EXPÉRIENCES MYSTIQUES EN OCCIDENT

 

IV

 

UNE ECOLE DU CŒUR

 

 

 

 

Dominique & Murielle Tronc

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLAN DE LA SÉRIE

 

 

 

I. DES ORIGINES A LA RENAISSANCE

 

II. L’INVASION MYSTIQUE EN FRANCE DES ORDRES ANCIENS

 

III. ORDRES NOUVEAUX ET FIGURES SINGULIÈRES

 

IV. UNE ÉCOLE DU CŒUR.

 

V. MYSTIQUES DU SIECLE DES LUMIERES A NOS JOURS

 

 

 

 

 

Le présent volume couvre

IV. UNE ECOLE DU CŒUR

     Filiations mystiques du Pur Amour 1590 à 1837

Du franciscain Chrysostome de Saint-Lô aux disciples de madame Guyo

Présentation

A la suite du tome I d’Expériences mystiques en Occident qui introduisait aux grandes figures de l'Antiquité au Moyen Âge, nous avons consacré un tome II aux Ordres anciens, puis un tome III aux fondations récentes et aux figures féminines. Ce tome IV achève l'étude de figures mystiques nées au XVIIe siècle en abordant le mouvement qui fut stigmatisé sous le nom de « quiétisme ».

Nous bénéficions de belles études sur des figures connues[1], ou sur un groupe localisé géographiquement[2]. Mais aucune synthèse ne met en relief l’originalité d’un courant mystique qui subsista durant deux siècles dans son identité propre reconnue par ses membres successifs.

Ce courant ne se distingue ni par une Constitution, ni par une Règle, ni par un Ordre, ni par un cadre associatif. Il franchit allègrement les frontières politiques et religieuses. Enfin, on ne peut définir aisément un domaine d’étude par son « canon » de textes fondateurs. Pourtant ces figures se révèlent être les porteurs de la tradition mystique en France puis en Europe.

Les articles « Quiétisme » (1986) du Dictionnaire de Spiritualité restent aujourd’hui la meilleure source disponible pour accéder scientifiquement à ce courant, du moins sur la durée de la crise visible (mais elle ne couvre environ qu’un quart de siècle, la fin du XVIIe). Ses auteurs, excellents connaisseurs de l’Europe latine catholique, fournissent une abondante moisson : suivant l'ordre chronologique, ils passent en revue les principales figures considérées comme « quiétistes » par les Inquisitions catholiques, espagnole et italienne.

Il reste difficile de circonscrire précisément ce que l’on reprochait au « christianisme intérieur » de ces prévenus, tant cela repose sur des propositions certes condamnées mais que l’on ne retrouve pas dans les textes incriminés.

 

§

Notre apport se veut différent : nous exposerons une histoire oubliée parce qu’on a cherché à la percevoir par ses formes extérieures, dont nous venons d’indiquer l’absence. Nous ne chercherons pas à trouver une « théorie du quiétisme » évanescente, mais le vécu intérieur de personnes dont nous respecterons les témoignages en les citant : constitution d’un florilège orienté mystiquement plutôt que d’une thèse exposant des idées.

Ces spirituels se rencontrent autour d'une expérience centrale, celle de la grâce divine, à laquelle ils font le don de leur personne et de leur vie dans un abandon intérieur total. Ils ne se satisfont que de « l'amour pur », c'est-à-dire sans recherche de récompense. Prenant appui sur la grâce, ils considèrent l'effort humain et l'ascétisme comme secondaires. Cela ne veut pas dire que leur vie est relâchée car, contrairement au procès qui leur est fait, ils mènent une vie d'une rigueur exemplaire.

 Loin de rester isolés dans leur maison ou leur couvent, ils se sont reconnus et ont échangé des correspondances. Leur spécificité est de n'avoir jamais transformé ce réseau d'amitiés spirituelles en un ordre qui aurait figé ce qui devait rester informel : ceux qui étaient clercs demeurèrent honnêtement fidèles à leurs diverses appartenances ecclésiales. Ces hommes et ces femmes n'éprouvaient aucune nécessité de cadre extérieur : unis par l'indicible, ils partageaient les mêmes évidences.

Ces liens sans contrainte ni règle formelle ne purent être acceptés par les autorités religieuses, qui, se sentant négligées, les combattirent avec vigueur. Les mystiques ont souvent dû affronter des ecclésiastiques hostiles parce que sans expérience intérieure.

A côté de ces amitiés entre égaux, des filiations spirituelles se nouèrent d'une génération à la suivante : ainsi Bernières fut formé par Chrysostome de Saint-Lô, madame Guyon par M. Bertot ; puis madame Guyon dirigea Fénelon et des cercles de disciples où ils expérimentèrent le degré le plus profond de la relation spirituelle, une communication silencieuse de la grâce de personne à personne, décrite abondamment par Mme Guyon.

Toutes ces relations forment un réseau complexe et cohérent qui constitue à nos yeux une École : nous considérons ce mouvement comme l'expression de la mystique universelle dans son vécu le plus profond. Quel nom donner à une telle association sans unité de condition ni liens canoniques[3] ? Les expressions d’Oratoire du cœur et d’École de l’oraison cordiale apparaissent chez Bremond dans le chapitre qu’il consacre à Querdu Le Gall (une des nombreuses figures secondaires du réseau) et à Jean Aumont[4]. Parler d'une Filiation mystique du pur Amour permettrait d'insister sur le lien de nature mystique qui exista entre aînés et cadets, et d’éviter la note intellectuelle attachée au terme École : malheureusement, ce titre serait trop long. En ayant soin d’enlever la note affective attribuée au mot cœur depuis Rousseau et le Romantisme, nous adopterons donc la contraction en École du cœur : cette dénomination implique une pratique de l’oraison orientée vers l'intériorité.

Son rôle est capital : nous pensons qu'elle sous-tend et féconde la vie mystique dans toute l'Europe depuis la fin des guerres de religions (1590) jusqu'à 1837, dernière trace que nous ayons relevée (au-delà de cette date, nous n’avons repéré que des influences indirectes). Ce rôle souterrain mais central justifie de lui consacrer ce volume entier.

Nous ne méconnaissons pas les influences dues à la lecture de livres, mais nous entendons affirmer encore une fois l'importance extrême des contacts de personne à personne, rencontres qui se poursuivent sous la forme de correspondances.

Un tel réseau d'amitiés spirituelles présente un grand intérêt pour notre époque parce qu'il préfigure un mode de relation recherché par l’individu d’aujourd’hui : repoussant les structures collectives, les idéologies, les rites ou les fondamentalismes religieux, celui-ci cherche une approche directe de l’Essentiel. Il lui faut cependant trouver un ancrage dans des relations interpersonnelles. Cette histoire de l'École du cœur qui traverse plus de deux siècles, prouve qu'il est possible de vivre la mystique la plus profonde tout en étant entouré de compagnons qui partagent la même aventure.

Nous continuons à privilégier le vécu intime d’hommes et de femmes en prise avec le jeu de la grâce. C'est donc à une moniale, disciple de la grande Catherine de Bar, que nous laisserons évoquer ce qui demeure l'unique sujet de nos volumes, l'expérience mystique :

Le langage des mystiques est fort malaisé à entendre pour ceux qui ne le sont pas.

C’est une théologie qui consiste toute en expérience, puisque ce sont des opérations de Dieu dans les âmes par des impressions de grâces et par des infusions de lumières ; par conséquent l’esprit humain n’y pourrait voir goutte pour les comprendre par lui-même.

Ce « Rien » dont notre Mère parle[5] avec tant d’admiration se trouve de cette nature. C’est, sans doute, un dépouillement de l’âme effectué par la grâce, qui la met en nudité et vide, pour être revêtue de Jésus-Christ, et pour faire place à son Esprit qui veut venir y habiter.

Mais nous pouvons dire encore que la nature, par elle-même, ne peut arriver à cet état. Il n’appartient qu’à Celui qui a su du rien faire quelque chose, [de] la réduire de quelque chose comme à rien, non pas par son anéantissement naturel, mais par un très grand épurement de tout le terrestre, où Il la peut mettre[6].

 

 

 

 

 

Une École du cœur

Détecter des influences spirituelles uniquement par la circulation des textes ne suffit pas. De même qu'on n'apprendra pas l'ébénisterie dans un livre, de même seuls des liens directs entre personnes sont à même de former les apprentis mystiques. Ce sont ces relations interpersonnelles dont nous entendons parler ici : nous nous attacherons donc à relever non pas « qui a lu qui » mais « qui a rencontré qui ».

Parce qu'ils ont en commun la même expérience du divin et les mêmes raisons de vivre, les mystiques se comprennent et des liens d'amitié se forment. Le rayonnement de certains aînés plus expérimentés attire la génération suivante : les cadets reçoivent l'enseignement d'un père ou d'une mère spirituelle. Ces liens sont parfois vécus sur plusieurs générations : ils constituent alors des filiations dont les intéressés sont parfaitement conscients.

Ce phénomène est bien connu dans le monde entier. Dans les traditions orientales, on parle des chaînes de transmission dans le soufisme, des maîtres se succèdent dans diverses traditions indiennes ou bouddhiques en Extrême-Orient. Aux débuts du christianisme de même, un évêque était reconnu parce qu’il était relié à tel apôtre dont l’autorité provenait de sa connaissance directe de Jésus[7] : cette conception était apparente encore chez Tertullien à la fin du second siècle, elle disparaîtra deux siècles plus tard chez Ambroise de Milan.

Nous pensons avoir trouvé un réseau d'amitiés de ce type chez les mystiques du « pur amour » au XVIIe siècle : ils se connaissaient et s'estimaient au sein d'une même génération (ex. Bernières et Catherine de Bar), puis chaque génération a formé des disciples. L'ensemble de ces liens forme un « arbre mystique » nourri par la sève de l’exceptionnelle vitalité spirituelle franciscaine sur plusieurs siècles. Le tronc est constitué de quatre personnalités hors du commun[8] : Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon. Ce tronc engendre de nombreuses branches de filiations qui existèrent dans les milieux plus divers et que leurs membres reconnaissent : à la fin du XVIIIe siècle, le pasteur Dutoit[9] savait qu'il se rattachait aux quatre personnes que nous venons de citer.

Ce courant mystique franciscain, transmis de génération à génération essentiellement en France, connut une efflorescence qui dura près de deux siècles et demi : en 1590, deux franciscains fondent ce courant ; en 1837, un cercle spirituel guyonien se meurt à Morges près de Lausanne.

                                              §

A ces mystiques que nous regroupons sous le nom d’École du cœur, des détracteurs ont attaché le sobriquet de « quiétistes ». Ce surnom entache encore maintenant leur mémoire puisqu'ils firent l'objet de procès et de condamnations. Bien que ce ne soit pas notre sujet principal, nous commencerons par rappeler très brièvement en quoi consiste la « question du quiétisme ».

Après un chapitre sur les précurseurs espagnols et italiens, nous verrons éclore en France la vénérable tradition des Tiers-Ordres franciscains : elle va féconder la mystique française dès la fin de nos guerres de religion car des âmes ardentes vont rencontrer ces messagers. Puis deux nœuds de convergence vont se former autour de deux laïcs qui domineront la scène : monsieur de Bernières, actif au milieu du XVIIe siècle, et madame Guyon, active à la fin de ce siècle. Autour d'eux toutes les générations se rencontrent.

Les relations sont multiples au sein de ce réseau d’amis qui se prêtent mutuellement des soutiens spirituels. On voit en effet, au début du Grand Siècle, le « bon Père Chrysostome » et « sœur Marie » des Vallées diriger M. de Bernières et ses fidèles de l’Ermitage de Caen. Ensuite Bernières continue de diriger ses compagnons de l'Ermitage, en particulier M. Bertot, tandis que son amie Catherine de Bar fonde les bénédictines du Saint-Sacrement. Parallèlement, au Canada, Mgr de Laval (disciple de Bernières) crée un nouvel Ermitage, tandis que Marie de l’Incarnation[10] reste en relation épistolaire avec Bernières. Jean Aumont est relayé par le « bon franciscain » Archange Enguerrand. Ensuite M. Bertot est le grand transmetteur puisqu'il dirige Mme Guyon : autour d'elle, se formera un deuxième nœud car, à la fin du siècle, c'est elle qui, associée à son disciple Fénelon, animera la vie intérieure de cercles français. Puis au XVIIIe siècle le courant mystique se distribuera en de multiples branches, mais la peur d'être condamné pour « quiétisme » est un grand frein : tandis que les cercles spirituels se cachent en terres catholiques françaises, le courant se réfugie dans les terres piétistes protestantes. Puis il s'enlise et nous en perdons trace en Suisse après 1837.

 Cette succession de directeurs spirituels est exceptionnelle car elle fut ininterrompue, formant comme les maillons d'une longue chaîne : le laïc sieur de la Forest, le père Chrysostome, le laïc Bernières, le prêtre Bertot, madame Guyon et Fénelon archevêque de Cambrai, et pour finir des pasteurs piétistes. Autre fait remarquable, ils furent indifféremment des laïcs ou des religieux puisque leur autorité ne reposait que sur leur profondeur intérieure. Autour d'eux gravitèrent des figures profondes qui permettent de supposer que d'autres canaux de transmission existèrent parallèlement (issus de Catherine de Bar ou de Mgr de Laval) ; mais ils sont moins documentés, probablement à cause de la clôture ou de rudes conditions de vie défavorables à la conservation de traces écrites.

Comme dans les tomes précédents, aux biographies des uns et des autres nous associerons des extraits de leurs « dits » ou de leurs écrits en les différenciant bien par l’usage de caractères romains ou italiques. Rien ne remplace le contact direct avec les textes. Même si ce tome IV commence par un rappel essentiellement historique, nous ne nous attarderons pas sur les structures, les règles et les conceptions théologiques : elles ne seront là que pour faire comprendre au milieu de quelles contraintes vivaient ces grands mystiques.

Plan

Ouverture & table                                       

Quiétismes                                                             

I L’école du cœur en France et Nouvelle France (1601-1671 : 70)

       Ecole du cœur et Bernières        

       Ermitage                                 

       Bertot                                     

       Canada                                                            

II Mme Guyon, Fénelon et leurs amis (1648-1717 : 69) 

       Mme Guyon                              

       L’œuvre                       

       La Voie                       

       Fénelon                                   

III Filiations (1717-1792 : 75)

       France                                     

       Ecosse                                    

       Hollande                                 

            Suisse & Allemagne                              

IV Influences                                                          

       Chez les catholiques                              

       Chez les protestants                              

       Echos au XIXe siècle                           

       Echos et usage au XXe s.                                  

Synthèse                                         

Tableaux                                                                            

 


 

QUIÉTISMES

Aperçu d’une « Querelle »

Les mystiques dont nous allons parler ont donc été accusés de « quiétisme ». Le sujet est immense et n'est pas vraiment notre propos : nous ne pourrons en donner qu'un très bref aperçu. La célèbre « Querelle » entre les mystiques surnommés « quiétistes » et leurs adversaires a été abondamment et finement traitée[11] par de grands érudits. L'exposé en est complexe et décevant à cause des tristes rivalités humaines. Se révèle essentiellement l'incompatibilité de toujours entre expérience mystique individuelle et pratiques de vie à l'intérieur de l’Église.

Qui ces accusations concernent-elles ? Dans Le mouvement du Libre Esprit, Romana Guarnieri consacre son annexe IX spécifiquement au quiétisme[12] : elle en fait un synonyme de « Libre Esprit » en le définissant comme une « doctrine quiétiste de la conformité à la volonté divine »[13]. Elle s'efforce de cerner le concept en présentant un catalogue chronologique étendu sous la rubrique du « Libre Esprit » : en plus de Marguerite Porete, on y trouve les cathares, les joachimites, les Almariciens panthéistes, les spirituels franciscains dont Jacopone de Todi, la seconde Hadewich, Bloemardin[14], les béghards, des influences sufies (qui « pullulent » en Sicile), des gnostiques néoplatoniciens, etc. On comprend donc que les deux notions sont tellement vagues que les spirituels du monde entier sont concernés ! Dans cet assemblage disparate, le seul point commun est la condamnation par les autorités ecclésiastiques.

Jacques Le Brun, éditeur de Fénelon, explique que cette opposition est ancienne[15] :

« L'Église établie a rencontré à toute époque des mouvements caractérisés par le refus des institutions ecclésiales et par la valorisation de l'expérience individuelle, mystique ou pro­phétique […] Ces tendances anti-hiérarchiques ont entraîné une forte réaction. Les premiers jésuites aussi bien que les mystiques du Carmel espagnol réformé, sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, et le confesseur de sainte Thérèse, Balthazar Alvarez, s'étaient heurtés au XVIe siècle à de vives résistances. »

Notre réaction de modernes face à cet envahissement de notre espace privé serait de nous éloigner du pouvoir, mais au XVIIe siècle, c'est impossible : la sphère de liberté personnelle est réduite et contrôlée. Il n'y a pas de séparation entre l’Église et le pouvoir royal : ils se confortent l'un l'autre pour contrôler les âmes. En 1685, l’Édit de Nantes est d'ailleurs supprimé d'un trait de plume : il devient intenable d'être protestant et les protestants s'exilent.

Au sein de ce pouvoir totalitaire, la liberté de conscience est inconnue : il est obligatoire d'avoir un confesseur, mais on ne peut pas le choisir librement car le pouvoir ecclésiastique entend vous contrôler par son intermédiaire. L’expérience intérieure peut donc être difficile à vivre si le confesseur n'est pas mystique. Elle n'est acceptée par les autorités qu'au prix d'une intégration au sein d'un ordre : madame Guyon refuse de devenir supérieure des Nouvelles Catholiques à Gex, mais perd sa liberté douloureusement par la suite. Un laïc, a fortiori une femme, doit se soumettre, et avoir des opinions et des oraisons identiques à celles de son confesseur.

Comme leur expérience ne dépend de personne, les mystiques sont mal vus des pouvoirs. Pour arriver à les dominer, les autorités ecclésiales et temporelles cherchent des fautes concernant le dogme : on vérifie si le contenu de l'expérience est conforme. Un premier problème concerne l'ascèse et l'effort personnel. L'ascèse par la souffrance est une évidence à cette époque, mais dès que leur expérience atteint une certaine profondeur, les chrétiens intérieurs comprennent que cet effort personnel provient de la nature humaine : ils s'en détachent et s'adonnent à une oraison de repos en Dieu en s'abstenant de toute action humaine qui ne ferait que déranger l'action divine. Les adeptes de la quiétude acceptent les épreuves qui se présentent sur leur chemin, mais ne les recherchent pas. Ils savent qu'ils n'ont aucun mérite et que l'effort volontaire n'assure en rien la venue de la grâce divine. Ils abandonnent toute volonté propre par amour pour le divin.

Or le milieu ambiant est persuadé que la communication d’en-haut se mérite par la souffrance et la pratique volontaire d’exercices et de méditations. Bientôt malheureusement, la contemplation mystique cessera « d’être la connaissance simple que la foi surnaturelle communique à l’intelligence pure, dans le silence intérieur des puissances spirituelles […] Dans les premières décades du XVIIe siècle, on verra les Carmes de la Réforme eux-mêmes lui substituer une contemplation dite acquise »[16]. On se met à distinguer une contemplation « acquise » par la méditation active et une contemplation « infuse ». Les adversaires vont s'emparer de cette distinction pour attaquer ceux qui sont passés au-delà de la méditation discursive, ce qui donnera lieu à d’inutiles discussions. Pour un mystique en effet, parler de contemplation « acquise » n'a pas de sens puisque seul le don de la grâce est efficace : on ne peut préférer l’activité naturelle à l’illumination divine.

 Ceux qui avouent se reposer en Dieu, autrement dit tous les mystiques non débutants, se voient accoler le sobriquet de « quiétistes ». Le terme « quiétisme » vient du latin quies, repos. J. Le Brun le définit ainsi : une « oraison de « repos » ou de « quiétude », dans laquelle l'âme était plongée en Dieu, transformée en lui et restait passive pour ne pas s'opposer à son action »[17]. L'accusation classique contre laquelle tous les mystiques vont avoir à se défendre, est celle de leur « oisiveté » présumée dans l’oraison.

La bulle papale énumère les erreurs condamnées :

« Une des références de l’anti-quiétisme en France est le texte de la bulle Coelestis Pastor, imprimé en latin et en français dès l'automne 1687 […] la thèse essentielle des quiétistes serait, d'après la bulle, une définition de la « voie intérieure », « voie unique », par l'annihilation des puissances […] ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de propre, ni images […] la négation ne porte pas sur l'objet (récompense, châtiment, mort, éternité, salut, etc.) mais sur la démarche du sujet, démarche d'ordre psychologique, devant l'objet de la foi : il ne doit pas « penser » à ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance [… ce qui exprimerait] un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un amour-propre »[18].

Les protagonistes de la querelle s’affrontent donc sur la question de la cessation des actes, voire de l'absence de toute pensée :

« Madame Guyon met l'oraison du cœur au-dessus de l'oraison de seule pensée car la pensée est discontinue, l'esprit ne pouvant penser à une chose qu'en cessant de penser à une autre, tandis que l'oraison du cœur n'est point interrompue […] tandis que Bossuet s'oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait pas sur une connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un retour sur une simple présence de Dieu. Les « actes intérieurs » sont produits par l'attention, et, selon Bossuet, disposent à l'attention »[19].

    Bossuet et Nicole ne veulent pas comprendre qu'il ne s'agit pas d'oisiveté mais d'interrompre les occupations humaines pour s'abandonner à l'action intérieure de la grâce divine. Écoutons madame Guyon exprimer l'inanité de l'industrie humaine avec sa profondeur habituelle :

 […] persuadée que je suis de ne pouvoir L'atteindre par aucuns efforts propres, je les quitte tous afin de me laisser anéantir et que ne demeurant plus rétrécie et bornée par mes propres activités, je sois anéantie et rendue vaste et immense comme le néant, qui est la seule disposition à posséder le Tout. […] ayant travaillé quelque temps à regarder et à considérer le flux et le reflux de Dieu dans Ses divines Personnes, et voyant que je ne Le pouvais comprendre, sans m'amuser plus longtemps à Le considérer, je me suis perdue et abîmée en Lui ; et c'est où j'en ai plus appris en un moment, que je n'aurais fait par mes regards et par mes soins toute ma vie. »[20]

    On mesure par ce texte combien elle était hors d'atteinte d'un confesseur ordinaire : dans cette vie qui se déroule au centre de l’être, les « actes intérieurs », les pratiques, les croyances, l'effort humain ont laissé place à la foi une et simple. L’attention aux phénomènes, au chemin et à ses étapes, se fond dans la liberté du grand large, le vaisseau ayant atteint l’océan sans rivage. Les méditations discursives ne sont plus de saison, y retourner est impossible et ne serait qu'un tourment.

    L’immersion dans l’amour entraînait également une inattention aux petites fautes qui fut la cause d’une autre douleur pour ces spirituels.  Jacques Bertot, par exemple, directeur de Madame Guyon, était si plongé en Dieu qu’il pouvait se permettre d’écrire :

Il est infaillible que toute âme qui a la lumière du fond, a la paix et le repos, autant dans ses misères que dans ses vertus. Comme c’est une lumière de vérité, elle ôte tout étonnement de ses chutes et de ce que l’on est, et met ainsi le calme en tout en se perdant en toutes choses, aussi bien par ses pauvretés, péchés et sottises que par les actes de vertu ; et cette paix est féconde en pureté[21].

    Malheureusement cette liberté intérieure avait été mal comprise au Moyen Âge par certains adeptes du « libre esprit » qui, sous prétexte de s'abandonner à l'Esprit-Saint, s'adonnaient à des orgies. Au XVIIe siècle, ce sont ces débordements que l’on sous-entendait quand on qualifiait un mystique de « quiétiste ». Le terme était donc injurieux et les adversaires de « l'erreur quiétiste » feignaient de redouter ces errances. Afin de disqualifier un mystique, on cherchait tout d'abord à prouver son relâchement moral : malgré sa vie exemplaire, on tentera de fabriquer des faux témoignages affirmant que madame Guyon avait des relations sexuelles avec son confesseur La Combe ou avec sa servante ! Inutile de souligner la douleur que ces accusations provoquaient chez leurs victimes ! En réalité, tous ces mystiques s’ancraient solidement dans la pratique des vertus. S'ils étaient laïcs, ils éprouvaient même souvent le besoin de consacrer leur vie par des vœux proches des Règles appliquées aux religieux : comme Bernières, Mme Guyon[22] observait les vœux propres au Tiers Ordre séculier franciscain[23] (pauvreté, chasteté, obéissance). Et pourtant aucune accusation ne lui fut épargnée.

Un autre problème concernait le rôle de l’Église en tant qu’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Ceux qui se nomment souvent entre eux les « chrétiens intérieurs »[24], relativisent le rôle des structures humaines puisqu'ils trouvent Dieu au fond d'eux-mêmes. Ils restent chrétiens puisque Jésus-Christ est le Médiateur vers Dieu. Mais ils se tournent directement vers lui : madame Guyon invoque le « petit Maître » et n'a besoin de personne pour être en relation avec lui. L’Église, intermédiaire délaissée, revendique la nécessité d'une expertise et entend vérifier que l'expérience est orthodoxe.

Un dernier sujet de conflit est particulier à l’École du cœur : on y constate un mélange tout moderne entre consacrés et laïcs. Les laïcs avaient autant d’autorité que les clercs, celle-ci découlant de la profondeur de leur expérience intérieure et non de l'appartenance au corps ecclésiastique : le sieur de la Forest conseille le Père Chrysostome, le laïc M. de Bernières forme le prêtre Jacques Bertot. C'est sa principale disciple, madame Guyon, qui introduit l’abbé de Fénelon à la vie mystique, et qui dirige de nombreuses personnes : Bossuet scandalisé passera son temps à lui reprocher d'oser exercer une direction spirituelle.

Si, de tous temps, les mystiques ont été jugés menaçants pour la société catholique, l'intolérance atteint un sommet au XVIIe siècle : elle était partagée par le pouvoir civil comme par une opinion qui, confondant tout, voulait éviter le retour aux terribles luttes d’origine religieuse, proches ou voisines (elles eurent lieu autour de 1560 en France puis autour de 1630 en Allemagne). On publiait donc des « catalogues d'erreurs » qui permettaient de repérer les doctrines ou les actes hérétiques car ils sont bien difficiles à déceler chez les mystiques eux-mêmes. Plus qu’à de véritables divergences dogmatiques, on se heurte donc en fait à une recherche de cohésion sociale : la société ne se reconnaît pas dans ces êtres trop libres et le pouvoir les redoute. Le malheureux Molinos en fera les frais en Italie.

 Ce sont les terribles condamnations papales de Molinos qui ont occulté jusqu'à notre époque l’importance de la voie de quiétude : elles inclurent même des « pré-quiétistes », dont le malheureux Bernières post-mortem en 1687, puis un ensemble élargi aux « nouveaux mystiques », Mme Guyon et Fénelon, par le bref Cum alias de 1699. Ceci entraîna une peur généralisée et l'autocensure des spirituels. Pourtant la mystique aurait pu être un facteur d'unité au-delà des dogmes :

« La recherche d’un point central, du cœur de toutes les dévotions, apparaissait : ce centre pouvait être l’amour pur, la pratique de l’oraison la plus épurée […] le quiétisme apparaît comme le point d’aboutissement de ce courant de la spiritualité simplifiée, au-delà des rites et des différences confessionnelles : l’écho qu’eurent ces tendances mystiques dans les milieux luthériens et même, en certains cas, auprès de calvinistes, laisse penser que l’espoir d’une confluence mystique n’était pas  purement illusoire.[25] »

 

Écoutons maintenant ces amoureux de l'amour.

 


 


 

Les précurseurs

Une approche purement historique s’en tiendrait aux propositions condamnées, or ce sont les témoignages personnels qui nous intéressent au premier chef. Dans les périodes très anciennes, nous ne disposons que de sources officielles, seules conservées par les archives des pouvoirs. Mais à partir du XVIe siècle, époque assez récente pour connaître l’imprimerie, nous bénéficions de textes et de témoignages qui ont échappé à la destruction. Nous pouvons donc lire les précurseurs espagnols de notre École avant Miguel de Molinos : certains, comme Bernières, désignés comme « pré-quiétistes », furent condamnés après leur mort.

Dans notre tome II [26], nous avions abordé deux grandes figures : Grégoire Lopez, l'ermite mexicain, et Joseph de Jésus Maria [Quiroga], le carme défenseur de Jean de la Croix. Le premier a été beaucoup lu par les générations suivantes. Quant à L'Apologie de Quiroga, elle est d'une grande importance car elle complète Jean de la Croix [27] dont certains textes ont disparu. Nous nous permettrons donc de rappeler leurs vies en détail, puis nous passerons aux précurseurs plus directs.

Grégoire Lopez (1542-1596), ermite mystique au Mexique.

Grégoire Lopez se rattache par une vie mystique fort indépendante à l’antique tradition des ermites et des Pères du désert aux célèbres pratiques ascétiques. Il fut l’une des figures préférées de ceux qui, à une époque travaillée par le désir d’un retour aux sources primitives, reconnurent sa grandeur solitaire.

Sa Vida écrite par son disciple ami, le prêtre François Losa, fut rééditée et traduite avant même d’être mise en valeur par Arnauld d’Andilly, l’infatigable traducteur de Port-Royal[28]. Elle sera invoquée dans des controverses à l’époque de la querelle quiétiste, puis appréciée en 1717 par Pierre Poiret (1646-1719), en 1733 par le piétiste et théologien mystique Gerhart Tersteegen (1697-1769), enfin en 1747 par le fondateur du méthodisme John Wesley (1703-1791) : trois figures éminentes que nous retrouverons[29].

Cette Vie mérite d’être lue pour son charme, mais surtout pour la profondeur de ses dits.  Elle enflamma l’imagination de générations de lecteurs à la recherche d’une figure moderne qui puisse être comparée à celles des anciens Pères du désert.

Le récit de Losa s’articule selon cinq périodes correspondant aux lieux de résidence de l’ermite itinérant. Nous soulignerons par des italiques les dits de Lopez cités au fil du texte[30].

1542-1562 : peut-être né au Portugal, Grégoire vécut probablement à la Cour de Philippe II, ce qui explique une culture inhabituelle chez un ermite qui mènera une vie sauvage. Agé de vingt ans, il s’embarqua pour le Mexique dont la conquête était récente : la chute de Tenochtitlan-Mexico avait eu lieu en 1521. Arrivé à Vera Cruz, « il distribua aux pauvres des étoffes ». Il se rendit à « Zacatecas, ville peuplée près de mines d'or ... [où] s'étant trouvé dans la place de la ville lors que les chariots partaient pour porter de l'argent à Mexico ... [il vit] naître tant de contestations de disputes et de querelles, que deux Espagnols en étant venus jusques à mettre la main à l'épée, ils se tuèrent tous deux ». Il quitta ce Far-West mexicain en se rendant chez les Indiens « à huit lieues de là, dans la vallée d'Amajac habitée par les Chichimèques que leur humeur farouche et cruelle rendait alors redoutables aux Espagnols. » [15-17].

1562-1567 : Grégoire se fixa à sept lieues de Zacatecas, accueilli dans la métairie d'un capitaine : Pedro Carillo, le fils de ce dernier, enfant de six à sept ans à qui l'ermite apprit à lire, se souvenait de lui comme d'un jeune homme imberbe, vêtu d'un sac serré avec une corde, sans chaussures, sans chemise ni chapeau. Pendant les trois ou quatre années qu'il vécut chez Pedro, il n'assistait que rarement à la messe et ne fré­quentait les sacrements que de loin en loin, quand passait quelque prêtre. Il lisait et écrivait une bonne partie du jour. On commença à médire de lui « parce qu'on ne voyait ni rosaire, ni image pieuse dans son ermitage ».

Il bâtit de ses mains une petite cellule. « Les Indiens l'y aidèrent ». Il répétait la prière très courte suivante : « Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Amen. Jésus. » Ceci dura « trois ans qu'il ne respirait presque point sans les dire mentalement ... ayant demandé s'il était possible que toutes les fois qu'il se réveillait elles lui fussent présentes, il me répondit ‘que oui, et qu'ainsi après être éveillé il ne respirait jamais une seconde fois sans qu'elles lui vinssent en la mémoire’[31-32] ». Après trois années il fut envahi par un ardent amour qui ne le quitta plus.

1567-1573 : après avoir demeuré trois ou quatre ans dans sa cellule, il s’installa dans un village puis séjourna près de deux ans chez Sébastien Mexia, un converti qui ne portait plus que des habits de bure, comme notre ermite. Il retourna à Mexico où les dominicains étaient prêts à le recevoir dans leur ordre. « Ces bons religieux lui ayant dit que la contrée de Guasteca [Huaxteca] était fort spacieuse et peu habitée, et que la terre en étant fertile en fruits sauvages il pourrait trouver de quoi se nourrir, il résolut de s'y en aller pour vivre dans la solitude. » [51]

Son biographe Losa fit sa connaissance, ayant appris « qu'il y avait à Guasteca un homme que l'on soupçonnait d'être luthérien parce qu'il n'avait point de chapelet... » [61]. Il sera témoin d’une vie réglée : 

« Il se levait tôt et, après avoir lu, durant un quart d'heure, un passage de la Bible, il se recueillait, jusque vers onze heures, en un exercice dont on ne savait s'il était prière, méditation ou contemplation. Il sortait alors de son recueillement et man­geait avec Losa ou ses hôtes. […] Quand fut interdite [par l’Inquisition] la lecture de la Bible en langue castillane, il la lut en latin : pendant quatre ans, il consacra à cette lecture quatre heures chaque jour, arrivant à la savoir presque toute de mémoire. Il reconnaissait avoir lu beaucoup […] et il ressentait une très vive consola­tion à lire, décrites par Tauler et Ruysbroeck, les motions spi­rituelles que Dieu lui communiquait. »[31]

 1573-1580 : malade, il fut recueilli par Jean de Mesa et passa quatre ans à Guasteca, puis se rendit « à Atrico par un mouvement du Saint Esprit ... qui le portait à faire de semblables changements. » [63]. Jean Perez Romero lui donna une chambre ; il y demeura deux ans mais des religieux se scandalisèrent « d’une vertu et d'une science si admirables dans un homme qui n'avait point étudié et ne portait point l'habit d'aucune religion. » [65]. Il s'installa à Testuco (aujourd’hui Huastepec, État de Oaxaca) pour deux ans, où il écrivit un livre de médecine, ce qui montre qu’il prit soin de malades en bon anatomiste et excellent herboriste. Un cercle laïc se forma. L’enquête d'un jésuite, faite pour le compte de l'archevêque de Mexico, lui fut favorable.

1580-1589 : En compagnie de Losa, il s’installe à l'hôpital de Guastepec en 1580 et assiste ceux qui l'entourent. Losa témoigne : « Un seigneur se renseigne sur l’hôpital auquel on dit que Lopez passe son temps à prier dans sa chambre : ‘Je lui ferai de bon cœur donner deux cents coups de fouet’ » ! Lopez répond avec humour :

Il a raison. Car un fainéant mérite bien deux cents coups de fouet ; et ces Seigneurs qui sont si occupés des choses extérieures ne comprennent pas ce que c’est qu’un exercice intérieur. [237]

Il affirmait aussi bien :

Je ne suis rien : je ne suis bon à rien. [240].

Sa spiritualité faisait fi des méthodes. Il refusait de donner des règles pour faire oraison, renvoyant au Pater :

Pour ne vous pas donner sujet de vous plaindre que je vous refuse, je vous dirai que vous n’aurez pour cela qu’à dire ce peu de paroles dont le sens est d’une si grande étendue : « Seigneur mon Dieu éclairez mon âme afin que je vous connaisse et que je vous aime de tout mon cœur. » Ce bon frère communiqua cette prière aux autres frères de cet hôpital. [205]

Il fut l’objet d’une nouvelle enquête approfondie menée par un dominicain [84] :

Il répondit sincèrement que toute son occupation était d’aimer Dieu et le prochain. À quoi [Dominique de Salazar] lui ayant réparti : ‘Vous me dites la même chose à Amajac il y a vingt-cinq ans, et ne vous êtes-vous donc occupé qu’à cela seul ?’ – « J’ai toujours fait la même chose quoy que mes actions ayent été différentes. » [192]

1589-1596 : malade, il s'installa finalement dans un bourg nommé Sainte-Foy [Santa-Fe], toujours en compagnie de Losa, et « choisit une petite maison séparée du bourg », car, disait-il : Seigneur je viens ici seul pour vous servir et m’oublier moi-même. « Il entra dans cette solitude le 22 mai 1589 et y passa le reste de sa vie. » [93].

Losa le rejoignit à Noël et demeura avec lui jusqu'à sa mort [97].

Il lui donna pour exercice d’oraison ces paroles : ‘Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, amen Jésus’ […] doctrine la plus sublime et la plus difficile […] [qui est] la conformité de notre volonté. [254]

Lui disant qu’il ne prenait aucun repos : […] « Il est vrai que je ne saurais prendre de repos tandis que mes frères se trouveront engagés dans tant de travaux et tant de périls, parce qu’il n’est pas juste que je pense à me reposer pendant qu’ils y seront exposés. Dieu me garde de faire une telle lâcheté. Il suffit que l’un d’eux soit en danger pour faire que je continue toujours de prier pour lui. » [246]

Je lui dis de chercher quelque péché […] il me répondit « que par la miséricorde de Dieu sa conscience ne lui reprochait aucun péché. » [267]

L’ermite donna des normes pour la bonne marche de l'Église au Mexique[32] : « La charité est la source, l’origine et la mère de toutes les autres vertus. »

Grégoire Lopez étant toujours dans cet acte continuel du pur amour de Dieu et du prochain, Dieu lui communiquait sans cesse toutes ces vertus afin qu’il les communiquât aux autres et enrichît leur pauvreté par son abondance. Comme cet acte d’amour était continuel je lui demandai s’il avait quelques heures réglées […] [il répondit que] nulles choses créées n’était capable de le divertir ni de le ralentir dans ce continuel acte d’amour de Dieu et du prochain qui lui était devenu comme naturel et que tant s’en faut qu’il reculât dans cette union que Dieu lui communiquait, il y avançait toujours, référant à Dieu par cet acte d’un pur amour toutes les grâces que sa Majesté lui faisait sans s’en rien appliquer, et que cette union était la source et l’origine de tout ce qu’il savait ; qu’ainsi c’était Dieu qui lui avait servi lui-même de maître et non pas les livres, quoique ce lui fut une grande satisfaction de lire ce que Taulere et Rusbroche ont écrit des choses purement intérieures qu’il plaît à Dieu de communiquer. Il me dit aussi […] quelle était cette union, par l’exemple de celle qui se rencontre entre la lumière et l’air […] deux choses distinctes tellement unies que Dieu seul est capable de les distinguer. [258]

Sa vie se partageait entre le recueillement et les visites du puissant vice-roi… ou d’une simple Indienne que l’on retrouvera à son chevet à la fin de vie :

Il ne leur parlait jamais de Dieu ni de choses spirituelles et morales s’ils ne lui en parlaient en premier […] [il donnait ses réponses] dans des termes très simples parce qu’il en retranchait tout ce qui aurait été superflu […] Ses lettres avaient cinq ou six lignes ou moins […] [car] il vaut mieux parler à Dieu que parler de Dieu. » [230-233] 

Il assurait un rôle apostolique par la prière :

  […] l’âme en cet état est comme passive […] ne fait que recevoir de Dieu […] n’agit pas tant comme recherchant son bonheur que comme le possédant, puisqu’elle ne désire pas tant qu’elle possède et jouit. […] Mais quinze ans avant sa mort s’étant vu en cet état et le connaissant fort bien, il crut qu’il lui était meilleur d’agir et de travailler jour et nuit de tout son pouvoir à témoigner son amour pour Dieu et le prochain. À quoi il ajoutait qu’il croyait que Dieu lui avait donné cet exercice comme étant le meilleur...  [267]

 Quand on le priait de se souvenir d’une personne, il le faisait comme un homme qui se trouve chargé d’un grand poids : « Oui je le fais et porte ce poids sur mes épaules. » [272].

Considéré comme un saint, il meurt le 20 juillet 1596, non sans montrer une grande attention aux humbles. Une Indienne dont il ne connaissait pas la langue vint le voir trois ou quatre jours avant sa mort :

Écoutez-la … Car peut-être me veut-elle donner quelque bon avis : ce qui montre quel était son humilité […] À l’heure de sa mort, lors que lui demandant s’il voulait que je lui donnasse un cierge pour voir plus clair, il me répondit : Tout est clair. Il n’y a plus rien de caché : c’est un plein midi pour moi. [203]


 

Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628) défend Jean de la Croix

Neveu du cardinal de Tolède Quiroga, Joseph de Jésus Maria reçut une formation littéraire et juridique soignée avant d’entreprendre une carrière ecclésiastique. Mais il l’abandonna pour entrer chez les carmes déchaux de Madrid à l’âge de trente-trois ans, très peu de temps après la disparition en 1591 de Jean de la Croix. Deux ans plus tard il reçut la fonction d’historien de l’ordre qu’il conservera de 1597 à 1625. Mystique lui-même, il prit vigoureusement la défense de Jean de la Croix dont les œuvres demeuraient suspectes[33] : « puni durement », il fut assigné à résidence au couvent de Cuenca le 13 décembre 1628.

Car l’historien s’était mué en apologiste déterminé de Jean de la Croix dont les œuvres ne furent éditées qu’à partir de 1618, après un « traitement douteux ». Il se déplaçait d’un couvent à l’autre pour ses recherches, rencontrait les carmes formés par Jean, ce qui lui permit d’écrire une Histoire de la Vie et des Vertus de Jean de la Croix[34], parue sans la permission de l’ordre, et qui demeure la première et la meilleure approche de Jean si l’on veut pénétrer l’esprit qui animait ce dernier comme maître des novices (il faut évidemment y joindre la biographie récente du P. Crisogono satisfaisant aux critères modernes de la recherche historique[35]).

Quiroga ne sera pleinement reconnu qu’en 1912 lorsque l’on publiera une de ses œuvres dans l’édition critique des œuvres de Jean[36]. Car il est lui-même l’auteur d’une importante œuvre mystique[37] : son Apologie mystique[38] est un « traité fulgurant … qu’il faut placer au soir de sa vie » nous rappelle le P. de Longchamp.

En disciple de Jean de la Croix, il commence par retirer tout appui mental qui « doublerait » la grâce divine :

Cette manière de représenter Dieu sur un mode connu, quelque universel qu’en soit le concept, on la concède aux nouveaux contemplatifs pour commencer à les sevrer des similitudes matérielles  […] Nous avons à nous unir de façon ineffable et inconnue aux réalités ineffables et inconnues de nous […] par la lumière de la foi au-dessus de la raison et de la connaissance naturelle […] Tout cela fait défaut en cette contemplation formée où l’entendement ne contemple pas Dieu au-dessus de toutes les choses ; mais où il est appuyé sur elles, prenant en elles ce concept connu. […] la vue directe vise son objet en lui-même, alors que la vue réflexe le vise dans son propre acte formé grâce à quelque ressemblance de chose créée et connue.[39]

Il défend la pratique d’une attention simple et amoureuse à Dieu ou quiétude, contre la méditation discursive à la recherche de grâces en vue de l’acquisition des vertus chrétiennes, telle que le proposent les Exercices d’Ignace de Loyola dans leur interprétation courante : l’opposant auquel répond l’Apologie… aurait été un « bon père » jésuite.

 

Dieu est une vertu infinie, présente partout de façon invisible et non connue de nous, sinon par la foi, et présente nulle part de façon visible et connue ; aussi n’avons-nous pas à nous comporter dans l’oraison comme qui l’attirerait à soi, puisque l’âme le possède en elle-même, mais comme qui se livre à Lui comme à son principe. (Chap. 15, §5).

Il s’oppose également à tout travail spéculatif qui se référerait à l’obscurité de Denys tout en laissant vivre l’entendement. Car concrètement c’est la « démangeaison » d’un exercice, permettant subtilement de conserver un appui, qu’il faut réduire :

La contemplation est parfaite, elle s'exerce non seulement au-dessus de la raison, mais aussi sans appui sur elle, lorsque l'entendement connaît par la lumière divine les choses que n'atteint aucune raison humaine ... Beaucoup de contemplatifs pratiquent le premier point, c'est-à-dire abandonner tous les actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance naturelle, et entrer sans tout cela en l'obscurité de la foi comme Moïse dans la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui en totale quiétude d'esprit, bien rares sont ceux qui s'y adonnent : au contraire, en cette obscurité, l'intention de leur esprit est appliquée à la connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y inclinant l'intention de l'esprit, s'opposent à ce que nous avons vu par ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l'entendement doit abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi s'abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération active, aussi élevée soit-elle, afin d'être mû par Dieu sans attache ni résistance de sa part.[40]

Il s’agit de rétablir la disposition contemplative, science d’amour sans connaissance dans la ligne du chartreux Hugues de Balma et de franciscains, contemplation provoquée par l’irruption de la grâce, agréée par la volonté, non sensible, différente de toute contemplation intellectuelle ; il est en effet impossible de s’élever vers Dieu par un discours, qu’il soit affirmatif (« la théologie scolastique ») ou négatif (« la théologie négative ») :

Saint Thomas disait que celui qui considère actuellement quelque chose, parle à lui-même [...] Et aussi longtemps qu’il s’y arrête et ne se tourne pas vers un autre, il ne parle pas à cet autre [...] il ne prie pas encore. En revanche, lorsqu’il veut présenter à Dieu ce désir accompagné de la connaissance de sa nécessité [...] il soumet alors son désir et son concept à Dieu.[41]

 Toute activité dans la méditation est ainsi inutile, ce qui n’exclut évidemment pas l’exercice actif de la bonté et d’autres qualités dans la vie active. L’irruption de la grâce ne dépend d’aucun mérite, ce qui pourrait paraître scandaleux si elle ne provoquait par la suite un intense travail auquel le mystique participe pour que devienne « naturel » l’exercice de telles qualités. 

Quiroga complète son maître et termine une époque, car bientôt, nous dit Krynen, la contemplation mystique cessera « … d’être la connaissance simple que la foi surnaturelle communique à l’intelligence pure, dans le silence intérieur des puissances spirituelles […] Dans les premières décades du XVIIe siècle, on verra les Carmes de la Réforme eux-mêmes lui substituer une contemplation dite acquise, variété de spéculation négative…[42] ».

Cette distinction entre deux « contemplations », alors qu’il n’existe que la contemplation donnée par grâce, donnera lieu à d’inutiles confusions :

« Quiroga a fait mieux que de démarquer la mystique de Saint Jean de la Croix … Il n’est pas exagéré de penser que si l’Apologie avait vu le jour autour des années 1618-1620, la polémique déclenchée à propos du quiétisme entre Bossuet et Fénelon eût été vidée heureusement de son contenu[43]. »

À cet effet, remarquons qu’il se rencontre communément, chez ceux qui font l’oraison mentale, deux obstacles qui les empêchent d’être mus et illuminés de Dieu tandis qu’ils la font. Le premier provient des images distinctes et particulières de l’imagination, au milieu desquelles la raison est en mouvement dans ses discours, et nous avons déjà traité de cet obstacle. Le second, moins connu encore de ceux qui se croient grands contemplatifs […] consiste à n’avoir pas le courage de détacher de la raison le concept universel de Dieu sous lequel on se présente devant la Grandeur divine dans la contemplation. Ces contemplatifs ne peuvent se décider à envisager Dieu d’un regard direct, en tant qu’objet présent, dans l’obscurité de la foi, mais ils l’envisagent sous un concept formé et distinctement connu. En un mot, ne pouvant comprendre Dieu, ils veulent du moins comprendre le concept sous lequel ils le contemplent[44].

Au-delà de la défense de son maître et de ses écrits sur la vraie contemplation, la grandeur de Quiroga se révèle par les compléments qu’il apporta à des textes de Jean de la Croix qui nous sont parvenus incomplets. Quiroga connaissait la pensée profonde de Jean de la Croix par ses entretiens avec l’entourage de celui-ci : ses écrits confirment l’hypothèse selon laquelle les manuscrits de Jean de la Croix auraient été détruits à cause de leur hardiesse à affirmer la transformation finale de l’âme en Dieu dès cette vie, sans attendre l’au-delà. Considérée comme scandaleuse, la Montée de l’âme[45] fut critiquée et corrigée : on attend toutjours une édition de la forme originale des manuscrits ; quant à la Subida del alma a Dios, elle fut dénoncée à l’Inquisition espagnole par le jésuite Casani et condamnée en 1750 (condamnation levée en 1771 soit quatre années après l’expulsion des jésuites d’Espagne)[46].

Dans ce beau texte de conclusion, on voit affirmée la transformation de l’âme en Dieu comme état final de la mystique dès ici-bas. Le scandale ne peut naître que si l’on oublie que le mystique arrivé là est mort à lui-même :

Chapitre 12 de la Troisième partie. Du règne de Dieu, où l'âme transformée en Lui jouit à en son intérieur avec paix de béatitude.

[…] La Justice qui est la perfection de la vie introduit l'âme dans ce Royaume et ses fruits sont la paix et la jouissance. Après que ce Royaume de Dieu commence avec la Béatitude, l'âme contemplative transformée en Dieu commence à jouir, depuis que l'Époux Divin a ouvert l'entrée aux puissances dans la maison de la Sagesse […] Après que la forme Divine se saisit de l'âme pour la transformer en elle et la revêt des [512] propriétés de Dieu […] comme en cette union habituelle l'âme est pleine de Dieu, comme elle est très étroitement unie avec lui, sa grande capacité est satisfaite par cette possession du bien suprême, son appétit est déjà si apaisé qu'elle n'aime pas autre chose que ce qu'elle a, et elle a tout ce qu'elle aime, selon ce qui peut être [réalisé]en cette vie ; avec laquelle commence une paix si heureuse qu'elle jouit déjà d'une certaine façon de l'amour pacifique des bienheureux…

Chapitre 13 [et dernier, 518]. De la contemplation éminente que les transformés en Dieu exercent en participation de la vie céleste…

 

µ on aimerait un extrait de ce chapitre ou la fin

= à partir de notre nouveau travail sur Quiroga

ajouter son influence sur les Italiens

et par qui il a été lu en France

= « traduit mais peu lu : ‘caché’après le 17e siècle ! »

Antonio de Rojas (~1630)

Nous ne connaissons de ce prêtre[47], docteur en théologie et chapelain de la marquise de Legañes à Madrid, que ses livres, dont l’un, La vie de l'esprit, fut traduit par Cyprien de la Nativité[48] :

Chapitre cinq [seconde partie]. Comment l'âme doit regarder Dieu. Quand vous le regardez en tant que Dieu, considérez-le et le contemplez infini, immense, et tel qu'encore que vous cheminassiez hors du monde des millions de millions de lieues, néanmoins qu'il est là et partout ; et si après ces espaces à perte de vue, vous les multipliez autant que vous avez de cheveux en tête, ou par des millions infinis, qu'il est encore là, et qu'il n'y a aucun espace où il ne soit, et qu'en chaque partie ou chaque point des mêmes espèces, est toute la divinité présente et parfaite avec toutes ses perfections, toutes ses richesses et tous ses dons. (235)

La conclusion justifie la perte de la « sensation » spirituelle et se défend de l'apparente oisiveté de la contemplation :

Nous devons considérer Dieu présent : il nous suffit de savoir qu'ici est notre ami pour jouir de lui. Ne vous arrêtez pas à ficher les yeux sur ses splendeurs accessibles, car vous ne réussirez pas ; d'autant qu'il est nuit maintenant pour nous, qui ne sommes que voyageurs. (375)

Chapitre sept. Où il est enseigné qu'encore qu'une âme ne sent pas ce qu'elle opère, elle n'est pas toutefois oisive.

Vous trouverez quelques personnes qui vous diront : « Mais mon Père, nous ne sentons pas ce que nous faisons, et ainsi il nous semble que nous sommes dans l'oisiveté » : à cela je réponds que cette peine est un point ou une faiblesse de la condition humaine qui veut toucher et sentir tout. Et je leur confesse que souvent elles ne le sentent pas ; mais qu'importe ? Car l'âme pour être un pur esprit, ne se sent pas, et toutefois nous croyons que nous en avons une ; de même aussi ces opérations (244) qui sont de soi pures et spirituelles, ne se sentent pas ; mais encore qu'elles ne soient pas sensibles, cela n'empêche pas que l'âme n'opère véritablement.

Encore que les âmes ne sentent pas qu'elles aiment, elles ne laissent [cessent] pas d'être là occupées dans l'amour de Dieu ; car pour aimer, il n'est pas nécessaire qu'elles fassent des actes sensibles, et avec tout cela, elles aiment Dieu et leur désir n'est autre que de faire la volonté de ce souverain Seigneur, et quelque pensée qui leur vienne, qui est contraire à ce désir, est pour elles une cruelle blessure ; or Dieu souvent tient les âmes en tel état, que non seulement elles ne connaissent pas qu'elles aiment, mais au contraire qu'elles pensent qu'en tout elles manquent et déplaisent à Dieu. (245)

Ici dans cet exercice de foi vive, parce que l'entendement ne discourt pas et ne conçoit rien en particulier et qu'il demeure dans une certaine tranquillité, il semble à l'âme qu'il n'entend pas, de même que si on disait à un homme que dans les Indes il y a une chose de grand prix, qui n'est ni or, ni argent, ni pierre précieuse, et qui n'a aucune ressemblance ou rapport aux choses de son pays, pour la pouvoir représenter, cet homme ne formerait aucun (309) concept de cette merveille, et seulement il comprendrait que c'est une pièce de grande valeur [...]

La foi est une habitude de l'âme certaine et obscure. (295)


 

Juan Falconi (1596-1638)

 Falconi fut très estimé par nos mystiques, en particulier par le remarquable cardinal italien Petrucci (1636-1701) dont nous parlerons. Né d’un fonctionnaire royal en 1596 dans la province d'Almeria, il entra dès 1611 dans l’ordre de la Merci[49], à Madrid. Il suivit les cours de théologie de l'université de Salamanque pendant quatre ans, reçut le sacerdoce en 1619 (ou 1620) à Ségovie où il connut une « seconde conversion ». Il quitta l'enseignement en 1625 pour s'attacher au couvent de Madrid, se consacrant entièrement à la direction de conscience auprès des laïcs de la ville, de la Cour et dans les monastères. Il mourut, usé, en 1638[50].

Ses œuvres parurent presque toutes après sa mort. Elles sont traduites en français[51]. Son premier ouvrage est le Traité des miséricordes de Dieu, datant de sa « seconde conversion » : « Par grâce, vous me donnez la grâce, car je ne puis faire des œuvres qui la méritent. »

La vie de Dieu incompréhensible et divine est suivie de Notre pain de chaque jour destiné à un large public et qui conseille la communion quotidienne. Ses Œuvres spirituelles comportent le Livret pour savoir lire en Christ, le Livre de vie éternelle (où il propose l’oraison et se défend du reproche de vouloir y attirer jusqu’aux porteurs d’eau), le Livret pour lire en Christ librement, le Chemin droit pour le ciel...

Enfin huit Lettres nous restent, dont la première eut un tel retentissement qu'elle sera partiellement reprise dans le Guide de Molinos, puis jointe à l’édition du Moyen court de madame Guyon[52]. En quelques pages, cette Lettre du serviteur de Dieu concentre en effet l'essentiel sur l'oraison, à commencer par l'abandon :

§ 2. Établissez-vous bien en la présence de Dieu et comme c'est une vérité de la foi, que Sa Majesté divine remplit tout de son essence, de sa présence et de sa puissance, faites un acte intérieur de cette foi, et persuadez-vous fortement de cette importante vérité. Remettez-vous tout entière en ses paternelles mains ; abandonnez votre âme, votre vie, votre intérieur et votre extérieur à Sa très sainte volonté, afin qu'Il dispose de vous-même selon Son bon plaisir et Son service, dans le temps et dans l'éternité. Cela fait, demeurez en paix, en repos, et en silence, comme une personne qui ne dispose plus de quoi que ce soit […]

Falconi recommande de laisser tomber tout exercice intérieur ou mouvement propre qui empêcherait l’action du Peintre divin. Il répond d'avance aux accusations d'oisiveté :

[…] Ne pensez volontairement à aucune chose, quelque bonne et quelque sublime qu'elle puisse être.

§ 3. Gardez-vous bien de croire que cet état soit un état d'oisiveté. […] ce qui s'exerce le plus hautement en cet état, c'est l'humilité ; puisque pendant qu'une personne n'a aucun sentiment de ce qu'elle fait, qu'au contraire il lui semble de qu'elle ne fait rien, ne pouvant voir ce qu'elle fait, elle s'humilie à plein fond. Elle confesse qu'elle n'est propre à quoi que ce soit, et que ce qu'elle a de bon vient de Dieu, sans qu'elle ait jamais mérité de le recevoir.

§ 4. C'est celle [l'oraison] que le divin Maître nous enseigna dans le jardin [des Oliviers], où pendant trois heures qu'il pria, toute son oraison ne fut que d'abandon à la volonté de son Père.

§ 6. Il ne faut se mettre en oraison qu'afin que Dieu fasse de nous ce qui lui plaît [...] Tout autre exercice intérieur ne servirait qu'à troubler cette opération divine ; comme un peintre ne réussirait pas à faire le portrait d'une personne qui se remuerait sans cesse.

Il calme l’inquiétude qui naît lorsque la mémoire même est suspendue, citant l’autorité du maître de Thérèse d'Avila :

§ 7. Le bienheureux Pierre d'Alcantara [dit] : La parfaite oraison est celle où celui qui prie ne se souvient pas qu'il est actuellement en prière.

§ 10. Ainsi quand une fois vous vous êtes absolument mise entre les mains de notre Seigneur par un amoureux abandon, vous n'avez qu'à demeurer là : gardez-vous de l'inquiétude et des efforts qui tendent à faire de nouveaux actes, et ne vous amusez pas tant à redoubler vos affections sensibles : elles ne font qu'interrompre la pure simplicité de l'acte spirituel, que produit votre volonté. Ce qui est le plus important, c'est de n'ôter pas à Dieu ce que vous lui avez donné, en faisant quelque chose notable contre son divin bon plaisir.

Comme l'absence d'acte propre peut être mal comprise, Falconi insiste sur l’oubli de soi qui laisse place à Dieu :

§ 13. Oubliez-vous de vous-même. Videz-vous de tout ce qui est vôtre, afin que Dieu vous remplisse de lui ; puisque, comme disaient les pères du temps de Cassien : « Où vous n'êtes pas, c'est là justement que Dieu se trouve ».

Falconi a écrit aussi un Alphabet[53] qui se rattache au genre des abécédarios illustrés par Osuña[54]. Falconi y répond aux problèmes de sécheresse :

Ne vous affligez point de ne pouvoir arrêter votre imagination en Dieu [...] Réjouissez-vous dans la créance que vous avez d'être en la présence de Dieu, et dites-lui : « Seigneur, ayez, s'il vous plaît, la bonté d'opérer en moi ce que je ne puis faire... » (146)

Aussi rapporte-t-on de ce grand orateur Grégoire Lopez, que son oraison consistait à dire : ‘Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel, Amen Jésus.’ (268) […] Mettez en Lui tous vos soins et soucis […] Il n'a pas dit : « Abandonnez-lui telle ou telle diligence », mais tous vos soins généralement, de sorte qu'il ne vous reste plus aucun empressement ni inquiétude (280).

Selon « La Vie divine et incompréhensible de Dieu… » [55]:

[331] Dieu est comme une mer immense, en laquelle et au-dedans de laquelle le Ciel, la Terre, l'Enfer, et tout le Monde, vivent et se conservent comme les poissons dedans la mer. […] Dieu est infini en son être, et en sa nature, et il est si grand qu’il [342] remplit et occupe tout, et qu’il est en totues choses, et plus en icelles, qu’elles ne sont en elles-mêmes ; il est très intime et présent en toutes choses ; et cependant il n'y a point de chose laquelle nous nous arrêtions moins à considérer que Lui. […] Dieu est [343] plus imbibé dans le monde, que le monde n'est en soi-même. […] Toutes les choses sont tellement pénétrées de Dieu, et si enfermées en iceluy, que nous pourrions nous servir de la comparaison et expression suivante, disant que c'est comme une éponge, qui jetée dans la mer demeurerait tout pénétrée et abreuvée d'eau au-dedans, et par dehors et de tous les côtés. Cette comparaison n’est pas encore assez expressive, parce que Dieu est encore plus intime dans les [344] choses, et les pénètre davantage puisqu’il est dans toutes leurs parties pour petites qu’elles soient. […] Si Dieu donc n'avait pas produit quelque chose qui fût Dieu [411] comme lui, son appétit serait toujours affamé. C'est pourquoi, étant nécessaire que la production de Dieu le satisfasse pleinement, elle se doit terminer à une autre personne, qui soit comme de son espèce, et Dieu de même que Lui ; et cette personne ainsi produite, nous l'appelons Fils…

Sa Méthode de perfection comporte trois étapes d'une grande rigueur :  

[476] Pour premier étage, il faut mettre l'anéantissement de soi-même et une parfaite humilité de cœur…

[480] Le second étage est celuy de l'abnégation et indifférence pa laquelle l’homme se dépouille de tout propre intérêt…

[484] La conformité au bon plaisir de Dieu fait le troisième étage de la perfection et consiste à faire et souffrir tout ce qu’il plaît à Dieu…

[483] Pour acquérir cette perfection si sublime, sans doute qu’il faut employer toute sorte de diligence ; mais pourtant il se faut bien garder de penser y atteindre par notre soin et industrie : il faut y aspirer avec une simple et forte confiance en la bonté de Dieu qui le donne gratuitement à ceux qui n’y mettent point d’empêchement.

     Après cette première génération de mystiques soupçonnés de quiétisme après leur mort, les difficultés s'accentuèrent.


 

Un « triangle » géographique

Avec le temps, les mystiques furent de plus en plus surveillés.  L'Europe était dominée par trois absolutismes catholiques qui entendaient contrôler les consciences : l’Empire d’Espagne, qui s’étendait aux Flandres et en Italie du sud, la Papauté au pouvoir temporel faible mais spirituellement fort, la France qui serait bientôt dominatrice et jalouse de son indépendance. Une chape de plomb s'abattit sur les esprits et les mystiques ne purent échapper à la répression. Les spirituels italiens, espagnols et français qui tentaient de se rencontrer et de tisser des liens avec discrétion, étaient surveillés car on les soupçonnait de vouloir fomenter un complot international !

 Le mot « quiétisme » devint un chef d'accusation : dès que l'on confessait être au-delà de la méditation discursive, donc contrôlable, on était soupçonné, voire accusé de « quiétisme ». Les pouvoirs temporel et ecclésiastique étant intimement mêlés, les conséquences étaient graves : on pouvait être envoyé en prison. Nous voyons donc tous nos spirituels prendre beaucoup de peine pour se justifier.

Nous ne ferons pas l’histoire de cette triste période : la poussière de faits est aujourd’hui recueillie avec exactitude, et il n’est plus besoin de vaincre dans cette bataille qui maintenant nous paraît absurde.

Les polémiques opposèrent les « contemplatifs » qui vivaient dans l'évidence expérimentale de la grâce, à de nombreux responsables attachés à l'exercice actif de la méditation : ceux-ci étaient sans expérience intérieure mais avaient à gérer avec prudence des normes de comportements pour une majorité non mystique. Ils ne s’attachaient pas aux textes exacts des témoignages, mais en tiraient des propositions pour simplifier leur appréciation : on regroupait donc des extraits qui n'avaient rien à voir entre eux, et dont on faussait ainsi le sens avec mauvaise foi. On mélangeait les genres, le sensuel au spirituel. Quand l’intériorité est ainsi perdue, on s’éloigne d’une pratique indicible pour définir ce qui s’accorde avec la pensée dogmatique encadrée théologiquement. La seule façon d’en « juger » le fond aurait été de lire ces témoignages avec une discrimination spirituelle plutôt que juridique. Mais la répression fut générale, d’où la suspicion et le discrédit portés sur une voie supposée extraordinaire. La peur généralisée conduira les mystiques à se dissimuler, à l’exception de minorités protégées (par exemple les carmels). Cette suspicion nous a privés de nombreux témoignages des trois derniers siècles dont nous avons peine à retrouver les traces restées manuscrites et cachées.


 

Le « quiétisme » en Italie

« L’épicentre de la crise quiétiste se trouve en Italie », nous dit E. Pacho[56]. L’approche historique repose sur une seule relation confidentielle destinée au Saint-Office. Les chercheurs sont partis de la liste de foyers quiétistes qu’elle propose : les groupes rattachés à ces foyers auraient entretenu des relations étroites qui pouvaient laisser croire à un mouvement d’ensemble. On en doute aujourd'hui. Il s’agit plutôt d’une « littérature d’orientation quiétiste, en ce sens qu’elle est centrée sur l’oraison et la contemplation, largement répandue dans toute la Péninsule aux alentours de 1680 ». Bien que les influences premières fussent en réalité celles de Thérèse d'Avila et Jean de la Croix, les opposants ne relevèrent que celles de Falconi et Malaval.

A Rome, le confesseur Molinos se mit à attirer les foules et à connaître un succès considérable avec sa Guià (huit éditions italiennes de 1675 à 1685 !) : les « méditatifs » s'alarmèrent, en particulier des jésuites attachés à leur méthode discursive. A l'époque le public se passionnait pour ce genre de sujet et une polémique littéraire se fit à coup de libelles et de contre-libelles. Les têtes de file quiétistes étaient Molinos et le cardinal Petrucci. Leurs opposants Belluomo et Segneri eurent initialement le dessous, mais de grands procès eurent lieu en 1687-1688. Selon l'analyse de Pacho :

« Quiétistes et anti-quiétistes interprétaient différemment la contemplation acquise : simplement ascétique et normale pour les uns, déjà extraordinaire pour les autres. D’où le problème : si elle est d’ordre mystique, cette contemplation était-elle néanmoins de façon normale à la portée de la plupart des chrétiens ? Si oui [ce que supposent des Moyens courts proposés à tous], ne risquait-on pas de voir une exaltation, ensuite un dérèglement des mœurs sous le couvert de « quiétude mystique » ?[57]

L’accord initialement recherché entre « méditatifs » (la majorité) et « contemplatifs » (une minorité) s’avéra impossible[58] : dénonciations et acrimonie avaient miné tout terrain d’entente. Bien que l’emprisonnement à Rome de Molinos (18 juillet 1685) soit en réalité lié à des causes conjoncturelles et politiques, il déclencha une « chasse aux quiétistes » (1687-1689). La Lombardie, puis la Vénétie et le Piémont furent également concernés : des groupes locaux de signori introversi furent poursuivis. Madame Guyon y échappa : elle y avait résidé en 1683 près d’un semestre, puis en 1685-1686 près d’un an.

Le quiétisme en Espagne : Palafox

 A cause des interactions multiples entre l’Espagne et le sud de l’Italie (contrôlé par les Bourbons depuis le sac de Rome de 1527), les deux Inquisitions agirent de concert[59] et la répression se répandit en Espagne.

On eut tôt fait de relier alumbrados[60]  et quiétistes. On alla jusqu’à livrer les écrits de Teresa et de Juan de la Cruz à l’Inquisition (sans suites trop terribles dans ces deux cas). On dénonça les écrits d’Antonio de Rojas, de Falconi, de Gregorio Lopez, du franciscain de Valence Antonio Sobrino ; ce dernier était lié à la « figure discutée » de Francisco Jeronimo Simo dont le procès en béatification était défendu à Rome par Molinos.

L’archevêque promu de Palerme à Séville Jaime de Palafox y Mendoza commit l'erreur de recommander le Guide de Molinos avant la chute de son auteur et anima un cercle molinosiste. Il fut la grande figure espagnole symétrique de l’archevêque italien Petrucci : tous deux furent relativement protégés par leurs positions éminentes mais non sans être mis violemment en cause. Ils moururent en 1701. Les autres figures ont disparu sans laisser de traces remarquables.

Le quiétisme en France : madame Guyon

 Les interactions de part et d’autre des Alpes étaient facilitées parce que Savoie et Piémont étaient associés en un royaume de part et d’autre du massif alpin. L'Inquisition put agir :

« Au début de 1671, l'inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne […] ‘une nouvelle manière de faire oraison, qu'il appelle oraison de silence et de quiétude’ […] selon la manière que prône la religieuse ursuline Marie Bon[61] du diocèse de Vienne en Dauphiné […] le foyer […] s'étendit […] sur la Riviera à l'ouest de Gênes (1675) […] de nouvelles dénonciations arrivèrent à Rome, qui se référaient à des pratiques quiétistes à Spigno (diocèse de Savone), Monferrato y Corcega[62]. »

 L’influence italienne est manifeste chez madame Guyon : elle voyagea longuement en Italie au début de son apostolat. A cause de l’absence de documentation écrite provenant de tiers, ce voyage en Italie a été laissé de côté par les historiens, mais la Vie permet de souligner quelques événements importants. Elle y décrit comment la Mère Bon (1636-1680) lui était apparue en songe avant le départ pour Gex en 1681 : cette Dauphinoise était en relation avec les Italiens. Madame Guyon passa par Marseille où elle rencontra le mystique aveugle Malaval. Elle retrouva à Thonon (sur le bord sud du lac Léman) le père La Combe (rencontré dès 1671, fortuitement en 1679, et auquel elle écrivit dès 1680), barnabite d’origine italienne et de formation toute romaine.

On sait que le Général des barnabites avait envoyé La Combe à Verceil où l'évêque Ripa demandait un directeur de conscience. Or en octobre 1683, avec la permission de son provincial, La Combe accompagne madame Guyon dans son voyage d'Annecy à Turin[63]. Il jouissait de la confiance de Ripa « au point de devenir son confesseur, d’être chargé d’enseigner les cas de conscience aux prêtres du diocèse, et même de l’accompagner dans ses visites pastorales[64] ». La vie de La Combe est entourée d'énigmes :  aurait-il été « converti » par Ripa à Verceil[65] ? Ou bien, lors de sa formation romaine, aurait-il connu directement Molinos (qui occupait une place privilégiée à Rome) et son ami Petrucci ?

Quant à Mme Guyon, on a peine à croire qu'elle ait entrepris ces pérégrinations difficiles pour répondre à une simple invitation privée[66]. Cette constance et ce courage avaient forcément une raison profonde.

Nous sommes là en plein mystère puisque aucun texte ne demeure autre que sa biographie[67], dont il était fort prudent d’évacuer ce qui pouvait la lier au quiétisme italien. Il faut noter qu'en 1682-1683 Mme Guyon et La Combe avaient découvert la transmission de la grâce de cœur à cœur. Or nous savons qu'elle était bien connue des spirituels italiens par le rapport de police préparant les interrogatoires que subira Mme Guyon. Le policier l'interprète d'ailleurs au sens le plus physique[68] : « Quelques-uns avaient dit qu’ils se communiquaient réciproquement, dans leur secte, la grâce, en appliquant l’un à l’autre la région du cœur à nu » ! A Verceil, on peut donc supposer l'existence d'un foyer mystique où l'on connaissait cette communication silencieuse de la grâce, ce qui expliquerait l'ardeur des deux Français à venir séjourner en Italie.

Ils vont en effet rester près d’un an à Turin (de l'automne 1683 à avril 1684), puis encore presque un an d’avril 1685 au printemps 1686 à Verceil. C'est dans ce lieu vénérable chargé d’histoire depuis le Moyen Âge que madame Guyon rédige son commentaire de l’Apocalypse, La Combe son Orationis mentalis analysis, l’évêque Ripa l’Orazione del cuore facilitata : cet apostolat trilingue témoigne de leur intense communion spirituelle.

Ripa était l'ami intime du cardinal Petrucci : il fut un moment son bras droit à Jesi et entretenait avec lui une correspondance assidue[69]. Or Petrucci était ami de Molinos : à trente-six ans, madame Guyon rencontrait là les quiétistes italiens les plus éminents. On ne peut pas savoir si elle a lu Molinos car on ne pouvait s'en vanter. Mais nous avons ici une chaîne de liens entre personnes qui permet d'affirmer l'influence du quiétisme italien sur madame Guyon : influence de Molinos sur Petrucci, de ce dernier sur Ripa, enfin de Ripa (et probablement de La Combe) sur madame Guyon.

 De retour à Grenoble, celle-ci recevait aussi bien des laïcs que des religieux. Elle vit son Moyen court, un petit guide d'introduction à la mystique pour tous, largement reconnu et pénétrer même dans les couvents : le Général des Chartreux en colère retira le livre des chartreuses féminines.

Elle revint à Paris en 1686, l’année précédant la condamnation romaine officielle de Molinos. La bulle Cœlestis Pastor incluait celle post-mortem du français Jean de Bernières : on n’ignorait pas son influence déterminante sur le cercle de Montmartre dirigé par Jacques Bertot. Or Mme Guyon était la fille spirituelle de Bertot. Aussi connut-elle son premier enfermement en 1688 : les ennemis jaloux de l’autorité spirituelle d’une femme, ainsi que du talent d’orateur de son confesseur La Combe, trouvaient dans la condamnation papale et l’inquiétude des pouvoirs un solide argument qui fut conforté par quelques manœuvres.

Puis eurent lieu d'autres affaires : celles de Philibert Robert curé de Seurre, où madame Guyon fit un séjour de quinze jours en 1691, de Claude Quillot et des « quiétistes » de Bourgogne, de Rouxel prêtre de Besançon. Enfin en 1697, Mme Guyon sera embastillée dix ans après la condamnation de Molinos : la « dame directrice » y démontrera une rare capacité de résistance[70]. Nous la verrons terminer sa vie paisiblement à Blois, entourée de disciples mais obligée à la plus grande discrétion.

 

 

 


 


 

Des italiens

Nous allons présenter maintenant quelques textes des trois figures italiennes que nous venons de citer : l’évêque Ripa qu'a connu madame Guyon, Molinos, célèbre confesseur et martyr, et la figure centrale du cardinal Petrucci.

Vittorio Augustin Ripa (-1691)

Nous venons de le voir accueillir madame Guyon. Après avoir été gouverneur de Bénévent, de Fermo, puis de Jesi, il fut évêque de Verceil de 1679 à sa mort. Très lié au cardinal Petrucci[71], l'autre grande figure du quiétisme italien après Molinos, il entretenait avec lui une correspondance assidue : ses écrits se font l'écho de ceux de Petrucci. Mais il ne fut pas mis à l'Index.

Ripa était clairement mystique : même si prière et pénitence sont pratiquées, tout est impulsé par la grâce, et contrairement au schéma habituel, c'est la mystique qui entraîne l'ascèse et la conversion de l'âme vers un Dieu inconnaissable. L'âme guidée par le seul amour s'offre avec confiance à l'action divine[72] :

Le plus grand secret de la vie spirituelle consiste à se rendre de plus en plus passif, sous la volonté de Dieu, consentant volontiers à ses opérations avec une indifférence totale et une résignation très patiente, heureux que Dieu dispose de nous comme bon lui semble. Celui qui laisse Dieu faire ce qu'il veut, comment pourrait-il ne pas se sentir toujours bien ? » (p. 253). 

L'homme n'est rien : 

Je ne suis rien, je ne peux rien, je ne veux rien.

D'où cette injonction radicale :

Déteste le rien, aime le tout qui est Dieu seul, si tu ne veux pas être le tout du rien et le rien du tout. (p. 151).


 

Miguel de Molinos (1628-1696)

Le confesseur Miguel de Molinos (1628-1696) fut considéré à tort comme l’inventeur du quiétisme, ce qui s’accorde difficilement avec le manque d’originalité de sa Guià. Par contre, il fut un grand guide spirituel qui attirait des foules de disciples.

Molinos naquit en Aragon, dans une simple famille paysanne. Prêtre en 1652, il occupa des postes de responsabilité dans l’Escuela de Cristo de Valencia et arriva à Rome en 1663 pour y activer une cause de béatification. Grâce à sa réputation de directeur spirituel, sa Guia espiritual (Guide spirituel) connut un succès retentissant : huit éditions italiennes virent le jour de 1675 à 1685, et la Guia fut rapidement traduite en latin, en français… Son prestige était tel que les premiers écrits qui attaquèrent directement sa doctrine furent d'abord mis à l’Index (1681). 

 Mais le quiétisme devenait sujet à controverse. Un équilibre parut encore possible lorsque le pape Innocent XI chercha un accord entre « méditatifs » et « contemplatifs »[73]. Mais toute cette affaire était en réalité politique. Molinos se livrait dans la société romaine à un apostolat spirituel trop efficace aux yeux des autorités : l'agitation des foules en dérangeait plus d'un et les accusations dogmatiques servirent de prétexte pour l'éliminer. A l’occasion des premières passes d’armes, dès 1682, le cardinal Albizzi concluait ainsi son Informe lue au Saint-Office : « Cette Sacrée Congrégation du Saint Office n'a pas condamné la contemplation mystique, mais a désapprouvé le mode introduit [...] à cause des désordres qui en proviennent. »

Sa situation se détériora assez brusquement, tout comme avait été rapide son ascension : il fut emprisonné le 18 juillet 1685 et sa Guia fut condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre de la même année[74]. A la pression de cette grande protectrice des affaires catholiques, se joignait l’influence française croissante[75] : le roi entendait prévenir les désordres sur ses propres terres.

 Condamné à la prison à vie, Molinos mourra dix ans plus tard : de cette période, nous ne savons rien. Les documents du procès ont disparu, mais sa mémoire est aujourd’hui réhabilitée[76].

 Son livre n'était en fait pas original. Mais, nous dit J. Le Brun, 

« …il représentait l'aboutissement de toute la tradition mystique du siècle en prêchant la contemplation, l'abandon à Dieu et l'anéantissement du moi, la soumission au directeur spirituel. Pour des raisons complexes, rivalité de direction spirituelle, oppositions poli­tiques, résurgences de l’anti-mysticisme, le livre et la personne de Molinos furent vivement attaqués et ni les efforts des amis de Molinos, ni la sympathie du pape Innocent XI ne purent les sauver, d'autant plus que la surenchère française dénonçait dans le pape un défenseur de mystiques suspects. En 1687, soixante­-huit propositions de la Guia espiritual furent condamnées par la constitution Coelestis Pastor : on retrouve dans ce catalogue d'erreurs des propositions maintes fois dénoncées depuis le Moyen Age (amour pur sans considération de la récompense, abandon total, contemplation continue, dévalorisation des institutions et des œuvres), mais cette nouvelle constitution allait fournir aux adversaires des mystiques dans les années suivantes un répertoire quasi canonique d’hérésies[77]. »

Cette condamnation allait servir d'archétype pour la traque des mystiques en France, en particulier de madame Guyon et son groupe. Pourtant, la Guià espiritual ne se présentait pas comme un témoignage personnel[78]  mais comme un simple manuel à la doctrine parfaitement orthodoxe. Outre Denys, Molinos n'y citait que des auteurs reconnus comme St Bernard, St Thomas... ou Jeanne de Chantal :

 « Et cette lumière est que je ne dois jamais me regarder moi-même, mais cheminer les yeux fermés, appuyée sur mon bien-aimé, sans chercher ni à voir, ni à connaître le chemin par lequel il me guide, sans penser à rien » […] [Vie 3, 39 citée en   I § 98].

 Il a beaucoup lu Falconi : on en retrouve des passages cités presque textuellement[79]. Ce manuel pratique donne l’impression d’un assemblage réalisé à partir de notes mises bout à bout. Nous apprenons ce qu'il faut faire car la pensée est très claire, mais il a du mal à nous transmettre le feu de l’expérience elle-même. Une certaine sécheresse, un certain flottement laissent penser que l’on a affaire à des expériences observées chez autrui.

Molinos lance son livre comme un bateau à la mer. Son adresse au lecteur[80] est émouvante :

[…] Qu'en sera-t-il de ce petit livre sans patronage, dont le contenu mystique, comme un mets peu délectable, attire sur soi la censure commune et le dégoût ? Si tu ne le comprends pas, lecteur mon ami, ne le censure pas pour autant.

 […] La science mystique n’est pas science de l’esprit mais de l’expérience. Elle n'est pas inventée mais vécue ; elle n'est pas enseignée mais reçue ; et ainsi est-elle très sûre et efficace, d'un grand secours et superbement fructueuse.

 La science mystique n’entre pas dans l’âme par l’ouïe ni par la lecture assidue des livres, mais par la généreuse infusion de l’esprit divin, dont la grâce est communiquée, dans une intimité fort savoureuse, aux simples et aux petits (Mt 2, 26) [trad.1997].

[…] je sais bien que, par manque d'expérience, beaucoup vont censurer ce qui est enseigné ici. Mais devant Dieu j'ai confiance que, parmi les âmes que la Majesté divine appelle à cette sagesse, quelques-unes en feront leur profit. Je ne tiendrais pas mes veilles pour inutiles, si tel en était le fruit. [1997].

Il différencie nettement les contemplatifs des méditatifs qu'il qualifie d'âmes « extérieures » :

III. § 1 : Il y a deux catégories de personnes spirituelles : les unes sont intérieures les autres extérieures. Celles-ci cherchent Dieu du dehors, par le raisonnement, l'imagination et la réflexion. Pour acquérir les vertus, elles pratiquent, non sans grand effort, abstinences, macération du corps et mortification des sens. Elles […] portent en elles la présence de Dieu, présence qu'elles forment dans leur pensée ou leur imagination, sous les traits soit d'un pasteur, soit d'un médecin, soit d'un père et seigneur aimant. [...] § 2 bien que ce soit un bon chemin, ce n'est pas par lui qu'on arrivera à la perfection [...] § 4. Il est d'autres spirituels, vrais […] Ceux-là, recueillis en l'intérieur de leur âme, pratiquant un véritable abandon entre les mains de Dieu, un oubli et un dépouillement total, y compris de soi, ont toujours leur esprit porté en la présence du Seigneur, par la foi pure, sans image, sans forme ni figure, mais avec une grande sécurité établie sur la tranquillité et le calme intérieur. Et dans son recueillement infus, l'esprit se manifeste avec une telle force qu'il engendre le recueillement intérieur de l'âme, du cœur, du corps et de toutes les forces corporelles. [1997].

  Il donne dès le Prologue les signes du passage à la contemplation, signes qui ne sont pas reconnus par les « méditatifs » :

§ 23[…] je veux lui donner les signes auxquels elle [l'âme] reconnaîtra qu'elle est appelée à la contemplation. Le premier et le principal est de ne pas pouvoir méditer, ou de méditer avec beaucoup d'inquiétude et de fatigue, sauf si cela vient d'une indisposition physique, d'un désordre du tempérament, d'une humeur mélancolique ou d'une sécheresse née d'un manque de préparation. § 24. On reconnaîtra que ce n'est aucune de ces anomalies, mais une vocation véritable, quand cette âme passera une journée, ou un mois, ou plusieurs mois sans pouvoir raisonner dans l'oraison. […] § 25. Le deuxième signe est que, quoiqu'il lui manque la dévotion sensible, l'âme recherche la solitude et fuit les conversations. La troisième est que la lecture des livres spirituels lui inspire habituellement de l'aversion, parce que ces livres ne lui parlent pas de la douceur intérieure qui est au fond d'elle-même sans qu'elle le sache. Le quatrième est que, même dénuée du raisonnement, elle conserve, malgré tout, le ferme propos de persévérer dans l'oraison. Le cinquième est qu'elle acquiert une grande connaissance et un profond dégoût de soi, abhorrant ses fautes et accordant à Dieu la plus haute estime. [1997].

L’ascèse n'est que l’exercice d’une volonté humaine, seule l’action divine est efficace et suffisamment exigeante :

I § 43 : Tu auras beau t'épuiser en exercices extérieurs de mortification et de résignation, tu n'arriveras jamais à cet état bienheureux, tant que le Seigneur lui-même ne te purifiera pas, parce que lui seul sait comment doivent être purgés les défauts secrets. Si tu persévères avec confiance, non seulement il te purgera de tes affections et de ton attachement aux biens naturels et temporels, mais en son temps il te purifiera aussi de ces biens surnaturels et sublimes que sont les communications intérieures, les ravissements et extases intérieures, ainsi que d'autres grâces infuses, soutien et réconfort de l'âme. [1997].

Seule l'action du Seigneur nous conduit vers la liberté :

III § 9 : Pour se perfectionner, on s'efforce, dans la voie extérieure, d'accomplir sans cesse des actes vertueux. On essaie partout les moyens d'arracher le vice, de déraciner l'un après l'autre de la nature humaine des attachements ; mais tout cela en vain car nous ne pouvons rien par nous-mêmes et nous ne sommes qu'imperfection et que misère. § 10. Dans la vie intérieure, c'est le Seigneur qui opère. Le recueillement plein de dévotion et la vertu deviennent plus fort ; les liens se rompent ; les imperfections disparaissent ; les passions s'évanouissent et l'âme se trouve libre, sans avoir attendu de la miséricorde divine la grâce qu'elle en reçoit. [trad. 1970]

III § 188 : Pourquoi, à ton jugement, d'innombrables âmes font-elles obstacle au flot généreux des dons divins ? Parce qu'elles veulent réaliser quelque chose et qu'elles aspirent à la grandeur. Ce faisant, elles s'évadent de leur humilité intérieure et de leur néant, et rendent ainsi impossibles les merveilles que veut opérer cette bonté infinie. […] Tu dois savoir en effet que Dieu ne se trouve que dans le mépris de soi et dans le néant. [1997]

Molinos conforte les âmes en peine de sécheresse :

I § 28 : Sache que le Seigneur se sert du voile de la sécheresse pour que nous ne sachions pas ce qu'il opère à l'intérieur de nous-mêmes et qu'ainsi nous nous humiliions. Si, en effet, nous sentions et discernions ce qu'il opère dans nos âmes, le contentement et l’orgueil pénétreraient en nous ; nous penserions que notre mérite n'est pas vain et croirions que nous sommes tout près de Dieu, ce qui causerait notre perte. [1997]

     Il ne faut pas rester dans le sensible :

 I § 35 : L’âme est un pur esprit. Elle ne sent pas. […] par conséquent l’âme ne sait pas si elle aime, et le plus souvent elle ne sent pas si elle agit. [1997].

