronqué

 [c53]

 [c54]je ne suis pas sûre de la limite de la citation

 [c55]note

 [c56]il faudra bien cerner la citation, car c’en est une longue incluse dans le texte de st François

 [c57]il s’agit ici d’un obèle comme appel de note, qui sera sans doute à remplacer par **

 [c58]

 [c59]note

 [c60]

 [c61]vérif dive

 [c62]romain ou arabe ?

 [c63]note

 [c64]

 [c65]

 [c66]la coexistence de l’ital du titre et de celui de soulignement est fâcheuse : comment faire ?

 [c67]est-ce bien un titre d’œuvre (et si oui laquelle ???) ou un autre nom de la figure dont elle parle ensuite

 [c68]?

 [c69]note

 [c70]note

 [c71]

 [c72]

 [c73]

 [c74]

 [c75]identifier titre pour voir si cap à esprit

 [c76]

 [c77]remettre en forme

 [c78]garder ?

 [c79]

 [c80]

 [c81]

 [c82]style vers

 [c83]

 [c84]

 [c85]

 [c86]

 [c87]

 [c88]

 [c89]note

 [c90]note

 [c91]qui convient

 [c92]

 [c93]

 [c94]

 [c95]

 [c96]sic sing. à laisser ?

 [c97]

 [c98]

 [c99]

 [c100]

 [c101]

 [c102]note, se rapporte à lal grenade et non à l’écorce

 [c103]

 [c104]

 [c105]

 [c106]

 [c107]réf

 [c108]

 [c109]

 [c110]note

 [c111]

 [c112]

 [c113]

 [c114]vérif titre exact

 [c115]ive ?

 [c116]

 [c117]note

 [c118]note : perdus en Dieu, non damnés

 [c119]

 [c120]

 [c121]

 [c122]

 [c123]

 [c124]

 [c125]vérif dive

 [c126]

 [c127]mutliplier, propager

 [c128]

 [c129]

 [c130]note

 [c131]

 [c132]

 [c133]

 [c134]

 [c135]

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 [c137]

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 [c144]style vers

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 [c146]style vers

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 [c149]style vers

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 [c195]

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 [c197]style vers

 [c198]

 [c199]

 [c200]

 [c201]?

 [c202]vérif accent, et sans doute ailleurs

 [c203]

 [c204]note

 [c205]

 [c206]

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 [c208]

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 [c214]style vers

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 [c220]

 [c221]

 [c222]

 [c223]

 [c224]

 [c225]

 [c226]il semble que la réf soit incomplète

 [c227]

 [c228]

 [c229]

 [c230]

 [c231]

 [c232]

 [c233]

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 [c255]style vers

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 [c263]style vers

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 [c269]style vers

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 [c323]hum…

 [c324]

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 [c330]

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 [c332]

 [c333]

 [c334]partie du titre ?

 [c335]Origène ?

 [c336]distinction ?

 [c337]

 [c338]

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 [c350]

 [c351]contemplatione ?

 [c352]

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 [c359]

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 [c361]

 [c362]statut de ce chiffre ?

 [c363]

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 [c369]