I § 78 : […] Chemine, persévère, prie et garde silence, car, là où tu ne trouveras pas de douceur sensible, tu trouveras une porte pour pénétrer dans ton néant, en sachant que tu n’es rien, que tu ne peux rien, pas même avoir une bonne pensée. [1997].

Si l'on a le bonheur d'être mis dans la contemplation infuse :

III § 127 : L'âme qui se trouve dans ce bienheureux état doit se garder de deux choses : de l'activité de l'esprit humain et de l'attachement à cet état. Notre esprit humain ne veut pas mourir à soi, mais œuvrer à sa manière, affectionnant ses activités propres. Une grande fidélité et un grand dépouillement de soi sont nécessaires pour arriver à s'ouvrir de façon parfaite et passive aux influx divins. L'habitude continuelle qu'a l'âme d'agir à son gré l'empêche de s'anéantir. § 128. En second lieu, l'âme ne doit pas s'attacher à la contemplation même. Tu dois donc t'efforcer d'obtenir en ton âme un parfait détachement vis-à-vis de tout ce qui est, y compris de Dieu même, sans chercher, ni à l'intérieur de toi ni à l'extérieur, une autre fin ou un autre intérêt que la volonté de Dieu. [1997].

Le chemin passe par le mépris de soi-même et une vénération profonde pour Dieu : ils permettent d'outrepasser les états du début pour se couler dans la volonté divine :

III § 180 : […] De ces deux principes naît une conformité efficace et entière à la volonté divine, et c'est par elle que l'âme est conduite à l'anéantissement et à la transformation en Dieu. Cela se produit sans aucun mélange de ravissements, d'extases extérieures, de sentiments d'amour exalté... [1970].

I § 8 : […] d’un simple regard ou avec une amoureuse attention à Dieu, l’âme se présente comme un humble mendiant devant son Seigneur. [1997].

 Il faut persister dans l'abandon avec confiance :

I § 13 : Chemine avec une foi ferme, dans le silence qui sanctifie, mourant à ta propre personne et à tous ses talents, car Dieu est qui il est, et il ne change pas ; et il ne peut errer ni vouloir autre chose que ton bien. Il est clair que celui qui va mourir en est forcément affecté. Mais, que c'est du temps bien employé pour l'âme que d'être morte, muette et résignée en la présence divine pour recevoir sans difficulté l'influx de Dieu ![1997].

L'âme anéantie en Dieu n'est plus affectée en son centre par les douleurs du monde :

III § 202 : […] Dans la vallée de son être inférieur, elle endure tribulations, combats, ténèbres, désolation, tourments, martyres et suggestions malfaisantes. Et en même temps, sur la haute montagne de son être supérieur, le vrai soleil brûle, embrase et illumine, soleil grâce auquel l'âme demeure limpide, pacifique, resplendissante, tranquille, sereine : un océan d'allégresse.

 § 203. Si profonde est la quiétude de cette âme pure qui a gravi la montagne de la tranquillité, si profonde est la paix de son esprit, si profondes sa sérénité et sa placidité intérieures, que de sa propre personne s'évadent quelques effluves ou scintillements de Dieu. [1997].

Malgré son orthodoxie, le sort de ce directeur spirituel fut durement scellé : il fut condamné à la prison à vie.

Pier Matteo Petrucci (1636-1701)

Il était l'ami de Molinos, mais sa haute position et l'amitié du pape lui épargnèrent de subir le même sort.

Né à Jesi, il entra à vingt-cinq ans à l’Oratoire, ordre très contemplatif fondé par le mystique Philippe de Néri (1515-1595).  Au milieu d'une intense activité pastorale, il fut envoyé à Venise pour rétablir la paix dans la communauté de l’Oratoire et devint supérieur de sa congrégation en 1678 puis évêque de Jesi en 1681. Il fut fait cardinal en 1686, mais peu après le procès de Molinos s'ouvrit le sien. Après la mort d’Innocent XI qui l’estimait[81], il fut confiné dans son évêché et ne publia plus rien.

De grande culture spirituelle, il citait Teresa, Juan de la Cruz, des carmes espagnols, le français Jean de Saint-Samson… Parmi ses nombreuses œuvres, voici quelques citations tirées des Lettere e trattati spirituale e mistici édités à Jesi en 1676 :

Dieu est si épris de l’homme, que, sans hyperbole, il meurt vraiment pour l’homme ; il espère, et la charité ne devrait-elle pas naître dans notre cœur ?[82]

Celui-là a son intérieur le plus saint, qui l’a plus rempli de grâce et d’amour de Dieu […] C’est pourquoi nous devons nous efforcer avec diligence de conserver bon et grand ce fond intime ou centre amoureux de notre âme : car sans aucun doute en lui se tient enracinée et constituée la perfection essentielle de l’homme. Le cœur bon, et élevé dans l’amour pur de Dieu, soulève et perfectionne l’ouvrage, et le rend agréable à la Majesté du Seigneur. De la doctrine de cet homme céleste provient la vraie bonté de l’œuvre humaine qui n’est pas seulement sa partie naturelle et matérielle, mais la surnaturelle, qui naît de la grâce sanctifiante et de la charité[83].

 Cet amour si droit, simple, pur et intense, rend par là l’âme hautement semblable à Dieu ; on la dit avec raison déiforme, c’est-à-dire conforme à Dieu, lequel est amour et charité. Mais comme le Dieu sublime se tient aimant, souffle l’infini amour incréé et coéternel, c’est-à-dire l’Esprit Saint, et avec l’Esprit Saint il s’aime lui-même, et nous, et toutes créatures ; ainsi l’âme déiforme et parfaite aime son Dieu avec amour et charité semblables, et aime les créatures aimées de Dieu, aussi en cela s’unit-elle à son Dieu. Et parce que l’amant jouit du bien de l’aimé, l’âme parfaite jouit du bien suprême qui est Dieu[84].

O âme si défaite, ne t’effraie pas, non, non, non. Contente-toi de t’abandonner parfaitement et presque ‘à la désespérade’, de ton Dieu inconnu. Ne t’efforce plus d’opérer à ta façon naturelle ni d’accomplir tes actes puisque Dieu qui te désaisit ne le veut pas. Maintenant, que vas-tu faire ? En silence intérieur, marquée pour morte au sein de ton Dieu, en un tel état qui t’est si inconnu, laissant faire ; car tu es épuisée par répétition. Garde-toi d’abandonner ( ?) l’oraison et l'autre chose que tu dois faire en seconde vocation,  exercer une nouvelle sorte de vertu : c’est pourquoi ne t’effraie pas…[85]

Cet immense Dieu remplit tous les lieux, pénètre toutes les créatures, est présent en tous temps, et donne l’être et la puissance à toutes choses…[86]

En avant vers cette souveraine Majesté, humiliés, plongés, engloutis, annihilés ! Pense que tu vas être un vrai néant, et sans pouvoir, et sans savoir, ne méritant rien de ta part : et ainsi quand durant l’oraison tu ne trouves rien, ne goûtes rien, que rien ne t’est concédé, ne t’afflige pas, ne te décourage pas, ne vois là aucune injustice ; rien ne se doit à qui n’a rien et ne mérite rien […] Crois donc intimement que Celui-là est en vous, et vous en Lui, vivante et animée : et de cette façon, dans l’ombre de votre Esprit adorez-le, aimez-le, étant intérieurement en pure quiétude dans cet état de Foi, d’adoration et de charité[87]. 

   Avant de clore ce chapitre sur les précurseurs de l’École du cœur, écoutons le récit de la condamnation de Molinos : sa sévérité permettra de comprendre la menace qui pesait au XVIIe siècle sur les mystiques trop indépendants.

Cette abjuration fut organisée comme une spectaculaire pièce de théâtre jouée devant un peuple de Rome déchaîné qui réclamait le bûcher. Voici le récit vivant et haut en couleurs de cette « terrible journée » qui frappa ses nombreux témoins, dont des diplomates[88] :

« L'abjuration eut lieu le 31 septembre [1687]. L'Église de la Minerve en fut le théâtre. Par une publication d'indulgences de quinze années et quinze quarantaines, les fidèles furent conviés à assister à la cérémonie. Ils vinrent en si grande foule que, dès huit heures du matin, la garde mise aux portes fut débordée. On exigeait des billets d'entrée délivrés par le Saint Office. L'affluence des curieux obligea à renforcer les cordons de police.

Quand le carrosse du Saint Office (qui emmenait Molinos) s'engagea dans la rue du Saint Esprit, le peuple assemblé commença à crier : Au feu ! Le barigel[89] responsable du prisonnier eut tellement peur qu'il fit un vœu à Notre-Dame des Grâces.

Dès que Molinos fut arrivé à la Minerve, sous bonne escorte, il fut conduit dans une salle voisine de la sacristie ; nombre de gens voulurent l'aller contempler de près et assister à son repas de midi.

A trois heures du soir entrèrent les prélats, les ambassadeurs (celui d'Espagne y était), les cardinaux. Les cardinaux inquisiteurs avaient examiné entre eux la question de savoir si le cardinal Petrucci assisterait à l'abjuration de son ami quiétiste ; ils furent d'avis que l'abstention était préférable pour Petrucci et pour la dignité du Sacré Collège. Vingt-trois cardinaux vinrent à la Minerve.

Quand ils eurent pris place, Molinos entra, entre deux sbires. Il portait l'habit ecclésiastique. Après avoir fait la révérence aux cardinaux, il gagna l'estrade qui lui était destinée. Tous les regards fixaient ce petit homme, aux cheveux blancs, replet, le visage olivâtre et vermeil, l'air grave et la démarche posée.

Une vieille estampe [...] nous a conservé l'aspect qu'offrait ce jour-là le vieux sanctuaire ogival des dominicains. Sous la chaire, sur une estrade, les consulteurs du Saint Office sont assis ; en face le Collège des cardinaux. A droite, Molinos à genoux, les mains liées tenant un cierge, entre deux sbires assis sur le tapis ; devant lui la noblesse, romaine. Tout autour en diverses tribunes et estrades - leur nombre s'élève jusqu'à vingt-quatre - les ambassadeurs, les princes, les prélats, le clergé régulier et séculier, le peuple. La garde suisse maintient l'ordre.

Tout ce monde se place, se tasse, regarde, devise sur l'évé­nement.

Un dominicain monte en chaire pour lire la longue sentence rédigée en italien. C'est un résumé de toute la cause, résumé précis et abondant. Rien qu'en écoutant cette lecture - qui dura deux heures et pour laquelle quatre dominicains se relayèrent - les assistants peuvent se faire une idée très exacte du quiétisme de Molinos. A mesure que les chefs d'accu­sation s'accumulent, l'indignation du peuple grandit ; elle finit, à certains passages par éclater en cris furieux : Au feu ! Au feu !

Sous le coup du réquisitoire qui met sa réputation en lam­beaux, et sous la clameur populaire qui exige des supplices contre l'infâme dont les abominations révoltent, Molinos demeure impassible [en note : Tous les témoins notent ce trait […]. Son visage ne trahit aucun trouble. Le récit de sa lamentable histoire doit pourtant, semble-t-il, éveiller, au fond de son âme, un écho douloureux. […] Finalement, le lecteur qui est en chaire, récite, une par une, les soixante-huit propositions censurées, il en demande à Molinos l'abju­ration […] Il demeurera condamné à la prison perpétuelle. […]

Dès que le lecteur descend de chaire, Molinos se lève et vient s'agenouiller devant le commissaire du Saint Office, pour faire entre ses mains une rétractation, dont le notaire Lucidi prend acte aussitôt. Le commissaire donne au cou­pable l'absolution, le revêt d'un sac de pénitence jaune orné d'une croix rouge, le frappe de la longue baguette des péni­tenciers et le renvoie à son estrade. Lorsque les cardinaux sont partis, le condamné quitte l'église et retrouve sa cellule de la Minerve. Plus tard le carrosse de l'Inquisition le ramène à la prison ; il est huit ou neuf heures du soir.

Malgré quoi, à ce qu'assure le cardinal d'Estrées, « la fureur du peuple qui suivait le carrosse était si grande que l'héré­tique courut le risque d'être jeté dans le Tibre ».

   Cette mise en scène eut le succès escompté puisqu'elle frappa de terreur toute l'Europe catholique. Les mystiques vont s'enfermer prudemment dans le silence, ou prendre beaucoup de précautions pour éviter une éventuelle accusation de quiétisme.

 


 

 

 

 

I

L’ECOLE DU CŒUR EN FRANCE ET NOUVELLE FRANCE

1601-1671


 

LES DEBUTS DE L'ECOLE DU CŒUR & M. DE BERNIERES

L’origine franciscaine de l’École du cœur

 Abordons maintenant l'histoire de l’École du cœur : les premiers chaînons de cette succession de mystiques se situent au sein du monde franciscain vers 1600.

A la suite de François d’Assise (1182-1226), la grande vitalité franciscaine s’exprima tout au long de l'histoire par de multiples réformes. Elles ont donné naissance à des branches menant chacune leur vie propre. Trois demeurent très vivantes du point de vue mystique au XVIIe siècle : les capucins, les récollets issus de « déserts » où l’on faisait retraite, enfin les tertiaires. Ces derniers sont soit des laïcs comme l’ensemble du Tiers-Ordre d’origine, soit des membres du Tiers Ordre régulier (TOR)[90]  pour ceux qui préfèrent obéir à une Règle au sein d’une « religion »[91]. Dans notre tome II, nous avons explicité cette Règle et vu son commentaire par Denys le chartreux.

Le fondateur du TOR en France est Vincent Mussart[92]  que nous avons rencontré dans notre précédent tome avec son ami Antoine le Clerc. Le père Vincent eut une révélation lorsqu’il découvrit dans la bibliothèque du couple Acarie[93] les commentaires mystiques de Denys le chartreux (1402/3-1471) sur la troisième règle de saint François. Ceci se passait vers 1592/3.

Nous avions aussi évoqué[94] les deux compagnons et leurs tribulations pittoresques dans cette France dangereuse de 1600 :

Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de Paris, 1594] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent Mussart] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avait mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément...

Tandis que Vincent Mussart se consacrait à l'établissement du TOR en France, Antoine Le Clerc fut le père spirituel de Jean-Chrysostome de Saint-Lô, ce qui en fait le premier maillon bien individualisé de la chaîne spirituelle qui nous occupe. Antoine Le Clerc resta laïc, mais c'est sur lui que nous avons des témoignages mystiques.

Antoine le Clerc (1563-1628)

C'est l’historien du Tiers Ordre franciscain, Jean-Marie de Vernon, qui souligne le rôle éminent d’Antoine le Clerc « sieur de La Forest » puisqu'il nous en livre une biographie complète[95] en cinq chapitres : l'hommage est tout à fait exceptionnel puisqu’il s’agit d’un simple laïc qui ne se distingue ni par son rang au sein de la noblesse ni par quelque rôle éminent au sein de l’Église ou de l’Ordre. 

Antoine le Clerc, descendant « en droite ligne de Jean le Clerc Chancelier de France », naquit à Auxerre. Il mena une jeunesse aventureuse et compromettante pour des yeux catholiques :

A vingt ans il prit les armes, où il vécut à la mode des autres guerriers, dans un grand libertinage. La guerre étant finie, il entra dans les études, s'adonnant principalement au droit […] Il tomba dans le malheur de l'hérésie [protestante](528) d'où il ne sortit qu'après l'espace de deux ans.

Quand le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô, dans son Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité, raconte le « coup de foudre » vécu par un ami « de maison et façonné aux armes »[96], il ne peut s'agir que de la conversion d'Antoine. Il écrit avec sa retenue habituelle :

Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l'âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le mot d'Eternité, il fut si fort pénétré d'une forte pensée de la chose, qu'il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret.

 Antoine resta laïc car il était chargé de famille :

[535] Ses biens de fortune étant médiocres, la subsistance de sa famille dépendait presque de son travail…

    Particulièrement doué, il se rendit utile dans le monde puis dans les controverses religieuses :

Son bel esprit et sa rare éloquence paraissaient dans les harangues publiques dès l'âge de vingt ans. Sa parfaite intelligence dans la langue grecque, éclata lorsque le cardinal du Perron le choisit pour interprète dans la fameuse conférence de Fontainebleau contre du Plessis Mornay...

Mais la vie intérieure l'emportait, et la charité qui en découle :

Une autre peine lui arriva, savoir qu'étant entièrement plongé dans les pensées continuelles de Dieu qui le possédait, il ne pouvait plus vaquer aux affaires des parties dont il était avocat.

[532] Un lépreux voulant une fois l'entretenir, il l'écouta avec grande joie, et l'embrassa si serrement, qu'on eut de la peine à les séparer. […]

    Sa vie mystique se révélait par sa clairvoyance et l'apaisement ressenti en sa présence :

Dieu lui révélait beaucoup d'événements futurs, et les secrets des consciences : par ce don céleste il avertissait les pécheurs […] marquait à quelques-uns les points de la foi dont ils doutaient ; à d'autres il indiquait en particulier ce qu'ils étaient obligés de restituer […] Les âmes scrupuleuses recevaient un grand soulagement par ses conseils et ses prières [...]

 Jean-Chrysostome se souviendra d’une prédiction de son conseiller spirituel :

[537] Le père Chrysostome de Saint-Lô […] a reconnu, par expérience en sa personne, la certitude des prophéties du sieur de la Forest, quand une maladie le mena jusqu'aux portes de la mort, comme elle lui avait été présagée...

A la fin de sa vie bien remplie, il affronta courageusement l'apparition du diable en s'appuyant sur la présence intérieure de l'Esprit Saint. Il mourut rempli d'amour divin :

Quatre mois devant sa mort étant sur son lit dans ses infirmités ordinaires, il s'entretenait sur [542] les merveilles de l'éternité : on tira les rideaux, et sa couche lui sembla parée de noir ; un spectre sans tête parut à ses pieds tenant un fouet embrasé : cette horrible figure ne l'effrayant point, il consacra tout son être au souverain Créateur. Il parla ainsi au démon : « Je sais que tu es l'ennemi de mon Dieu, duquel je ne me séparerai jamais par sa grâce : exerce sur mon corps toute ta cruauté ; mais garde-toi bien de toucher au fond de mon âme, qui est le trône du Saint Esprit. » L'esprit malin disparaissant, le pieux Antoine demeura calme, et prit cette apparition pour un présage de sa prochaine mort ; ses forces diminuèrent toujours depuis et il tomba tout à fait malade au commencement de l'année 1628. Les sacrements de l’Église lui furent administrés en même temps. À peine avait-il l'auguste eucharistie dans l'estomac qu'il vit son âme environnée d'un soleil, et entendit cette charmante promesse de notre Seigneur : « Je suis avec toi, ne crains point. » Les flammes de sa dilection s'allumèrent davantage, et il ne s'occupait plus qu'aux actes de l'amour divin, voire au milieu du sommeil.

Ce que résumait la conclusion du Père Chrysostome, avec sa sobriété habituelle :

VIII. Dans la dernière maladie il fut tourmenté d’un ardent amour envers Dieu, et d’une grande impatience d’aller à son Éternité. (91)

La grâce dont le mourant bénéficiait, se répandit sur ses proches (il en sera de même à la mort de Jean-Chrysostome) :

[543] M. Bernard [un ami] présent sentit des atteintes si vives de l'amour de Dieu, qu'il devint immobile et fut ravi[97].

Puis les amis du TOR veillèrent sur le corps et le transportèrent dans leur couvent principal :

[…] Le lendemain samedi vingt-trois de janvier […] il [le sieur de la Forest] rendit l'esprit à six heures du soir dans la pratique expresse des actes de l'amour divin […] on permit [544] durant tout le dimanche l'entrée libre dans sa chambre aux personnes de toutes conditions, qui le venaient visiter en foule. Les religieux du tiers ordre de Saint-François gardaient son corps, qui fut transporté à Picpus. […] Sa vie a été mise en lumière par le Père Chrysostome de Saint-Lô, personnage signalé en vertu, son confesseur…

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (~1594-1646)

Antoine le Clerc joua donc un rôle déterminant sur le jeune Jean-Chrysostome en lui conseillant d’entrer dans le TOR : 

 Étant encore écolier, [Jean-Chrysostome] écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Étant venu à Paris, il prit l'habit à Picpus…[98].

Ces relations entre le sieur de la Forest et le jeune homme sont exemplaires de celles qui se poursuivront entre laïcs et Réguliers du Tiers-Ordre au sein de notre École du cœur : ici un laïc peut avoir suffisamment d’ascendant spirituel pour qu’un futur religieux lui demande conseil. 

Ce que nous connaissons de la biographie de Chrysostome provient essentiellement de Boudon[99]. Les connaisseurs de l’école normande, Souriau et Heurtevent, plus récemment Pazzelli, n’y ajoutent guère d’éléments[100]. Tout ce que nous savons se réduit à quelques dates, car si Boudon est prolixe quant aux vertus, il reste discret quant aux faits ! Sa pieuse biographie couvre des centaines de pages qui nous conduisent, suivant le schéma canonique « de la vie aux vertus », mais les données biographiques se réduisent à quelques paragraphes.

Jean-Chrysostome fut le franciscain le plus éminent de son époque. Il naquit vers 1594 et étudia au collège des jésuites de Rouen. A dix-huit ans, il suivit l’avis du sieur de la Forest et prit l’habit. Il entra le 3 juin 1612, contre le gré paternel, au couvent de Picpus qu'avait fondé Mussart à Paris :

Le P. Chrisostome dit de St Lo [sic] naquit à St Fremond basse-Normandie diocèse de Bayeux et fut nommé Joachim au baptême. Un de ses frères fut capucin et une sœur a été clarisse à Rouen de l'étroite observance. Joachim étudia à Rouen et y eut pour maître le P. Caussin, jésuite[101]. Étant encore écolier, il écrivit de Rouen à M. de la Forest pour le consulter sur sa vocation. Etant venu à Paris, il prit l'habit à Picpus. Son père fit ce qu'il put pour le faire sortir du cloître et y employa à cet effet un magistrat considérable du parlement de Normandie. Le jeune homme tint ferme...[102].

Voici le récit de Boudon sur M. de la Forêt :

[…] La seconde personne que nous pensons devoir nommer, et qui a fait des progrès admirables dans les voies de la pure vertu sous la conduite du vénérable père Jean Chrysostome, a été feu Monsieur de la Forêt. Nous avons dit que le bon Père étant encore jeune écolier, prenait la liberté de lui écrire sans le connaître, et sur la seule réputation de sa sainteté, afin de s'enflammer par ses lettres dans les flammes du pur amour. Nous avons dit comme Monsieur de la Forêt ne rebutait pas ces lettres, et voulait bien même lui faire réponse.

Mais quelques années après, ce jeune écolier s'étant fait religieux, et ayant été envoyé à Paris, il eut une sainte liaison avec ce grand serviteur de Dieu [M. de la Forêt], qui ayons découvert en lui des lumières admirables qui lui étaient données pour mener les âmes à Jésus-Christ, et qui était accompagnées d'une haute sainteté, il n'eut pas honte de se rendre disciple de celui dont il avait été le maître, et de se mettre sous sa conduite. Le Père composa sa vie après sa mort, dans laquelle il a décrit dignement ses éminentes vertus et les grâces signalées qu'il avait reçues de Dieu. Il est enterré dans la chapelle de la Sainte vierge, chez les religieux pénitents de Picpus, proche Paris, avec une épitaphe écrite sur un marbre, que le même Père a composée[103].

Chrysostome monta ensuite dans la hiérarchie du TOR. Le lecteur se reportera au tome II [104] pour lire des extraits des écrits « composés par un Religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes » (un exemplaire conservé à Valognes comporte son portrait attachant). Il eut des charges éminentes au sein du TOR, mais c'est comme directeur spirituel à Caen qu'il nous intéresse.

La grâce rayonnait par sa personne :

Quand il en parlait [du Sauveur], c'était avec des ardeurs qui mettaient le feu divin de tous côtés ; particulièrement quand il faisait des conférences de l'anéantissement d'un Dieu dans le mystère de l'Incarnation, il paraissait comme tout accablé sous les grandes lumières qu'il recevait, et qu'il communiquait avec des effets extraordinaires de grâce[105] […]

Sa clairvoyance lui permettait de s'occuper des autres :

Il était l’un des savants de notre siècle, dans celle [la science] qu'on appelle mystique, c'est-à-dire qu'il était parfaitement éclairé dans la science des voix intérieures. Voici ce qu'il en écrit lui-même à une personne pour laquelle il n'avait point de secret sur ce qu'il touchait : « Présentement je suis dans une fort grande vue de la sainte perfection, des vertus et manières d'y aller ; ensuite de cette vue je vois bien clairement la distinction des états des âmes, et je puis servir à celles qui tendent à la perfection. Mais je connais bien que peu y tendent purement ; et celles qui n'y tendent pas, me semblent quelquefois si éloignées du vrai bien, que cela m’est inexplicable. J'ai une vue incroyable de la pureté de l'âme.»[106]

   Jean-Chrysostome assura un rôle capital : en accueillant les laïcs comme les religieux, il assura la transmission de l’ancien monde monacal vers un monde moderne ouvert où laïcs et clercs pratiquent l'oraison et la vivent au milieu du siècle. Son influence s'étendit sur toute la première génération normande : il dirigea avec le même amour exigeant Jean de Bernières, sa sœur Jourdaine, Mectilde du Saint-Sacrement (Catherine de Bar), Jean Aumont[107], pour ne citer que les plus connus. En témoignent de remarquables lettres de direction dont nous reproduirons plus loin des extraits : toutes de rigueur et de simplicité, elles appellent à une vigoureuse conduite d’abnégation, de « désoccupation » quel que soit le statut du destinataire. Chrysostome fut la figure de référence pour toute cette première génération de l'Ecole : on n’entreprenait rien sans l’avis de « notre bon Père Chrysostome ». Seule l’humble « sœur Marie » des Vallées jouira d’un prestige comparable.

Il appela Mectilde à ses derniers moments :

Elle était l'une des filles spirituelles du bon Père, et en cette qualité il voulut qu'elle fut témoin de son agonie ; il passa environ neuf ou dix jours à Saint-Maur, proche de la bonne mère…[108]

Comme pour le Sieur de la Forest mourant, l'état de Chrysostome eut des effets sur les religieux présents :

L’on remarqua que la plupart de religieux du couvent de Nazareth où il mourut [le 26 mars 1646], fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher[109].

     La grâce le vida de tout ce qu'il avait fait ou ressenti jusqu'alors, qu'il comprit n'être que « de la paille » :

Toutes ces grandes lumières s'éclipsèrent, toute la ferveur sensible de sa dévotion s'éteignit, il entra dans des ténèbres lamentables, son esprit devint tout stupide, et il pouvait bien dire avec son Maître : « Mon Dieu, mon Dieu, nous pourquoi m'avez-vous abandonné ? » Voici dans cet état ce qu'il écrivit aux religieuses de Sainte Élisabeth : « Mes chères sœurs, Jésus soit à jamais notre très unique amour. Il est bien tard d'attendre à bien faire à la mort, et bien douloureux de n'avoir rien fait qui vaille en sa vie. Soyez plus sages que moi, et employez sans réserve toutes vos petites forces pour amasser du pur amour, de la mortification et de la pure vertu. C'est une chose bien fâcheuse et bien terrible à une personne qui professait la sainte perfection, de mourir avec de la paille. Je sens présentement tout ce que je vous écris. Le plus grand plaisir que vous me pourriez faire, est de pratiquer beaucoup de fidélité et de m'en faire part. Je vous recommande surtout une grande charité envers vos sœurs, et particulièrement pour votre révérende mère supérieure. »[110]

Jean de Bernières (1601-1659)

Son successeur fut Jean de Bernières dont le rayonnement attira aussi nombre de spirituels à Caen[111]. Au tome précédent[112], nous n'avions abordé que la destinée individuelle de ce grand spirituel. Nous avions vu comment il utilisa sa fortune à la fondation d’hôpitaux, de missions et de séminaires, et combien l'amour qu'il trouvait dans l'oraison, le rendait insensible aux convenances sociales de son époque[113] :

… Il aimait les pauvres tendrement, et il n’oubliait rien pour les assister dans tous leurs besoins. On l'a vu aller les chercher dans leur chétives maisons, pour conduire ceux qui étaient malades à l'hôpital ; et ce qui est bien extraordinaire, pour une personne de sa qualité, et encore plus rare dans un jeune homme comme il était pour lors, il leur servait de portefaix, ou pour mieux dire, de père ; car il les portait lui-même, comme un père ferait de son enfant ; et c'était un agréable spectacle aux yeux de Dieu et de ses anges, pendant que les gens du siècle en riaient, de voir une personne de sa qualité et de son âge, passer tout au travers d'une grande ville, comme est celle de Caen, et au milieu des rues, où il se trouve une plus grande affluence de peuple, portant sur son dos des pauvres malades à l'hôpital, qui est à l'une des extrémités de cette ville. …[114]

   Bien que laïc, il fut considéré comme appartenant à la mouvance du Tiers-Ordre Régulier puisqu'il était le disciple du franciscain Jean-Chrysostome et qu'il pratiquait les règles du TOR. Vernon, l'historien des deux Tiers Ordres franciscains, lui rend un hommage appuyé et le reconnaît comme un « enfant de notre Ordre » : 

Le sieur de Bernières de Louvigny de Caen éclate assez par son propre lustre, sans que ma plume travaille pour honorer sa mémoire. Son livre posthume publié sous l'inscription du Chrétien intérieur avec tant de succès, est une étincelle du feu divin qui l'embrasait. Les lumières suréminentes dont son esprit était rempli, n'ont pas pu être toutes exposées sur le papier ni dans leur entière force : comme il était enfant de notre Ordre dont il a pris l'habit ; aussi en a-t-il tendrement aimé tous les sectateurs[115].

 Bernières rencontra plusieurs influences. Des textes nous sont heureusement parvenus qui permettent de savoir comment il fut formé et par qui.

 

 


 

Sa formation par le P. Chrysostome  

    En premier lieu, il fut le plus important disciple de Jean-Chrysostome de Saint-Lô. Il adhéra donc à la petite confrérie de la « sainte Abjection » que Chrysostome avait fondée pour lui-même et ses proches. Nous en avons rencontré les règles sévères[116] : on y pratiquait toutes sortes d'austérités, afin d'imiter la Passion du Christ. Tous étaient pénétrés de l'indignité de l'humain devant la grandeur divine : tout mouvement de la nature était condamné, et ce petit groupe ne se pardonnait rien.

   Bernières fut donc dirigé avec compassion, mais avec une extrême rigueur. Nous avons conservé un échange dans lequel son directeur répond à sa demande d’aide : la simplicité du ton y est quasi scientifique. Il est émouvant de voir combien ils se gardaient de tout attachement l'un à l'autre, de toute émotion à propos de ce qui faisait pourtant le centre de leur vie[117] :

Mon révérend père,

Je me suis trouvé depuis quelques semaines dans une grande obscurité intérieure, dans la tristesse, divagation d'esprit, etc. Ce qui me restait en cet état était la suprême indifférence en la pointe de mon esprit, qui consentait avec paix intellectuelle à être le plus misérable de tous les hommes et à demeurer dans cet état de misère où j'étais tant qu'il plaira à notre Seigneur.

Réponse :

J'ai considéré votre disposition. Sur quoi, mon avis est que cet état de peine vous a été donné pour vous disposer à une plus grande pureté et sainteté intellectuelle par une profonde mort des sens est une véritable séparation des créatures. Je vous conseille durant cet état de peines :

1. De vous appliquer davantage aux bonnes oeuvres extérieures qu'à l'oraison,

2. Ayez soin du manger et dormir de votre corps,

3. Faites quelques pèlerinages particulièrement aux églises de la sainte Vierge,

4. Ne violentez pas votre âme pour l'oraison : contentez-vous d'être devant Dieu sans rien faire.

5. Dites souvent de bouche : je veux à jamais être indifférent à tout état, ô bon Jésus, ô mon Dieu, accomplissez votre sainte volonté en moi, et semblables. Il est bon aussi de prononcer des vérités de la Divinité, comme serait : Dieu est éternel, Dieu est tout puissant, et de la sainte Humanité, comme serait : Jésus a été flagellé, Jésus a été crucifié pour moi et par amour. Ce que vous ferez encore que vous n'ayez aucun goût en la prononçant, etc.

Ici, Jean est inquiet de voir son oraison devenir « abstraite » après les ferveurs anciennes plus sensibles. Chrysostome l'aide à passer le cap :

J'ai lu et considéré le rapport de votre oraison. […]

1. Souvenez-vous que d'autant plus que la lumière monte haut dans la partie intellectuelle et qu'elle est dégagée de l'imaginaire et du sensible, d'autant plus est-elle pure, forte et efficace, tant en ce qui est du recueillement des puissances qu'en ce qui est de la production de la pureté.

2. Quand vous sentirez disposition à telles lumières, rendez-vous entièrement passif.

3. Souvenez-vous qu'aucune fois cette vue est si forte qu'au sortir de l'oraison le spirituel croit n'avoir point affectionné [eu de l'amour pour] son objet, ce qui n'est pas pourtant. Car la volonté ne laisse pas d'avoir la tendance d'amour mais elle est comme imperceptible, à cause que l'entendement est trop pénétré de la lumière.

4. Enfin, souvenez-vous que dans cet état, il suffit que la lumière soit bonne et opérante, et il n'importe que l'entendement et la volonté opèrent également ou qu'une puissance absorbe l'autre. Il faut servir Dieu à sa mode dans telle lumière qui ne dépende point de nous. […]

 Chrysostome répondait aussi à des questions pratiques, par exemple comment partager le temps entre la charité et la solitude dont on a le désir :

Divisez votre temps et tendez de ne vous donner aux affaires que par nécessité, prenant tout le temps qu'il vous sera possible pour la solitude de l'oratoire. O cher frère, peu de spirituels se défendent du superflu des affaires. O que le diable en trompe sous des prétextes spécieux et même de vertu. […]

Le temps passe : Bernières devient à son tour un passeur mystique capable de former ses visiteurs à l'oraison. Il s'inquiète de ses responsabilités et consulte son père spirituel :

Question :

Comment dois-je conseiller les âmes sur la passivité de l'oraison. Les y faut-il porter et quand faut-il qu'elles y entrent et quels en sont les dangers ?

Réponse :

Ordinairement le spirituel ne doit pas prévenir la passivité. Je dis ordinairement, d'autant que s'il travaille fortement il pourrait demeurer quelque peu de temps sans agir, s'exposant à la grâce et à la lumière, et éprouver, de temps à autre, si telle pauvreté lui réussit. Benoît de Canfeld en son Traité de la volonté divine[118], est de cet avis. Je crois néanmoins que celui qui s'en servira doit être discret et fidèle. […]

Après la mort de son directeur en 1646, Bernières mettra des années à pouvoir obéir au conseil de pauvreté que celui-ci lui avait donné. Sa famille s'y opposait :

Le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle [en acte] pauvreté était le centre de sa grâce […] Ce sentiment d’un directeur […] adressé à un disciple […] en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. Mais comme son bon directeur n’était plus ici-bas […] il ne trouvait presque personne qui ne s’y opposât[119]

  Il y arrivera pourtant et vivra ses dernières années avec le minimum vital.

Sa fidèlité à son père spirituel fut indéfectible comme le montre son émotion dans cette lettre à une autre « enfant » de Chrysostome :

 Ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu[120] ?

On peut craindre cependant que sa formation par une personnalité aussi impressionnante n'ait paralysé Bernières sur le chemin mystique : un excès de scrupules, une trop grande obsession de son « abjection » personnelle empêchait l'abandon nécessaire au divin. Se voyant si imparfait, il se croyait damné au point de redouter une mort qui ne pouvait que le précipiter en enfer. Ou bien, et plus probablement, l’agonie pénible du P. Chrysostome lui était présente.

 Mais il bénéficia fort heureusement des conseils de trois « grandes sœurs », amies mystiques qui surent le tirer de ce grand obstacle et le mener plus profond :

Des influences féminines

Marie des Vallées (1590-1656)

   C'est le confesseur de Renty, le père Saint Jure, qui, dès 1641, recommanda à Bernières et Renty d'aller voir la sœur Marie des Vallées[121] : après un parcours douloureux, celle-ci était alors dans la plénitude de la vie en Dieu. Après la mort de Chrysostome en 1646, c'est elle qui devint la référence non seulement pour Bernières mais pour tout le groupe de Caen. Ils prirent l'habitude d'aller la voir à Coutances une fois par an tant ils l'admiraient.

 Nous avons conservé des notes probablement prises par Bernières lors d'entrevues qui eurent lieu à la fin de la vie de Marie. Elles furent réunies sous le titre de Conseils d'une grande servante de Dieu[122] : le cercle guyonien leur accordera une telle importance qu'ils seront intégrés au recueil consacré à Bertot par Madame Guyon[123] en 1726. Dans cet extrait, Bernières lui fait part de ses incertitudes, mais elle le rassure sur sa voie et l'encourage à tout quitter pour s'abandonner à l'action divine :

1. Cette Servante de Dieu étant consultée par un serviteur de Dieu, elle lui dit d'avoir courage, qu'il n'est point arrivé, mais qu'il est en chemin […]

5. […] elle m'a absolument assuré de mon état et que je devais être tout passif et en quiétude […] Elle m'a dit que peu souvent on est assuré de son anéantissement ; et qu'il faut vivre comme cela. Elle m'a dit que c'est un don que Dieu nous fait : j'ai bien vu par son discours que c'est assez. Elle me disait : Voilà votre voie ; les autres marchent autrement, il faut suivre sa sienne ; les autres ont des contemplations et inclinations, il faut qu'ils y aillent.

7. Comme je l'ai été prier pour demander à Dieu la certitude de mon oraison, elle m'a dit de me donner de garde de la curiosité, que la certitude a été donnée, et qu'il faut marcher. […]

9. Elle [l'âme] ne peut ni prier ni rien faire ni penser, sinon comme on lui fait faire […] Etant en compagnie, il faut parler afin de n'incommoder pas le prochain ; et que l'anéantissement ne laisse [cesse] pas d'être. Que dans les grandes maladies, il s'y trouve aussi, et même qu'il augmente […]

11. Dans cet état on ne se met point en peine des sécheresses, au contraire elles y aident ; ce ne sont pas les goûts, mais l'opération de Dieu que l'on cherche. Nous avons eu grande joie ensemble, en parlant de cet état. […]

18. La sœur Marie dit que Dieu lui a fait connaître qu'« il donne à des hommes et  à des femmes du monde, la grâce des anciens religieux et ermites », et qu'il ne faut pas s'étonner si dans les cloîtres, les grands dons d'oraison ne s'y rencontrent pas, les religieux tournant le dos à Dieu par le peu de fidélité qu'ils ont gardée.

19. [L'âme] se doit donner de garde de Dieu même, qui lui communiquant beaucoup de quiétude et de consolation, elle s'y attacherait, si elle n'y prenait garde, et si elle ne demeurait ferme et constante à ne vouloir que Dieu seul.

   Avec elle, il fait cette expérience capitale, la communication de grâce sans paroles, qu'il n'accepte tout d'abord pas et que Madame Guyon connaîtra si bien :

27. Je dis à la sœur Marie que je conversais avec elle en Dieu, sans que je pense y converser de paroles. Elle m'a dit qu'il y a un langage intérieur, et que cela est vrai. Je suis venu peu à peu à ne plus parler avec elle, mais à demeurer avec elle en Dieu […] Il a bien fallu mourir pour entrer en cette manière d'agir purement, mes sens et mon esprit y répugnaient bien fort, et la grâce ne m'y a pas conduit tout d'un coup. J'ai bien connu que c'était imperfection à moi de lui parler, n'étant pas la manière que Dieu voulait sur moi. Il me semblait que mon âme était introduite dans un cabinet seule avec elle, où les autres ne pouvaient empêcher la conversation, non pas elle-même : c'est un pur don que Dieu seul peut faire.

33. En l'année 1655, notre voyage pour voir la sœur Marie ne fut pas à dessein d'avoir quelque réponse ou quelque don particulier, mais d'obtenir par ses prières l'établissement de la réelle présence de Dieu dans le fond de notre âme.

    Parallèlement à l'intensité de la recherche intérieure, une anecdote rapportée par Jean Eudes illustre la délicatesse des rapports entre Marie et ses amis, ainsi que l'intervention du Seigneur dans l'activité quotidienne :

Dans un voyage que M. de Bernières fit à Coutances, pendant qu’il y fut il alla souvent prendre son repas chez M. Potier où était la sœur Marie. Or l’un et l’autre firent dessein d’envoyer quérir du sucre et quelque autre petite délicatesse, afin de le mieux traiter, mais lorsqu’il était présent, ils ne s’en souvenaient point du tout ; et quand il était parti, ils étaient fâchés d’y avoir manqué, mais pourtant ils oublièrent encore par après, excepté un soir qu’ils l’attendaient et qu’ils se souvinrent bien, mais cette fois il ne vint pas. Ensuite de cela, comme la sœur Marie se plaignait de leur peu de mémoire, Notre Seigneur lui dit : « C’est ma divine volonté qui en a ainsi disposé. Elle veut que vous lui aidiez à marcher dans le chemin de la perfection. Toutes ces choses ne sont que des retardements, excepté quand on en use par infirmité ou par quelque autre bonne raison. [320][124].

Charlotte le Sergent (1604-1677)

 Cachée au sein du couvent de Montmartre[125], la bénédictine Charlotte le Sergent (1604-1677) fut une autre précieuse amie de Bernières[126] après la mort de Chrysostome. Nous connaissons sa vie par la Mère de Blémur. Ses lettres furent une grande inspiration pour lui comme pour bien d’autres, dont Catherine de Bar. Son autorité naturelle due à sa grande expérience ramène ses correspondants à l'essentiel.

Avec sa profonde simplicité et son amour, elle va détourner Bernières de son excès d'attention à lui-même : se tourmenter devant son « abjection », son indignité, c'est toujours être centré sur soi. Il faut se quitter pour laisser place à Dieu :

Persuadé que Dieu l’éclairait sur la conduite d’autrui, on la consultait de tous côtés et même des personnes qui d’ailleurs étaient fort éclairées : comme Monsieur de Bernières… Elle lui dit entr’autres choses […] « Il m’a semblé que votre âme se rabaissait par trop en réfléchissant sur elle-même, et sur les opérations divines dans son intérieur. Elle doit être à mon avis plus simple et s’attacher uniquement à l’Auteur de cet ouvrage et non pas à ses effets. Il vous doit suffire de lui laisser une pleine liberté d’agir à sa mode et selon son bon plaisir » […]

On croit quelquefois que tout est perdu, parce que l'on ne sait pas quel est le prix de la nudité d'esprit […] si l'âme veut agir par elle-même, elle oppose son action basse et ravalée, à celle de Dieu. Cette inclination d'agir est un reste des activités passées qu'il faut anéantir et écouler en Dieu, pour lui laisser l'âme abandonnée [...]

A son obsession de pauvreté, elle répond par un appel à la seule pauvreté nécessaire, celle de l'intérieur :

Monsieur de Bernières étant pressé d’abandonner toutes choses et d’entreprendre une vie pauvre et réduite à la mendicité [… reçut cette réponse :] « Votre esprit naturel est agissant et actif […] vous devez demeurer indifférent à tout […] seulement vous humilier. C’est en ce point que consiste la pauvreté d’esprit : dans ce vide et dans ce dénuement de toute propre élection »[127].

Marie de l’Incarnation (1599-1672)

La troisième rencontre dont Bernières bénéficia, eut lieu au printemps 1639, quand il s'occupa des missions vers le Canada : il alla chercher Marie de l’Incarnation [Guyart][128] à Tours pour la conduire à Dieppe, où elle devait embarquer pour le Canada. Elle écrivit à propos de ce long voyage en carosse :

Dans toute la conversation que nous eûmes ensemble […] Jamais je ne l'ai vu proférer une parole avec légèreté, et, quoiqu'il fût d'une agréable conversation, il ne se démentit jamais de la modestie convenable à sa grâce.[129]

  Ce carrosse transformé en couvent fut le lieu d'oraisons profondes. Leur lien mystique se poursuivit par écrit. Le fils de Marie, dom Claude Martin, nous parle avec émotion de l'admiration de Bernières pour sa mère :

Ses lettres ne traitaient pour la plupart que de l’oraison […] Il [Bernières] en faisait une estime singulière. Il me dit qu’il avait connu bien des personnes appliquées à l’oraison […] qu’il n’en avait jamais vu qui en eût mieux l’esprit, ni qui en eût parlé plus divinement [130].

Notre Mère est une seconde sainte Thérèse […] C’est aussi le sentiment de Monsieur de Bernières […] quoiqu’il y eût peu de personnes éminentes en oraison qui n’eussent communiqué avec lui […] je lui ai néanmoins entendu dire qu’il n’avait jamais vu de personnes élevées au point où était la mère de l’Incarnation [131].

 Par malheur, les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues. Mais cet échange porta nécessairement ses fruits.  Nous savons que la jeune Marie Guyart reçut des « communications de pur amour » avant la fin 1626 [132]. Devenue l’ursuline Marie de l’Incarnation, cette « aînée » était déjà fort avancée lors de sa rencontre avec Jean : on peut légitimement supposer qu'elle l'a beaucoup soutenu dans son cheminement vers le divin.

Ces rencontres inspirantes ont aidé Bernières à trouver sa vraie voie : il put dépasser crispation et culpabilité pour respirer au large. Soulagé et émerveillé de sa découverte, il chante ici l'abandon au divin :

 Ô cher abandon, […] quiconque vous possède, ressent et goûte les aimables transports d'une grande lliberté d'esprit […] vous êtes la disposition des dispositions, et toutes les autres se rapportent à vous. Bienheureux qui vous connaît […]

Il me semblait autrefois que la Grâce de l'amour de l'abjection était comme la dernière ; mais vous m'en découvrez d'autres qui me font monter l'âme plus haut […][133]

A la fin de sa vie, il avait atteint un état stable de perte en Dieu, qu’il décrit ici :

La pure oraison cause la perte de l’âme en Dieu où elle s’abîme comme dans un océan de grandeur, avec une foi nue et dégagée des sens et des créatures. Jusqu’à ce que l’âme en [237] soit arrivée là, elle n’est point en Dieu parfaitement, mais en quelque chose créée qui la peut conduire à ce bienheureux centre ; c’est pourquoi il faut qu’elle se laisse conduire peu à peu aux attraits de la grâce pour ainsi s’élever à une nudité totale par sa fidélité. [...]

Cette perte en Dieu ne se peut exprimer que grossièrement, comme par la comparaison d’une goutte d’eau qui tombe dans la mer : par cette chute elle s’y abîme et s’y perd et devient en quelque manière la mer même par la pleine participation de toutes ses qualités. Ainsi une âme élevée en Dieu par la foi nue s’y unit, s’y abîme et s’y perd, participant aux perfections de Dieu qui la déifient en quelque [238] manière. Pour lors l’entendement n’y comprend rien mais il est comme compris de Dieu qui lui est tout, ne connaissant aucune chose créée, puisque Dieu seul est l’abîme où il se perd et que quelque chose distinct de ce qu’il connaît n’est pas Dieu. Il ne faut pas donc demander ce que fait l’entendement en cet état, non plus que la volonté, quand de sa part elle est ainsi perdue en Dieu par amour ; ces deux puissances ne font rien que se perdre, et se perdre de la sorte c’est une chose meilleure que de produire les plus excellentes actions. [...] C’est donc par cette perte que l’âme se trouve bien établie en Dieu et qu’elle y fait sa demeure ou plutôt qu’elle devient un même esprit avec lui […] (240) ainsi perdue et anéantie elle devient toute divine et en quelque façon Dieu même[134].

Une œuvre reconstituée et influente.

L'influence de Bernières fut immense, transmise par ses amis, mais aussi par son œuvre écrite. Il n'avait pourtant laissé que des lettres et quelques notes personnelles prises au cours de retraites. Mais ce sont ces lettres dictées qui ont servi à composer le Chrétien intérieur. Boudon le dit :

Je me souviens d’en avoir vu quatre tomes de manuscrits fort amples, qui peuvent servir d'une vaste matière à en composer de nouveaux traités, comme ils ont servi à composer le Chrétien intérieur, car, comme je l'ai remarqué, Monsieur de Bernières dictait seulement les lumières de son oraison par pure obéissance, sans dessein d'en faire aucun livre[135].

Ce sont ces « reliques » que l'entourage a assemblées : L’Intérieur Chrétien a été édité en 1659, puis dès l’année suivante Le Chrétien Intérieur. La référence au TOR était si évidente[136] pour la première génération de l’Ecole du cœur qu'au moment de construire et d’éditer une « œuvre » à partir des lettres, on fit appel à Louis-François d’Argentan, franciscain de la réforme capucine, puis à un minime (ordre inspiré des franciscains). Avec toute la liberté permise à l’époque[137], les corrections et les choix orientés par l’éditeur d’Argentan l'adaptèrent à l’esprit du temps.

L'ouvrage connut un succès comparable à L’introduction à la vie dévote de François de Sales. Sa carrière fut glorieuse : « Le Chrétien Intérieur […] publié en 1661 […] atteint dès 1674 sa quatorzième édition et la même année le libraire Edme Martin estime qu’il en a vendu trente mille exemplaires[138] ». Le texte atteignit un public très large car il est facile à lire et rempli d’onction. Aussi se retrouva-t-il dans les bibliothèques les plus réduites : « la veuve de Pierre Helyot[139] […] détient les Fleurs des saints en deux volumes in-folio, le Chrétien Intérieur de Bernières-Louvigny, une Explication des cérémonies de la messe et une quinzaine d’autres petits livres de dévotion […] »[140].

   L’Intérieur Chrétien (1659) devint Le Chrétien intérieur, qui connut deux versions : une « primitive » de 1660 et une « tardive » de 1676 [141]. Leur succédèrent des Œuvres spirituelles (1670) distinctes et fiables. Lors de la réédition des Œuvres spirituelles en 1675, les « Maximes » furent annotées en marge pour indiquer les dates des lettres dont elles étaient extraites. En 1676 parurent, en adjonction au Chrétien, les « Pensées… », assez souvent extraites de lettres.

Ce qui fut tardivement édité sous le nom d’Œuvres spirituelles, Maximes, Lettres (au nombre de 175) est de première qualité. Cet ensemble est moins connu que le Chrétien mais plus fiable. Les lettres utilisées dans les Chrétien sont antérieures à celles des Œuvres[142].

Le Chrétien est maintenant disponible [143]. La correspondance va paraître pour faire revivre l'émouvant trajet intérieur de Bernières cheminant de l’abjection à l’abandon[144].

L’ERMITAGE

   Toutes ces pratiques auraient pu rester confinées à un petit groupe, mais sur l'inspiration de Chrysostome, Bernières fit bâtir à Caen une maison d'accueil qui permettait de loger leurs amis mystiques : ils la nommèrent l'Ermitage. Cette maison devint un haut-lieu spirituel où se rencontraient petits et grands mystiques[145] : Gaston de Renty, Jean Eudes, Catherine de Bar, comme les personnalités les plus modestes. On pouvait y séjourner et baigner dans le rayonnement de Chrysostome et Bernières.  En leur compagnie, on vivait au cœur de la très ancienne tradition franciscaine : amour divin et dépouillement total. Voici ce qu'écrivait Mère Mectilde du St Sacrement en visite en 1654 :

 Adieu, ma très chère sœur, Messieurs de Bernières et de Rocquelay vous saluent ; ils font des merveilles dans leur ermitage : ils sont quelque fois plus de quinze ermites ; ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à Monsieur de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l’état du saint et parfait anéantissement[146].

Cette période d'intensité spirituelle est de toute première importance par sa grande fécondité : la génération suivante avec Jacques Bertot et Mgr de Laval, y a trouvé conseils et formation. L'esprit de l'Ermitage fut la référence de la génération suivante. Il va se répandre dans trois directions : au Canada, porté par Mgr de Laval (parallèlement avec Marie de l'Incarnation) ; il va s'incarner dans un nouvel ordre de bénédictines fondé par Catherine de Bar (Mère Mectilde du Saint-Sacrement) ; enfin il arrivera à Paris grâce à M. Bertot, qui sera confesseur du monastère de Montmartre et père spirituel de Madame Guyon.

La maison de l'Ermitage fut donc bâtie sur les plans de Chrysostome et achevée en 1648. Elle se trouvait au pied[147] du monastère des ursulines construit par les parents de Bernières et où se trouvait sa soeur Jourdaine :

Cette pureté si simple [de Bernières] venait de sa grande union avec Notre Seigneur dans l'oraison, qui a fait la grande occupation de sa vie. Son saint directeur lui avait conseillé pour y vaquer avec plus de liberté, de faire bâtir un logis dans l'entrée de la maison des religieuses ursulines de Caen, près de la grande porte de leur cour extérieure, l'assurant qu'un jour elle servirait à plusieurs serviteurs de Dieu pour s'y retirer. Ce fut le bon Père qui en donna et traça le dessin, le nombre et la grandeur des chambres, et tout ce qui devait accompagner ce petit bâtiment ; l'on a bien vu par la suite que le Père parlait par l'esprit de Dieu[148].

     Chacun avait sa cellule. Le repas en commun était suivi d'une heure d'oraison en commun aussi. Puis chacun faisait ce qu'il voulait, s'adonnant soit à l'oraison personnelle, soit à la charité.

 Boudon en gardait un souvenir merveilleux :

On appelait ce lieu l'Ermitage, parce que, quoi qu'il fût dans une grande ville, on y menait une vie retirée, et toute d'oraison. Je puis assurer avec sincérité, qu'ayant eu la grâce d'y passer deux ou trois mois, je n'y ai jamais ouï d'autres entretiens durant tout ce temps-là, que ceux de l'oraison. L'on n'y parlait [pas] d'autre chose, et durant le temps de la récréation, aussi bien qu'en tout autre temps ; et en vérité, c'était la plus douce récréation de ce saint lieu ; et ce qui est de merveilleux, c'est que l'on ne s’en ennuyait jamais. L'on n'y passait les jours, les mois et les années en parlant toujours de la même chose, qui semblait toujours nouvelle ; et c'est qu'elle tendait uniquement à Dieu seul, le seul lieu de notre véritable repos. Les discours du monde, les nouvelles de la terre n'y avaient aucun accès.

Il n'y avait aucun exercice particulier de piété réglé, parce que l'oraison perpétuelle en faisait toute l'occupation. L'on si levait de grand matin, et durant toute la journée c'était une application continuelle à Dieu. Monsieur de Bernières sortait pour les affaires de Dieu et pour les fonctions de sa charge ; mais ceux qui l'ont connu, savent qu'il ne sortait jamais de l’union avec Dieu. Il avait passé par différents degrés de l'oraison, et enfin il y était élevé dans ce [col. 1315] qu'il y a de plus sublime ; et l'on peut dire, sans exagérer, qu'il a été, tout Trésorier de France qu'il était, un des plus grands contemplatifs de notre siècle[149].

    Dans une lettre du 18 mai 1654, Bernières constate combien la grâce est active parmi eux :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus au monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion […] Je connais clairement que l'établissement de l'Ermitage est par ordre de Dieu et notre bon Père ne l'a pas fait bâtir par hasard. La grâce d'oraison s'y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait.

     Il parle avec humour de cet « hôpital » un peu particulier :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger a avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes [150].

Ce lieu ouvert à tous donnait la liberté de se consacrer sérieusement, c'est-à-dire totalement, à l'oraison car

Un homme d'oraison doit être un homme mort […] C'est se moquer que de vouloir faire oraison et vouloir encore prendre goût aux créatures[151].

L'invitation était toute simple :

Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison [152].

Dans une lettre du 29 mars 1654, il définit le but pour lequel il a construit cette maison d’accueil :

C’est l’esprit de notre Ermitage que d’arriver un jour au parfait néant, pour y mener une vie divine et inconnue au monde, et toute cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

   Tout naturellement, Bernières remplissait la fonction de directeur de conscience pour tous ceux qui venaient : il s'occupait de toutes les classes sociales, des laïcs, des prêtres, des religieuses, y compris les supérieurs de monastères et les directeurs de conscience. On le surnomma « directeur des directeurs de conscience[153] ». Nombreux furent les visiteurs de l'Ermitage attirés par son rayonnement :

Non seulement il était consulté par les laïques, mais par les ecclésiastiques et les religieux. Grand nombre de ces derniers ont fait des retraites dans sa maison avec la permission de leur supérieur […] C'était une chose admirable de voir le changement que l'on remarquait dans les personnes qui avaient des liaisons spéciales avec lui[154].

Bernières n'agissait que sous l'inspiration de la grâce :  

Ses paroles étaient pleines de force divine, et gagnaient les coeurs à Dieu. L'ayant un jour averti de quelques manquements d'une personne qui dépendait de lui, je remarquai qu'il fut assez longtemps sans lui en rien dire ; et j'admirais après cela, que lui ayant fait voir ses défauts en très peu de paroles, et pour ainsi parler, sans presque lui rien dire, cette personne demeura tout à coup comme terrassée sous le poids du peu de paroles qu’il lui avait dites, et apporta le remède à ces manquements. Je vis bien qu'il avait tardé à l'avertir, non pas par aucune négligence, mais attendant le mouvement de l'esprit de Dieu qui agissait en lui. S'il lui eût parlé plus tôt, il l’eût fait en homme, et ses avis n’eussent pas eu les effets qui arrivèrent.

Dieu lui donnait des lumières extraordinaires sur les besoins extérieurs et intérieurs. J'ai connu une personne[155] qui, étant dans une ville éloignée de celle où il demeurait, qui, ne vivant que des purs secours de la divine providence, et étant dépourvue pour lors de toutes choses ; pour pouvoir faire un voyage qu'elle devait entreprendre, comme elle ne savait que faire, demeurant cependant dans une profonde paix et sans s'inquiéter du lendemain, Dieu tout bon voulut faire connaître son besoin au saint homme, et il lui en donna lumière tout à coup dans son oraison ; ce qui le pressa de lui envoyer cent francs [édition Migne !] (et c'est l'unique fois qu’il lui a donné quelque chose) qu'elle toucha la veille ou le matin du jour qu'elle devait partir. Un jour m’ayant dit ses sentiments au sujet de quelque chose qu'il pensait que Dieu demandait de moi, peu après il me dit tout le contraire, et m'assura qu'il en avait reçu la lumière dans son oraison[156]

Ce rôle était très lourd pour Bernières et il aurait souhaité l'abandonner :

C'est une grande croix de donner des enseignements aux autres, moi qui en réalité ne sais rien[157].

Il ne faut pas prendre garde à ce que je dis : ma lumière est petite, mon discernement faible, et ma simplicité grande[158].

Bien sûr, ses visiteurs étaient d'un avis opposé. Voici celui de Catherine de Bar racontant sa mort en 1659 :

[...]ce petit mot est en hâte pour vous dire une nouvelle qui vous surprendra sans doute puisque c’est pour vous dire que NS a tiré Monsieur de Bernières notre cher frère dans son sein divin pour le faire jouir d’un repos éternel. Samedi dernier 3 mai, après avoir soupé sans être aucunement malade, il s’entretint à son accoutumée avec ces Messieurs et après, s’étant retiré et fait ses prières pour aller coucher, il s’en est allé dormir au Seigneur de sorte que sa maladie et sa mort n’ont pas duré le temps d’un demi quart d’heure : voilà comme NS l’a anéanti. J’en suis touchée en joie et en douleur, mais la joie l’emporte de beaucoup, d’autant que je le vois réabimé dans son centre divin où il a tant respiré durant sa vie. […] Ce grand saint est mort avant que de mourir par un anéantissement continuel en tout et partout[159].

  Nous allons maintenant parler des amis qui entouraient Bernières : tout d'abord ses contemporains, puis les disciples de la deuxième génération.


 

 


 

Les proches de Bernières

 Jourdaine de Bernières (1596-1645) et ses ursulines.

La sœur aînée de Bernières, Jourdaine, vivait au couvent des ursulines : construit par leur père très pieux tout près de l'Ermitage, il fut inauguré en 1636. Plusieurs nièces de Bernières y entrèrent, et leur mère s'y retira. La très discrète Michelle Mangon, grande spirituelle et amie de Chrysostome de Saint-Lô, en sera la quatrième supérieure : elle obtiendra le dépôt des manuscrits de Bernières et les fera copier.

 Sur Jourdaine et la vie de « son » couvent, on possède par chance les Annales du monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624… Ce long manuscrit sauvé par miracle[160] expose tardivement mais avec intelligence sur la durée d’un siècle les vicissitudes vécues dans ce couvent, en particulier occasionnées par des jansénistes zélés.

Jourdaine commença par être maîtresse des pensionnaires : à ces jeunes filles de la noblesse normande, elle recommandait une vertu toujours riante, toujours caressante, gracieuse, toujours penchée sur le prochain pour ainsi dire[161]. Elle fut maîtresse des novices, puis supérieure du couvent dès 1630.  Dieu seul compte : Jourdaine ne se pardonnait rien à elle-même : il semble que sa rigueur ait impressionné les sœurs au point qu'elles s'en plaignaient à Bernières. Elle était par exemple capable d'ordonner à propos d'une novice : Mettez-la à rôtir, à bouillir, à tout ce qu'il vous plaira[162], le but étant de la mettre dans le dépouillement total. Le successeur de Bernières, M. Bertot, y verra d'ailleurs une raideur orgueilleuse qu'il combattra : nous verrons cette mystique passionnée s’incliner sous son autorité.

Voici quelques-unes de ses maximes recueillies par les sœurs :

 Qu'avons-nous à faire, disait-elle, de nous embarrasser du monde, il nous quitte plus volontiers que nous ne pensons. Ne nous faisons de sorte que le moins que nous pourrons. L'enceinte de nos murs peut suffire à notre béatitude. (51)-33 […] soyons religieusement observatrices du silence, et si attentives sur nos paroles que nous puissions compter les inutiles pour en rendre compte, puisque Dieu nous le demandera un jour. Le silence d'action n'est pas moins nécessaire pour se maintenir dans le recueillement. [...] ne manquons jamais à faire la retraite annuelle, les affaires temporelles n'en souffriront rien. Et soyons filles d'oraison, nous en serons plus utiles au prochain.

Tous deux disciples de Chrysostome, Bernières et Jourdaine avaient des liens profonds grâce à l'oraison :

161 Cependant quelque soin qu'elle ait pris de se dérober à nous cacher les ferveurs et les grâces singulières qu'elle a reçues dans ses communications avec Dieu, nous en pouvons apprendre quelque chose par son commerce de lettres avec le révérend père Chrysostome pénitent directeur de Monsieur de Bernières qui était à son égard, ce qu'était à Sainte Thérèse ce bon gentilhomme dont elle parle si souvent[163]. Comme elle n'avait rien de secret pour lui, et que réciproquement il lui faisait part des lumières qu'il recevait si abondamment dans son oraison, ils se trouvèrent des rapports de grâce et de lumière qui les réunit tous la même conduite. La mère de la Conception [Jourdaine] lui donnait par écrit sa manière d'oraison, ses vues de perfection, ses sentiments intérieurs, les dons et les grâces dont Dieu l'honorait, particulièrement dans ses retraites, ses peines ses doutes, etc. et en un mot tout ce qui se passait de bon et de mauvais dans elle, comme le font toutes les âmes fidèles à se faire conduire sûrement dans les voies de Dieu ; monsieur de Bernières en consultait le père Chrysostome et ce sont ces réponses à une ursuline qu'on 162 trouve dans son livre des maximes et lettres spirituelles qui nous font connaître quelques traits de sa vie intérieure dont elle n'a laissé que peu d'écrits[164]

Sur sa demande, il allait souvent au parloir parler de l'oraison à la communauté des sœurs : il se savait bien compris.

On sait qu'elle  gardait des liens avec les amis du Canada :

Elle a passé les jours et une partie des nuits à écrire des lettres pour envoyer au bout du monde à de saints missionnaires, avec lesquels elle avait des correspondances pour moyenner avec eux la conversion des peuples sauvages du Canada et de l'Hybernie[165]. […150] Il n'y avait rien de plus aimable que son commerce de lettres avec les personnes qui passaient dans la Nouvelle-France pour y cultiver ces jeunes plantes de l'Évangile qu'on y élevait, lesquelles se sentant redevables à ses bienfaits, lui faisaient des remerciements suivant leur génie capable de toucher et mettre en mouvement un aussi bon cœur que le sien.

Très admirative de son frère, Jourdaine sauvera ses écrits après sa mort, non sans rencontrer des difficultés pour l'éditer.


 

Jean Eudes (1601-1680), missionnaire.

Du même âge que Bernières, Jean Eudes[166] ne fut pas son disciple, mais son ami. Il se joignit aux activités de l'Ermitage dont il illustre magnifiquement l’esprit de charité : nous l'avons vu partager héroïquement la vie des pestiférés qu'on isolait par peur de la contagion[167]. Longtemps ami de Bernières et de Renty, il n'en a pas la profondeur mystique, mais il est remarquable par un amour d'autrui inspiré par la prière :

Regardez votre prochain […] comme une chose qui est sortie du cœur et de la bonté de Dieu , qui est une participation de  Dieu, qui est créée pour retourner en Dieu [168].

Intérieurement, il trouva « lumière et encouragement » chez Marie des Vallées, qu'il fréquenta avec vénération et dont il retrace La vie admirable : on lui doit notre principale source sur elle, le « manuscrit de Québec ».

Il consacra d'abord son activité aux missions, évangélisant des diocèses normands[169]. Il prêchait sur les places publiques : à Valognes, il attira trente-mille personnes ! Les files d'attente des confessions duraient quatre ou cinq jours ! Il fut très respecté dans toute la France : en 1671, Louis XIV suivit ses sermons à genoux !

Il quitta l’Oratoire pour pouvoir fonder une congrégation chargée de former des prêtres dont il avait perçu le manque cruel d'éducation. Il prit en charge plusieurs séminaires, malgré l’opposition de ses anciens confrères appuyés par des jansénistes : il reçut une grande aide de Bernières, toujours fidèle à ses amis.

 


 

Gaston de Renty (1611-1649) 

     Il fut le compagnon de Bernières : ils étaient tous les deux de haute extraction mais s'étaient donnés à la vie intérieure et à la charité. Ce grand seigneur[170], très doué en sciences, introduit à la Cour, abandonna en effet toute ambition pour se consacrer à la vie intérieure et à la charité. Marié avec des enfants, il fut un mystique engagé dans la vie.

   Il trouva un cadre d'action dans la Compagnie du Saint-Sacrement dont il fut un supérieur exemplaire de 1639 à sa mort : cette association avait pour but d'aider les chrétiens sur le chemin de la perfection et de travailler au service des pauvres[171]. Parcourant la France entière, multipliant les fondations charitables, en particulier avec Henry Buch celle des Frères cordonniers en 1645, puis des Frères tailleurs. Se levant à cinq heures, « dans Paris inondé, glacé et assiégé, il porte lui-même du pain à des pau­vres honteux dans des quatrièmes étages[172]. » Il finira par attraper froid et en mourir.

   Renty fut aussi un grand soutien pour Jean Eudes : il l'aida à fonder des séminaires, finança ses missions en Normandie. Il lui écrit pour qu'il relativise ses ennuis quand il est attaqué par ses ennemis :

[…] mon Père, on ne serait pas en ce monde, s'il n'y avait point de contradictions[173]. 

   Parallèlement à l'action, il recevait beaucoup dans son château de Bény-Bocage en Normandie et entretenait une vaste correspondance de direction spirituelle. Ce fut un grand directeur d'âmes : il pouvait également diriger des carmélites, une ursuline, une fille de Saint-Thomas, la présidente de Castille...

   Bernières, qui avait dix ans de moins, fut son bras droit :  ils ont oeuvré tous les deux à la construction d'hôpitaux, de maisons pour « Filles Pénitentes ». Il lui succéda à sa mort. Il écrivait ses regrets d'avoir perdu son ami :

M. de Renty était notre appui et notre unique refuge pour l'exécution des desseins qui regardaient le service de Dieu, le salut des âmes, et le soulagement des pauvres […] nous tirions secours et conseil de lui en toutes les occasions semblables, où il témoignait un grand zèle pour maintenir la gloire de Dieu et extirper le vice. Après sa mort, nous n'avons pu trouver personne à qui nous eussions recours de cette sorte pour les affaires de Dieu[174].

    Mais il écrit à un religieux le 4 mai 1653 qu'il se réjouit spirituellement :

M. de Renty était mon ami intime ; j'avais avec lui des liaisons très étroites, ce qui me met dans la confusion d'avoir si peu profité en sa compagnie. Quand il mourut, je ne pus jamais en avoir aucun sentiment de tristesse : au contraire mon âme en fut toute parfumée d'une bonne odeur que je ne puis dire, et remplie d'une joie même sensible, avec une assurance certaine de sa béatitude ; quoiqu'il soit mort, je me sens encore plus uni à lui que jamais[175].

    Renty accèda à l'intériorité grâce à son confesseur le père Condren, et fréquenta Marie des Vallées avec le groupe de l'Ermitage. Il connaissait les joies de l'oraison passive qu'il décrit ainsi à son ami et confesseur, le jésuite Saint-Jure :

… c'est une oraison où la libéralité de Dieu fait quasi tout. L'âme se trouve parfois noyée dans la joie des grandeurs de Dieu[176].

    Il décrit avec humour son anéantissement devant Dieu :

Il me semble que je m'écrase devant Dieu comme un œuf à qui je donnerais un coup de pied de toute ma force contre terre[177].

   Saint-Jure fasciné par cette personnalité intériorisée au milieu de l'action lui consacra une biographie :

il avait un si puissant attrait  à la conversation avec Dieu qu'après y avoir passé les sept et huit heures de suite, il se trouvait à la fin comme s'il n'eût fait que de la commencer, sinon  qu'il avait encore plus de désir de la continuer[178].

    Ses lettres témoignent d’un profond équilibre spirituel et d’une grande paix, ce que ne laissait pas deviner sa biographie.

 Et je crois que ce serait une très grande erreur de vouloir faire changer une personne de son état et de sa condition pour lui faire trouver la perfection […] Car il faut savoir que la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfectionne [179].

    Il explique le vrai renoncement de soi, qui consiste à ne se servir plus de sa propre prudence, prévoyance, ni de la capacité de notre esprit, mais met l’âme nue et dépouillée de tout dans l’abandon et la tutelle de l’esprit de son Dieu qui lui suggère en chaque temps et action ce qui est à faire et est son mouvement et sa vie; mais cet état doit être accompagné de paix, et d’une grande adhérence à Dieu dans son recueillement [180].

La paix mystique l’habite, il ne sait que suivre le mouvement de la grâce quand il s’agit de s’occuper d’autrui :

Pour ce qui me regarde, je n’ai pas grand chose à dire. Je porte par la miséricorde de Dieu un fond de paix devant lui en l’esprit de Jésus-Christ, dans une expérience si intime de la vie éternelle, que je ne la puis déclarer : et voilà où je suis le plus tiré, mais je suis si nu et si stérile, que j’admire la manière où je suis, et en laquelle je parle. Je m’étonnais, comme parlant à la personne susdite, je commençais un discours sans savoir comme je le devais poursuivre, et disant la seconde parole, je n’avais point de vue de la troisième et ainsi des suivantes. Ce n’est pas que je n’aie la connaissance entière des choses en la manière que j’en suis capable, mais pour produire quelque chose au dehors, cela m’est donné et comme on me le donne, je le donne à un autre, et après il ne me reste rien que le fond susdit [181].

Il se sent uni à la Communion des saints :

Il y a environ dix ou douze jours que m’étant mis à mon ordinaire le matin à prier Dieu, je sentais en moi-même n’y avoir aucune entrée : je me tiens là humilié […] lorsqu’il me fut donné à connaître qu’en effet j’avais l’indignité que je sentais, mais que je devais chercher en la communion des Saints mon entrée à Dieu […] J’eus connaissance pour lors que Dieu et Notre Seigneur ne nous formaient pas pour être tous seuls et séparés, mais pour être unis à d’autres, et composer avec eux par notre union un Tout divin. Comme une belle pierre, telle que serait le chapiteau d’une colonne, est inutile, si elle n’est au lieu où elle est destinée pour tout l’ouvrage, et jusqu’à ce qu’elle soit posée et cimentée avec tout le corps du bâtiment, elle n’a ni sa conservation ni sa décoration, ni en un mot, sa fin. Cela m’a laissé dans l’amour et dans la liaison véritable et expérimentale de la Communion et de la communication des Saints. [182].

Son influence sera considérable au XVIIIe siècle, en particulier sur le fondateur du méthodisme John Wesley qui l’étudie lors de son séjour dans la Géorgie lointaine et qui tire un Abrégé très élaboré de sa Vie[183], ainsi que sur le quaker W. Penn, sur le groupe mystique guyonien d’Aberdeen, etc.


 

Louis-François d’Argentan (1615-1680), capucin.

Le Père Louis-François d’Argentan, franciscain capucin, n'était pas mystique mais un grand admirateur de Bernières, qu'il essaya d'imiter dans d'abondantes œuvres personnelles. En 1641, il était lecteur de philosophie au couvent de Caen, tout en prenant part aux missions prêchées dans la contrée. De 1653 jusqu'à sa mort, il occupa les plus hautes charges tout en continuant de prêcher.

Il édita Bernières avec zèle. Mais il fit ses ajouts personnels au sein d’éditions successives[184], ce qui entraîna un manque de fidélité aux sources provenant de dictées, et par là une baisse de qualité, car d’Argentan était moins doué. Il a la grande honnêteté de nous le déclarer en évoquant ses propres écrits :

A mon grand regret, elles [mes propres Conférences Théologiques] n’allument pas, ce me semble, un si grand feu dans la volonté, parce qu’elles n’ont pas cette abondance de l’onction divine, qui se fait goûter par tout le Chrétien Intérieur […] qu’il n’est pas en notre pouvoir de donner à nos paroles, si le saint Esprit ne répand sa grâce sur nos lèvres [185].

Il nous amuse quand il nous renseigne avec candeur sur son travail de réécriture. Notre capucin souligne si bien la « fatigue » que ressentent d’honnêtes spirituels non mystiques à la lecture de textes abordant des états intérieurs sans figures !

Il y a beaucoup de redites [de la part de Bernières] … étant vrai que les lumières et les affections que la grâce répand dans une âme, sont bien souvent les mêmes, sinon qu’elles se perfectionnent toujours dans la suite, et qu’elles la font passer dans des états bien plus purs et plus élevés. Mais on n’y voit pas cette variété de pensées, de matières, ni de sujets qui divertit dans les autres livres, et qui empêche que la lecture n’en soit ennuyeuse. Il a fallu débrouiller tout cela avec assez de fatigue et mettre quelque ordre où il n’y en avait aucun. Et après tout, il s’y trouvera encore peut-être, un peu trop de répétitions… 

N'attendez pas dans ce petit livre [du Chrétien] une disposition si régulière, ni une liaison si juste des matières qu'il traite. Il [Bernières] ne parle pas pour instruire personne, il va où Dieu le conduit, et bien heureux qui le pourra suivre. Et ne m'accusez pas si je n'ai pas été si exact à écrire tout ce qu'il a dit sur un sentiment que j'ai quelquefois trouvé plus étendu qu'il ne fallait ; ou si j'ai d'autres fois ajouté quelques lignes du mien quand Dieu m'en a donné la lumière et que j'ai cru qu'il était nécessaire pour un plus grand éclaircissement [186].                                                                            


 

Les disciples

François de Laval (1623-1708) en France

  Cet important disciple fut formé par Bernières avec la plus grande attention. Il deviendra le premier évêque de Québec et y fondera un Ermitage à l’image de celui de Caen[187].

   François de Laval appartenait à la branche cadette de l’illustre famille des Montmorency. Il fut élève du collège de Clermont, devint « l’abbé de Montigny » en 1647 [188]. Promis à une brillante carrière ecclésiastique, mais attiré par les missions, il vécut un temps dans la communauté d’amis qui devait être à l’origine du Séminaire des Missions étrangères de Paris : elle incluait François Pallu[189] et Henri-Marie Boudon en faveur de qui François se démit de son archidiaconat en 1653. L’année suivante, il cédait ses biens à son frère cadet, renonçait à ses titres familiaux, et frappait à la porte de l’Ermitage :

M. de Laval demeura quatre ans chez M. de Bernières, & y mena la vie la plus recueillie & la plus austère. L’oraison, l’étude, les conférences spirituelles n’y étaient interrompues que par les visites qu’il rendait assidûment aux malades de l’Hôtel-Dieu. Les jeûnes, les veilles, les macérations, les pèlerinages, préparaient ce pieux Ecclésiastique, sans qu’il le sût, à la vie apostolique qu’il a depuis menée en Canada. […] Ces exercices étaient communs à tous ces pieux solitaires [les ermites], mais l’Abbé de Montigny s’y signalait ; on le voyait dans les hôpitaux panser les plaies les plus dégoûtantes & rendre les plus bas services, & par une mortification semblable à celle de S. François Xavier, porter à sa bouche, serrer avec ses lèvres, & sucer lentement les épingles & les bandages pleins de pus, faisant semblant, par humilité, de le faire sans attention, & seulement pour les tenir, tandis que ses mains travaillaient ailleurs. On l’a vu faire plusieurs longs pèlerinages à pied sans argent, mendiant son pain, & cacher à dessein son nom, afin de ne rien perdre de la confusion, du mépris, & des mauvais traitements ordinaires dans ces occasions, & qui ne lui furent pas épargnés ; il s’en félicitait comme les Apôtres, & remerciait Dieu d’avoir quelque chose à souffrir pour son amour[190].

Dans une lettre adressée à son ami Lambert de la Motte, Bernières donne des nouvelles de l’Ermitage :

Notre petit ermitage ne manque pas de prier Dieu pour vous, & pour tous vos chers Messieurs, auxquels vous ferez, s’il vous plaît, nos très affectionnées recommandations. M. N. [François de Laval] rend à la mort de soi-même tant qu’il peut, il n’a encore d’inclination que pour son anéantissement, quant à présent, mais aussi il est préparé à tout ce que Dieu voudra, soit pour la Chine, soit pour le Canada, soit pour demeurer en France, il attend que Dieu lui fasse connaître sa sainte volonté[191].

Une lettre de Jean de Bernières à François de Laval a été conservée, qui jette une vive lumière sur la nature de leurs relations : elle manifeste à la fois l’ascendant de Bernières, la confiance qu’ils se portent l’un à l’autre et l’intimité de leur relation. Bernières lui écrit au lendemain de sa consécration épiscopale le 12 décembre 1658 :

Monseigneur, Jésus soit notre unique vie pour le temps, & l’éternité.

Je ne vous puis exprimer la joie que nous avons tous reçue d’apprendre par vos chères lettres votre Sacre, qui a été fait sans doute par une providence toute particulière de Dieu. Mais un pauvre, & chétif homme qui tend à l’anéantissement, pour impuissant qu’il soit, est capable de tout, Dieu se mêlant de ses affaires. Vous n’êtes pas, Monseigneur, seulement dans la tendance au néant ; je suis persuadé que vous commencez d’y arriver, & qu’ainsi Notre Seigneur a eu plus de soin de votre Sacre que vous-même, & que vous pouvez tout en celui qui vous conforte.

Ne quittez jamais (permettez-moi de vous parler de la sorte) cette manière d’agir en esprit de mort, & d’anéantissement ; quelque effort que vous fassent les prudents, & les sages, lesquels ne s’y peuvent ajuster ; ils veulent toujours agir appuyés sur leur lumière, & les âmes anéanties perdent la leur, pour demeurer abîmées en Dieu, qui seul doit être leur lumière, & leur tout. Dans le grand emploi que Notre Seigneur met sur vos épaules, & dans toute la conduite de votre vie, ne vous comportez jamais autrement ; vous expérimenterez des secours extraordinaires de Dieu, lequel s’il ne fait pas réussir ce que vous prétendez pour les affaires extérieures de sa gloire, il avancera celles de votre intérieur, vous jetant dans une plus grande perte de vous-même, & un plus profond abîmement [sic] en lui, & devenu un même esprit avec lui, vous honorerez, & glorifierez le Père Éternel, comme il l’a glorifié lui-même ; votre âme trouvera des trésors immenses dans cette sainte pratique d’anéantissement.

Je vous l’ai déjà dit plusieurs fois, Monseigneur, que vous avez grande vocation à cet heureux état, & qu’exécutant l’ordre de Dieu sur vous dans la multitude des actions extérieures, où vous devez être appliqué, vous arriverez à la perfection. Je vous tiens plus riche d’aller en Canada, avec cette grâce, que si vous aviez tous les trésors du monde : je craindrais pour vous, en vérité, l’abondance d’honneur & de bien temporel, mais il ne faut rien craindre pour celui qui ne veut rien en ce monde que se perdre en Dieu.

Nous aurions grande consolation de vous pouvoir encore voir une fois avant que de quitter la France, afin de parler à cœur ouvert du divin état d’anéantissement ; c’est assez néanmoins que Dieu vous parle lui-même, je l’en remercie de tout mon cœur[192].

     Bernières donnera une dernière marque de l’estime et de la confiance qu’il portait à François de Laval en lui demandant d’emmener avec lui l’un de ses neveux, Henri, fils de son frère cadet, Pierre, sieur d’Acqueville :

Ce mot est pour vous prier très humblement d’agréer que mon neveu vous accompagne ; je le tiendrai bienheureux de faire ce voyage avec vous, vous lui servirez de père & de directeur. O que la providence de Dieu est admirable ! Le petit Clergé de Canada sera composé de quatre personnes, pauvres, abjectes, méprisées du monde, mais pleines du désir d’être tout à fait à Dieu, puisqu’elles ne veulent uniquement que Dieu[193].


 

Henri-Martin Boudon (1624-1702)

Prenant de son ami François de Laval la charge de l’archidiaconat d’Evreux, Boudon reçut le sacerdoce le 1er janvier 1655. Il se mit à l’œuvre « jetant l’effroi dans tous les ouvriers d’iniquité et plein de bonté pour les âmes faibles »[194]. Il rentra en conflit avec des jansénistes et fut victime d'une cabale où l'on échafauda une histoire scandaleuse avec une veuve mère de famille : elle entreprit de se justifier par ses écrits, « ce fut un beau tapage ». Il fut ensuite accusé d’avoir eu pour servante une sainte fille déguisée en homme, aussi « on le chansonna sur le Pont-Neuf ». Mais au milieu de ces épreuves, il conserva la confiance et l’appui de Bernières qui considérait tout cela comme des épreuves venant de Dieu :

Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui [195].

L’Archidiacre fut cependant déposé et interdit. Il demeura « dans une humilité admirable jusqu’en 1675, où son principal accusateur, touché de repentir, se rétracta. » Il put alors revenir à la table de son évêque qui assista de nouveau à ses prédications…

Boudon est l’auteur d’une très abondante production littéraire : ses livres eurent un succès extraordinaire et furent traduits en nombreuses langues. On lui doit l’unique biographie du P. Jean-Chrysostome. Nous ne donnerons pas de citation car sa doctrine - bien mise à l'épreuve par la vie - vient de Jean-Chrysostome : le recours en « Dieu seul »[196] et la pratique de la sainte « abjection » en ont fait un digne compagnon de l'Ermitage.

 


 

Claude La Colombière (1641-1682)

Dans sa jeunesse, Claude La Colombière connut l’Ermitage qui fut pour lui « un paradis terrestre[197]. » Juste après sa profession jésuite le 2 février 1675, il fut nommé supérieur de Paray-le-Monial où vivait la visitandine Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690) : il en devint « le directeur par une volonté expresse de Dieu ». Mais il y demeura seulement dix-huit mois, et partit à Londres le 13 octobre 1676 pour convertir les Anglais. Après cinq semaines passées dans le cachot de King’s Bench à la fin de l’année 1678, il fut expulsé et rentra à Lyon, épuisé. Revenu à Paray-le-Monial en septembre 1681, il mourut six mois plus tard, le 15 février 1682[198].

Jean Aumont (1608-1689), pauvre villageois.

Lui aussi disciple de Jean-Chrysostome de Saint-Lô, laïc membre du Tiers Ordre, Jean Aumont vécut dans le monde : il possédait peut-être un petit vignoble à Montmorency[199]. Il fut en relation assez étroite avec Catherine de Bar qui l’appréciait : Nous avons ici pour notre sacristain le bon vigneron de Montmorency ; je ne sais si vous l’avez connu : c’est un ange en terre[200]. [Il est] « tellement rempli de la divine grâce à présent, qu’il a perdu tout autre désir. Il se laisse consommer ». Il la rencontrera de nouveau à Caen en 1648 et à Paris en 1654.

Le « bon frère Jean » aurait été envoyé en exil en 1646 par suite de son ardeur à propager les maximes de Jean-Chrysostome mort la même année, peu apprécié de ses confrères[201].

Il nous a laissé un livre atypique[202], beau, original et savoureux, dont les illustrations (de même que les images publiées par Querdu Le Gall[203]) ont fait la joie de Bremond lorsque celui-ci présenta « le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale ». Dans L’Agneau occis dans nos cœurs (1660), l'abondance des images[204] engloutit souvent le lecteur. Le style est ancien et l'auteur se perd parfois dans les comparaisons et les phrases trop longues. Mais le livre recèle de grandes beautés et témoigne d’une « intelligence extrêmement vive, pénétrante et limpide au didactisme le plus subtil[205]. »

Ce texte dense est une tentative très originale de décrire le vécu expérimental par des images sans le polluer par l'abstraction ou une culture théologique mal assimilée. Il emprunte les représentations propres à l’ancienne astrologie médiévale ou à l'alchimie.

Comme cet ouvrage rare n’a jamais été réédité, nous nous permettrons d'en livrer ici d’assez longs extraits. Cet homme apparemment si simple avait atteint les profondeurs de la vie en Dieu : ce « captif d'amour » nous incite à plonger en elle d'un élan joyeux qui fait fi de tous les obstacles.

Commençons par une vive analogie imagée :

 Mais dites-moi de grâce si quelqu'un enfermé en votre cave, et frappant à la porte pour se faire ouvrir, vous alliez cependant au plus haut et dernier étage la maison demander qui est là : vous n'auriez sans doute aucune bonne réponse, car la grande distance du grenier à la cave ne permettrait pas que votre ‘Qui va là ?’ fût entendu. Mais peut-être que cette personne-là n'ayant pas encore bien appris tous les lieux et endroits de la maison pourrait bien être excusée d'aller répondre au grenier quand on frappe à la porte de la cave, et ignorant principalement ces bas étages et lieux souterrains : c'est pourtant d'ordinaire où l'on a de coutume de loger le meilleur et le plus excellent vin ; mais assez souvent l'on se contente d'y envoyer la servante sans se donner la peine d'y descendre soi-même pour en puiser à son aise et se rassasier.

Je veux dire que Dieu étant l'intime de notre intime[206], il frappe à la porte de ce fond et plus profond étage de nos âmes, et que partant il y faut descendre en esprit et par foi pour y écouter en toute humilité ce qu'il plaira à Sa divine Majesté de nous y ordonner pour son contentement, et ne nous pas contenter d'y envoyer la servante de quelque chétive considération, laquelle ne peut descendre jusqu'au caveau de l'Epoux, mais seulement sans s'abaisser elle demande du faîte de la maison qui est là. […]

Voici donc, âmes chrétiennes, que tout le secret et l'importance de l'affaire de notre salut est qu'il faut bien apprendre et bien savoir une bonne fois pour toute notre vie, que toute la beauté, le trésor et les richesses de l'âme chrétienne sont par dedans elle-même, et que c'est par ce dedans que Dieu nous frappe, et nous appelle d'une voix de père et de cordial ami[207].

Il passe d’une image empruntée à la vie concrète d’une maison à une analogie prise dans l’Evangile :

[15] Mais tout ainsi que le Lazare sortant du sépulcre et échappé de la mort resta encore lié [de bandelettes], ainsi l'âme échappée des chaînes de la mort éternelle et du sceau du péché, reste encore liée aux choses mondaines et scellée des autres sceaux et habitudes ci mentionnés ; pour la poursuite et la victoire desquels il faut absolument la sainte persévérance, que nous devons demander à Dieu, et l'attendre en toute confiance de son divin amour.

Et ainsi de comparaisons en comparaisons, se poursuit la parole du « Socrate campagnard, qui ne connaîtrait que son catéchisme, et dont les paraboles abondantes rejoindraient toutes, sans qu’il s’en doutât d’abord, la philosophie de M. Bergson[208] » !

Tout le but et l'intention de ce petit œuvre, âme chrétienne, est de vous découvrir et ouvrir la porte étroite de la vie, et vous donner les moyens de vous échapper de la mort des ténèbres, en vous montrant comme il se faut retirer et recueillir dans votre temple intérieur, et, comme nous sommes corporels et spirituels, la loi de Dieu nous a bâti des temples corporels pour nous y retirer et y rendre un culte visible à la divinité pour le bon exemple et l'édification du simple peuple ; mais lorsque nous entrons [26] dans cette église extérieure, il nous faut souvenir que Dieu par sa bonté s'en est bâti une intérieure dans le fond de notre âme, où il veut être aussi servi d'un culte intérieur et spirituel ; et partant qu'il nous convient de passer en esprit de cette église visible et matérielle, dans l'église intérieure et spirituelle de notre âme, et de ces deux églises n'en faire plus qu'une l'une dans l'autre. Là où vous remarquerez trois étages, la nef, le chœur et le sanctuaire divin qui ont rapport aux trois étages de l'oraison, savoir : un entretien actif, un entretien actif et passif ensemble, et un entretien purement passif ; lesquels s'exercent et se doivent exercer au fond du cœur chrétien par trois sortes d'emplois de l'amour divin intérieurement exercé dans les trois cieux de l'âme, par ces trois moyens susdits.

Suit la description du premier ciel qui a pour soleil Jésus-Christ, pour lune la très sainte Vierge, pour étoiles nos saints patrons. Puis on entre dans le « second ciel » :

 [28] […] le second ciel de notre temple intérieur a pour soleil le Saint-Esprit et pour lune l’imitation de la vie souffrante de Jésus-Christ et de sa très aimée mère […] [qui disposent les âmes] pour entrer plus avant dans le désert de leur cœur, et d’y opérer de cœur, c'est-à-dire faire cesser l’activité du propre intellect […] et ouïr de l’oreille du cœur ce que l’amour divin dit au cœur. […]

Il faut enfin entrer, et se retirer en esprit, en foi et en amour dans notre église intérieure, d’étage en étage, de degré en degré, et de dedans en dedans jusques dans le sanctuaire divin. Et là l’âme toute ramassée et réunie en elle-même, et toute réduite à son point central, et toute passive et abandonnée aux impérieux débords du divin [31] amour, qui la pénètrent au-dedans et qui la revêtent et investissent de divinité, et ainsi, l’âme croissant en amour croît aussi en lumière…

[33] Enfin il faut avouer que Dieu aime infiniment le cœur humain, au fond duquel est la capacité amatique [d’aimer] propre à recevoir ce Dieu d'amour dans le fourneau de sa volonté : car comme Il est infiniment aimant, Il cherche des cœurs qui se veulent donner tout entiers en proie à son divin amour afin que, les en ayant tous remplis jusques à en regorger, ils le puissent aimer en sa manière infinie avec son même amour.

Il donne une description frappante de l'homme qui reste « dans sa tête » :

[57] C'est la maladie naturelle de l'homme de vouloir être homme raisonnant et à soi sans démission ; et roulant dans sa tête le chariot naturel de ses pensées, il se figure une foi plus imaginaire qu'infuse, et partant plus acquise que donnée, et ainsi avec certaine pratique spirituelle et non intérieure, puisqu'il ne tend pas en dedans au fond du cœur, mais demeurant seulement dans la nature du propre esprit bien policé et prudemment exercé par les temps, les lieux, les motifs, les actes, les sujets et les raisonnements sur tout cela ; et cependant on ne s'avise pas que l’on tient continuellement le dos tourné à Dieu et à ce divin soleil intérieur qui luit au fond de nos âmes, et dont ils ne sont point éclairés, parce qu’ils se tiennent la face de l’âme tournée en dehors sur leurs actes, sur les points et motifs des sujets et objets de leur méditation avec la roue du raisonnement, tout ainsi qu’un écureuil enfermé dans une cage en forme de roue qui court sans cesse à l’entour de soi-même, et n'entre jamais dedans, et ne cessant de tournoyer sans rien avancer, ni bouger d'un pas, ni sortir de sa place, ni même changer de posture ; ainsi fait l'homme qui cherche Dieu à la naturelle, ne cessant de rôder, et tournoyer à l'entour de la roue de ses propres raisonnements [...]

Notre mystique décrit sept degrés de récollection intérieure par lesquels sont levés les sept sceaux de l'Apocalypse, images des liens qui tenaient l'âme captive. Comme Ruusbroec, il insiste sur l’absence d’entre-deux au sommet de la vie mystique :   

Le sixième degré d'abstraction intérieure conduit jusqu'à son centre, et y fait savourer à l'âme un repos tout divin, tout spirituel, et centralement et également amoureux et lumineux. Et d'autant plus pur et parfait que la vie de l'âme est noble dans son intégrité spirituelle, et selon son opération impérieuse mue du divin Amour, il lui est donné pouvoir sur toutes les choses au-dessous d'elle et l'empire sur elle-même, puisqu'elle a ici le courage héroïque de sacrifier et immoler à Dieu au fond de son être ce qu'elle a de plus cher, ce qu'elle aime davantage, qui est l'attache à sa propre vie ; et pour lors l'âme cessant de vivre à elle et pour elle, commence à vivre de Dieu et pour Dieu, et selon la manière de Dieu ; et partant l'âme fait ici le parfait sacrifice d'elle-même, donnant à Dieu tout ce qu'elle a et ce qu'elle est en elle-même ; et Dieu la reçoit et lui est agréable. Mais il n'est pas encore content que l'âme se donne à lui, et que lui se donne à elle dans elle-même avec tous les dons, mais elle veut encore qu'elle se désapproprie de tout cela et qu'elle meure à cette complaisance, à cette jouissance de lui dans elle-même, pour l'aller posséder dans lui-même dans l'Eternité.

Et c'est ce qui fait le septième et le dernier degré plus qu'intime, puisqu'il est outre l'âme en Dieu ; et par lequel enfoncement central l'âme demeure détachée, libre et affranchie de tout servage, entrant humblement et librement à Dieu sans milieu, ni entre-deux, sans voile, ni sans figure, lui rendant par amour et hommage souverain tous les dons avec elle-même […] Et partant, âmes chrétiennes, vous pourrez voir clairement et distinctement comme la récollection, l'abstraction et l'introversion centrale doit être conduite à sa fin qui est Dieu au septième jour qui est le sabbat divin, le jour de liesse […]

Comme Ruusbroec, Jean se sert de comparaisons avec le cycle de la nature[209] :

L'âme dans ses trois différents états de commencement, de progrès et de perfection en la sainte oraison, agréablement comparée à l'arbre fruitier, selon trois différentes saisons de son fruit, en fleur, en verdeur, et en maturité, et planté en différents terroirs sous différents climats :

Le premier regard du soleil corporel sur les arbres fruitiers fait épanouir les fleurs et y dessèche l’humide que la rosée du matin y avait accueillie dedans la fleur, afin qu'étant réchauffée le fruit s'y forme [...]

Le second regard du soleil sur l'arbre fruitier est que [298] réchauffant la terre, il la soulage et l'aide à produire l'humeur où la sève, laquelle nourrit le fruit et le conduit à sa grosseur. Et comme dans cette saison la sève est en sa grande vigueur, elle fait aussi que le fruit quoique gros, est cependant de couleur très verte et de goût très âcre, et tient beaucoup à l'arbre.

Le troisième regard et la troisième opération du soleil sur l'arbre fruitier envisageant ce fruit dans sa grosseur, et le soleil étant selon cette saison très ardent, il dessèche la terre et en purifie l'humeur, et y fournit la couleur selon chaque espèce, accommodant sa vertu au sujet qu'il atteint. [...]

De même le premier regard de l'Amour divin sur la terre de notre cœur et l'arbre fruitier de notre volonté, c'est de réchauffer cette terre morfondue par les glaces de l'hiver du péché, et lui faire produire les premières fleurs de la dévotion, en y desséchant l'humide que les vapeurs du propre amour y avaient amassé. [...]

Le second regard de ce soleil amoureux sur l'arbre fruitier de [299] notre volonté est que, réchauffant la terre de notre cœur, il y produit l'humeur ou la sève de la grâce, laquelle nourrit ce fruit et le conduit à sa grosseur après avoir purifié la terre de notre cœur [...]

Le troisième regard et la troisième opération du soleil éternel sur l'arbre intérieur de notre volonté, et qui regardant les fruits dans leurs grosseurs, dessèche la terre de notre cœur des ardeurs de son midi, y purifie l'humeur de la complaisance de sa propre vie et y fournit la couleur de chaque vertu, comme la fermeté de la foi sous la blancheur de l'Agneau, et la couleur jaune de sa très simple mort et Passion, la candeur de l'espérance sous le rouge et l'attente des flammes du Saint-Esprit, et le doré de la Charité sous la couleur panachée [300] de la plénitude du Saint-Esprit, lequel amène en l'âme toutes les vertus chrétiennes vivifiées en charité, et chargées de toutes les divines couleurs du divin Amour. Et partant sont des fruits arrivés à leur maturité, et propres à être servis sur la table du grand Seigneur, car la sève de l'attrait de la grâce se retirant avec le propre Esprit au centre de la racine de la volonté, outre la substance rend ses fruits dans la terre sainte de l'humanité glorieuse de Jésus-Christ, pour être servis par lui et en lui devant Sa Majesté divine.

Et tout ainsi que la terre toute seule ne peut produire ni donner du fruit à l'arbre, si l'arbre et la terre ne sont également envisagés des rayons du soleil corporel, de même si ce divin soleil de nos âmes ne lance ses divins regards sur la terre intérieure de notre cœur et sur l'arbre intime de notre volonté, elle ne produira aucune bonne œuvre pour la terre promise de l'Eternité, ainsi à proportion des regards du soleil et des situations de la terre qu'il envisage, il produit la diversité des fruits : comme dans les terres chaudes du midi, il y produit quantité de vin et d'huile. Devers l’orient, il y fait tout abonder, à cause que la terre et la situation a beaucoup de correspondance à l'influence bénigne de cet astre, lequel est fort tempéré et second sur ces terres orientales. Devers le couchant, il n'y croît pas de vin ni d'huile, si ce n'est de poissons : ainsi ces terres sont fort aquatiques et froides, et sont peu fertiles. Pour le regard du nord il y a des glaces en quantité, et beaucoup de froid, parce que le soleil en est fort éloigné, et par ainsi la terre y produit peu, et en plusieurs endroits rien du tout.

Et par ainsi, âmes chrétiennes, si vous n'êtes point sur la terre de votre midi, il ne tient qu'à vous de vous y mettre et d'y exposer le fond de votre volonté sous le midi de l'amour divin et sous la véhémente ardeur de sa chaleur infinie [...] [301]

Mais si vous êtes encore rôdant vers ces terres du couchant, froides et aquatiques de la tiédeur, là où il ne croît ni vin ni huile, si ce n'est de poissons, au moins apprenez de ces poissons à vous retirer dans votre élément pour vous y conserver et accroître la vie. Car sitôt que le poisson sort de son élément, indubitablement il meurt. Mais il nous apprend encore une belle leçon, c'est qu'il n'en sort jamais s'il n'en est tiré par force avec l'hameçon [...] [302]

Si je n'avais crainte de trop grossir cette œuvre, et par ce moyen la rendre moins commode et de trop grand prix pour les pauvres et les simples, je vous ferai voir par toute la terre et les cieux, par tous les animaux grands et petits, forts ou faibles, rampants ou cheminant sur la terre, par tous les arbres, par toutes les plantes et fleurs et fruits de la campagne, par toute la mer et les poissons, les bestiaux, navires et nacelles, la nécessité de se retirer intérieurement en esprit et par foi au fond de nos cœurs pour nous y relancer intérieurement dans cet immense vastitude de sa Divinité outre [au-delà de] nous-mêmes […]

 Ici il décrit l'alternance entre les états flamboyants d'amour qui éclipsent tout mais qui ne durent pas, et la foi qui seule est notre appui durable :

De la souveraineté de la Foi sur toutes les lumières infuses les plus sublimes [...][210].

[…] Dieu n'a rien fait que de parfait. Et comme il est en soi et de soi lumière éternelle, il va éclairant et illuminant toutes ténèbres, soit par lui-même, ou par causes secondes. D'où vient qu'il a posé au ciel de notre âme ses deux grands corps lumineux, la Foi et la Charité, pour y verser leurs influences et ordonner toutes les saisons. Et partant, la Foi nous y est comme une belle Lune, qui va nous éclairant parmi cette vastitude immense et ténébreuse qu'il y a à passer entre Dieu et nous ; et elle nous a été donnée de Dieu tout ainsi que l'Etoile d'Orient fut donnée aux Mages pour les conduire sûrement, et les éclairer pour chercher et trouver ce tendre Agneau de Dieu dans son palais de Bethléem, où elle disparut et s'éclipsa à l'abord de ce beau Soleil lumineux de l'Orient (403) éternel, tout nouvellement levé sur notre horizon pour y éclairer les épaisses ténèbres de la gentilité. Ainsi la Foi comme une belle lune attachée au ciel de notre esprit, va éclairant et vivant parmi tous les étages de ce monde spirituel de degré en degré.

Mais tout ainsi que l'Etoile d'Orient disparut aux Mages lors de leur entrée en Jérusalem, de même [il] en arrive à l'âme recueillie et ramassée au fond de sa Jérusalem intérieure, de là où se lève ce grand corps lumineux de la Charité ; lequel comme un beau Soleil éclatant, ardent et tout lumineux et embrasant, fait éclipser la Foi pour ce moment par son abord enflammé, opérant et impérieux, et qui réduit et réunit toute lumière en son principe. En sorte que pendant ses grandes irradiations embrasées de la Charité dont l'âme est toute investie, pénétrée et abîmée en cet océan divin, la foi n'y paraît point pendant l'opération, quoiqu'elle y soit beaucoup plus noblement, et plus lumineuse, et comme vivifiée et éclairée de la Charité, qui fait la vie de sa lumière. Et tout ainsi qu'au lever du soleil toute la lumière des Astres s'éclipse, de même à l'abord du Soleil de la Charité, toutes les vertus comme lumières participées de ce grand corps éclatant et flamboyant de ses divines ardeurs, s'éclipsent pendant le temps et le moment de cette irradiation. Quoique la Foi s'éclipse et disparaît durant ces lumineuses irradiations de la Charité, elle ne laisse pas d'être toujours dans l'âme, même tenant le dessus sur toutes les lumières de la Charité, parce que nous croyons infiniment plus de Dieu par la Foi qu'il ne nous en est manifesté par ces excessives lumières d'amour.

Mais enfin, l'opération de l'Amour divin étant finie et l'âme revenant à elle-même, toutes les vertus reparaissent en l'âme, mais portant les livrées de la très noble Charité, ainsi que l'Etoile d'Orient le fit revoir aux Mages à la sortie de Jérusalem, pour les exciter à poursuivre leur chemin et enfin arriver au lieu de leur demeure. […]

     Nous ne pouvons pas approcher du divin car son regard nous anéantirait. C'est grâce à l'humanité du Christ que nous pouvons l'aborder :

D'où vient que le Verbe divin s'est approché de nous par son Humanité, sans le secours de laquelle sa Divinité nous était inaccessible dans l'immense sublimité de son Etre, où elle est cachée dans ses lumières impénétrables et infinies, où elle habite en souveraine, et là où elle règne en Dieu, c'est-à-dire indépendamment et hors d'atteinte d'aucune créature ; et partant, nous n'aurions jamais pu l'y choisir pour objet intérieur et proportionné, parce que Dieu nous est invisible, ni le prendre pour notre exemplaire, parce qu'il n'y a aucune forme en lui, ni nous y conformer parce qu'il est inimitable, ni l'atteindre parce qu'il est immense, ni l'aborder à cause de l'excès de lumières, dans lesquelles il se tient caché à nos ténèbres et se dérobe à nos puissances.

Mais enfin, voici que la Sagesse incarnée et incréée s'étant [s'est] intéressée dans nos besoins, comme celle qui apportait en terre la lumière surnaturelle et divine pour éclairer les hommes non seulement d'une simple étoile, mais de l'immense clarté et splendeur du Père, laquelle s'est enfermée dans l'humaine nature comme dans une admirable lanterne, quoique obscure, à travers de laquelle il a tempéré ses (405) glorieux regards, qui nous eussent anéantis ; parce qu'il n'y a aucune créature qui puisse supporter le regard divin, comme divin, sans mourir. [...]

Certaines images sont d’origine alchimique :

 Nous devons laisser écouler en l’intérieur tout notre esprit, notre mémoire, notre entendement [...] Quand nous parlons d’anéantir le propre être ou la propre vie, ce n’est pas aussi la destruction du propre être, mais la destruction de l’estime du propre être, ni aussi [ce n'est pas non plus] la mort de la propre vie, mais la mort du propre amour et complaisance à (451) la propre vie finie pour entrer en la vie infinie ou l’infinie complaisance de Dieu. [...] Il faut que l’âme souffre une destitution totale et que sa substance soit pénétrée et repénétrée des ardeurs du divin amour, et que sa volonté y serve comme de fourneau et d’alambic tout ensemble pour épurer cette essence toute abandonnée et pacifique, pour y supporter l’excessive opération de son ardeur embrasée et impérieuse qui la pénètre, et en évacue tout ce qu’il y a de défectueux et empêchant la divine union des deux Amants ; c’est ce que nous appelons dépouillement [...] [qui] ne se peut achever que dans l’âme passive [...] aucunes [certaines] fois Dieu s’insinue dans l’âme, et d’autres fois il insinue l’âme en soi.

L’ambition spirituelle est une qualité lorsqu’elle est bien comprise, affirmation bien loin du dolorisme et que l’on entend rarement à l’époque :

[454] […] Âme chrétienne, voulez-vous contenter votre démangeaison d'être ? Eh bien, soyez à la bonheur, mais en Jésus-Christ ; et ne soyez point jamais ailleurs ; car ce que vous ne pouvez être vous-même par nature, vous le pourrez être en Jésus-Christ par la foi, par sa grâce, et par son amour, et en vous rendant intérieurement à lui au fond de votre cœur : tout ce que vous ne pourrez apprendre ni atteindre par votre propre esprit, vous le pourrez savoir et appréhender par l'Esprit de Jésus-Christ. Car le Saint-Esprit donné à l'âme va anéantissant la créature pour la rendre en lui, et la faire grande et solidement savante. Non toutefois en comprenant ou atteignant par nous-mêmes les divins Mystères, mais en nous laissant comprendre à eux, ils nous conduisent et nous font entrer en Dieu, d'où ils sont sortis, et nous y font être créature nouvelle […]

La grâce divine nous attire (attrait) en premier (prévenu :  vient avant) et notre souveraine liberté consiste en un simple geste, adhérer ou donner notre attention au divin attrait :

Et comme cet écoulement de l'âme en la Divinité est prévenu d'un puissant attrait intérieur, cela fait que l'on dit ne pas agir, quoique pourtant l'âme agisse toujours, mais d'une manière si simple et si libre qu’il ne paraît point à l'âme qu'elle agisse. Et à la vérité elle n'agit que d'un acte très simple, qui consiste en attention ou en adhérence au divin attrait; et cela parce que l'âme s'est laissée dépouiller peu à peu de la multiplicité de ses actes naturels, pour se laisser réduire intérieurement à la simplicité de son acte intensé [rendu intense] par l'opération de l'amour divin, qui se rend simple et un ; parce que ce divin Amour s'étant emparé de l'âme et de ses facultés par son consentement, il se rend impérieux et dominant sur elle, non par force mais par amour, qui a captivé [rendu captif] l'amour.

Et cette captivité savoureuse de l'Amour divin opère en elle sa souveraine liberté. Car servir à l'Amour Personnel, c'est régner, et être son captif d'amour, c'est être infiniment libre […]

 Et c'est ce que pratiquait et enseignait saint Paul [...]

 L'âme attachée à la jouissance de Dieu ne peut s'en défaire par ses propres moyens. Le seul moyen est de s'abandonner à la grâce, c'est-à-dire d'être sans moyen, d'où la formule paradoxale du moyen sans moyen :

[549] Car enfin si l'on s'attache facilement aux choses périssables pour quelque faux lustre que l'on y aperçoit, à plus forte raison à cette divine Vie et jouissance de vie si délicieusement possédée dans elle-même, où elle s'y est tellement attachée et fait propriétaire, et non seulement par l'usage profitant qui rend gloire à Dieu, mais elle s'y est tellement attachée et arrêtée qu'elle ne peut d'elle-même s'en défaire ; mais il faut que le Saint Amour y intervienne et qu'il y opère[211], et qu'ainsi l'âme pour s'en faire quitte et y bien réussir, n’a point d’autre moyen que le moyen sans moyen. C’est un langage qui ne peut être entendu que des vrais amoureux, qui savent laisser brûler, embraser et consommer leurs âmes dans le divin fourneau de la volonté, tout ainsi que le bois se laisse brûler et consommer dans le feu sans se mouvoir.

Moïse ayant mené et conduit ses brebis jusqu'au fond du désert, il arriva enfin à la montagne de Dieu Oreb[212] ; et là Dieu lui apparut et traita avec lui. Ainsi l'âme chrétienne doit conduire et ramasser son troupeau, qui sont les sens intérieurs et les passions du cœur, que chaque âme doit mener au recueillement au plus profond de son désert intérieur et de la solitude du cœur, et là y traiter avec Dieu, y paraître à la lumière de sa face, c'est-à-dire à son fils Jésus-Christ, qui est le grand Pasteur du (556) troupeau évangélique, où il nourrit l'âme de l'amour paternel de ses entrailles ; il faut donc approcher de Dieu en esprit et par foi. Mais où, chères âmes ?  C’est au fond de votre cœur, là où vous vous devez retirer en silence et humilité, pour y recevoir l’illustration du pur Amour dans le miroir intérieur de votre âme, duquel rayon lumineux et clarifiant, est réimprimée en votre âme la divine ressemblance, laquelle vous ouvrira le droit héréditaire à l’héritage du Père ; et partant entrons dans le cabinet de notre cœur et y établissons notre demeure au plus profond de ce mystérieux désert [...] solitude qu’elle porte partout avec elle, où elle se peut retirer comme dans un monastère naturel, vivant et portatif [...]

[558] Et partant, toujours chercher Dieu et ne le point trouver, c'est toujours semer et ne point recueillir ; et cela parce qu'on le cherche mal en le cherchant au-dehors, et c'est au-dedans qu'il se donne[213].

 [566] [...] l’âme a par son consentement […] laissé vaincre en elle par [...] son divin Amour tout être étranger et jusqu’à l’anéantissement du sien propre [...] ainsi consommée heureusement dans le sein de la divinité, où elle commence d’y opérer de lui et par lui [...] savourant la douceur de la divine lumière et la clarté infinie de ce divin Océan dans l’intime de ce Ciel intérieur où l’âme est réduite et où elle converse avec Dieu, et voit les choses divines et ineffables qui s’y opèrent, et qu’elle y expérimente, jusqu’à ce qu’il [567] plaise à Dieu d’en disposer par la mort. Et par ainsi l’âme mène une vie à l’extérieur que les hommes voient, et une à l’intérieur que Dieu voit et que Dieu agrée, et que Dieu demande d’une telle âme, qui l’a laissé régner en elle en sa façon infinie.         

Ce silence de demi-heure est le moment heureux auquel l’âme est ravie au sein de la Divinité. C’est un silence, parce que le propre de Dieu est d’opérer dans le repos ; et c’est encore un silence parce qu’il opère sur un sujet passif qui fait la matière paisible et spirituelle de l’œuvre de Dieu […] l’âme a vogué […] dans la grande nef de la charité au moyen de laquelle elle est enfin arrivée heureusement dans l’Océan immense de la Divinité […]  

[…] Dieu s’est fait le centre intérieur de l’homme et a fait la terre sa [574] circonférence […] il a pris plaisir dans la structure de l’homme, en ayant fait le parfait raccourci de tous ses divins ouvrages ; en sorte qu’il a son Ciel au fond de son âme, puisque la Divinité en fait le centre, et ainsi pour aller à son ciel et de son ciel à Dieu, c’est en descendant et abaissant son esprit avec humilité au fond de son être, là où Dieu habite, et où il l’attend pour lui faire un parfait sacrifice de toutes les créatures et de lui-même […] 

 [581] […] Dieu veut ouvrir son immensité et lui donner tout cet espace pour voler à son plaisir et y jouir de sa franchise et de sa pleine liberté ; et ainsi n’y trouvant plus rien qui la limite, elle se laisse enlever et abîmer, par l’ouverture intérieure de son fond central dans l’Immensité divine.

Si enfin  l’âme fait en sorte que ce filet d’or qui l’arrête encore dans le fini puisse être rompu, pour lors vous verrez cette Aigle généreuse s’essorer[214] à perte de vue dans cette divine Immensité et s’y résoudre et engloutir ainsi qu’une goutte de rosée tombée dans l’océan, laquelle en s’y perdant, n’y perd que sa petitesse [582] […] Et tout cela en retirant ainsi notre esprit de l’extérieur à l’intérieur, du dehors au-dedans, de la circonférence au centre et de notre centre à l’Etre divin, y réintroduire notre âme par voie d’amour comme elle en était sortie par voie de création et l’introniser dans le cœur de son immensité pour y régner éternellement.

µ faire coupures dans le texte suivant  ?  le supprimer, le présenter ?

Sommaire de cette pratique d'oraison intérieure en Jésus-Christ, dont l'humanité sainte est l'unique médiatrice qui nous donne accès à la Divinité, concentrée au fond et plus intime du coeur, pour y vivre d'une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

Notre âme n'a rien à faire en toute cette pratique d'oraison de recueillement, que d'abaisser son esprit et sa volonté devant Dieu, qu'elle doit croire être immense. […]

Et à cet effet s'y présenter et s'y abandonner tout à lui sous ses pieds comme un petit enfant tout couvert de plaies et de chaînes, pour y être guéri et déchaîné, souhaitant ardemment et humblement qu'il daigne lui appliquer son sang, ses larmes et ses mérites infinis pour la délivrer des sept sortes de captivités susdites : ce qu'il fera de grand cœur, et le fera avec des tendresses de vrai Père, et des ardeurs d'un amour ineffable. Car il ne souhaite rien tant que de trouver des cœurs à qui se communiquer. Et pour cela même il a donné sa propre vie et tout son sang. Donc l'âme y demeurant là attentive à lui, bientôt lui par les vives ardeurs de son amour, lui consommera tous ses liens et toutes les inclinations, les affections et complaisances dont l'amour-propre l'attache au péché et à toutes les autres captivités mondaines et sensuelles, extérieures et intérieures, et jusqu'à l'attache des biens surnaturels qu'elle possède dans le fond d'elle-même ; et ainsi libérée et affranchie de tous ces liens, il la fera entrer et participer à son infinité, et en sa manière immense et infinie.

Le tout consiste donc, après la croyance d'un Dieu immense et inaccessible, que c'est l'Humanité adorable du béni Agneau de Dieu qui nous le rend accessible, et que c'est par Jésus-Christ que nous y avons accès, parce qu'il y est notre médiateur nécessaire et le Soleil divin de notre âme, y étant dedans nous et outre nous-mêmes comme Centre de notre centre, par lequel il faut que le centre de notre âme passe pour arriver au Centre incréé de la Divinité. […]

 [603] se tourner à l’opposite sur l’exercice naturel des puissances et s’en façonner des notions, raisonnements et affections, c’est de propos délibéré se façonner des idoles spirituelles, auxquelles on défère plus qu’à Dieu...

[…] Car la véritable Oraison et la plus agréable à Dieu et utile à nous, c’est cette continuelle présence et assistance de l’âme et de l’esprit recolligé à la face de Dieu au fond du cœur, dans cet anéantissement de nos propres actes et abandonnement de nous-mêmes et de nos puissances à sa divine volonté, à l’exercice de la foi et à l’activité intérieure de son [605] amour et union de l’un et de l’autre ; car dans cet abandon total et abîme de néant où l’âme se plonge volontairement, elle rend un hommage à Dieu, et un culte d’adoration parfaite et un sacrifice d’holocauste  de tout ce qu’elle est, et de tout ce qu’elle a, et de tout ce qu’elle peut avoir, et de tout ce qu’elle peut agir et pâtir. Et partant elle y fait dans ce seul acte, mais divinement, tous les actes de toutes les vertus ensemble.  

 


 

Mère Mectilde (1614-1698)

Je voudrais pour beaucoup, ma très chère mère, avoir par écrit tout ce que j’ai vu cette nuit de votre état : le temps de mon oraison s’y est passé et j’ai connu bien des choses que je ne puis dire ni écrire. […] vous avez manqué de correspondance aux grâces que l’on avait heureusement commencé de vous donner ; vous n’avez point voulu aller aussi loin que la grâce vous portait ; vous avez préféré votre propre vie à la vie de JC ; vous avez refusé de mourir. […] l’état que vous portez m’a paru être un effet de justice qui châtie votre propre suffisance, l’estime de vous-même et la témérité de blâmer ce que vous ne comprenez pas…[215]

 Nous avons parlé, dans notre tome II, de cette grande fondatrice, mystique lorraine au solide tempérament, mais sans traiter de ses rapports avec l'Ermitage[216].

La vie de Mectilde[217] comporte deux périodes de durées comparables : sa jeunesse et ses années de formation intérieure, puis son accomplissement dans une « mystique de présence continuelle à Dieu grâce à la pauvreté de cœur [218] ».

Elle devient annonciade à dix-sept ans, puis connaît dix-neuf années de voyages forcés d’est en ouest et inversement, où elle connaît de nombreuses épreuves intérieures et extérieures : un incendie et deux guerres sur les marches du Royaume sans parler de la Fronde et de sa misère parisienne. Mectilde change d’état consacré : au bout de huit ans[219], l’annonciade devient bénédictine « simple » pendant quatre années réparties presque également entre Rambervillers, Saint-Mihiel, Montmartre, la région caennaise. Puis elle devient prieure et fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement.

 Cette nouvelle période est souvent dramatique, extérieurement très active, parfois presque chaotique. Elle ploie sous le lourd souci de la responsabilité de communautés : elle voudra s’y soustraire [220]. Les événements ne renverseront pas l’équilibre de notre solide Lorraine, mais ne lui épargneront ni doutes, ni angoisses, ni maladies. Elle quitte la Lorraine à cause de la Guerre de trente ans pour se réfugier à Paris, puis se partage entre région parisienne et région de Caen[221]. Ces déplacements se font dans la pauvreté, voire la misère.

Les quarante-sept années parisiennes de sa période de maturité et de vieillesse comportent encore des déplacements liés cette fois-ci aux fondations : ainsi quatre visites sont attestées pour celle de Rouen [222]. Ce presque demi-siècle commence par les trois ans où elle s’implante à Paris, puis cinq années vécues au monastère de la rue Férou. Enfin, après une crise intérieure culminant en 1659, quand meurt son guide Jean de Bernières, trente-neuf années plus paisibles se déroulent au monastère de la rue Cassette [223].

 

La vie de la Mère du Saint-Sacrement, si elle fut mouvementée, ne fut pas solitaire car elle était très liée aux familiers de l’Ermitage : Jean-Chrysostome de Saint-Lô, leur « père » à tous, Bernières et son disciple Bertot.

     Jean-Chrysostome de Saint­-Lô, qui la dirigeait, l'appréciait beaucoup, déclarant qu’il « trou­vait plus de spiritualité dans le petit hospice de Saint­-Maur que dans tout Paris ». Elle demeurera en correspondance suivie avec Bernières[224]  et verra régulièrement M. Bertot.

L’initiation par le P. Chrysostome

 

Elle fut dirigée d'abord par le père Chrysostome dont la charité, comme avec Bernières, fut sans complaisance ni pitié. On le verra dans les deux textes suivants où il répond point après point aux questions que se pose la jeune femme. Tandis qu'elle lui demande conseil sur son expérience profonde et ardente, Chrysostome lui répond par une analyse froide de façon à ne susciter chez cette femme passionnée ni attachement ni émotion sensible ; mais s'il la pousse vers la rigueur et l’humilité la plus profonde, c'est avec beaucoup d'amour et de patience. Afin que ce destin extraordinaire soit mené jusqu’au bout, il l'encourage à aller toujours de l'avant.

 La relation est rédigée à la troisième personne pour se détacher de soi. Elle ne se terminera qu'à la 19e proposition car Catherine veut faire le tour de la question :

Premier texte : Relation au Père Chrysostome [avec réponses], juillet 1643.

1re Proposition[225] : Cette personne [Mectilde] eut dès sa plus tendre jeunesse le plus vif désir d'être religieuse ; plus elle croissait en âge, plus ce désir prenait de l'accroissement. Bientôt il devint si violent qu'elle en tomba dangereusement malade. Elle souffrait son mal sans oser en découvrir la cause ; ce désir l'occupait tellement qu'elle épuisa en quelque sorte toute son attention et tous ses sentiments. Il ne lui était pas possible de s'en distraire ni de prendre part à aucune sorte d'amusement. Elle était quelquefois obligée de se trouver dans différentes assemblées de personnes de son âge, mais elle y était de corps sans pouvoir y fixer son esprit. Si elle voulait se faire violence pour faire à peu près comme les autres, le désir qui dominait son cœur l'emportait bientôt et prenait un tel ascendant sur ses sens mêmes qu'elle restait insensible et comme immobile en sorte qu'elle était contrainte de se retirer pour se livrer en liberté au mouvement qui la maîtrisait. Ce qui la désolait surtout, c'était la résistance de son père que rien ne pouvait engager à entendre parler seulement de son dessein. Il faut avouer cependant que cette âme encore vide de vertus n'aspirait et ne tendait à Dieu que par la violence du désir qu'elle avait d'être religieuse sans concevoir encore l'excellence de cet état.

Réponse : En premier lieu, il me semble que la disposition naturelle de cette âme peut être regardée comme bonne.

2. Je dirai que dans cette vocation, je vois beaucoup de Dieu, mais aussi beaucoup de la nature : cette lumière qui pénétrait son entendement venait de Dieu ; tout le reste, ce trouble, cette inquiétude, cette agitation qui suivaient, étaient l'œuvre de la nature. Mais, quoi qu'il en soit, mon avis est, pour le présent, que le souvenir de cette vocation oblige cette âme à aimer et à servir Dieu avec une pureté toute singulière, car dans tout cela il paraît sensiblement un amour particulier de Dieu pour elle.

2e Proposition : Cette âme, dans l'ardeur de la soif qui la dévorait ne se donnait pas le temps de la réflexion ; elle ne s'arrêta point à considérer de quelle eau elle voulait boire. Elle voulait être religieuse, rien de plus ; aussi tout Ordre lui était indifférent, n'ayant d'autre crainte que de manquer ce qu'elle désirait ; la solitude et le repos étant tout ce qu'elle souhaitait.

Réponse : 1. Ces opérations proviennent de l'amour qui naissait dans cette âme, lesquelles étaient imparfaites, à raison que l'âme était beaucoup enveloppée de l'esprit de nature.

2. Nous voyons de certaines personnes qui ont la nature disposée de telle manière qu'il semble qu'au premier rayon de la grâce, elles courent après l'objet surnaturel : celle-ci me semble de ce nombre. Combien que par sa faute il se soit fait interruption en ce qu'elle s’éloignait[226]  de Dieu. […]

 Le dialogue se poursuit et se terminera sur une 19e proposition : le père Chrysostome est patient !

17e Proposition[227] 

Proposition : Elle entrait dans son obscurité ordinaire et captivité sans pouvoir le plus souvent adorer son Dieu, ni parler à Sa Majesté. Il lui semblait qu'Il se retirait au fond de son cœur ou pour le moins en un lieu caché en son entendement et à son imagination, la laissant comme une pauvre languissante qui a perdu son tout ; elle cherche et ne trouve pas ; la foi lui dit qu'il est entré dans le centre de son âme, elle s'efforce de lui aller adorer, mais toutes ses inventions sont vaines, car les portes sont tellement fermées, et toutes les avenues, que ce lieu est inaccessible, du moins il lui semblait ; et lorsqu'elle était en liberté elle adorait sa divine retraite, et souffrait ses sensibles privations, néanmoins son cœur s'attristait quelquefois de se voir toujours privée de sa divine présence, pensant que c'était un effet de sa réprobation.

D'autre fois elle souffrait avec patience, dans la vue de ce qu'elle a mérité par ses péchés, prenant plaisir que la volonté de son Dieu s'accomplisse en elle selon qu'il plaira à Sa Majesté.

Réponse : Il n'y a rien que de bon en toutes ses peines, il les faut supporter patiemment et s'abandonner à la conduite de Dieu. Ajoutez que ces peines et les autres lui sont données pour la conduire à la pureté de perfection à laquelle elle est appelée et de laquelle elle est encore bien éloignée. Elle y arrivera par le travail de mortification et de vertu.

18e Proposition : Son oraison n'était guère qu'une soumission et abandon, et son désir était d'être toute à Dieu, que Dieu fût tout pour elle, et en un mot qu'elle fût toute perdue en Lui ; tout ceci sans sentiment. J'ai déjà dit qu'en considérant [les thèmes de méditation discursive] elle demeure muette[228], comme si on lui garrottait les puissances de l'âme ou qu'on l'abimât dans un cachot ténébreux. Elle souffrait des gênes et des peines d'esprit très grandes, ne pouvant les exprimer, ni dire de quel genre elles sont. Elle les souffrait par abandon à Dieu et par soumission à sa divine justice.

Réponse : J'ai considéré dans cet écrit les peines intérieures. Je prévois qu'elles continueront pour la purgation et sanctification de cette âme, étant vrai que pour l'ordinaire, le spirituel ne fait progrès en son oraison que par rapport à sa pureté intérieure, sur quoi elle remarquera qu'elle ne doit pas souhaiter d'en être délivrée, mais plutôt qu'elle doit remercier Dieu qui la purifie.

 Cette âme a été, et pourra être tourmentée de tentations de la foi, d'aversion de Dieu, de blasphèmes et d'une agitation furieuse de toutes sortes de passions, de captivité, d'amour. Sur le premier genre de peine, elle saura qu'il n'y a rien à craindre, que telle peine est un beau signe, savoir de purgation intérieure, que c'est le diable, qui avec la permission de Dieu, la tourmente comme Job. Je dis plus, qu'elle doit s'assurer que tant s'en faut que dans telles tempêtes l'âme soit altérée en sa pureté, qu'au contraire, elle y avance extrêmement, pourvu qu'avec résignation, patience, humilité et confiance elle se soumette entièrement et sans réserve à cette conduite de Dieu.

Sur ce qui est de la captivité dont elle parle en son écrit, je prévois qu'elle pourra être sujette à trois sortes de captivités : à savoir, à celle de l'imagination et l'intellect et à la composée de l'une et de l'autre. Sur quoi je remarque qu'encore que la nature contribue beaucoup à celle de l'imagination et à la composée par rapport aux fantômes ou espèces en la partie intellectuelle, néanmoins ordinairement le diable y est mêlé avec la permission de Dieu, pour tourmenter l'âme, comme dans le premier genre de peines ; en quoi elle [n’] a rien à faire qu'à souffrir patiemment par une pure soumission à la conduite divine ; ce que faisant elle fera un très grand progrès de pureté intérieure.

Quant à l'intellectuelle, elle saura que Dieu seul lie la partie intellectuelle, ce qui se fait ordinairement par une suspension d'opérations, exemple : l'entendement, entendre, la volonté, aimer, si ce n'est que Dieu concoure à ses opérations ; d'où arrive que suspendant ce concours, les facultés intellectuelles demeurent liées et captives, c'est-à-dire elles ne peuvent opérer ; en quoi il faut que l’âme se soumette comme dessus[229] à la conduite de Dieu sans se tourmenter. Sur quoi elle saura que toutes les peines de captivité sont ordinairement données à l'âme pour purger la propriété de ses opérations, et la disposer à la passivité de la contemplation.

Sur le troisième genre de peines d'amour divin, il y en a de plusieurs sortes, selon que Dieu opère en l'âme, et selon que l'âme est active ou passive à l'amour, sur quoi je crois qu'il suffira présentement que cette bonne âme sache :  

1. Que l'amour intellectuel refluant en l'appétit sensitif cause telles peines qui diminuent ordinairement à proportion que la faculté intellectuelle, par union avec Dieu, est plus séparée en son opération de la partie inférieure.

2. Quand l'amour réside en la partie intellectuelle, ainsi que je viens de dire, il est rare qu'il tourmente ; cela se peut néanmoins faire, mais je tiens qu'il y a apparence que, par l'ordinaire, tout ce tourment vient du reflux de l'opération de l'amour de la volonté supérieure à l'inférieure, ou appétit sensitif.

3. Quelquefois par principe d'amour l'âme est tourmentée de souhaits de mort, de solitude, de voir Dieu et de langueur ; sur quoi cette âme saura que la nature se mêlant de toutes ces opérations, le spirituel doit être bien réglé pour ne point commettre d'imperfections ; d'où je conseille à cette âme :

1. d'être soumise ainsi que dessus à la conduite de Dieu ;

2. de renoncer de fois à autre à tout ce qui est imparfait en elle au [sur le] fait d'aimer Dieu ;

3. elle doit demander à Dieu que son amour devienne pur et intellectuel ;

4. si l'opération d'amour divin diminue beaucoup les forces corporelles, elle doit se divertir et appliquer aux œuvres extérieures ; que si ne [pas] coopérer en se divertissant, l'amour la suit [la poursuit], il en faut souffrir patiemment l'opération et s'abandonner à Dieu, d'autant que la résistance en ce cas est plus préjudiciable et fait plus souffrir le corps que l'opération même.

Je prévois que ce corps souffrira des maladies, d'autant que l'âme étant affective, l'opération d'amour divin refluera en l'appétit sensitif, elle aggravera le cœur et consommera beaucoup d'esprit, dont il faudra avertir les médecins. J'espère néanmoins qu'enfin l'âme se purifiant, cet amour résidera davantage en la partie intellectuelle, [ce] dont le corps sera soulagé. Quant à la nourriture et à son dormir, c'est à elle d'être fort discrète, comme aussi en toutes les austérités, car si elle est travaillée de peines intérieures ou d'opérations d'amour divin, elle aura besoin de soulager d'ailleurs son corps, se soumettant en cela en toute simplicité à la direction. Sur le sujet de la contemplation, je prévois qu'il sera nécessaire qu'elle soit tantôt passive simple, même laissant opérer Dieu, et quelquefois active et passive ; c'est-à-dire, quand à son oraison la passivité cessera, il faut qu'elle supplée par l'action de son entendement.

Ayant considéré l'écrit, je conseille à cette âme :

1. De ne mettre pas tout le fond de sa perfection sur la seule oraison, mais plutôt sur la tendance à la pure mortification.

2. De n'aller pas à l'oraison sans objet. À cet effet je suis d'avis qu'elle prépare des vérités universelles de la divinité de Jésus-Christ, comme serait : Dieu est tout-puissant et peut créer à l'infini des millions de mondes, et même à l'infini plus parfaits ; Jésus a été flagellé de cinq mille et tant de coups de fouet ignominieusement, ce qu'Il a supporté par amour pour faire justice de mes péchés.

3. Que si portant son objet à l'oraison elle est surprise d'une autre opération divine passive, alors elle se laissera aller. Voilà mon avis sur son oraison : qu'elle souffre patiemment ses peines qui proviennent principalement de quelque captivité de faculté. Qu'elle ne se décourage point pour ses ténèbres ; quand elle les souffrira patiemment, elles lui serviront plus que les lumières.

19. Proposition : Il semble qu'elle aurait une joie sensible si on lui disait qu'elle mourrait bientôt ; la vie présente lui est insupportable, voyant qu'elle l'emploie mal au service de Dieu et combien elle est loin de sa sacrée union. Il y avait lors trois choses qui régnaient en elle assez ordinairement, à savoir : langueur, ténèbres et captivité.

Réponse : Voilà des marques de l'amour habituel qui est en cette âme. Voilà mes pensées sur cet état, dont il me demeure un très bon sentiment en ma pauvre âme, et d'autant que je sens et prévois qu'elle sera du nombre des fidèles servantes de Dieu, mon Créateur, et que par les croix, elle entrera en participation de l'esprit de la pureté de notre bon Seigneur Jésus-Christ. Je la supplie de se souvenir de ma conversion en ses bonnes prières, et je lui ferai part des miennes quoique pauvretés. J'espère qu'après cette vie Dieu tout bon nous unira en sa charité éternelle, par Jésus-Christ Notre Seigneur auquel je vous donne pour jamais.

Le texte suivant, d'une tout autre inspiration, est plus libre et chaleureux. Chrysostome a perdu ses réserves car il la reconnaît comme une mystique qui suit le même chemin que lui et à qui il peut livrer son expérience en toute confiance : certaines lignes sont des confidences sur ce qu'il a traversé lui-même. C'est un testament que Chrysostome adresse à une jeune femme qui n’aura que trente-deux ans à la mort de son directeur[230]. Le chemin qu'il lui trace ici inspirera Catherine toute sa vie.

Autre réponse du même père à la même âme[231].

Cette vocation paraît : 1. Par les instincts que Dieu vous donne en ce genre de vie, vous faisant voir par la lumière de sa grâce la beauté d'une âme qui, étant séparée de toutes les créatures, inconnue, négligée de tout le monde, vit solitaire à son unique Créateur dans le secret dû.

2. Par les attraits à la sainte oraison avec une facilité assez grande de vous entretenir avec Dieu des vérités divines de son amour.

3. Dieu a permis que ceux de qui vous dépendez aient favorisé cette petite retraite qui n'est pas une petite grâce, car plusieurs souhaitent la solitude et y feraient des merveilles, lesquels néanmoins en sont privés.

4. Je dirais que Dieu par une providence vous a obligée d'honorer le saint Sacrement d'une particulière dévotion, et c'est dans ce Sacrement que notre bon Seigneur Jésus-Christ, Dieu et homme, mènera une vie toute cachée jusqu'à la consommation des siècles, que les secrets de sa belle âme vous seront révélés[232].

5. Bienheureuse est l'âme qui est destinée pour honorer les états de la vie cachée de Jésus, non seulement par acte d'adoration ou de respect, mais encore rentrant dans les mêmes états. D’aucuns honorent par leur état sa vie prêchante et conversante, d'autres sa vie crucifiée ; quelques-uns sa vie pauvre, beaucoup sa vie abjecte ; il me semble qu'Il vous appelle à honorer sa vie cachée. Vous le devez faire et vous donner à Lui, pour, avec Lui, entrer dans le secret, aimant l'oubli actif et passif de toute créature, vous cachant et abîmant avec Lui en Dieu, selon le conseil de saint Paul, pour n'être révélée qu'au jour de ses lumières.

6. Jamais l'âme dans sa retraite ne communiquera à l'Esprit de Jésus et n'entrera avec lui dans les opérations de sa vie divine, si elle n'entre dans ses états d'anéantissement et d'abjection, par lesquels l'esprit de superbe est détruit.

7. L'âme qui se voit appelée à l'amour actif et passif de son Dieu renonce facilement à l'amour vain et futile des créatures, et contemplant la beauté et excellence de son divin Epoux qui mérite des amours infinis, elle croirait commettre un petit sacrilège de lui dérober la moindre petite affection des autres et partant, elle désire d'être oubliée de tout le monde afin que tout le monde ne s'occupe que de Dieu seul.

8. N'affectez point de paraître beaucoup spirituelle : tant plus votre grâce sera cachée, tant plus sera-t-elle assurée ; aimez plutôt d'entendre parler de Dieu que d'en parler vous-même, car l'âme dans les grands discours se vide assez souvent de l'Esprit de Dieu et accueille une infinité d'impuretés qui la ternissent et l'embrouillent.

9. Le spirituel ne doit voir en son prochain que Dieu et Jésus ; s'il est obligé de voir les défauts que commettent des autres, ce n'est que pour leur compatir et leur souhaiter l'occupation entière du pur amour. Hélas ! Faut-il que les âmes en soient privées ! Saint François voyant l'excellence de sa grâce et la vocation que Dieu lui donnait à la pureté suprême, prenait les infidélités à cette grâce pour des crimes, d'où vient qu'il s'estimait le plus grand pécheur de la terre et le plus opposé à Dieu, puisqu'une grâce qui eût sanctifié les pécheurs, ne pouvait vaincre sa malice.

10. L'oraison n'est rien autre chose qu'une union actuelle de l'âme avec Dieu, soit dans les lumières de l'entendement ou dans les ténèbres. L'âme dans son oraison s'unit à Dieu tantôt par l'amour, tantôt par reconnaissance, tantôt par adoration, tantôt par l'aversion du péché en elle et en autrui, tantôt par une tendance violente et des élancements impétueux vers ce divin objet[233]  qui lui paraît éloigné, et à l'amour et jouissance auquel elle aspire ardemment, car tendre et aspirer à Dieu, c'est être uni à Lui, tantôt par un pur abandon d'elle-même au mouvement sacré de ce divin Epoux qui l'occupe de son amour dans les manières qu'il lui plaît.

Ah ! Bienheureuse est l'âme qui tend en toute fidélité à cette sainte union dans tous les mouvements de sa pauvre vie ! Et à vrai dire, n'est-ce pas uniquement pour cela que Dieu tout bon la souffre sur la terre et la destine au ciel, c'est-à-dire pour aimer à jamais ? Tendez donc autant que vous pourrez à la sainte oraison, faites-en quasi comme le principal de votre perfection. Aimez toutes les choses qui favorisent en vous l'oraison, comme : la retraite, le silence, l'abjection, la paix intérieure, la mortification des sens, et souvenez-vous qu'autant que vous serez fidèle à vous séparer des créatures et des plaisirs des sens, autant Jésus se communiquera-t-Il à vous en la pureté de ses lumières et en la jouissance de son divin amour dans la sainte oraison ; car Jésus n'a aucune part avec les âmes corporelles qui sont gisantes dans l'affection des sens.

11. L'âme qui se répand dans les conversations inutiles, ou s'ingère sous des prétextes de piété, se rend souvent indigne des communications du divin Epoux qui aime la retraite, le secret et le silence. Tenez votre grâce cachée : si vous êtes obligée de converser quelquefois, tendez avec discrétion à ne parler qu'assez peu et autant que la charité le pourra requérir ; l'expérience nous apprendra l'importance d'être fidèle à cet avis.

12. Tous les états de la vie de Jésus méritent nos respects et surtout ses états d'anéantissement. Il est bon  que vous ayez dévotion à sa vie servile ; car il a pris la forme de serviteur, et a servi en effet son père et sa mère en toute fidélité et humilité vingt-cinq ou trente ans en des exercices très abjects et en un métier bien pénible ; et pour honorer cette vie servile et abjecte de notre bon Sauveur Jésus-Christ, prenez plaisir à servir plutôt qu'à être servie, et vous rendez facile aux petits services que l'on pourra souhaiter de vous, et notamment quand ils seront abjects et répugnants à la nature et aux sens.

13. Jésus dans tous les moments de sa vie voyagère a été saint, et est en iceux la sanctification des nôtres ; car il sanctifie les temps, desquels il nous a mérité l'usage, et généralement toutes sortes d'états et de créatures, lesquelles participaient à la malédiction du péché. Consacrez votre vie jusqu'à l'âge de trente-trois ans à la vie voyagère du Fils de Dieu par la correspondance de nos moments aux siens, et le reste de votre vie, si Dieu vous en donne, consacrez-le à son état consommé et éternel, dans lequel Il est entré par sa résurrection et par son ascension. Ayez dès à présent souvent dévotion à cet état de gloire de notre bon Seigneur Jésus-Christ, car c'est un état de grandeur qui était dû à son mérite, et dans lequel vous-même, vous entrerez un jour avec lui, les autres états d'anéantissement de sa vie voyagère n'étant que des effets de nos péchés.

14. L'âme qui possède son Dieu ne peut goûter les vaines créatures, et à dire vrai, celui est bien avare à qui Dieu ne suffit[234]. À mesure que votre âme se videra de l'affection des créatures, Dieu tout bon se communiquera à vous en la douceur de ses amours et en la suavité de ses attraits, et dans la pauvreté suprême de toutes créatures, vous vous trouverez riche de la pure jouissance du Dieu de votre amour, ce qui vous causera un repos et une joie intérieure inconcevables.

15. Vous serez tourmentée de la part des créatures qui crieront à l'indiscrétion et à la sauvage : laissez dire les langues mondaines, faites les œuvres de Dieu en toute fidélité, car toutes ces personnes-là ne répondront pas pour vous au jour de votre mort ; et faut-il qu'on trouve tant à redire de vous voir aimer Dieu ?

16. Tendez à vous rendre passive à la Providence divine, vous laissant conduire et mener par la main, entrant à l'aveugle et en toute soumission dans tous les états où elle voudra vous mettre, soit qu'il soit de lumière ou de ténèbres, de sécheresse ou de jouissance, de pauvreté, d'abjection, d'abandon, etc. Fermez les yeux à tous vos intérêts et laissez faire Dieu par cette indifférence à tout état, et cette passivité à sa conduite vous acquerra une paix suprême qui vous établira dans la pure oraison, et vous disposera à la conversion très simple de votre âme vers Dieu le Créateur.

17. Notre bon Seigneur Jésus-Christ s'applique aux membres de son Eglise diversement pour les convertir à l'amour de son Père éternel, nous recherchant avec des fidélités, des artifices et des amours inénarrables. Oh ! Que l'âme pure qui ressent les divines motions de Jésus et de son divin Esprit, est touchée d'admiration, de respect et d'amour à l'endroit de ce Dieu fidèle !

18. Renoncez à toute consolation et tendresse des créatures, cherchez uniquement vos consolations en Jésus, en son amour, en sa croix et son abjection. Un petit mot que Jésus vous fera entendre dans le fond de votre âme la fera fondre et se liquéfier en douceur. Heureuse est l'âme qui ne veut goûter aucune consolation sur la terre de la part des créatures !

19. Par la vie d'Adam, nous sommes entièrement convertis à nous-mêmes et à la créature, et ne vivons que pour nous-mêmes, et pour nos intérêts de chair et de sang ; cette vie nous est si intime qu'elle s'est glissée dans tout notre être naturel, ni ayant puissance dans notre âme, ni membre en notre corps qui n'en soit infecté ; ce qui cause en nous une révolte générale de tout nous-mêmes à l'encontre de Dieu, cette vie impure formant opposition aux opérations de sa grâce, ce qui nous rend en sa présence comme des morts ; car nous ne vivons point à Lui, mais à nous-mêmes, à nos intérêts, à la chair et au sang. Jésus au contraire a mené et une vie très convertie à son Père éternel par une séparation entière, et une mort très profonde à tout plaisir sensuel et tout intérêt propriétaire de nature, et Il va appelant ses élus à la pureté de cette vie, les revêtant de Lui-même, après les avoir dépouillés de la vie d'Adam, leur inspirant sa pure vie. Oh ! Bienheureuse est l'âme qui par la lumière de la grâce connaît en soi la malignité de la vie d'Adam, et qui travaille en toute fidélité à s'en dépouiller par la mortification, car elle se rendra digne de communiquer à la vie de Jésus !

20. Tandis que nous sommes sur la terre, nous ne pouvons entièrement éviter le péché. Adam dans l'impureté de sa vie nous salira toujours un peu ; nous n'en serons exempts qu'au jour de notre mort que Jésus nous consommera dans sa vie divine pour jamais, nous convertissant si parfaitement à son Père éternel par la lumière de sa gloire que jamais plus nous ne sentions l'infection de la vie d'Adam ni d'opposition à la pureté de l'amour.

21. La sentence que Notre Seigneur Jésus-Christ prononcera sur notre vie au jour de notre mort est adorable et aimable, quand bien par icelle il nous condamnerait, car elle est juste et divine, et partant mérite adoration et amour : adorez-le donc quelquefois, car peut-être alors vous ne serez pas en état de le pouvoir faire ; donnez-vous à Jésus pour être jugée par lui, et le choisissez pour juge, quand bien même il serait en votre puissance d'en prendre un autre. Hugo, saint personnage, priait Notre Seigneur Jésus-Christ de tenir plutôt le parti de son Père éternel que non pas le sien : ce sentiment marquait une haute pureté de l'âme, et une grande séparation de tout ce qui n'était point purement Dieu et ses intérêts.

22. Notre bon Seigneur Jésus-Christ dit en son Evangile : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Oh ! En effet, bienheureuse est l'âme qui n'a point ici d'autre désir que d'aimer et de vivre de la vie du pur amour, car Dieu lui-même sera sa nourriture, et en la plénitude de son divin amour assouvira sa faim. Prenez courage, la faim que vous sentez est une grâce de ferveur qui n'est donnée qu'à peu. Travaillez à évacuer les mauvaises humeurs de la nature corrompue, et cette faim ira toujours croissant, et vous fera savourer avec un plaisir ineffable les douceurs des vertus divines.

23. Tendez à acquérir la paix de l'âme autant que vous pourrez par la mortification de toutes les passions, par le renoncement à toutes vos volontés, par la désoccupation de toutes les créatures, par le mépris de tout ce que pourront dire les esprits vains et mondains, par l'amour à la sainte abjection, par un désir d'entrer courageusement dans les états d'anéantissement de Jésus-Christ quand la Providence le voudra, par ne vouloir uniquement que Dieu et sa très sainte volonté, par une indifférence suprême à tous événements ; et votre âme ainsi dégagée de tout ce qui la peut troubler, se reposera agréablement dans le sein de Dieu, qui vous possédant uniquement, établira en vous le règne de son très pur amour.

24. Il fait bon parler à Dieu dans la sainte oraison, mais aussi souvent il fait bon l'écouter, et quand les attraits et lumières de la grâce nous préviennent, il les faut suivre par une sainte adhérence qui s'appelle passivité.

25. Le spirituel dans les voies de sa perfection est sujet à une infinité de peines et de combats : tantôt il se voit dans les abandons, éloignements, sécheresses, captivités, suspensions ; tantôt dans les vues vives de réprobation et de désespoir ; tantôt dans les aversions effroyables des choses de Dieu ; tantôt dans un soulèvement général de toutes ses passions, tantôt dans d'autres tentations très horribles et violentes, Dieu permettant toutes ces choses pour évacuer de l'âme l'impureté de la vie d'Adam et sa propre excellence. Disposez-vous à toutes ces souffrances et combats, et souvenez-vous que la possession du pur amour vaut bien que nous endurions quelque chose, et partant soyez à Jésus pour tout ce qu'il lui plaira vous faire souffrir.

26. Derechef, je vous répète que vous soyez bien dévote à la sainte Vierge : honorez-la dans tous les rapports qu'elle a au Père éternel, au Fils et au Saint-Esprit, à la sainte humanité de Jésus. Honorez-la en la part qu'elle a à l’œuvre de notre rédemption, dans tous les états et mystères de sa vie, notamment en son état éternel, glorieux et consommé dans lequel elle est entrée par son Assomption ; honorez-la en tout ce qu'elle est en tous les saints, et en tout ce que les saints sont par elle : suivez en ceci les diverses motions de la grâce, et vous appliquez à ces petites vues et pratiques selon les différents attraits. Étudiez les différents états de sa vie, et vous y rendez savante pour vous y appliquer de fois à autre ; car il y a bénédiction très grande d'honorer la sainte Vierge. Je dis le même de saint Joseph : c'est le protecteur de ceux qui mènent une vie cachée, comme il l'a été de celle de Jésus-Christ.

27. La perfection ne consiste pas dans les lumières, mais néanmoins les lumières servent beaucoup pour nous y acheminer, et partant rendez-vous passive à celles que Dieu tout bon vous donnera, et en outre tachez autant que vous pourrez à vous instruire des choses de la sainte perfection par lectures, conférences, sermons, etc., et souvenez-vous que si vous ne nourrissez votre grâce, elle demeurera fort faible et peut-être même pourrait-elle bien se ralentir.

28. L'âme de Jésus-Christ est le paradis des amants en ce monde et en l'autre ; si vous pouvez entrer en ce ciel intérieur, vous y verrez des merveilles d'amour, tant à l'endroit de son Père que des prédestinés. Prenez souvent les occupations et la vie de ce tout bon Seigneur pour vos objets d'oraison.

29. Tendez à l'oraison autant que vous pourrez : c'est, ce me semble, uniquement pour cela que nous sommes créés : je dis pour contempler et pour aimer ; c'est faire sur la terre ce que font les bienheureux au ciel. Aimez tout ce qui favorisera en vous l'oraison, et craignez tout ce qui lui sera opposé. Tendez à l'oraison pas vive [paisible], en laquelle l'âme sans violence entre doucement dans les lumières qui lui sont présentées, et se donne en proie à l'amour, pour être dévorée par ses très pures flammes unissant les attraits et divines motions de la grâce. Ne vous tourmentez point beaucoup dans l'oraison, souvent contentez-vous d'être en la présence de Dieu, sans autre opération que cette simple tendance et désir que vous sentez de L'aimer et de Lui être agréable ; car vouloir aimer est aimer, et aimer est faire oraison.

30. Prenez ordinairement des sujets pour vous occuper durant votre oraison ; mais néanmoins ne vous y attachez pas, car si la grâce vous appelle à d'autres matières, allez-y ; j'ai dit ordinairement, car il arrivera que Dieu vous remplissant de sa présence, vous n'aurez que faire d'aller chercher dedans les livres ce que vous aurez dans vous-même ; outre qu'il y a de certaines vérités divines dans lesquelles vous êtes assez imprimée, que vous devez souvent prendre pour objets d'oraison. En tout ceci, suivez les instincts et attraits de la grâce. Travaillez à vous désoccuper et désaffectionner de toutes les créatures, et peu à peu votre oraison se formera, et il y a apparence, si vous êtes fidèle, que vous êtes pour goûter les fruits d'une très belle perfection, et que vous entrerez dans les états d'une très pure et agréable oraison : c'est pourquoi prenez bon courage ; Dieu tout bon vous aidera à surmonter les difficultés que vous rencontrerez dans la vie de son saint Amour. Soyez fidèle, soyez à Dieu sans réserve ; aimez l'oraison, l'abjection, la croix, l'anéantissement, le silence, la retraite, l'obéissance, la vie servile, la vie cachée, la mortification. Soyez douce, mais retenue ; soyez jalouse de votre paix intérieure. Enfin, tendez doucement à convertir votre chère âme à Dieu, son Créateur, par la pratique des bonnes et solides vertus. Que Lui seul et son unique amour vous soient uniquement toutes choses. Priez pour ma misère et demandez quelquefois pour moi ce que vous souhaitez pour vous[235].

Sa direction par Bernières et ses amis.

Jean-Chrysostome mourut lorsque Mectilde n’avait que trente-deux ans : un long chemin restait à parcourir.

Heureusement elle reçut l'aide d'un bon confesseur, Épiphane Louys (1614-1682)[236] : ce mystique attachant, né aussi en 1614, était lorrain comme Catherine. Il fut en relation étroite avec elle et rédigea pratiquement la totalité de l’œuvre destinée aux bénédictines de ses fondations.

Elle correspondit avec Charlotte le Sergent (1604-1677) qui l’encouragea dans la voie de l’abandon total :

Vous n’avez rien à craindre, le je ne sais quoi qui vous va séparant de toute douceur est ce que j’estime le plus simple et le plus sûr en votre voie. Vous n’avez qu’à vous abandonner totalement, élevez-vous à la suprême vérité qui est Dieu, laissez tout le reste pour ce qu’il est […] Je vous dis ce que l’on me met en l’esprit sans le comprendre, étant dans un état où je n’ai rien, rien, rien, sinon une certaine volonté qui veut ce que Dieu veut et qui est disposée à tout.

 J’ai vu tout votre être absorbé dans une lumière, devant laquelle la vôtre est disparue, et je voyais en cette région lumineuse, un jour sans ténèbres où la créature n’était plus rien, Dieu étant tout. L’âme demeure entre les bras de son Seigneur sans le connaître et sans même s’en apercevoir [237].

Le 7 septembre 1648, Mectilde, abordant cette étape, écrira à Bernières :

Je vous demande part à la belle conférence du Rien que vous avez eue avec la chère Mère de Saint Jean.

Ce « rien » était bien sûr celui de Jean de la Croix, que Bernières connut et apprécia tôt [238] puisque la Mère de Saint Jean lui écrivait :

Je me doutais bien, lorsque vous me dites que vous tiriez des lumières du Père Jean de la Croix, que vous seriez bientôt conduit dans le sentier secret des peines et des doutes où j’aime mieux votre âme que dans les clartés où elle semblait être auparavant[239].

C’est en effet M. de Bernières qui va prendre la relève et conseiller Mectilde pendant treize ans : elle va bénéficier de sa pleine maturité et une vaste correspondance en témoigne[240]. On y relève un diagnostic sévère :

 Soyez seulement patiente et tâchez d’aimer votre abjection. Vous dites que vous êtes à charge et que vous êtes inutile ; cette pensée donnerait bien du plaisir à une âme qui tendrait au néant. O ! qu’il est rare de mourir comme il faut ! Nous voulons toujours être quelque chose et notre amour-propre trouve de la nourriture partout. Rien n’est si insupportable à l’esprit humain que de voir que l’on ne l’estime point, qu’on n’en fait point de cas, qu’il n’est point recherché ni considéré.

Vous ne croiriez jamais si vous ne l’expérimentiez, le grand avantage qu’il y a d’être en abjection dans les créatures. Cela fait des merveilles pour approfondir l’âme dans sa petitesse et dans son néant, quand elle sent et voit qu’elle n’est plus rien qu’un objet de rebut. Cela vaut mieux qu’un mont d’or.

Vous n’êtes pas pourtant dans cet état, car l’on vous aime et chérit trop. C’est une pensée qui vous veut jeter dans quelque petit chagrin et abattement. Présentez-là à Notre Seigneur et sucez la grâce de la sainte abjection dans les opprobres et confusions d’un Jésus Christ [241].

Au moment où elle reconstitue sa communauté à Saint-Maur-des-Fossés près de Paris en 1643, elle traverse les douleurs du vide et s’adresse ainsi à Bernières [242] :  

3 juillet 1643. Monsieur, Notre bon Monsieur Bertot nous a quittées avec joie pour satisfaire à vos ordres. Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâces. Je deviens si vide et si pauvre, même de Dieu, que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout désir [...]

13 novembre 1643. […] Il n'y a rien dans mon cœur. Je suis pauvre véritablement, mais si pauvre que je ne puis exprimer[...] [243].

µ mettre une phrase signalant qu’elle fonde les Bénédictines du st sacr

Lorsqu'elle recherche un petit coin en Provence ou près de Lyon pour n'être plus connue de personne, Bernières répond avec grande sollicitude :

De l'hermitage de saint Jean Chrysostome, ce 14 février 1651.

Dieu seul et il suffit.

[…] Je ne vous ai jamais oubliée devant Notre Seigneur : quoique je ne vous aie pas écrit, notre union est telle que rien ne la peut rompre. Ces souffrances, nécessités et extrémités, où vous êtes, me donneraient de la peine si je ne connaissais le dessein de Dieu sur vous, qui est de vous anéantir toute, afin que vous viviez toute à lui, qu'il coupe, qu'il taille, qu'il brûle, qu'il tue, qu'il vous fasse mourir de faim, pourvu que vous mourriez toute sienne, à la bonne heure. Ce­pendant, ma très chère Sœur, il se faut servir des moyens dont la Providence vous fera ouverture pour vous tirer du lieu où vous êtes, supposé l'extrémité où vous réduit la guerre. J'ai bien considéré tous les expédients contenus dans vos lettres ; je ne suis pas capable d'en juger, je vous supplie aussi de ne vous pas arrêter à mes sentiments. Mais je n'abandonnerai pas la pauvre Communauté de Ram­bervillers […][244].

L’ascension mystique des dernières années

Après la mort de Bernières en 1659, Mectilde va vivre trente-neuf années au milieu des maladies et d'une activité intense. Les dernières années nous laissent ses plus beaux témoignages mystiques. Voici ce qu'elle confiait à ses religieuses :

Oui, mes enfants, dans l'abandon il y a une grâ­ce ineffable qui conduit l'âme jusque dans le sein de Dieu [...] Je trouve néanmoins qu'il y a encore quelque chose de plus dans le délaissement que l'âme fait d'elle-même. Car dans l'abandon nous nous avons encore en vue, mais dans le délaissement nous nous perdons [...] Il y en a très peu qui se délaissent, parce que les re­tours que nous faisons sur nos intérêts nous font re­prendre ce que nous avions abandonné. Et voilà comme j'ai appris le délaissement : mon imagination, après deux ou trois jours de ma maladie, me présenta à mon jugement, et Dieu me fit la miséricorde de me mettre dans un état d'abandon et de délaissement. En ce même temps, mon âme me fut représentée comme une chiffe, et je voyais cette chiffe toute marquée de Dieu. Cela me fit comprendre que Dieu voulait que je me délaissasse ainsi que l'on fait d'une chiffe, qu'à peine relève-t-on de terre, ou du moins si on la relève, ce n'est que pour la mettre en quelque coin, et non pour la serrer dans un coffre. En vérité, mes enfants, il fait bon être chiffe ! [...] Dieu m'a renvoyée afin que je commence à vivre en simplicité comme un enfant, toute abandonnée à lui sans retour sur moi[245].

Je me suis coulée comme un petit mou­cheron en Dieu […] Il y a plus de trente ans que je l'ai prié de me tenir sous ses pieds. J'ai été effrayée de voir l'amour infini de ce Cœur adorable envers les créatures. Il ne s'irrite point contre elles, pour tous les outrages qu'il en reçoit à tout moment. Au lieu de nous foudroyer comme nous le mériterions, il n'en a pas même de ressentiment. Il n'est pas vindicatif : toujours prêt à nous recevoir, il n'attend pas même que nous allions à lui. Il nous prévient [vient au-devant de nous] par ses grandes miséricordes[246].

Mectilde fit des fondations dans toute l'Europe. La plus importante fut celle de l'Institut de l’Adoration perpétuelle rue Cassette à Paris où les religieuses s’établirent dès 1659 : c'est là qu'entrera la Mère de Blémur[247] vers 1678. Ce monastère renommé accueillera de nombreux visiteurs : madame Guyon et Fénelon le fréquenteront. Puis ce seront les fondations de Toul (1664), l'agrégation[248]  de son monastère de profession de Rambervilliers (1666), l'agrégation à Nancy (1669), les fondations de Rouen (1676-1678), d’un second monastère à Paris (1684), l'agrégation du Bon Secours de Caen (1685), les fondations de Varsovie (1687-1688), de Châtillon (1688), Dreux (1696) … Sa mort à plus de 83 ans précéda de peu la création d’un monastère à Rome en 1703[249]. 

Toute cette activité l'épuisait. Dans cette lettre de 1685, elle supplie un Prieur de lui éviter sa réélection :

La crainte de retomber aux élections de la Prieure dans cette place que j’ai remplie si indignement, m’oblige de vous représenter, Mon très Révérend Père, que je ne trouve en moi aucune capacité de bien faire […] J’ai deux incommodité[s] qui s’y oppose[nt] ; la première est que n’ayant plus de dents je ne puis plus parler qu’avec une très grande peine et sans me pouvoir bien faire entendre, N’ayant pas la poitrine bonne, je ne peux parler si haut, la seconde c’est que je suis assez sourd[e] […] Les infirmités de l’esprit sont beaucoup plus grandes…[250]

A la fin de sa vie, elle eut la chance de pouvoir se confesser à un homme intérieur, le P. Paulin, un éminent franciscain.  Le jour de la mort de Mectilde, vers six heures du matin, il lui demanda : "Ma Mère, que faites-vous ? A quoi pensez-vous ?" Elle lui répondit par ces deux mots qui avaient ouvert jadis sa mission de fondatrice et qu'elle redisait si souvent depuis : "J'adore et me soumets"[251].

Ses liens avec des « quiétistes tardifs »

Le père Paulin était le supérieur du couvent du TOR à Picpus que nous retrouvons ici. L'Ermitage lui accordait une telle confiance qu'on lui confiera les papiers de Bertot. Les deux courants issus de l'esprit de l'Ermitage, bénédictines du Saint-Sacrement et spirituels rassemblés autour de M. Bertot, se rencontraient à Paris. On se voyait dans les couvents des bénédictines ou à Picpus, et l’on se connaissait fort bien : lorsque Mectilde était à la fin de sa vie supérieure du premier monastère rue Cassette, Madame Guyon venait souvent et l'appréciait fort. Voici ce qu'elle écrivait à un confident :

… la mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’ins[ti] tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s [ain] te. Le reste de la communauté est fort opposé à l’intérieur et mad [emoise] lle de Chevreuse fera bien de n’en pas parler, afin de ne se point attirer de croix mal à propos et de conserver son don. Elle pourra parler à la mère du Saint-Sacrement tant qu’elle voudra[252].

C’est l’abbesse de Beaumont-lès-Tours, Mme de Béthune (1637-1689)[253], que Mectilde espérait être la « Victime choisie » qui pourrait lui succéder, espoir qui sera déçu[254]. Ce titre de « Victime », devenu à nos yeux un peu étrange et se prêtant à des explications critiques, s’éclaire par référence au Breviloquium de saint Bonaventure qui « répare » (sans victimisation…) :

Puisque le Principe réparateur est absolument parfait, et très probablement répare et réforme par le don gratuit, il convient que le don de la grâce qui de lui émane libéralement et abondamment s’épanouisse…[255].

 Nous sont parvenues plus de trois cents lettres adressées à la fin de sa vie par Mère Mectilde à Mme de Béthune. Un premier ensemble d’environ 40 lettres couvre la quasi-totalité des quatre années 1683 à 1686 et permet un choix de beaux extraits éclairant la direction spirituelle qui couvrent la première moitié de notre florilège la concernant[256]. Un deuxième ensemble abondant d’environ 270 lettres couvre une période beaucoup plus courte : depuis le début de l’an 1688 jusqu’au 31 mars 1689. Ce deuxième ensemble suit presque au jour le jour une relation spirituelle, ce qui rend son contenu moins dense.  µ on attendrait des extraits !

On y rencontre aussi la présence d’une « bonne âme[257] » inspirée vers laquelle Mectilde se tourne en espérant trouver de l’aide et même des prédictions. La réponse s’avère parfois tardive. Cette personne est citée plus de trente fois de février 1688 au début avril 1689, soit pendant une courte période de 14 mois.  Il s’agit probablement de Mme Guyon, reprenant pour Mectilde le rôle de Marie des Vallées[258]. La période correspond en effet aux sept mois d’enfermement suivis de sept mois de liberté où Mme Guyon a joui d’un grand prestige dû à son martyre[259], se risquant alors à des prédictions sur demande d’autrui. Malheureusement, les prédictions concernant la fondation de Mectilde en Pologne, encourageantes et raisonnables, s’avèreront fausses à la suite d’événements politiques imprévisibles…

Quand Mectilde meurt, Fénelon écrit à Mère Marie-Anne du Saint-Sacrement, la nouvelle supérieure de la rue Cassette :

J’ai l’honneur de vous écrire, ma Révérende Mère, mais ce n’est point pour vous persuader de la douleur où je suis de la perte que nous venons de faire […]

Elle me disait, elle m’écrivait, qu’elle ne sentait pas la moindre révolte contre l’ordre de Dieu, pas le moindre murmure, que la seule vue de sa sainte volonté, dans les états les plus renversants et les plus terribles la calmait.

« Je sens (m’écrivait-elle l’année passée) en moi une disposition si prompte à entrer dans tous les desseins de Dieu et agréer les états les plus anéantissants qu’aussitôt qu’Il m’y met, je baise, je caresse ce précieux présent, et pour les affaires temporelles qui paraissent nous jeter par terre, mon cœur éclate en bénédiction et est content d’être détruit et écrasé sous toutes ces opérations, pourvu que Dieu soit glorifié et que ce soit de sa part que je sois blessée. »

[…] Si vous conservez la simplicité, le renoncement, l’obéissance et l’éloignement du monde que notre chère Mère vous a enseignée, vous verrez une protection de Dieu toute visible sur vous et sur votre Institut. Je suis dans le saint Amour avec une très indigne et très cordiale affection [260]

 


 

MONSIEUR BERTOT, DIRECTEUR MYSTIQUE.

Malgré sa valeur mystique à nos yeux incomparable, nous ne disposons que de minces renseignements sur Jacques Bertot (1620-1681) : il semble avoir réussi à effacer toutes traces personnelles et il a même été confondu avec des homonymes (son nom est commun en pays normand sous des orthographes diverses). Même l’année de sa mort fit l’objet de relations contradictoires. Il a été édité sans nom d’auteur et accusé de quiétisme.

Nous avons pourtant tenté de rassembler tous les indices le concernant car ses écrits sont parmi les plus profonds et les plus denses de toute cette lignée mystique[261]. C'était sûrement l'avis de Madame Guyon puisqu'elle a rassemblé les œuvres de son maître et les a publiées sous le titre de « Directeur mystique »[262]. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples était inclus dans l’Avertissement du premier tome :

« Monsieur Bertot [...]natif de Coutances [263] [...]grand ami de [...]Jean [5] de Bernières [...]s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [...][à diriger] plusieurs personnes [...]engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre [...]Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort [...][au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. [...] [7] [Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes [...]ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.  

Il naquit le 29 juillet 1622. On a des précisions sur sa famille :

... il s’appelait Jacques Bertot natif de St Sauveur de Caen, fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière sa mère qui était sœur de Mr Le Mière père de celui qui est présentement Lieutenant particulier de Mr le vicomte de Caen. Le d[it] Sr Louis Bertot était m[archan]d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année 1640 vivant de son bien qui est scis [situé] en la paroisse de Tracy proche [de] Villers. Mr l’abbé Bertot était fils unique qui étant dans les ordres sacrées [sic] se mist à l’Ermitage avec feu Mr de Bernières et plusieurs autres personnes pour y vivre saintement tous ensemble...[264]

Issu d’une famille bourgeoise aisée, il sera généreux. Nous retrouvons dans les archives notariales relatives au couvent des ursulines de Caen une « liasse à 24 pièces » relative aux ventes de parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des années 1495 à 1601 livrant témoignage dudon fait par Bertot au couvent[265].

Bertot vécut d’abord à Caen, puis à Paris ; mais on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande importance à ces localisations : le suivi des religieuses de divers couvents l'a rendu itinérant comme ce fut le cas pour Chrysostome de Saint-Lô.

De ce prêtre discret va peu à peu émerger un confesseur de grande réputation : devant lui vont s’incliner les caractères bien trempés de Jourdaine de Bernières puis de Jeanne-Marie Guyon. Sa profondeur et son expérience vont susciter de toutes parts respect et confiance absolue.

De Caen

Devenu prêtre après des études au collège de Caen, il s’attacha à Jean de Bernières et à son groupe de l’Ermitage au point de devenir, comme le souligne Le directeur Mistique, « l'ami intime de feu Mr de Bernières ». Certains indices font penser que ce jeune compagnon fut le destinataire de certaines des lettres de Bernières adressées à l’ami intime[266] : elles tranchent par leur ton et par leur profondeur spirituelle avec l’ensemble de sa correspondance. On y sent l’autorité de l’aîné expérimenté, mais aussi la certitude d’être parfaitement compris d’un compagnon engagé dans le même chemin.  Bernières se dévoile. Bien que son ami soit plus jeune, il lui parle à cœur ouvert de ses états les plus profonds vécus dans ses dernières années :

Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée, en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes [voies] de Dieu, moins il y a de choses à lui dire… [267].

Je ne puis vous exprimer par pensées quel bonheur c’est de jouir de Dieu dans le centre […] Plus Dieu s’élève dans le centre de l’âme, plus on découvre de pays d’une étendue immense, où il faut aller, et un anéantissement à faire, qui n’est que commencé : cela est incroyable, sinon à ceux qui le voient en Dieu même, qu’après tant d’années d’écoulement en Dieu, l’on ne fait que commencer à trouver Dieu en vérité, et à s’anéantir soi-même […]

Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien[268].

A la mort de Bernières, Bertot lui succéda comme directeur spirituel. De 1655 à 1675, sa principale activité en Normandie fut d’être le confesseur du monastère des ursulines de Caen, où vivaient la sœur de Bernières, Jourdaine, et une figure discrète mais importante, Michelle Mangon. Les Annales des ursulines[269] témoigneront du rôle parfois délicat que doit assumer un confesseur, par exemple quand Jourdaine tenta d’échapper à sa troisième nomination :

Elle fut élue unanimement pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du chœur et courir s’enfermer dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l’évêque ; mais Monsieur Bertot, Supérieur qui présidait à l’élection et Mr. Postel son assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir à ce que le chapitre venait de faire. A ces mots, vaincue par son respect pour l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…[270].

Il n'est pas facile de diriger les âmes. Si l’on en croit les Annales[271] du monastère, Bertot a choqué par son inflexibilité, notamment lors de cet incident qui révolta les sœurs. Rappelons que Jourdaine de Bernières avait pour ancêtre un compagnon de Guillaume le Conquérant, qu’elle était la fille du fondateur du couvent et la sœur du vénéré Jean de Bernières : il est vraisemblable que Bertot ait perçu chez elle des vestiges d'orgueil. Or rien ne devait rester qui fît obstacle à la grâce : il la dirigeait donc avec la rigueur traditionnelle à l'Ermitage.  Même si, pour la rédactrice des Annales et ses sœurs, ce directeur abrupt et mal informé commettait une erreur, Jourdaine s'inclina devant la justice de cette colère :

1670 [le ms. est daté en tête de page]. La mère de Sainte Ursule [Jourdaine] étant en charge, le supérieur reçut quelques avis sur quelques points qui lui semblèrent importants où il crut que la Supérieure ne s’était pas acquittée de son devoir. Poussé d’un zèle peu réfléchi de donner des ordres qu’il croyait nécessaires, et en même temps de faire voir que là où il y allait des devoirs de sa charge, et de l’intérêt prétendu de la communauté, il n’avait égard à personne, il fit assembler les religieuses au chœur, et en leur présence, blâma la conduite de leur Supérieure à qui il fit une ferme réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées (et même scandalisées biffé) mais l’humble Supérieure, sans rien perdre de sa tranquillité ordinaire, se mit à genoux et écouta avec une paix et une douceur inaltérable tout ce qu’on voulut lui dire, sans répliquer une parole, ni pour se plaindre, ni pour se justifier des choses [210] qui lui étaient imputées, ce qui lui aurait été facile. On la vit sortir de cette assemblée plus contente que si on lui eut donné des louanges, de sorte que cette humiliation publique qui fit verser des larmes à plusieurs, n’eut point d’autre effet que de faire éclater son humilité et sa patience en nous laissant un rare exemple de sa vertu. […]

Une particulière qui avait intérêt dans l’affaire, la vint trouver, fort pénétrée de douleur, pour se plaindre de la manière dont on l’avait traitée. ‘Ma sœur, lui dit-elle, il nous faut regarder Dieu en tous événements, ne conserver non plus de ressentiment de ce qui vous touche que j’en ai de ce qui a été dit et fait à mon égard.’ […]

Elle poussa encore plus loin les preuves de sa vertu, car le jour même elle fut trouver le Supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute estime de la mère de saint Ursule qu’il n’avait eue et se reprocha fort de s’être laissé prévenir par les rapports (qu’on lui avait faits biffé). Il dit en plusieurs occasions que cette sage Supérieure s’était beaucoup mieux justifiée par son silence et sa modération, qu’elle n’aurait fait par toutes les bonnes raisons[272].

En réalité, le réseau et la renommée de Bertot s’étendaient bien au-delà du monastère de Caen. En témoigne par exemple une lettre écrite en 1667 par Mgr Pallu : ce missionnaire qui avait dressé un « projet de notre Congrégation apostolique », envoya sa rédaction aux Directeurs du Séminaire des Missions étrangères en demandant l’avis de quatre personnes dont Bertot :

Sur la Méditerranée, en vue de Candie, 3 mars 1667, […] conférez-en avec Messieurs Bertot, du Plessis et quelques autres personnes de leur esprit et de leur grâce […] [Ces messieurs devront répondre en donnant leurs avis après 15 jours de réflexion :] Priez aussi Messieurs Bertot et du Plessis et les autres auxquels vous vous en ouvrirez de m’écrire ce qu’ils en pensent… [273].  

Comme tous ses amis normands, Bertot se passionna pour l’apostolat au Canada. En témoignent deux belles lettres écrites en 1673-1674 à un dirigé canadien[274].

[Demande :] Mon très cher frère.

Il me semble que depuis la dernière retraite que je fis au mois de septembre, la lumière du fond que j’appelle lumière de vérité commence par sa réelle et secrète opération à détruire la lumière des puissances, que je croyais auparavant lumière du fond, n’en ayant pas expérimenté d’autre.

La différence que je trouve entre lui et l’autre est que la première est toujours avec un certain éclat, appui et plénitude. Il semble que l’on a toutes les choses en réalité, et néanmoins elles ne sont qu’en goût et en lumière ; mais un goût et une lumière qui paraissent si déliés et si purs, qu’on les prend pour la chose même […]

[Réponse de Bertot :] Mon très cher frère.

C’est avec beaucoup de joie que je réponds à [475] la vôtre, remarquant le progrès du don de Dieu, qui assurément est très grand, commençant de vous faire voir et de vous découvrir la lumière de vérité ou la lumière du centre, ce qui veut dire la même chose. Elle est dite lumière de vérité d’autant qu’elle découvre Dieu qui est la vérité même, et quand le manifestant, elle en fait jouir peu à peu. La lumière des puissances, quoique véritable et conduisant à la vérité, n’est pas appelée lumière de vérité, d’autant qu’elle ne donne jamais que le particulier et les moyens et non la fin.

Elle est appelée aussi lumière du centre, d’autant qu’elle peut seulement éclairer cette divine portion où Dieu réside et demeure, ne pouvant jamais éclairer les puissances, mais plutôt les faire défaillir par son étendue immense, qui tient toujours de la grandeur de Dieu, en quelque petit degré et commencement qu’elle soit. C’est pourquoi elle n’est jamais particulière, mais générale, elle n’est jamais multipliée, mais en unité, et les puissances ne pouvant avoir que du particulier ne peuvent donc la recevoir qu’en s’éclipsant et se perdant heureusement (comme les étoiles par la lumière du soleil) dans le centre, où peu à peu cette divine lumière les réduit, en s’augmentant et croissant.

Remarquez que je viens de dire qu’en quelque commencement qu’elle soit, elle est générale et totale, étant un éclat de la face de Dieu ; et cependant ce total va toujours augmentant, éclairant et développant peu à peu le centre de l’âme et la Vérité éternelle en ce centre, de la même manière que vous voyez que le soleil se levant peu à peu commence [476] par son aurore. […]

Bertot fut aussi en relation avec Marie des Vallées, qu'il cite. Voilà pourquoi certaines belles images furent transmises d’une génération à l’autre et se retrouveront dans les Torrents de Mme Guyon :

Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir, que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles [275]

Elle me disait que la Miséricorde [en note : c’est-à-dire l’âme chargée des richesses spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent ; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargée de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler [276].

D'après les correspondances entre religieuses, on sait aussi que, tout jeune, Bertot confessait le couvent de bénédictines et qu’il s’épuisait à la tâche[277]. Mectilde rapporte ici à Jean de Bernières les activités fructueuses du jeune prêtre et lui demande de le protéger contre l’excès de zèle. Cette lettre montre combien il était déjà perçu comme un père spirituel répandant la grâce autour de lui. Sa présence pleine d’amour leur manquait :

De l’Ermitage du Saint Sacrement, le 30 juillet 1645.

Monsieur, Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence [52] nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […] mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans [ici], parlant [sans] cesse, [il a] fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne [53] vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […]

Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j’ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l’un et l’autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […].

 Dans une autre lettre, Mectilde transmet le témoignage de Bertot sur la mort de Bernières :

Mon très cher et bon frère, […] Dieu nous a ravi notre cher Monsieur de Bernières, autrement dit Jésus Pauvre, le 3 du mois de mai dernier. Voici ce que M. Bertost [Bertot] nous en a écrit, vous y verrez comme il est mort anéanti, sans aucune apparence de maladie [278].

Le nom de Bertot apparaît aussi dans des lettres adressées à d’autres religieuses bénédictines. La mère Benoîte de la Passion, prieure de Rambervillers, écrit le 31 août 1659 :

Monsieur [Bertot] a dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine providence m’y fît faire un voyage afin d’y venir avec vous […] C’est un enfer au dire du bon Monsieur de Bernières, d’être un moment privé de la vie de Jésus-Christ […] il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal […] s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le-moi confidemment [279].

La mère Dorothée (Heurelle) souligne ici combien Bertot était efficace par sa seule présence :

M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection […] je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur[280].

… à Montmartre    

Bertot garda toujours un lien fort avec le groupe de l’Ermitage : c’est ainsi qu’en 1673 ou 1674, il fut chargé de régler l’affaire compliquée de Jean Eudes attaqué par ses anciens confrères oratoriens. Mais parallèlement à toutes ces occupations, dans la dernière partie de sa vie, il lui fut donné une charge très importante : à partir de 1675, il fut nommé confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre. L’intensité de sa présence attira des laïcs adonnés à l’oraison à qui il put transmettre les profondeurs spirituelles de l’Ermitage. 

Le lieu était à cette époque isolé de l’agglomération parisienne :

 Montmartre : 223 feux, y compris ceux de Clignancourt. Ce village est sur une hauteur, au nord, près d’un faubourg de la ville Paris [sic] auquel il donne son nom […] La chapelle des martyrs […][possède] une statue de St Denis en marbre blanc. C’est l’endroit où l’on croit qu’il fut enterré avec ses compagnons. On a beaucoup de vénération pour ce lieu, et l’on y voit presque toujours un grand concours de peuple ; le monastère est également vaste et beau, bien situé et accompagné de jardins d’une grande étendue.  L’abbesse est à la nomination du roi. Dans le village est une église paroissiale dédiée à St Pierre [281].

Bertot et Mme Guyon ont probablement aimé la vue qui s’offrait à leurs yeux :

En parcourant le tour de la montagne [sic], on jouit d’une vue très belle et très agréable ; on découvre en plein la ville de Paris, l’abbaye de St Denis et quantité de villages. Les environs sont remplis de moulins à vent. Il y a beaucoup de carrières, dont on tire continuellement le plâtre pour la consommation de Paris […] on trouve assez fréquemment au milieu de cette masse de gypse, des ossements et vertèbres de quadrupèdes qui ne sont point pétrifiés, mais qui sont déjà un peu détruits, et sont très étroitement enveloppés dans la pierre... [282].

Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine fondée en 1133 avait été central : sa réforme mouvementée avait eu lieu au début du siècle avec l’aide de Benoit de Canfield, et Bertot a dû souvent entendre évoquer les souvenirs de cette refondation haute en couleurs[283]. Il a pu connaître la réformatrice, madame de Beauvilliers, morte en 1657 [284], et il a certainement lu attentivement l’opuscule qu’elle composa pour ses religieuses, paraphrasant Benoît de Canfield[285] pour en rendre la lecture plus facile.

A l’époque de Bertot, en ces temps moins troublés, Françoise-Renée de Lorraine en était l’abbesse[286] très cultivée :

Madame de Guise dirigea l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur Valant, le médecin de madame de Sablé et de toute la société précieuse en même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort galamment tournés[287].

C’est lors d’un voyage à Paris que Bertot lui fut présenté :

Quand il fut prêtre, il devint directeur des dames Ursulines et la communauté le députa pour aller à Paris à cause des affaires qu’elle avait avec feu Mr Du Four abbé d’Aunay. Ce voyage lui procura l’honneur de la connaissance de Madame l’Abesse [sic] de Montmartre et de son altesse royale Mademoiselle de Guise [288].

Elles étaient très attirées par la mystique et furent touchées par la profondeur de Bertot, dont l’enseignement ne tarda pas à se répandre non seulement à l’intérieur du couvent mais aussi chez les laïcs liés à l’abbaye. L’amitié des Guise le fit connaître du milieu « dévot » de la Cour :

Monseigneur le duc de Guise le considérait beaucoup, aussi bien que Mr de Noailles, Mr le duc de St Aignan et Mr le duc de Beauvilliers [289].

Ce petit groupe de spirituels était d’ailleurs fort estimé par Louis XIV pour sa moralité et son honnêteté : Chevreuse fut conseiller particulier du roi, Beauvilliers conserva des années la responsabilité des finances royales, Fénelon fut nommé précepteur du Dauphin.

 Bertot devint le « conférencier très apprécié de l’aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert [290] ». Peu à peu se constitua autour de lui un cercle spirituel dont l’activité est attestée par la publication des deux volumes de schémas de retraites, probablement notés par des auditeurs et imprimés sous l’impulsion de l’abbesse. Ces témoignages furent suivis d’une intéressante mise au point par Bertot lui-même sous le titre Conclusion aux retraites, publiée en 1684 et également destinée à Madame de Guise.

Saint-Simon, toujours précisément informé par ses amis les ducs de Chevreuse et Beauvilliers, connaissait l’existence de ce groupe qu’il surnommait, avec son ironie habituelle, le « petit troupeau » :

[On pouvait] entendre un M. Bertau [sic] à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait [291].

Comme toute la Cour, il observait avec étonnement les relations qui régnaient entre les membres de ce groupe qui ne pensait qu’à la mystique (10 janvier 1694) tout en faisant partie de la Cour :

[Mme Guyon] ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic], qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école [292].

    Saint-Simon note aussi le rôle important joué par la duchesse de Béthune, autre dirigée de Bertot, avant que Madame Guyon n’arrive et ne rassemble le groupe autour d’elle :

Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau [sic] qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite [293].  µ remanier les deux notes !

Enfin, la vie de la Cour étant continuellement espionnée par la police, nous possédons le témoignage important d’un informateur à qui Mme de Maintenon, future grande ennemie de Mme Guyon, avait demandé un rapport de surveillance. Ce texte malveillant et moqueur date de 1695, mais mentionne Bertot : on y décrit l’engouement pour l’oraison chez les laïcs qui accouraient à Montmartre. Est mise aussi en lumière l’activité de Bertot chez les Nouvelles Catholiques, où l’on rééduquait les jeunes protestantes (Mme Guyon et Fénelon s’y intéresseront)[294]. Le lecteur appréciera le parfum d’enquête policière qui se dégage de ce document par ailleurs fort bien informé [295] :

[f° 2v°] Si cette doctrine [le quiétisme] a eu cours ou non, si elle fut étouffée alors, ou si elle s’est perpétuée par le dérèglement de quelques misérables prêtres ou religieux, c’est ce que je ne puis dire. Il y a plus de vingt ans que l’on voit à la tête de ce parti Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre, qui mourut en 1679 ou [16]80. […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait, de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l’intérieur par écrit courait la campagne.

 Mr B[ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu’elles n’entendaient pas. Les sœurs n’y assistaient pas, les supérieurs de cette maison ne voyant rien d’ouvertement mauvais ne les empêchèrent pas. Les ouvrages de cet homme tant imprimés que manuscrits sont en grand nombre, je ne sais pas précisément quels ils sont. Madame G[uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou cachée.  Quoique j’ai bien du respect pour Madame de Charost, je crois vous devoir avertir qu’il faut y prendre garde. […] [f° 39v°] On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu’on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Madame Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. Les Nouvelles Catholiques n’y assistaient pas, elles pourront néanmoins en dire quelque chose. Madame la duchesse d’Aumont et Madame la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu’il disait que c’était sa fille aînée. […]

Mais malgré la surveillance et le manque de liberté de conscience, le cercle mystique résistera à toutes les intimidations, à l’hostilité de Mme de Maintenon et de l’Eglise. Regroupé autour de Madame Guyon, il survivra longtemps après la mort de son fondateur.

M. Bertot disparut prématurément à 59 ans à Paris le 28 avril 1681. Le duc de Beauvilliers fut son exécuteur testamentaire :

  11e septembre 1684, Transaction devant les notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot : […] on célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès arrivé le 28 avril 1681 pour repos de son âme avec une basse messe de Requiem tous les premiers mardy de chaque mois où les pauvres dud[it] hopital assisteront… » [296].

Ses écrits ont cheminé sous la sauvegarde de gens sûrs : après le duc de Beauvilliers, une religieuse de Montmartre, puis le franciscain Paulin d’Aumale, qui les remit à la duchesse de Charost[297] 

7 juillet 1694. Il y a environ dix ans que Dieu m’ayant donné la connaissance de madame la duchesse de Charost, par une visite qu’elle me fit l’honneur de me rendre dans notre église, à l’occasion de quelques manuscrits de feu M. l’abbé Bertot, qu’une religieuse de Montmartre, nommée Madame de Saint-André, m’avait chargé à sa mort de lui remettre entre les mains […] je l’allais voir chez elle…[298]

Ces manuscrits parvinrent finalement à Madame Guyon. On peut supposer qu’elle disposait également de lettres confiées à des proches : quand elle sortit de la Bastille, tous ces écrits furent préparés pour l’édition. Le Directeur Mistique fut enfin édité en 1726 par Poiret et ses amis : le titre témoigne de la grandeur de Bertot et de son exemplarité.

 M. Bertot consacra sa vie à la direction spirituelle. Grâce aux rares confidences qui s’échappent au fil des lettres recueillies dans Le Directeur Mystique, on sait que ce rôle ne fut pas assumé par volonté personnelle :

Les affaires sont un poison pour moi et une mort continuelle qui ne fait nul bien à mon âme, sinon que la mort, de quelque part qu’elle vienne, y donne toujours un repos. Mais je n’expérimente pas que cela soit ma vocation ; et ainsi ce repos n’est pas de toute mon âme, mais seulement de la pointe de la volonté [299].

C’est ainsi qu’il confie à Mme Guyon :

Je serais bien confus d’être si longtemps sans vous répondre, si Notre Seigneur n’était par sa bonté ma caution. En vérité Il me détourne tellement des créatures que j’oublie tout, volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée bien étrange que de me mettre la main à la plume, tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée, il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un instrument dont on joue ou, si vous voulez, comme un luth qui ne dit rien ni ne peut dire mot que par le mouvement de Celui qui l’anime. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose, ce qui fait que je suis fort consolé qu’il se trouve des serviteurs de Dieu pour aider aux autres afin que je demeure dans ma chère solitude en silence et en repos. Ne vous étonnez donc pas que je sois si longtemps à répondre à vos lettres[300].

M. Bertot a enfanté de nombreux enfants spirituels et son rôle fut immense : il succéda à Bernières en tant que père spirituel à l’Ermitage, mais surtout il assura le passage de la mystique de l’Ermitage vers le monastère de Montmartre et les laïcs qui gravitaient autour.

Il avait demandé à Madame Guyon de prendre ses enfants spirituels en charge. La publication du Directeur Mystique avec son Avertissement, qu’elle rédigea probablement, atteste sa reconnaissance envers ce père spirituel vénéré.


 

Une voie mystique. 

Les textes rassemblés dans ces quatre tomes situent M. Bertot dans la tradition chrétienne la plus profonde, comme le montrent ses conseils de lecture :

Tant de livres ont été faits par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres […] Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur et une infinité d’autres […][301].

Le livre de la Volonté de Dieu [la Règle de Perfection] de Benoît de Canfeld peut beaucoup servir [302].

Remplis de ferveur, les écrits de Bertot ne parlent pas de théologie, mais sont le témoignage d’une longue pratique purement mystique. Aucune sentimentalité ne s’exprime, mais sous une apparence de maîtrise calme, se révèle un être brûlant d’amour pour Dieu, qui presse son interlocuteur d’abandonner tout ce qui est humain pour se tourner vers ce que Dieu est.

Ce qui l’intéresse, c’est Dieu même, où il n’aspire qu’à se perdre. Parlant des âmes englouties en Dieu, il s’écrit :

… une [telle] âme serait extrêmement heureuse si elle ne se pouvait pas retrouver. Mais, ô malheur ! elle se retrouve incessamment par les créatures et par les faiblesses ! Mais aussi elle peut incessamment se perdre, comme nous perdons et retrouvons incessamment la lumière du soleil en clignant les yeux à tout moment par faiblesse et aussitôt les rouvrant tout de nouveau pour jouir de la lumière du soleil[303].

Le Directeur mystique nous mène de la découverte de l’intériorité à l’établissement dans l’unité, de la désappropriation de soi à la renaissance d’une vie nouvelle. L’âme lâche petit à petit tout ce qui n’est pas Dieu, se laisse couler dans l’abîme divin, non par son action mais attirée par Dieu en son fond. Bertot ne s’intéresse pas aux extases ou aux « lumières » : il n’en méconnaît pas les joies, mais conseille de ne pas s’y attarder pour vivre dans la foi nue.

 Ce passage du Directeur mystique résume le chemin, sa grande expérience lui permettant d’aller droit à l’essentiel de chaque étape :

 Il y a quatre degrés en la vie spirituelle, et par lesquels l’âme est conduite en cette vie.

Le premier est celui des bonnes lumières et des bons désirs […] méditation […] oraison d’affection […] Leur devoir proprement n’est que d’éclairer le parvis et le dehors de l’âme ; quoique véritablement il semble (347) à l’âme qui y est, qu’elle est beaucoup éclairée au dedans et que c’est tout ce qu’elle peut faire de bon que d’avoir toutes ces lumières et ces bons désirs. Mais cependant tout ce que ce degré d’oraison peut faire, c’est de faire mourir […] aux affections grossières des créatures, de faire désirer et aimer Dieu […] beaucoup selon qu’il paraît à l’âme mais peu en effet […]

Le second […] est l’oraison passive en lumière, qui n’est autre chose qu’une quantité de lumières divines données de Dieu dans les puissances ; et leur effet particulier est de les purifier, en leur faisant voir la beauté […] L’âme croit être à la fin de la journée quand elle est ici, parce qu’elle voit quantité de belles choses que l’esprit comprend. […] Et il est vrai que quantité de grands serviteurs et servantes de Dieu n’ont point passé cet état et sont en bénédiction devant Dieu. Mais ce qui arrive ensuite à quelques âmes fait bien voir qu’il y a encore des degrés à monter et que l’on n’est encore arrivé qu’au parvis du temple, que l’on ne s’est pas (348) encore mortifié ou que même on n’a pas commencé à se mortifier, et que l’on a seulement un peu essuyé les balayures du parvis, mais que pour entrer au dedans et dans l’intérieur du temple, il faut mourir. […]

Ce troisième degré est commencer à entrer dans l’intérieur du temple, je veux dire de Dieu même ; et pour cet effet Dieu lui soustrait ses lumières, ses goûts et les désirs de Lui. […] Elle se débat et fait des efforts pour donner ordre à ce malheur […] C’est une divine lumière obscure et inconnue qui est (349) donnée à l’âme dans le fond et non dans les puissances, qui fait évanouir votre première lumière qui était dans les puissances et fait voir ainsi leur vie et malignité. […] Comme la première lumière des puissances faisait voir les ordures du dehors […] celle-ci fait voir la vie et la saleté de la créature. […] Comme les effets de la première lumière étaient de remplir et de nettoyer, les effets de celle-ci sont de vider et de faire mourir. Quand donc on est instruit de ceci, on se tient passif et l’on souffre son opération […] (350) Que doit faire une personne en cet état ? Rien que de mourir passivement. Car cette divine lumière obscure lui fera voir et sentir les péchés de son âme, l’impureté de ses puissances, l’éloignement que le fond de son âme a de Dieu ; elle lui fera expérimenter jusqu’aux moindres défauts et sera pour elle une continuelle gêne et obscurité, jusqu’à ce qu’elle ait tout fait mourir en elle. […]

Mais peut-être me direz-vous : « Afin d’avancer cette mort, dites-moi à quoi je dois mourir ? » Ce n’est pas vous, chère soeur, qui vous devez faire mourir, c’est Dieu qui a pris possession du fond de votre âme. Soyez donc comme un agneau à qui l’on coupe la gorge […] Après un long temps de mort et que l’âme y a été bien fidèle et y a bien souffert ce qui ne se peut dire, par la purification de son (351) intérieur selon toutes ses parties, mais comme en bloc et en confusion, car la lumière y est générale, Dieu lui ôte encore toute la dévotion qu’elle avait […] Ce qui est bien plus, elle avait parfois recours […] à quelques applications intérieures par actes ; mais présentement sans savoir comment, elle commence à avoir scrupule quand elle les fait, il lui paraît que ce n’est que pour se délivrer du tourment qui la presse ; et de plus elle y découvre tant d’impuretés et que ce n’est point Dieu qui en est le principe et cela elle le sent. […] Elle se résoud à être tout à fait perdue et à mourir à tout : il faut tout perdre et ainsi se résoudre à tout quitter […]

 (353) L’exemple des autres âmes lui est quelquefois une bonne croix, quand elles sont bien dans la vertu et qu’elle ne s’y voit pas, elle qui marche une autre voie ; elle en voit quelquefois de si calmes et cependant elle est si émue ; elle les voit si patientes et elle est si prompte […] Elle voudrait y apporter quelque chose pour y remédier et elle sait qu’il ne le faut pas. Les mains lui démangent qu’elle ne travaille et n’ajuste tout et parfois y fait-elle quelque chose mais sa peine est augmentée car elle voit bien que c’est par elle-même et ainsi elle voit fort bien son amour-propre. Elle se résout donc de plus en plus à mourir et de se laisser ainsi tuer toute vive et malgré elle. […]

[Quatrième degré :] (380) C’est pour lors que l’on découvre cette beauté admirable de notre âme dans sa ressemblance avec Dieu : « Vous avez gravé en nous et sur nous la beauté de votre visage ». Et un pauvre paysan[304] […] vous dira des merveilles de l’unité de Dieu […] (381) Il voit dans son âme comme dans une glace cette unité divine et dans l’opération de ses puissances revivifiées...[305]

Ce chemin est universel, et nous l’avions vu décrit par Bernières. Bertot affirme avec simplicité et sans détour la réalité d’un état permanent en Dieu vers lequel il appelle ardemment à se diriger sans s’arrêter en route. Le Directeur mystique s’achève sur la description de ce dernier état où l’âme « ne désire rien plus que ce qu’elle a ». Voici en entier cette admirable lettre 81[306], où Bertot arpente les sommets de la vie intérieure : 

Le dernier état d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix et d’un repos de l’âme dans son fond, qui peu à peu se perd et s’anéantit, allant toujours en diminuant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de sensible et de perceptible de Dieu en [259] elle. Au contraire elle reste et demeure dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nue, ne sentant plus rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages sensibles de Sa présence et de Ses divines opérations, et ne jouissant plus de la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte une disposition qui est très simple, et jouit d’une très grande tranquillité et sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel serein. Et dans cet état il ne paraît plus à l’âme ni haut ni bas, ne se trouvant aucune distinction ni différence entre le fond et les puissances, tout étant réduit dans l’unité, simplicité et uniformité, et comme une chose sans distinction ni différence aucune.

Et bien plus, elle n’a plus de chez soi, c’est-à-dire elle n’a plus d’intérieur, n’étant plus retirée, ramassée, recueillie et concentrée au-dedans d’elle-même ; mais elle est et se trouve au-dehors dans la grande nudité et pauvreté d’esprit dont je viens de parler, comme si elle était dans la nature et dans le vide. D’où vient qu’elle ne sait si elle est en Dieu ou en sa nature. Elle n’est pourtant pas dans la nature ni dans le vide réel, mais elle est en Dieu qui la remplit tout de Lui-même, mais d’une manière très nue et très simple, et si simple que Sa présence ne lui est ni sensible ni perceptible, ne paraissant [260] rien dans tout son intérieur qu’une capacité très vaste et très étendue.

Dans cet état, l’âme se trouve tellement contente et satisfaite qu’elle ne souhaite et ne désire rien plus que ce qu’elle a, parce qu’ayant toujours Dieu et étant toute remplie et possédée de lui dans son fond, quoique d’une manière très simple et très nue, cela la rend si contente qu’elle ne peut souhaiter rien davantage.

[Enfin] L’âme se trouve comme si elle était dissoute et fondue, ainsi qu’une goutte de neige qui serait fondue dans la mer, de manière qu’elle se trouve devenue comme une même chose avec Dieu. Dans cet état il n’y a plus ni sécheresses, ni aridités, ni goût, ni sentiment, ni suavité, ni lumière, ni ténèbres, et enfin ni consolation ni désolation, mais une disposition très simple et très égale.

Il est à remarquer que quand je dis qu’il n’y a plus de lumière en cet état, j’entends des lumières distinctes dans les puissances. Car l’âme, étant en Dieu, est dans la lumière essentielle, qui est Dieu même, laquelle lumière est très nue, très simple et très pénétrante, et très étendue, voyant et pénétrant toutes choses à fond comme elles sont en elles-mêmes : non d’une manière objective, mais d’une manière où il semble que toute l’âme voit, et par une lumière confuse, générale, universelle et indistincte, comme si elle était devenue un miroir où Dieu Se représente et toutes choses en Lui. L’âme se trouve comme dans un grand jour et dans une grande sérénité d’esprit, sans avoir rien de distinct et d’objectif dans les puissances, [261] voyant, dis-je, tout d’un coup et dans un clin d’œil toutes choses en Dieu.

Cet état est appelé état d’anéantissement premièrement parce que toutes les lumières, vues, notions et sentiments distincts des puissances sont anéantis, cessés et comme évanouis, si bien que les puissances restent vides et nues, étant pour l’ordinaire sans aucune vue ni aucun objet distinct. Néanmoins l’imagination ne laisse pas de se trouver souvent dépeinte de quelques espèces qu’elle renvoie à ces autres puissances et qui les traversent de distractions ; mais ces distractions sont si déliées, qu’elles sont presque imperceptibles, et passent et repassent dans la moyenne région, comme des mouches qui passent devant nos yeux, sans qu’on les puisse empêcher de voler.

Secondement cet état est aussi appelé état d’anéantissement parce que toutes les opérations sensibles et perceptibles de Dieu sont cessées et comme évanouies. Et même cette paix et ce repos sensible qui restai[en]t en l’âme après toutes les autres opérations sensibles, tout cela, dis-je, est anéanti. L’âme demeure nue et dépouillée de tout cela, sans avoir plus rien de sensible ni de perceptible de Dieu, se trouvant en cet état toujours dans une grande égalité et dans une disposition égale, soit en l’oraison, soit hors de l’oraison, dans une disposition intérieure très nue sans rien sentir de Dieu, si ce n’est dans certains intervalles, mais rarement.

 D’où vient que la plupart des personnes qui sont dans cet état, ne font plus guère d’oraison parce qu’elles ont toujours Dieu et sont toujours en Dieu, étant comme je viens de dire, toujours en même état, dans l’oraison comme [262] hors de l’oraison. Et comme elles sont pour l’ordinaire dans une grande nudité intérieure, cela fait qu’elles pourraient bien s’ennuyer dans l’oraison si le temps était trop long. Mais il faut surmonter toutes les difficultés et y donner un temps suffisant, lorsqu’on est en état de le faire.

Il est à remarquer encore que, bien que ces âmes se trouvent pour l’ordinaire dans une égale disposition intérieure, c’est-à-dire toujours égales dans leur fond et toujours dans cette disposition très nue et très simple, il se passe néanmoins de temps en temps de certaines vicissitudes et changements de dispositions en leurs sens, et même leurs puissances se trouvent quelquefois émues et agitées par quelque sujet de peine. Pendant ces vicissitudes et agitations, elles ne laissent pas de demeurer en paix en leur fond, ce qui se doit entendre d’une paix nue, simple et solide.

Enfin, en cet état, Dieu est la force, l’appui et le soutien de ces âmes dans ces occasions de souffrances, de peines et de contradictions qui leur arrivent, leur donnant la force et la grâce de les porter en paix et tranquillité, non en les appuyant et soutenant sensiblement comme dans l’état précédent, mais en leur donnant une force secrète et cachée pour soutenir ainsi en paix et tranquillité ces souffrances, peines et contradictions. Ce qui est une marque infaillible que ces âmes sont à Dieu, car si elles n’étaient que dans la nature, elles n’auraient pas cette force de souffrir.

Cependant la nature ne laisse pas de ressentir quelquefois des peines et contradictions, et leurs puissances, surtout l’imagination, ne laissent pas comme je viens de dire [263] de demeurer durant quelque temps dépeintes et agitées de ces peines. Mais Dieu les soutient par une vertu et une force secrète en nudité d’esprit et de foi, si bien qu’elles souffrent et supportent tout avec paix et tranquillité d’esprit. Car quoique leurs puissances et leurs sens soient dépeints de leurs sujets de peine et que cela les émeut et agite, néanmoins elles demeurent en paix dans leur fond sans fond et dans une paix sans paix, c’est-à-dire dans une paix qui n’est plus sensible, mais nue, simple et solide : c’est comme un certain calme repos et tranquillité de toute l’âme.

Enfin l’état et la constitution ordinaire[s] de ces âmes est de ne rien voir de distinct dans leurs puissances et de ne rien sentir dans leur intérieur de sensible de Dieu, ni de Ses divines perfections, opérations, écoulements, infusions, influences, goûts, suavités ni onctions, et de se trouver dans cette grande nudité d’esprit sans autre appui ni soutien que la foi nue. Mais quoiqu’elles ne voient rien de distinct, elles voient néanmoins toutes choses en Dieu et, quoiqu’elles ne sentent rien, qu’elles ne goûtent rien, qu’elles ne possèdent rien sensiblement de ces divins écoulements, néanmoins elles ont et possèdent réellement Dieu au-dedans d’elles-mêmes.

Dans cet état ces âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté à la conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’il voudra pour le temps et pour l’éternité ; et bien qu’elles ne soient plus en état d’en faire des actes sensibles, elles ne laissent pas d’être abandonnées, ne désirant jamais rien que ce que Dieu voudra, ni [264] vie ni mort. Elles ne pensent à rien, ni au passé ni à l’avenir, ni à salut ni à perfection ni à sainteté, ni à paradis ni à enfer ; et elles ne prévoient rien de ce qu’elles doivent faire et écrire dans les occasions qui ne sont pas arrivées, mais laissent tout cela à l’abandon. Et quand les occasions se présentent d’écrire, de dire ou de faire quelque chose, alors Dieu leur fournit ce qu’elles doivent dire et faire, et d’une manière plus abondante, féconde et parfaite qu’elles n’auraient jamais pu prévoir d’elles-mêmes par leur prudence naturelle.

Enfin dans cet état ces âmes jouissent d’une grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi pour parler dans l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent sans réflexion et comme par un premier mouvement et impulsion qui les y porte et entraîne.

Ces âmes ne laissent pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur état, car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet pas qu’elles manquent à rien de leurs obligations.

Sa « fille spirituelle ».

La plus grande des disciples de M. Bertot fut la jeune Mme Guyon. On voit à cette occasion combien les relations entre personnes sont importantes. Les « aînés » sont au service des « novices » et le réseau d’amis devient particulièrement actif lorsqu’il s’agit d’aider un jeune : le « bon père franciscain » Archange Enguerrand éveille la jeune femme à la vie intérieure[307] et lui fait rencontrer la Mère Granger[308]. Celle-ci prend en charge la très jeune femme[309] qui a ainsi la chance d’être en contact avec une grande ancienne (née avant Bernières en 1600).  A son tour la Mère Granger (qui mourra en 1674) veille à ce que Mme Guyon soit aidée par un grand directeur : M. Bertot.

Mme Guyon lui fut présentée le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire. La Providence veillait visiblement à ce que cette rencontre se fasse :

 […] je dirai que la petite vérole m'avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B[ertot] que la M[ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M[ère] G[ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargeois] m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait impossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois [310].

Les instructions de Bertot furent plus simples que les trente points de Chrysostome pour Mectilde. Un décalogue suffit, qui va droit à l’essentiel dans un style incisif et remarquablement clair. Loin de l’ascétisme courant à l’époque, tout est intérieur ; loin de toute exaltation, on est dans le réel et la simplicité. Bertot connaît le redoutable inconvénient des scrupules d’un Bernières ou de l’ascétisme de Port-Royal : être obsédé par la perfection de soi-même. Plein d’amour et de douceur, il n’impose donc aucune culpabilité, ce qui est rare. Par contre, il met son interlocutrice devant l’exigence fondamentale de la mystique, ne s’arrêter à rien qui ne soit Dieu :

Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.

 Lisez et relisez souvent ceci ; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous.  […]

 1. […] Si le bon Dieu vous donne des lumières […] vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner ; et si votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre simple occupation.

2. Continuez votre oraison quoique obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.

3. Conservez doucement ce je ne sais quoi qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme ; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.

4. Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à y réfléchir par scrupule ; mais souffrez la peine qu’elle vous cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.

5. Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. […]

6. Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter […]

7. Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état […] en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants […]

8. Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but […] Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.

9. Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira.

10. Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié […] oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes. […][311].

Avec amour et douceur, il va la pousser toujours plus loin, au repos en Dieu, ce qui signifie abandonner tout par amour pour Dieu :  

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure ; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses au-dedans et au-dehors de Sa divine essence, Il agit toujours, et Se repose toujours. De même vous devez vous reposer sans cesse et agir néanmoins doucement et paisiblement, quoique fortement, pour tendre toujours à Dieu et au néant dans la simplicité et unité. Ce repos ne doit point interrompre cette action, ni l’action votre repos : c’est là dormir et veiller, agir et se reposer ; et c’est ce que Dieu demande de vous.

Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une, c’est-à-dire dépouillée de toutes choses, simplement toute telle que vous êtes, seule sans idée, et ramassée dans l’unité d’une seule chose, d’une seule pensée, d’une seule affaire :  une à un Dieu, une en Dieu, enfin un Dieu, et après cela plus rien, ni de vous, ni des créatures, mais Dieu seul, Dieu seul en qui tout doit être perdu et abîmé pour le temps et pour l’éternité. N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais. Qu’il en soit de même de tout ce qui n’est point Dieu seul[312].

Il lui écrit parfois non seulement sur le plan personnel mais pour lui transmettre son expérience de la voie en général. Par exemple, il décrit ici la découverte du centre de l’âme et la joie qui en découle. S’il appelle sans cesse à dépasser les états du début, on va voir qu’il en connaît fort bien les joies :

Il est à remarquer que Dieu est le centre de notre âme de telle manière, qu’en quelque lieu qu’elle soit, et à quoi qu’elle puisse être occupée hors de là, elle ne peut trouver son centre. Qui dit centre de l’âme, dit son lieu de repos véritablement naturel, et pour lequel elle est créée : si bien que qui dit le centre, dit son repos, sa joie, sa liberté, et véritablement une dilatation d’âme, qui fait bien juger que ce que l’on a, et où l’on est, est son centre véritable, et que tout autre lieu, tout autre situation, et généralement tout ce que l’on peut avoir, n’est que étranger à l’âme. Elle peut bien de fois à autre y trouver quelque petite satisfaction passagère : car n’y ayant rien dans la terre qui ne soit créé de Dieu, il n’y peut rien avoir par conséquent, [424] où l’âme ne trouve quelques vestiges de Sa beauté ; mais passagèrement, car n’étant pas créée pour ces miettes et pour ces parcelles, mais bien pour Dieu lui-même, elle n’y peut trouver que des plaisirs fort médiocres et fort passagers. […]

Cela donc supposé, il est certain que Dieu étant le centre de toute notre âme, l’âme arrivera à Lui par la mort et par conséquent par l’éloignement des créatures, pour peu que cela [425] soit, commence à y trouver une joie qu’elle a cherchée sans pouvoir la rencontrer ; mais qu’elle commence à trouver non passagèrement, comme j’ai dit, que l’on en trouve dans les bonnes et saintes créatures, mais avec quelque permanence. Ce qui donne beaucoup de satisfaction, d’autant que l’on sait bien que l’on a de la joie solidement ; mais sans savoir d’où elle vient ni comme elle vient. On que c’est seulement que tout donne de la joie, et que pour être en oraison, et pour être bien, il suffit à l’âme d’être en joie et en satisfaction.

De là naît une certaine dilatation de cœur qui met l’âme bien plus au large, la rend plus étendue et bien plus maîtresse qu’elle ne l’avait jamais été. Et enfin le particulier s’ôte, et le général est donné, où l’âme trouve bien plus de plaisir et de satisfaction qu’elle n’a jamais trouvé dans tout ce qu’elle pouvait faire, quelque grand qu’il fût. L’âme ne se plaît ici qu’au général, et le particulier et le distinct lui est une grande peine.

Cependant et très souvent se voyant si générale, si dilatée, si libre et si en repos, il lui passe des peines en l’esprit, que tout cela ne soit trop naturel et même le naturel et qu’ainsi elle ne fasse pas oraison. Qu’elle ne s’embarrasse pas, car Dieu étant le centre de notre âme, Il est vraiment son lieu naturel ; et si ce petit commencement de jouissance de Dieu dans son centre paraît naturel, il l’est vraiment ; d’autant qu’il n’y a rien de plus naturel à notre âme que Dieu comme centre. Il ne l’est pas, comme l’on appelle les choses naturelles pour s’y reposer comme créature et en faire sa fin ; car cette joie, cette dilatation et ce général [426] qui commence à l’arrivée du centre, est en l’âme pour la faire sortir d’elle-même et la faire toujours aller en repos et en perte, pour trouver Dieu plus amplement ; ce qu’elle fait en se quittant soi-même par l’augmentation de cette joie, de cette dilatation et de ce général qui n’a non plus de fin dans l’âme que Dieu en peut avoir.

[…] plus elle sera et plus longtemps dans ce général et cette dilatation, quoiqu’elle n’y voit pas de particulier, ni tant de mouvement, elle y expérimentera pourtant une fécondité qui la nourrira tout autrement qu’elle n’a fait autrefois ; et ce n’est proprement que par là que commence la fécondité et la nourriture en l’âme. Car n’étant créée que pour Dieu, il n’y a que ces choses générales en joie et dilatation où elle trouve du pâturage et le solide véritable ; ce qui est un commencement de foi tout autre, tout contraire et tout différent de [427] la manière de la créature corrompue et rejetée de Dieu parmi les créatures, où elle ne se peut nourrir, et où elle ne trouve que le particulier, le distinct, et ainsi est contrainte de faire comme les poules, lesquelles prenant une petite gorgée d’eau, lèvent la tête pour l’avaler et de cette manière réitèrent selon la nécessité. […] il semble que ce soit fainéantise ; et cependant c’est un travail solide, auquel il faut par nécessité parvenir pour rencontrer Dieu dans Son centre.

Comme ce commencement d’expérience du centre change beaucoup l’âme et son opération pour ce qui est de l’intérieur et à l’égard de Dieu, il le change encore autant pour ce qui est du dehors, et pour l’emploi auquel Il nous appelle. Car il est certain que l’âme mourant à soi, sent peu à peu qu’elle est soulagée dans ces croix, dans ces emplois, et dans tout le reste qu’elle a à ménager, et que son intérieur étant plus en joie, plus dilaté et plus général, elle est aussi plus en liberté, plus forte et généralement commence à être changée, pour mieux faire ce qu’elle doit dans son état ; ses défauts se minent insensiblement, et elle trouve ouverture pour s’en défaire, mais cela à l’aise et avec facilité ; et enfin elle se voit commencer une autre capacité pour aimer et pour converser ; ce qu’elle n’avait [428] autrefois qu’avec embarras ; elle voit enfin que n’ayant rien ou qu’une seule chose, elle se trouve améliorée et changée pour tout. Où l’âme commence à comprendre que Dieu venant en elle, et elle s’écoulant vers son centre en mourant à soi, elle commence à trouver tout bien, tant intérieurement qu’extérieurement. Car il n’est pas concevable, sinon par expérience, comment […] toutes choses s’ajustent et s’arrangent merveilleusement bien […][313]

Cette voie est exigeante : il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on fait le choix de Dieu, on sacrifie tout, y compris soi-même, par amour de Lui. Cette mort à soi-même s’accomplit au milieu de la vie :

Vous avez observé une chose de grande conséquence que, dans l’état où vous êtes, l’oraison et la solitude, soit intérieure soit extérieure, ne vous sont qu’une aide pour vous approcher de plus en plus de Dieu, mais que les occasions où vous avez à mourir, à vous rabaisser et à vous écraser sont l’essentiel et le plus nécessaire que vous devez cultiver et rechercher de tout votre cœur. […] Cette vraie mort de soi par toutes les petites rencontres de son état est une vraie fonte où l’on prend toutes les figures, et en vérité je puis dire que par ce moyen divin de mort on peut faire plus en un jour que l’on en fait en plusieurs années[314].

Il ne faut pas perdre son temps : Bertot secoue les disciples qui s’enlisent dans un état car, par expérience, il sait qu’il y a tellement mieux ! La marque personnelle de Bertot est sa soif inextinguible de Dieu : ce qu’il veut, c’est le face à face avec Dieu et en être dévoré. Il tend toujours plus loin avec une hardiesse impressionnante et ne se satisfait de rien moins que l’infini :

[…]  je ne crois pas que nous devons jamais nous borner ni nous arrêter à quoi que ce soit. C’est pourquoi, afin d’être plus infini, il faut toujours passer au-delà de toute vue, de tout sentiment et de tous dons, car l’âme qui s’arrête à quelque chose, quelque sainte et divine qu’elle puisse être, s’arrête toujours à quelque chose de créé et par conséquent bornée et finie, au lieu que l’infini doit être notre fin.

Ah que pour aller au-delà de tout, il faut bien dire : rien, rien ! C’est à force de n’être rien que l’on trouve l’infini puisque l’on trouve Dieu : car je passe au-delà de tout ce que je pense, même de Dieu et de tout ce que les savants en ont dit. Au-delà de tout ce qui est concevable, alors je tombe dans une négation de tout le créé et de tout le créable. Et où suis-je pour lors ? En Dieu. Mais je ne sens, je ne vois rien ? Si vous sentiez et conceviez quelque chose de Dieu, vous seriez dans le créé et non pas dans l’incréé, dans le fini et non pas dans l’infini.

Allons donc au-delà de tout, à force d’être néant et vide de tout ce qui n’est pas Dieu seul.  Ne faisons pas même cas des pensées et des beaux sentiments que nous avons de Dieu, parce que tout cela n’est pas Dieu. Tout ce qui est en nous est moins que rien. Il y a bien de la différence entre ce qui est de Dieu et ce qui est Dieu en Dieu. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, mais en nous ce qui est de Dieu n’est pas Dieu. Allons donc au-delà de tout ce qui est de Dieu en nous-mêmes, pour entrer en Dieu Lui-même[315].

Certaines phrases sont mystérieuses. Que veut-il dire quand il lui écrit dans son décalogue : « Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement », et dans la lettre 75 que nous avons citée : « Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. » ?

    Bertot semble être le premier dans cette voie à avoir compris que la grâce passait à travers lui. Il en parle ouvertement, en tous cas à Mme Guyon, une interlocutrice privilégiée. Bernières avait peut-être expérimenté cette union avec ses amis à l’Ermitage, mais ce n’est jamais dit explicitement.Tandis que Bertot a pris conscience que la grâce passe à travers lui, qu’il peut porter ses amis et disciples dans ses prières, et leur permettre ainsi d’aller vers Dieu plus rapidement (« promptement ») que par leurs propres moyens. Il sait qu’il peut faire partager son propre état spirituel, plus avancé, et les faire plonger en Dieu en unité avec lui. C’est cela qu’il révèle à Mme Guyon à la fin de la lettre 75 :

Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai [316], vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu[317].

Il avait déjà offert à Mme Guyon de transformer leur relation en moments de silence où il pourrait lui communiquer la grâce de cœur à coeur. Il lui apprend comment faire :

 [240] Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’étais pour lorsque je pensais le plus à votre perfection.  Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et intimement au fond de votre âme.

Là Dieu ne parlera en vous que comme Il parle en Lui-même, et Il ne vous dira que ce qu’Il se dit à soi-même. Il se dit : « Dieu » ; Dieu le Père en se connaissant dit : « Dieu », et c’est la génération du Verbe ; le Père et le Fils, se disant une parole d’amour, en produisent l’Amour qui est Dieu, et c’est la production du Saint-Esprit. Dieu a proféré de toute éternité dans Soi-même « Dieu, Dieu », et c’est ce Dieu que Dieu veut exprimer et imprimer en vous. Et comme je ne suis que l’écho de Dieu, je ne puis vous répéter autre chose, et dans le temps et dans l’éternité, que : Dieu[318].

Cette union spirituelle transcende l’espace : 

Je vous assure, Madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu, et qu’encore que vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire : là, elles se servent et se consolent aussi efficacement, pour le moins, que si elles étaient présentes et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre demeure et perte en Dieu[319].

Etant à la fois anéanti en Dieu et en union spirituelle avec elle, il peut porter à sa place tous les obstacles qui sont en elle et l’en soulager en les abandonnant à la fournaise divine :

    Je veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres. J’ai en moi un trésor caché : c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant. C’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos obligations. Ce trésor est caché. Car on croit que je suis quelque chose ! C’est qu’on ne me connaît pas. Ce fond est un trésor car c’est toute ma richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. Et s’il est dit que là où est le trésor, le cœur y est aussi, je vous assure que mon néant est mon trésor car mon cœur y est et je l’aime tendrement. Il est inépuisable car Dieu en peut tirer tout ce qu’Il veut. Voyez ce qu’Il a tiré du néant en la Création, et jugez ce qu’Il peut faire du nôtre en la sanctification.

[244] Il faut laisser ce néant entre Ses mains : Il en fera tout ce qu’Il voudra. Si bien qu’en laissant ce néant à la volonté de Dieu, je donnerai tout pour vous. Et après cela ne me demandez plus rien. Je donne tout d’un seul coup, et je suis ravi de n’être et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser Son tout[320].

Ce charisme fut probablement la cause du respect qui entourait Bertot. Cette possibilité merveilleuse, Mme Guyon l’appellera plus tard « état apostolique », aboutissement de la vie mystique qu’elle décrira dans ses lettres beaucoup plus explicitement que son père spirituel. Cette expérience de transmission de la grâce sera centrale pour tous ceux qui fréquenteront Mme Guyon et Fénelon : son évidence sera le ciment qui liera tous les membres de ce groupe spirituel.

Son influence

Dans le monde catholique, les noms de Bertot et Bernières furent engloutis dans la catastrophe de la condamnation du quiétisme. Par contre, leur importance mystique fut reconnue par des protestants. M. Bertot a été lu dans les cercles guyoniens dans toute l’Europe du XVIIIe siècle. Un choix d’extraits du Directeur mystique a été réédité en milieu piétiste[321].

En Allemagne, on retrouve les noms de Mme Guyon et de Bertot associés dans une lettre de Fleischbein, µ note  dont l’épouse, Pétronille d’Eschweiller, fut présente à Blois auprès de Madame Guyon. Il y déclarait à son jeune disciple suédois, le comte de Klinckowström :

« Dévorez, consumez », écrivent madame Guyon et M. Bertot […] C’est ce que conseillent et attestent madame Guyon, M. Bertot, tous les mystiques...[322].

En 1769, on trouvera le Directeur Mystique ainsi que le Chrétien intérieur de Bernières dans les rares livres possédés par le pasteur Dutoit[323] saisis par la police bernoise, lorsque son activité jugée suspecte provoqua une descente chez lui :

« Inventaire et verbal de la saisie des livres et écrits de Monsieur Dutoit, 1769 : […] la Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, Monsieur de Bernières, soit le Chrétien intérieur, la Théologie du Cœur, Le Directeur mystique de Monsieur Bertot, Œuvres de Ste Thérèse [en note : appartient à Mr Grenus], La Bible de Martin, l’Imitation d’A. Kempis.  Déclarant de bonne foi...[324]. »

L’importance de Bertot et Bernières était donc reconnue à l’étranger, ces lointains disciples de Madame Guyon étant majoritairement des étrangers protestants.

Chez les catholiques, la première moitié du XXe siècle resta méfiante vis-à-vis de tout abandon mystique à la grâce. Ce rejet concernait non seulement Bernières et Bertot (condamnés), mais le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus, Jean de Saint-Samson, et même Laurent de la Résurrection !

Le nom de « Berthod » [sic] réapparut à l’époque modene dans l’Histoire du sentiment religieux de Bremond [325]. Il eut enfin droit, sous son vrai nom, à un article de Pourrat dans le Dictionnaire de Spiritualité où celui-ci réagit vivement : « J’ai peur de trop bien comprendre. Les actions de l’âme ne sont plus les siennes mais celles de Dieu » [326] !

 


MIGRATIONS CANADIENNES

Le deuxième courant issu de l’Ermitage s’en alla vers le Canada, contrée sauvage peuplée d’Indiens dangereux que les missionnaires du XVIIe siècle rêvaient de convertir. Bernières et ses amis ont partagé ce rêve et certains sont partis.

 L’entreprise secrète de Mme de la Peltrie ! 

La Relation des Jésuites de 1639 raconte joliment : « Et il s’est trouvé une amazone qui a conduit et établi des Ursulines en ces derniers confins du monde ». L’« amazone » s’appelait Mme de la Peltrie (1603-1671) : cette pieuse veuve avait lu la Relation du jésuite Lejeune, et voulait partir au Canada pour y fonder un couvent d’ursulines. La famille était opposée à cette téméraire entreprise dans laquelle elle allait engloutir sa fortune. Elle sollicita donc la complicité de M. de Bernière[327] comme le racontent les Annales du monastère de Jourdaine :

« Les refus de la mère fondatrice plusieurs fois réitérées pour de nouvelles fondations n'empêchèrent pas Mme de la Peltrie de lui demander ses conseils et quelqu'une de ces religieuses pour contribuer au dessein que Dieu lui avait inspiré de fonder une maison d'ursulines dans la Nouvelle-France à la ville de Québec. Cette vertueuse veuve en avait consulté plusieurs fois Monsieur de Bernières qui approuvant fort cette sainte entreprise n'oublia rien de ce qu'il put faire pour sa réussite et [... qu'ils eussent add.] de fréquents entretiens sur ce projet se firent toujours si secrètement que personne n'en eut la connaissance. Ils savaient ce que dit le sage, qu'une affaire déclarée est ordinairement une affaire échouée. Ce fut avec cette prudente conduite [38] que se conclut en fort peu de temps la plus grande entreprise que les femmes pussent faire pour la gloire de Dieu [add. et le salut des âmes]. On peut voir cette histoire fort particularisée dans la vie de la religieuse Mère de l'Incarnation qui alla établir ce monastère à l'autre bout du monde avec Mme de la Peltrie. Voici l'extrait d'une lettre qu'elle écrivit à notre mère fondatrice étant sur le point de son embarquement, qui exprime mieux les sentiments tout divins de son cœur vers Dieu, que tout ce qu'on en pouvait dire. Comme cette lettre est écrite de sa main nous la conservons aussi précieusement qu'une relique, la voici mot à mot.

Suit le texte de la lettre de Mme de la Peltrie [328] :

Ma très chère et honorée sœur, [39] Je serais la plus ingrate du monde si avant que de m'embarquer je ne vous rendais, mais très humbles devoirs, pour vous remercier des obligations infinies que je vous ai, et pour vous dire le dernier adieu […] J’ai prié mon ange gardien visible, Monsieur de Bernières, votre frère, de vous dire toutes choses. […] Ce 20e septembre 1633 [en fait 1639 !]

Mme de la Peltrie demeurera toujours dans l’ombre de sa compagne au Canada, Marie de l’Incarnation. Elle n’a pas écrit et a pâti de l’opinion négative d’un bénédictin : dans son ouvrage de 1941, elle est qualifiée du nom d’« aventurière mystique » tant les femmes laïques et qui voulaient le rester, étaient observées avec suspicion. 

Mais les Annales du monastère, rédigées par une ursuline ouverte d’esprit, indiquent la forte estime que M. de Bernières portait à Mme de la Peltrie. Sa belle indépendance et son courage[329] se confirmeront en Nouvelle France : contre l’avis de tous, elle partit de Québec vers l’amont du Saint-Laurent, c’est-à-dire au milieu des Indiens, pour fonder un couvent à Mont Real (le futur Montreal). Il ne lui arriva rien.

 

Marie de l’Incarnation

Mme de la Peltrie ne partit pas seule au Canada. Bernières et elle allèrent chercher Marie de l’Incarnation dans son couvent de Tours : elle aussi rêvait de partir en mission chez les Hurons. Nous avons déjà parlé de cette très grande figure mystique. Etant plus âgée, elle ne dépendait pas de l’Ermitage, mais fut très importante pour Bernières. Ils se sont rencontrés au moment du départ vers le Canada et ont longuement pratiqué l’oraison dans le carosse qui les emmenait au bateau. Dans son récit du départ de Dieppe, Marie rend hommage au rôle joué par Bernières dans ces circonstances délicates : « Monsieur de Bernières étant toujours notre Ange gardien avec une charité non pareille… » (voir sa longue et belle Lettre 269, 1670).

Leur relation se poursuivit par une correspondance qui dura plusieurs années. Les lettres voyageaient par aller-retour annuel du bateau qui partait de France en juillet ; août à Québec se passait à écrire, puis le retour s’effectuait dès le début septembre. Marie était « l’aînée mystique » de Bernières : on peut supposer qu’elle a beaucoup pesé sur son évolution. Malheureusement, les missives « de seize pages » sont égarées[330] et nous devrons nous contenter de pointer quelques échanges parvenus jusqu’à nous, par exemple l’appréciation de Marie sur Bernières[331] :

« C’est un homme ravissant [rapide, impétueux] » (Lettre 34, 1639).

Le souhait de Bernières aurait été de partir, mais il fut obligé de rester pour s’occuper en France du financement des fondations canadiennes. Il passa beaucoup de temps et dépensa beaucoup d’argent pour financer la fondation du Canada. Il finira par dépasser ses souhaits personnels : « Je suis aussi content de demeurer ici comme d’aller en Canada, d’être infirme comme d’être sain… » (L. 6 août 1641).    

Quant à Marie, elle avait honte d’être obligée de le solliciter :

« … il sera sans doute épouvanté voiant que je lui demande des vivres comme à l’ordinaire » (Lette 66, 1642).

Parlant de Mgr de Laval qui les a rejointes, elle dit l’estime qu’elle a pour la formation donnée à l’Ermitage :

« Il [Mgr de Laval] est intime ami de Monsieur de Bernières avec qui il a demeuré quatre ans par dévotion ; aussi ne se faut-il pas étonner si aiant fréquenté cette échole il est parvenu au sublime degré d’oraison où nous le voions » (L.183, 1659).

   Elle pouvait en juger puisqu’elle-même vivait dans ces profondeurs :

 « […] comme un pur neant abymé dans le Tout, lequel neanmoins me montroit amoureusement que quoyque je ne fusse rien, j’étois néanmoins toute propre pour luy qui est mon Tout. En cette veuë que j’étais le rien propre pour ce Tout ineffable il me faisait jouir d’un plaisir indicible. […] Je comprenois encore que c’étois là le vray anéantissement de l’âme en son Dieu par une vraye union d’amour […] Il me demeura cette veuë gravée en l’esprit, que j’étois le rien propre pour le Tout[332]. »

 

François de Laval (1623-1708)

François de Laval fut le premier évêque de Québec. Il partit après sa formation chez Bernières dont il suivit si bien les leçons que, un peu plus d’un an après son arrivée au Canada, Marie de l’Incarnation, avec son esprit pratique, regrettait presque la trop grande perfection de l'évêque. Elle écrivait à son fils Dom Claude Martin :

Monseigneur notre Prélat est tel que je vous l’ay mandé par mes précédentes, savoir très-zélé et inflexible. Zélé pour faire observer tout ce qu’il croit devoir augmenter la gloire de Dieu ; et inflexible pour ne point céder en ce qui y est contraire. Je n’ay point encore veu de personnes tenir si ferme que lui en ces deux points. C’est un autre saint Thomas de Villeneuve pour la charité et pour l’humilité, car il se donnerait lui même pour cela ; il ne réserve pour sa nécessité que le pire. Il est infatigable au travail ; c’est bien l’homme du monde le plus austère et le plus détaché des biens de ce monde. Il donne tout et vit en pauvre, et l’on peut dire avec vérité qu’il a l’esprit de pauvreté. Ce ne sera pas lui qui se fera des amis pour s’avancer et pour accroître son revenu, il est mort à tout cela. Peut-être (sans faire tort à sa conduite) que s’il ne l’était pas tant, tout en irait mieux ; car on ne peut rien faire ici sans le secours du temporel. Mais je me puis tromper, chacun a sa voie pour aller à Dieu.

 Il pratique cette pauvreté en sa maison, en son vivre, en ses meubles, en ses domestiques ; car il n’a qu’un Jardinier, qu’il prête aux pauvres gens quand ils en ont besoin, et un homme de chambre [Denis Roberge] qui a servi Monsieur de Bernières. Il ne veut qu’une maison d’emprunt, disant que quand il ne faudrait que cinq sols pour lui en faire une, il ne les voudrait pas donner. En ce qui regarde néanmoins la dignité et l’autorité de sa charge, il n’omet aucune circonstance. Il veut que tout se fasse avec la majesté convenable à l’Église autant que le pays le peut permettre. Les Pères [Jésuites] lui rendent toutes les assistances possibles, mais il ne laisse [cesse] pas de demander des Prêtres en France, afin de s’appliquer avec plus d’assiduité aux charges et aux fonctions ecclésiastiques[333].

   Dès 1659, elle relevait aussi avec une admiration teintée d'espièglerie :

C’est une consolation d’avoir un homme dont les qualités personnelles sont rares et extraordinaires. […] Il ne sait ce que c’est que respect humain. Il est pour dire la vérité à tout le monde, et il la dit librement dans les rencontres. Il fallait ici un homme de cette force pour extirper la médisance […] [334]

   Les lettres de l’évêque à Boudon, son ami intime, révèlent en effet son abandon intérieur :

Tout ce que la main de Dieu fait nous sert admirablement, quoique nous n’en voyions pas sitôt les effets. Il y a bien des années que la Providence conduit cette Église [du Canada], et nous par conséquent, par des voies fort pénibles et crucifiantes tant pour le spirituel que pour le temporel. Pourvu que sa sainte volonté soit faite, il ne nous importe. Il me semble que c’est toute ma paix, mon bonheur en cette vie que ne [vouloir] point d’autre paradis. C’est le royaume de Dieu qui est au dedans de l’âme qui fait notre centre et notre tout[335].

Son grand œuvre fut de fonder un Ermitage à l’image de celui de Caen : à Québec, le 15 septembre 1663, il s’installa en effet avec les prêtres de son Séminaire dans la maison presbytérale qu’il avait fait édifier en 1661-1662, près de l’église Notre-Dame. Cette modeste bâtisse était « la maison commune de tous les Ecclésiastiques », écrit La Tour. Mgr de Laval voulut que ces derniers « trouvassent chez lui un asile toujours ouvert, qu’ils y vinssent même chaque année faire une retraite […] qu’ils y eussent une ressource assurée, la nourriture & l’entretien jusqu’à la fin de leurs jours, & des prières après leur mort[336] ».

En plus de François de Laval, deux des cinq membres fondateurs du Séminaire étaient d’anciens disciples de Bernières à Caen : son neveu Henri de Bernières et l'abbé Jean Dudouyt, qui devint le bras droit de Mgr de Laval. Quant à Hugues Pommier, arrivé seulement à Québec en 1664, il avait fait partie de l’Assemblée des Amis de Dijon[337]. Enfin, Denis Roberge était l'ancien valet de chambre de Bernières : passé au service de Mgr de Laval, il devint le premier domestique « donné » par ce dernier au Séminaire. Mentionnons aussi parmi les anciens de l’Ermitage, mais sans doute un peu moins « intérieur », le coléreux Augustin de Saffray de Mézy, l’ancien duelliste converti.

Le Séminaire de Québec ne fut pas doté à sa création d’un règlement particulier, mais Jean de Bernières a sans doute donné par écrit, avant le départ de François de Laval pour Québec, des « Règles » pour « les frères du Canada ». La Tour, qui les retranscrit dans ses Mémoires, n’en précise malheureusement pas la source : « S’agit-il de règles composées par Bernières lui-même et destinées explicitement à servir de directoire spirituel à l’usage du clergé de la Nouvelle-France, ou d’une compilation réalisée à partir des écrits du maître par Mgr de Laval ou un des membres fondateurs du Séminaire ? », s'interroge Th. Barbeau[338].

Ces instructions de Bernières n’organisent rien d’extérieur mais font tout reposer sur l’intériorité :

Dieu est notre centre & notre dernière fin. Nous sommes créés pour le posséder, non seulement dans le ciel, mais aussi sur la terre. Tout le désir de Dieu même est de réunir la créature au Créateur, séparés par le péché & l’affection aux choses créées. La vie n’est qu’un passage pour arriver à cette heureuse fin. Les Chrétiens ne doivent avoir d’autre objet que de s’écouler en Dieu, comme les fleuves dans la mer. C’est la vérité fondamentale dont nous devons être fortement persuadés & pénétrés d’une manière active.

Cette recherche active par forme de méditation & de raisonnement doit se faire au commencement de la conversion. Dans la suite il suffit de la faire par voie de foi, qui éclaire simplement, mais puissamment, pour connaître & goûter cette heureuse fin, & par cette connaissance & ce goût nous faire passer de nous-mêmes en Dieu, & supporter les travaux de la vie. Cette attention ou contemplation de foi suffit, sans autre d’oraison, à ceux qui avancent.

Cette manière d’oraison, plus pure & plus spirituelle, causera souvent des ténèbres, des sécheresses, des faiblesses, des dégoûts ; il faut tout supporter avec patience, c’est faire une bonne oraison. Dieu ne manque pas de nous aider dans cet état pénible par des vues passagères, mais pénétrantes, qui nous font goûter notre bonheur. Dieu est un être pur & spirituel, il ne peut être possédé que par l’esprit.

Nos chers frères de Canada sont tous capables de ce procédé spirituel, plusieurs même y sont avancés, ils n’ont qu’à y être fidèles ; ils feront de grands progrès, s’ils joignent aux travaux extérieurs les souffrances intérieures. […]

Quand il plaira à Dieu d’adoucir l’amertume des souffrances par des lumières & des consolations intérieures, ne les rejetez pas comme opposées à la mort spirituelle, mais recevez-les comme des moyens nécessaires à votre faiblesse, qui vous aideront à souffrir. Tout ce que la bonté de Dieu accorde doit être reçu avec respect, humilité, reconnaissance & dépendance. Tout nous conduit au Créateur, lumières & ténèbres ; laissez-vous en pénétrer : Benedicite lux & tenebrae.

Lorsque l’on éprouvera plus de facilité à raisonner ou à produire des actes intérieurs, il faut en profiter. Ce n’est point alors un effort de l’esprit humain. Il n’y a que ceux qui se font par manière d’étude qui nuisent ; les autres entretiennent le goût de l’âme pour chercher Dieu.

Les oraisons jaculatoires sont à peu près celles-ci. Comme le cerf altéré désire les sources d’eau vive, ainsi mon âme désire Dieu. […]

La lecture des livres spirituels, faite avec dégagement d’esprit, nous donne du secours & de l’assurance. Un voyageur demande souvent le chemin, & l’assurance qu’on lui en donne le tranquillise : nous sommes des voyageurs qui allons à Dieu ; les bons livres, les gens expérimentés, nous confirment dans notre voie. […] [339].

A la fin de sa vie, François de Laval eut la tristesse de voir son œuvre détruite par son successeur, Mgr de Saint-Vallier, qui avait sur le Séminaire des vues différentes et en entreprit la refonte. Comme en toutes choses, le vieil évêque se conforma à la grâce divine. Voici ce qu’il confiait à l’abbé Milon à l’automne 1689 :

Vous jugerez bien, mon cher Monsieur, que s’il y a eu jamais une croix amère pour moi, c’est celle-ci, puisque c’est l’endroit où j’ai toujours dû être le plus sensible, je veux dire le renversement du Séminaire, que j’ai toujours considéré, comme en effet qu’il l’est, comme l’unique soutien de cette Église et tout le bien qui s’y fait. […] Mais au milieu de toutes ces agitations, nous ne devons pas nous abattre si les hommes ont du pouvoir pour détruire, la main de Notre-Seigneur est infiniment plus puissante pour édifier. Nous n’avons qu’à lui être fidèles et le laisser faire[340].

 

Les « émigrés »

 

M. de Mézy (-1665)

Parmi les anciens disciples de Bernières, Augustin de Saffray de Mézy, ancien duelliste converti, devint le premier gouverneur de la Nouvelle-France sous l’autorité directe du roi (1663-1665)[341]

C’était un ancien duelliste converti : son tempérament coléreux fit souffrir Mgr de Laval et ne s’apaisa qu’à ses derniers moments. Voici le récit de Souriau :

« C'est une figure très originale [342]; après avoir été « plongé dans le siècle », après avoir passé pour un duelliste raffiné, il finit par édifier même Mme de Longueville. C'est M. de Bernières, son ami intime, qui l'a conquis à la vie de la grâce. Il prend à l'Ermitage de telles leçons d'humilité que, aux processions, il aime à porter la croix des Capucins ; il devient l'ami de cœur du pauvre Boudon, du futur évêque de la Nouvelle-France. La Compagnie du Canada ayant donné son territoire au Roi, Louis XIV laisse l'évêque de Québec choisir lui-même le premier gouverneur : Mgr de Laval se rappelle son ancien confrère de l'Ermitage, et en 1663 l'emmène avec lui au Canada.

Comme signe de particulière confiance, l'évêque donne au gouverneur une clef de son séminaire pour qu’il y puisse venir à toute heure […] les deux amis cessèrent vite de s’entendre, le Roi ayant commis l’imprudence de donner la présidence du Conseil au gouverneur et à l’évêque […] Un jour, dans une discussion plus violente que d'habitude, M. de Mézy accable Mgr de Laval des plus grossières injures, et lui jette à la tète la propre clef du Séminaire. M. de Mésy, on le voit, n'avait pas encore tout à fait « dépouillé le vieil homme » ; il était fort vif. Pourtant il n'avait pas oublié complètement les beaux jours de l'Ermitage. Lorsque, en février 1665, il se sentit près de mourir, il se fit transporter à l'Hôtel-Dieu fondé par l'évêque, dans la salle des pauvres. Il fit venir Mgr de Laval pour une réconciliation sincère. Il se confessa à lui, il eut le temps de rétracter publiquement tout ce qu'il avait dit ou écrit contre le clergé et son chef ; il mourut enfin, le 5 mai, dans les bras de l'évêque, et fut enterré, suivant sa volonté, dans le cimetière des pauvres. »

Ango de Maizerets

La vie de Louis Ango des Maizerets est entièrement donnée à Dieu. Ordonné prêtre après la mort de Bernières, il accompagna Mgr de Laval en 1663, puis au retour de son voyage en France, fut désigné comme premier assistant du supérieur [343]

Ecoutons Souriau :

« Celui-ci descend des grands marchands de Dieppe [344], de ces Ango qui traitent d'égal à égal avec les rois. Sa famille possède un château à Argentan [345]. Il fait ses études à La Flèche, où il entre dans la congrégation du Père Bagot. Il se retrouve à Paris avec ses amis de collège, et fonde avec eux une espèce de petite communauté au faubourg Saint-Marceau. En 1652 la guerre civile les force à quitter Paris ; ils vont se réfugier au château de M. de Maizerets. Au bout de quelques mois, les amis se séparent : quelques-uns retournent à Paris, tandis que Louis Ango, avec d'autres, entre à l'Ermitage.

Tout en restant un homme du monde aux manières prévenantes, alliant la politesse la plus parfaite à la simplicité, il se pénètre de l'esprit de la maison ; il y prend le goût de la vie pénitente et mortifiée. Puis, à la dispersion de l'Ermitage, après la mort de M. de Bernières, il va faire son séminaire à Paris, aux Bons-Enfants : ordonné prêtre, il se sent peu à peu envahi par le désir d'aller retrouver au Canada ses anciens confrères de Caen, le neveu de M. de Bernières, et Morel, et Dudouyt, et l'évêque de Pétrée ; Mgr de Laval, pendant un de ses séjours en France, le décide ; Ango quitte tout, famille, patrie. Sur le vaisseau qui l'emmène au Canada, le scorbut éclate : M. de Maizerets tombe si gravement malade que ses amis font pour lui un vœu à saint Ignace et à saint François-Xavier : il est sauvé.

 À partir de ce moment, sa vie se confond avec celle de l'Église du Canada, avec celle du « séminaire » que Mgr Laval a fondé là-bas, à l'imitation de l'Ermitage ; à ce séminaire il donne tout, et d'abord sa fortune : « Nos biens étaient communs avec ceux de l'évêque, écrit-il. Je n'ai jamais vu faire parmi nous aucune distinction du pauvre et du riche ni examiner la naissance et la condition de personne, nous regardant tous comme frères. » Il donne aussi son travail, sa santé, sa vie. Il finit par être frappé d'une hémiplégie qui lui ôte l'usage de la parole : « En quoi, dit une chronique manuscrite du séminaire, Dieu l'a voulu purifier », car on l'accuse d'être un peu indiscret. C'est sa concession à la faiblesse humaine. Par ailleurs c'est un homme fort, qui, pendant près de cinquante ans, se dévoue à l'éducation des enfants. Il les aime d'une tendresse presque féminine, qui éclate surtout au moment de sa fin : il pleure en les voyant autour de son lit de mort, et il leur donne sa bénédiction sans pouvoir parler. »

Il se permettait d’écrire ce qu’il pensait à son évêque : « Votre âge et vos indispositions ne vous permettent pas de supporter de si grands travaux. Il faut les modérer, et prendre les soulagements nécessaires pour travailler plus longtemps au salut des âmes que Notre-Seigneur vous a confiées » [346]. L'atmosphère à Québec étant en effet celle de l’Église primitive, les deux élèves de Bernières étaient à égalité.  µ attention : citation attribuée à Dudouyt !!!

Henri de Bernières (-1701), neveu de Jean

Le neveu de Bernières, Henri, partit lui aussi au Canada, confié par son oncle à Mgr de Laval.  Il fut le premier supérieur du séminaire de Québec et occupa cette charge à quatre reprises, vingt-cinq années en tout[347]

« Il part pour le Canada en même temps que l'évêque de Pétrée [Mgr de Laval] : « C'est un jeune gentilhomme qui ravit tout le monde par sa modestie », écrit la Mère Marie de l'Incarnation. Il se dévoue à l'Église de la Nouvelle-France, « faisant voir par ses vertus, dit une ursuline de Québec, le fruit qu'avait produit en lui l'éducation qu'il avait reçue de son saint oncle, M. de Bernières ». II meurt à Québec le 3 décembre 1701. »[348].

Les Annales des ursulines sont pleines de vénération pour sa personne :

42-(60) […] Monsieur de Bernières ne pouvant aller conduire à Québec Mme de la Peltrie, lui donna un autre lui-même pour lui servir d'ange visible, ce fut son neveu fils de M. Dacqueville, seul dans la famille qui se soit engagé dans les ordres sacrés ; déjà il était diacre quand son saint oncle conduisit la fondatrice des ursulines en la Nouvelle-France, et pour lui donner un aumônier de vaisseau dont il fut sûr, il inspira au jeune diacre de se faire prêtre pour se sacrifier à cette nouvelle mission. La chose ne fut pas difficile à lui persuader étant naturellement fort porté au bien, il reçut la proposition, et aussitôt la mit en effet.

Une seule difficulté (61)-43 s'opposaient à son pieux dessein, Madame sa mère qui l'aimait extrêmement et qui était charmé d'avoir un fils consacré aux autels, se faisait une forte anticipée quand elle pensait à lui voir dire sa première messe, et à participer tous les jours à son sacrifice. C'était un grand embarras que de lui déclarer cette nouvelle vocation pour tirer son consentement. L'on crut qu'étant aussi vertueuse qu'elle l'était elle ne s'y opposerait pas absolument. Mais pour éviter les obstacles qui auraient pu apporter quelque retardement Monsieur de Bernières animé de l'esprit de Dieu se faisant fort du consentement le fit embarquer, et revint en apporter lui-même la nouvelle à Madame sa mère, guérissant à même temps par des saintes industries la plaie qu'il avait faite. C'est ce que j'ai cru rapporter plus d'une fois à Madame Dacqueville sa mère, qui eut la consolation après vingt ans d'absence de le revoir en ce pays, à la vérité pour peu de temps et seulement pour chercher les moyens de donner une partie 44-(62) de son bien au séminaire des missions de Québec, où il retourna incessamment pour y tenir jusqu'à sa mort la place de grand vicaire et de supérieur des ursulines et hospitalières de cette ville, où il finit sa sainte vie dans les travaux, et la rigueur d'un hiver qui fit mourir beaucoup de personnes en ce pays. Ce fut en 1701.

 

L’abbé Dudouyt

Jean Dudouyt, débarqua à Québec au cours de l’été ou à l’automne de 1662 et fut nommé procureur du Séminaire en 1664.[349]

Citons encore Souriau et l’abbé Gosselin :

« Nous sommes certains de l'affiliation de l'abbé Jean Dudouyt [350], un des plus grands missionnaires du Canada. De taille moyenne, il a l'œil vif, la figure ascétique, le maintien grave et digne. Il aurait pu avoir des ambitions mondaines : il a tout quitté pour entrer à l'Ermitage [351]. La vie austère qu'on y mène l'attire, comme aussi l'intransigeance dans l'orthodoxie. Dangereusement malade, il voit s'approcher de son lit, pour lui donner le viatique, le curé d'une paroisse de Caen, véhémentement soupçonné de jansénisme. Dudouyt refuse absolument de communier de sa main : on est obligé d'aller chercher un autre prêtre. Tant de vigueur agrée au futur évêque de Québec ; Dudouyt finit par aller rejoindre Mgr de Laval dans son vicariat apostolique. D'esprit pratique, ayant le sens administratif, Dudouyt devient le bras droit de son évêque. Il se distingue surtout dans une mission de confiance que lui a donnée Mgr de Laval : Dudouyt revient à Paris, chargé de traiter avec Colbert la grave question de l'eau-de-vie au Canada. L'évêque de Québec, qui ne voit que l'intérêt religieux, condamne la traite ; Colbert, qui ne cherche que l'intérêt fiscal, approuve les traitants.

Les lettres de Dudouyt à son évêque reflètent la pure doctrine de l'Ermitage. Il y a là beaucoup plus que la moyenne de l'esprit catholique [352]. Avec une entière liberté, Dudouyt ose, par exemple, lamer les procédés qu'emploie un frère de l'évêque, Henri de Laval, prieur de la Croix, notamment à propos d'un procès que ce frère soutient pour le prieuré de Tournay : « Cette affaire est assez douteuse […] Je ne sais quelle en sera l'issue. Il serait à souhaiter qu'il ne s'y fût pas engagé. Il vaudrait beaucoup mieux se disposer à bien mourir […] Cela n'édifie pas. »

Même liberté dans les conseils un peu autoritaires que cet homme apostolique envoie à Mgr de Laval : « Je bénis Dieu, avec tous vos amis, de vous avoir conservé pour le bien de son Église, et le prie de vous donner des grâces et des années pour affermir ce que vous avez si heureusement établi. Votre âge et vos indispositions ne vous permettent pas de supporter de si grands travaux. Il faut les modérer, et prendre les soulagements nécessaires pour travailler plus longtemps au salut des âmes que Notre-Seigneur vous a confiées [353]. » Peu de prêtres écriraient sur ce ton à leur évêque, quand même ce ne serait pas un Montmorency-Laval. Il y a là comme un souvenir de la primitive Église ; ou peut-être encore est-ce un reste de l'amitié spirituelle qui les unissait à l'Ermitage ; d'avoir été tous deux les élèves de M. de Bernières entretenait entre eux une de ces amitiés de séminaire qui résistent aux différences de la hiérarchie. Puis Dudouyt a sa grandeur propre : c'est, dit-on au Canada, « l'un des plus grands ecclésiastiques que Mgr de Laval ait employés [354]. »

Revenu à Paris, il s'y considère comme en exil, séparé qu'il est de son évêque, et de ce Séminaire de Québec qui est la reconstitution lointaine de l'Ermitage. En 1677 il supplie Mgr de Laval de le rappeler : « L'on pourra vous écrire qu'il serait à propos que je reste encore quelque temps en France ; mais il n'y faut pas acquiescer... Il ne serait pas d'édification que je restasse plus longtemps en France [355]. » Il y mourut pourtant ; mais Mgr de Laval rapporta au Canada le cœur de son fidèle compagnon, de celui qui l'avait aidé à fonder l'Église de Québec ; pour ne pas être tout à fait séparé de son ami, l'évêque inhuma ce cœur dans sa cathédrale [356]. »

 


 


 

PREMIERE SYNTHESE

En cet instant où deux générations mystiques s’achèvent, résumons les éléments que nous avons pu établir. Autour de Chrysostome puis de Bernières à Caen, l’Ermitage est la première étape dans l’histoire de notre école. Dès le vivant de Bernières, celle-ci va essaimer hors de Caen. Tel un « delta spirituel », trois courants sont issus de l’esprit de l’Ermitage.

Le premier s’incarne chez Mgr de Laval qui fonde un deuxième Ermitage à Québec, en association avec les mystiques d’outre-Atlantique : Mme de la Peltrie, Marie de l’Incarnation, certains « émigrés » venus de Normandie.

Le deuxième est porté par Mère Mectilde qui fonde les bénédictines du Saint-Sacrement, centrées sur la vie mystique : l'inspiration bénédictine s'y entrelace avec le courant issu du Tiers Ordre Régulier franciscain. De nos jours, ce courant est toujours vivant[357].

Le troisième courant est incarné par M. Bertot, nommé confesseur du très renommé couvent de bénédictines de Montmartre. Il y apporte l’esprit de l’Ermitage qui nourrira le cercle animé par Mme Guyon et Fénelon : ce sera le deuxième chapitre de l’histoire.

Le graphe synthétique[358] de la page suivante résume cette première étape de l’Ecole du Cœur telle que nous l’avons comprise. Le lecteur y verra la « carte » des contacts inter-personnels qui permirent aux mystiques de cette époque de partager leur expérience. C’est au sein de ce réseau amical que l’on trouve les figures fondatrices de la mystique française du XVIIe siècle, qui attirèrent comme des aimants ceux qui aspiraient à vivre l’oraison de quiétude.   

 

 

 

 

« Graphe essentiel » des trois courants

 mystiques

 

 


 

     

 

II

MADAME GUYON, FENELON ET LEURS AMIS

1648-1717 


 


 

MADAME GUYON (1648-1717)

Madame Guyon fut une personnalité exceptionnelle à plusieurs titres : elle habitait les sommets de la mystique, sa vie étant totalement imprégnée et gouvernée par la grâce. Elle a reçu le don très rare de transmettre la grâce en silence et de porter ses disciples par sa prière. Enfin elle a eu le don d’écriture qui lui a permis de parler de cette vie mystique : bien souvent les spirituels ne savent pas parler de leur expérience, mais cette contemporaine de Racine a su l’analyser très finement.

Nous la connaissons bien par ses livres, ses lettres et de nombreux témoignages conservés « grâce » au procès dont elle fut victime. Puis la vénération de son entourage était telle que le moindre de ses écrits a été recopié et que son œuvre complète a été éditée après sa mort par Poiret à Amsterdam.

Plus que d’autres, elle est proche de notre modernité, car, tout en étant mystique, elle a mené une vie laïque de femme mariée et de mère, gérant ses biens et refusant de devenir religieuse, sort habituel des veuves au XVIIe siècle. Elle n’était pas protégée par les murs d’un couvent mais a vécu au beau milieu de la Cour et des troubles de l’époque : elle a subi des interrogatoires, un procès, un emprisonnement à la Bastille. La profondeur de son expérience l’a fait transcender les querelles entre catholiques et protestants qu’elle recevait indifféremment à la fin de sa vie à Blois : elle n’approuve ni Fénelon dans sa tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay, sans pour cela relâcher sa vie sacramentelle personnelle.

C’est pourquoi, selon les auteurs, elle apparaît sous un aspect différent : soit comme une mystique arrivant trop tard à l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (pour Brémond, Cognet), soit comme une veuve libre et décidée et un modèle féministe avant l’heure (pour Mallet-Joris, Bruneau), soit comme religieuse laïque sans Eglise d’accueil (chez Gondal), soit comme précurseur de l’union entre catholiques et protestants. Quelle interprétation choisir ?

Toutes ces facettes s’unifient quand on comprend qu’elles sont l’expression du centre de la vie pour Mme Guyon, la grâce divine : tout acte se réfère à elle ou exprime son jaillissement. Elle imprègne toute la personne humaine, se manifestant jusque dans le corps ou les rêves. C’est en s’appuyant sur ce centre que Mme Guyon répond à ses juges et supporte les épreuves.

A travers elle, c’est la grâce qui s’occupe de ses amis disciples. Sur le plan mystique, elle avait en effet découvert la communication de la grâce en silence dont elle témoigne dans ses lettres et sa Vie par elle-même[359]. Elle espérait exercer ce merveilleux charisme, sa mission était de transmettre l’oraison de quiétude qu’elle avait reçue. Mais le contexte était défavorable après la condamnation déjà prononcée de Molinos et, post-mortem, de « pré-quiétistes » français, dont Bernières, par les Inquisitions italienne et espagnole.

Le désastre fut complet, bien prévisible compte tenu de la disparité des forces en présence. Plus de dix années après la condamnation romaine de Molinos en 1687, l’atmosphère était à la vérification de l’orthodoxie des âmes. Mme Guyon réduite au silence, à l’isolement complet dans l’une des huit tours de la Bastille.

Il ne s’agissait pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans un ordre social masculin : simple laïque, elle refusait l’entrée en religion mais dirigeait des religieux ; bourgeoise, elle détournait les grandes familles du « couvent de la Cour » (Saint-Simon). Elle donnait sa Vie à lire, non par égotisme, mais comme un exemple particulier de l’action divine sur une vie humaine. Prétendre vivre sous l’impulsion de la grâce en transmettant cette grâce indépendamment de toute hiérarchie ecclésiastique, suscitait le scandale chez les clercs et la méfiance du pouvoir royal habitué à maîtriser les libertés.

Bossuet, au début, sembla sous le charme mais, soucieux de sa carrière, il se fit l’exécuteur de l’épouse du roi furieuse de voir l’engouement pour l’oraison se répandre à la Cour et à Saint-Cyr. Fénelon voudra concilier les extrêmes et tentera en vain d’expliquer l’expérience mystique à sa hiérarchie ; acculé, il restera fidèle à l’expérience intérieure révélée par Madame Guyon. D’autres adopteront un profil bas.

Pour comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme, religion unique après la révocation de l’édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, étaient des évidences pour tous les Français de cette époque. Le concept de liberté individuelle n’existe pas. Chacun est soumis à un système d’inquisition dans sa version « douce » : celle du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente, et qui a le droit de connaître le fond des consciences.

Par ailleurs, l’état mystique de Mme Guyon la rendait incapable de mentir ou de biaiser par omission, comme y étaient forcés les libertins un demi-siècle plus tôt[360]. De plus, elle considérait chaque événement et chaque personne comme envoyés de Dieu, d’où l’obligation torturante d’obéir au confesseur qui lui était imposé.

Le statut féminin de l’époque la poussait à remplir sa mission hors cadre : cette discrétion fut ressentie comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte au pouvoir, et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs par les sacrements. Même les moins combatifs étaient agacés par la « Dame directrice » qui leur répondait au nom de son expérience. Cette fermeté n'était en rien orgueilleuse : son origine était toute intérieure, dans l’évidence de la présence de la grâce en elle à laquelle elle se soumettait consciemment et entièrement quelles qu’en soient les conséquences. C'est là le sens profond de l’oraison dite passive. Il faut se laisser entièrement conduire par la grâce divine : dans chaque action, dans chaque état de la vie de tous les jours, chez un être imprégné de grâce, il « suffit » de s’ouvrir à son action. La Cour qui ne croyait à rien, se moquera de la naïveté du bon duc de Chevreuse qui en fera état.

Fait aggravant pour le pouvoir : Mme Guyon avait découvert que le grâce pouvait se transmettre par son intermédiaire, lui faisant partager la souffrance d’autrui par compassion. Cette union intime avec la grâce, loin d’être un état immobile, engendrait une dynamique active orientée vers les autres, une nouvelle vie féconde au service de la motion divine. Elle l’appelait « état apostolique ».

Il ne faut pas confondre le « prophétique » et « l’inspiration » (selon la distinction donnée par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient qu’une telle faiblesse pouvait lui arriver). Le prophétisme s’est traduit historiquement par des débordements (revivals, évangélismes…) à la mesure de la sclérose des structures : loin de la véritable intériorité, l’activisme prend alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les effets sont privilégiés au détriment de la source.

La pierre de touche de l’inspiration réellement donnée par la grâce est la paix : de la quiétude centrale, jaillit l’efficience invisible de la prière. Mais l’efficacité de la grâce a été préparée chez madame Guyon par la chance d’avoir été très heureusement dirigée.


 

Figures amies d’influence

Madame Guyon n’a rien inventé au niveau théologique : elle ne s’intéressait d’ailleurs pas « aux idées » et conserva l’orthodoxie la plus commune dans laquelle elle baignait depuis toujours sans se poser de questions. Elle suivit simplement la tradition mystique bien établie des Ordres anciens rénovés avant 1650 puisque chacun d’eux lui apporta son aide : la parole d’un franciscain éveilla son intériorité, elle fut soutenue par une bénédictine, elle correspondit avec un grand carme et fréquenta un prêtre, monsieur Bertot.Mais  Des influences italiennes qui s’exerçaient déjà dans le Dauphiné français chez la Mère Bon, furent probablement transmises par l’intermédiaire de son confesseur, le Père Lacombe, et peut-être renforcées par Malaval.

Jean de Saint-Samson (-1636) et son disciple Maur de l’Enfant-Jésus (-1690).

Jean de Saint-Samson, maître spirituel de la réforme des grands carmes, occupe une place prioritaire dans le choix de textes mystiques des Justifications rassemblées en 1695 par Mme Guyon aidée par Fénelon. Son disciple Maur de l’Enfant-Jésus vécut dans la région de Bordeaux, tout en s’employant à établir un ermitage à Fontainebleau.  Le lecteur se reportera à notre présentation dans le tome II et à nos éditions de ces deux grands carmes[361] si fervents. 

Nous possédons vingt-et-une lettres que Maur adressa à Mme Guyon entre 1670 et 1675[362]. Elle les considérait assez importantes pour les intégrer au Directeur mystique, somme de textes rassemblés autour de M. Bertot.

Elle lui écrivit alors qu’elle n’avait que vingt-deux ans et se sentait perdue au milieu d’un « désert intérieur ». Maur lui répondit :

Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie. (Lettre 1)

[…] regardez Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle. (Lettre 2)

Il l’appellait vers ce qui est au-delà de tout état :

[…] l’on ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase, ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu. (Lettre 1)

[…] L’abandon et le néant ne nous paraissent plus, lorsque nous y sommes consommés et abîmés. Nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons vivre et se mouvoir en l’eau. (Lettre 4)

Dans sa dernière lettre, il lui lança :

Hé bien ! Ne vous accrochez donc plus à rien. (Lettre 21)

Geneviève Granger (1600-1674).

La supérieure du couvent des bénédictines de Montargis[363] fut le soutien « maternel » de la jeune Madame Guyon en prise avec un vieux mari et une belle-mère difficile. Elle guidera et inspirera la jeune mystique à partir de 1668. Des passages rapportés dans la Vie par elle-même[364] de la bénéficiaire constituent le récit de la bonne direction, celle qui sait joindre prudence, encouragement, incitation au retour intérieur, engagement et dépassement.

A mon retour, je fus trouver la mère Granger, à qui je contai toutes mes misères et mes échappées [infidélités, 1.14.1sv.]. Elle me remit, et m'encouragea à reprendre mon premier train ; elle me dit de couvrir entièrement ma gorge avec un mouchoir…[1.14.5.]

Sitôt que je vis la petite vérole au logis, je ne doutai point que je ne la dusse prendre. Je fus consulter la Mère Granger aux Bénédictines qui me dit de m'éloigner si je pouvais. [1.15.1]

Vous me faisiez trouver des providences toutes prêtes pour écrire à la Mère Granger lorsque j'étais le plus pressée de peines, et je sentais de forts instincts de sortir quelquefois jusqu'à la porte, où je trouvais un messager de sa part qui m'apportait une lettre qui n'aurait pu tomber entre mes mains sans cela. [1.17.5]

J'avais une extrême confiance à la Mère Granger. Je ne lui cachais rien, ni de mes péchés, ni de mes peines, je n'aurais pas fait la moindre chose sans la lui dire : je ne faisais d'austérités que celles qu'elle me voulait permettre. […] Mon confesseur et mon mari me défendirent de nouveau de la voir. Il m'était presque impossible d'obéir. […] Comme je l'aimais beaucoup, je ne pouvais m'empêcher de la justifier et d'en dire du bien ; et cela les mettait en telle colère qu'ils veillaient encore de plus près pour m'empêcher de l'aller voir […] Je prenais prétexte d'aller voir mon père et j’y courais, mais sitôt que cela était découvert, c'était des croix que je ne puis exprimer […] Ma belle-mère se mettait sur un certain petit vestibule, personne ne pouvait sortir du logis qu'elle ne les vît et qu'ils ne passassent auprès d'elle. Elle leur demandait où ils allaient, et ce qu'ils portaient : il fallait le lui dire, de sorte que quand elle savait que j'avais écrit à la Mère Granger, c'était un bruit terrible […] Je m'en plaignais quelquefois à la Mère Granger, qui me disait : ‘Comment les contenteriez-vous puisque, depuis plus de vingt ans, je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout ?’ [1.17.6-7]

La mère Granger était en fait rigoureuse, s’exprimant parfois par une réaction vive :

Un jour que pénétrée vivement de cette pensée et de cette peine [l’absence de Dieu] je lui dis que je ne vous aimais plus, unique Objet de mon amour, elle me dit en me regardant : « Quoi ! vous n'aimez plus Dieu ? » Ce mot me fut plus pénétrant qu'une flèche ardente. Je sentais une peine si terrible et une interdiction si forte, que je ne pus lui répondre, parce que ce qui s'était caché dans le fond se fit d'autant plus paraître dans ce moment que je le croyais plus perdu. [1.23.3]

Elle engage sa protégée à préparer puis signer un contrat symbolique suivant une coutume du siècle le jour de la Madeleine ; cette dernière sera délivrée d’une longue nuit intérieure, lors d’un de ses anniversaires, six années après la mort de la religieuse.

La Mère Granger m'envoya un petit contrat tout dressé, je ne sais par quelle inspiration. Elle me manda de jeûner ce jour-là et de faire quelques aumônes extraordinaires, et le lendemain dès le matin, jour de la Madeleine, d'aller communier une bague dans mon doigt, et lorsque je serais revenue au logis, de monter dans mon cabinet [1.19.10.]

L’aide inclut celle, cachée, que permet la « science des saints » :

J'appris avant de m’en retourner que la Mère Granger était morte. J'avoue que ce coup me fut le plus sensible que j'eusse encore eu. […] Il me semblait que si j'avais été à sa mort, j'aurais pu lui parler et m'instruire de quelque chose […] Il est vrai que quelques mois avant sa mort, j'eus une vue que quoique je ne la pusse voir qu’avec une extrême difficulté et sans souffrir, elle m'était encore un soutien. [1.20.4] 

M. Bertot, quoiqu'à cent lieues du lieu où la mère Granger mourut, eut connaissance de sa mort [le 5 octobre 1674] et de sa béatitude, et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l'ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis. Je n'eus aucun pressentiment de sa mort. [1.20.7]

A quelques années de là, la Mère Granger m'apparut en songe, et me dit : « Soyez assurée que Notre-Seigneur pour l'amour qu'il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine... » [1.22.7]

Une génération plus tard nous relèverons d’autres liens avec le cercle normand car, outre sa direction par monsieur Bertot, cette dernière est ouverte à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, lui-même en relation avec Jean Aumont : c’est une « chaîne secondaire » reliant en deux générations madame Guyon à Bernières. Un remarquable mémoire sur Marie des Vallées est présenté dans le Directeur Mystique accompagnant les écrits de Bertot assemblés par elle puis édités par le groupe de Poiret[365] : son influence est ainsi confirmée tardivement en 1726. Enfin madame Guyon connaît et apprécie la “sainte” Mère du Saint-Sacrement.

Ainsi les liens avec la mouvance franciscaine se sont maintenus : outre l’ouverture à la vie intérieure par “le bon franciscain” Enguerrand, le seul vivant contemporain cité est “l’auteur du Jour mystique” Pierre de Poitiers, franciscain capucin ; enfin les papiers de Bertot furent déposés au couvent franciscain de Nazareth alors dirigé par Paulin d’Aumale avant de parvenir à madame Guyon puis d’être édité par le groupe du pasteur Poiret. Certes madame Guyon ne put citer Bernières compte tenu de la condamnation post-mortem de ce dernier qui s’avère gênante puisqu’elle se produit pendant les années actives publiques parisiennes[366], mais les cercles spirituels établis en Hollande, Suisse et Allemagne, Ecosse s’en souviendront : informés de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités bernoise firent le 6 janvier 1769 une saisie des rares livres et écrits en possession du pasteur Dutoit, second éditeur de madame Guyon, dont la liste prouve la conscience qui demeura longtemps de la filiation passant par Bernières puis Bertot[367]. Nous reviendrons sur ces points.

Archange Enguerrand (1631-1699), « le bon franciscain ».  

   Archange Enguerrand[368], âgé de trente-sept ans à son retour d’un séjour au mont Alverne, le célèbre « désert » franciscain, rencontra à Montargis la belle madame Guyon âgée de vingt ans, mais qui avait déjà entrepris une recherche spirituelle ; il l’introduisit à la vie intérieure :

De loin qu'il me vit, il demeura tout interdit car il était fort exact à ne point voir de femmes, et une solitude de cinq années dont il sortait ne les lui avait pas rendues peu étrangères. Il fut donc fort surpris que je fusse la première qui se fut adressée à lui, ce que je lui dis augmenta sa surprise, ainsi qu'il me l'avoua depuis, m'assurant que mon extérieur et la manière de dire les choses l'avaient interdit, de sorte qu'il ne savait s'il rêvait. […] Il fut un grand temps sans me pouvoir parler. Je ne savais à quoi attribuer son silence. Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : « C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre coeur et vous l'y trouverez.[369] » En achevant ces paroles, il me quitta, disant qu’il allait chercher des écrits afin de me les donner. Il m’a dit depuis que c’était bien plutôt la surprise afin que je ne m’aperçusse pas de son interdiction[370] / Le lendemain matin, il fut bien autrement étonné lorsque je fus le voir et que je lui dis l'effet que ses paroles avaient fait dans mon âme ; car il est vrai qu'elles furent pour moi un coup de flèche qui percèrent mon cœur de part en part. Je sentis dans ce moment une plaie très profonde, autant délicieuse qu'amoureuse…[371].

Le « bon religieux fort intérieur de l'ordre de Saint François », qui resta probablement quelques mois au couvent de récollets de cette ville, lui fit rencontrer la Mère Granger. Par la suite madame Guyon reverra Archange à Corbeil, en 1681 : au moment où elle va se rendre à Gex, il la préviendra - judicieusement au vu des événements qui suivront - contre les Nouvelles Catholiques dans lesquelles elle comptait s’engager. Enfin elle le demandera en vain comme confesseur lors de son emprisonnement, en 1696 :

En cette extrémité, je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange Enguerrant [sic], récollet d'un grand mérite, ou bien un jésuite. Non seulement on ne voulut m'en faire venir aucun, mais on me fit un crime de cette demande.[372]

Gardien du couvent de Saint-Denis (1670-1672), prédicateur assez réputé en 1677, provincial en 1683 de la province couvrant Artois, Hainaut et Flandre française, il fut ensuite exilé dix ans à l’autre extrémité du royaume à Saint-Jean de Luz, par suite d’une affaire (inconnue) qui avait provoqué une intervention de la Cour. En 1694 il fut chargé d’une communauté de sœurs visitandines : « C’est à quoi je ne suis plus guère propre après dix ans d’exil ». Il mourut à Paris le 23 avril 1699.[373].

 Archange Enguerrand formé par Jean Aumont se rattache par lui au réseau de « l’école du cœur[374] » issu de l’Ermitage. Il fut en relation avec Le Gall du Querdu[375] et avec Mectilde-Catherine de Bar, la « mère du Saint-Sacrement » très estimée de madame Guyon ; la réformatrice bénédictine pratiquait l’adoration perpétuelle, sujet du premier ouvrage imprimé d’Archange[376]. On voit comment au sein d’un réseau informel d’amitiés spirituelles, ces mystiques s’entraidaient pour pratiquer une oraison du cœur sans aucune spéculation mais ne négligant aucun moyen, dont une symbolique affective illustrée par les belles gravures de l’Agneau occis du « simple vigneron ». « Le cœur purifié et vidé de l’amour propre est dans son fond le lieu de l’union à Dieu[377]. »

La Mère Bon (1636-1680), ursuline.

Mme Guyon ne la connut pas, mais raconte dans sa Vie que la mère Bon aurait pris soin d’elle par delà la mort en la visitant en rêve :

Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : ‘Ma sœur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève.’ Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens plus. J'en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Selon le portrait de la mère Bon, que j'ai vu depuis, j'ai connu que c'était elle ; et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort. [378]

      Cet épisode montre que Mme Guyon connaissait la mère Bon de réputation. On sait que le P. La Combe l’admirait. La mère Bon dirigea une comtesse piémontaise, qui fonda à Turin un couvent d’ursulines, or madame Guyon sera en relation avec une comtesse et son couvent lors de son séjour turinois. Enfin, Mme Guyon aimait le Catéchisme spirituel puisqu’on le trouve relié avec des copies des Torrents.

La Mère Marie Bon n’a pas été reconnue à sa valeur et fut suspectée de quiétisme, malgré le livre du P. Maillard[379] puis l’appréciation de Bremond selon laquelle elle serait « la vivante réalisation de ce que les théoriciens de la mystique ont décrit de plus sublime. »[380].

Née d’un père avocat au Parlement de Grenoble, elle perdit sa mère à l’âge de deux ans. « Les religieuses ne voulaient pas la recevoir à cause de sa petite taille et de ses infirmités [381] ». Elle entre cependant en religion à vingt et un ans, le 20 décembre 1657. En 1661, une vision du Crucifié mit fin à une période de troubles intérieurs. Elle obtint de Dieu de cacher toute manifestation de Ses grâces tandis qu’elle assurait l’enseignement des filles selon la vocation des ursulines.

Les religieuses « attribuaient ses faiblesses à la continuelle attention qu’elle apportait aux opérations de Dieu dans son cœur. Mais elle dit à l’une de ces religieuses, que son mal venait au contraire de ce qu’elle ne s’appliquait pas assez à Dieu. Elle ajouta qu’elle puisait ses forces dans la contemplation [54] ». Elle eut la vision d’une « personne renfermée dans un globe de cristal », ce qui lui fut expliqué ainsi : Vous êtes dans Moi, Je vous environne de tous côtés : tout ce qui vous vient de la part des créatures passe par Moi [66].

 Alors qu’elle était accoutumée « de former des intentions très pures au commencement de ses actions [86] […] [Dieu] lui montra qu’il y avait quelque amour propre […] la satisfaction d’être assurée qu’elle faisait ses actions pour Dieu. Afin de détruire ce défaut […] elle devait regarder Dieu seul, Lui abandonner ses propres intentions […] Le voir opérant dans elle comme dans un néant qui ne peut produire aucune chose ; qu’Il régnait ainsi dans l’âme, laquelle n’usait alors de sa liberté que selon les mouvements de la grâce, lui disant :Sacrifiez-moi le désir que vous sentez [101] d’avoir de l’humilité, pour vous rendre conforme à ma volonté et ne considérez pas cette vertu en vous, parce que vous la perdrez lors que vous croirez la posséder […] vous devez suivre seulement la lumière que Je répands dans votre esprit, comme les Israélites suivaient l’Ange.’ » 

Vers 1664, Courbon, vicaire de l’archevêque de Vienne, lui commandant d’écrire, elle adressa à son directeur l’exposé suivant :

Mon âme se trouve dans un simple regard de Dieu, ou pour mieux dire, dans une simple attention à la parole de Dieu dans mon [124] coeur, se tenant dans un profond respect et dans un silence semblable à celui que l’Amante Madeleine gardait aux pieds de son Sauveur. Car c’est ainsi qu’Il me l’a fait voir Lui-même…

Il n’y a de ma part […] que l’acquiescement […] Tout ce qui n’est pas Dieu […] empêche le cours de [125] Sa grâce : laquelle exige de couler continuellement dans l’âme […] Et de même que l’eau d’une vive source court promptement, lors qu’ayant été retenue elle trouve un passage libre […] ainsi cette grâce ayant arrêté son cours par l’infidélité de l’âme […] se répand à la même vitesse, quand cette âme retourne à sa première fidélité. C’est ce qui m’arrive quelquefois…  µ trop de coupures !

Parallèlement à l’assassinat de son père le 21 septembre 1664, elle traversa une nuit spirituelle :

Lorsque vous êtes fortement poussée à vous jeter par la fenêtre, vous n’y consentez pas, car vous vous retirez promptement : sachez qu’il en est de même de vos autres tentations [163]. Elle reconnut que son amour propre lui faisait craindre de devenir folle…

Elle appliquait sa prière au soulagement des âmes du Purgatoire :

 Je m’étonnais de ce qu’Il voulait se servir de moi pour sauver les âmes […] Ne sais-tu pas que tu es un néant et que c’est pour cela que Je t’ai choisie ? [245]

On lui ordonnait souvent de se mettre au parloir malgré ses infirmités. Dieu lui révélait les secrets des consciences. Les gens accouraient de tous côtés :

Elle disait avec une sainte liberté […] aux gens de qualité et aux autres, les défauts […] Ils n’avaient aucun repos de conscience qu’ils n’eussent exécuté ce qu’elle [250] les avait priés de faire. Il n’était pas nécessaire que chacun lui dit ses dispositions intérieures, [251] pour lui déclarer son état : les lumières de la grâce les lui faisaient voir aussitôt qu’on commençait à lui parler.

Ceci lui attira des jalousies : son Traité de l’oraison la fit accuser d’hérésie, mais une traduction italienne fut approuvée.

Elle fut deux fois supérieure, avant une persécution qui dura sept ans :

 [La nouvelle supérieure] lui ordonna de la lui demander [la communion], comme les novices le pratiquent, toutes les fois qu’elle voudrait s’approcher des saints mystères […] elle se soumit volontiers […] elle prenait le temps des assemblées de la Communauté et se mettait à genoux devant la Supérieure [279].

Cette persécution s’acheva dix-huit mois avant sa mort à l’âge de quarante cinq ans.

Quels sont ses liens avec notre école ?

Ce « catéchisme » tout mystique a été écrit sous forme d’un dialogue sur les grands thèmes : Dieu seul, le chemin désintéressé, l’adhérence à la grâce.

D. Que peut faire l’âme ainsi dénuée de tout plaisir, jugement volontaire et intérêts propres ? - M. Elle n’a jamais fait de si bonnes affaires qu’elle en fait pour lors, parce que jouissant de [662] Dieu d’une manière inconnue aux sens, elle opère par Lui, et Il opère en elle, de sorte que ses opérations sont toutes saintes et d’un mérite très grand. C’est pour lors […] qu’elle peut être appelée spirituelle ; parce qu’elle n’est plus que pour adhérer à l’esprit de la grâce […] pour lors elle peut dire avec vérité les paroles de St Paul : ‘je vis en moi mais non plus moi, mais l’esprit de Jésus-Christ vit en moi’.

[668] M. L’anéantissement doit détruire toute présomption et donner la gloire à Dieu de toutes ses bonnes oeuvres. Il faut de plus retrancher les paroles, je ne suis rien, je suis un grand pécheur et je ne fais que du mal, d’autres semblables, lesquelles ordinairement ne sont que compliment de l’amour propre.

[676] D. Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu ? - M. Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à Sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’Il en donne ; ne pas prendre conseil avec soi-même pour savoir si on doit se soumettre ou non ; et enfin faire la volonté de Dieu intérieurement et extérieurement sans perdre la vue de Dieu pour la faire, et sans s’occuper l’esprit…

D. Pourquoi il faut ainsi nous détruire nous-mêmes pour agir simplement ? - M. Cette simplicité, pour être parfaite, demande ces anéantissements parce que son occupation est de regarder Dieu en tout temps et en tout lieu comme son unique objet et sa fin dernière sans permettre même à l’âme qui la pratique de considérer distinctement ce qu’elle fait en cette pratique et ce qu’elle y acquiert, non pas même de voir si Dieu est son unique objet par une application particulière, [678] de sorte que l’on pourrait dire de l’âme qui agit simplement qu’elle agit purement, parce qu’elle est toute perdue en Dieu et n’agit que par Lui, c’est pour lors qu’elle est, parce qu’elle cesse d’être à elle-même pour être à Dieu.

M. [682] Le chemin que je veux vous montrer et que je souhaite que vous marchiez à grands pas, porte le nom de la Voie ou Chemin Désintéressé […] - D. Ayez la bonté de me conduire à cette porte. - M. Cette porte n’est autre que l’humble prière […] [683] qui se fait dans le cœur par adhérence aux mouvements de l’esprit de la grâce, lequel donne à un cœur qui lui est soumis, ce qu’il doit demander et la manière…

En analysant les difficultés rencontrées dans l’oraison, elle met en garde contre les pensées contrôlées par l’entendement et qui empêchent le vide nécessaire à l’opération divine. Elle sous-entend par là les méditations (considérations) sur un thème :

D. S’il arrivait des bonnes pensées dans l’imagination […] faudrait-il les détruire ? - M. Il n’y a pas de nécessité de détruire les pensées qui occupent l’imagination : il se peut même faire que l’imagination étant ainsi occupée sans que l’âme ait pris aucun soin, donnera à la volonté une plus grande facilité pour faire sa prière. [692]

D. Quelle différence mettez-vous entre la considération et la pensée qui vient de l’imagination ? - M. Ce qui fait cette différence, est que la volonté se porte délibérément à faire que l’entendement soit occupé dans une pensée ou sujet pour le considérer […] Si bien que [693] toute l’âme, ou du moins ses trois puissances, se trouvent toutes occupées et remplies de telle sorte qu’il n’y reste point de vide pour recevoir l’opération de Dieu, [mais] au contraire une opposition générale par l’attachement volontaire qu’elles ont au sujet qui les occupe.

    Par contre, les pensées qui surgissent spontanément n’ont pas d’importance :

Cette opposition n’est pas dans la pensée qui se présente à l’imagination, parce que l’âme ne l’ayant pas choisie elle n’y a pas de volonté, ni par conséquent de propriété et d’attachement, et venant à s’en apercevoir, elle s’en défait ordinairement comme d’un sujet qui vient la séparer de celui qu’elle s’est choisi et auquel elle veut se tenir…

Elle insiste sur le libre don de Dieu à tous, montrant le même optimisme que Mme Guyon dans son Moyen court :

[700] M. Ceux qui disent que l’oraison est un don de Dieu, disent le vrai. Mais lorsqu’ils ajoutent qu’il ne le donne pas à tous, ils se trompent […] Il ne tient qu’à l’âme de faire oraison […] un peu d’amour pour Dieu ou pour elle-même la ferait profiter de l’esprit de prière et d’oraison qui est en elle […] on viendrait à connaître par expérience qu’il n’est pas difficile de suivre les divins mouvements pour prier.

Elle montre que l’obsession des vertus n’est qu’attachement à sa propre perfection :

La privation des effets sensibles de la grâce [a lieu] pour retrancher les dérèglements de l’amour propre […] il faut qu’elles [les âmes] se perdent si bien en Dieu qu’elles ne voient que Lui et non plus elles-mêmes…

 [723] D. Il faut donc préférer l’attrait qui unit l’âme à Dieu à tous ceux que l’on a pour la pratique de la vertu ? - M. Oui, il le faut […] Combien de personnes s’éloignent de la perfection par le défaut de fidélité [724] sans néanmoins en manquer aux autres attraits qu’elles ont pour la pratique des vertus […] de sorte que regardant les dispositions que la présence de Dieu lui communique comme moyen de se rendre plus parfaite, elle s’y attache et s’en sert par intérêt propre et ne craint point de perdre la vue de Dieu pour celle qu’elle prend plaisir d’avoir en Ses dons ; de sorte que si la divine Bonté ne retirait pas Ses dons pour la remettre en son devoir, elle resterait dans son aveuglement. […] Pour tout avoir, il ne faut rien avoir… 

Un acquiescement de volonté en silence à celle de Dieu par lequel l’esprit [739] agit ou n’agit pas suivant ce que cette divine Volonté ordonne, et cet acquiescement produit sans bruit […] [la] pure foi.

Si l’on est préoccupé par son imperfection, une seule solution :

[745] Dieu est ce grand miroir […] dans la glace duquel l’âme chrétienne aperçoit ses défauts, et la fidélité qu’elle a à s’y regarder, lui mérite la grâce de les détruire ; c’est là que les imperfections lui paraissent telles qu’elles sont, l’amour propre n’ayant [aucun] moyen de les couvrir du manteau de déguisement. L’âme qui veille à Dieu, Il a Lui-même la bonté de veiller pour elle sur elle-même ; de sorte qu’elle pourrait dire qu’elle se voit par les yeux de Dieu et non point autrement.

L’âme est abandonnée au divin :

[763] L’âme qui est à Dieu par l’abandon ou donation qu’elle lui fait d’elle-même et de tout ce qui la touche, demeure en repos et en silence auprès de Lui sans souci, sans dessein, sans volonté, éloignée de toute inquiétude parce qu’elle ne veut que la volonté de Dieu à laquelle elle adhère simplement, bien que l’amour-propre et la conduite humaine s’y opposent…

La mère Bon récapitule ce que l’âme a traversé, en insistant sur la nécessité de de la discrétion et d’une vie cachée :

[781] Par la connaissance de soi-même on se voit inhabile à la pratique du bien sans le secours de la grâce…

[793] l’âme dans cette vie de Dieu reçoit de sa bonté un nombre infini de bons sentiments qu’elle rend en même temps à son bienfaiteur […] mais comme elle n’a pas encore la pureté d’amour qui lui est nécessaire, elle reste dans ses élans et transports d’amour, par l’ardeur desquels elle se purifie et dépouille des sentiments naturels, des désirs des choses créées, des attachements qu’elle y a…

 [794] Ces transports et élans amoureux doivent être modérés en sorte qu’ils ne paraissent pas à l’extérieur […] cette grâce demande que celles qui l’ont reçue commencent à mener une vie cachée […] et pour cet effet elle doit taire tous ses bons sentiments, ne pas parler de Dieu ni de la vertu, quelque bonne intention qui la pousse.

La belle fin du Catéchisme décrit l’occupation de l’âme qui a tout quitté pour Dieu :

[802] L’occupation de l’âme dans cet état n’est autre qu’une cessation de toute occupation pour se laisser occuper de Dieu seul, un anéantissement continuel de ses puissances intérieures pour se [803] perdre en lui et en être possédé ; son oraison peut être appelée un silence intérieur par lequel elle prie […] contemplation infuse de la part de Dieu et passive de la sienne pour le recevoir. 

 [831] Aimer Dieu par lui-même c’est avoir anéanti toutes ses propres opérations, exceptée celle de la simple attention à Dieu par la foi et la simple adhérence […] il lui semble toutefois souvent qu’elle est sans amour parce qu’elle n’a plus de sentiment sensible ni d’affection dans le cœur qui l’en assure : comment pourrait-elle en avoir puisque pour aimer purement il faut de nécessité n’être plus.

[832] La vertu de simplicité […] est une émanation de l’être simple de Dieu […] elle fait que l’âme quitte la multiplicité pour se tenir dans l’unité, qu’elle quitte toutes pensées et même les lumières surnaturelles et les grâces reçues pour ne voir que Dieu.

D. L’âme n’acquiert-elle point d’autre bien […] ? - M. La connaissance expérimentale d’elle-même, par laquelle elle est en état de ne se fier plus à elle-même, et de ne s’attribuer jamais la gloire du bien qu’elle fera, mais à Dieu qu’elle voit en être l’auteur.

Malaval (1627-1719), l’aveugle de Marseille.

Très cultivé, il est en relation avec le français Gassendi comme avec le cardinal italien Bona. Il rencontre madame Guyon en 1685 et donne un avis positif sur son Moyen court[382]. Sa propre Pratique facile pour élever l’âme à l’oraison est mise à l’index en 1688. Rentré dans le silence, il reprend alors ses activités intellectuelles et charitables et meurt en renom de sainteté, très apprécié de ses concitoyens. Il « souligne fortement l'impuissance de la raison à connaître Dieu tel qu'il est, comme celle du langage humain, y compris de l'Écriture[383] » :

Il n'y a que Dieu qui s'explique à l'âme d'une manière ineffable, qui ne tient ni de la parole, ni de la pensée humaine, qui, sans se faire comprendre, nous fait au moins sentir qu'il est incompréhensible... C'est une lumière qui provient de la foi, ou pour mieux dire, c'est la foi même qui devient lumineuse. » (1ere partie de la Pratique).

Cette foi est pure lumière, mais ténèbre pour la raison :

La contem­plation est une ignorance, parce que c'est une abnéga­tion de toutes les connaissances humaines, un silence des sens et de la raison ; mais cette ignorance est docte parce qu'en niant tout ce que Dieu n'est pas, elle ren­ferme tout ce qu'il est. (12e Entretien).

     Il a inflluencé directement le confesseur de Catherine de Bar, Épiphane Louys, ainsi que son disciple Michel La Ronde.

Le P. La Combe (1640-1715), confesseur.

Un peu plus âgé que Mme Guyon, ce simple prêtre barnabite fut le compagnon de ses débuts, étant à la fois son confesseur et son disciple. C’est ensemble qu’ils ont découvert la transmission de la grâce de cœur à cœur. Il est resté dans l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement, sommairement et fort bassement mis en cause. Pour le connaître nous disposons de ses lettres et d’opuscules. Notre première source d’information reste la Vie par elle-même de Mme Guyon où elle décrit leurs relations[384]. La Combe (le nom s’orthographie aussi Lacombe) s’y révèle comme un excellent directeur mystique. Lorsqu’il sera définitivement mis au secret des prisons, seul Fénelon l’emportera en confiance et en estime auprès de Mme Guyon.

François La Combe avait des dons brillants mais ne bénéficia pas d’appuis particuliers : né à Thonon en 1640, il reçut l’habit des barnabites à quinze ans ; il est ordonné à vingt-trois ans, enseigne avec succès au collège d’Annecy, prêche et collabore aux missions du Chablais. Consulteur du Provincial à Paris à vingt-sept ans, il enseigne, de trente et un ans à trente-quatre ans, la théologie à Bologne et à Rome. Supérieur à Thonon, de trente-sept à quarante-trois ans, il jouit d’une excellente réputation.

Il devient, nommé par M. de Genève, le directeur de madame Guyon à Gex en 1681, l’année de la mort de son précédent directeur Bertot. Jalousé par le demi-frère de madame Guyon, qui répand des calomnies, il est arrêté à quarante-sept ans, en 1687, lors de la première période de prison de madame Guyon. Abandonné par son Ordre, donc sans protection, le père barnabite ne fut jamais libéré. Il lui restait vingt-sept années à vivre prisonnier : pendant les deux premières, il fut transféré de la Bastille à l’île d’Oléron, puis à l’île de Ré, ensuite à la citadelle d’Amiens ; ensuite, de 1689 à 1698 au château de Lourdes, il eut la joie de reconstituer un groupe spirituel, que, sans réfléchir, il appelle « petite église » dans ses lettres à Mme Guyon :

 

ce terme s’avérera fort mal choisi lors des interrogatoires qu’elle subira. Il sera transféré à Vincennes au moment où celle-ci subit le plus dur de l’épreuve des prisons. A soixante-douze ans, un rapport de police le déclare fou : sans doute atteint de sénilité, il est transféré à Charenton où il meurt trois années plus tard, le 29 juin 1715. Ce « petit prêtre » lâché par son ordre, sera vénéré comme martyr par les membres du groupe guyonien de Morges-Lausanne. Son sort fut pire que celui de Mme Guyon qui, après huit années d’emprisonnements, partiellement protégée de par son origine et ses fréquentations à la Cour, fut peut-être délivrée par l’intervention cachée de proches puissants, et redevint une active directrice mystique.

Sur le plan spirituel, il devrait beaucoup à la Mère Bon. Sa doctrine est très simple. Les grands thèmes en sont : la contemplation, indissociable de l’amour, suppose l’abandon de la volonté propre ; nous ne pouvons comprendre l’Immense qui nous contient, mais pouvons acquiescer à son bon vouloir (comme Moïse dans la nuée) ; l’appel de Dieu est notre seule fin et il s’adresse à tous.

Le Traité sur l’Oraison mentale

Le style de son Traité [385] contient bien des expressions heureuses. Voici comment il précise le passage de l’oraison mentale à la contemplation :

1. L’oraison contemplative est le regard fixe, simple et libre, porté sur Dieu […] imposant silence aux puissances, elle s’attache à Dieu par une simple vue, l’embrasse par un acte continuel de foi et d’amour et se repose en lui par une jouissance tranquille […]

6. […] L’oraison moins parfaite qui avait été discursive, fait place à une plus parfaite qui est simple, c’est-à-dire lorsque l’intelligence de celui qui pense devient la contemplation de celui qui aime ; ce qui est sortir de la méditation par la méditation même, et par elle passer à la contemplation. Presque tous les saints ont éprouvé cette dernière, et ont souhaité ardemment que chacun en fît l’expérience.

9 De la part de l’homme, le but et la fin de l’oraison sont doubles; la première d’élever l’homme à Dieu, la seconde de l’unir à Dieu. De la part de Dieu, la première condition nécessaire, c’est que l’Esprit saint préside à l’oraison et qu’il l’inspire puisque celui qui sonde les cœurs, sait ce que l’Esprit désire, parce qu’il le demande pour les saints selon Dieu[386]. […] un des plus grands obstacles à l’Oraison, surtout quand elle est avancée, est une sorte de dureté et d’attache au propre esprit, qui l’assujettit à certaines règles, qui le lient comme de chaînes, ou qui l’occupent de vains scrupules, ou lui imposant des pratiques d’obligation, ou l’engageant à se les imposer à lui-même, afin qu’il ne puisse s’élever librement à Dieu, ou qu’il se resserre par des actes multipliés, singuliers, imaginaires ou sensibles, dans lesquels il s’entortille et se fatigue, de manière qu’il ne puisse point s’unir à Dieu, qui est très simple, très tranquille et très unissant.

11. […] qu’au contraire [de la méditation], il se sente doucement entraîné à la contemplation, et au repos en soi, en admiration et en amour de Dieu, dont il sent intimement la présence; alors il est clair qu’il faut laisser la méditation et embrasser la contemplation, alors il est commandé à cette personne de rechercher des dons plus excellents[387] et de monter plus haut; c’est-à-dire, au pied de son amour qu’elle a trouvé pour son souverain bonheur et de s’y reposer. Et personne ne doit regarder cela comme une témérité ou une arrogance, ce serait bientôt une orgueilleuse opiniâtreté de résister à l’appel de Dieu puisque nous avons surtout été créés pour cette fin, pour jouir du souverain bien, ce qui ne peut pas avoir lieu sans cette intime et tranquille union.

     Le divin est inconcevable par l’esprit humain :

[2e cahier :]

14. […] ce cœur est pur qui présente à Dieu sa mémoire vide de toute forme et de toute espèce, prêt à recevoir tous les rayons du Soleil lui-même, qui peut l’éclairer : le poète Prudence a bien dit : «Le Dieu éternel est une chose inestimable; il n’est renfermé ni dans la pensée ni dans la vue. Il surpasse toute la conception de l’esprit humain, il ne peut tomber sous nos sens, il remplit tout en nous et hors de nous, et il se répand encore au-delà.»

C’était une chose incontestable parmi les anciens Pères du désert. La plus pure qualité de l’oraison, disaient-ils, est celle qui non seulement ne se forme aucune image de la divinité, et qui dans sa supplication ne lui donne aucune figure corporelle (ce qu’on ne peut faire sans crime), mais qui même ne reçoit dans son esprit aucun souvenir de parole, ni aucune espèce d’action ou forme de quelque caractère. […]

Enfin, cela arrive par la manifestation de Dieu dans l’âme, et l’affluence immense de la divine lumière de la pure contemplation, qui surpassant et absorbant entièrement les forces naturelles de l’esprit, ne peut jamais tomber sous sa conception.

16. L’homme pâtit les choses divines, il est plutôt mû de Dieu qu’il ne se meut lui-même, car immédiatement après que l’Esprit du Seigneur s’est emparé de quelqu’un, il est changé en un autre homme accordant à l’opération divine un consentement aussi simple que paisible ; et cependant l’amour du Créateur se joue en lui selon son bon plaisir et fait ce dont celui qui opère a seul l’intelligence. Et il en est de ce genre dans l’Église un plus grand nombre qu’on ne pense communément, ce don sublime ne consistant pas seulement dans les signes merveilleux qui frappent les yeux des mortels, mais bien plus dans la déiformité de l’esprit, dans le plus intime de l’homme, qui le plus souvent sous l’apparence d’une pauvreté méprisée mène une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

La contemplation est faite pour tout le monde :

17. […] Il n’y a aucun état des fidèles qui puisse exclure de la grâce de la contemplation ; quiconque a un cœur peut être éclairé de la lumière de la contemplation. […] Quel dommage il arrive aux âmes par la défiance qu’elles ont presque toutes de parvenir à la contemplation et le désespoir de pouvoir y atteindre ! Si ceux-là seulement doivent désespérer d’obtenir cette grâce qui n’ont point de cœur ; ceux au contraire dont il est bien disposé pour les choses intérieures, peuvent certainement y arriver […] comme il arrive […] dans les femmes et les filles, dans les gens doux et les humbles…

19. Si donc la plupart des objets naturels sont connus par la simple appréhension, pourquoi serons-nous surpris que plusieurs objets surnaturels le soient aussi par le simple regard ? […par] simple acquiescement. […] Car comment pourrait-il arriver que celui qui nous exhorte partout et nous presse partout dans l’Écriture[388] à prier sans cesse, à s’occuper uniquement de lui, à s’attacher uniquement à lui, à marcher toujours en sa présence, à se le proposer dans toutes nos voies, et à contempler les vérités éternelles, sachant[389] que nous ne pouvons rien faire sans lui; comment[390], dis-je, nous refuserait-il les secours nécessaires pour faire ces choses?

Il appelle à la contemplation passive perpétuelle, où l’on se donne à Dieu de tout son être :

24. […] Les marques de la contemplation passive sont un souvenir perpétuel de Dieu, l’attention continuelle du même Dieu très présent partout et surtout dans le cœur, un état d’oraison perpétuel indistinct, uniforme, très étendu […] l’affranchissement de tout mode, de tout temps, de tout exercice, de tout lieu, de toute méthode, de tout moyen, par lesquels on acquiesce à Dieu seul au-dessus de toute conception ; car ici l’âme se trouve comme établie et enlevée du temps présent dans l’éternité, et contemple en elle-même Dieu d’une manière qui lui est inconnue. Les dons singuliers de Dieu sont, la continuité de l’oraison sans fatigue, un merveilleux rassasiement, avec une perpétuelle soif d’oraison, la vue et le sentiment très intime de Dieu en toutes choses et de toutes choses en Dieu ; ce qui fait que celui qui a pénétré ce secret s’écrie avec raison « toutes choses me sont Dieu et Dieu m’est toute chose. »

Enfin lorsque cette manière d’oraison aura été forte avancée, elle produit en l’homme la sortie de lui-même, et de toutes les créatures; ensuite il demeure libre en toutes choses, et étant heureusement mort dans le Seigneur, il rentre dans le repos de son Seigneur. Il est surpris d’être fait une même chose avec Dieu et cependant il ne doute point qu’il ne soit distinct de Dieu. Il est réduit à l’anéantissement et ne se voit plus. Enfin par l’émulation de sa patrie céleste [Saint-Augustin] lorsqu’il a reçu cette joie ineffable, l’esprit humain disparaît en quelque façon et est divinisé […] Il est recoulé comme dans son origine, d’où il est passé en Dieu. […] Or dans cette parfaite abnégation et soumission tout se consomme; et quiconque voudra éprouver ces merveilleuses et grandes choses, doit commencer par devenir très petit et très abject à ses propres yeux, et se renoncer toujours et en toutes choses.

Lorsque quelqu’un aura cherché le Seigneur son Dieu il le trouvera, si cependant il a cherché dans toute l’angoisse de son âme[391]. Voilà la seule chose que nous devons chercher, voilà le chemin le plus sûr de le chercher, celui qui cherche Dieu seul et qui le cherche de tout son cœur; celui qui le cherche dans toute l’angoisse, son âme le trouvera certainement et sûrement.

Jeanne-Marie Guyon (1648-1717)

 

J’arrive au cœur de l’ouvrage en abordant la figure à partir de laquelle une filiation mystique usant d’une communication de cœur à cœur affirmée devait être retrouvée.  Cette communication se prêtant à une irruption de la grâce divine, laquelle est limitée ordinairement aux sacrements aux yeux des fidèles de l’Eglise Catholique, fut à l’origine de graves difficultés concrètes et théologiques conduisant à des incompréhensions et à des condamnations de corps et d’âme. Aussi le domaine d’étude est resté peu couvert par l’évitement compréhensible pratiqué par ses clercs qui couvrent le champ des « études de spiritualité ».  Libre, il se prête aujourd’hui à une libre approche.

Avant que d’étudier ici plus longuement que d’autres figures de ce volume celle de Mme Guyon, dont la rencontre textuelle fortuite des Torrens nous amena à rechercher puis à retrouver en langue française l’équivalent de ce qui est reconnu en terres d’Islam et des orients orthodoxes, indiens, chinois ou japonais, nous la comparons à la seule autre mystique française abondant en traces écrites, d’envergure mystique comparable et vivant au même siècle.

Les sources et les voies par lesquelles leurs traces nous sont parvenues pour l’une et l’autre sont assez parallèles : dans leur imprédictabilité (un fils abandonné qui suivit les traces intérieures de sa mère partie au loin par deux fois, un pasteur protestant vivant en Hollande mais devenu fidèle disciple d’une catholique restée bien pratiquante) ; dans leur nature (deux « vies » que l’on puisse approcher et rétablir à partir de sources toutes rédigées en français). Enfin et beau cadeau, ces témoignages de vie mystique et concrète sont assemblés en tresses communse[392] pour se succéder presque parfaitement sur toute la durée du Grand siècle :

Madame Guyon en réponse à des disciples :

Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. Si l’on croit quelque bien en moi, l’on se trompe, et l’on fait tort à Dieu. Tout bien est en lui et pour lui. Si je pouvais avoir un contentement, c’est de ce qu’il est et qu’il sera toujours. S’il me sauve, ce sera gratuitement, car je n’ai ni mérite ni dignité[393].

Jeunesse et voyages

Rendre compte des événements vécus lors de la jeunesse et du mariage, de voyages hors de France, des honneurs de la Cour à la honte des interrogatoires policiers et des emprisonnements ? Il existe de bonnes introductions à la période « publique » et Louis Cognet avait l’espoir de rédiger une monographie. Ce qu’il a eu le temps de réaliser sous le titre de Crépuscule des mystiques et d’un article demeurent inégalé[394]. Nous avons assuré le relai pour éclairer la période des enfermements[395]. Quelques approches modernes sont recommandables[396]. Et la Vie écrite par elle-même s’est avéré la meilleure source vérifiée par des études modernes[397]. Elle témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de tourments qui laissèrent peu de place à une « quiétude » vu de l’extérieur. La timidité et le respect des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont témoignèrent amis et ennemis. Finalement, après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui associe respect de la tradition et liberté des opinions.

La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Eveillée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur objectant : « Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! [398]» Livrée à elle-même lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à sa naissance. » Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » - et qui savait le latin - l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette adolescence.

Elle est mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je voyais bien qu'il n'y avait pas d'apparence de changer … outrée de douleur, il n'y avait que six mois que j'étais mariée, je pris un couteau, étant seule, pour me couper la langue … J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer … L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche … Je m'en plaignais quelquefois à la Mère Granger [399] qui me disait :  ‘Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout’ ? »

Elle a été initiée à la vie intérieure par deux mystiques : le franciscain Enguerrand[400] et cette religieuse. Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… ». 

Madame Guyon commence ses voyages peu après la disparition de Bertot, par l’établissement des Nouvelles Catholiques connues de ce dernier[401] à Gex près de Genève. Mais elle découvre vite l’ambiguïté de la situation des converties.

La jeune Jeanne-Marie Guyon perd ses premiers guides sur le chemin intérieur : la supérieure du couvent de Montargis Geneviève Granger en octobre 1674, puis le confesseur au couvent de Montmartre Jacques Bertot en mars 1681. Elle se tourne vers le Carmel dont elle apprécie des vocations mystiques (elle connaît bien les écrits de Jean de la Croix et ceux de Jean de Saint-Samson, et aura tout lu des mystiques reconnus à son époque) tandis que le grand carme Maur de l’Enfant Jésus avec qui elle entre en correspondance vers 1674 vit une existence retirée à Bordeaux.

Devenue veuve en juillet 1676, elle acquiert sa liberté confortée par une pleine autonomie financière, par sa solide culture et ses dons d’organisation. Elle cherche alors une vie active auprès des Missions étrangères et consulte Dom Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada. On lui propose de contribuer à l’apostolat des Nouvelles Catholiques : elle arrive à Gex près de Genève en juillet 1681.

« Je donnai dès Paris … tout l'argent que j'avais … Je n'avais ni cassette fermant à clef, ni bourse. » A Gex « l’on me proposa l'engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».

L’ambiguïté de leur action auprès de petites protestantes enlevées à leur famille l’en écarte vite : elle refuse d’être supérieure et perd ainsi la sécurité qui eut découlé d’un rattachement à une fondation religieuse (mais se brouille avec l’évêque in partibus de Genève ce qui aggravera son cas par la suite). Il faut ici rappeler la figure et l’influence probable post-mortem de la mère Bon, dauphinoise et en liaison avec l’Italie. Alors elle quitte Gex pour Thonon.

« Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l'avenir », elle compose à Thonon les Torrents : « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire … je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole... »

Mais elle découvre « une autre manière de converser », un échange de grâce en union avec le P. Lacombe : « J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait … Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence. » Suivent deux séjours fructueux en Italie (à Turin et Verceil) pendant près d’une année, puis à Grenoble.  Enfin elle revient à Paris :

L’animatrice du cercle fondé par monsieur Bertot

Elle a trente-huit ans et arrive à Paris peu avant la condamnation de Molinos. Des jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos … [le roi] ordonna … [qu’il] ne sortirait point de son couvent … ils résolurent de cacher cet ordre au père… » qui est finalement arrêté (il ne sortira jamais plus de prison). Quant à elle : « l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre … au mois de juillet dans une chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu dissolu de l’archevêque de Paris. Elle se défend lorsque l’official lui reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu. »

Elle retrouve le cercle créé par Bertot dont elle « était, disait-il, la fille aînée, et la plus avancée[402] » et va en assurer la direction mystique. Sur le plan de la vie intérieure, elle atteste d’une transmission de la grâce de personne à personne qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue en silence dans le recueillement des personnes :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le coeur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur. On discerne alors fort bien qu’on éprouve quelque chose au-dedans de soi-même que l’on n’éprouvait pas auparavant, mais pour ce temps-là seulement […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher[403]. »

Les textes où se trouvent décrites les modalités de cette transmission figurent dans les Discours spirituels, dans la Vie par elle-même [404], dans les Explications des deux Testaments. Elle commente ainsi le célèbre verset « …lorsqu’il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles »[405] :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes [...]dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu [...]l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. [...]Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.

Madame Guyon affirme un lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche :

…j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon coeur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin[406].

Fénelon répond :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer [...]Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds[407]

Madame Guyon le considérera comme son successeur :

Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. [...]Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles[408]. 

Mais il meurt avant elle.

Nous avons omis le récit de la période publique qui se limite à moins de dix années (1686-1695) car la « querelle du quiétisme » a été largement commentée (mais assez rarement étudiée dans la profondeur du vécu des ‘quiétistes’) : on se reportera aux études citées dont se détache le Crépuscule des mystiques de Cognet ; on lira la Vie par elle-même puis la Correspondance[409].

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où « Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance. » Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. » Mais tombé sous l’influence de Madame de Maintenon, Bossuet la persécutera : elle a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuve en prisons, dont la Bastille.

Si j’ai passé sur les péripéties de la période publique, ne rappelant que ce qui porte à la vie intérieure, la reprise du cercle fondé par Bertot et la rencontre mystique avec Fénelon, j’insiste en livrant ses détails sur la suite d’épreuves qui « teste » expérimentalement une valeur mystique[410]. Elle couvre les années 1696 à 1703 :

La chasse et les prisons.

Madame Guyon tenta d'échapper au « roi très Chrétien » en se terrant, espérant contre toute probabilité se faire oublier. Mais les puissants aiment pousser leur avantage jusqu'au bout lorsque l’exercer demeure sans risque. L’attente d’un Deus ex machina qui prendrait la forme d’un événement imprévu favorable, fut vaine. Le jeu du chat et de la souris couvrit cependant tout le second semestre 1695. Finalement repérée par la police et saisie les derniers jours de décembre, elle devenait une « matière » à modeler, meneuse dont il fallait obtenir la déconsidération complète pour l’emporter sans discussion dans une querelle du quiétisme aux prolongements théologiques problématiques. Cela avait été accompli pour Molinos accusé de toutes les turpitudes. Dans tout procès d'Inquisition, la déviation théologique est censée découler d'une déviation morale et le policier qui n’est pas bon théologien doit exercer son talent ailleurs : elle fut donc attaquée sur le plan des mœurs.

Dans le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s'accorder au bruit qui courait d'une relation trop étroite entre madame Guyon et le père Lacombe, son confesseur. Pratiquant surtout le latin ou l’italien, il ne parvint jamais à dominer notre langue et ses lettres décrivent leur lien spirituel dans un style hyperbolique d’un lyrisme transalpin qui ne s’accorde sûrement pas avec l’esprit clair mais sans humour de la Reynie, le chargé des interrogatoires de la « Dame directrice ».

Fait plus grave, il relatait l'éclosion d'un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en titre du lieu, le sieur de Lasherous ! Ce qui démontre la force morale de son animateur : Lacombe n’était pas un médiocre. Loin d'être considéré comme naïf et illuminé, il apparaît comme l'inspirateur de madame Guyon pour l’habile La Reynie. Il sera plus tard vénéré comme un martyr par des cercles guyoniens. Ses écrits spirituels sont raisonnables mais il accumule dans sa correspondance saisie les bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.

Brutalement résumé, on avait expliqué aux policiers qu’elle dirigeait une secte et qu’elle avait couché avec son confesseur : ainsi le médiocre M. de Junca « ne savait rien sinon qu’il me croyait une hérétique outrée et une infâme » (Vie, 4.6). La Reynie, interrogateur intelligent et droit, fit un résumé plus équilibré du cas : cette femme croit être divinement inspirée, elle écrit des livres et elle dirige des gens, quel orgueil ! alors même que tout ce qu’elle fait est contre le bon sens : quitter sa famille et son grand bien pour partir sur les routes !

Elle suscite donc sa pitié ; il ne trouve pas grand-chose d’intéressant chez elle mais il obéit au Roi. On trouve beaucoup de logique chez lui ; elle a du mal à y échapper et en désespoir de cause demandera que l’on interroge son confesseur. Elle voyageait avec ce dernier dans des conditions qui pouvaient être équivoques[411] et ne pouvaient qu’alimenter les soupçons de relations plus intimes. Plus généralement les expressions de « petite Église » et d’« enfants du Petit Maître » que l’on trouve dans les lettres saisies s’avèreront catastrophiques car, outre l’indice sectaire, elles suggèrent un communautarisme contraire à la pratique des clercs dans le monde catholique comme à l’autorité royale qui en est le modèle, mais proche des pratiques de certaines assemblées protestantes. Les derniers interrogatoires par la Reynie sont particulièrement éclairants et importants, où le Roi est « protecteur de la vraie et seule Église catholique[412] », ce qu’elle reconnaît elle-même.

La chasse illustre de manière exemplaire et parfois comique l’alliance entre la justice civile et la hiérarchie religieuse. Cette réunion « du sabre et du goupillon » est illustrée par l’épisode du transfert en secret de la prison de Vincennes au « couvent » de Vaugirard : ordonné de très haut, il est assuré incognito par le tandem policier et confesseur[413]. Les deux sources d’autorité civile et religieuse, sous la direction affirmée du Grand Roi, - en pratique de celle de son épouse, - vont se repasser la responsabilité de faire plier une prisonnière récalcitrante et n’y parviendront pas.

Le déroulement de l’épreuve subie avant même sa mise au secret à la Bastille est exemplaire d’une police bien rodée : on commença par « chauffer » la prévenue par un interrogatoire qui eut lieu le dernier jour de l'année 1695, donc très peu de temps après la saisie (27 décembre). Ce changement de situation brusque, de la liberté même confinée dans la maison de Popaincourt où elle s’était réfugiée en dernier lieu pour échapper à la police royale à l’internement dans la tour de Vincennes, pouvait en effet induire une faiblesse momentanée chez la prévenue.

 On prépara ensuite ses interrogatoires futurs grâce aux réponses données par les personnages assez secondaires arrêtés en même temps qu’elle[414]. En même temps, on confirma l’origine des livres et des pièces écrites qui avaient été saisies. Ces prises matérielles se seraient avérées anecdotiques, compte tenu de précautions prises par l’inculpée et fort regrettées par l’interrogateur, s’il n’y avait eu la saisie des lettres malencontreuses de La Combe et Lasherous, dont la dernière arriva à la maison de Popaincourt après les arrestations. Ces lettres seront les éléments principaux qui inspireront l’enquête. Cette première phase de préparation dura presque trois semaines.

Suivit le « coup de massue » délivré sous la forme de cinq interrogatoires concentrés sur treize jours (du deuxième, le 19 janvier, au sixième, le 1er février). Tout tournait autour de l'existence possible d'une secte qui serait à réprimer dans le royaume de France avant qu'il ne soit trop tard, celle d’une « petite Église » quiétiste en phase d’incubation appelée encore « des enfants du petit maître ». La charge d'atteinte aux mœurs était abandonnée pour l’instant par La Reynie ; elle sera reprise plus tard par l’archevêque de Paris armé de la célèbre lettre forgée supposée écrite par La Combe. L'accusée se défendit bien et des échos de cette résistance sans faille majeure parviendront à la Cour : « On dit qu'elle se défend avec beaucoup d'esprit et de fermeté », rapporte le chroniqueur Dangeau.

Les enquêteurs étaient maintenant perplexes devant ce statu quo, ce que traduit le va-et-vient des pièces à charge entre l'autorité civile, c’est-à-dire La Reynie, dirigée par le ministre Pontchartrain, et l'autorité religieuse, représentée par l'archevêque de Paris Noailles qui mettra bientôt la main à la tâche. Ces deux autorités, entièrement soumises au Roi et à son épouse, collaboreront étroitement. Pour l’instant, en l'absence de nouveaux éléments à introduire dans la procédure, on laissa La Reynie, qui de toute façon était le mieux préparé et le meilleur connaisseur de l'accusée, terminer son travail. Cette période de flottement aura duré exactement deux mois, du 1er février au 1er avril.

Le deuxième assaut fut donné sous la forme de trois interrogatoires menés en quatre jours (du 1er avril au 4 avril). Pour bien comprendre l’impact d’un tel interrogatoire, il faut s’imaginer le lieu et son déroulement. Un étage entier de la tour de Vincennes a été spécialement aménagé pour elle. Madame Guyon est en présence de La Reynie, lieutenant général de police de Paris, ainsi que du greffier chargé d'établir des actes les plus officiels possibles pour leur utilisation éventuelle. Elle doit se confronter activement durant presque une journée avec un homme connu pour sa compétence. Il lui faut répondre à des questions préparées soigneusement si l’on en juge par les traces écrites qui nous sont parvenues : les comptes-rendus des interrogatoires préliminaires de personnages secondaires comportent des soulignements de passages importants de leurs déclarations, parfois des notes sur les questions à poser. L’accusée sortit épuisée de ce second assaut. En témoignent ses deux lettres écrites avec du sang en l’absence d’encre (elles se placent entre le 5 et le 12 avril) : geste de défi ou marque de désespoir ?

En tout cas le résultat ne fut pas atteint : il consistait à obtenir une preuve, signée, de la culpabilité de l'accusée. On abandonna alors la pression policière pour y substituer une pression plus subtile, exercée cette fois par voie religieuse. Le docteur de la Sorbonne Pirot fut imposé comme confesseur : il avait bien connu l'accusée en exerçant ses talents huit années auparavant lors du premier enfermement à Saint-Antoine, et il va appliquer toute la pression dont il est capable.

L'accusée, acculée, appelle au secours ! Elle s’adresse au seul ecclésiastique qui méritait confiance. Au-dessus de tout soupçon, M. Tronson, le directeur de Saint-Sulpice qui avait participé aux entretiens d’Issy, avait une réputation de grande honnêteté. Malade et âgé, il intervient pourtant par un échange assez fourni de lettres, puis sous sa direction, une Soumission est préparée au début du mois d’août 1696 par Fénelon (dans sa jeunesse, ce dernier fut dirigé par Tronson au séminaire de Saint-Sulpice). Signée à la fin du mois par madame Guyon, cette Soumission va-t-elle enfin permettre sa sortie de prison ?

Fausse sortie. Car le soi-disant « couvent » de Vaugirard constitué pour la circonstance où elle est secrètement menée, dûment escortée par le policier Desgrez en compagnie du confesseur imposé, s’avère une autre prison, et, circonstance aggravante, une prison inconnue de tous, où tout peut donc arriver. « Monsieur le curé » responsable de la direction locale est tout à la fois le confesseur et de madame Guyon et des trois religieuses bretonnes affectées à la garde. Ses insinuations sont infirmées par le récit qu'elle en fera plus tardivement, mais surtout par la correspondance qu'elle put maintenir avec la duchesse de Mortemart. Des lettres témoignent de l'intensité du vécu carcéral. Elle échapperait, peut-être, à un empoisonnement. Va-t-elle disparaître à jamais ?

En fait, le « dossier Guyon » est repris en haut lieu, car l'on ne désespère pas d'arriver à prouver une culpabilité, au moins formellement. De nombreux interrogatoires seront pratiqués ultérieurement par le terrible d'Argenson ; au total elle subira trente-huit interrogatoires, outre des confrontations. Malheureusement, nous ne connaissons aucune pièce officielle sous forme d'enregistrement par un greffier, mais seulement le témoignage du « récit de prison » qu’elle rédigea en 1707 sur la demande de ses proches.

Menaces et usage successif de deux dénonciatrices, ou « moutons », ne mènent à rien sinon à la conversion de la seconde au contact de la prisonnière. Le fonds de l'abîme est atteint et l’accusée est entrée maintenant en dépression. Son récit se situe ici très loin de l’hagiographie, aux confins d’une mort attendue comme une délivrance, décrivant entr’autre le suicide tenté par un condamné voisin. Ce texte (qui n’est pas hagiographique !) n’a été publié que récemment, car nous sommes devenus bons lecteurs de tels témoignages extrêmes depuis l’impact des récits d’incarcérés dans les régimes totalitaires du XXe siècle.

Enfin un dernier essai de prise en main aura lieu en 1700 au moment même où (parce que ?) l'Assemblée des évêques, dirigée par un Bossuet qui va bientôt disparaître, lève toute accusation morale. Apparemment, on ne tira alors rien de Famille, la fidèle servante au surnom qui avait été un temps ambigu aux yeux du premier inquisiteur. Elle fut confrontée peut-être à Rouxel, un prêtre du diocèse de Besançon où un cercle hétérodoxe (quiétiste ?) venait d’être démantelé à Dijon. Enfin l’Archevêque de Paris eut-il « de très grands remords de me laisser mourir en prison » ? Devenue inoffensive sur le plan de la politique religieuse après la condamnation du quiétisme par le bref papal de 1699, Mme Guyon quitta la Bastille en 1703.

Voici sous forme d’une liste sèche la séquence des enfermements ponctués par trente-huit (ou trente-neuf) interrogatoires auxquels s’ajoutent de nombreuses entrevues orageuses. Cinq détentions d’une durée totale de presque huit années et demi se succèdent dont voici brièvement rappelés les dates et lieux de détention, la durée et le nombre d’interrogatoires, les officiants :

1/ Du 29 janvier 1688 au 13 septembre 1688, à la Visitation Saint-Antoine : sept mois et demi ; quatre interrogatoires (peut-être neuf ou dix [415]) par l’Official Chéron accompagné de Pirot.

2/ Du 13 janvier 1695 au 9 juillet 1695, à la Visitation de Meaux : près de six mois durant lesquels « elle y fut considérée comme prisonnière » (Cm, p. 329). Sept (?) entrevues souvent orageuses avec Bossuet, évêque de Meaux.

3/ Du 26 décembre 1695 au 6 octobre 1696, un peu moins de dix mois et demi au donjon de Vincennes dont un niveau avait été spécialement aménagé. Neuf ou dix interrogatoires (31 décembre 1695 au 4 avril 1696) sont assurés par La Reynie « de six, sept et huit heures quelquefois » ; leurs soigneux procès verbaux nous sont parvenus. Leur succèdent des entrevues orageuses avec de nouveau Pirot : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… ».

4/ Du 7 octobre 1696 au 3 juin 1698, vingt mois à Vaugirard, dans un « couvent » formé pour l’occasion avec la contribution de trois sœurs bretonnes.

5/ Du 4 juin 1698 au 24 mars 1703, à la Bastille : quatre années et près de neuf mois, dont une longue période d’isolement (en 1700 ses amis la supposent morte) n’auront pas raison de la santé psychique de la prisonnière. Fin 1698, durant « trois mois » ont lieu vingt interrogatoires par le terrible d’Argenson. Enfin quelques interrogatoires ont lieu en 1700 (« d’Argenson est de retour »).

Quant aux périodes de liberté, elles couvrent donc une « période d’installation à Paris » de six mois (du 21 juillet 1686 au 29 janvier 1688) ; une « période publique » de six ans et cinq mois (du 13 septembre 1688 au 13 janvier 1695) ; une « période cachée » de six mois (du 9 juillet 1695 au 26 décembre de la même année). Soit sept ans et cinq mois – contre huit années et demi d’enfermements.

Une fin de vie paisible mais active.

Madame Guyon âgée de cinquante-quatre ans quitte donc la Bastille en 1703, sur un brancard, pour vivre en résidence surveillée chez son fils. Vers 1706 elle achètera une maison située tout à côté du château royal de Blois, et elle terminera son œuvre de « dame directrice » auprès d'un cercle de disciples d’une nouvelle génération, élargi à l'Europe entière, mélangeant protestants et catholiques : une particularité très en avance sur son temps ! Nous pouvons toujours aujourd’hui tirer bénéfice de la lecture de ses écrits, forgés dans la douleur[416].

Nous retrouverons les principaux membres du cercle de Blois aux chapitres suivants. Dans les dernières années de sa vie, madame Guyon réunissait à Blois ces disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Ecossais[417] Les lettres circulaient. Eux-mêmes voyageaient entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Ecosse proche de celle-ci par mer…

De pieux disciples rapportent la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :

Elle vivait avec ces Anglais [des Ecossais, dont quatre assisteront à sa dernière maladie] comme une mère avec ses enfants. [...]Souvent ils se disputaient [le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandait son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle[418].

Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.


 

L’ŒUVRE SAUVÉE

Le témoignage écrit de Madame Guyon[419] n’est pas limité par une appartenance en religion. Car même Marie de l’Incarnation du Canada montre un conformisme qui rassure dès lors qu’elle quitte son registre admirable du témoignage intime. Si les modèles féminins proposées demeurent encore dans l’Eglise catholique des religieuses -- Thérèse de l’Enfant-Jésus, Elisabeth de la Trinité, Edith Stein, Marie de l’Incarnation, Mère Teres[420] --, il est vraiment indispensable qu’une femme d’expérience comme Madame Guyon puisse parler aux laïcs dans et hors de toutes les Eglises. Heureusement, elle s’y prête enfin.

L’intérêt de son écriture tient à sa spontanéité - aucun repentirs ne sont visibles dans ses manuscrits. S’associe comme elle le prévoyait leur excellente préservation. Pour trois raisons : de nombreux manuscrits rassemblés à l’époque des « rencontres d’Issy » ont été des pièces de procès ainsi préservées. L’édition entreprise du vivant de l’auteur par le pasteur et disciple Poiret a assurée la survie de tous les écrits disponibles à l’époque chez d’autres disciples, cas rare pour une mystique[421]. Enfin nous sont parvenues les minutes très soigneuses d’interrogatoires menés sur ordre royal.

Cette excellente préservation n’a cependant pas assuré une large appréciation. D’une part les éditions sont devenues très rares, par suite de leur élimination des bibliothèques communautaires religieuses[422], aussi les titres les plus cités ont-ils été en fait rarement lus. D’autre part les manuscrits de la main de madame Guyon sont d’un déchiffrement délicat : l’on a étudié la « querelle » sans disposer d’une édition couvrant sa correspondance durant ce combat.

Les titres célèbres couvrent la première partie des Torrents[423] qui précède le Moyen court[424], le Cantique…[425], les deux premières parties de la Vie[426], les volumineuses Explications des Ecritures[427], tous composés avant la fin de l’année 1685, lorsqu’elle n’avait pas encore trente-sept ans. Avec l’énergie de la jeunesse et délivrée d’une longue purification spirituelle entreprise tôt entre seize et vingt-sept ans, elle manifeste une grande spontanéité et pratique une inspiration qui permet l’irruption toute moderne d’une fine psychologie.

Au chemin spirituel comparé au cours d’un torrent, dans l’œuvre de jeunesse dont le premier jet date de l’été 1682, il manquait des précisions portant sur sa fin, le lac ou la mer où se mêle l’eau du torrent parvenu au terme de sa course. Insatisfaite du dernier chapitre de sa première écriture, qui précédait une Conclusion … à son confesseur, elle ajouta une « seconde partie », où elle précise cet achèvement, ceci à une date indéterminée, précédant toutefois 1695[428]. Cette seconde partie des Torrents a été moins reconnue malgré sa profondeur parce qu’elle abandonne la comparaison avec le cours d’eau sauvage qui fait le charme de la première partie (la plus ample).

Au moment le plus intense de la querelle, le dossier des Justifications[429] constitue un florilège des auteurs mystiques chrétiens choisis avec discernement : Jean de la Croix, Jean de Saint-Samson, Catherine de Gênes, suivis de Thérèse, de Denys et des rhénans.

Après sa sortie de prison en 1703, elle accepta de revoir ses écrits à l’occasion de leur édition par le pasteur Poiret, devenu un disciple aimé. Elle révisa et compléta le texte des Torrents[430], mais s’abstint de composer de nouveaux traités : dans sa pleine maturité elle avait compris, par l’expérience acquise auprès de ses dirigé(e)s, qu’il faut adapter la guidance de chacun par des conseils particuliers ou tout au plus par de brefs opuscules répondant à une difficulté particulière communément ressentie - tant sont divers les secrets sentiers de l’amour divin[431].

Les disciples, dont certains visitaient la dame directrice à Blois, rassemblèrent de nombreux opuscules et lettres qui circulaient entre eux. Cet ensemble de pièces de dimensions variables (couvrant entre une et vingt-cinq pages) constituent le cœur de l’œuvre guyonienne, traduisant la pleine maturité mystique.

Le trésor est resté caché, enfoui sous un long titre qui révèle mal sa valeur. Il fut publié en deux volumes contenant chacun soixante-dix pièces, rapidement dispersés dans les bibliothèques privées – donc disparues -- de disciples français et surtout étrangers, suisses, hollandais, anglais ou écossais. Il s’agit d’opuscules rassemblés et publiés au XVIIIe siècle par l’éditeur et pasteur Pierre Poiret sous le titre de Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure…[1716], comportant 140 pièces, ainsi que ce qui apparaît comme une conclusion, sous forme de Discours complémentaires, attachée au quatrième volume des Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme [1718] comportant 16 pièces. L’édition eut lieu en Hollande, refuge de la pensée libre, où vivait Poiret, grand éditeur d’œuvres mystiques, qui découvrit, s’intéressa et rechercha l’œuvre de Madame Guyon dès 1704. Ces textes devenus des plus rares n’étaient il y a peu de temps accessibles que dans quelques bibliothèques[432].

Ce qui nous reste de la Correspondance [433] fournit des séries de directions, dont la plus célèbre est celle qui entraîna Fénelon sur les divins sentiers. Il est très rare de pouvoir lire le dialogue entre directeur et dirigé : on ne possède habituellement que les écrits d’un seul correspondant, généralement le saint directeur.  Il est unique de pouvoir évaluer toutes les étapes qui se succèdent dans une vie accomplie : la jeune femme dirigée par Maur de l’Enfant-Jésus et par monsieur Bertot avant 1681, la mystique ouvrant la voie à Fénelon entre 1688 et 1690, la « dame directrice » animant ses dirigé(e)s, depuis la demoiselle suisse jusqu’au diplomate de Prusse à Paris, pendant ses dernières années, de 1714 à 1717.

Enfin des textes secondaires à nos yeux furent publiés par le fidèle Poiret[434]. Tout ceci était à compléter par des manuscrits dont publiés en partie en annexes à la Vie et à la Correspondance. Enfin on n’oubliera pas le « tombeau » élevé par la vieille dame de Blois en publiant son maître Jacques Bertot qui la forma sans concessions[435].

L’abondance et la spontanéité de l’auteur, qui livre des informations généralement tenues cachées parce qu’elle ne prévoyait pas leur publication, ainsi que l’absence de mise en forme par souci de ne pas interférer avec la spontanéité de l’inspiration, ont pu nuire à leur appréciation.

On y ajoutera d’autres causes « externes » : vu du monde catholique, le rôle détestable d’éditeurs protestants Poiret puis Dutoit, ainsi que la présence jugée compromettante à la fin de sa vie à Blois, de nombreux Ecossais, Hollandais, Suisses - qu’elle n’incite d’ailleurs pas à se convertir au catholicisme mais au « petit maître » intérieur Jésus-Christ ; vu du monde protestant, l’équivoque d’une femme qui s’est occupée au début de sa vie publique de Nouvelles Catholiques converties de force après la révocation de l’édit de Nantes, une dévote qui ne rejette ni les messes ni les sacrements catholiques, ce dont témoigne l’anecdote du rideau, derrière lequel les visiteurs et disciples de religion protestante se disposaient :

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état[436].

L’« indiscrétion » d’écrits abordant librement des sujets tels que la transmission silencieuse dans la prière, le rôle apostolique du mystique, la formation des « enfants intérieurs », l’absence de fausse humilité sont causes profondes, sinon de la  condamnation, du moins de la discrétion de défenseurs qui éprouvent parfois une gêne[437]. S’y joignent une mise en cause de la fonction cléricale car les clercs n’ont généralement pas une vie intérieure au niveau requis pour la seule efficacité, celle de la prière ; l’insatisfaction de Madame de Maintenon et la servilité et la brutalité de Bossuet ; la condamnation plus politique que théologique des Explications sur les maximes des saints.


 

Trois volets couvrent tout le champ spirituel

Les écrits de Mme Guyon couvrent le champ spirituel en son entier. C’est exceptionnel car les autres mystiques reconnus ont œuvré dans un domaine plus étroit, soit « théorique » (normatif) en donnant peu d’éclairage sur leur vécu individuel, soit « pratique » en livrant des relations[438]. On peut répartir le corpus en trois ensembles :

En premier lieu, les témoignages de la vie et de l’expérience intérieure, remarquables par une grande acuité psychologique propre au siècle de Racine. Ils sont marqués par un fort désir de comprendre ce qui arrive dont elle ne trouvait pas d’explication satisfaisante. On note tout particulièrement dans des écrits de jeunesse, une forte volonté appliquée à ne rien laisser lui échapper : défaut dont elle se corrigera, grâce à la guidance rigoureuse assurée par Monsieur Bertot.

En second lieu, un enseignement, dont témoigna à l’époque un Moyen court qui atteignit un large public avant sa condamnation[439]. Voilà un petit livre qui propose l’accès direct à la vie mystique en ne faisant appel à aucune « méthode ». Il s’affranchit de tout préalable présenté souvent comme la condition mise à l’exercice de la grâce divine et qui traduit alors une volonté d’appropriation humaine. Acquis théologiques et dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; seul demeure le recours intérieur à la médiation du « petit maître » Jésus-Christ. Cette simplification permet une ouverture à tous.

La liberté sauvage des Torrents est préférable aux canaux faits de mains d’hommes. L’œuvre restée manuscrite jusqu’au XVIIIe siècle et plus dense demeure moins lue et reconnue, sinon par son titre. Ce recours direct, en fait conformation toute intérieure au don de la grâce divine, pouvait faire peur aux hommes de métier, religieux dont la médiation est ainsi mise en question.

En troisième lieu les Explications des Ecritures confrontent la Tradition testamentaire à l’expérience intérieure. Ils constituent la moitié de l’œuvre imprimée soit près de huit mille pages. Ce recours à l’interprétation spirituelle des Ecritures fut complété dix ans plus tard par les Justifications, anthologie de textes mystiques d’un bon millier de pages assemblés autour de thèmes ou mots-clefs.

Ces trois ensembles offrent un appui stable, les pieds d’un tripode : connaissance et compréhension des deux Traditions et l’expérience individuelle permettent un enseignement. Cette expérience, acquise durement, lui permet une profonde compréhension des écrits de ses prédécesseurs bibliques ou mystiques. Tout était contenu analogiquement ou avait même été dit, mais doit être périodiquement revivifié. 

Elle n’invente rien, n’a aucune révélation nouvelle, n’expose aucune « nouvelle mystique » mais présente son expérience avec simplicité dans le Moyen court ou en utilisant une analogie commune offerte en milieu naturel dans les Torrents.

D’une part Mme Guyon prend appui sur les modèles offerts par la nature tel que celui, quasi-vivant, de la source qui devient torrent, puis fleuve, enfin se perd dans la mer ; elle ouvre ce modèle au plan du vécu mystique[440]. D’autre part elle prend appui sur des expériences intérieures telles que les transcrivent de façon voilée les rédacteurs Testamentaires ou de façon plus personnelle des auteurs mystiques qu’elle n’hésite pas à choisir parmi les plus récents connus à son époque. Dans tous les cas elle demeure en prise intuitive sur les deux faces d’une réalité située à la fois hors de l’homme et dans l’homme. Par contre, elle ne tente presque jamais de recourir à la théologie ou à l’exercice d’une réflexion recherchant la sagesse comme chez Pascal ou Montaigne influencés par les stoïciens ou par les sceptiques. Il s’agit là d’une prise de conscience de ses limites culturelles, mais surtout elle pense que la théologie ou la recherche de la sagesse dépendent de l’exercice de facultés humaines qui font appel à la volonté et risquent de figer le flux de la vie en voulant s’en saisir, voire le subordonner à des idoles conceptuelles. La grâce divine demande un acquiescement mais non l’exercice de la volonté propre.

Il s’agit dans tous les cas de conserver le flux de la grâce, d’accéder à la vie intérieure, puis d’y persévérer, d’éviter de substituer à ce mouvement généré par la grâce divine le gel des dévotions et des pratiques par lesquelles l’homme tente de la saisir ou d’en reprendre le contrôle.

En bref, elle a recours à la voie directe sans moyens. Les images de l’eau qui court rendent compte de cette vie dont la source est à la fois intérieure, très personnelle et en même temps si profonde que nous n’en verrons jamais le fond et si universelle qu’elle a été dite par tous depuis toujours. Pour elle dans les Ecritures et chez les mystiques. Elle préserve ainsi un juste milieu entre le « tout dans l’Écriture » caractéristique de protestants qui y retrouvent une autorité perdue et le « tout dans le corps mystique des chrétiens » mis en avant chez des catholiques (le corps mystique se prête au ‘visible’ c’est-à-dire à la réduction cléricale tandis que l’autorité scripturaire peut être interprétée littéralement et risque d’opposer la loi à la vie).

Tout dans l’intérieur puis de l’intérieur au service d’autrui. Illuminisme ? Peu compatible avec le sérieux de l’entreprise longuement menée, travail très singulier d’une Explication rédigée sur toute l’étendue des textes bibliques et une grande sûreté dans le choix des principaux mystiques et des écrits d’enseignement, assez abondants mais remarquables par leur sobriété[441].

Si l’absence de tout retour sur soi conduit à de nombreuses répétitions (elle évitait volontairement tout repentir littéraire ce dont témoignent ses autographes sans rature), la spontanéité assure une conformité à l’expérience vécue qui n’est pas repensée ou coulée dans un moule traditionnel religieux ; la finesse d’analyse comme le lyrisme s’appuyant sur des analogies offertes par la nature annonce les bons auteurs de l’âge romantique. Surtout, toutes les étapes de la vie intérieure sont couvertes, dont l’état constant apostolique qui suit les degrés de désappropriations et permet la transmission, seul moyen de formation de disciples intérieurs. Cet état est certes décrit antérieurement par des mystiques comme achèvement d’union au divin mais sans y associer l’aide qu’elle permet d’apporter par communication en silence et partage d’états intérieurs. Nous allons présenter des extraits répartis entre les trois volets de l’expérience, de l’enseignement, de l’appui sur les deux traditions (Ecritures et mystiques chrétiens) :

I. Le témoignage.

Nous suivons l’ordre chronologique des oeuvres et en leur sein l’ordre des citations prises dans les Torrents, dans la Vie par elle-même, puis, reporté en « II. L’enseignement », dans les Discours […] qui concernent la vie intérieure ou opuscules qui circulaient dans le cercle des disciples et dans la Correspondance. Sont entrelacés comme dans une tresse, événements de la vie concrète, vie intérieure à l’écoute de la grâce, enseignement mystique. Ils sont mis au service du médiateur mystique Jésus-Christ.

Les Torrents décrivent un parcours mystique

Près de Thonon se situe la vallée de la Dranse, torrent alpin qui se jette par un petit delta naturel dans le lac Léman. La section du « pont du Diable » est impressionnante où l’eau bouillonne entre d’énormes blocs. On remonte ainsi vers l’abbaye N.-D. d’Aulps, lieu de pèlerinage. La distance de moins de 30 kilomètres qui sépare Thonon de St Jean d’Aulps rendait le parcours accessible par Madame Guyon. Les vastes horizons du Chablais assurent une vue globale où se mêlent le bruit du torrent issu de la vallée proche, les feuillages de teintes claires ou sombres selon qu’il s’agit de caduques ou de conifères, les plans successifs de collines boisées, enfin au loin la « mer du Léman ».

Facilement lisible, le texte des « Torrens », composé à Thonon fin 1682, est précis sous un style lyrique. Il faut apprécier son contenu comme traduisant une expérience récente -- Madame Guyon est âgée de trente-cinq ans environ lorsqu’elle rédige le texte -- et non comme un poème ou à une théorie spirituelle. La lente purification ou « mort » mystique mène à la vie divine sans limitation visible :

Degré de mort et Vie divine

Chapitre 7.

5. Ce degré de mort est extrêmement long et dure quelquefois les vingt et trente années à moins que Dieu n'ait des desseins particuliers sur les âmes. […][442]

30. Ici Dieu va chercher jusques dans le plus profond de l'âme son impureté [443]. Il la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu'il vous plaira : vous nettoierez le dehors mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l'éponge pour en exprimer toute l'ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C'est ainsi que Dieu fait : il serre cette âme d'une manière pénible et douloureuse, puis il en fait sortir ce qu'il y a de plus caché.

Chapitre 9.

5. Il faut remarquer que comme elle n'a été dépouillée que très peu à peu et par degré, elle n'est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en Dieu, plus sa capacité devient grande : comme plus ce torrent se perd dans la mer, plus il est élargi et devient immense…

6. Cette vie divine devient toute naturelle à l'âme. Comme l'âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien de Dieu, n'en comprend rien, n'en distingue rien. Il n'y a plus d'amour, de lumières ni de connaissances. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de distinct d'elle, mais elle ne sait plus rien sinon que Dieu est et qu'elle n'est plus, ne subsiste et ne vit plus qu'en lui.

La Vie par elle-même

La Vie fut rédigée en plusieurs reprises entre 1683 et 1709, sans disposer d’une première rédaction de jeunesse (redécouverte depuis peu), et parfois même en prison. Il s’ensuit quelques répétitions et des modifications de style, mais assure l’extraordinaire qualité intuitive et vivante des récits d’événements forts qui lui sont toujours proches au moment où elle écrit. Texte facilement accessible aujourd’hui, nous n’en citons ici qu’un extrait de la conclusion rédigée par la vieille dame qui a traversé toute les épreuves de la vie :

L’état simple et invariable.

Dans ces derniers temps[444] je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. …  Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu'il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m'a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j'ai tout payé d'ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n'ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d'un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j'en ai, est égale pour moi à l'état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l'immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. […] Décembre 1709. 

Madame Guyon ne va pas s’arrêter à cette perte : elle va former des disciples français et étrangers, catholiques et protestants, par des textes courts, Discours rassemblant ce qui traite de difficultés communes à tous sur la voie ou Lettres adaptées à tel ou tel dirigé :

II. L’enseignement.

Les Discours chrétiens et spirituels.

Ils expriment l’enseignement vivant distribué dans le cercle des proches. Souvent plus révélateurs que des textes qui s’adressent à un cercle élargi tels que le Moyen court ou les Torrents, ils décrivent l’expérience intérieure sur laquelle madame Guyon établit son autorité, tout en donnant des conseils spirituels précis adaptés à tel ou tel. Appréciés et donc dispersés dans des bibliothèques privées, ils ne furent jamais réédités, en partie parce que le titre trop banal de Discours chrétiens et spirituels… rend mal compte de leur contenu. Textes de direction écrits dans des conditions diverses, ils s’adressent toujours à un aspirant à la vie intérieure, parfois sous la forme d’une lettre. Il ne s’agit donc pas de « chapitres » d’une œuvre construite mais on sera attentif à leur regroupement par « zones » successives généralement traversées par les itinérants intérieurs. La majorité de ces écrits furent rassemblés à la fin de la vie de Madame Guyon, période paisible où sortie de prison, mais sous surveillance après la condamnation du quiétisme, elle a pu faire venir près d’elle quelques disciples et correspondre avec beaucoup d’autres[445].

En général tous ces écrits expriment une très forte autorité, toutefois paisible et sans illusion, comparable à celle des dernières pages de la Vie écrites en 1709. Un dialogue permanent avec l’Ancien et le Nouveau Testament supplée à l’absence de théories théologiques. Ce dialogue est distinct des Explications abondantes de 1684 (la moitié des volumes des Œuvres publiées !), et nous paraît en approfondir l’interprétation mystique. La majorité des Discours date des dernières années. Certains sont plus anciens, telles quelques lettres adressées à Fénelon, mais dès 1689 la maturité intérieure était assez grande chez cette femme alors âgée de 41 années pour justifier leur publication en 1716.

Ces écrits sont rassemblés dans la perspective réfléchie d’une disparition prochaine de leur auteur comme de cercles d’amis français et étrangers du même âge. Le duc de Chevreuse est mort en 1712 et l’archevêque Fénelon en janvier 1715. L’éditeur et disciple Poiret disparaîtra en 1719. C’est ici toute une génération qui s’efface pour être remplacée par les disciples français, écossais, hollandais et suisses. Il s’agit de laisser à cette nouvelle génération les traces écrites d’une direction toute mystique. L’ouverture est un appel à gravir le mont qui rassemble tous les mystiques en son sommet[446] :

Le mont qui rassemble tous les mystiques

1.01 De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures.

…comme une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, le commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins doivent aboutir pour arriver à cette montagne, on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent insensiblement. On voit aussi alors, avec douleur, une infinité d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de temps en temps leur chemin ; [on voit] que la plupart retournent sur leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant désiré. On voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main…

L’amour est le « moyen » utilisé pour connaître Dieu, dans la tradition d’une mystique « affective » (mais ne versant pas dans le sensible). Elle fut particulièrement développée chez les franciscains. La belle image d’une balance lie notre abaissement à l’élévation vers Dieu :

« Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance ».

1.49 Divers effets de l’amour.

[…] Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité - de cette humilité profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que, quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand, plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.

Cet amour est pur, net et droit, sans retour sur soi et sans motif intéressé ; sa forme passive est « mystique », cachée par sa lumière même, parce qu’elle reçoit tout de Dieu, dépasse tout entendement et ne peut être décrite ; c’est Dieu lui-même qui agit :

1.53 Du repos en Dieu.

[…] Pour aimer Dieu comme Il le mérite […] il faut L’aimer d’un Amour pur, net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour Lui-même. Toute autre vue ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour, qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau pour le beau[447]. […] C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans retour ni raison d’aimer. L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité, l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité. […]

Ensuite elle [l’âme] devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la lumière de Dieu qui devient plus abondante, fait cesser nos propres limites, les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour, d’affections, de toute action quelle qu’elle soit, pour recevoir purement l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté. 

Mais tous ne sont pas appelés à la vie mystique et de nombreux grands saints suivent la « voie des lumières » ; l’image de la cire à cacheter -- Madame Guyon possédait divers cachets dont un comportant deux cœurs accolés et irradiants et un autre comportant un soleil associé à un héliotrope -- est suggestive de la différence d’apparence pour la même « forme divine » :

1.60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu. 

Vous me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils attendent des récompenses et des couronnes. […] Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre…

La voie mystique n’est pas une voie de facilité, même si elle ne requiert pas un effort volontaire et une pratique constante des œuvres ; elle inclut la nuit et l’abandon par la perte de soi-même :

1.62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.

[…] Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd dans l’abandon, dans la confiance et le sacrifice. Mais comme ce sacrifice, cet abandon, etc. sont encore comme des fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même.

Mais auparavant un long chemin aura été parcouru, dont le souvenir est utile pour ne pas abandonner la Voie lorsque tout espoir se perd. Une comparaison de la tempête et du naufrage est menée jusqu’à son terme : 

2.15 Différence de la foi obscure à la Foi nue.

Vous demandez la différence de la foi obscure à la foi nue. On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.

La nuit vient : vous craignez de vous égarer mais vous vous confiez à votre pilote, qui vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit devient plus noire. Il faut jeter les marchandises dans la mer. On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable, lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.

Quelle transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais.

Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau…

Si les hommes diffèrent, Dieu est Un, toujours le premier à nous aimer comme l’attestent les mystiques dont le chemin a été ouvert parfois par un contact très intense (François d’Assise, Angèle de Foligno, Catherine de Gênes).

2.25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.

La conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a droit de le faire. […]

Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés. Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui empêchent Son entière pénétration dans notre âme. […] Car il faut concevoir que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je l’ai dit, les obstacles.

Mais tout ne se passe pas d’un coup, même si le départ peut être impulsé lors d’un événement marquant. L’image de la fonte progressive des glaces, de la fluidité de l’eau propre à toute impression ultérieure est souvent reprise par Madame Guyon. Soit elle suggère par analogie une réponse au problème posé par l’absence et par le « péché » qu’elle représente, soit elle figure la liberté par conformité à Ce qui prend les choses en main et « recrée » la créature :

3.11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite.

 […] Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il L’avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire qui le fera en l’autre.

Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de nouveau : Emitte  Spiritum tuum, et creabuntur ; et renovabis faciem terræ [448].

Mais cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au pouvoir de Dieu et à sa volonté… 

La Correspondance livre le plus immédiatement et spontanément des directions : celles de l’illustre Fénelon, du fidèle duc de Chevreuse, plus tard de l’éditeur Poiret, du baron de Metternich, des écossais Duplin et Lord Deskford, ainsi que de figures plus cachées telle la paysanne qui conclut les éditions de lettres au XVIIIe siècle :

La Correspondance.

Madame Guyon utilise l’image souple de l’eau pour tenter de faire comprendre à Bossuet la simplicité d’une vie intérieure sans phénomènes extraordinaires (exposés par certaines religieuses imaginatives, ce dernier les appréciait) :

A Bossuet. Vers le 10 février 1694.

[…] Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité ; elle a aussi une qualité, que, n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions : elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs. L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. 

Le premier « moyen », qui explique la fidélité de Fénelon et d’autres sur plus de vingt années malgré la parenthèse de la mise au secret durant cinq années à la Bastille, est celui de la transmission de la grâce par communication intime de cœur à cœur. Moyen spontané, sans volonté propre à son canal humain. Nous en trouvons l’attestation dans de nombreuses lettres[449] :

À Fénelon.  21 juin (?) 1689.

[…] Il a permis que je m’en allasse avec vous, pour vous apprendre qu’il y a un autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le cœur de l’onction pure de la grâce que pour vider l’esprit, et Il ne donne que pour ôter : c’est une expérience qui demeure, lorsque la conviction de l’esprit est ôtée. Je vous demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action et même autre prière que celle du silence. Lorsque l’on a une fois appris ce langage (plus propre aux enfants qu’aux hommes, qui l’ignorent d’ordinaire), on apprend à être uni en tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. C’est la prière de Jésus-Christ : qu’ils soient un comme nous sommes un [Jn, 17, 22].

   Madame Guyon décrit ailleurs[450] cet « état apostolique » :

Cet état néanmoins n’est point une sortie de la créature au-dehors pour parler, agir et produire les effets de la vie apostolique. L’âme n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute opération. Mais Dieu, qui est en elle essentiellement en Unité très parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle se trouve réunie, sort Lui-même au-dehors par ses opérations : sans cesser d’être tout au-dedans  et sans quitter l’unité du Centre, Il se répand sur les puissances…

Ces communications parurent extravagantes à la fin du XVIIe siècle cartésien. Elles sont attestées, mais de façon voilée, par de nombreux spirituels chrétiens. Madame Guyon a recours aux hiérarchies de Denys, auteur traditionnellement invoqué par les mystiques, et aussi bien, cartésienne et moderne, au mystère de l’aimant, pour suggérer la plausibilité de telles circulations d’amour divin -- il s’agit simplement de reconnaître par des images l’efficace propre à la prière :

Au duc de Chevreuse.  Octobre 1693.

La main du Seigneur n’est point raccourcie.

Il me semble qu’il n’y aura pas de peine à concevoir les communications intérieures des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste hiérarchie où Dieu pénètre tous les anges et ces esprits bienheureux se pénètrent les uns les autres. C’est la même lumière divine qui les pénètre et qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette sorte. Si nos esprits étaient purs et simples, ils seraient illuminés. Et cette illumination est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que les cœurs bien disposés qui en approchent, ressentent cette pénétration. Combien de saints qui s’entendaient sans se parler ! Ce n’est point une conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu attire les autres âmes à Lui, comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de dérèglement. C’est que sa simplicité et pureté est telle que Dieu attire par elle les autres cœurs. 

Mais les disciples ont besoin, au début de leur découverte intérieure, de conseils et non de théorie : comment prier, comment se détacher sans pour cela quitter le monde, comment lâcher intellectuellement prise… Cela était très difficile pour le baron de Metternich, ancêtre de l’homme d’état du XIXe siècle et protestant subtil et questionneur :

Au baron de Metternich. Vers 1715.

Demeurez simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Nous sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.

Au même. / Ce que vous devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile […] Une des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état, quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions, je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation particulière…

Au même. […] Vous dites que vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] vous voulez qu’à chaque pas Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène. Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme : vous vous laisseriez conduire… 

Madame Guyon doit parfois mettre un terme à certaines pratiques, que l’on retrouve à toute époque, aujourd’hui dans certaines techniques. Elles demandent un effort de concentration à l’opposé de l’abandon à la providence divine :  

À Milord Duplin. Vers 1714.

[…] Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur, sans nul effort de tête, car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du démon et de l’amour propre.

À Lord Deskford. 15 avril 1715.

[…] Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête : quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité de l’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin Objet. 

Le plus souvent Mme Guyon répond aux difficultés rencontrées sur la voie en soulignant son déroulement naturel à condition d’accepter la destruction du vieil homme ; on a toujours ici une mystique sobre, loin de tout excès, faisant fi des visions et des révélations :

Lettre [D.2.1]. Abrégé des voies de Dieu [451].

Monsieur, Soyez donc persuadé qu’il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que ce que nous y ajoutons, que Sa conduite est douce et suave : s’il y a quelque violence, c’est ou parce que notre volonté n’est pas encore parfaitement gagnée, ou parce que notre amour propre la cause […] Lors donc que toutes ces choses sont, la volonté meurt à soi véritablement, non d’un trépas douloureux et sensible, mais d’un passage doux et tout naturel, qui fait que cette volonté cessant d’être arrêtée en elle-même par ce qu’il y a même de plus délicat, passe infailliblement et nécessairement en Dieu. C’est ce que l’on appelle mort. Elle [la volonté] est morte quant à son propre, mais elle ne fut jamais plus vivante : elle vit en Dieu, non de la première vie, ou d’une vie qui lui soit propre, mais d’une vie que Dieu lui communique, qui n’est autre que Sa propre vie et Sa volonté. […] Et c’est alors qu’elle participe aux qualités de Dieu, qui est de se communiquer aux autres, ou plutôt, c’est comme une rivière qui, s’étant perdue dans un grand fleuve, suit sa course et n’en suit point d’autre […]

Ceci, loin d’être une chose forgée par l’imagination, est toute l’économie de la Divinité hors d’Elle-même. C’est la fin et de la création, et de toutes religions, qui n’ont été établies de Dieu que pour conduire l’homme en Dieu même, comme les lits de chaque fleuve sont pour les perdre dans la mer. C’est tout le travail de Dieu sur Ses créatures, c’est toute la gloire qu’Il en peut et doit tirer. Tout ce qui n’est point cela, sont des moyens ou éloignés, ou plus proches, mais ce n’est point ni notre fin ni notre essentielle béatitude.

Lettre [D.3.74].

[…] Il faut devenir enfant après avoir été homme. Il faut plus, car il faut renaître de nouveau afin de devenir une nouvelle créature en Jésus-Christ. Mais avant ce temps, il faut que tout ce qui est du vieil homme soit détruit, savoir la propriété, l’amour de la propre excellence, enfin tout amour propre, ce qui s’entend de tout ce qui nous concerne et qui a rapport à nous, quel qu’il soit. Le petit enfant se laisse porter où l’on veut : si son père le couche sur un fumier, il n’y pense pas, il n’en sait pas même faire le discernement, il y dort comme dans son berceau, abandonné qu’il est aux soins de son père. Abandonnez-vous donc en la main de Dieu avec un grand courage… 

Une mise en garde vis-à-vis du « sentiment » qui prend déjà une place qui ira en s’accentuant jusqu’au pré-romantisme :

Lettre [D.2.111].

Il y a deux sortes de goûts, celui du fond et celui du sentiment. Il est de la dernière conséquence pour vous et pour les autres que vous ne vous conduisiez pas par le dernier. […] N'allez donc jamais par ce que vous sentez ou ne sentez pas. Mais allez par un je ne sais quoi qui, bien que sec, détermine d'abord et ne laisse nulle hésitation. Il détermine sans goût et sans lumière de la raison parce qu'il détermine par la vérité de Dieu. Comme vous n'êtes pas par état dans la pure lumière de Dieu, et qu'il s'en faut bien, vous ferez souvent des fautes là-dessus. Mais à force d'en faire, vous vous accoutumerez à la nue opération de Dieu, non seulement pour être dépouillé, mais pour être agi. Hors de là, tout est méprise.

Mis en garde, lorsqu’on lui demande conseil, vis-à-vis des voies extraordinaires préconisées par le prophétisme de certains jeunes émigrés protestants. Considérés comme des martyrs après la terrible répression qui suivit la guerre des Cévennes, ils faisaient le tour d’Angleterre et d’Ecosse, se croyant inspirés par les annonces des prophètes de l’Ancien Testament :

Lettre [D.4.124].

[…] Le règne de Dieu ne viendra point par aucun bruit extérieur, mais l’Esprit Saint, étant répandu par tous nos cœurs, préparera par l’onction de sa grâce le règne de Jésus-Christ. La plupart des recueillements des personnes agitées comme cela [les jeunes cévenols] ne sont qu’un bandement et une occupation forte de la tête et du cerveau pour contraindre leur entendement à la cessation, et ces personnes-là ont un recueillement plutôt d’assoupissement. Ce que nous appelons vrai recueillement n'occupe point la tête, mais c'est une tendance du cœur, ou plutôt de la volonté vers Dieu, qui fait que la volonté étant toute occupée de son Dieu, à L'aimer, à Le goûter, ne fait plus aucune attention à ce qui se passe dans l'esprit et en est comme entièrement séparée.

Vous pouvez tirer de là, mon cher frère, que toutes ces voies extraordinaires, quand même elles seraient vraies, ne pourraient nous unir au Souverain Bien, puisqu'il est bien éloigné de consister en ces choses. L'état de ces prophètes ne peut donner ce qu'on appelle un véritable silence intérieur. Ce que j'appelle silence intérieur est quelque chose de si tranquille, de si paisible, de si un, qu'il ne peut compatir avec aucune agitation corporelle, puisqu'une personne même qui possède ce silence intérieur dans les plus violentes douleurs ne donne aucune marque d'agitation, et peut se plaindre comme un enfant, mais ne s'agitera jamais. Saint Jean dit en l'Apocalypse qu'il se fit un grand silence au ciel [Ap 3, 1]. Lorsque ce silence est fait dans l'âme, il se communique jusqu'au dehors. Il y a deux sortes de silence extérieur : 1° l'un, que nous faisons nous-mêmes par pratique en nous imposant une suppression de toutes paroles. Ce silence, quoique bon, n'est pas pareil à : 2° l'autre silence qui vient [du silence intérieur] et qui est opéré par le silence intérieur. Dans le premier, c'est nous qui nous taisons ; dans le second, c'est l'amour qui fait taire, et l'âme sent bien que, lorsqu'elle veut parler, elle s'arrache à un je ne sais quoi qui l'attire au-dedans d'elle-même… 

Lettre d’une paysanne.

Cette évocation de la voie mystique servie par Madame Guyon achève l’édition Dutoit par une lettre d’une « simple paysanne » qui résume l’enseignement de tous, en rapportant tout à l’amour :

Lettre d’une paysanne à Madame Guyon [452].

[…] L’amour tient lieu de tout, il ne m’apprend autre chose que la vérité, qui est au-dessus de moi et hors de moi. […] Oh ! qu’on ne me parle plus de l’âme ni de tout ce qui la concerne ! Je ne sais plus autre chose que mon Amour ; et il me semble que tout y est tellement Lui, qu’il y a une impossibilité morale de pouvoir plus regarder ni penser à son âme, mais bien à ce seul et unique Amour, et à cet objet de pureté.

Mais de dire ce qui occupe, et comme l’on est occupé, c’est ce qui ne se dira jamais. Je n’ai rien de distinct ni de particulier : c’est un objet où tout est un, sans aucune distinction ni discernement. Il n’y a rien en Dieu de particulier, tout y est un, mais silence à toute expression ! Silence à toute intelligence ! Silence pour toute parole ! Je commence de rendre compte de la vérité dont je suis certaine, qui est Dieu, et de Son divin amour, qui est tout mien et qui est tout moi, en disant que je ne puis rien dire. Et je finis en disant que je n’en dirai rien.

III. L’appui des Traditions.

Madame Guyon s’est tournée en premier lieu vers la Bible : ses Explications… (1684) en fournissent une interprétation exhaustive visant à en dégager les richesses intérieures. Dix ans plus tard elle s’appuie sur les principaux mystiques chrétiens dans ses Justifications (1694) qui présentent un large choix de leurs témoignages. Les deux bases de la tradition chrétienne ont ainsi été profondément méditées.

 Les Explications… commentaire mystique de l’Ecriture.

Les raisons pour lesquelles elle l’écrivit ne sont pas explicitées, en dehors d’une injonction intérieure divine[453]. Le récit de la Vie, relate les circonstances de leur composition en évoquant parallèlement le « grand nombre de personnes que Notre-Seigneur » lui faisait aider à cette époque[454], dont « trois religieux fameux […] un grand nombre de religieuses… ». Ces visiteurs religieux provoquèrent en retour des visites en retour qui provoquèrent l’hostilité du Général des chartreux Dom Le Masson. Il porta le contre-feu chez les chartreuses en faisant un autodafé d’exemplaires du Moyen court. Madame Guyon se défend : « Je n’allais point aux monastères que l’on ne m’envoyât quérir[455] ».

Le plus gros travail d’écriture eut lieu à Grenoble entre avril 1684 et mars 1685, après son séjour à Thonon et un premier voyage à Turin, mais avant le second voyage à Verceil (près de Turin) qui fut suivi du retour définitif à Paris en juillet 1686.

Vous ne vous contentâtes pas de me faire parler, mon Dieu […] Il y avait du temps que je ne lisais plus [...]Sitôt que je commençai de lire l’Ecriture Sainte, il me fut donné d’écrire le passage que je lisais et aussitôt tout de suite, il m’en était donné l’explication… [456].

 

Elle avait toutefois rédigé certaines parties auparavant, dont le Commentaire au Cantique publié dès 1683 et celui sur l’Apocalypse[457].

Les circonstances de la composition de ces Explications sont décrites dans sa Vie qui insiste sur leur flux spontané. Toutefois il ne s’agit pas d’un procédé à la recherche de l’inspiration, telle que l’écriture automatique des surréalistes : cette rédaction rapide et sans repentir est liée à un état contemplatif où la justesse intérieure d’un texte et ses multiples implications apparaissent si l’auteur ne tente aucune capture[458] :

De cette sorte, Notre Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Ecriture. Je n’avais aucun livre que la Bible, et ne me suis servi que de celui-là, sans jamais rien chercher. Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu’il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez.  […] j’avais la tête si libre qu’elle était dans un vide entier. J’étais si dégagée de ce que j’écrivais, qu’il m’était comme étranger. Il me prit une réflexion : j’en fus punie, mon écriture tarit aussitôt, et je restai comme une bête jusqu’à ce que je fusse éclairée là-dessus. La moindre joie des grâces que vous me faisiez, était punie très rigoureusement. 

L’agilité intellectuelle et physique peut certes être ralentie par un état contemplatif, mais l’énergie vitale d’une femme de trente-six ans lui permettait de transcrire rapidement une dictée intérieure :

Au commencement, je commis bien des fautes, n’étant pas encore stylée à l’opération de l’Esprit de Dieu qui me faisait écrire. Car Il me faisait cesser d’écrire lorsque j’avais le temps d’écrire et que je le pouvais commodément ; et lorsqu’il me semblait avoir un fort grand besoin de dormir, c’était alors qu’Il me faisait écrire. Lorsque j’écrivais le jour, c’était des interruptions continuelles, car je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait : il fallait tout quitter sitôt que l’on me demandait ; et j’avais pour surcroît la fille qui me servait dans l’état dont j’ai parlé, qui sans raison me venait interrompre à tout coup, selon que son humeur la prenait. Je laissais souvent le sens à moitié fini sans me mettre en peine si ce que j’écrivais était suivi ou non [459].

La presque totalité des livres des deux Testaments est couverte sans omission à l’exception de certains versets. Ceux qui sont largement expliqués constituent des points de départ à l’interprétation de divers aspects pratiques touchant à la vie intérieure. Cet ensemble est demeuré dans un oubli relatif par suite de son volume considérable et du caractère traditionnel de commentaire à visée spirituelle. En effet, compte tenu de la recherche dans le texte sacré d’une vie intérieure mystique, les problématiques d’analyse ouvertes par Spinoza[460] puis R. Simon sont encore ignorées :

Les Saintes Ecritures ont […] beaucoup de sens différents. Les grands hommes qui ont de la science se sont attachés au sens littéral et à d’autres sens. Mais personne n’a entrepris, que je sache, d’expliquer le sens mistique ou intérieur, du moins entièrement [461].

On sait que cette tradition a été abandonnée ces derniers siècles à la suite du travail critique qui a rétabli des textes exacts en éclairant leur genèse. Revenir à des interprétations s’attachant au sens intérieur retrouve le sens profond voulu par des auteurs qui ne recherchaient guère une exactitude historique et ne peuvent donc faire l’objet d’une interprétation littérale[462]. Tout péché d’anachronisme est alors évité… Nous découvrons une façon originale de lire « la Bible » qui tout à la fois diffère d’une interprétation qui ne s’attache qu’au sens littéral -- celle qui perdure de nos jours au sein de certaines congrégations protestantes -- et de celles qui ne retiennent que les seules lumières historiques et sociales.

La primauté de l’expérience sur la croyance est affirmée catégoriquement par tous les spirituels, mais les livres des deux Testaments demeurent des révélations sacrées aux yeux de la très grande majorité des hommes au XVIIe siècle (comme l’imposait la religion chrétienne). Chez Madame Guyon, l’interprétation de l’expérience à l’intérieur de la foi chrétienne est profonde et cohérente. Les versets bibliques sont perçus comme les témoignages de contacts vécus par leurs rédacteurs avec Dieu, le Plus grand que soi, l’Inconnaissable, l’Immense, associé au médiateur Jésus-Christ. Souvent elle interprète ces versets de façon à décrire la voie mystique, et parfois très librement.

Les récits bibliques ne se situent plus dans l’histoire, mais présentent les étapes du retournement, du cheminement difficile vers le « cœur », « l’intérieur », le centre, où le Divin réside et Se manifeste à l’homme. La Bible traduit ainsi une expérience intime qui se renouvelle d’âge en âge et le commentaire guyonien garde ainsi une valeur intemporelle.

Madame Guyon, tout en dialoguant librement avec Dieu, écarte toute manifestation particulière excessive, « mystique » au sens de phénomènes (visions, sensations…)[463]. Elle n’attache de prix qu’à l’expérience du grand fond où les âmes mystiques…

…ne peuvent rien distinguer de Lui. C’est comme une personne qui vit dans l’air et le respire sans penser qu’elle en vit et qu’elle le respire, à cause qu’elle n’y réfléchit pas. Ces âmes, quoique toutes pénétrées de Dieu, n’y pensent pas, parce que Dieu leur cache ce qu’elles sont : c’est pourquoi on appelle cette voie « mystique », qui veut dire secrète et imperceptible[464]…  

Elle utilise cependant avec précision son expérience intime pour comprendre le sens profond du texte sacré. Elle le fait revivre parce qu’il est éclairé par un vécu personnel similaire à celui que transcrivit le rédacteur dans des formulations et par des images adaptées au temps passé. En ce sens, elle s’approche probablement de plus près de l’intention de l’écrivain sacré que ne le font des commentaires modernes anachroniques par leur orientation historicisante.

Expliquer les divers écrits sacrés comme des expressions d’une même vérité humaine d’expérience intérieure est devenu la seule approche acceptable par beaucoup à notre époque : une explication se soumet à ce qui apparaît comme raisonnable et l’autorité de l’expérience subordonne les croyances au vécu. Le lecteur trouvera chez elle une telle approche. Nous avons choisi de l’illustrer par son commentaire des Béatitudes :

Bienheureux les pauvres d’esprit ; car le Royaume du ciel est à eux.

    Cette première béatitude renferme seule toute la perfection et la consommation de la perfection même. Une vive pénétration de cette sentence de Jésus-Christ a donné lieu aux spirituels et aux mystiques de dire de si belles choses touchant la pauvreté d’esprit à laquelle ils ont donné divers noms, de dépouillement, d’appauvrissement, de nudité, de perte, de mort, d’anéantissement. Tout ce que l’on en dit est bien véritablement fondé sur cette déclaration du Fils de Dieu et tout ce qui s’en peut dire ne s’approche pas de ce que c’en est dans la vérité : mais nul ne peut pénétrer le sens de ces profondeurs s’il n’a le courage de se donner à Dieu sans réserve pour les pratiquer.

   J’en dirai ici quelque chose selon qu’il plaira au Père des lumières de me l’inspirer.

   Jésus-Christ met cette béatitude au premier rang et à la tête des autres, comme celle à laquelle elles doivent toutes se rapporter. La pauvreté d’esprit ne s’entend pas seulement du détachement d’affection des richesses comme plusieurs l’expliquent : elle s’étend de plus à un appauvrissement général de toute l’âme, et de tout l’esprit et jusqu’à une désappropriation entière et absolue et une perte de tout propre intérêt. Il faut que cette pauvreté se répande sur les trois puissances de l’âme et qu’elle pénètre même sa substance et son centre pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent avec attache et les réduire dans une parfaite nudité.

   Comme parmi les pauvres de biens extérieurs, il y en a de plus ou moins pauvres, les uns étant dans une extrême indigence et dans la dernière disette les autres possédant encore quelque chose pour peu que ce soit : de même l’appauvrissement d’esprit est plus ou moins poussé, selon le dessein de Dieu sur les âmes. Les uns ne passent que par les premiers dépouillements des sens, quelques uns vont jusqu’au dépouillement des puissances mais il en est peu qui vont jusqu’au dépouillement central et à la pauvreté du fond qui est qui est l’entier anéantissement.

   Il y a des biens qui sont hors de l’homme tels que sont les temporels : il y en a d’autres qui sont en lui comme la santé et la beauté. La pauvreté est plus ou moins grande selon qu’elle lui arrache plus des uns ou des autres. L’esprit a de même des biens qui sont hors de lui, comme l’honneur, la réputation, l’estime et l’affection des créatures ; et il y en a qui sont en lui-même, à savoir toutes les richesses des sens intérieurs et des puissances de l’âme, la science, le discernement, la vertu et le reste. Dieu voit que ces biens possédés avec propriété , par une avidité naturelle et impure , au préjudice de la souveraineté de son amour, empêchent que l’homme puisse posséder le Royaume des cieux , qui n’est autre que Dieu même, le dépouille de tout cela afin qu’il apprenne  à donner à Dieu seul la préférence de son estime et de son amour, sans laquelle il est impossible qu’il jouisse de Dieu ; car il est sûr, que Dieu ne remplit un cœur de soi-même qu’ autant qu’il est vide et dénué de ce qui pourrait l’attacher,  l’amuser ou le partager : tout autre cœur ne serait pas digne de lui : c’est pourquoi Jésus-Christ  déclare que notre béatitude consiste à être pauvres d’esprit  c’est-à-dire que quiconque est parfaitement détaché de tout bien créé est heureux  puisque dès lors le bien souverain , Dieu et tout ce qu’il est, est à lui.

   Dieu commence donc par dépouiller les sens intérieurs, l’imagination et la fantaisie de leurs formes, figures et images et de leurs activités naturelles et la partie inférieure de l’âme de ses passions. Puis il dépouille l’entendement de ses conceptions, raisonnements et réflexions de sa subtilité à pénétrer les choses et de la facilité qu’il avait autrefois à exercer ses fonctions ; il le prive même des dons surnaturels dont il l’avait gratifié pour un temps, comme des illustrations, extases, visions et révélations. Il dépouille la mémoire de ses idées naturelles ou sur naturelles, des sciences acquises ou infuses, du souvenir des choses passées et de celles qui arrivent de jour en jour en sorte que toute mémoire semble perdue. Il dépouille la volonté de tout désir, penchant, choix, inclination, affection ou attache à quoique ce soit : elle croit même perdre toutes les grâces, vertus, dons et biens spirituels sensibles ou aperçus :enfin toute l’âme est tellement appauvrie qu’elle ne trouve plus rien non seulement qui l’enrichisse mais même qui la nourrisse et qui la soutienne en sorte que se trouvant dans l’impuissance d’agir et de tirer de ses puissances leurs actes ordinaires elle tombe en défaillance et il lui semble qu’elle a perdu l’esprit  et qu’elle n’a plus ni être ni vie .Aussi ce dépouillement s’appelle-t-il une mort ; ou la mort des sens si c’est une privation de leurs plaisirs et inclinations naturelles et de la vivacité avec laquelle ils se portent sur leurs objets ; ou la mort des puissances, l’âme perdant la facilité de s’en servir, en sorte qu’elles semblent être perdues et qu’elles ne se trouvent plus : ou enfin la mort de l’âme, en ce qu’elle se trouve  privée de ses fonctions sensibles et aperçues qui faisaient sa propre vie.

   Mais cet appauvrissement, quelque extrême qu’il paraisse, ne suffit pas encore. Dieu appauvrit ensuite cette âme de toute propriété centrale, de toute passion secrète et profonde, de toute attache aux choses les plus saintes, de tout amour naturel de ce qui n’est point Dieu ; enfin de toute vie et de tout être propre : en sorte qu’elle ne se trouve plus en quoique ce soit, ni pour quoi que ce puisse être. C’est comme une cessation d’existence et de substance propre pour n’exister et ne subsister plus qu’en Dieu : ou plutôt, tout être propre est ici si fort anéanti quant à sa propriété, opposition et confiance en soi-même, qu’il faut nécessairement que par la perte de tout être propre l’âme recoule dans le souverain être, ou tous les êtres possibles sont renfermés lorsqu’ils n’ont point de position à n’exister qu’en Dieu. Mais lorsqu’ils ont une opposition foncière, comme celle de la propriété, ils existent bien en Dieu nécessairement, à cause de son immensité qui renferme toute chose ; mais ils n’y existent pas  en unité, ni par l’union d’agrément, qui fait comme un mélange sans distinction de l’être créé avec l’incréé, rien ne l’empêchant plus de se rejoindre à son origine, quoique toujours avec la disproportion essentielle de la créature au créateur :au lieu que les autres créatures propriétaires, ou pécheresses, existent en Dieu par nécessité d’être et de dépendance, mais avec éloignement, ou opposition de cœur. Je ne sais si j’aurai expliqué ceci de manière qu’il puisse être entendu.                           

   Ces pauvres d’esprit par la perte de leur propriété reçoivent en propre le Royaume du ciel, qui est Dieu même. Dieu règne en eux, et ils règnent en Dieu. Dieu les possède, et ils possèdent Dieu. La possession et la récompense est proportionnée à la pauvreté qui l’a mérité et la pauvreté d’esprit étant arrivée jusqu’à la perfection que je viens de décrire, ne mérite rien moins que Dieu : non par un mérite de dignité ou de justice ; car la pauvreté, le vide et le néant ne mérite rien, quoique l’âme qui aime à s’y voir réduite pour la gloire de Dieu mérite tout auprès de lui : mais par un mérite de disposition et de rapport : car le seul tout peut remplir le vide du néant.[465]

 

 

Les Justifications.


 

Le millier de grandes pages des Justifications… furent rassemblées par Madame Guyon pendant l’été 1694 « en cinquante jours de temps » à la suite de sa demande d’être examinée sur ses mœurs pour mettre fin à une campagne de calomnies. Acceptée par Madame de Maintenon cet examen était limité à la doctrine. Les célèbres « entretiens d’Issy » se succédèrent depuis l’été jusqu’à janvier 1695. Madame Guyon ainsi que le duc de Chevreuse, son confident, furent écartés des premiers entretiens ! Elle comparut ensuite devant ses juges en décembre et janvier. Les entretiens confirmèrent l’affrontement entre Fénelon et Bossuet[466]. Dès le début de ceux-ci :

J'envoyai en même temps à ces messieurs, outre mes deux petits livres imprimés, mes Commentaires sur l’Ecriture sainte, et j'entrepris par leur ordre un ouvrage pour leur faciliter l'examen qu'ils entreprenaient et les soulager d'un travail qui ne laissait pas d'être assez pénible, ou qui leur aurait pris du moins beaucoup de temps, qui fut de rassembler quantité de passages d'auteurs mystiques et autorisés qui faisaient voir la conformité de mes écrits et des expressions dont je m'étais servie avec celles de ces saints auteurs. C'était un ouvrage immense. Je faisais transcrire les cahiers à mesure que je les avais écrits pour les envoyer à ces messieurs et, suivant que l'occasion s'en présentait, j'expliquais les endroits douteux ou obscurs. […] Cet ouvrage a pour titre Les Justifications. Il fut composé en cinquante jours de temps, et paraissait fort capable d'éclaircir la matière [467].

Le court délai assure une unité qui s’avère trop rare dans le genre anthologique. Surtout le choix ne se limite pas aux prémices de la vie mystique mais couvre tous ses aspects.  Enfin toute controverse de nature théorique théologique en est absente, car l’attention est focalisée sur la pratique de la vie intérieure.  L’ensemble forme la meilleure des anthologies mystiques chrétiennes constituée à l’époque moderne.

Sa structure est originale et son objectivité est assurée par une approche très moderne : au lieu d’un schéma directeur, toujours arbitraire parce qu’une grille ne peut rendre compte que d’un seul point de vue, l’anthologie des Justifications évite tout a priori par le seul rattachement à soixante-sept clés. Pour chaque clé sont donnés en premier lieu des passages incriminés du Moyen court et du Commentaire au Cantique, ensuite les passages pertinents d’auteurs classiques autorisés (l’absence de Bernières est compensée par le recours à Jean de Saint Samson), toujours substantiels, parfois long, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix[468].

Le contenu pourrait contribuer à établir un dictionnaire du vocabulaire mystique utilisé au XVIIe siècle, travail préalable à toute étude approfondie de ses textes mystiques. Il utiliserait quatre sources chronologiquement échelonnées : la Pro Theologia mystica clavis (1640) de Maximilien Sandaeus, Les secrets de la science des saints (1651) d’Antoine Civoré, Les Justifications (1694) de madame Guyon aidée par Fénelon, enfin La Tradition des Pères et des auteurs ecclésiastiques (1707) d’Honoré de Sainte-Marie[469].

Aux reprises de textes qui dénotent un sûr jugement dans le choix des auteurs, s’ajoutent des développements propres donnés en notes. Pour inciter à lire ces Justifications, dont le titre malheureux ne rend pas compte de la valeur de ce meilleur des florilèges mystiques existants, voici quelques extraits (paginés) pris dans une des 67 clés

Clé 63. Transformation :

(113) [EXTRAIT DU] CANTIQUE [de Mme Guyon] :

Dieu étant notre dernière fin, l’âme peut sans cesse s’écouler en Lui comme dans son Terme et son Centre, et y être mêlée et transformée, sans en ressortir jamais : ainsi qu’un fleuve, qui est une eau sortie de la mer et très distincte de la mer, se trouvant hors de son origine, tâche par diverses agitations de se rapprocher de la mer […] (114) Or cela se fait lorsque l’âme perd sa propre consistance pour ne subsister qu’en Dieu. 

AUTORITES [Les auteurs invoqués sont titrés en caractère romains] :

Saint Augustin. […] Il faut donc que la religion nous (117) lie et nous unisse au seul Dieu tout-puissant, et qu’elle nous y unisse immédiatement, et sans l’entremise d’aucune créature, que cette lumière intérieure, qui nous fait connaître le Père, se communique à nos âmes […](122) Or si la souveraine félicité n’est autre chose que la possession de Dieu, il s’ensuit que le plus important des commandements […c’est]  aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre cœur de toute notre âme et de tout notre esprit  (note 2)

(129) Rusbroche. 5. Nous passons de clarté en clarté, et par la lumière créée de la grâce divine, nous sommes élevés dans la lumière incréée, qui est Dieu même ; nous sommes introduits et transformés en notre éternelle image.

(130) Sainte Catherine de Gênes. 8. Je ne vois plus d’union, parce que je ne puis plus voir autre chose que Dieu seul sans moi. Je ne sais où je suis, ni ne cherche pas à le savoir, ni n’en veux avoir de nouvelles. Je suis aussi noyée dans la source de l’amour et dans ce doux feu qui surpasse toute mesure, comme si j’étais abîmée dans la mer, sans pouvoir ni voir ni sentir que l’eau ; en sorte que je ne puis plus comprendre autre chose que tout amour, qui me fait fondre toutes les moëlles de l’âme et du corps.

 Le B. Jean de la Croix 11. Comme cette transformation et union (131) ne peut tomber dans le sens et habileté humaine, il faut que l’âme se dénue parfaitement et volontairement de tout ce qui peut être en elle […]14. (132) l’amour fait une telle sorte de ressemblance en la transformation des aimés, qu’on peut dire que chacun est l’autre et que tous deux sont un. La raison est, parce qu’en l’union et la transformation d’amour, l’un donne possession de soi à l’autre, et chacun se laisse, se donne et s’échange pour l’autre ; et ainsi chacun vit en l’autre, et l’un est l’autre, et les deux sont un par transformation d’amour.

 Le P. Benoît de Canfeld. […] (138) Cette vaste étendue d’anéantissement est cette solitude de laquelle l’Époux dit à Osée : je la mènerai en solitude et là je parlerai à son cœur. […] l’âme a découvert en elle et expérimentalement goûtée comme son Époux est plus dedans elle qu’elle-même […](139) Enfin voilà la vraie vie active et contemplative, non pas séparées, comme quelques-uns pensent ; mais jointes en même temps…

Saint François de Sales. 37. A force de se plaire en Dieu, on devient conforme à Dieu.

 Le Fr. Jean de S. Sanson. 39. L’âme épouse de Dieu, étant arrivée à cette divine unité de son fond, est dorénavant toute transformée en Dieu, non par nature […] mais par grâce et par effet d’abondance d’un amour vigoureux, lequel est généalement actif en un temps et nuement et simplement passif en un autre.  40. Cette âme si heureuse vit de la vie de Dieu et Dieu vit en elle comme en soi-même sans aucune résistance de la créature, car elle est comme ce qui n’a jamais été… (140) 43. déiformité […par] la très libre application de son franc-arbitre pour aimer Dieu son divin objet infatigablement et à perte d’haleine, vers lequel l’amour la fait courir et quelquefois voler… 45 […142] possédant ainsi son bien objectif en la suprême plénitude suressentielle de lui-même, elle se va plongeant et dilatant là-dedans, ni plus ni moins qu’une petite goutte d’eau jetée dans la mer se perd et s’anéantit à elle-même, s’incorporant à ce corps élémentaire, où elle est conservée, toute perdue à soi-même pour jamais et sans jamais en pouvoir sortir telle, ou comme elle était en distinction. […145] 49. Quand nous sommes parvenus à notre centre, qui est Dieu, transfus et perdus en lui par l’entière transformation de notre volonté en la sienne, nous jouissons dès ici bas de la plénitude des saints, même au plus fort de nos batailles et de nos croix.

NOTES [de Mme Guyon] :

Note 1 : […] La recherche se fait de l’amour, et c’est un désir pour l’amour. Mais la jouissance est la possession de l’amour même ; et ce désir qui se fait dans l’amour, n’est autre que le poids de l’amour qui ne peut se distinguer de ce même amour, comme le poids qui nous enfonce dans la mer, ne nous laisse rien distinguer que la même mer ; au lieu que le désir d’arriver à la mer nous laisse distinguer toutes nos démarches, et le désir d’y arriver est très sensible : mais lorsqu’on y est (120) plongé, on ne distingue plus rien en elle, sans cesser de s’y enfoncer toujours plus ; car si la mer était infinie, n’est-il pas vrai qu’on s’y enfoncerait à l’infini, sans autre action ni distinction que la mer ? Et c’est cet enfoncement indistinct en Dieu, qui est le désir de cette âme en ce degré. / Ceci fait voir la différence de la transformation des mystiques d’avec l’erreur des manichéens qui croyaient que nos âmes étaient des portions de la substance de Dieu, ce qui ne peut jamais être, Dieu étant une substance indivisible, mais aussi communicative : en tant que communicative c’est donc une émanation de Dieu et non une portion de sa substance. Nous sommes transformés en Dieu par l’amour, qui faisant passer notre volonté dans la volonté de Dieu, elle n’a plus certaines fonctions propres, qui la rendaient imparfaite et dissemblable à Dieu. / La transformation de notre esprit se fait, lorsque perdant ses lumières propres, il se laisse remplir et éclairer d’une vérité nue, simple et générale, qui chasse si fort tout ce qui lui est contraire, soit erreurs soit opinions, soit confusions d’espèces, multiplicité de raisons, qu’elle semble tout convertir en elle. Il est vrai que cette lumière de vérité et cette volonté de Dieu change la nature des opérations de l’esprit et de la volonté en se les conformant, en sorte que l’entendement, qui par son opération grossière ne comprend les choses que successivement, et montant des unes aux autres, ou comparant les unes avec les autres, est surpassée par la lumière pure et nue de la vérité ; il est donné à cet entendement une lumière conforme à cette vérité, qui est une foi nue, confuse, générale, qui embrasse son objet tout d’un coup, sans succession (121) ni comparaison, sans raisonnement. Or cette simple disposition de foi nue dans l’esprit, étant conforme à la vérité, attire la vérité ; et cette vérité ne trouvant plus dans l’esprit les contrariétés qui lui sont opposées, parce que la foi l’en a purifié, elle illustre tellement l’entendement, que l’esprit paraît transformé en cette même vérité, comme l’air[470] pénétré des rayons du soleil éblouit les yeux tout ainsi que le soleil même, quoique l’air ne soit point le soleil ni le soleil l’air. Il est certain que l’esprit conserve toujours sa substance et même sa forme créée : mais il est tellement changé quant à son opération, qu’il reçoit sans mélange la vérité nue ; parce qu’il a été disposé pour cela par la foi nue : et cette vérité claire et nue surmonte tellement toutes lumières de notre esprit, qu’elles paraissent comme éteintes. Elles ne le sont pas néanmoins, mais elles sont informées d’une autre lumière qui est cette lumière de vérité nue, propre à l’esprit purifié. […]

 Pour la transformation de la volonté, elle se fait aussi de cette sorte […] l’âme ne trouve plus en elle que la volonté de Dieu [...]ne distingue plus sa volonté […](122) toute cette transformation d’esprit et de volonté se fait par l’amour : car la vérité est la lumière de l’amour et l’amour en est la chaleur. Ils sont distincts et indivisibles.

Note 2 : Comment aimer Dieu de tout notre esprit ? C’est lorsque la vérité et l’amour unis nous ont rendus uniformes et transformés en Dieu. Alors on aime de tout l’esprit, puisque cette vérité, qui est la clarté de l’amour, pénètre notre esprit à proportion et à mesure que sa chaleur pénètre notre cœur ou notre volonté ; car la volonté est le cœur de l’âme, comme l’entendement en est l’esprit […] Il n’y a que le pur amour dégagé de toute multiplicité, tel que le requiert l’état intérieur […] qui soit le seul amour sans partage et sans division […] La voie intérieure est un tout indivisible, composé de parties (124) auxquelles on ne peut toucher sans la détruire […] Il faut tout ou rien ; si vous admettez ses principes et son commencement, aussi bien que son progrès, il faut admettre sa consommation et sa fin. /[…] Il a son commencement, qui n’est autre que la parfaite conversion en tous les sens que le parfait recueillement exige; son progrès, qui est cette faim et cette recherche continuelle de Dieu par l’éloignement, la fuite et la purification de tout ce qui lui est contraire; la fin de cet état est le repos dans le Souverain bien qu’on a cherché et désiré […] Ce repos est dans la jouissance de Dieu […] ce qui n’empêche pas qu’on n’avance toujours en Lui : ainsi l’état est consommé quant à l’activité de la créature, mais il n’est pas consommé ni achevé quant à l’opération perfectionnante de Dieu. […125] L’intérieur. Disons que sa perfection sera toute autre dans l’autre vie ; mais ne lui ôtons aucune de ses parties qui composent ce tout admirable, qui est le chef d’œuvre de l’amour et de la puissance de Dieu, puisque selon le témoignage du B. Jean de la Croix […] Dieu a plus fait en purifiant et réformant l’homme qu’en le créant[471]. 

Pour l’ensemble des clés, une approche quantitative est essentielle pour équilibrer les poids relatifs des influences qui n’apparaît pas si l’on s’en tient à la seule liste des auteurs.

Plus de la moitié des passages retenus et numérotés concernent cinq auteurs : Jean de la Croix vient en tête, ce qui montre la clairvoyance de Madame Guyon alors qu’il n’est pas encore canonisé[472]. Jean de Saint Samson le suit de très près : ses écrits sont connus de Madame Guyon qui a correspondu avec son disciple Maur de l’Enfant-Jésus. Catherine de Gênes est très présente. Thérèse d’Avila est canonisée depuis le début du siècle[473] mais demeure cependant en retrait loin derrière Jean de la Croix. Enfin Denys qui représente aux yeux des contemporains l’autorité des débuts de l’Eglise, ouvre chaque chapitre. Lorsqu’on ajoute à ces cinq auteurs principaux, douze autres auteurs dont Clément d’Alexandrie, François de Sales et l’Imitation, on couvre les six-septièmes des passages retenus. L’école rhéno-flamande est bien représentée si l’on regroupe les fragments connus à l’époque : en effet l’ensemble constitué par l’Imitation, Suso, Benoit de Canfield, Ruusbroec, Harphius, Tauler, prend alors place en troisième position entre Jean de Saint Samson et Catherine de Gênes.

Plus largement on remarque que les auteurs récents sont très bien représentés et les Pères de l’Église beaucoup moins, ce que note Cognet [474].

La collaboration entre Madame Guyon et Fénelon s’est tout naturellement traduite par un partage des tâches : à l’une les aspects mystiques, en défense immédiate de ses écrits, ce qui favorise tout naturellement des témoignages contemporains parfois sensibles aux aspects psychologiques, à l’autre les aspects théologiques et le recours aux Pères de l’Eglise, tel Clément d’Alexandrie. Fénelon est toutefois largement présent dans le titre des Justifications : sa contribution apparaît au tome III, dans le supplément consacré aux Pères Grecs (où Clément se taille une part royale).


 


 

LA VOIE.

Toute vie mystique est une dynamique. Entrepris sur l’impulsion de la grâce, le pèlerinage vers Dieu couvre la vie entière, autrement dit des dizaines d’années : à la merveilleuse période de découverte succède un lent travail de désappropriation qui mènera à une vie nouvelle, une renaissance en Dieu, enfin très exceptionnellement à la capacité de transmettre la grâce. Cette vie est présentée de façon pure par Jean de Bernières, Marie de l’Incarnation du Canada, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon[475] qui forment la « ligne de crête » mystique du XVIIe siècle.

Une communication silencieuse

Ce point délicat souvent occulté explique la perplexité de critiques les mieux disposés. Il s’agit d’une transmission de la grâce cœur à cœur. Il est possible de ne pas prendre parti en évitant d’aborder ce sujet. Mais cela revient à négliger ce qui sous-tend leur activité de direction et explique l’attachement surprenant de certains membres de l’entourage de madame Guyon tels que le duc de Chevreuse puis Fénelon.

Pour madame Guyon la grâce existe ; sa transmission de personne à personne est un fait d’expérience. Elle découvrit que la prière silencieuse possède une efficience indépendante des pratiques religieuses et peut s'accompagner d’une communication entre priants. Cela lui arriva très inopinément et non sans contrecoup somatique après une longue évolution intérieure. Elle avait déjà trente-quatre ans lorsque cette découverte sauvage eut lieu à Thonon en 1682 en communion avec le père Lacombe.

Une telle communication suppose une pureté parfaite du cœur, l'absence de toute intentionnalité et de retour sur soi, l'action spontanée de la grâce qui passe par le canal d’une personne sans aucun mérite de sa part. Elle fut attestée au sein de traditions spirituelles chrétiennes, chez les Pères du désert puis au sein de l’église Orthodoxe. Elle est au cœur de traditions soufies et orientales qui ne relèvent pas de la médiation christique. Mais elle n’est décrite dans le monde catholique qu’exceptionnellement et par allusions. Elle nous paraît aujourd’hui peu croyable, en tout cas inexplicable scientifiquement.

Cette réalité expliquerait pourquoi madame Guyon exerça une attraction sur des personnalités et dans des cercles spirituels variés et parfois de tempérament contraire (tel le réservé Fénelon) ; car rien ne l’y aidait, ni une sainteté évidente, ni l’esprit de son époque fort « anti-mystique ».

Tandis qu’elle résidait un temps à Grenoble à son retour d'Italie, juste avant son retour à Paris, de nombreux laïques et religieux, en particulier des moines et des chartreuses, venaient la voir. Ils distribuèrent son premier texte édité par un laïque ami et enthousiaste, un Moyen court incitant à l’oraison sans étape intermédiaire. Ce rayonnement l'encouragea à poursuivre sa tâche d'apostolat, cette fois dans la plus grande ville du royaume.

On pratiquait l’art de l'écriture dans le milieu noble de la Cour dont c’était l’une des seules occupations admises (avec l’exercice militaire) : aussi madame Guyon fut à l’origine d’une large correspondance et de textes courts de direction, surtout par l’intermédiaire du duc de Chevreuse. Affirmant n’écrire que sous l’inspiration de la grâce, elle évitait toute reprise[476].. Les relations entre madame Guyon et les membres de son cercle, ayant eu l’expérience intime que nous venons d’évoquer, généralement des laïques vivant hors de toute clôture, étaient d’une grande simplicité. Sans précaution, elle livrait et affirmait une autorité soutenue par la communication de cœur à cœur constatée par des proches. Ceci est apparent dans sa correspondance avec Fénelon, où les différences de caractère et de formation intellectuelle, les défauts mêmes propres à chacun sont dépassés par cette expérience ineffable.

Mais l’usage d’un complément écrit portant sur l’intime cordial est risqué. Il génère une grande perplexité chez ceux qui, n'ayant aucune expérience de cet ordre, ne peuvent rationnellement admettre une autorité fondée sur un « sixième sens », même si par ailleurs ils admettent une communication possible par la prière avec Dieu et l’efficacité d’une présentation devant Dieu par autrui, ce qui constitue l’« activité » première des membres d’ordres contemplatifs.

…et ses conséquences.

En pratique, tout ceci dégénéra en un sujet de conversation et d'amusement à la Cour, qui par ailleurs ressentait la présence du parti dévot dans la caricature austère offerte par les pratiques imposées par Madame de Maintenon et partagées par un Louis XIV vieillissant.

La liberté de conscience était impensable sauf dans des cercles intellectuels discrets pratiquant la dissimulation[477]. Il était obligatoire d’avoir un confesseur, d’obéir à l’Église catholique et à ses clercs seuls capables d’une pensée théologique au sens étroit et technique que ce terme prit au XVe siècle. L’idée que l’on puisse être dirigé directement par l’Esprit Saint sans leur intermédiaire n’était-elle pas déjà en partie luthérienne ? donc blâmable.

Comme on doit tout dire à un confesseur reconnu comme représentant du Christ, et qu’il est impossible de mentir pour une mystique, la seule solution est de convaincre l’interlocuteur, donc de s’exposer. A l’opposé de l’attraction ressentie par des proches ou des visiteurs, l’influence inexpliquée provoqua l'opposition de tous ceux qui se sentaient dépossédés de leurs fonctions d'intermédiaires entre la communauté des hommes et Dieu.

Déjà le général des Chartreux, dom Le Masson, avait réagi violemment, n’acceptant pas l’influence exercée par le Moyen court dans les chartreuses proches de Grenoble[478]. Non sans l’excuse d’une naïveté toute monacale, il fut à l'origine de graves accusations reprises lors d’interrogatoires[479]. Puis le demi-frère de madame Guyon qui appartenait au même ordre des barnabites que le père La Combe, par jalousie envers ce dernier et pour défendre des intérêts familiaux, suscita un premier internement assez court, prodrome de ce qui suivit des années plus tard (certains acteurs reprendront alors du service).

Enfin et plus profondément, la problématique communication intérieure fut probablement la pierre d’achoppement pour Bossuet : son incompréhension se manifeste après que sa dirigée ait eu l’imprudence de lui communiquer, sous le sceau du secret, les pages autobiographiques de la Vie où elle décrit son vécu intime, dans l’espoir naïf de le « convertir ». Sans expérience mystique personnelle, Bossuet pouvait bien admettre les rêveries de la sœur Cornuau qui reflète l’imaginaire religieux du temps[480], car elles sont déconnectées de la vie réelle et ne posent donc pas problème ; mais l’affirmation d’une expérience intérieure peu ordinaire, qui attire son jeune protégé Fénelon, s’oppose à sa volonté, ce qu’il identifie à un refus d’obéissance.

Molinos condamné en Italie depuis 1687, Lacombe arrêté dès 1688 : on ne peut qu'être surpris par le long sursis que constitue les sept années de « vie publique » de madame Guyon, 1688 à 1695. En fait, Madame de Maintenon, attirée par le rayonnement de sa cadette, fut influencée au point d’accepter sa présence au sein de l’institution des jeunes filles de Saint-Cyr. Mais tout se détériora. Il est possible que l’aînée ait été frustrée mystiquement, c’est l’hypothèse exprimée par un texte émanant du cercle de Lausanne au siècle suivant. En tout cas elle se mit à redouter les effets de la pratique de l’oraison au sein de la communauté des jeunes filles, ou du moins l’effet de ce qu’on en rapportait malicieusement. Elle reprit alors en main sa fondation (à la fin de sa vie, elle pensera pouvoir la diriger spirituellement). Cette dégradation des rapports entre les deux femmes se précipita après que son confesseur Fénelon eut choisi de demeurer au sein du cercle des disciples de la cadette.

L’influence sur les ducs et les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, comme la conquête de Fénelon, paraissaient inexplicables à beaucoup, dont l’ami des ducs Saint-Simon. Certes, sur le plan théorique, une transaction théologique put être mise en place à l’issue des entretiens d'Issy. Mais les Justifications établies par les textes de la tradition mystique chrétienne, les explications fournies par le subtil Fénelon ne suffirent pas à dissiper un malentendu. Il tourna en antagonisme.

Madame Guyon sentit alors qu'elle devenait pour ses amis la cause d'une catastrophe très probable et toute proche, à l'image de celle qui avait eu lieu en Italie près de dix ans auparavant. Elle se crut obligée de se livrer à un examen sur place par Bossuet et proposa, pour sa mise à disposition, d’aller résider au couvent de la Visitation de Meaux, son diocèse. Cette mise à disposition vira au cauchemar.

Rien ne pouvait être réglé par voie d'autorité dans un domaine où s'oppose à l'autorité humaine la conscience d'une autorité supérieure divine à laquelle il faut obéir en premier et avec rectitude. Bossuet perdit toute patience devant une femme qui transgressait la loi immémoriale de soumission d’une femme et d’une laïque devant l'autorité religieuse ; fait aggravant : il n’était pas seulement confesseur, mais savait être un prélat digne d’avenir[481].  

Bossuet fut tiraillé entre, d’une part, une honnêteté foncière malgré des faiblesses épisodiques, -- à laquelle madame Guyon fut un temps sensible au point d’alimenter l’espoir d’une conversion à la vie mystique, -- et la crainte des puissants. Il savait que le véritable pouvoir était de nature politique et que dans cet ordre la fin justifie les moyens. Madame de Maintenon, maîtresse des jeux, l’exerçait avec art : on vit donc Bossuet perdre son sang-froid au sein du couvent de la Visitation, dans des colères qui trahissaient son impuissance profonde, et plus tard le faible archevêque de Paris, M. de Noailles, s’abaisser à manier l’arme d’une fausse lettre au sein de la prison de la Bastille, si dévastatrice était la crainte de déplaire à Madame de Maintenon et donc d’être barré sur le chemin des honneurs[482].

Madame Guyon n'était pas prête à un subterfuge et même au comportement souple de l’omission par silence : elle était marquée peut-être par la littérature de l’époque de la Fronde, lue avidement dans sa jeunesse, qui faisait passer les principes avant les accommodements, handicap certain à l’époque resserrée par l’absolutisme de la fin du siècle. La connivence des sœurs de la communauté visitandine de Meaux rendit la vie du couvent probablement incontrôlable et cet affrontement sans issue se termina par un départ d’abord autorisé à contrecœur, puis bientôt représenté comme une fuite.

Une dynamique cachée

Les approches statiques de la vie mystique s’attachent à ses aspects visibles, « photographies » variables selon les individus ne révélant généralement que des gestes voire gesticulations mineures, de ce qui demeure pour l’essentiel un cheminement caché. Au-delà d’expériences colorées cette progression s’inscrit dans la durée, permettant l’affleurement et l’épanouissement d’une réalité profonde, source de vie.

On passe des instants vécus à leurs effets durables si l’on compare par exemple les deux Relations de Marie de l’Incarnation (du Canada), un cas exceptionnel où l’incendie du monastère canadien et la perte qui s’ensuit de tout document amène la rédactrice à refaire « de rien » le travail d’écriture à la demande de son fils, livrant ainsi deux témoignages indépendants portant sur le même vécu intime. La Relation de 1633 décrit des événements ou états transitoires aisément repérés par leur caractère exceptionnel mystique, la Relation de 1654 décrit des états de conscience durables plus difficile à cerner parce que l’autobiographie ne s’attarde plus sur des signes sensibles qui ne constituent aux yeux moins myopes de la rédactrice que des accidents marquant les transitions entre états. Dans une telle géographie intérieure, les changements d’altitude importent moins que les grands espaces.

Si l’on lit le témoignage progressivement rédigé de la Vie par elle-même, le film d’une dynamique mystique qui se développe au cœur de l’individu et le transforme se substitue aux photographies de Relations.

Cette expérience est dite « mystique » certes parce qu’elle est intérieure et voilée. Mais elle ne se traduira par aucun refus des engagements dans la vie concrète, parfois publique, même si la solitude et le silence, favorables à la naissance de l’intériorité, sont recherchés pendant des années et désirés plus longtemps encore. La vie du cœur libère une énergie active considérable.

L’adhérence du cœur.

Tout commence par un « concours vital …pour adhérer à Dieu. »[483]. Mais comment le mettre en œuvre ? Madame Guyon décrit une voie médiane qui ne fait pas appel à l’effort méditatif d’exercices spirituels (elle conseille cependant aux commençants et en cas de sécheresse le recours à des moyens tels qu’une lecture introduisant doucement au recueillement). Elle rejette aussi une recherche qui se satisferait d’un vide ponctuel obtenu par abstraction d’esprit. Car les exercices peuvent être utiles au commencement mais risquent ensuite d’enfermer le pratiquant dans leurs procédés ; et la recherche du vide peut conduire à une fausse paix de l’esprit, danger contre lequel Ruysbroeck mettait en garde :

On rencontre d’autres hommes qui... au moyen d’une sorte de vide, de dépouillement intérieur et d’affranchissement d’images, croient avoir découvert une manière d’être sans mode et s’y sont fixés sans l’amour de Dieu. Aussi pensent-ils être eux-mêmes Dieu... Ils sont élevés à un état de non savoir et d’absence de modes auxquels ils s’attachent ; et ils prennent cet être sans modes pour Dieu [484].

 Ces deux extrêmes des exercices prolongés ou de l’abstraction volontaire d’esprit ont en commun de privilégier l’effort. Ils risquent donc en pratique de ne plus reconnaître la primauté voire l’existence même du don de la grâce. Au contraire, dans la voie d’amour :

On ne fait nul effort d’esprit pour s’abstraire ; mais l’âme s’enfonçant de plus en plus dans l’amour, accoutume l’esprit à laisser tomber toutes les pensées ; non par effort ou raisonnement, mais cessant de les retenir, elles tombent d’elles-mêmes [485].

Madame Guyon privilégie le cœur et la volonté qui en procède sur l’esprit :

L’esprit se lasse de penser, et le cœur ne se lasse jamais d’aimer. … il est impossible que l’action de l’esprit puisse durer continuellement … Concluons qu’il est plus utile pour nous, plus glorieux à Dieu, et même uniquement nécessaire, d’aller par la voie de la volonté [486].

Dans l’état contemplatif ainsi établi peuvent se présenter phénomènes mystiques ou psychologiques, souvent sous la forme de représentations, d’images. Au mieux elles sont la coloration dépendant d’un contexte religieux ou culturel sous laquelle transparaît un travail profond de la grâce ; au pire, elles sont des illusions. Dans tous les cas, il faut s’en détourner :

Cette contemplation doit être nue et simple ; parce qu’elle doit être pure. Tout ce qui la détermine, la termine et l’empêche … ne donne jamais la chose telle qu’elle est en soi, mais en image grossière, qui ne peut ressembler au simple et immense Tout.[487].

Ainsi, tandis que les illusions sont ainsi dénoncées conformément aux nombreuses mises en garde de Jean de la Croix, madame Guyon se situe dans la tradition spirituelle qui remonte à Benoît de Canfield :

L’élévation d’esprit qui se fait par ignorance, n’est autre chose que d’être mu immédiatement par l’ardeur d’amour, sans aucun miroir, ou aide des créatures, sans l’entremise d’aucune pensée précédente, et sans aucun mouvement présent d’entendement, afin que la seule affection puisse toucher, et que la connaissance spéculative ne puisse rien connaître en cet exercice d’esprit [488].

Et de ce dernier aux mystiques Rhéno-flamands dont Hadewijch :

Dieu demeure incirconscrit

Dans l’amour nu,

Sans paroles ni raison [489].

Elle ajoute des descriptions précises, du vécu intérieur, même si elles sont d’apparence lyrique, à un résumé « théorique » et sait définir clairement les termes mystiques correspondant aux divers états de prière ou oraison, tels qu’ils sont en usage à la fin du siècle, toujours par référence à l’expérience, distinguant : oraison de simple regard, contemplation, oraison simple, oraison de foi, foi simple sans bornes ni mesures [490].

Découverte, désappropriation, vie nouvelle.

On peut distinguer, sans en faire un système, trois périodes de la vie mystique s’étendant chacune sur des années, illustrées en synthèse dans les Torrents. Nous les avons esquissées précédemment :

La découverte de l’intériorité est accompagnée d’une simplification et d’une pacification progressive. Cette découverte peut s’accompagner d’événements intimes variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extra-ordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la dynamique vitale qu’ils alimentent, de la part de scrutateurs qui ont vite fait de repérer divers alliages impurs de la nature à la grâce dans ces phénomènes. Ils sont cependant très utiles pour confirmer le commençant dans sa voie. Ils relativisent toutes les jouissances, très réelles et bonnes, dont notre nature est capable. Ils substituent l’expérience réelle directe aux croyances. Ils élargissent la vision en relativisant l’importance accordée à soi-même, par ouverture à la beauté du monde et des êtres. L’affectivité peut même parfois s’épanouir en un sentiment d’amour.

De longues années de désappropriations correspondent au stade de purification décrit par de nombreux auteurs. Le terme de « purification » est ambigu dans la mesure où il risque de laisser croire que nous serions à terme un « nous-mêmes » moins ses défauts.  Le « nous-mêmes » ne pourra subsister. Sera-t-il transformé ou fondu dans une « vastitude », appelant la comparaison classique de la goutte d’eau dans l’océan ? Mais cette fusion ne voit disparaître ni les capacités, ni les infirmités, ni la structure individuelle, même si cette dernière s’efface à la mort ; elle permet leur mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur de la structure, comme l’exprime l’apôtre Paul dans le verset célèbre repris par tous les mystiques.  Les épreuves, parfois même une nuit, sans lesquelles l’amour propre ne serait jamais réduit en cendre pour laisser place à une renaissance dans le pur amour, correspondent à cette longue période. 

Très exceptionnellement a lieu une naissance à la vie nouvelle. Le terme de vie « apostolique » souvent utilisé par Madame Guyon se réfère directement à la description imagée des Apôtres lorsqu’ils sont compris par tous leurs « auditeurs » après leur Pentecôte : ce n’est plus leur discours qui compte - il ne pouvait être entendu physiquement en diverses langues - mais ce qui passe de cœur à cœur - une forme intense de l’expérience très courante où l’on est sensible à la véracité de l’orateur - et qui peut même être transmise en silence.

La description suivante est empruntée cette fois à monsieur Bertot qui sait être très dense (et abrupt) et auquel Mme Guyon s’identifie souvent[491]. Il distingue quatre degrés dont trois proprement mystiques.

Quatre degrés dont trois proprement mystiques

Les deux premiers correspondent à la découverte, oraison d’affection puis passive en lumière où s’ouvre la voie mystique, marquée par l’action divine qui prend la première sinon la seule place. Le troisième degré est de désappropriation, le dernier de revivification ou naissance à vie nouvelle.

Le même Bertot a décrit de même quatre degrés, dont les trois derniers sont proprement mystiques. Ils précisent des modes de prière ou d’absorptions de l’âme parallèles au déroulement qui vient d’être exposé, découverte de l’intériorité par « surprise », établissement dans l’unité par le « repos », désappropriation où « se perdre est se gagner » (vouloir se maintenir est source d’une grande peine), enfin la renaissance à une nouvelle vie où « ce qui était si resserré [...]devient vraiment fécond ».  Madame Guyon reprendra sur un mode plus lyrique, dans ses Torrents une présentation similaire que nous ne citons pas ici car l’œuvre est aisément accessible[492].

Premier degré.

Ce degré commence quand la foi commence à simplifier l’âme [...] le feu de ses opérations diminue sans savoir comment, cette fécondité d’entendement et de volonté s’évanouit... Pour lors il faut aider l’âme à ne pas se multiplier [...] il faut faire remarquer la lumière de la foi qui commence et cela dans les obscurités qui lui surviennent, dans les sécheresses d’esprit et de coeur qui lui commencent d’être assez fréquentes et enfin dans une certaine inclination, qu’elle a sans la discerner, à ne faire pas tant comme au passé ; s’apercevant peu à peu, que sans y penser en faisant oraison elle est surprise qu’elle demeure là sans agir, en pensant et aimant (215) tout ensemble sans faire de distinction...(223)

 Second degré.

Quand l’âme [...]est réduite en une grande unité de toutes choses, pour lors commence le repos... qui consiste à commencer de trouver Dieu en son fond.  [...] (225) N’avez-vous jamais pris garde à la manière que l’on clarifie de l’eau ? On n’a qu’à la laisser reposer et aussitôt elle devient transparente. C’est là le procédé que doit tenir l’âme en ce degré. Elle n’a qu’à se mettre en jouissance de son repos et ce repos chaque moment de son oraison se purifiera et enfin peu à peu l’âme se clarifiera et verra ce cher diamant que renferme le centre de son âme. [...] (227) L’avantage et l’augmentation de l’oraison en cet état est, que ce repos s’augmente et que l’âme laisse tout écouler en Lui : car c’est le temps de la jouissance secrète de Dieu qui s’augmente et se perfectionne, plus l’âme se défait de soi-même pour tomber dans la vastitude et l’amplitude infinie de Dieu en repos. Et par là, l’âme insensiblement, en ce sacré repos s’établit et se perfectionne en une unité sans comparaison plus (228) parfaite [...] Il faut que le commencement de l’oraison soit en repos, le milieu le repos et qu’elle se finisse en repos, sans rien chercher hors de là : car tout y est, Dieu y étant ; et elle y trouvera tout en ayant Dieu, qu’elle aura assurément si elle demeure nuement et absolument en repos, perdant tout et y laissant tout écouler par une jouissance autant parfaite que son degré présent lui donnera. Sa présence de Dieu durant le jour sera le repos dans lequel elle se laissera perdre peu à peu pour jamais afin de ne plus se retirer pour quoi que ce soit. [...] (231)

Troisième degré.

Les âmes qui sont en ce troisième degré doivent avoir un grand courage afin de ne perdre pas coeur dans les précipices qui leur paraîtront [...] qui ne menacent pas moins que d’une ruine totale [...] (232) [...] ici se perdre est se gagner et ne plus se voir en quelque manière que ce soit, c’est être avantageusement en Dieu. Cet état [...] consiste à être et subsister sans moyen en Dieu n’ayant que Lui en Lui. [...] (234) [...] Elle commence donc son oraison en Dieu et se mettant en Lui par le centre. Car comme cette présence dont elle jouit ici n’est pas objective, mais par le fond et le centre de l’âme [...] se mettre en Dieu s’entend non pas aucun acte quelque simple qu’il soit [...] est proprement un écoulement de Dieu par le centre. Quand au matin vous ouvrez les yeux, le (235) Soleil étant levé, c’est mal exprimer la chose que de dire que vous mettez vos yeux dans la lumière du Soleil ; car elle vous prévient et perd votre capacité de voir en elle. Or Dieu qui est Lui-même selon toute sa grandeur et Majesté dans le centre de l’âme, s’y communique d’une manière que l’expérience sait ; et ainsi il suffit de vous dire que l’âme sans rien chercher, ni avoir besoin de quoi que ce soit, se met de cette manière en Dieu où elle est et demeure, non par un moyen mais par Dieu même écoulé et communiqué par le centre. [...] (236) Elle ne fait aucun retour, ni aucune réunion sinon de se laisser couler et se perdre dans l’abîme où elle est et où elle se perd non par son action et son aide propre, mais par l’abîme même où elle coule par une inclination centrale que Dieu a gravé en son âme pour ce centre dont elle commence de jouir et qui est à cette âme ainsi se perdant comme un aimant qui attire le fer... Il ne faut pas croire qu’il n’y ait en cette oraison [...]un don infini... Mais comme cela est dans le seul centre, son opération est uniquement centrale ; quoiqu’il ne laisse pas de donner dans les sens et dans les puissances des (237) miettes qui font admirer les personnes non expérimentées au secret de ce commerce : ce qui fait souvent, si l’on n’y prend bien garde, que l’on quitte le principal pour l’accessoire. [...] Car tout ce que Dieu donne [...]n’est jamais pour en faire compte ni registre, mais pour se plonger et se perdre davantage en Dieu : quittant et méprisant ces belles merveilles, on quitte l’effet pour aller à la cause et le ruisseau pour se contenter de la source où l’on boit bien plus à son aise et une eau bien plus pure. [...] (241)

[Quatrième degré :]

Revivification de l’âme [...]Ces os entendant par un miracle la voix de Dieu, commencèrent à se remplir de chair, de nerfs, de vie [...] La même chose arrive à l’âme perdue [...] (242) Ils commençent à voir, leur entendement, leur volonté et toutes leurs puissances sont revivifiées et enfin le raisonnement ; de telle manière que ce qui était si resserré dans les états précédents devient vraiment fécond en liberté divine. [...] (246) Ainsi l’âme ayant perdu son soi-même en Dieu et par conséquent Dieu étant son principe divin, s’y perd de telle manière qu’étant créée pour Dieu, cette capacité se remplit admirablement de sa fin ; et ainsi elle est et fait ce que Dieu est et fait, et ce que généralement Dieu veut faire d’elle et par elle[493].

Un état permanent.

Sobrement posé précédemment comme quatrième degré (troisième degré mystique), cet état permanent est intimement décrit par Nous l’avons vu décrit par Bernières et Bertot. Il est également suggéré par ses effets chez Marie de l’Incarnation du Canada. Peu nombreux les mystiques qui y accèdent, moins nombreux encore ceux qui se risquent à évoquer ce qui est au-delà de tout signe distinct. Il y faut des conditions bien particulières : une lettre adressée à un ami très cher pour Bernières, une relation à la demande d’un fils unique pour Marie de l’Incarnation, une lettre à sa meilleure disciple pour Bertot.

Jeanne Guyon décrit cet état après la mort de son maître dans sa Vie par elle-même[494], dans la seconde partie des Torrents, enfin dans ses Discours spirituels. Nous choisissons un passage qui figure dans un recueil d’écrits de jeunesse dont la plupart n’ont jamais été publiés. Il ne s’agit pas ici encore d’un état permanent mais d’une annonce de ce qui est à venir :

L’âme n’y a point de part, elle est morte et très anéantie à toute opération. [...]Sans cesser d’être tout au dedans et sans quitter l’unité du centre, Il [Dieu] se répand sur les puissances [...][f°26r] embrasant d’amour, sondant ce qu’il y a de plus caché dans les cœurs et parlant par la bouche de cette créature, qui demeure très passive à tout ce que Dieu [...] opère en elle et hors d’elle par son organe, durant que cette âme vide de toute propriété et distinction, non seulement des personnes mais d’elle-même, demeure essentiellement unie à Dieu dans le fonds qui est Dieu même, où tout est dans le repos parfait de l’unité essentielle de Dieu [...][26v]

 L’âme arrivée à ce degré est immuable quant au fonds [...] elle est si pure si nette et si dégagée de toutes sortes d’espèces, qu’il ne lui vient pas quelquefois en un jour une seule pensée. Son esprit est comme une glace pure qui ne reçoit aucune impression que celle qu’il plaît à Dieu de lui donner. Un entendement purifié de cette sorte est toujours illuminé ; mais c’est une lumière générale, immense et pure ; c’est un commencement de la lumière éternelle ; cette lumière dans sa pureté et netteté, ne cause point de [27r] faux brillants comme les lumières des révélations particulières [...]lui communique tout sans rien donner et sans l’entremise de la raison [...]Elle a d’une manière infuse, pure et séparée de toutes espèces ce que les autres ont par l’entremise des idées [...][27v] Elle a tout sans rien avoir, rien ne lui manque et elle ne possède rien. Il semble que la même pureté et netteté qui est dans l’esprit soit en elle, c’est toute la même chose. De même que le Soleil échauffe et éclaire en même temps [...] de même Dieu est la lumière et l’amour de cette créature [...][28r] Dans cet état l’on connaît ce qui est de l’intérieur des personnes pour lesquelles Dieu applique [...] [30v] Les âmes apostoliques en qui cela s’opère n’ont ni mouvement ni tendance pour petite qu’elle soit à aider ou parler au prochain ; mais Dieu leur fournit tout par providence...[495].

Il m’est avis, par la manière simple par où Dieu me fait marcher, et qui est toute nouvelle comme j’ai dit, que je n’ai plus qu’un seul regard, qui est tourné vers Dieu et qui ne s’en détourne jamais, qui fait que le moindre signe de l’obéissance me fait arrêter et faire tout d’un coup ces choses, sans aucun retour, n’en pouvant ce me semble avoir, et ne le comprenant même pas, c’est le premier mobile de mon âme qui m’entraîne doucement, car j’obéis et me laisse aller à l’obéissance, comme en m’écoulant insensiblement en la volonté de Dieu qui m’est signifiée par elle, et qui est mon centre, c’est l’aimant précieux qui par sa vertu attire à lui mon coeur sans violence aucune, m’y portant comme naturellement. En cet état, je suis comme j’ai dit sans retour et sans agitation de la part de la nature, et sans aucune pensée de ces choses mêmes, mon esprit est si simple et si vide de tout, que ce vide ne se peut comprendre, ni donner à connaître, (224r) je suis toujours en Dieu, élevée au dessus de la terre mais d’un façon si pure et si dégagée des sens, que je suis entièrement libre au dehors, et l’esprit et le corps font donc chacun leurs fonctions librement sans se nuire, cette élévation en Dieu, ce me semble, n’est autre chose qu’une simple attention, ou regard fixe, comme j’ai dit, qui m’unit et me lie incessamment, où plutôt étant unie et liée pour toujours, me met en jouissance constante, permanente, et arrêtée autant que cette vie fragile et misérable le peut permettre [496].

L’âme n’éprouvant plus de vicissitudes, n’a plus rien qui la trouble ; elle est toujours reposée de toute action, n’en ayant plus d’autre que celle que Dieu lui donne et étant même dans une heureuse impuissance de se soustraire à son domaine, elle est toujours parfaitement tranquille et paisible [497].

Elle sait qu’elle vit et c’est tout, et elle sait que cette vie est étendue, vaste, qu’elle n’est pas comme la première : et c’est tout ainsi que cette âme sait fort bien que Dieu est devenu sa vie [498].

La transmission de la grâce divine.

Le mystique accompli pourra alors être le canal par lequel se transmet la grâce divine vers ceux qui l’entourent. Cet « état apostolique » de la tradition chrétienne trouve des correspondances dans d’autres traditions[499].

Tout dépend de la grâce divine : sa transmission en silence de cœur à cœur est un des moyens qu’elle peut utiliser pour guider les êtres vers Dieu. Aucune dépendance humaine ni matérielle ni psychologique ne doit prend place : la grâce seule agit par l’intermédiaire d’un canal humain.

Le témoignage de Madame Guyon.

Elle découvrit ce lien assez tardivement, à l’âge de quarante-quatre ans[500], remplissant alors en soumission à l’action divine ou passiveté [501] la fonction de directeur mystique. Elle l’appelle « vie apostolique » se référant à la description imagée des Apôtres compris par tous leurs auditeurs après la descente de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte : leur parole « entendue » simultanément en diverses langues incluait ce qui passait de cœur à cœur pendant leur discours et qui peut aussi bien être transmis en silence.

Il s’agit d’un état spécifique de vide même si madame Guyon perçoit le passage de la grâce par son canal, en l’absence de toute volonté propre et sans intentionnalité. On trouve de nombreux témoignages de la prise de conscience de cette transmission et de ses modalités dans la seconde partie de la Vie. Il s’agit d’un état distinct de celui de la compassion, celle des saints qui imprègnent de paix et d’amour ceux qui les entourent par leur présence. Dans le processus de transmission, « la grâce divine » vient en aide aux autres sans impliquer le canal sinon par sa perte totale en Dieu. Cette « prière » de caractère surprenant et rare a fait l’objet de sarcasmes, puis a été sujet de curiosité et d’étude[502]. En réalité elle a toujours été connue, mais compte tenu de l’existence de communautés fermées chez les catholiques, ils en parlent peu.

La transmission de la grâce divine se situe bien loin de toute intention qui serait un exercice subtil de la volonté propre, mais dans une extrême soumission à cette « main de Dieu qui donne », dans un vide de soi-même et des créatures[503]. Elle vibre alors de la plénitude divine dans la pleine liberté et la « communication » est ressentie par tous dans un état de paix ou parfait repos. L’on note ainsi l’association très étroite du vide (très loin de celui décrit par certains auteurs comme synonyme de paralysie, voire même d’un « vertige du néant ») à la plénitude :

Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut. [...] Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde [...] Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce ; et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande[504]

Cette transmission ne dépend que de Dieu seul et s’effectue en silence. Elle suppose un accord au niveau du recueillement des personnes qui est souvent favorisé par une proximité physique tandis que le transmetteur est affranchi de toute inclination naturelle :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le coeur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le coeur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur [...] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher [505].

On trouve de nombreux textes décrivant les modalités de la transmission dans la Vie par elle-même [506] et dans les Explications :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes … dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu … l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. … Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce [507].

C’est à cette mission que madame Guyon a consacré les dernières années de sa vie : elle réunissait à Blois quelques disciples qui formèrent par la suite des cercles guyoniens dont on peut relever trace sur plus d’un siècle.

Ainsi chez Madame Guyon la prière ouvrit le chemin et surmonta les obstacles au travers d’une longue purification qui dura sept années dont cinq de nuit profonde.  Puis l’anéantissement en Dieu n’empêcha pas la « Dame directrice » d’être résistante à l’adversité et fort active dans son état apostolique malgré toutes les contraintes[508].

D’autres témoignages.

On trouve d’autres témoignages sur la transmission chez son maître Jacques Bertot, mais indirects. On en trouve également des indices chez les Pères du désert[509], dans le Carmel, chez Monsieur Olier[510].

La transmission est reconnue par les Orthodoxes, par exemple chez Seraphim de Sarov. Mais elle atteint rarement la conscience qu’en ont les membres de l’école de Madame Guyon et celle-ci est unique par la netteté de son témoignage.

Tout dépend de la grâce divine transmise. Il y a un risque de s’attacher aux formes que prennent ses canaux : la prière au sein des religions (au sens d’ordres religieux au XVIIe siècle), le maître spirituel (directeur rarement mystique, souvent « marchand du temple » en quête de pouvoir de nos jours). Les mystiques ont toujours insisté sur la rareté des bons maîtres. Les chrétiens recourent à la médiation du maître intérieur Jésus-Christ.

Jean de la Croix est fort critique sur les directeurs : « Pour qu’il y ait chute, il n’est pas nécessaire qu’il y ait piège, il suffit qu’un aveugle se laisse conduire par un autre aveugle »[511] ; mais en même temps, « l’âme a besoin qu’on l’aide à s’acheminer à travers ces dons vers ce dénuement, cette pauvreté spirituelle[512] ». Aussi est-on obligé de chercher un directeur : « …que l’on soit vigilant et que l’on se souvienne des signes solidement établis par toutes les traditions … Comment s’orienter … parmi les saints et les mystiques, compte tenu qu’ils peuvent être saints sans être mystiques, et mystiques sans être maîtres [513] ? »

La Voie exposée dans le Moyen Court.

Je présente l’’exposition limitée à un seul des ouvrages de Mme Guyon, le plus lu, le bref Moyen court, en suivant le plan du traité des Torrents (écrit auparavant mais publié seulement au XVIIIe siècle). Ce bref mais vigoureux traité expose l’expérience d’une voie parcourue en de nombreuses années, suivant des étapes nettement différenciées. Je reprends leurs titres, judicieusement choisis par l’éditeur Poiret probablement en accord avec Mme Guyon. Nous comparons la voie à celui que propose Dom Le Masson dans la tradition de traités ouvrant la voie spirituelle, puis à d’autres chartreux. La différence porte plutôt sur ce qui est vécu par des novices ou par des confirmés.

Première « voie active de la méditation ».

Dans sa Direction…[514], le le Général des chartreux reconnaît la réalité mystique et la faisant dépendre d’un ordre où l’adhésion à des croyances risque de prendre le pas sur la vie de foi :

Vous verrez dans les avis qui sont donnés à la fin de ce traité aux âmes avancées, que quand elles sont comme arrêtées dans ce recueillement par une impression de grâce, et tout occupées de la présence de Dieu, elles doivent s'y tenir, en faisant des effusions de cœur dans son sein, tant que cette impression dure. Si la même [33] chose vous arrive, observez la même règle, mais revenez ensuite à l'ordre de votre direction. Il faut suivre cet ordre, parce qu'étant nécessaire que les commençants soient bien instruits et convaincus des vérités chrétiennes avant que de passer à un plus haut degré [...] [34] l'âme donc ne doit pas recourir aux moyens quand elle se sent comme parvenue à la fin.

Madame Guyon suggère de s’appuyer sur une lecture et regrette qu’on n’enseigne pas l’oraison, même aux simples :

 Après s'être mis en la présence de Dieu par un acte de foi vive, il faut lire quelque chose de substantiel et s'arrêter doucement dessus non avec raisonnement mais seulement pour fixer l'esprit, observant que l'exercice principal doit être la présence de Dieu, et que le sujet doit être plutôt pour fixer l'esprit que pour l'exercer au raisonnement [515].

 Premièrement, il faut qu'ils apprennent une vérité fondamentale, qui est que « le Royaume de Dieu est au-dedans » d'eux (Luc.17, 21) et que c'est là qu'il le faut chercher. Les curés devraient apprendre à faire oraison à leurs paroissiens, comme ils leur apprennent le catéchisme. Ils leur apprennent la fin pour laquelle ils ont été créés et ils ne leur apprennent pas à jouir de leur fin[516].

Elle reconnaît la nécessité même de la mortification :

La mortification doit toujours accompagner l'oraison selon les forces, l'état d'un chacun et l'obéissance. Mais je dis que l'on ne doit pas faire son exercice principal de la mortification ni se fixer à telles et telles austérités, mais suivre seulement l'attrait intérieur et s'occuper de la présence de Dieu sans penser en particulier à la mortification. Dieu en fait faire de toutes sortes, et Il ne donne point de relâche aux âmes qui sont fidèles à s'abandonner à lui, qu'Il n'ait mortifié en elles tout ce qu'il y a à mortifier. Il faut donc seulement se tenir attentif à Dieu et tout se fait avec beaucoup de perfection. Tous ne sont pas capables des austérités extérieures, mais tous sont capables de ceci[517].

Deuxième « voie passive de lumière ». (Les rivières).

Le Masson évoque la vie mystique en se limitant aux états de contemplation consciente de la douce présence divine. La « vie de foi », qui suivra ces heureuses prémices, n’est pas abordée.

Il y a une autre espèce de contemplation, qui s’appelle passive, de laquelle je ne dis rien. Dieu apprend lui-même ce que c’est aux âmes qu’Il y élève…[518].

 Quand l'âme est attachée à Dieu par la contemplation et qu'elle est toute occupée de sa simple Présence, elle est dans un acte essentiel et continué sans interruption qui comprend tous les actes qu'elle pourrait faire, sans qu'elle ait besoin pour lors des opérations de ses puissances. Si donc les puissances demeurent suspendues pendant ce temps-là, comme quand on est surpris et occupé par une agréable mélodie de voix et d'instruments de musique, et que l'âme puisse faire et fasse par effet un acte intime et essentiel sans qu'elle [253] ait besoin du secours de ses puissances, elle les doit tenir dans cette suspension quand la présence de Dieu les y a mises plutôt que de les rappeler à un travail et à des opérations naturelles ; car cela ne servirait pour lors qu'à troubler la jouissance où elle est de la douce présence de Dieu... [519].

Il s’oppose à l’inaction, terme pris dans son sens moderne d’oisiveté et non comme un état où se vit l’action de la grâce divine au cœur de l’être (in-action), tout en mettant justement l’action de Dieu en premier :

Ces actes [...]ne laissent point l’âme dans la malheureuse oisiveté d’inaction, que les Quiétistes se sont formée, sous le prétexte de cette passiveté [...]Le véritable anéantissement de nous-même ne consiste pas à ne nous point servir de nos puissances, mais à ne faire aucun fond sur nous-mêmes non plus que sur le néant et à attendre tout de Dieu…[520].

Ce à quoi Madame Guyon répond :

Quelques personnes, entendant parler du silence dans l'oraison, se sont faussement persuadées que l'âme y demeure stupide, morte et sans action. Non, assurément, elle agit plus noblement et plus fortement. Elle est mue et agie par l'Esprit de Dieu. [...] L'on ne dit pas qu'il ne faut point agir, mais qu'il faut agir par dépendance du mouvement de la grâce [521].

Et elle explique que :

…cette action de l'âme est une action pleine de repos. Lorsqu'elle agit par elle-même, elle agit avec effort. C'est pourquoi elle distingue mieux alors son action. Mais lorsqu'elle agit par dépendance de l'esprit de la grâce, son action est si libre, si aisée, si naturelle, qu'il semble qu'elle n'agisse pas. [...] Tous les mouvements que nous faisons par notre propre esprit empêchent cet admirable peintre de travailler et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix, et ne nous mouvoir que lorsqu'Il nous meut. [...] si nous ne savons pas ce qu'il nous faut, ni même demander comme il faut ce qui nous est nécessaire, et que l'Esprit qui est en nous, à la motion duquel nous nous abandonnons, le demande pour nous, ne devons-nous pas le laisser faire ? 

Troisième « voie passive en foi ». (Les torrents).

Premier degré : amour et intériorité.

Madame Guyon explique comment l’in-action est une action divine dans l’intérieur, vivement ressentie et explique l’apparente disparition des opérations :

…l'opération de Dieu, devenant plus abondante, absorbe celle de la créature, comme l'on voit que le soleil, à mesure qu'il s'élève, absorbe peu à peu toute la lumière des étoiles, qui se distinguaient très bien avant qu'il parût. Ce n'est point le défaut de lumière qui fait que l'on ne distingue plus les étoiles, mais l'excès de lumière. Il en est de même ici. La créature ne distingue plus son opération, parce qu'une lumière forte et générale absorbe toutes ses petites lumières distinctes et les fait entièrement défaillir, à cause que son excès les surpasse toutes. De sorte que ceux qui accusent cette oraison d'oisiveté se trompent beaucoup. Et c'est faute d'expérience qu'ils le disent de la sorte[522].

Elle justifie cette apparente facilité par sa comparaison du cours d’une rivière :

Tout ce qu'il y a de plus grand dans la religion est ce qu'il y a de plus aisé. [...]De même dans les choses naturelles. Voulez-vous aller à la mer ? Embarquez-vous sur une rivière et, insensiblement et sans effort, vous y arriverez[523].

Mais l’on n’est pas toujours orienté vers Dieu, aussi elle reconnaît la nécessité de « faire des actes » dans le cas contraire :

Si je suis tourné vers Dieu et que je veuille faire un acte, je me détourne de Dieu et je me tourne plus ou moins vers les choses créées, selon que mon acte est plus ou moins fort. Si je suis tourné vers la créature, il faut que je fasse un acte pour me détourner de cette créature et me tourner vers Dieu. [...]Jusqu'à ce que je sois parfaitement converti, j'ai besoin d'actes pour me tourner vers Dieu[524].

Ensuite cela devient une habitude :

Comme plusieurs actes réitérés font une habitude, l'âme contracte l'habitude de la conversion. L'acte devient habituel et non formel, dans la suite. [L'âme] ne doit pas se mettre alors en peine de former cet acte parce qu'il subsiste. [...]Elle trouve même qu'elle se tire de son état pour le faire, ce qu'elle ne doit jamais faire [525].

Le vaisseau sort du port

Une comparaison éclaire ce passage de l’acte « volontaire » à la coopération naturelle au travail de la grâce :

Lorsque le vaisseau est au port, les mariniers ont peine à l'arracher de là pour le mettre en pleine mer. Mais ensuite ils le tournent aisément du côté qu'ils veulent aller. Lorsque l'âme est encore dans le péché et dans les créatures, il faut, avec bien des efforts, la tirer de là, il faut défaire les cordages qui la tiennent liée. Puis ramant par le moyen des actes forts et vigoureux, tâcher de l'attirer au-dedans, l'éloignant peu à peu de son propre port, et en l'éloignant, on la tourne au-dedans qui est le lieu où l'on désire voyager.

Lorsque le vaisseau est tourné de la sorte, à mesure qu'il avance dans la mer, il s'éloigne plus de la terre. Et plus il s'éloigne de la terre, moins il faut d'effort pour l'attirer. Enfin, on commence à voguer très doucement et le vaisseau s'éloigne si fort qu'il faut quitter la rame, rendue inutile. Que fait alors le pilote ? Il se contente d'étendre les voiles et de tenir le gouvernail.

Etendre les voiles, c'est faire l'oraison de simple exposition devant Dieu, pour être mû par son Esprit. Tenir le gouvernail, c'est empêcher notre coeur de s'égarer du droit chemin, le ramenant doucement et le conduisant selon le mouvement de l'Esprit de Dieu qui s'empare peu à peu de ce cœur, comme le vent vient peu à peu enfler les voiles et pousser le vaisseau [526].

Deuxième et troisième degrés : course de l’âme à sa perte, dépouillement, mort.

Après la découverte de l’intériorité et des prémices où sont données la paix et parfois la jouissance de la présence divine, l’homme doit être purifié au point d’être consumé par le feu divin. Le chapitre XXIV du Moyen court, traitant du « moyen le plus sûr pour arriver à l'union divine », résume cette longue période qui couvre les deux premières des trois voies traditionnelles de purification, d’illumination, d’union :

§ 1. Il est impossible d'arriver à l'union divine par la seule voie de la méditation pour plusieurs raisons dont j'en dirai quelques-unes. Premièrement, selon l'Ecriture, « Nul homme vivant ne verra Dieu » (Exode, 55, 20). Or tout l'exercice de l'oraison discursive ou même de la contemplation active, regardée comme une fin et non comme une disposition à la passive, sont des exercices vivants par lesquels nous ne pouvons voir Dieu, c'est-à-dire être unis à Lui. ...

Le feu impitoyable et dévorant

§ 6-7. [...]Il faut que sa Sagesse, accompagnée de la divine Justice, comme un feu impitoyable et dévorant, ôte à l'âme tout ce qu'elle a de propriété, de terrestre, de charnel et d'actif. [...]l'homme aime si fort sa propriété, et il craint tant sa destruction que, si Dieu ne le faisait lui-même et d'autorité, l'homme n'y consentirait jamais. L'on me répondra à cela que Dieu n'ôte jamais à l'homme sa liberté et qu'ainsi il peut toujours résister à Dieu, que je ne dois pas dire que Dieu agit absolument et sans le consentement de l'homme. Je m'explique, et je dis qu'il suffit d'un consentement passif, que l'homme ait une entière et pleine liberté, parce que s'étant donné à Dieu dès le commencement, pour qu'il fasse de lui et en lui tout ce qu'Il voudrait, il fit alors un consentement actif et implicite à tout ce que Dieu ferait. Mais lorsque Dieu détruit, brûle, purifie, l'âme ne voit pas que cela lui soit avantageux.

§ 8. Dieu, donc, purifie tellement cette âme de toutes opérations propres, distinctes, aperçues, et multipliées, qui font une dissemblance très grande, qu'enfin Il se la rend peu à peu conforme et enfin uniforme, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant, d'une manière cachée et inconnue - c'est pourquoi on l'appelle « mystique ». Mais il faut qu'à toutes ces opérations l'âme ne travaille que passivement.

Le dialogue en profondeur peut continuer, mais cette fois seulement avec le chartreux Hugues de Balma (~1300) :

 Parce qu'il ne s'attribue pas en effet les choses qu'il possède, mais les fait toutes tourner à la louange du dispensateur de toutes choses, il creuse en soi une conca­vité en luttant contre soi-même avec plus de vérité. Par elle, l'abondante pluie des grâces divines, franchissant monts et collines, s'introduit dans les endroits moins élevés, de telle sorte que plus grande aura été la concavité de l'humilité, plus elle sera capable de recevoir une grâce plus abondante [527].

Ce « creusement » est en quelque sorte céder à l’opération de Dieu, passiveté qui succède peu à peu à l’action ; Madame Guyon poursuit :

Il est vrai qu'avant d'en venir là, il faut qu'elle agisse plus au commencement. Puis, à mesure que l'opération de Dieu devient plus forte, il faut que peu à peu et successivement, l'âme lui cède, jusqu'à ce qu'Il l'absorbe tout à fait. Mais cela dure longtemps.

§ 9. C'est pourquoi, on ne dit pas, donc, comme quelques-uns l'ont cru, qu'il ne faille pas passer par l'action, puisqu'au contraire c'est la porte. Mais seulement qu'il n'y faut pas toujours demeurer [528].

Alors naît une liberté nouvelle. La « mort » subie par le spirituel pèlerin était un passage et non le terme. Hugues de Balma le dit :

Lorsque, grâce au secours divin, sont supprimés les empêchements [...]liens qui s’opposent à la perfection de l’extension unitive, libre alors comme un oiselet, la puissance affective qu'emportent les seules ailes des affections ardentes jouit d'une liberté si grande que chaque fois qu'elle le veut très ardemment elle est mue vers Dieu…[529].

 

« Vie nouvelle et divine » (Quatrième degré et seconde partie des Torrents).

 

 

 


 

Pour Dom Le Masson une des fausses idées des « Sectateurs du Quiétisme » consiste en l’usage inconsidéré du terme union :

L'essence de Dieu est [35] tellement propre aux trois adorables Personnes de la Sainte Trinité qu'elle n'est communicable à aucune créature. Ces termes donc d'union essentielle et d'autres semblables, usurpés par quelques mystiques de ce temps, sont des êtres de raison qui servent à attirer et à donner de l'estime aux âmes imprudentes, qu'on jette ensuite facilement dans des erreurs, ou qui s'y précipitent elles-mêmes... [530].

« Êtres de raison » ou état expérimenté - rarement - par les mystiques accomplis ? Un tel état d’union - l’état simple et invariable, décrit par Madame Guyon âgée de soixante-un ans, dans la conclusion de la Vie citée supra - est décrit dans la seconde Relation de 1654 par Marie de l’Incarnation âgée de cinquante-cinq ans :

Il ne se peut dire la paix et la grande tranquillité que l’âme possède, se voyant entièrement libre de ses liens et rétablie en tout ce qu’elle avait perdu [...]comme ayant eu diverses affaires depuis que je suis en Canada [...]L’on prenait souvent mon procédé comme provenant de mon naturel [...]l’on ne voyait pas que, mon esprit étant possédé de cet Esprit des maximes du Fils de Dieu, j’agissais par ce principe [...]Dans les susdits emplois, mon esprit était toujours lié à cet Esprit qui me possédait…[531].

Rien n’aurait dû opposer la mystique et le chartreux au niveau de la vie intérieure ; ils s’accordent sur le rôle de la grâce divine, la finalité dans l’amour, etc., les « fondamentaux » communs à tous et à toutes époques. Mais l’un ou l’autre se placent à des étapes différentes du parcours des sentiers de l’amour divin. Ceci provoque des appréciations de l’oraison qui semblent contradictoires.

Les meilleurs des auteurs chartreux, les trois Guigues et Hugues de Balma au Moyen Age, Guillerand et Porion récemment, s’accordent à la quiétude de Madame Guyon et de son disciple Fénelon. L’approche de Madame Guyon, de nature expérimentale, n’insiste guère sur une ascèse préparatoire, mais sur l’abandon de la volonté propre. L’ascèse devient une garde du cœur ou vigilance collaborant au travail de la grâce divine, aidée par une transmission cachée de la grâce.

L’affrontement entre Madame Guyon et Dom Le Masson illustre l’opposition entre un « christianisme intérieur » et une pratique religieuse. La théorie -- la carte du géographe -- ne rend guère compte de l’expérience -- le vécu de l’explorateur -- selon la comparaison de Bergson rapportée par Jean Guitton dans la préface de ce dernier à la biographie de Dom Le Masson par  Martin :

…il y avait en elle [Madame Guyon] cette note de réalité qui ne trompe pas, et qui distingue du premier coup et à coup sûr le récit d'un voyageur qui a parcouru le pays dont il parle et la reconstitution de ce même pays par un auteur qui n'y est pas allé.[532].

Sur le plan historique notons que les deux grands prélats adversaires de Madame Guyon, Dom Le Masson et Bossuet, sont étroitement contemporains : ils naissent tous deux en 1627 et meurent respectivement en 1703 et 1704. Ils précèdent d’une génération celle qui naquit en 1648. Le défi à leur autorité, au nom d’une expérience intime, illustre la transformation en cours vers la modernité. « A partir de 1670, on constate un recul progressif des systèmes explicatifs à priori »[533], et « les plus hardis prétendent que la valeur d’une foi vient moins de son invérifiable orthodoxie que de l’authenticité de la conscience du croyant »[534].

Les uns, tel l’ascétique Dom Le Masson, privilégient l’exercice de la volonté propre en vue de mériter [un choix divin ?]. Les autres, telle la mystique Madame Guyon, privilégient l’abandon de leur volonté propre pour se conformer à la Providence divine. Selon ce dernier point de vue, on craindra qu’une ascèse des pratiques ne mène à l’opposé de celle consistant en l’abandon de la volonté propre. De même, dans certaines analyses psychanalytiques accomplies, un meilleur fonctionnement de l’humain renforce la dureté de son noyau intime dominateur.

La vigilance, « fine pointe de l’âme », visera à se conformer au travail animé par la grâce. On peut recourir à l’analogie d’un foyer dans une maison. L’ascèse correspond à la fermeture des portes et des fenêtres qui assure l’absence de courants d’air figurant les dispersions. Cette précaution permet au feu de bien prendre - mais on ne peut que rassembler les brindilles, c’est à la grâce divine de l’allumer. Sans l’in-action de la grâce, on est dans le froid et le noir.  Quand le feu est établi, on peut ouvrir portes et fenêtres - retrouver une activité complète - ce qui ne peut que faire croître la flamme.

Les formes de l’intériorité (prière vocale ou liturgique, oraison mentale, oraison passive, abandon, etc.) balisent le cheminement vers l’amour. Dans des cas très exceptionnels, quand la personne est toute entière emplie par la grâce, le terme de la vie mystique serait sa transmission à d’autres.


 


 

Critiques & défenseurs

Ecrits de Nicole, Le Masson, Massoulié, Dom Martin.

Le Moyen court fut le seul ouvrage de Madame Guyon connu au XVIIe siècle décrivant le chemin mystique selon trois voies suivies d’un état permanent. Il fut l’objet de controverses dont nous venons de couvrir les plus intérieures en la comparant avec Dom Innocent le Masson (1627-1703) chartreux. Se détachent par ailleurs les figures de Pierre Nicole (1625-1695), d’Antonin Massoulié (1632-1706), de Dom Claude Martin (1619-1696). Nous n’avons pas retenu de place à Malebranche malgré son intérêt philosophique[535].

Nicole est un auteur intéressant mais qui se limite strictement à la méditation, rejetant toute incursion au sein de l’expérience mystique. L’opposition entre le « Louis XIV des chartreux[536] » et la « dame directrice » autour des étapes de la voie mystique porta préjudice à cette dernière de par l’autorité religieuse du Général abordant incidemment le plan des mœurs, volet obligé de tout procès d’Inquisition[537]. Massoulié est « admirable » selon Bremond qui le compare à quelques auteurs opposés au quiétisme. Enfin la belle défense de Dom Claude Martin est longtemps et très malheureusement pour la cause quiétiste restée inconnue. Abordons ces deux derniers, le critique et le défenseur :

Frère Antonin Massoulié (1632-1706) critique.

Dans son Traité de la véritable oraison (1699), il est conscient du problème posé par la chasse aux mystiques :

…et ne voit-on pas aussi maintenant, que plusieurs par la crainte de donner dans les erreurs des quiétistes, abandonnent entièrement l'exercice de l'oraison, et entrent dans une défiance mortelle au seul nom de contemplation ? [538].

Il écarte la tentation du philosophe ou du savant :

Cinquième erreur. Faire de l'oraison une étude [...]Il y a un autre défaut entièrement opposé à celui que nous venons de reprendre [...][32] Une pareille méditation n'est qu'une spéculation de philosophe [...][33] Cette découverte en augmentant leur plaisir, augmente leur orgueil et ne sert qu'à les rendre plus amoureux d'eux-mêmes [...][37] il faut commencer et finir par l'amour. [539].

Mais, pur géographe, il demeure étranger à l’expérience que tente de traduire Madame Guyon quand elle exprime une vie nue en foi. Citons un passage d’une affirmation remarquable par sa certitude :

6e erreur. Que dans l'oraison, les puissances de l'âme peuvent être privées de leurs opérations. [39] il suffit de remarquer ici qu'il est impossible que dans la contemplation ni dans aucune espèce d'oraison, quelque élevée qu'elle soit, l'entendement et la volonté puissent être privés de leurs opérations. [...]La contemplation est elle-même une opération de l'entendement et la plus parfaite de toutes les connaissances. Quelle contemplation plus sublime que la vision béatifique... [540].

Son Traité de l’Amour de Dieu (1703), celui considéré comme « admirable » par Bremond[541], est un texte clair, dans l’esprit de saint Thomas, mais qui se place au niveau de la théorie de l’amour (il tente de répondre au problème posé par la dualité, qui conduisit à tant de « souffrance janséniste ») et non au niveau de l’expérience :

Théorie de l’Amour

1.10. [123] Je traite ici une difficulté de conséquence où beaucoup d'esprits s'enveloppent et se trompent faute d'attention ; c'est quand ils lisent, ou qu'ils entendent dire que l'âme aime Dieu comme son souverain bien ; ils s'imaginent qu'on entend par là, que l'âme aime la possession du souverain bien comme sa dernière fin ; car la possession de Dieu se faisant par les actes de l'entendement et de la volonté, de la manière que nous l'avons expliqué ailleurs, elle est un bien créé : or ce serait une erreur de croire qu'un bien créé peut-être notre dernière fin. Il faut donc distinguer nécessairement ces deux choses, aimer comme objet, et aimer comme dernière fin.

[151] ...que les auteurs de ce nouveau système ne nient pas absolument qu'on ne puisse et qu'on ne doive aimer et désirer la béatitude, mais qu'ils prétendent qu'on ne doit par l'aimer comme son bien propre, mais simplement comme une chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions. / ...[152] Et là-dessus on a distingué deux amours de Dieu : un amour mêlé de l'intérêt de l'éternité, rapporté néanmoins et subordonné à la gloire de Dieu ; et on croit que cet amour est imparfait et impur. L'autre est l'amour de Dieu seul sans mélange, ni de l'espérance d'une bienheureuse éternité, ni de la crainte d'une éternité malheureuse ; et c'est là l'amour très pur et la très parfaite charité. [...]Il s'ensuit donc que, que dans [153] cet état l'on aime point Dieu, ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour la béatitude qu'on peut acquérir en l'aimant. Il s'ensuit que dans la vie contemplative et dans la vie unitive tout motif intéressé de crainte et d'amour est absolument éteint ; que la fin essentielle de cet état (vie contemplative et unitive) est de ne faire autre chose que de suivre pas à pas le mouvement de la grâce avec une patience et une précaution infinie. Il faut donc se contenir étroitement dans ces bornes, et ne vouloir pas s'élever au degré du pur amour, que quand Dieu par une onction intérieure viendra à ouvrir le coeur de l'homme. [...]Il s'ensuit aussi de ce principe, que les âmes déjà parfaites et transformées ne désirent plus la rémission de leur [154] péché comme leur propre purification et leur délivrance, mais seulement comme une chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire. Il faudra exclure de l'état de perfection et de transformation, pour se bien désintéresser, tous les exercices des vertus que les plus saints ont pratiquées jusqu'à la mort. Enfin il faudra dire que l'état et l'habitude de ce pur amour fait seule toute la vie intérieure, et qu'il devient l'unique motif et l'unique principe de tous les actes délibérés et méritoires. / De plus il s'ensuit qu'une âme, qui ne reçoit ni crainte ni espérance, entre dans une indifférence où elle n'a plus de désirs volontaires et exprès de son propre salut, excepté dans les occasions où elle est persuadée de n'être pas fidèle à sa grâce et de n'y pas coopérer selon toute son étendue, car étant devenu bien indifférente, elle ne désire plus rien pour être parfaite, ni pour être heureuse. Que si elle désire son salut, elle ne le désire plus comme son bien propre, puisque ce désir blesserait la pureté de son amour, mais elle le désire uniquement comme volonté de Dieu. [155] / Cette étrange indifférence étant établie, il s'ensuit qu'une âme peut et que même elle est obligée de faire un sacrifice de Dieu de son propre salut ; que l'abnégation qui est commandée dans l'Évangile, consiste en ce qu'après avoir abandonné toutes choses, nous abandonnions encore l'intérêt de notre salut éternel. Qu'au reste les épreuves extrêmes par lesquelles une âme doit être exercée dans cet état, sont les tentations terribles, où Dieu jaloux de purifier l'amour, laisse tomber une âme sans lui faire voir aucune ressource, ni lui faire concevoir aucune espérance qui regarde son intérêt propre, même l'intérêt éternel.

Dom Claude Martin (1619-1696) défenseur.

Fils de Marie de l’Incarnation (du Canada), dont il est séparé à l’âge de douze ans, novice à vingt-deux ans, il parviendra à de hauts emplois[542]. Nous lui devons une grande reconnaissance pour avoir rassemblé et publié les écrits de sa mère, donnant ainsi accès à l’intimité de la grande mystique. Lui-même, après une conduite très austère, « berniérise aussi bien que sa mère[543] » : il connaît cette vie mystique, dont témoigne, outre le caractère précis de certaines de ses « additions » aux écrits maternels[544], les Conférences ascétiques, fruit de son enseignement à de futurs prêtres :

Cette oraison de quiétude ou de simple regard, qu'on croit si mystérieuse et à laquelle on trouve tant à redire, n'est qu'une simple, mais affective pensée de Dieu ; qu'une vue douce et amoureuse, [...]application de l'âme à Dieu présent. [...][Regard] simple, parce qu'il est sans raisonnement, sans recherches... [225] Car enfin il n'y a rien que de surnaturel [...] Ne serait-ce point une hérésie de dire [comme Pierre Nicole] que c'est une hérésie [...]de ne penser qu'à Dieu dans l'oraison, et de n'y penser qu’avec amour ?

Durant la dernière année de sa vie, Dom Claude entreprendra de justifier ses prochains, les spirituels accablés par les pouvoirs, et prend durant la dernière année de sa vie la défense vigoureuse du Moyen court, dont l’auteur lui serait inconnu (il suppose que c’est un homme). Malheureusement le texte demeura manuscrit et jusqu’au siècle dernier. Son éditeur moderne déclare qu’« il n'est pas défendu de penser que, s'il avait vu le jour, le vaillant travail entrepris par ce bénédictin qui se mourait à soixante-dix-sept ans [...]aurait pu stopper la “retraite des mystiques” [545] ».

On verra donc par ce que [je] va[i]s rapporter que ce ne sont point ni Malaval ni l'abbé d'Estival[546] , ni l'auteur du Chemin court [le Moyen court de Madame Guyon note Rayez], qui sont les auteurs de la manière d'oraison dont il s'agit, mais qu'ils l'ont tirée de saint François de Sales, qui par conséquent, si cette oraison [de simple regard] est un crime, est sans doute le premier coupable [230] … le livre du Chemin court dit que l'âme s'abandonne à Dieu de toutes choses soit pour le corps soit pour l'âme, pour les biens temporels et pour les éternels.[547] Voilà comme dans cet abandon l'âme ne demande rien, et qu'en demandant rien elle demande tout ce que Dieu a dessein de lui donner, au lieu qu'en particularisant les choses, bien souvent on ne demande rien, parce que l'on demande des choses que Dieu ne veut pas donner [238] … Or il est clair que l'auteur du Chemin court, que je ne connais point, est un homme [sic] de bien, qui n'a que de bonnes intentions... [249].

Dom Claude apprécie son malheureux confesseur :

J'ai seulement vu l'Analysis du Père de la Combe. Je l'ai lu plus d'une fois et je n'y ai rien remarqué que d'édifiant ; le style en est pur... [247]

Dom Claude fait allusion au chap. XXIV, §4 du Moyen court :

 On y voit une comparaison entre la purification  que Dieu fait de l'âme par sa Sagesse jointe à sa justice, avec celle qu'un orfèvre fait de l'or par le feu dans un creuset [...]Ainsi il est impossible que l'esprit ne conçoive par cette comparaison, que l'âme, éprouvée par la sagesse de Dieu, parvient de même à une parfaite pureté, et à un état où elle ne peut plus être purifiée davantage, et l'on ne doit point douter qu'en cet état elle ne soit incapable de perdre la justice et de déchoir de la grâce. Voilà le raisonnement entier que fait l'auteur de la Réfutation [P. Nicole] […] Ne sait-on pas que toute comparaison cloche ? [247-248].

Laurent de la Résurrection (1614-1691)

Le frère carme déchaussé Laurent de la Résurrection fut invoqué pendant la querelle et quelque peu suspecté par la suite, ce qui n’eut d’ailleurs aucun effet puisqu’il était tombé dans l’oubli.

Le regroupement moderne de ses écrits ne couvre qu’une centaine de pages[548] car nous en avons probablement perdu une grande partie[549]. Madame Guyon se plaignait que l’on ait détruit ses livres et que l’on ait essayé de les dénaturer : « On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. [...] ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. »

Fénelon l’avait rencontré[550] :

« Le Frère Laurent est grossier par nature, et délicat par grâce ; ce mélange est aimable, et montre Dieu en lui. Je l’ai vu, et il y a un endroit du livre, où l’auteur[551] sans me nommer par mon nom, raconte en deux mots une conversation que j’eus avec lui sur la mort, pendant qu’il était fort malade et fort gai. »[552].

Les Entretiens sont un composite de Laurent et de son éditeur Beaufort tandis que la Pratique un « condensé de la doctrine du frère Laurent », nous dit Conrad de Meester, son éditeur le plus récent[553].

Il voulait partager l’expérience de la présence de Dieu : voilà l’unique sujet de ses conversations et de ses lettres. Insister sur la pratique pour y accéder est son apport essentiel : aimer sans perdre de temps, pour être dans la Présence par les moyens les plus rapides :

µ mettre un beau texte ici

 


 

 

FÉNELON

 

François de Fénelon (1651-1715) était mystique et fut un des grands disciples de Madame Guyon.  Il a fait l’objet d’un très grand nombre d’études, dont un bon millier pour le seul dernier demi-siècle[554]. Mais dès que l’on veut approcher son vécu spirituel en négligeant les controverses, choix de textes et études se font plus rares[555].

On l’a dépouillé de ce qui était essentiel à ses yeux pour le réduire parfois à un « homme de lettres ». Les critiques littéraires lui préféraient d’ailleurs Bossuet dont le beau style occupa une large place dans le canon littéraire français au XIXe siècle, tandis que le rayonnement (pourtant européen) de Fénelon fut grand au XVIIIe siècle. La raison de fond est la méfiance pendant trois siècles envers la mystique : les défenseurs de Fénelon ont caché sa relation avec madame Guyon qui les étonnait.

Si l’essentiel fut passé sous silence, c’est aussi parce qu’on ne disposait pas des textes concernant la mystique : ils n’ont été rendus disponibles que fort récemment. Il fallut attendre 1907 et le travail d’un érudit originaire de Lausanne, ville proche de Morges où vécurent des quiétistes jusqu’au début du XIXe siècle, pour prouver l’authenticité de la correspondance[556] entre Fénelon et Mme Guyon. Et c’est seulement depuis 2007, grâce au père Irénée Noye[557], que nous bénéficions de la correspondance complète avec madame Guyon[558]. Sa grande érudition lui a permis de remettre à l’honneur les fragments de lettres assemblés[559] par les proches de Fénelon. Ceux-ci avaient nettoyé les noms et les dates pour protéger les membres des cercles mystiques de Cambrai et de Blois : cet anonymat préjudiciable à toute mise en valeur par une édition critique, a conduit à minorer l’importance de ces lettres au bénéfice de textes datés et dont le destinataire était connu.

Ce sont donc les oeuvres visibles et multiformes qui ont été mises en valeur très tôt. Elles intéressaient l’histoire du temps, mais ont perdu depuis leur actualité : multiples opuscules rédigés en défense du quiétisme, ou en réaction à la seconde période janséniste ; textes éducatifs et conseils politiques que le décès du dauphin (dont Fénelon était le précepteur) rendit finalement inutiles. Les images de l’auteur du Télémaque critiquant le pouvoir royal ou de l’archevêque ferraillant contre le jansénisme, ont caché la profondeur lucide du moraliste et la réalité du mystique.

Nous apparaît maintenant un grand spirituel qui chemine vers son accomplissement intérieur[560] malgré l’hostilité des pouvoirs de l’Eglise et du Roi. Une trajectoire ascendante mais toute intérieure a mené le jeune poulain de Bossuet promis à un brillant avenir par ses capacités intellectuelles, à la grandeur finale de l’archevêque tout dévoué à combattre misères individuelles et collectives sans en tirer aucun profit personnel ou familial. Son tempérament sec et un peu mélancolique s’est ouvert à une expérience spirituelle profonde qui l’a délivré des illusions. Une maturation s’est accomplie qui lui a fait dépasser le senti et les opinions tributaires de l’époque et des croyances.

Voici le portrait qu’en dresse Saint-Simon, visiblement sous le charme[561] :   

« Ce prélat était un grand homme maigre, bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l'esprit sortaient comme un torrent, et une physionomie telle que je n'en ai point vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier, quand on ne l'aurait vue qu'une seule fois. Elle rassemblait tout, et les contraires ne s'y combattaient pas. Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaieté ; elle sentait également le docteur, l'évêque et le grand seigneur ; ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, c'était la finesse, l'esprit, les grâces, la décence et surtout la noblesse. Il fallait effort pour cesser de le regarder ».

Les écrits de direction de la fin de sa vie font apparaître un grand directeur à l’esprit subtil. Percevant les échappatoires qui évitent à l’interlocuteur de plonger au cœur de lui-même, Fénelon tranche dans le vif avec acuité[562] car son seul but est de mener droitement à Dieu.

Parallèlement à sa correspondance, il continue à écrire publiquement pour convaincre les tièdes de l’existence de Dieu. Ce mystique pourtant si sobre laisse échapper sa douleur de voir son amour pour Dieu si peu partagé : « Mais parce que Vous êtes trop au-dedans d’eux-mêmes, où ils ne rentrent jamais, Vous leur êtes un Dieu caché […] tout ce qui n’est point Vous disparaît, et à peine me reste-t-il de quoi me trouver encore moi-même… »[563]. C’est l’abondance de ces derniers textes publics qui a voilé la vérité de cet homme dont la mission était cachée car tout intérieure.

Bref rappel biographique.

Méridional[564] à l’esprit vif, Fénelon naquit en 1651. Protégé de son aîné Bossuet, il était promis à une brillante carrière. Malgré un enthousiasme modéré pour les conversions forcées, il fut nommé à vingt-sept ans supérieur des Nouvelles Catholiques, chargé de convertir les jeunes protestantes de la Saintonge.  En 1680, il devint le confesseur du duc de Beauvillier. En 1687, il rédigea un traité De l’éducation des filles destiné aux huit filles du duc et qui eut un immense succès.

Mais en octobre 1688, eut lieu un événement improbable mais à l’immense répercussion intérieure : la rencontre de Madame Guyon, de trois ans son aînée. Il ne fut guère attiré sur le moment, puis, selon l’expression malicieuse de Saint-Simon, « leur sublime s’amalgama ». Elle lui fait découvrir la vie mystique : plus tard, en lisant Clément d’Alexandrie, il comprendra qu’ils vivent ce qu’ont expérimenté les premiers chrétiens et en fera un commentaire plein d’élan[565].

 Beauvillier le fit nommer l’année suivante précepteur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV. Sa méthode éducative évitait tout amolissement dans la sensualité et la paresse grâce à des études approfondies, une vie sobre, la pratique poussée du sport, des heures régulières, l’interdiction de participer aux fêtes des adultes. Le duc devint un adolescent chrétien, sérieux et cultivé qui avait une grande affection pour Fénelon. Tous les espoirs étaient permis au parti dévot.

Mais Mme de Maintenon finit par s’opposer à l’influence de Mme Guyon. Fénelon refuse alors de la renier et s’engage dans le combat pour défendre la vie mystique. Il essaie de convaincre Bossuet, il compose des essais et ferraille avec finesse, sans commettre de fautes. Finalement, son affrontement avec les puissants [566] le conduisirent à une disgrâce relative : en le nommant archevêque de Cambrai, on l’éloigna de la Cour[567].

Parmi les témoignages d’époque, se détache le récit de Saint-Simon qui nous conte avec son ironie coutumière les relations entre Fénelon, Madame Guyon, les membres du cercle (le « petit troupeau »), Mme de Maintenon… Ami des ducs de Chevreuse et de Beauvillier à qui il dédiera les plus beaux « tombeaux » de ses mémoires, il connaissait bien toute l’histoire. Le récit dont nous donnons des extraits résume une dizaine d’années de relations :

1.17 (285) Dans ces temps-là, obscur encore […] [Fénelon] la vit, leur esprit se plut l’un à l’autre, leur sublime s’amalgama. Je ne sais s’ils s’entendirent bien clairement dans ce système et cette langue nouvelle qu’on vit éclore d’eux dans les suites, mais ils se le persuadèrent, et la liaison se forma entre eux. […] il n’oubliait pas sa bonne amie (287) madame Guyon ; il l’avait déjà vantée aux deux ducs [de Beauvilliers et de Chevreuse] et enfin à madame de Maintenon. Il la leur avait même produite, mais comme avec peine et pour des moments, comme une femme tout en Dieu, et que l’humilité et l’amour de la contemplation et de la solitude retenaient dans les bornes les plus étroites, et qui craignait surtout d’être connue. Son esprit plut extrêmement à madame de Maintenon […] Peu à peu il s’était approprié quelques brebis distinguées du petit troupeau que madame Guyon s’était fait, et qu’il ne conduisait pourtant que sous la direction de cette prophétesse. La duchesse de Mortemart, sœur des duchesses de Chevreuse et de Beauvillier, madame de Morstein, fille de la première, mais surtout la duchesse de Béthune, étaient les principales. […]

1.18 (309) Il travailla à persuader Madame de Maintenon de faire entrer madame Guyon à Saint-Cyr, où elle aurait le temps de la voir et de l’approfondir tout autrement que dans de courtes et rares après-dînées, à l’hôtel de Chevreuse ou de Beauvillier. Il y réussit. Madame Guyon alla à Saint-Cyr deux ou trois fois. Ensuite madame de Maintenon, qui la goûtait de plus en plus, l’y fit coucher […] elle y chercha des personnes propres à devenir (310) ses disciples et elle s’en fit. Bientôt il s’éleva à Saint-Cyr un petit troupeau tout à part […]

(311) Madame de Maintenon fut étrangement surprise de tout ce qu’il [M. de Chartres] lui apprit de sa nouvelle école, et plus encore de ce qu’il lui en prouva par la bouche de ses deux affidées, et par ce qu’elles avaient mis par écrit […] Tout à coup madame Guyon fut chassée de Saint-Cyr […] [M. de Cambrai] paya d’esprit, d’autorités mystiques, de fermeté sur ses étriers. Ses amis principaux le soutinrent. […] [Mme de Maintenon] s’irrita de plus en plus contre madame Guyon. On sut qu’elle continuait à voir sourdement du monde à Paris ; on le lui défendit sous de si grandes peines qu’elle se cacha davantage, mais sans pouvoir se passer de dogmatiser bien en cachette, ni son petit troupeau de se rassembler par parties autour d’elles (312) en différents lieux […] elle se vint cacher dans une petite maison obscure du faubourg Saint-Antoine. […] Madame Guyon fut trouvée et conduite sur le champ à la Bastille. 

1.27 (436) [M. de Cambrai] n’était plus à portée de rien ; mais il eut la douleur de voir donner l’Ordre à M. de Paris, et la place de conseiller d’État d’Église à M. de Meaux. Ce dégoût fut suivi d’un autre. Madame de Maintenon chassa de Saint-Cyr trois dames principales, dont une avait eu longtemps toute sa faveur et sa confiance, et elle ne se cacha pas de dire qu’elle les chassait à cause de leur entêtement pour madame Guyon et pour sa doctrine. Tout cela, avec l’examen de son livre dont il ne se pouvait rien promettre de favorable, lui fit prendre parti d’écrire au pape, de porter son affaire devant lui... [568].

Madame Guyon et Fénelon.

Fénelon fut le disciple de Mme Guyon : ce fait apparaît clairement dans leur correspondance. Le lecteur contemporain imprégné de psychanalyse frémit parfois devant les dérapages sentimentaux de Mme Guyon. Mais si l’on accepte d’entrer avec respect dans le territoire inconnu dont ils parlent, on y voit relater la « mise au monde » d’un mystique par une mystique qui sert de canal à la grâce[569]. Elle le fait passer à une[MT1]  vie qui ne se limite plus au corporel et au psychologique, mais qui baigne dans l’onction qu’elle lui transmet.

Madame Guyon attendait Fénelon car il lui avait été désigné par un rêve. Elle le rencontra pour de bon le 13 septembre 1688 chez des amis. Nous avons vu que le fondement de sa relation avec ses enfants spirituels était la communication de la grâce dans le silence de cœur à cœur. Fénelon ne se doutant de rien, elle dut le convaincre d’apprendre à aller au-delà du langage, à préférer une conversation silencieuse :

[Dieu] a permis que je m’en allasse avec vous pour vous apprendre qu’il y a un autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le cœur de l’onction pure de la grâce que pour vider l’esprit […] Je vous demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action et même autre prière que celle du silence. Lorsqu’on a une fois appris ce langage […] on apprend à être uni en tout lieu sans espèce et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle […] Tout autre langage vous paraîtra impur et superflu lorsque vous aurez appris celui-là. Mais que l’on apprend tard ! (L. 1,157) [570].

Elle tente de lui décrire en images le flux divin qui passe à travers elle pour lui :

Mon âme fait à présent à votre égard comme la mer qui entre dans le fleuve pour l’entraîner et comme l’inviter à se perdre en elle » (L. 1, 276).

Dieu me tient incessamment devant Lui pour vous, comme une lampe qui se consume sans relâche […] Il me paraissait tantôt que je n’étais qu’un canal de communication, sans rien prendre. (L. 114). 

Comme nous l’avions vu chez M. Bertot, elle participe au travail de la grâce :

Dieu m’a associée à votre égard à Sa paternité divine […] Il veut que je vous aide à y marcher [vers la destruction], que je vous porte même sur mes bras et dans mon cœur, que je me charge de vos langueurs et que j’en porte la plus forte charge. (L. 154).

Elle sait combien cela paraît extraordinaire et elle insiste :

Ceci n’est point imaginaire mais très réel : il se passe dans le plus intime de mon âme, dans cette noble portion où Dieu habite seul et où rien n’est reçu que ce qu’Il porte en Lui. (L. 146).

Avec autorité, elle fonde ontologiquement cette paternité spirituelle dans l’importante lettre 276 où elle affirme que la circulation de la grâce entre humains participe au « flux et reflux » qui a lieu dans la Trinité même :

[Dieu] m’a fait comprendre qu’il fallait qu’il y eût comme de vous à moi un flux et un reflux et que ce serait la communication éternelle que nous aurions ensemble, lorsque nos âmes seraient de niveau. […] C’est ce flux et reflux de communications qui nous fait participer en quelque manière au commerce ineffable de la Trinité […]

Elle va lui faire quitter peu à peu tous ses appuis, à commencer par le domaine de l’intellect auquel s’accroche cet homme raisonnable et scrupuleux :

Vous raisonnez assurément trop sur les choses […] Je vous plains, par ce que je conçois de la conduite de Dieu sur vous. Mais vous êtes à Lui, il ne faut pas reculer. (L. 128).

Fénelon rend les armes et se moque de lui-même :

 Je ménage ma tête, j’amuse mes sens, mon oraison va fort irrégulièrement ; et quand j’y suis, je ne fais presque que rêver […] Enfin je deviens un pauvre homme et je le veux bien. (L. 149).

Elle lui fait abandonner ou relativiser toutes ses habitudes d’ecclésiastique, son bréviaire (L. 231) et même la messe :

Ne dites point la messe dès que vous êtes incommodé, à moins d’une simple envie de la dire. Ne vous faites loi de rien, mais laissez-vous au moment présent comme un enfant qui s’amuse de rien, mais qui est quelquefois captivé par son Maître. Je prie l’Esprit de vérité de passer de moi en vous, et de vous communiquer la simplicité que je vous vois être si nécessaire, afin que nous achevions ensemble notre course. (L. 1.292)

Il faut que (Dieu) soit votre seul appui et votre seule purification. Dans l’état où vous êtes, toute autre purification vous salirait. Ceci est fort. (L. 267).

Le but est d’atteindre l’état d’enfance où Dieu seul est le maître et où nul attachement humain n’a plus cours :

C’est cet état d’enfance qui doit être votre propre caractère : c’est lui qui vous donnera toutes grâces. Vous ne sauriez être trop petit, ni trop enfant : c’est pourquoi Dieu vous a choisi une enfant pour vous tenir compagnie et vous apprendre la route des enfants. (L. 154).

Elle le ramène sans cesse à l’essentiel :

Il faut que nous cessions d’être et d’agir afin que Dieu seul soit. (L. 263).

On mesure les difficultés de Fénelon : dans cette société profondément patriarcale, ce prince de l’Église à qui toute femme devait obéissance, a dû s’incliner devant l’envoyée choisie par la grâce. Elle ne s’y trompe pas et lui dit carrément :

Il me paraît que c’est une conduite de Dieu rapetissante et humiliante pour vous qu’Il veuille me donner ce qui vous est propre. Cependant cela est et cela sera, parce qu’Il l’a ainsi voulu. (L. 124).

Plus tard, elle lui écrit avec humour et tendresse :

Mon cher enfant que j’enfante chaque jour à Jésus-Christ, avalez simplement et recevez la nourriture que je vous présente, et votre âme, étant engraissée, sera dans la joie. […] Recevez donc cet esprit qui est en moi pour vous, qui n’est autre que l’esprit de mon Maître qui S’est caché pour vous non sous la forme d’une colombe […] mais sous celle d’une petite femmelette. (L.1. 292).

Leurs deux tempéraments étaient opposés : il était un intellectuel sec et raisonnable, un esprit analytique très fin, un ecclésiastique rempli de scrupules ; elle était passionnée, parfois un peu trop exaltée, et surtout elle ne pouvait rien contre les « mouvements » de la grâce, si prompts qu’elle agissait et écrivait sans y pouvoir rien (L. 253). Elle s’excuse souvent de ce qu’elle est :

Dieu m’a choisie telle que je suis pour vous, afin de détruire par ma folie votre sagesse, non en ne me faisant rien, mais en me supportant telle que je suis. (L. 171). 

Comme il abandonne peu à peu ses préjugés et ses peurs, il la rassure :

Rien ne me scandalise en vous et je ne suis jamais importuné de vos expressions. Je suis convaincu que Dieu vous les donne selon mes besoins. 

Et il termine en souriant sur lui-même :

 Rien n’égale mon attachement froid et sec pour vous. (L. 172).

 Surtout il a fini par comprendre la nature de leur lien spirituel :

Je ne saurais penser à vous que cette pensée ne m’enfonce davantage dans cet inconnu de Dieu, où je veux me perdre à jamais. (L. 195).

Il règne entre eux deux un rapport complexe d’autorité réciproque : bien qu’elle lui laisse son entière liberté, il sait bien que sa parole est un avertissement divin pour lui. Elle lui affirme :

La vérité sera toujours et dans ma bouche et dans mon cœur pour vous et au bout de ma plume. (L. 220).

 Inversement, elle le considère comme signe de Dieu pour elle et affirme sa soumission en tout :

Il n’y a rien au monde que je ne condamnasse au feu de ce qui m’appartient, sitôt que vous me le diriez […] Comptez, monsieur, que je vous obéirai toujours en enfant. (L. 169).

Avec une totale confiance et une grande estime, elle se confie à lui car elle est dans un état d’enfance, d’abandon trop profond à la volonté divine pour vouloir encore réfléchir ou décider par elle-même :

Notre Seigneur m’a fait entendre que vous êtes mon père et mon fils, et qu’en ces qualités vous me devez conduire et me faire faire ce que vous jugerez à propos, à cause de mon enfance qui ne me laisse du tout rien voir, ni bien ni mal, que ce qu’on me montre dans le moment actuel. (L. 280).

Il lui répondra toujours avec une déférence et une délicatesse extrêmes : sans oser lui donner d’ordres, il lui suggère des solutions dans des problèmes délicats ou familiaux.

Si Mme Guyon a été source de souffrances pour Fénelon, il a été pour elle le support de projections psychologiques intenses, qui elles aussi ont été détruites par la Providence. Fénelon fut gouverneur du Dauphin de 1689 à 1695 et aurait pu devenir son premier ministre après la mort de Louis XIV : Mme Guyon et son entourage ont rêvé d’une France enfin gouvernée par un prince bien entouré et imprégné de spiritualité, au point qu’elle s’est laissée aller à des prédictions à propos de ce prince : « Il redressera ce qui est presque détruit […] par le vrai esprit de la foi. » (L. 184). Or le Dauphin mourut en 1712 avant le roi, ce qui anéantit tous les espoirs du parti dévôt.

Quand Fénelon fut exilé à Cambrai et que Mme Guyon habitait Blois, leur correspondance se poursuivit portée par des messagers sûrs (Dupuy, le neveu de Fénelon, Ramsay…) qui allaient de l’un à l’autre. Une lettre[571] de mai 1710 établit fort bien qui dirige l’autre, puisqu’on voit Fénelon demander des conseils à propos de certains dirigés qui posent problème, puis sur sa propre vie intérieure :

 [Colonne gauche, Fénelon, question no. 2 :] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? […]

[Col. droite, Mme Guyon, réponse :] Il est vrai que la pensée que je mourrai bientôt m’a resté quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que Put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyé par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait [par] benedic me pater.

[Col. gauche, Fénelon, question no. 3 :] La p[etite] D[uchesse] [de Mortemart] ne m’écrit presque plus ; pour moi, je lui écris moitié vérité avec beaucoup de douceur et de ménagement, moitié raisonnant sur les nouvelles générales […] Elle est piquée [irritée] à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug[572].

[Col. droite, Mme Guyon, réponse :] […] C’est une crise. J’espère que cela passera et qu’elle rentrera dans la place où elle doit être. Il est plus sûr d’obéir que de commander.

[Col. gauche, Fénelon, question no. 4 :] Le petit abbé [de Langeron] fait fort bien ici, mais il dort une sixième partie de la journée. Je trouve qu’il vieillit et s’appesantit. J’en crains les suites. D’ailleurs il est bon, accommodant, gai et simple. Il fait d’excellentes instructions dans notre séminaire.

[Col. droite, Mme Guyon, réponse :] Le petit abbé ne devrait pas se laisser aller au sommeil […] je prie le Seigneur de vous le conserver, car il vous est utile ; je ne puis m’empêcher de déplorer le temps qu’on lui a fait perdre. Quoi, n’est-on pas éclairé là-dessus et n’en est-on point touché, et vous, mon père, comment ne vous êtes pas servi de l’autorité que Dieu vous avait donnée pour le tirer de cette léthargie ?[573]

[Col. gauche, Fénelon, question no. 5 :] L’abbé de Chanterac, homme savant […] et d’un très bon conseil pour le gouvernement d’un diocèse […] à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour aller chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux…

[Col. droite, Mme Guyon, réponse :] Croit-il se mieux porter ailleurs et peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église […] Je voudrais qu’il sentît une petite partie de ce que je sens pour l’Église : je ne prie que pour elle […] S’il veut absolument s’en aller, que faire autre chose que s’abandonner ? Mais arrêtez-le si vous pouvez.

[Col. gauche, Fénelon, question 10 :] Je suis ravi quand je donne beaucoup aux pauvres. Je me réduirais avec joie à une vie très petite et très simple : elle me débarasserait. Je ne crains point de me trouver pour ma personne dans une pauvreté sans secours, si la guerre, qui est à la veille de me ruiner cette campagne, me fait tous les maux qu’il est presque certain qu’elle me fasse.

[Col. gauche, Mme Guyon, réponse :] Je continuerais de faire comme vous avez fait, retranchant le superflu de la table, car je crois qu’il faut éviter la magnificence trop forte comme la lésine [avarice]. Je suis très persuadée que, pensant comme vous pensez, vous seriez content d’une fortune médiocre, mais Dieu vous ayant mis sur le chandelier pour éclairer, il faut y rester jusqu’à ce qu’on vous en ôte. Je crois qu’Il vous a donné exprès du revenu afin de vous faire connaître et de vous rendre utile. Je le prie d’achever en vous son œuvre. Vous savez que rien au monde ne m’est aussi cher que vous : croissez, multipliez, remplissez la terre[574].

Le neveu de Fénelon écrira à propos de cette lettre : « Cet écrit de la propre main de feu M. l’archevêque de Cambrai, mon grand-oncle, et les réponses en marge de Madame Guion qui sont de la main de cette dame, doivent être de l’année 1710 […] De semblables consultations à une dame par ce grand archevêque, montrent de quelle vénération sa mémoire est digne. J’atteste ces écritures comme les connaissant parfaitement. Le Marquis de Fénelon »[575].

Il se forma autour de Fénelon un cercle spirituel parallèle à celui de Mme Guyon à Blois : en union avec celle-ci, il pouvait transmettre la grâce en silence à ses visiteurs. Cette lettre fait part de sa joie :

Je me sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma. Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme des petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi quoique vous soyez loin de nous. (L. 266).

Comme c’est Mme Guyon qui le met en contact avec la grâce, Fénelon ne peut transmettre que s’il est en union avec elle, Jésus-Christ étant la source de cette cascade de grâce :

Vous ne ferez rien sans celle qui est comme votre racine, vous enté [enraciné] en elle comme elle l’est en Jésus-Christ […] Elle est comme la sève qui vous donne la vie. (L. 289).

C’est pourquoi Mme Guyon a vu en lui le successeur qui continuerait cette fonction après elle. Dès 1690, étant gravement malade, pensant mourir, elle veut lui transmettre cette charge :

J’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin. […] Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné [576].  

Affolé de la perdre, Fénelon lui avoue ce qu’elle représente pour lui :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer […] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds […] [577]

En fait, elle devra abandonner cet espoir de succession puisqu’il mourra avant elle. Mais tout au long de ces années, elle s’émerveillera de leur union si totale en Dieu :

Vous ne pourriez en sortir [de Dieu] sans être désuni d’avec moi, ni être désuni d’avec moi sans sortir de Dieu ; union qui dans la perte même fait une béatitude en Dieu même, qui se conservera et se consommera durant toute l’éternité, union qui est un véritable sacrement […] (L. 271).

    Elle poursuit en célèbrant la liberté absolue de cette union au-delà de l’humain :

C’est cette union que les sages devenus enfants – et les enfants étant la véritable sagesse, - se jouent devant Dieu et s’y jouent avant la formation du monde, étant au-dessus de ce que le monde renferme de cérémonies et de lois : ils sont avant tous les siècles, étant les enfants de l’éternité et non du temps, aussi tout ce qui est du temps ne leur convient plus. Ils se sentent dégagés de tous liens bons et mauvais, leur pays est celui du parfait repos et de l’entière liberté. […] Mon âme est comme une eau qui se mélange avec la vôtre et qui s’y confond si parfaitement qu’elles seront bientôt indistinctes. (L. 271).

Fin mai 1710, une lettre arriva à Blois portée par un visiteur écossais (Lord Forbes ?) passé par Cambrai : Fénelon s’y dissimule sous l’anonymat d’un « on ».  Son union avec elle est devenue très profonde. Il décrit son état et lui dit toute sa vénération :

On me charge de vous prier de croire qu’on veut être plus uni que jamais. On se trouve si dépourvu de tout fond au-dedans qu’on n’y aperçoit rien que la seule nature, sans aucun [fond] de grâce. C’est un vide et un néant de tout ce qui est vertueux. On serait tenté de croire que l’on n’a plus aucun reste de foi, ni de trace de christianisme. Cependant on aimerait mieux mille morts que manquer à Dieu, mais tout cela est si obscurci et embrouillé, qu’on n’y trouve que de quoi se confondre et s’abandonner. On craint de ne pas avoir assez de foi pour transporter les montagnes, car il faudrait les transporter pour faire un si grand changement.

[…] On vous conjure de ménager votre santé et de ne mourir pas si tôt, car on a grand besoin de vous. On se trouve fort uni à P.P. [le duc de Bourgogne, son élève] et au petit abbé. On aime de tout son cœur votre fils M.F. [M. Forbes] avec une véritable tendresse.

On est à vous sans mesure. (L. 1377)

Même la mort de Fénelon en janvier 1715 ne pouvait les désunir :

Le jour qu’il tomba malade, je me sentis pénétrée, quoique assez éloignée de lui, d’une douleur profonde mais suave. Toute douleur cessa à sa mort et nous sommes tous, sans exception, trouvés plus unis à lui que pendant sa vie. (L. 385 à Poiret).

                               Clément et Cassien

Preuve de la force de l’expérience intérieure que Fénelon vivait avec elle, lorsque la justice ecclésiastique se prépara à examiner les opinions de Mme Guyon, il refusa de la condamner. Cette résistance extraordinaire à la pression du pouvoir étonna car elle était contraire à ses intérêts : il savait qu’il abandonnait là toute ambition personnelle.

Ils passèrent l’été 1694 à chercher dans les écrits reconnus par l’Église la confirmation de leur expérience personnelle, dans l’espoir de « faire taire tous ceux qui osent parler sans expérience d’un don de Dieu[578] ». Tout le mois d’août, ils collationnèrent des milliers de pages de textes, rassemblés sous le titre de Justifications signées par madame Guyon, et deux mémoires de Fénelon : le premier sur Cassien sera intégré comme contribution aux Justifications, le second, rédigé en septembre sur Clément d’Alexandrie, restera manuscrit pendant trois siècles[579] car inacceptable pour les juges.

Face à Bosssuet qui les accusait d’inventer des nouveautés, leur projet était de démontrer que les mystiques « modernes », loin de créer du nouveau, vivaient une expérience qui se révèle identique d’âge en âge : ils sont persuadés vivre le cœur même de la tradition chrétienne, Jésus étant l’origine de ce courant de grâce qui traverse les siècles, fécondant les mystiques chrétiens de chaque époque[580].

Tandis qu’il cherchait à remonter le plus loin possible dans le temps pour prouver l’identité d’expérience entre anciens et modernes, Fénelon lit le texte grec des Stromates de Clément d’Alexandrie[581] : celui-ci a connu des disciples des Apôtres. Fénelon y retrouve son propre vécu : aussi bien la vie mystique décrite dans le Moyen Court que la transmission de cœur à cœur bien connue du temps des Apôtres.

Ecrit très rapidement dans l’élan de l’enthousiasme, le commentaire de Fénelon sur le Gnostique dit tout son bonheur d’avoir trouvé un frère dans un passé si proche du Christ. Il va livrer ingénuement le fond de sa pensée pour convaincre Bossuet que l’expérience mystique est bonne, qu’elle existe identique à toute époque, et que les affirmations de Mme Guyon sont vraies, puisqu’on les retrouve chez Clément. On sent bien que Fénelon ne défend pas des théories, mais que ce texte le rassure sur son vécu personnel. Son commentaire est émouvant par sa véracité, sa spontanéité, sa passion : on est loin du prélat réputé pour sa froideur.

Le pivot en est le Pur Amour où l’âme enfoncée en Dieu n’a même plus le désir de son propre salut. Clément émettait déjà une supposition impossible : « Si quelqu’un, par supposition, demandait au gnostique ce qu’il choisirait, ou de la gnose de Dieu, ou du salut éternel, et que ces deux choses, qui sont la même, fussent séparées, il choisirait sans hésiter la gnose de Dieu ».

Là, on est « consommé dans l’union inamissible et inaltérable, ayant passé au-delà des œuvres aussi bien que de toute purification. » Cette « habitude de contemplation et de charité perpétuelle » est ce que Clément appelle gnose, l’état ultime du chrétien, qui implique un abandon total à tout ce que Dieu veut faire de l’âme : « Sa contemplation est infuse et passive, car elle attire le gnostique comme l’aimant attire le fer, ou l’ancre le vaisseau : elle le contraint, elle le violente pour de bon ; il ne l’est plus par choix mais par nécessité. »

Clément permet à Fénelon de revendiquer la liberté absolue du mystique, mû par le seul Esprit-Saint, face aux « théologiens rigides » et à tous ceux qui n’ont aucune expérience de la grâce (onction) : « […] c’est l’onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être entendu ni compris. » [582].

Fénelon se permet d’affirmer que le mystique arrivé à l’état apostolique joue le même rôle que les apôtres : « Il est dans l’état apostolique, et suppléant à l’absence des apôtres, non seulement il enseigne à ses disciples les profondeurs des Ecritures, mais encore il transporte les montagnes et aplanit les vallées du prochain ; il souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères[583] ». Fénelon décrit là imprudemment le rôle que joue madame Guyon pour lui : plongée dans l’état apostolique, Mme Guyon répand la grâce autour d’elle et porte les obstacles d’autrui par sa prière.

Bossuet rendra son manuscrit à Fénelon : il n’était pas question de le convaincre de ce qu’il jugeait être des absurdités. Ils n’en parleront plus jamais. A cause de son ambition, Bossuet s’était fermé au christianisme intérieur. Comme l’aurait dit Clément, « ceux qui ne sont pas gnostiques, voient et ne croient pas, entendent et ne comprennent pas, et lisent les mystères de la gnose avec un voile sur le cœur[584] ».

Toute cette exaltation fut laminée par les événements : n’étant qu’une simple femme, laïque de surcroit, madame Guyon subira des interrogatoires éprouvants, puis des années de prison, avant d’être libérée, quittant la Bastille en 1703 sur une litièr. Fénelon sera préservé par son rang à la Cour, mais on l’en éloigna en le nommant archevêque de Cambrai. Les consignes de discrétion ne l’empêcheront pas de continuer inlassablement à écrire sur les points qu’il jugeait essentiels : pur amour et passivité.

Le Gnostique de Fénelon est passionnant parce qu’il exprime sans détour ce que Fénelon, et donc Mme Guyon, entendaient par vie mystique. Véridique, il traduit l’esprit qui animait leur cercle spirituel, et le désir - largement partagé, il existait également à Port-Royal - de remonter aux véritables sources chrétiennes. Les notions importantes sont là : l’amour pur au-delà de tout sentiment et ressenti ; l’état d’enfance, notion fondamentale chez Clément ; l’optimisme car la bonté et l'amour de Dieu sont répandus dans la Création. Thème bien présent, le christianisme n'est pas une pure espérance placée dans l’au-delà, mais débouche sur une participation à la vie divine qui s’accomplit au milieu de la vie ordinaire par une « contemplation habituelle ». Enfin la transmission de la grâce dans l’état apostolique est affirmée en tant qu’expérience incontournable.

On va constater ici avec quelle détermination, avec quel enthousiasme Fénelon veut convaincre ses lecteurs :

CHAPITRE III De la vraie Gnose.

 […] Je dis que c'est l'amour qui fait le comble de la gnose. Ce n'est pas que le simple juste n'ait l'amour à un certain degré ; mais l'amour pur, l'amour qui absorbe toutes les autres vertus en lui, est l'essence de la gnose parfaite. Je vais expliquer ceci dans toutes ces parties et le prouver par les paroles de notre auteur. […] 

Vous voyez toujours une sorte de charité pure et permanente, qui surpasse la foi et même l'espérance, qui fait le caractère de la gnose, et qui la met infiniment au-dessus de la foi simple, animée par un amour intéressé pour la récompense telle qu'elle est dans le commun des justes. Vous voyez que la gnose, si on pouvait la séparer du salut, serait préférable au salut même, pour une âme généreuse et gnostique, qui n'a point d'autre motif, en aimant Dieu, que l'amour de Dieu même. Voilà saint Clément qui fait ces suppositions impossibles et ces précisions métaphysiques que les savants modernes regardent, dans les mystiques, comme des raffinements ridicules et des nouveautés inventées par des cerveaux creux. Les voilà dans les mêmes termes. C'est que l'amour pur est de tous les temps ; et que l'amour pur, dans la délicatesse infinie de sa jalousie, va jusqu'au dernier raffinement. […]

Le gnostique, dit saint Clément [Strom. VI, 9, 73], « demeure dans une même situation et immuable, aimant gnostiquement. » […] Mais cette contemplation est-elle une espèce d'extase, empêche-t-elle les occupations communes de la vie ? Tout au contraire, c'est une union habituelle avec Dieu, qui anime l'homme et qui facilite toutes les fonctions de la vie où la Providence nous met.

Écoutez saint Clément [Strom. VII, 7, 35] : « ce n'est point dans un lieu marqué, dans un temple choisi, ni en un certain jour de fête marqué, mais c'est pendant toute la vie, et en tout lieu, soit que le gnostique soit seul, soit qu'il se trouve avec plusieurs fidèles, qu'il honore Dieu. C'est-à-dire qu'il lui rend grâce de l'avoir établi dans la gnose. » Il ajoute encore que « le gnostique est toujours avec Dieu sans interruption ». « Toute notre vie, dit-il encore, étant un jour de fête ; persuadés que Dieu est présent partout, nous labourons en le louant, nous naviguons en chantant ses louanges. » Il prie, dit encore ce Père [Strom. VII, 7, 19], « en tous lieux et cela ne paraîtra pas à plusieurs ; il prie en se promenant, en conversant, en se reposant, en lisant, en faisant des choses raisonnables ; il prie en toutes manières » ; c'est-à-dire, quelque chose qu'il fasse.

Toutes ces expressions marquent clairement une contemplation habituelle ; sans actes réfléchis et distincts ; sans effort ni contention d'esprit, sans extase ni lumière particulière ; les différentes pensées n'y entrant point, comme l'assure notre auteur, et les images en étant exclues. C'est une contemplation d'état permanent et fixe, que nulle occupation extérieure n'interrompt, qui est du cœur, et non pas de l'esprit ; de l'amour, et non pas du raisonnement. […]

Voilà cet amour d'abandon, duquel on fait un crime aux mystiques. Ils n'entendent, par abandon total, qu'un amour qui n'est borné à aucune épreuve. Au reste, le mot de spirituel est, dans ce langage, plus fort et plus remarquable que dans le nôtre. Car, selon le langage de saint Paul [par ex. I Cor. 2, 15 ; Gal. 6, 1], il veut dire inspiré par l'esprit de Dieu ; au lieu que parmi nous, d'ordinaire, il signifie seulement un homme éclairé sur les choses qui regardent les vertus. Vous voyez que c'est par un amour sans bornes et sans réserve qu'on devient l'homme spirituel, « et qu'on est fait une même chose avec l'esprit de Dieu ». [...]

Voulez-vous savoir encore comment le gnostique prie ? [...] Nous l'avons déjà dit, et je le répète, n'attendez pas des actes variés. Son genre de prière est  « l'action de grâce pour le passé, le présent et le futur comme déjà présent par la foi » [Strom. VII, 12, 69]. Mais cette action de grâces, comment se fait-elle ? Cette apparente multitude d'actes se réduit à se « complaire simplement dans tout ce qui arrive » [Strom. VII, 7, 45].

Ainsi ce qui est exprimé, d'une manière active et multipliée, se réduit à une disposition simple et passive. Mais rien ne nous montrera davantage la véritable pensée de saint Clément qu'une objection qu'il se fait à lui-même : « Toute union, dit-il [Strom. VI, 9, 73], avec les choses belles et excellentes se fait par désir ; comment donc peut demeurer dans l'apathie celui qui désire ce qui est beau ? » Voici sa réponse : « Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas ce qu'il y a de divin dans l'amour ; car l'amour n'est plus le désir de celui qui aime, mais une ferme conjonction qui établit le gnostique dans l'unité de foi. Il n'a plus besoin ni temps, ni de lieu. Celui qui est ainsi par l'amour dans les choses où il doit être, ayant reçu son espérance par la gnose, ne souhaite plus rien, puisqu'il a autant qu'il est possible ce qui est désirable. »

 

CHAPITRE XI Le gnostique est déifié.

Quand on entend dire aux mystiques qu'après les épreuves et la mort intérieure, l'âme est transformée, en sorte qu'elle est déiforme, cet état divinisé ou déifié parait une chimère à tous les docteurs spéculatifs. Ce n'est pourtant pas une invention moderne : saint Clément, Cassien et saint Denys ne nous permettent pas de le croire. « Celui, dit, saint Clément, qui obéit au Seigneur, qui suit l'inspiration et la prophétie donnée par Lui, devient parfaitement, selon l'image du Maître, « un Dieu conversant dans la chair » [Strom. VII, 16, 101]. « Le gnostique, dit-il ailleurs, est donc déjà divin et saint, portant Dieu et étant porté de Dieu » [Strom. VII, 13, 82]. […] « Celui, dit-il encore ailleurs, qui abandonne sa vie à la vérité devient en quelque manière dieu, d'homme qu'il était » [Strom. VII,16, 95]. « Le Verbe, dit-il ailleurs, scelle dans le gnostique une parfaite contemplation selon sa propre image, en sorte que le gnostique est une troisième image divine, semblable autant qu'il est possible, à la seconde cause et à la véritable vie par laquelle nous vivons véritablement » [Strom. VII, 3,16]. Ces passages sont si formels, et les expressions en sont si étonnantes, qu'ils n'ont besoin d'aucun commentaire, pour en sentir la force. On n'a qu'à se représenter toujours combien on serait scandalisé d'un mystique de notre temps qui oserait parler ainsi. […]

Que si on me presse de dire, en philosophe, mes conjectures, j'avouerais que je ne vois nulle distinction réelle entre l'âme et ses trois puissances. Je ne suis pas même persuadé que le fond de la substance de l'âme soit autre chose que penser et vouloir. Dès que j'ôte penser et vouloir, je ne conçois plus rien qui reste[585]. Une union, qui se fait par contemplation amoureuse ne peut se faire que par pensée et volonté. ...

En veut-on un exemple ? […] Je donne celui d'un homme, autant livré par l'habitude que par la nature à son amour-propre. Il s'aime toujours, sans actes formels ni réfléchis […] il ne se met jamais dans cet amour, mais il s'y trouve toujours actuellement, foncièrement et invariablement établi, toutes les fois qu'il veut s'observer [586]. Il ne pense pas toujours à soi-même […] Les pensées et les affaires qui l'occupent sont des distractions, si on les considère par rapport aux actes excités et réfléchis ; puisque, dans ce temps-là, il cesse de penser formellement et distinctement à lui-même. […] Ces apparentes distractions ne peuvent distraire l'âme ; au contraire, elles sont la pratique de l'attention unique de l'âme à elle-même ; car elle rapporte tout à son intérêt et à son plaisir, dans les affaires et dans les amusements.

Changez seulement les noms ; et dites du gnostique, ou de l'homme passif, touchant l'amour de Dieu, tout ce que je viens de dire de l'homme livré à son amour-propre. Vous n'aurez plus de peine à entendre cette union substantielle, immédiate et permanente, où les formalités des actes excités et réfléchis, ni les pratiques méthodiques ne sont plus d'usage. […]

Le gnostique, dit encore saint Clément, « devenu à Dieu, se crée et se forme lui-même ; et il forme aussi ceux qui l'écoutent » [Strom. VII, 3, 13]. Voilà le gnostique qui n'a point besoin d'être conduit, et qui conduit les autres. Voilà les auditeurs du gnostique bien marqués ; il les instruit, et sa parole met en eux l’ornement de la perfection. Saint Clément ajoute des expressions si étonnantes qu'on ne pourrait les croire, si on ne les lisait. « Le gnostique, dit-il, supplée à l'absence des apôtres ; vivant avec droiture, connaissant exactement ; et, dans ceux qui lui sont proches, transportant les montagnes de son prochain et aplanissant les inégalités de leurs âmes » [Strom. VII, 12, 77]. On n'en peut plus douter, voilà le gnostique, qui, sans aucun caractère marqué, enseigne, dirige et perfectionne les âmes, avec une autorité apostolique : portant tout sur lui, comme saint Paul, et étant rempli d'une vertu efficace et miraculeuse, pour la sanctification des âmes. Dieu le fait ainsi, pour suppléer à l'absence des apôtres, laquelle doit durer jusqu'à la consommation des siècles ; ce qui suppose sûrement que Dieu donnera des gnostiques, dans tous les siècles, jusqu'à la fin. 

Mais voici une chose bien remarquable, et qui doit être prise comme une clé générale des Stromates. Le même saint Clément, qui nous assure tant de fois que le gnostique est dans une union inamissible[587], imperturbable, inaltérable et qu'après avoir consommé toute purification, il est entré dans l'apathie[588] de Dieu, et qu'il ne peut plus être tenté, ni avilir besoin de vertu ; le même Père, dis-je, nous assure que le gnostique « a des tentations » ; il ajoute aussitôt : « non pour sa purification, mais pour l'utilité de son prochain » [Strom. VII, 12, 76]. Voilà le gnostique tenté comme Jésus-Christ, pour autrui. La tentation ne vient pas de son fonds, qui est dans une paix imperturbable ; elle vient d'une impulsion étrangère, c'est ce que semble exprimer cette expression. […] C'est l'esprit de Dieu qui le mène pour être tenté, c'est un mystère de grâces. Ce qu'il a éprouvé autrefois pour lui-même, il l'éprouve de nouveau pour les enfants que Dieu donne selon la foi. Il souffre les douleurs de l'enfantement, comme l'apôtre. […] Ainsi quand saint Clément parle de la tradition des apôtres, touchant la gnose, il parle avec la plus grande autorité qu'on puisse trouver sur la terre, après celle des apôtres. Même, il touche à leur temps ; il dit que ses maîtres ont appris de Pierre, de Jacques, de Jean et de Paul. […]

Il est suffisant à lui-même. Enfin il ne désire rien, même pour sa persévérance ; car lorsqu'on est entré dans le divin de l'amour, l'amour parfait n'est plus un désir, mais une union ou unité fixée et tranquille.

Cette lumière est stable. C'est une égale stabilité de l'esprit ; on n'en peut jamais être arraché. C'est une vertu qui ne se peut perdre ; le gnostique en cet état est dans sa disposition propre et naturelle ; il a l'être même de la bonté. Il est toujours immuable dans ce que la justice demande. L'affliction ne peut pas non plus le troubler que le feu détruire un diamant. Sa contemplation est infuse et passive ; car elle attire le gnostique, comme l'aimant attire le fer, ou comme l'ancre, le vaisseau ; elle le contraint, elle le violente, pour être bon ; il ne l'est plus par choix, mais par nécessité. La sagesse se contemple elle-même en lui ; c'est dans la volonté du Seigneur qu'il connait la volonté du Seigneur ; et par l'esprit divin qu'il entre dans les profondeurs de l'esprit.

Il est inspiré, prophète, mais prophète par le pur amour, qui lui rend l'avenir présent ; car c'est l'onction qui lui enseigne tout ; et loin de pouvoir être enseigné, il ne peut être ni entendu, ni compris. Nul chrétien pathique et mercenaire, quand même il serait docteur, ne peut le comprendre, et encore moins le juger. Au contraire, c'est à lui à juger quels sont les fidèles dignes de son instruction sur la gnose. Il est dans l'état apostolique, et suppléant à l'absence des apôtres, non seulement, il enseigne, à ses disciples, les profondeurs des Écritures, mais encore, il transporte les montagnes et aplanit les vallées dans l'âme du prochain. Il souffre intérieurement des tentations pour purifier ses frères. Enfin il est bien heureux, suffisant à lui-même, déiforme ou Dieu sur la terre ; vivant dans la chair, comme sans chair, arrivé à l'âge de l'homme parfait et hors du pèlerinage.

 

Dans son exploration des anciens auteurs latins et grecs, Fénelon put s’appuyer aussi sur les Conférences de St Jean Cassien (360 ? – 433 ?), dont l’influence fut si importante sur la règle de St Benoît et le monachisme intérieur d’Orient et d’Occcident. Il en fit un commentaire [589] dont le texte fut annexé aux Justifications.

Se référer à Cassien permettait à Fénelon de défendre la réalité de l’oraison continuelle. Voici quelques extraits de sa belle description :

Et il [Cassien] assure que l'Oraison et les vertus sont [336] inséparables, en sorte qu'on ne parvient à ce genre d'Oraison perpétuelle et sublime, qu'après avoir vidé du cœur tout ce qu'on en arrache en le purgeant [lui] et tous les débris des passions mortes […]

Il faut donc qu'il y ait une certaine disposition fixe et habituelle de l'âme, toujours tournée vers Dieu par état, qui soit cette oraison continuelle, et que les affaires ni même les distractions continuelles ne puissent interrompre. Il faut qu'elle dure lors même que l'âme ne l'aperçoit point et que l'imagination présente d'autres objets. C'est une tendance secrète et continuelle de la volonté vers Dieu, qui n'est point un mouvement interrompu et par secousse ; mais une pente habituelle et uniforme, qui fait que la volonté par son état et par son fond ne veut plus que Dieu, et le laisse sans cesse faire tout en elle.

Cette union à Dieu ne peut être ni par effort [337] ni par excitation du coeur, ni par contention d'esprit ni par une vue distincte. Rien de tout cela ne peut être absolument continuel : car tout ce qui est distinct et marqué, ne l'est que par être différent de ce qui précède et de ce qui suit ; d'où il faut conclure que toutes ces choses distinctes ne sont que passagères. Aussi voyons-nous que ceux qui parlent de cette Oraison sans interruption, ne veulent pas même la nommer union mais unité, pour en exclure toute action distincte. C'est ce que dit saint François de Sales[590] : c'est pour cela que le même saint dit que l'Oraison, dont il parle, dure même en dormant[591]. C'est cette présence de Dieu que l'Ecriture représente comme continuelle dans certains hommes de l'Ancien Testament[592] : ils marchaient en la présence de Dieu. Toute leur voie, toute leur conduite, toutes leurs actions communes n'étaient que présence de Dieu.

On ne pense pas toujours à la lumière mais on la voit toujours sans réflexion et c'est par elle qu'on voit tout le reste. Il en est de même pour certaines âmes. Elles ne pensent pas toujours à Dieu d'une façon distincte et aperçue : mais elles en ont toujours une certaine occupation d'autant plus secrète et confuse, qu'elle est plus intime et devenue plus naturelle. Ils ne font point des actes d'amour, mais ils aiment sans penser à aimer ; comme tous les hommes aiment sans cesse à être heureux, sans chercher distinctement [338] ni plaisir, ni intérêt, ni bonheur. L'âme pénétrée de Dieu est de même pour lui. Voilà donc un état où l'on fait Oraison en tout temps et en tout lieu sans intermission. C'est-à-dire que toutes les fois que l'âme s'aperçoit elle-même, elle se trouve non pas disposée à faire des actes, mais dans une conversion constante, habituelle, et fixe vers Dieu qui est une espèce d'unité avec lui. Dans le moment où l'âme aperçoit Dieu, elle ne commence point à s'unir ; mais elle se trouve déjà toute unie et elle sent qu’elle l'a toujours été, lors même qu'elle n'y pensait pas actuellement.

Voilà ce que les mystiques appellent état d'oraison continuelle.

 

L’Explication des Maximes des Saints.

Parallèlement aux Justifications, l’excellent projet de Fénelon était de faire un dictionnaire des termes mystiques :

[…] les expressions des auteurs mystiques ont été souvent critiquées sur des équivoques […] En effet rien n’est difficile que de faire bien entendre des états qui consistent en des opérations si simples, si délicates, si abstraites des sens […] chaque article aura deux parties […] La première sera la vraie, la seconde exposera quand l’illusion commence […][593]

Voici un exemple de son travail à propos de la notion de µ ?  quelle notion ?  (article XXXV, Vrai) :

L'état de transformation dont tant de saints anciens et nouveaux ont si souvent parlé, n'est que l'état le plus passif, c'est-à-dire le plus exempt de toute activité ou inquiétude intéressée. L'âme paisible et également souple à toutes les impulsions les plus délicates de grâce, est comme un globe sur un plan qui n'a plus de situation propre et naturelle. Il va également en tous sens, et la plus insensible impulsion suffit pour le mouvoir. En cet état, une âme n'a plus qu'un seul amour et elle ne sait plus qu'aimer. L'amour est sa vie, il est comme son être et comme sa substance, parce qu'il est le seul principe de toutes ses affections. Comme cette âme ne se donne aucun mouvement empressé, elle ne fait plus de contretemps dans la main de Dieu qui la pousse : ainsi elle ne sent plus qu’un seul mouvement, savoir celui qui lui est [1082] imprimé, de même qu'une personne poussée par une autre ne sent plus que cette impulsion, quand elle ne la déconcerte point par une agitation à contretemps. Alors l'âme dit avec simplicité après saint Paul : Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. Jésus-Christ se manifeste dans sa chair mortelle, comme l'apôtre veut qu'il se manifeste en nous tous.

Alors l'image de Dieu, obscurcie et presque effacée en nous par le péché, s'y retrace plus parfaitement et y renouvelle une ressemblance qu'on a nommée trans­formation. Alors si cette âme parle d'elle par simple conscience, elle dit comme sainte Catherine de Gênes : Je ne trouve plus de moi ; il n’y a plus d'autre moi que Dieu. Si au contraire elle se cherche par réflexion, elle se hait elle-même en tant qu'elle est quelque chose hors de Dieu ; c'est-à-dire qu'elle condamne le moi en tant qu'il est séparé de la pure impression de l'esprit de grâce, comme la même sainte le faisait avec horreur. Cet état n'est ni fixe ni invariable. Il est vrai seulement qu'on ne doit pas croire que l'âme en déchoie sans aucune infidélité, parce que les dons de Dieu sont sans repentir et que les âmes fidèles à leur grâce n'en souffriront point de diminution. Mais enfin la moindre hésitation ou la plus subtile com­plaisance peuvent rendre une âme indigne, d'une grâce si éminente.

Ce livre remarquable fut attaqué lui aussi. La chronologie établie par Orcibal[594] et ses études montrent qu’au moment de la querelle du quiétisme, Fénelon a passé son temps à aller et venir entre son évêché de Cambrai et Paris pour se défendre. La force des pressions exercées par le pouvoir royal français sur Fénelon et sur le pape fut étonnante : le 18 juin 1698, d'après l’abbé Bossuet, « le Roi a parlé très fortement à M. de Cambrai contre son livre et son obstination » ; le 26 juillet, « Le Roi a écrit au pape en représentant vivement le danger que les propositions contenues dans le livre peuvent faire courir à ses sujets... » ; le 30 décembre, lors de l'examen à Rome de sa traduction latine : « ...à chaque audience Bouillon expose avec vivacité l'impatience royale... »

Le pape finit par céder à Louis XIV et la condamnation de l’Explication des Maximes des Saints (1697)[595] eut lieu en mars 1699 par le bref papal Cum alias.

Lorsque les Maximes des Saints furent condamnées, Fénelon obéit et cessa immédiatement le combat, acceptant la condamnation papale qui le réduisait au silence. Mais il s’opposera aux désunions des chrétiens pour défendre l’autorité religieuse du pape, tandis que sa charge d’évêque lui fera produire les mandements qu’il jugeait nécessaires à la conduite des âmes.

En 1699, un petit traité de gouvernement destiné au Dauphin, Les Aventures de Télémaque, lui fut volé et édité sans sa permission : il contenait des critiques évidentes contre le Roi et sa façon de gouverner. Le succès du livre fut énorme et durera tout le XVIIIe siècle. La fureur du Roi l’envoya en exil définitif dans son évêché de Cambrai.

Dans la discrétion, Fénelon continua à diriger des âmes intérieures comme la carmélite Charlotte de Saint-Cyprien dont nous reproduisons l’ensemble des rares lettres qui nous sont parvenues. Tandis que madame Guyon, « notre mère », retirée sur les bords de la Loire près de Blois, formait ses visiteurs à la mystique, un cercle parallèle se réunissait autour de « notre père » à Cambrai : il était le messager de grâce de Mme Guyon. Les visiteurs allaient de l’un à l’autre et c’est par leur intermédiaire, en particulier par le neveu de l’archevêque, que les deux amis ont pu garder des relations étroites.

 

                        Lettres spirituelles.

µ Les notes sont à simplifier !!!!

Fénelon écrivait selon les circonstances, à l’image de son inspiratrice, et ne fit jamais de tri, ou n’en eut jamais le temps. A l’origine, les écrits spirituels[596] étaient perdus au milieu d’un maquis d’éditions incontrôlées, de lettres et de manuscrits inachevés, qui ne fut exploré et mis en valeur qu’au XXe siècle, en particulier par J. Le Brun.  Il faut plonger au sein de cette œuvre foisonnante pour retrouver les textes rédigés à des fins spirituelles[597] : des Opuscules, des Lettres de direction, le Gnostique, quelques pages des Justifications...

 Un plan concerté de publications fut-il conçu par nos deux mystiques vieillissants, puis mis en œuvre par les disciples, ou l’idée en revint-elle aux disciples afin de sauvegarder l’essentiel pour l’avenir[598] ? On ne sait. En tout cas, l’entreprise fut parallèle : l’édition des Discours de madame Guyon fut publiée en deux volumes en 1716. Après la mort de Fénelon en janvier 1715, les disciples méritants ont extrait les plus beaux écrits spirituels[599]  du fouillis général. L’édition de 1718 comporte un volume d’opuscules suivis d’entretiens, méditations, réflexions, et surtout un second volume de lettres qui fait mieux découvrir l’auteur mystique car il s’y exprime en toute liberté[600]  : c’est dans ce choix de 1718 que se situe le plus précieux de l’expérience fénelonienne.

La grande édition critique moderne, en dix-sept tomes, de la Correspondance de Fénelon a souffert au début de certains manques. Tout d’abord, elle était amputée des nombreuses lettres de madame Guyon à son dirigé[601]. Ensuite, les plus belles lettres de direction spirituelle de Fénelon étaient absentes : elles avaient eu la malchance que les disciples les amputent, par précaution, de leurs dates et destinataires[602], ce qui les éliminait de l’édition critique. Or les disciples avaient choisi les plus belles !

Grâce à un grand travail d’érudition, un tome XVIII les a enfin rassemblées récemment : malgré un titre trop neutre qui n’en révèle pas le contenu[603],  c’est au Fénelon le plus profond qu’il nous est maintenant permis d’accéder. Si les écrits appréciés au XVIIIe siècle ont vieilli, demeure ici vivant le cœur de l’œuvre, qui est intemporel. Car ce grand directeur spirituel est un vrai mystique qui analyse sans concession, avec grande finesse, le domaine intérieur spirituel ; or celui-ci demeure le plus souvent caché, même aux plus grands moralistes du XVIIe siècle, puisqu’il suppose, outre des qualités d’introspection, l’expérience d’un au-delà du psychologique, d’une profondeur due à la grâce. L’intériorité étant peu connue, La Rochefoucauld et La Bruyère ne s’attaquent qu’aux défauts plus visibles de nature morale[604]. Mais, inversement, Fénelon vit au siècle de Racine : c’est à lui qu’il doit d’enrichir ses analyses d’une finesse psychologique inconnue dans la littérature mystique antérieure :

On veut être une espèce de divinité au-dessus des passions[605]

 Cognet regrette deux limites chez Fénelon : « une paralysie de la sensibilité », et l’absence de l’inquiétude pascalienne[606]. Quant à J. Le Brun, il est surtout sensible à une apparente mélancolie[607]. En fait, la vie mystique a porté Fénelon au-delà de la sensibilité commune et de l’inquiétude métaphysique : l’affectivité un peu dépressive s’est transformée en compassion lucide, la croyance a laissé place à la certitude d’une foi vécue au sein de l’obscurité.

La lecture des petits traités et de la Correspondance[608]  µ note pas claire !  révèle une lucidité paisible qui perce les illusions de l’interlocuteur jusqu’à la racine. Fénelon ne le culpabilise pas : il veut tout simplement le faire entrer dans la réalité. Il entend partager ce triste constat : la nature humaine est ce qu’elle est et l’on n’y peut rien. Ce n’est donc pas la peine de s’y attarder, sinon on tourne en rond en soi-même. La seule solution est de se tourner vers la grâce et de s’y établir. Cette perte totale des illusions n’entraîne pas l’amertume ou l’humour grinçant des moralistes : sorti du plan psychologique, Fénelon regarde la nature humaine du fond de la paix où il habite. Il n’y a donc chez lui aucun jugement, mais de la compassion, une compassion active qui presse les autres de quitter les petitesses humaines inévitables pour entrer définitivement dans la paix de la grâce :

Sans l’amour de Dieu tout est vide […] la mesure d’aimer Dieu est de l’aimer sans mesure[609].

Certaines lettres[610] sont de véritables petits traités sur un sujet donné, c’est pourquoi les disciples leur ont donné un titre qui sert de résumé : par exemple, cette lettre probablement adressée à Mme de Chevreuse a reçu le titre : Sur la dissipation et la tristesse. Fénelon y appelle non à l’effort ou à l’ascétisme, mais à un abandon heureux :

Concluez, Madame, que, pour faire tout ce que Dieu veut, il y a bien peu à faire en un certain sens. Il est vrai qu'il y a prodigieusement à faire, parce qu'il ne faut jamais rien réserver, ni résister un seul moment à cet amour jaloux, qui va poursuivant toujours sans relâche, dans les derniers replis de l'âme, jusques aux moindres attachements propres, jusques aux moindres attachements dont il n'est pas lui-même l'auteur. Mais aussi, d'un autre côté, ce n'est point la multitude des vues ni des pratiques dures, ce n'est point la gêne et la contention qui font le véritable avancement. Au contraire, il n'est question que de ne rien vouloir, et de tout vouloir sans restriction et sans choix, d'aller gaiement au jour la journée, comme la providence nous mène, de ne chercher rien, de ne rebuter rien, de trouver tout dans le moment présent, de laisser faire celui qui fait tout, et de laisser sa volonté sans mouvement dans la sienne. Ô qu'on est heureux en cet état, et que le coeur est rassasié, lors même qu'il paraît vide de tout ! [VI Sur la dissipation et la tristesse (probablement adressé à Mme de Chevreuse) 573, 85]

Quand on est ainsi prêt à tout, c'est dans le fond de l'abîme que l'on commence à prendre pied[611] ; on est aussi tranquille sur le passé que sur l'avenir. On sup­pose de soi tout le pis qu'on en peut supposer ; mais on se jette aveuglément dans les bras de Dieu ; on s'oublie, on se perd ; et c'est la plus parfaite pénitence que cet oubli de soi-même, car toute la conversion ne consiste qu'à se renoncer pour s'occuper de Dieu. Cet oubli est le martyre de l'amour-propre ; on aime­rait cent fois mieux se contredire, se condamner, se tourmenter le corps et l'esprit, que de s'oublier. Cet oubli est un anéantissement de l'amour-propre, où il ne trouve aucune ressource. Alors le cœur s'élargit ; on est soulagé en se déchargeant de tout le poids de soi-même dont on s'accablait ; on est étonné de voir combien la voie est droite et simple. On croyait qu'il fallait une contention perpétuelle et toujours quelque nouvelle action sans relâche ; au contraire, on aperçoit qu'il y a peu à faire [Ibid. 577, 94]

Qui vous tendra la main pour sortir du bourbier ? Sera-ce vous ? Hé ! c'est vous-même qui vous y êtes enfoncé, et qui ne pouvez en sortir. De plus, ce bourbier c'est vous-même ; tout le fond de votre mal est de ne pouvoir sortir de vous. Espérez-vous d'en sortir en vous entretenant toujours avec vous-même, et en nourrissant votre sensibilité par la vue de vos fai­blesses ? Vous ne faites que vous attendrir sur vous-­même par tous vos retours. Mais le moindre regard de Dieu calmerait bien mieux votre coeur troublé par cette occupation de vous-même. Sa présence opère toujours la sortie de soi-même, et c'est ce qu'il vous faut. Sortez donc de vous-même, et vous serez en paix. Mais comment en sortir ? Il ne faut que se tour­ner doucement du côté de Dieu, et en former peu à peu l'habitude par la fidélité à y revenir toutes les fois qu'on s'aperçoit de sa distraction. Pour la tristesse naturelle qui vient de la mélancolie, elle ne vient que des corps [Ibid. 578, 96]

Des lettres nombreuses sont adressées à Mme de Maintenon dont Fénelon a été un moment le directeur. Il s’est donné beaucoup de mal pour lui expliquer la vie intérieure. Ici, alors qu’elle se voit déjà en prophétesse, il la ramène à une réalité plus simple :

Il est donc vrai que nous sommes sans cesse inspi­rés, et que nous ne vivons de la vie de la grâce qu'au­tant que nous avons cette inspiration intérieure. Mais, mon Dieu, peu de chrétiens la sentent ; car il y en a bien peu qui ne l'anéantissent par leur dissipation volontaire ou par leur résistance. Cette inspiration ne doit point nous persuader que nous soyons semblables aux prophètes. L'inspiration des prophètes était pleine de certitude pour les choses que Dieu leur découvrait ou leur commandait de faire ; c'était un mouvement extraordinaire, ou pour révéler les choses futures, ou pour faire des miracles, ou pour agir avec toute l'autorité divine. Ici, tout au contraire, l'inspi­ration est sans lumière, sans certitude ; elle se borne à nous insinuer l'obéissance, la patience, la douceur, l’humilité […] Ce n’est point un mouvement divin pour prédire, pour changer les lois de la nature, et pour commander aux hommes de la part de Dieu […] elle n’a par elle-même, si l’imagination des hommes n’y ajoute rien, aucun piège de présomption ni d’illusion. [X De la parole intérieure (à Madame de Maintenon) 591-592, 109]

Il tenta avec patience de l’amener au détachement :

On est contristé et découragé quand le goût sensible et quand les grâces aperçues échappent ; en un mot, c'est presque toujours de soi et non de Dieu qu'il est ques­tion.

 De là vient que toutes les vertus aperçues ont besoin d'être purifiées, parce qu'elles nourrissent la vie naturelle en nous. La nature corrompue se fait un aliment très subtil des grâces les plus contraires à la nature ; l'amour-propre se nourrit, non seulement d'austérités et d'humiliations, non seulement d'orai­son fervente et de renoncement à soi, mais encore de l'abandon le plus pur et des sacrifices les plus extrêmes. C'est un soutien infini que de penser qu'on n'est plus soutenu de rien, et qu'on ne cesse point, dans cette épreuve horrible, de s'abandonner fidèle­ment et sans réserve. Pour consommer le sacrifice de purification en nous des dons de Dieu, il faut donc achever de détruire l'holocauste, il faut tout perdre, même l'abandon aperçu par lequel on se voyait livré ­à sa perte.

On ne trouve Dieu seul purement que dans cette perte de tous ses dons, et dans ce réel sacrifice de tout soi-même, après avoir perdu toute ressource inté­rieure. La jalousie infinie de Dieu nous pousse jusque-là, et notre amour-propre le met, pour ainsi dire, dans cette nécessité, parce que nous ne nous perdons totalement en Dieu, que quand tout le reste nous manque. C'est comme un homme qui tombe dans un abîme ; il n'achève de s'y laisser aller qu'après que tous les appuis du bord lui échappent des mains. L'amour-propre, que Dieu précipite, se prend dans son désespoir à toutes les ombres de grâce, comme un homme qui se noie se prend à toutes les ronces qu'il trouve en tombant dans l'eau.

 Il faut donc bien comprendre la nécessité de cette soustraction qui se fait peu à peu en nous de tous les dons divins. Il n'y a pas un seul don, si éminent qu'il soit, qui, après avoir été un moyen d'avancement, ne devienne d'ordinaire pour la suite un piège et un obs­tacle par les retours de propriété qui salissent l'âme. De là vient que Dieu ôte ce qu'il avait donné. Mais il ne l'ôte pas pour en priver toujours ; il l'ôte pour le mieux donner, et pour le tendre sans l'impureté de cette appropriation maligne que nous en faisons sans nous en apercevoir. La perte du don sert à en ôter la propriété ; et, la propriété étant ôtée, le don est rendu au centuple. Alors le don n'est plus don de Dieu ; il est Dieu même à l'âme. Ce n'est plus don de Dieu, car on ne le regarde plus comme quelque chose de distingué de lui et que l'âme peut posséder ; c'est Dieu lui seul immédiatement qu'on regarde, et qui, sans être possédé par l'âme, la possède selon tous ses bons plaisirs. [XI Nécessité de la purification de l’âme par rapport aux dons de Dieu… (à Madame de Maintenon) 605-606, 171-172]

Le pur amour n'est que dans la seule volonté[612] ; ainsi ce n'est point un amour de sentiment, car l'ima­gination n'y a aucune part ; c'est un amour qui aime sans sentir, comme la pure foi croit sans voir. Il ne faut pas craindre que cet amour soit imaginaire, car rien ne l'est moins que la volonté détachée de toute imagination. Plus les opérations sont purement intel­lectuelles et spirituelles, plus elles ont non seulement la réalité, mais encore la perfection que Dieu demande : l'opération en est donc plus parfaite ; en même temps la foi s'y exerce, et l'humilité s'y conserve. [XII Sur la prière (à Madame de Maintenon) 610, 44]

Il n'y a point de pénitence plus amère que cet état de pure foi sans soutien sensible ; d'où je conclus que c'est la pénitence la plus effective, la plus crucifiante, et la plus exempte de toute illusion. Étrange tenta­tion ! On cherche impatiemment la consolation sen­sible par la crainte de n'être pas assez pénitent ! Hé ! que ne prend-on pour pénitence le renoncement à la consolation qu'on est si tenté de chercher ? Enfin il faut se ressouvenir de Jésus-Christ, que son Père abandonna sur la croix ; Dieu retira tout sentiment et toute réflexion pour se cacher à Jésus-Christ ; ce fut le dernier coup de la main de Dieu qui frappait l'homme de douleur ; voilà ce qui consomma le sacrifice. Il ne faut jamais tant s'abandonner à Dieu que quand il nous abandonne. [Ibid. 612, 47]

Il n'y a point de milieu : il faut rapporter tout à Dieu ou à nous-mêmes. Si nous rapportons tout à nous-mêmes, nous n'avons point d'autre dieu que ce moi dont j'ai tant parlé ; si au contraire nous rappor­tons tout à Dieu, nous sommes dans l'ordre ; et alors, ne nous regardant plus que comme les autres créa­tures, sans intérêt propre et par la seule vue d'ac­complir la volonté de Dieu, nous entrons dans ce renoncement à nous-mêmes que vous souhaitez de bien comprendre. [XIII Sur le renoncement à soi-même (à Madame de Maintenon) 615, 63]

La direction de Mme de Maintenon a probablement été une rude tâche, mais Fénelon restait véridique et osait lui dire ce qu’il pensait :

Chacun porte au fond de son coeur un amas d'ordure, qui ferait mourir de honte si Dieu nous en montrait tout le poison et toute l'horreur ; l'amour-propre serait dans un supplice insupportable. Je ne parle pas ici de ceux qui ont le cceur gangrené par des vices énormes ; je parle des âmes qui parais­sent droites et pures. On verrait une folle vanité qui n'ose se découvrir, et qui demeure toute honteuse dans les derniers replis du cœur. […] Laissons donc faire Dieu, et contentons-nous d'être fidèles à la lumière du moment présent. Elle apporte avec elle tout ce qu'il nous faut pour nous préparer à la lumière du moment qui suit ; et cet enchaînement de grâces, qui entrent, comme les anneaux d'une chaîne, les unes dans les autres, nous prépare insen­siblement aux sacrifices éloignés dont nous n'avons pas même la vue. [XIV Sur le détachement de soi-même (à Madame de Maintenon) 627, 77]

Il lâche parfois un peu de son expérience personnelle. Sans doute a-t-il dû lui-même lutter contre la mélancolie :

Les découragements inté­rieurs nous font aller plus vite que tout le reste, dans la voie de la foi, pourvu qu'ils ne nous arrêtent point, et que la lâcheté involontaire de l'âme ne la livre point à cette tristesse qui s'empare, comme par force, de tout l'intérieur. [XX De la tristesse (à Madame de Maintenon ?) 648, 87]

Cette lettre traite du pur amour en citant Platon :

Nous sommes-nous faits nous-mêmes ? Sommes-nous à Dieu ou à nous ? Nous a-t-il faits pour nous ou pour lui ? A qui nous devons-nous ? Est-ce pour notre béatitude propre ou pour sa gloire que Dieu nous a créés ? Si c'est pour sa gloire, il faut donc nous conformer à l'ordre essentielle de notre création, il faut vouloir sa gloire plus que notre béa­titude, en sorte que nous rapportions toute notre béatitude à sa propre gloire. [XXIII Sur le pur amour (dissertation, à partir de 1697) 658, 251]

Ce n'est pas que l'homme qui aime sans intérêt n'aime la récompense ; il l'aime en tant qu'elle est Dieu même, et non en tant qu'elle est son intérêt propre ; il la veut parce que Dieu veut qu'il la veuille ; c'est l'ordre, et non pas son intérêt qu'il y cherche ; il s'aime, mais il ne s'aime que pour l'amour de Dieu, comme un étranger, et pour aimer ce que Dieu fait. [Ibid. 659, 253]

Je suppose que je vais mourir ; il ne me reste plus qu'un seul moment à vivre, qui doit être suivi d'une extinction entière et éternelle. Ce moment, à quoi l'emploierai-je ? Je conjure mon lecteur de me répondre dans la plus exacte précision. Dans ce der­nier instant, me dispenserai-je d'aimer Dieu, faute de pouvoir le regarder comme une récompense ? Renon­cerai-je à lui dès qu'il ne sera plus béatifiant pour moi ? Abandonnerai-je la fin essentielle de ma création ? Dieu, en m'excluant de la bienheureuse éternité, qu'il ne me devait pas, a-t-il pu se dépouiller de ce qu'il se doit essentiellement à lui-même ? [Ibid. 662, 257]

Platon fait dire à Socrate, dans son Festin[613], « qu'il y a quelque chose de plus divin dans celui qui aime que dans celui qui est aimé. » Voilà toute la délicatesse de l'amour le plus pur. Celui qui est aimé, et qui veut l'être, est occupé de soi ; celui qui aime sans songer à être aimé, a ce que l'amour renferme de plus divin, je veux dire le transport, l'oubli de soi, le désintéresse­ment. « Le beau, dit ce philosophe, ne consiste en aucune des choses particulières, telles que les animaux, la terre ou le ciel... mais le beau est lui-même par lui­-même, étant toujours uniforme avec soi. Toutes les autres choses belles participent de ce beau, en sorte que si elles naissent ou périssent, elles ne lui ôtent et ne lui ajoutent rien, et qu'il n'en souffre aucune perte ; si donc quelqu'un s'élève dans la bonne amitié, il commence à voir le beau, il touche presque au terme[614]. »

 Il est aisé de voir que Platon parle d'un amour du beau en lui-même, sans aucun retour d'intérêt. C'est ce beau universel qui enlève le cceur, et qui fait oublier toute beauté particulière. Ce philosophe assure, dans le même dialogue, que l'amour divinise l'homme, qu'il l'inspire, qu'il le transporte. [Ibid. 667, 265]

Pourquoi aime-t-on mieux voir les dons de Dieu en soi qu'en autrui, si ce n'est par attachement à soi ? Quiconque aime mieux les voir en soi que dans les autres, s'affligera aussi de les voir dans les autres plus parfaits qu'en soi ; et voilà la jalousie. Que faut-il donc faire ? Il faut se réjouir de ce que Dieu fait sa volonté en nous, et y règne, non pour notre bonheur, ni pour notre perfection en tant qu'elle est la nôtre, mais pour le bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire.

Remarquez là-dessus deux choses. L'une, que tout ceci n'est point une subtilité creuse, car Dieu, qui veut dépouiller l'âme pour la perfectionner et la poursuivre sans relâche jusqu'au plus pur amour, la fait passer réellement par ces épreuves d'elle-même, et ne la laisse point en repos jusqu'à ce qu'il ait ôté à son amour tout retour et appui en soi. [­XXIV L’amour désintéressé… 671, 274]

Il faut éviter de s’appuyer sur le sensible :

Cette vie de lumières et de goûts sensibles, quand on s'y attache jusqu'à s'y borner, est un piège très dangereux : 1. Quiconque n'a d'autre appui quittera l'oraison, et avec l'oraison Dieu même, dès que cette source de plaisir tarira. Vous savez que sainte Thérèse disait qu'un grand nombre d'âmes quittaient l'oraison quand l'oraison commençait à être véritable. […]  2. De l’attachement aux goûts sensibles naissent toutes les illusions. [XXV Que la voie de la foi nue et de la pure charité est meilleure et plus sûre… 674-675, 201-202]

C'est pourquoi il faut moins compter sur une fer­veur sensible et sur certaines mesures de sagesse que l'on prend avec soi-même pour sa perfection, que sur une simplicité, une petitesse, un renoncement à tout mouvement propre et une souplesse parfaite pour se laisser aller à toutes les impressions de la grâce. Tout le reste, en établissant des vertus éclatantes, ne ferait que nous inspirer secrètement plus de confiance en nos propres efforts. [XXVII De la confiance en Dieu 688, 103]

« Vous êtes le Dieu de mon cœur » :

C'est donc, ô mon Dieu, ne vous point connaître que de vous regarder hors de nous, comme un être tout-puissant qui donne des lois à toute la nature, et qui a fait tout ce que nous voyons. C'est ne connaître encore qu'une partie de ce que vous êtes ; c'est ignorer ce qu'il y a de plus merveilleux et de plus touchant pour vos créatures raisonnables. Ce qui m'enlève et qui m'attendrit, c'est que vous êtes le Dieu de mon coeur[615]. Vous y faites tout ce qu'il vous plaît. Quand je suis bon, c'est vous qui me rendez tel ; non seule­ment vous tournez mon coeur comme il vous plaît, mais encore vous me donnez un cours selon le vôtre. C'est vous qui vous aimez vous-même en moi ; c'est vous qui animez mon âme, comme mon âme anime mon corps ; vous m'êtes plus présent et plus intime que je ne le suis à moi-même. Ce moi, auquel je suis si sensible et que j'ai tant aimé, me doit être étranger en comparaison de vous : c'est vous qui me l'avez donné ; sans vous il ne serait rien. Voilà pourquoi vous voulez que je vous aime plus que lui. [XXXII De la nécessité de connaître et d’aimer Dieu 701, 11]

C'est une fausse humilité, que de se croire indigne des bontés de Dieu, et de n'oser les attendre avec confiance […] Mais Dieu n'a besoin de rien trouver en nous : il n'y peut jamais trouver que ce qu'il y a mis lui-même par sa grâce. [40]

Presque tous ceux qui songent à servir Dieu, n'y songent que pour eux-mêmes. Ils songent à gagner, et point à perdre ; à se consoler et point à souffrir ; à posséder, et non à être privé ; à croître et jamais à diminuer. Et au contraire, tout l'ouvrage intérieur consiste à perdre, à sacrifier, à diminuer, à s'apetisser et à se dépouiller même des dons de Dieu, pour ne tenir plus qu'à lui seul. [147]

L'amour-propre malade est attendri sur lui-même, il ne peut être touché sans crier les hauts cris. […] L'unique remède pour trouver la paix est de sortir de soi. Il faut se renoncer, et perdre tout intérêt propre, pour n'avoir plus rien à perdre, ni à craindre, ni à ménager. Alors on goûte la vraie paix réservée aux hommes de bonne volonté, c'est-à-dire à ceux qui n'ont plus d'autre volonté que celle de Dieu qui devient la leur. [165] 

µ refer. de ces derniers paragraphes ?

Le deuxième tome[616] de l’édition 1718 ne contient que des lettres choisies par les disciples. Elles sont particulièrement belles :

Se livrer à la grâce par un choix libre, c'est sans doute y coopérer de la manière la plus réelle et la plus parfaite. Il n'y a donc point d'oisiveté, ni de cessation d'actes dans ces moments de recueillement et de paix où vous dites que notre travail doit cesser. Ce sont des moments où Dieu veut bien agir par lui-même. [Lettre 66, 124]

Ce n'est pas assez de se détacher : il faut s'apetisser. En se détachant on ne renonce qu'aux choses extérieures, en s’apetissant on renonce à soi. [Lettre 85,154]

Dieu a retiré ces dons sensibles pour vous en détacher […] Tournez-vous vers l'Amour tout-puissant et ne vous défiez jamais de son secours […] quoiqu'il vous semble que vous n'ayez pas la force ni le courage de mettre un pied devant l'autre. Tant mieux que le courage humain vous manque ! [Lettre 109, 190-191]

Ici l’interlocuteur est assez intime pour que Fénelon lui confie avec simplicité sa peur de la souffrance :

Il me semble qu'il ne me reste plus ni force ni haleine pour respirer dans la souffrance. La croix me fait horreur, et ma lâcheté m'en fait aussi. Je suis entre ces deux horreurs à charge à moi-même. Je frémis toujours par la crainte de quelque nouvelle occasion de souffrance. […] Il y a en moi, ce me semble, un fonds d'intérêt propre, et une [198] légèreté dont je suis content. La moindre chose triste pour moi m'accable. La moindre, qui me flatte un peu, me relève sans mesure. […] Dieu nous ouvre un étrange livre pour nous instruire quand il nous fait lire dans notre propre coeur. [Lettre 113]

Ce beau texte décrit le repos du fond où l’on écoute la grâce :

[211] Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s'efface pas. Ce recueillement passif est très différent de l'actif, qu'on se procure par travail et par industrie en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci [le passif] n'est qu'un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l'objet distinct de nos pensées au-dehors, qu'il est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix sans empressement ni inquiétude tout ce qu'on a à faire.  L'esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action dès que l'activité de l'amour-propre commence à s'y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel, et remet l'âme avec Dieu pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état, l'âme est libre dans toutes les sujétions extérieures ; parce qu'elle ne prend rien pour elle de tout ce qu'elle fait. […] [212]

 Le silence que nous lui devons pour l'écouter, n'est qu'une simple fidélité à n'agir que par dépendance, et à cesser dès qu'il nous fait sentir que cette dépendance commence à s'altérer. Il ne faut qu'une volonté souple, docile, et dégagé de tout, pour s'accommoder à cette impression. L'esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n'est point une inspiration miraculeuse, qui expose à l'illusion et au fanatisme. Ce n'est qu'une paix du fond, pour se prêter sans cesse à l'Esprit de Dieu dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien [213] pratiquer que les commandements évangéliques. [Lettre 119]

La difficulté est de se confier à Dieu sans savoir où l’on va :

Il faut imiter la foi d'Abraham, et aller toujours sans savoir où. On ne s'égare que par se proposer un but de son propre choix. Quiconque ne veut rien que la seule volonté de Dieu, la trouve partout, de quelque côté que la Providence le tourne ; et par conséquent il ne s'égare jamais. Le véritable abandon n'ayant aucun chemin propre, ni dessein de se contenter, va toujours droit comme il plaît à Dieu. La voie droite est de se renoncer, afin que Dieu seul soit tout et que nous ne soyons rien. J'espère que celui qui nourrit les petits oiseaux, aura soin de vous. [Lettre 128, 224]

Qu’est-ce qu’être rien ?

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C'est sur le rien qu'il n'y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n'a point un moi dont il s'occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l'être. Souffrez en paix, abandonnez-vous : allez comme Abraham, sans savoir où. Recevez des hommes le soulagement que Dieu vous donnera par eux. Ce n'est pas d'eux, mais de lui par eux qu'il faut les recevoir. Ne mêlez rien à l'abandon non plus qu'au rien. Un tel vin doit être bu tout pur et sans mélange : une goutte d'eau lui ôte toute sa vertu. On perd infiniment à vouloir retenir la moindre ressource propre. Nulle réserve, je vous conjure. [Lettre 162, 299]

L’abandon n’est pas une noble attitude ou une contemplation de soi-même :

On serait tenté de croire que la faiblesse et la petitesse sont incompatibles avec l'abandon, parce qu'on se représente l'abandon comme une force de l'âme, qui fait par générosité d'amour et par grandeur de sentiments les plus héroïques sacrifices. Mais l'abandon véritable ne ressemble pas à cet abandon flatteur. L'abandon est un simple délaissement dans les bras de Dieu comme celui d'un petit enfant dans les bras de sa mère. L'abandon parfait va jusqu'à abandonner l'abandon même. On s'abandonne sans savoir qu'on est abandonné : si on le savait, on ne le serait plus ; car y a-t-il un plus puissant soutien qu'un abandon connu et possédé ? L'abandon se réduit non à faire de grandes choses qu'on puisse se dire à soi-même, mais à souffrir sa faiblesse et son impuissance ; mais à laisser faire Dieu sans pouvoir se rendre témoignage qu'on le laisse faire. (Lettre 171, 318)

Votre amour propre est au désespoir quand d'un côté vous sentez au-dedans de vous une jalousie si vive et si indigne, et quand d'autre côté vous ne sentez que distraction, que sécheresse, qu'ennui, que dégoût pour Dieu. Mais l'œuvre de Dieu ne se fait en nous qu'en nous dépossédant de nous-mêmes à force d'ôter toute ressource de confiance et de complaisance à l'amour-propre. Vous voudriez vous sentir bonne, droite, forte et incapable de tout le mal. Si vous vous trouviez ainsi, vous seriez d'autant plus mal que vous vous croiriez assurée d'être bien. Il faut se voir pauvre, se sentir corrompue et injuste, ne trouver en soi que misère, en avoir horreur, désespérer de soi, n'espérer plus qu'en Dieu, et se supporter soi-même avec une humble patience sans se flatter. (Lettre 195, 364-365)

Ce passage important nous permet d’affirmer qu’il partage l’expérience de M. Bertot et Mme Guyon, porter les souffrances des autres en union de grâce avec eux :

Que puis-je être auprès de vous ! Mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement en lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous ; je porte avec vous votre croix et toutes vos langueurs. [Lettre 164, 305]

Il retrouve ici les accents de M. Bertot pour appeler tous les disciples à le rejoindre en Dieu :

Demeurons tous dans notre unique centre, où nous nous trouvons sans cesse, et où nous ne sommes tous qu'une même chose. […] Il ne faut être qu'un. Je ne veux connaître que l'unité. Tout ce que l'on compte au-delà, vient de la division et de la propriété d'un chacun […] Comme ceux qui n'ont qu'un seul amour sans propriété ont dépouillé le moi, ils n'aiment rien qu'en Dieu et pour Dieu seul. Au contraire, chaque homme possédé de l'amour-propre n'aime son prochain qu'en soi et pour soi-même. Soyons donc unis pour n'être rien que dans notre centre commun, où tout est confondu, sans ombre de distinction. C'est là que je vous donne rendez-vous, et que nous habiterons ensemble. C'est dans ce point indivisible que la Chine et le Canada se viennent joindre, c'est ce qui anéantit toutes les distances. (Lettre 172, 319-320)

 

   Directions spirituelles : un exemple.   

Nous possédons une quinzaine de correspondances qui s’étendent sur des années avec des personnes bien identifiées : elles montrent combien l’archevêque était disponible et attentif envers ses dirigé(e)s aux tempéraments si divers, depuis la mystique Charlotte jusqu’à la scrupuleuse comtesse de Montberon (destinataire de 246 lettres !), en passant par l’assez jeune marquis de Blainville et l’ami dom François Lamy. S’y ajoutent bien d’autres correspondants occasionnels ou inconnus. Mais quelle que soit la personnalité, ce directeur ne se départissait jamais d’une grande finesse.

La correspondante la plus importante fut la duchesse de Mortemart, mais comme nous pensons qu’elle est l’héritière de Mme Guyon dans la direction des disciples, nous lui avons consacré une section personnelle (voir infra).

La plus intéressante est Charlotte de Saint-Cyprien (1670 ? -1747), une jeune intellectuelle protestante convertie au point de rentrer chez les carmélites[617]. Fénelon l’encourage, puis plusieurs années passent, où Charlotte s’approfondit ; enfin, il lui accorde son amitié et se confie à elle. Nous disposons de lettres couvrant l’entrée dans la vie religieuse et dans l’intériorité mystique de 1689 à 1696, puis la maturité de 1711 à 1714[618]. A cause de leur grand intérêt, nous donnerons des extraits de la série complète des lettres.

Janvier 1689 : Charlotte craint son engagement et s’embarrasse de ses défauts : Si vous abandonnez sans réserve toutes vos imperfections à l’esprit de Dieu, il les dévorera comme le feu dévore la paille ; mais, avant que de vous en délivrer, il s’en servira pour vous délivrer de vous-même et de votre orgueil. […] Courage ! aimez, souffrez, soyez souple et constante dans la main de Dieu.

Au mois de mai, elle fait profession dans une cérémonie « rehaussée par un sermon de Bossuet ».

Août 1695 : Charlotte est encore une intellectuelle :  Vous n’avez point d’expérience ; vous n’avez que de la lecture, avec un esprit accoutumé au raisonnement dès votre enfance. On pourrait même vous croire bien plus avancée que vous ne l’êtes. Voilà ce qui me fait tant désirer que vous marchiez toujours dans la voie de la plus obscure foi et de la plus simple obéissance. 

 Plus on a de talents et plus on a besoin d’en éprouver l’impuissance. Il faut être brisé et mis en poudre, pour être digne de devenir l’instrument des desseins de Dieu. 

Novembre : N’obéissez point à un homme, parce qu’il raisonne plus fortement ou parle d’une manière plus touchante qu’un autre, mais parce qu’il est l’homme de Providence pour vous […] Le directeur ne nous sert guère à nous détacher de notre propre sens, quand ce n’est que par notre propre sens que nous tenons à lui. O ma chère sœur, que je voudrais vous appauvrir (4) du côté de l’esprit ! 

Décembre : Je voudrais vous voir pauvre d’esprit, et ne vous reposant plus que dans le commerce des simples et des petits. Les talents sont de Dieu, et ils sont bons quand on en use sans y tenir ; mais quand on les cherche, quand on les préfère à la simplicité, quand on dédaigne tout ce qui en est dépourvu, quand on veut toujours le plus sublime dans les dons de Dieu, on n’est point encore dans le goût de pure grâce. Au nom de Dieu, laissez là votre esprit, votre science, votre goût, votre discernement. 

Décembre toujours, Fénelon enfonce le clou :

 J’ai un désir infini que vous soyez simple, et que vous n’ayez plus d’esprit. Je voudrais que Dieu flétrît vos talents, comme la petite vérole efface la beauté des jeunes personnes. Quand vous n’aurez plus aucune parure spirituelle, vous commencerez à goûter ce qui est petit, grossier et disgracié selon la nature, mais droit selon la pure grâce : vous ne déciderez plus, vous ne mépriserez plus rien ; vous ne serez plus amusée par vos idées de perfection. 

Mars 1696, la plus longue lettre est un vrai petit traité intérieur : 

 L’âme qui contemple de la manière la plus sublime, doit être la plus détachée de sa contemplation, et la plus prompte à rentrer dans la méditation […] il n’est pas nécessaire d’avoir toujours une vue actuelle du Fils de Dieu ni une union aperçue avec lui. Il suffit de suivre l’attrait de la grâce, pourvu que l’âme ne perde point un certain attachement à Jésus-Christ dans son fond le plus intime, qui est essentiel à sa vie intérieure. […] L’acte d’adoration de l’Être spirituel, infini et incompréhensible, qui ne peut être ni vu, ni senti, ni goûté, ni imaginé, etc., est l’exercice tout ensemble du pur amour et de la pure foi. Persévérez dans cet acte sans scrupule : y persévérer, c’est le renouveler sans cesse d’une manière simple et paisible. Ne le quittez point pour d’autres choses, que vous chercheriez peut-être avec inquiétude et empressement, contre l’attrait de votre grâce. […]

 L’activité que les mystiques blâment n’est pas l’action réelle et la coopération de l’âme à la grâce ; c’est seulement une crainte inquiète, ou une ferveur empressée qui recherche les dons de Dieu pour sa propre consolation. L’état passif, au contraire, est un état simple, paisible, désintéressé, où l’âme coopère à la grâce d’une manière d’autant plus libre, plus pure, plus forte et plus efficace, qu’elle est plus exempte des inquiétudes et des empressements de l’intérêt propre.

 La propriété que les mystiques condamnent avec tant de rigueur, et qu’ils appellent souvent impureté, n’est qu’une recherche de sa propre consolation et de son propre intérêt dans la jouissance des dons de Dieu, au préjudice de la jalousie du pur amour, qui veut tout pour Dieu, et rien pour la créature […] Ce qu’on appelle d’ordinaire un désir est une inquiétude et un élancement de l’âme pour tendre vers quelque objet qu’elle n’a pas ; en ce sens, l’amour paisible ne peut être un désir : mais on entend par ce désir la pente habituelle du cœur, et son rapport intime à Dieu, l’amour est un désir ; et en effet, quiconque aime Dieu, veut tout ce que Dieu veut. […] Ce n’est pas leur force [des désirs] qui m’est suspecte ; ce que je crains, c’est l’âpreté, c’est l’inquiétude qui fait cesser le recueillement. Je demande donc que, sans combattre le désir, on n’y tienne point, et qu’on ne veuille pas même en juger. […]

 Voilà les principales choses de la doctrine de la vie intérieure, que je ne puis vous expliquer ici qu’en abrégé et à la hâte, mais qui sont capitales pour vous préserver de l’illusion. 

Août : Vous avez une sorte de simplicité que j’aime fort ; mais elle ne va qu’à retrancher tout artifice et toute affectation : elle ne va pas encore jusqu’à retrancher les goûts spirituels, et certains petits retours subtils sur vous-même. Vous avez besoin de ne vous arrêter à rien, et de ne compter pour rien tout ce que vous avez, même ce qui vous est donné […] Je le prie d’être toutes choses en vous, et de vous préserver de toute illusion ; ce qui arrivera si vous allez, comme dit le bienheureux Jean de la Croix, toujours par le non-savoir dans les vérités inépuisables de l’abnégation de vous-même : n’en cherchez point d’autres. 

Décembre :  En vérité on ne peut être à vous plus que j’y suis en N. S. Il me semble que cela augmente tous les jours. 

Décembre (?) :  Il faut s’oublier, pour retrancher les attentions de l’amour-propre, et non pour négliger la vigilance qui est essentielle au véritable amour de Dieu. 

Quinze ans ont passé. Charlotte mûrie est devenue une confidente :

Janvier 1711 :  Je n’ai point, ma très honorée sœur, la force que vous m’attribuez. J’ai ressenti la perte irréparable que j’ai faite avec un abattement qui montre un cœur très faible. […] Je vous raconte tout ceci pour ne vous représenter point ma tristesse, sans vous faire part de cette joie de la foi dont parle S. Augustin, et que Dieu m’a fait sentir en cette occasion. 

Décembre 1711 : « Ma très honorée sœur, 

 A l’égard de vos lectures, je ne saurais les regretter, pendant qu’il plaît à Dieu de vous en ôter l’usage. […] Quand Dieu nourrit au-dedans, on n’a pas besoin de la nourriture extérieure. La parole du dehors n’est donnée que pour procurer celle du dedans. Quand Dieu, pour nous éprouver, nous ôte celle du dehors, il la remplace par celle du dedans pour ne nous abandonner pas à notre indigence. Demeurez donc en silence et en amour auprès de lui. […] Pleurez, sans vous contraindre, les choses que vous dites que Dieu vous ordonne de sentir, mais j’aime bien ce que vous appelez votre stupidité. Elle vaut cent fois mieux que la délicatesse et la vivacité de sentiments sublimes, qui vous donneraient un soutien flatteur. […] je serai jusqu’à la mort intimement uni à vous avec zèle. 

Mars 1714 : Les dépouillements les plus rigoureux sont adoucis, dès que Dieu détache le cœur des choses dont il dépouille. Les incisions ne sont nullement douloureuses dans le mort ; elles ne le sont que dans le vif. Quiconque mourrait en tout, porterait en paix toutes les croix. Mais nous sommes faibles, et nous tenons encore à de vaines consolations. Les soutiens de l’esprit sont plus subtils que les appuis mondains ; on y renonce plus tard et avec plus de peine. Si on se détachait des consolations les plus spirituelles dès que Dieu en prive, on mettrait sa consolation, comme dit l’Imitation de Jésus-Christ, à être sans consolation dans sa peine. Je serais ravi d’apprendre l’entière guérison de vos yeux ; mais il ne faut pas plus tenir à ses yeux qu’aux choses les plus extérieures. Je serai jusqu’au dernier soupir de ma vie intimement uni à vous.

A Cambrai, Fénelon se révéla comme un pasteur proche des gens, menant une vie très simple et traitant tout le monde sur un pied d’égalité.

 Il dut faire face à la guerre qui avait envahi son diocèse :

Si la guerre dure, nous allons être ruinés sans ressource. Les armées seront sur nos terres. D’ailleurs le moindre événement enlèvera toute cette frontière à la France. Il faut attendre en paix la volonté du P.[etit] M.[aître] et le laisser se jouer de nous. (Lettre 1373. A Mme Guyon. 4 ? mai 1710)

 La misère fut terrible, surtout pendant l’épouvantable hiver 1709 : il s’employa à la soulager autant que possible.

En février 1712, il eut la douleur d’apprendre la mort du dauphin, emporté par l’épidémie de rougeole qui sévissait à la Cour. Tout espoir d’avoir un roi chrétien était détruit. Obligé d’abandonner son dernier attachement mondain, il écrit à Chevreuse :

Hélas, mon bon Duc, Dieu nous a ôté toute notre espérance pour l’Eglise et pour l’Etat. Il a formé ce jeune prince. Il l’a orné, il l’a préparé pour les plus grands biens. Il l’a montré au monde, et aussitôt il l’a détruit. Je suis saisi d’horreur, et malade de saisissement, sans maladie. (Lettre 1532, 27 février 1712)

Il mourut à soixante-quatre ans le 7 janvier 1715 des suites d’un accident de carosse, et, au grand dam de sa famille, « sans devoir un sou et sans nul argent » (Saint-Simon).

 

 


 

 

 

 

 

III

LES

FILIATIONS

DE LA

QUIETUDE

1717-1792


 

L’essentiel repose sur des mystiques cachés qui assurent de génération en génération le renouveau d’un même élan intérieur.

Au coeur d’une filiation qui s’étend sur deux siècles, nous avons vu M. Bertot créer un cercle mystique autour du monastère des bénédictines de Montmartre, puis Mme Guyon poursuivre la grande tâche qu’est la formation des mystiques. Après la ‘querelle’[619], une fois les épreuves surmontées[620], son rayonnement se répandit auprès de disciples ‘cis’ (français) et ‘trans’ (étrangers) : après sa libération en 1703, les quatorze années qui lui restent à vivre dans sa retraite de Blois, serviront à madame Guyon pour préparer une renaissance spirituelle qui va couvrir plusieurs pays.  

Après la disparition de Fénelon en 1715 et la sienne en 1717, ses disciples appartiendront à toute l’Europe du XVIIIe siècle. Puis, nous perdons la trace de ce courant mystique dans la première moitié du XIXe siècle, bien que son influence s’étende encore à des milieux culturels variés.

La diversité des filiations de la Quiétude s’explique par le contexte culturel qui voit un affaiblissement des dépendances religieuses. Lorsque la culture religieuse cède place à la culture laïque, se produit un éclatement ou « étoilement » des expressions de l’expérience mystique. Le vécu mystique, dispersé dans ses expressions, sera alors trop facilement circonscrit à l’humain, par absence de langue commune, réduction encouragée par l’approfondissement de nos approches psychologiques.

Dans la synthèse précédente, nous espérons avoir apporté des éléments nouveaux à des figures historiquement connues : nous avons découvert leurs liens ignorés ou du moins sous-estimés.

Dorénavant les figures seront moins connues, plus nombreuses et les appartenances religieuses ou civiles seront diverses. C’est pourquoi nous nous étendrons plus largement et longuement dans la description de ce « delta spirituel » : le fleuve va se ramifier, couler plus lentement, et surtout devenir européen.

Le tableau suivant résume pour le Siècle des Lumières l’extension en de multiples cercles qui succèdent à ceux de madame Guyon à Blois et de Fénelon à Cambrai. Quelques repères y sont donnés situant des figures méconnues ou du moins diverses dans leurs filiations. Elles sortent du cadre traditionnel catholique français : elles deviennent européennes.


 

Des filiations européennes

      Madame Guyon & Fénelon

      1647-1717          1651-1715

    |                  |                            |                            |

« Cis »              « Trans »                 « Trans »                 « Trans »

France              Écosse                   Hollande                 Suisse

Allemagne

         |             |                            |                            |

Chevreuse/s     J & G Garden         Poiret                     

Pé.d’Echweiler

-1712 & -1732   -1699 & -1733         1646-1719       1682-1740

Beauvillier/s      Ramsay                  Metternich      Fleischbein

-1714 & -1733   1686-1743              -1731                 1700-1774

Dupuy              Forbes 16th            Tersteegen      Klinckow.

- >1737            1689-1761              1697-1769          -1774

Marquis de F.    Deskford                                     Dutoit

1688-1746        1690-1764                                    1721-1793

Mortemart                                                           Fabr. de Zelle

1665-1750                                                            -1793

                                                                           Pétillet             

                                                                           Langalerie

                                                                          Constant                                                                          -1837

Les disciples « cis » et « trans » sont distribués verticalement suivant leur chronologie, horizontalement selon quatre zones. Les relations croisées sont omises. Pour des couples ou des frères, les dates de décès sont séparées par ‘&’.


Ce tableau Des Filiations européennes résume un pan méconnu de l’histoire des mystiques en Occident. Leur influence croît avec la distance géographique qui les sépare de leur source historique, le centre du royaume de France, où ils furent réprimés politiquement et religieusement. Ils n’exercèrent donc qu’une influence cachée sur Milley, Caussade ou Grou, trois mystiques pourtant proches par leur Abandon à la Providence divine. 

A Blois, les disciples catholiques « cis » fréquentèrent les visiteurs protestants étrangers, ou influencèrent ceux qui ne pouvaient prendre le risque de venir en France, tel le pasteur Poiret, ainsi que plus tard des rénovateurs religieux anglais, tel Wesley.

Nous commençons par les « cis ». Ces proches de madame Guyon et de Fénelon appartenaient déjà au cercle quiétiste parisien : les familles des deux ducs ; la « petite duchesse » de Mortemart, confidente aimée de madame Guyon, qui lui succéda très probablement spirituellement ; le marquis de Fénelon, jeune neveu de l’archevêque, blessé à la guerre en 1711, que Mme Guyon aimait bien et appelait son « cher boiteux » ; c’est lui que Dupuy, l’homme de confiance, instruira sur l’histoire de la ‘querelle’.

Ensuite nous aborderons l’Écosse avec les frères Garden, héritiers de la mystique épiscopalienne devenus disciples, puis avec le Chevalier Ramsay qui servit un temps de secrétaire à la « dame directrice ». Plusieurs disciples membres de grandes familles écossaises étaient présents en juin 1717 à son agonie. Ils poursuivirent une vie intérieure profonde tout en assumant pleinement fonctions et responsabilités.

En Hollande, l’éditeur de l’œuvre guyonienne, Pierre Poiret, et son groupe exercèrent une influence déterminante en Allemagne sur Metternich et sur le futur théologien Tersteegen.

 Enfin une cohorte que nous n’avons pas pu ni voulu dissocier, l’une vaudoise de langue française, l’autre germanique, mais pratiquant l’une et l’autre langue, nous acheminera jusqu’au premier tiers du XIXe siècle.


 

LA FILIATION « CIS » EN FRANCE

Nous allons parler maintenant des disciples français de madame Guyon, ceux qu’elle rassemble sous le surnom de « cis » dans sa correspondance de Blois.

Les Beauvillier et les Chevreuse

Son influence s’est propagée dans tous les milieux de la société, pas seulement dans les couvents et autres « spécialistes » de la spiritualité, mais au milieu de gens qui n’étaient pas supposés s’intéresser à la mystique : la Cour de Louis XIV. C’est en effet parmi les grands du royaume que la grâce a eu l’humour de choisir quelques disciples parmi les plus profonds.

Ils furent les amis de toute une vie, et restèrent fidèles même quand elle avait disparu à la Bastille. Cette présence de mystiques à la Cour dérangeait Bossuet et Mme de Maintenon car ils se référaient à des lois supérieures au pouvoir temporel.

Le duc de Beauvillier (1648-1714) et le duc de Chevreuse (1656-1712) étaient intimement unis malgré des tempéraments différents. Ils étaient beaux-frères car ils avaient épousé deux filles de Colbert. Ils assumèrent des responsabilités importantes au sein du gouvernement de Louis XIV : le roi conserva toujours une confiance absolue envers leur honnêteté et leur absence d’ambition personnelle.

En apprenant que le jeune duc de Beauvillier passa par l’armée, étape obligatoire pour un noble, mais la quitta car il ne s’y plaisait pas. Puis, au grand étonnement de la Cour, il fut nommé chef du conseil royal des finances en 1685 avec l’appui de Mme de Maintenon. Le roi estimait cet homme cultivé et d’une moralité irréprochable, au point de lui confia ses petits-fils : Beauvillier devint Gouverneur du duc de Bourgogne, puis du duc d’Anjou et du duc de Berry. Louis XIV lui accorda toujours une confiance absolue malgré la tempête provoquée par la condamnation du quiétisme et le retournement de Mme de Maintenon. Toujours président en 1697 de ce conseil des finances, il faisait partie du Conseil d’en haut. Son influence était considérable :

Pour la plus grande et la plus importante délibération qui, de tout ce long règne, eût été mise sur le tapis. Le Roi, Monseigneur, le Chancelier, le duc de Beauvillier, et Torcy, et il n’y avait lors point d’autre ministres d’État que ces trois derniers, furent les seuls qui délibérèrent sur cette grande affaire [de la succession d’Espagne, en 1700] [621].

Quant à Charles-Honoré duc de Chevreuse, il fut élève des Petites Écoles de Port-Royal (les Trois discours sur la condition des grands de Pascal lui auraient été adressés), mais il prit ses distances vis-à-vis des jansénistes. Il épousa Jeanne-Marie Colbert avec qui il vécut en parfaite union. Conseiller particulier de Louis XIV, il terminera après 1704 en « ministre d’État sans en avoir l’apparence » puisque « les ministres des Affaires étrangères, de la Guerre, de la Marine et des Finances avaient ordre de ne lui rien cacher[622] ».

On trouve une description très vivante des deux ducs chez Saint-Simon, qui était leur ami même s’il ne partageait guère leur attachement à la « dame directrice ». Cette amitié se poursuivra jusqu’à leur mort. On appréciera le témoignage sur Beauvillier porté par un homme qui n’est ni dévot ni mystique, mais dont l’admiration pour M. de la Trappe atteste d’une vive perception de la fugacité de toute condition humaine :

Il [Beauvillier] n’avait jamais souhaité aucune place […] Il n’y avait d’attachement que pour le bien qu’il y pouvait faire […] Il n’avait qu’à attendre la volonté de Dieu, en paix et avec soumission […] Il m’embrassa avec tendresse, et je m’en allai si pénétré de ces sentiments si chrétiens, si élevés et si rares, que je n’en ai jamais oublié les paroles, tant elles me frappèrent... 2.8 (124)[623].

Saint-Simon admira beaucoup la solidité intérieure des disciples de Mme Guyon face à l’épreuve alors qu’ils risquaient de tout perdre. Quand la foudre s’abattit, la Cour se détourna d’eux, mais leur contenance paisible força l’estime du roi :

On sut que l’abbé de Beaumont, sous-précepteur ; l’abbé de Langeron, lecteur ; Dupuis et l’Échelle, gentilshommes de la manche de Mgr le duc de Bourgogne, étaient chassés sans aucune conservation pécuniaire, et Fénelon, exempt des gardes du corps, cassé, sans autre faute que le malheur d’être frère de M. de Cambrai. […] (129) En même temps que ces amis de M. de Cambrai furent chassés[624], madame Guyon fut transférée de Vincennes, où était le P. La Combe, à la Bastille, et sur ce qu’on lui mit auprès d’elle deux femmes pour la servir, peut-être pour l’espionner, on crut qu’elle était là pour sa vie. Cet éclat ne laissa pas de porter fortement sur les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, et sur leurs épouses. […]

Mesdames de Chevreuse et de Beauvilliers, accoutumées à voir l’élite des dames se rassembler autour d’elles partout, se trouvèrent tout ce voyage-là [à Marly] et quelques autres ensuite, fort esseulées. Personne ne les approcha dans celui-ci, et si le hasard ou quelque soin, en amenait auprès d’elles, c’était (130) sur des épines, et elles ne cherchaient qu’à se dissiper, ce qui arrivait bientôt après. Cela parut bien nouveau et assez amer aux deux sœurs ; mais semblables à leurs maris en vertus et en bienséances, elles ne coururent après personne, se tinrent tranquilles, virent sans dédain ce flux de la cour […] Tout cela eut un temps, et peu à peu, on se rapprocha d’eux et d’elles, parce qu’on vit le roi les traiter avec la même distinction...

Pendant ces dégoûts, La Reynie interrogea plusieurs fois madame Guyon et le P.  La Combe. Il se répandit que ce barnabite disait beaucoup, mais que madame Guyon se défendait avec beaucoup d’esprit et de réserve[625].

Parmi les figures de proue du « petit troupeau », figuraient la fille de Fouquet et les épouses des ducs, filles de Colbert : Saint-Simon témoigne de l’union qui régnait entre elles, très admirable quand on sait comment Colbert a détruit Fouquet :

(133) La duchesse de Béthune était la grande âme du petit troupeau, l’amie de tous les temps de madame Guyon, et celle devant qui M. de Cambrai était en respect et en admiration, et tous ses amis en vénération profonde. Le petit troupeau avait donc réuni dans une liaison intime la fille de M. Fouquet et les filles de M. Colbert.

Saint-Simon s’amuse cruellement de l’attachement du duc de Charost envers Fénelon :

[Le duc de Charost] était intimement de mes amis […] il me lâcha avec un air de mépris pour M. de la Trappe que c’était mon patriarche devant qui tout autre n’était rien. Ce mot enfin combla la mesure. « Il est vrai (135) répondis-je d’un air animé, que ce l’est, mais vous et moi avons chacun le nôtre, et la différence qu’il y a entre les deux, c’est que le mien n’a jamais été repris de justice. » Il y avait déjà longtemps que M. de Cambrai avait été condamné à Rome.

À ce mot voilà Charost qui chancelle (nous étions debout), qui veut répondre, et qui balbutie ; la gorge s’enfle, les yeux lui sortent de la tête, et la langue de la bouche. Mme de Nogaret s’écrie, Mme du Châtelet saute à sa cravate qu’elle lui défait et le col de sa chemise, Mme de Saint-Simon court à un pot d’eau, lui en jette et tâche de l’asseoir et de lui en faire avaler. […] Quand il fut sorti, les dames me grondèrent, et se mirent toutes trois sur moi ; je ne fis qu’en rire.

Saint-Simon admire le courage de Beauvillier qui, devant le roi, persiste dans son amitié pour Fénelon et affirme son obéissance au pape :

2.17 Le pape prononça la condamnation. [...] (265) Le roi revenant de la messe trouva M. de Beauvilliers dans son cabinet pour le conseil qui allait se tenir. Dès qu’il l’aperçut il fut à lui et lui dit : “Eh bien, Monsieur de Beauvilliers, qu’en direz-vous présentement ? Voilà M. de Cambrai condamné dans toutes les formes -- Sire, répondit le duc d’un ton respectueux, mais néanmoins élevé, j’ai été ami particulier de M. de Cambrai, et je le serai toujours, mais s’il ne se soumet pas au pape, je n’aurai jamais de commerce avec lui. » Le roi demeura muet, et les spectateurs en admiration d’une générosité si ferme d’une part et d’une déclaration si nette de l’autre, mais dont la soumission ne portait que sur l’Église.

Quant à Chevreuse, sa large correspondance indique combien Mme Guyon avait confiance en lui : il était son fidèle « agent de liaison ». Dans le « tombeau » que Saint-Simon lui élève à son décès, nulle trace de la férocité connue de Saint-Simon envers les médiocres. Il ne comprend pas l’abandon du couple Chevreuse à madame Guyon mais admire la droiture et la probité de Chevreuse, effets visibles d’une vie entièrement vouée à une profonde intériorité :

M. de Chevreuse, qui était assez grand, bien fait, et d’une (269) figure noble et agréable, n’avait guère de bien. Il en eut d’immenses de la fille aînée et bien-aimée de M. Colbert, qu’il épousa en 1667. […] Madame de Chevreuse était une brune, très aimable femme, grande et très bien faite, que le roi fit incontinent dame du palais de la reine ; elle sut plaire à l’un et à l’autre, être très bien avec les maîtresses, mieux encore avec Madame de Maintenon, souvent, malgré elle, de tous les particuliers du roi, qui s’y trouvait mal à son aise sans elle, et tout cela sans beaucoup d’esprit, avec une franchise et une droiture singulière, et une vertu admirable qui ne se démentit en aucun temps.

 J’ai parlé ailleurs de l’union de ce mariage, de leur abandon à la fameuse Guyon et à l’archevêque de Cambrai, dont rien ne les put déprendre ; du ministère effectif, mais secret du duc de Chevreuse jusqu’à sa mort […] surtout sur Mgr le duc de Bourgogne, M. le duc d’Orléans, et M. le prince de Conti […] de sa dangereuse manière de raisonner, de la droiture de son cœur, et avec quelle effective candeur il se persuadait quelquefois des choses absurdes et les voulait persuader aux autres (270) […], mais toujours avec cette douceur et cette politesse insinuante qui ne l’abandonna jamais, et qui était si sincèrement éloignée de tout ce qui pouvait sentir domination ni même supériorité en aucun genre. Les raisonnements détournés, l’abondance de vues, une rapide, mais naturelle escalade d’inductions dont il ne reconnaissait pas l’erreur, étaient tout à fait de son génie et de son usage. Il les mettait si nettement en jour et en force avec tant d’adresse, qu’on était perdu si on ne l’arrêtait dès le commencement. […] C’est ce même goût de raisonnements peu naturels qui le livra avec un abandon qui dura autant que sa vie aux prestiges de la Guyon et aux fleurs de M. de Cambrai : c’est encore ce qui perdit ses affaires et sa santé […]

Sa déférence pour son père le ruina, par l’établissement de toutes ses sœurs du second lit dont il répondit, et les avantages quoique légers auxquels il consentit pour ses frères aussi du second lit, et qui ne pouvaient rien prétendre sans cette bonté. Il essuya des banqueroutes des marchands de ses bois […] (271) il était presque sans ressource lorsque le gouvernement de Guyenne lui tomba de Dieu […] Sa santé, il la conduisit de même.

Saint-Simon admire la paix que répandait son ami, la tendresse dont il était entouré, y compris de ses domestiques qui protègeaient sa vie intérieure :

Jamais homme ne posséda son âme en paix comme celui-là. (272) […] Le désordre de ses affaires, la disgrâce de l’orage du quiétisme qui fut au moment de le renverser, la perte de ses enfants, celle de ce parfait dauphin[626], nul événement ne put l’émouvoir ni le tirer de ses occupations et de sa situation ordinaire avec un cœur bon et tendre toutefois. Il offrait tout à Dieu, qu’il ne perdait jamais de vue ; et dans cette même vue, il dirigeait sa vie et toute la suite de ses actions. Jusqu’avec ses valets, il était doux, modeste, poli ; en liberté dans un intérieur d’amis et de famille intime, il était gai et d’excellente compagnie, sans rien de contraint pour lui ni pour les autres, dont il aimait l’amusement et le plaisir ; mais si particulier par le mépris intime du monde […]

Il ne connaissait pour son usage particulier ni les heures ni les temps, et il lui arrivait souvent là-dessus des aventures qui faisaient notre divertissement […] (273) Sur les dix heures du matin, on lui annonça un M. Sconin, qui avait été son intendant, qui s’était mis à choses à lui plus utiles, où M. de Chevreuse le protégeait. Il lui fit dire de faire un tour de jardin, et de revenir dans une demi-heure. Il continua ce qu’il faisait et oublia parfaitement son homme. Sur les sept heures du soir, on le lui annonce encore : “Dans un moment,” répondit-il sans s’émouvoir[627]. Un quart d’heure après, il l’appelle et le fait entrer. “Ah ! Mon pauvre Sconin, lui dit-il, je vous fais bien des excuses de vous avoir fait perdre votre journée - Point du tout, monseigneur, répond Sconin ; comme j’ai l’honneur de vous connaître, il y a bien des années, j’ai compris ce matin que la demi-heure pourrait être longue, j’ai été à Paris, j’y ai fait, avant et après dîner, quelques affaires que j’avais, et j’en arrive.” […]

(274) M. de Chevreuse écrivait aisément, agréablement et admirablement bien et laconiquement […] Il était, non pas aimé, mais adoré dans sa famille et dans son domestique […] (275) Il souffrit d’extrêmes douleurs avec une patience et une résignation incroyables […] et mourut paisible et tranquille dans ses douleurs, et à soi comme en pleine santé, au milieu de sa famille.

Si M.de Chevreuse avait […] essayé d’alléger ses chaînes […] d’allonger ses séjours de Dampierre aux dépens des voyages de Marly[628], pour y vivre à Dieu et à lui-même […] il avait fallu que le roi lui eût enfin parlé en ami qui le voulait sous sa main, à la suite de ses affaires […] Madame de Chevreuse n’était pas plus éblouie des distinctions et des particuliers où le roi la voulait toujours. […] (276) La mort du roi rompit ses chaînes ; elle se donna pour morte ; elle s’affranchit de tout devoir du monde […] Elle dormait extrêmement peu, passait une longue matinée en prières et en bonnes œuvres, rassemblait sa famille aux repas, qui étaient toujours exquis sans être fort grands, toujours surprise des devoirs que le monde ne cessa jamais de lui rendre (277) […] Jamais femme ne fut si justement adorée des siens, ni si respectée du monde jusqu’à la fin de sa vie...[629].

 

Isaac Dupuy  ( - apr.1737)

 

Ami du duc de Beauvillier, Isaac Dupuis (du Puy, ou du Puy) connut Mme Guyon dès les années 1687-1688[630]. Dans les lettres, il est désigné par le terme « Put[eus] » ou même « p. », à cause de l’étymologie latine de puits, en latin puteus.

Beauvillier le fit nommer au moment où Fénelon devenait précepteur du duc de Bourgogne. Une note d’Orcibal raconte son histoire : « Il avait été nommé le 1er septembre 1689 gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, qu’il devait accompagner partout. Il avait été auparavant porte manteau, puis gentilhomme ordinaire du Roi et, selon les Nouvelles ecclésiastiques, il appartenait à une « sainte société de gentilshommes qui demeurent près des carmes déchaussés de Paris et en était un des plus fervents[631]. » Saint Simon confirme qu’il « était initié de tout temps parmi les plus dévots de la cour, ce qui l’avait fait particulièrement connaître à M. de Beauvillier ; mais, ce qui est rare à un dévot de la Cour, c’est qu’il était fort honnête, fort droit, fort sûr, et, avec peu d’esprit, sensé et à l’esprit juste, fidèle à ses amis, sans intérêt, ayant fort lu et vu, et beaucoup d’usage du monde[632]. »

Il accompagna le « petit troupeau » dans sa chute.  Orcibal nous dit : « Dès janvier 1696, le duc de Noailles le désignait au Roi comme le responsable de la conversion de la duchesse de Guiche au quiétisme. […] On ne s'étonnera donc pas qu'il ait été chassé en juin 1698 avec les autres amis de Fénelon ». Celui-ci l’emmena avec lui à Cambrai car la disgrâce royale l’avait privé de tout travail.

L’homme de confiance

Le « bon Put » était à la fois un homme qui pratiquait l’oraison, et l’homme de confiance, le gestionnaire des biens de Mme Guyon en prison, le lien et porteur de nouvelles entre Cambrai et Blois, celui qui tient les cahiers de lettres de l’archevêque après les destitutions, dont la sienne, qui ont accompagné l’exil à Cambrai.

C’est Mme Guyon elle-même qui parle de lui dans une lettre de 1695, juste avant sa saisie et son long emprisonnement. Elle y expose ses soucis bien concrets et la confiance qu’elle voue à Dupuy dans cette période difficile[633] :

Je quitte absolument le lieu où je suis, je trouve un petit lieu à la campagne au bon air, mais il faut l’acheter : on me demande 2000 livres comptant, et j’ai un contrat à une fille qui me sert sur l’Hôtel de Ville au denier quatorze que j’espère qu’on me fera vendre pour faire cette somme ; sinon le bon put [Dupuy], sur mon billet, me les prêtera. Il n’y a que ce moyen de me les faire tenir, car il faut payer d’abord. Ainsi, nul ne saura que je serai dans ce lieu, je n’y verrai âme vivante et il sera ignoré de tous les Enfants [les membres du cercle quiétiste].

[…] Je vous envoie le contrat de la petite Marc[634] avec un billet de 600 livres pour put. Je vous prie qu’il me fasse toucher, le plus tôt qu’il se pourra, 2000 livres pour acheter ce petit lieu qu’on ne veut pas louer. Je vous serai sensiblement obligée. Je croyais vous envoyer le contrat de la petite Marc, mais je me souviens de l’avoir envoyé à M. Dupuy dans une cassette avec d’autres papiers, par la voie de la petite duchesse [de Mortemart].

Si M. Dupuis le cherche, il le trouvera, ou bien il faut savoir de la bonne p[etite] d[uchesse] si elle a gardé le coffre. Ce fut M. l’abbé de Charost qui le fit prendre chez M. Thévenier ; ayez la charité de savoir tout cela à Fontainebleau [la Cour], je vous en prie, et qu’on m’envoie au plus tôt un billet pour recevoir les 2000 livres. Voilà un billet de deux mille livres pour M. Dupuis ; s’il a le contrat et qu’il me le mande, il brûlera le billet de deux mille livres et je lui enverrai un de six cents livres.

Dans la seule lettre des années 1690 qui nous soit parvenue, Mme Guyon le qualifie de « bon enfant », ce qui signifie qu’il fait partie de ses « enfants » mystiques les plus aimés :

 …Le bon put [Dupuy] vous mandera bien des choses que nous avons dites ensemble. Il vous dira aussi la situation où nous sommes et les raisons, outre la mauvaise santé, qui ont empêché M. F[orbes] de vous aller voir. R[amsay] ne saurait le quitter. Ils sont bons enfants… [CG I] L. 294.

La « chasse à la Guyon » se terminera par l’arrestation du 27 décembre 1695 [635]. Lors de sa mise au secret en 1697 dans un « couvent-prison » constitué à cette fin, elle pense en mourir et fait son testament : 

 Le petit « couvent » est un lieu de bonne garde […] Voilà mon espèce de testament ; il faut l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [Put, Dupuy] a tout - c’est un bon enfant -. Le t[uteur Chevreuse] et vous, pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin[cennes] ». (Lettre à la petite duchesse de Mortemart).  µ date, numero ?                                                                                                                                                                                

Quand Mme Guyon se retira à Blois, les courriers entre Cambrai et Blois furent assurés par le marquis neveu de Fénelon, par Ramsay, et par Dupuy. Dupuy servit beaucoup d’intermédiaire pour les messages oraux dont aucune trace ne devait rester. Dans cette lettre de mai 1710, Mme Guyon demande à Dupuy d’informer Fénelon sur l’état de l’Eglise dévastée par un conflit entre jésuites et jansénistes :

[…] je ne prie que pour elle [l’Eglise] et je m’oublie absolument de tout le reste ; je vois ici un mal horrible[636]. Vous avez pu apprendre de p[ut] [Dupuy] tout ce qui s’y passe : je le lui ai mandé afin que vous en fussiez instruit.

Le rôle de Dupuy ne se limitait pas à la transmisssion d’informations : il était un ambassadeur spirituel pour Mme Guyon. Elle l’envoya à Fénelon afin de le consoler de la mort de Beauvillier. C’est dire combien elle le jugeait capable de prendre les gens en charge et leur faire du bien par sa seule présence spirituelle :

Nous avons perdu le Bon Duc [de Beauvillier]. J’ai écrit plusieurs lettres de consolation à notre cher père [Fénelon], qui devait s’attendre depuis longtemps à cette perte. Il ne laisse pas d’être fort affligé, vous connaissez son cœur. Je mande au bon Put [Dupuy] de l’aller trouver en cas que ses affaires le puissent permettre parce que je sais que ce serait une grande consolation pour lui. (Lettre 324, 29 septembre 1714)

Signe de profonde confiance, elle lui confia l’un des deux exemplaires de son dernier testament[637]. Jusqu’à la fin, elle se soucia avec tendresse de ce disciple et ami :

[…] Si vous voyez Put [Dupuy], dites-lui que j’ai reçu sa lettre et que je l’aime bien. S’il prenait un grain de cardamome, il n’aurait plus de toux : c’est le plus excellent et court remède[638].

Parallèlement à ces activités cachées, le travail officiel de Dupuy fut d’assurer le secrétairiat de Fénelon à Cambrai : il faisait une copie des lettres, qu’il classait par ordre chronologique et qu’il rassemblait en livre de lettres selon l’usage de l’époque.

Fénelon lui fit copier aussi la correspondance de Mme Guyon avec Chevreuse : pendant qu’elle était en prison, celui-ci avait servi de relais entre Mme Guyon et ses amis.  Dans ce livre de lettres qui couvre la période parisienne, nous pouvons suivre le combat de la ‘Dame directrice’ lors de la querelle du quiétisme[639]. Il existait aussi un livre des lettres copiées par La Pialière : Dupuy en corrigea les inexactitudes.

C’est ainsi que Dupuy a joué un rôle très important de conservation des documents du groupe. Son travail a permis aux disciples de posséder des lettres précieuses et à nous de pouvoir encore les lire à notre époque. Une profonde reconnaissance est due à Dupuy d’avoir transmis cet ensemble grâce auquel a été reconstituée la moitié de la correspondance guyonienne[640].

 

Un précieux manuscrit

Dupuy rendit encore un service important : à la mort de Fénelon, le marquis de Fénelon, son neveu, décida en tant qu’exécuteur testamentaire d’éditer les œuvres spirituelles de son oncle. Il fit appel à la bonne mémoire de Dupuy pour écrire sa préface[641]. Dupuy, qui avait été proche témoin de tous les événements et qui connaissait tout le monde, rédigea alors une Relation du différend entre Bossuet et Fénelon : demeuré manuscrit jusqu’à nos jours[642], ce texte bien rédigé est préférable à la Préface du marquis qui se devait d’être pleinement irénique[643]. Sans parti-pris, avec empathie, Dupuy analyse les ressorts psychologiques cachés des différents protagonistes de la « Querelle » : il en découle un exposé très clair, écrit par un esprit paisible, des causes réelles de toute cette agitation. On ne peut que comprendre les motivations de chacun.

 Nous nous étions tenus jusqu’à maintenant au vécu personnel de Mme Guyon bien négligé par les historiens. Voici une transcription partielle, éditée pour la première fois, de la Relation de Dupuy. Nous en donnons l’intéressant début, qui éclaire les motivations de chacun dans ce long combat public [644] :

Relation du différent entre Bossuet et Fénelon.

 (1) Vous me demandez, Monsieur, un récit fidèle de ce qui s’est passé dans le grand démêlé de Monsieur l’Archevêque de Cambrai avec Monsieur l’Archevêque de Paris et Messieurs les évêques de Meaux et de Chartres. […] Tout le monde sait la liaison qui était entre Monsieur de Meaux [Bossuet] et Monsieur l’abbé de Fénelon avant que ce dernier vînt à la Cour et fût fait précepteur de Monsieur le Duc de Bourgogne, les louanges que Monsieur de Meaux donna au choix que le roi en venait de faire et combien il parut s’intéresser à l’élévation d’un homme que l’on regardait également (2) comme son ami et son disciple ; mais les distinctions que l’on accorda à Monsieur l’Abbé de Fénelon auprès du prince à cause de sa naissance ; sa réputation qui devint grande tout d’un coup et la faveur de Madame de Maintenon resserrèrent le cœur de Monsieur de Meaux à son égard, et il ne put voir sans un peu de peine un homme qu’il regardait comme son disciple, traité d’une manière si différente de celle dont il l’avait été.

En effet il n’avait jamais eu ni la table de Monsieur le Dauphin ni son carrosse dans tout le temps qu’il avait été son précepteur, et l’on accorda l’un et l’autre à Monsieur de Fénelon dès les premiers jours qu’il eut l’honneur d’être auprès de Monsieur le duc de Bourgogne : il arrivait souvent que les manières douces et insinuantes avec lesquels on disait dans le public qu’il gagnait l’esprit du prince et lui rendait l’étude aisée et la lui faisait regarder plutôt comme un jeu que comme un assujettissement fâcheux, il arrivait, dis-je, souvent que ce discours porté aux oreilles de Monsieur de Meaux comme au meilleur ami de Monsieur de Fénelon, le blessait dans un endroit bien sensible, car l’on savait que sa conduite à l’égard de Monseigneur avait été toute contraire, et l’événement avait justifié qu’il ne s’y était pas bien pris, par le dégoût qu’il lui avait inspiré de toute sorte (3) d’étude.

Ces choses qui paraissent petites ne laissèrent pas de faire une impression assez grande dans l’esprit de Monsieur de Meaux, et quoiqu’au-dehors cela ne parut pas d’une manière bien marquée, leurs amis communs s’en aperçurent. Monsieur l’abbé de Fénelon cependant vivait avec lui à son ordinaire ; le voyait comme auparavant, et souvent l’invitait à se trouver à l’étude du Prince. Cinq ou six ans se passèrent de la sorte et ce qui restait du temps destiné pour l’éducation de Monsieur le Duc de Bourgogne aurait fini de même, sans les affaires de Madame Guyon µ phrase à revoir  fit entrer Monsieur de Meaux qui de son côté ne fut point fâché de reprendre avec Monsieur de Fénelon les airs de supériorité qu’il avait eus autrefois avec lui, car comme il s’agissait de doctrine, son caractère, son âge et sa réputation lui en donnaient une pour laquelle il savait que Monsieur l’Abbé de Fénelon était plein de respect et de déférence.

Madame Guyon sous prétexte de quiétisme, mais pour des intérêts particuliers avait été mise aux filles de Sainte-Marie par ordre du roi au commencement de l’année 1688. Madame de Maintenon qui la crut persécutée injustement, se fit une affaire auprès du roi de l’en tirer, elle la faisait entrer quelquefois dans Saint-Cyr, et trouvant (4) dans sa conversation et dans sa sorte de piété de quoi s’édifier, non seulement elle, mais quelques filles de cette maison qui souhaitèrent de la voir, elle leur permit de prendre confiance en elle et crut par le changement de quelques-unes dont elle n’était pas contente auparavant, n’avoir pas lieu de s’en repentir, elle en parla à Monsieur l’abbé de Fénelon qui l’avait connue peu de temps après sa sortie de Sainte-Marie, il ne s’opposa point à l’estime qu’elle paraissait avoir pour elle et lui en parla même en plusieurs occasions d’une femme pleine de piété et de vertu dont il pouvait rendre témoignage plus que personne ; parce qu’il s’était trouvé à portée de lui faire expliquer ses expériences, et de connaître à fond ses sentiments. […]

(6) […] Quelques jeunes dames de la Cour qui avait pris le père Alleaume jésuite pour directeur, le conservèrent au grand scandale de ceux qui n’aimaient pas les jésuites, et les jansénistes qui avaient beaucoup recherché Madame Guyon autrefois, eurent le déplaisir de croire que Monsieur le Duc de Chevreuse qu’ils avaient élevé dans Port-Royal et qu’ils regardaient comme un homme attaché au parti, les abandonnaient pour demeurer de ses amis. Il connaissait Madame Guyon depuis deux ou trois ans seulement, il avait été fort prévenu contre elle, et ayant intérêt de la connaître pour (7) des raisons très essentielles qui regardaient sa famille, il ne s’en voulut rapporter qu’à lui-même ; il le fit avec toute la précaution imaginable, et cet examen lui donna autant d’estime pour elle qu’il avait eue auparavant de prévention contre.

Monsieur le duc du Beauvillier ne donnait pas moins d’inquiétude à l’un et à l’autre de ces deux partis ; l’éducation des princes dont il était chargé, la confiance de Madame de Maintenon qu’il partageait avec Monsieur l’Abbé de Fénelon et ses emplois considérables qui l’attachaient auprès du Roi, le faisait regarder comme un homme qui pouvait beaucoup nuire ou servir. L’on savait l’estime qu’il avait pour Madame Guyon qu’il connaissait aussi depuis deux ou trois ans, et que la plupart de ses amis et ceux qui l’approchaient le plus la regardaient comme une personne d’une très grande vertu et en qui ils avaient beaucoup de confiance.

Son éloignement ne calma donc point les esprits échauffés de Saint-Cyr et de la Cour. L’on supposa qu’elle répandrait son poison de loin comme de près, et l’on crut que pour rendre sa doctrine plus suspecte, il fallait décrier ses mœurs. L’on mit tout en œuvre pour en venir à bout et ceux qui s’en mêlèrent y réussirent si bien qu’ayant persuadé Monsieur l’évêque de Chartres, il ne songea plus qu’à persuader aussi de son côté Madame de Maintenon et ceux de la Cour qu’il croyait des amis de Madame Guyon (8) ou entêtés de ses sentiments.

Madame de Maintenon tint bon quelque temps : ce qu’elle avait connu de Madame Guyon, ses lettres, ses écrits qu’elle avait goûtés, le témoignage que lui en rendaient d’ailleurs ceux de ses amis en qui elle avait alors le plus de confiance, lui faisait suspendre son jugement. Elle se rendit enfin aux instances de Monsieur l’évêque de Chartres et de quelques personnes qui y entrèrent avec des vues trop humaines ou avec des intérêts particuliers.

Un de ceux qui firent le plus de bruit contre Madame Guyon fut Monsieur Boileau. Il avait passé plusieurs années de sa vie à l’hôtel de Luynes où sa piété et son désintéressement lui avaient acquis l’estime de tous ceux qui faisaient profession d’en avoir ; il avait vu cette dame plusieurs fois, lui avait fait ses difficultés sur le petit livre intitulé le Moyen court, et avait paru satisfait de sa docilité.  µ revoir texte dernière phrase

Une femme extraordinaire qui se mit sous sa conduite en arrivant à Paris lui fit changer de sentiment ; elle l’assura que Madame Guyon était mauvaise et qu’elle causerait de grands maux à l’Église. Monsieur Boileau persuadé par cette femme, de la sainteté de laquelle il se croyait sûr, se joignit à ceux qui (9) persécutaient Madame Guyon. Sa prévention lui fit croire le mal qu’il en entendait dire, et bientôt il fut un de ses plus zélés persécuteurs. Il n’est pas aisé de pénétrer pourquoi Mademoiselle De la Croix, car c’est ainsi que s’appelait cette femme qui depuis a fait beaucoup de bruit dans Paris sous le nom de sœur Rose, parlait ainsi de Madame Guyon.

(11) […] Il était de l’ordre de ne rien négliger de ce qui pouvait contribuer à mettre et les esprits et les consciences en repos. Elle proposa elle-même Monsieur de Meaux qu’elle n’avait jamais vu, comme le plus propre à cet examen à cause de son savoir et de sa grande connaissance de la tradition. Monsieur le duc de Chevreuse se chargea de lui en parler ; il y témoigna d’abord quelque répugnance à cause de Monsieur l’Archevêque de Paris avec lequel il craignait de se compromettre, mais comme il ne s’agissait que de juger des expériences d’une personne qui cherchait la vérité et qui ne demandait qu’à être redressé supposé qu’elle se trompât, on lui fit entendre qu’il n’y avait rien en cela dont Monsieur de Paris put être blessé puisqu’il ne s’agissait point d’un jugement dogmatique qui dut paraître, mais seulement de son sentiment qu’elle regarderait comme la règle de sa conduite.

Monsieur de Meaux ayant accepté cette proposition et l’ayant vue une fois ou deux, elle le pria de lire et d’examiner ses écrits qu’elle lui fit remettre entre les mains, non seulement les (12) imprimés, mais tous les commentaires sur l’Écriture sainte ; c’était un grand travail et il demanda quatre ou cinq mois pour se donner le loisir de le tout voir […] Elle lui fit remettre sa Vie entre les mains.

L’obéissance la lui avait fait écrire ; et ses dispositions les plus secrètes étaient marquées avec beaucoup de simplicité aussi ce fut sous le secret de la confession que ces défis lui fut remise   µ ces récits lui furent remis ?    et il promit un secret inviolable. Il lut tout avec attention, en fit de grands extraits et se (13) mit en état au bout du temps qu’il avait demandé, de lui proposer ses difficultés et d’écouter les explications qu’elle y donnerait. Ce fut au commencement de l’année 1694. Le jour de cette conférence Monsieur de Meaux la communia de sa propre main et la vit chez Monsieur Janon, un ecclésiastique de ses amis où il lui avait donné rendez-vous. Il y porta tous ses extraits et un mémoire contenant plus de vingt articles à quoi se réduisaient ses difficultés. Il parut satisfait de ses réponses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à la pureté de la doctrine, mais il y eut un article ou deux sur quoi elle ne put le satisfaire. Il s’agissait de ses expériences, elle disait simplement ce qu’elle avait éprouvé, et ce qu’elle éprouvait encore, mais il la croyait trompée […] L’on peut croire qu’il fut arrêté par la nouveauté de la matière et par le peu d’usage qu’il avait des voies intérieures dont on ne peut guère bien juger que par l’expérience.

Cette conférence avait duré six ou sept heures, et Madame Guyon qui ne plus satisfaire Monsieur (14) de Meaux sur les articles de parler  µ ? , se regarda comme une personne trompée et dans l’illusion et voulut que ses amis la regardassent de même. Elle prit la résolution de se retirer beaucoup plus loin.

(15) […] Il s’était joint un peu de crainte naturelle au premier motif qui l’avait engagé à se retirer ; ce qu’elle avait souffert de la part de Monsieur l’Archevêque de Paris lorsqu’elle fut mise à Sainte-Marie, lui faisait craindre de retomber dans ses mains, il ignorait que Madame de Maintenon eût changée de sentiments pour elle ; mais cela ne pouvait être caché longtemps, et il était à craindre, piqué contre elle au point où il l’avait été, qu’il ne fît donner une nouvelle lettre de cachet (16) lorsqu’il la verrait privée d’une telle protection. Monsieur Fouquet fut le seul à qui elle se confia de sa retraite.

(17) […] Son éloignement qu’elle avait approuvé elle-même faisait apparemment tomber toute l’inquiétude que l’on avait prise sur son sujet. C’était en effet ce que l’on en devait présumer, mais on commençait à avoir un autre but. La confiance que Madame de Maintenon avait en Monsieur l’abbé de Fénelon et sa faveur qui se déclarait tous les jours donnait de l’ombrage à bien des gens ; l’occasion était trop belle pour la manquer, on le crut entamé dès que Madame de Maintenon s’était déclaré contre Madame Guyon, et l’on n’oublia rien de tout ce qui pouvait fortifier les soupçons qu’on lui donnait contre lui dès qu’on sentit qu’elle y prêtait l’oreille. Ses meilleures amies y entrèrent, mais avec des vues (18) différentes […]

Ce déchaînement qu’elle apprit dans sa retraite lui fit juger qu’on en voulait à d’autres qu’à elle[645] ; elle n’avait pas fait jusque-là un personnage assez considérable pour causer une si grande rumeur ; mais, quel qu’en pût être le motif, elle crut, puisqu’il s’agissait de ses mœurs, devoir rompre le silence et chercher à les justifier par une voie qui ne laissât plus rien à désirer. Pour cet effet elle écrivit à Madame de Maintenon (19) qu’elle la suppliait de lui faire donner par le Roi des commissaires pour informer à charge et à décharge sur toutes les choses qu’on lui imputait, qu’on lui fit son procès suivant toute la rigueur des lois […]

Monsieur le duc de Beauvillier voulut bien se charger de cette lettre et la faire tenir à Madame de Maintenon, mais elle ne jugea pas à propos d’entrer dans un expédient qui paraissait si naturel, elle répondit simplement à Monsieur de Beauvillier qu’elle ne croyait rien des bruits qui couraient sur Madame Guyon, que ce n’était point de ses mœurs dont il (20) s’agissait, qu’elle avait toujours cru très bonnes, mais du fonds de ses sentiments, et qu’il serait à craindre qu’en la justifiant sur les mœurs, l’on ne donnât trop de créances à sa doctrine qui était très mauvaise ;

[…] Jusque-là le roi n’avait point entendu parler de toutes ces affaires de Madame Guyon, l’on jugea à propos de lui en parler, et Madame de Maintenon le fit avec beaucoup de ménagement. Elle lui fit entendre qu’il y avait de petits livres de Madame Guyon qui commençaient à faire du bruit comme favorisant le quiétisme, que plusieurs jeunes dames de la cour qui la connaissaient et à qui elle avait fait beaucoup de bien en les retirant du monde et les portant à la piété, paraissaient y prendre une si grande confiance qu’il était à craindre qu’elle ne leur inspirât des sentiments dangereux, supposé qu’elle en eût, que cette dame ne demandait pas mieux que d’être redressée si on lui faisait connaître qu’elle se fut écartée le moins du monde du chemin battu et qu’elle (21) demandait avec insistance qu’on la fît examiner par des gens d’un caractère à lui mettre une bonne fois l’esprit en repos aussi bien qu’aux autres, que cet examen naturellement regardait Monsieur l’Archevêque de Paris

[ajout marginal d’autre main :] mais toutes les parties avaient si peu de confiance en lui [Harlay, Archevêque de Paris][…] qu’il lui en fallait ôter la connaissance pour la donner à des gens d’une piété aussi bien [que] d’un savoir reconnu ; [au roi] elle lui fit aussi connaître l’intérêt que Monsieur de Beauvillier et Monsieur de Chevreuse avaient à cet examen, tant à cause de ces jeunes dames et des autres amis de Madame Guyon dont ils étaient environnés, que parce qu’ils la connaissaient eux-mêmes et avait beaucoup d’estime pour elle à cause de sa vertu et de sa piété. Le roi se rendit à ces raisons et pour ne pas faire de peine à Monsieur l’Archevêque, dans le diocèse duquel cela se devait faire, il ne voulut pas paraître y avoir entré ni même savoir qu’il se fît.

Il ne s’agissait plus que de savoir sur qui on jetterait les yeux pour cet examen ; le premier qui se présenta [fut] Monsieur de Meaux, il en avait déjà fait un particulier quelques mois auparavant, et Madame de Maintenon qui le savait, le voulut voir pour sonder ses sentiments (22) et savoir jusqu’où elle pouvait compter sur lui dans la condamnation qu’elle voulait faire faire ; car c’était de cela dont il s’agissait et cet examen prétendu n’était que pour la rendre plus authentique et fermer la bouche à ce qu’une conduite trop passionnée aurait blessé ou éloigné du but qu’elle se proposait.

Il ne fut pas difficile à Monsieur de Meaux de pénétrer les intentions de Madame de Maintenon non plus que son inquiétude sur ses amis ; la confidence avait quelque chose de flatteur et il promit apparemment tout ce qu’on pouvait espérer de lui. D’un autre côté Madame Guyon et ceux qui s’intéressaient pour elle furent bien aise de l’y voir entrer ; il avait eu déjà connaissance de l’affaire et après un long examen où il n’était entré que par un esprit de charité, non seulement il lui avait administré les sacrements le jour de la conférence, mais même depuis il avait offert à Monsieur le Duc de Chevreuse le certificat dont il a été parlé, et de son aveu les choses sur lesquelles il n’avait pu convenir avec elle n’ayant pas été décidées par l’Église, n’en blessaient point la foi. Il fut donc choisi de part et d’autre avec le même agrément.

Madame Guyon à cause (23) de Madame la Duchesse de Guiche [la ‘petite duchesse’] qu’elle avait beaucoup vue, souhaita que Monsieur l’évêque de Chalon y entrât, il avait de la douceur et de la piété, et elle croyait qu’il avait quelque connaissance des voies intérieures dont il s’agissait plus ici que du dogme de l’Église.

Monsieur de Beauvillier et Monsieur l’Abbé de Fénelon souhaitèrent que Monsieur Tronson y entrât aussi : il était supérieur de la maison de Saint-Sulpice et ils avaient tous deux une confiance très particulière en lui depuis un grand nombre d’années. L’on demanda à ses trois messieurs un grand secret sur toute cette affaire ; elle aurait blessé Monsieur l’Archevêque qui l’aurait portée au Roi et s’en serait attribué la connaissance avant que de n’entrer dans aucune discussion.

Madame de Maintenon souhaita que Monsieur l’Abbé de Fénelon y entrât comme quatrième, et le Roi l’approuva ; il y avait de la répugnance à cause de la liaison qu’il avait eue avec Madame Guyon et les préventions où l’on était qu’il était trop entêté de ses sentiments ; cependant il ne put s’en défendre et il travailla de concert avec ces messieurs.

Dans la première entrevue qu’il eut avec Monsieur de Meaux, ce prélat lui avoua de bonne foi qu’il n’avait aucune connaissance des auteurs (24) mystiques et qu’il n’avait jamais lu saint François de Sales ni le bienheureux Jean de la Croix ni la plupart de ceux qui traitent des voies intérieures et de ce qu’on appelle la vie spirituelle ; comme c’était de la conformité de leurs sentiments avec ceux de Madame Guyon dont il s’agissait, il ajouta qu’il les allait lire avec beaucoup d’attention, qu’il les emporterait à Germigny avec les écrits de Madame Guyon et que dans une affaire de cette conséquence il fallait prendre un grand temps pour tout examiner et ne laissait rien derrière soi.

Monsieur l’abbé de Fénelon qui entra dans sa pensée, lui offrit de faire des extraits d’un grand nombre de ces auteurs qui lui étaient connus ; c’était un grand travail dont il le soulageait et qui le mettait tout d’un coup à portée de voir l’état de la question ; madame de Maintenon approuva son dessein ; il travailla donc sur Saint Clément, saint Grégoire de Naz[iance], sur Cassien, saint François de Sales, le bienheureux Jean de la Croix et plusieurs autres.

(25) […] [Monsieur de Meaux] ne pouvait souffrir qu’on lui fît voir qu’une tradition de l’église constante (26) et suivie sur un point si essentiel à la religion [l’amour désintéressé] lui eût échappé. C’était sur quoi Monsieur de Fénelon insistait toujours, et c’était aussi ce qui indisposait toujours Monsieur de Meaux de plus en plus contre lui ; il n’était pas accoutumé à cette sorte de résistance et la trouvait encore moins supportable dans un homme qu’il regardait comme son disciple.

(27) […] Monsieur de Meaux voulait faire un personnage ; il fallait entretenir avec Madame de Maintenon un commerce qui ne roulait que sur cette affaire, et faire sentir à Monsieur de Fénelon une autorité pour laquelle il n’avait pas une déférence assez aveugle ; sans parler de ce fonds de jalousie qu’il ne connaissait pas lui-même, mais qui n’avait pu échapper à leurs amis communs. Monsieur de Meaux qui était l’âme de cette affaire, tant par son caractère que par son âge et la réputation de doctrine où il était, voulut donc que l’Église fut en péril par ces deux petits livres de Madame Guyon dont il a déjà été parlé, car il ne s’agissait pas de ses manuscrits que personne ne connaissait et qu’elle offrait de brûler au moindre signal qu’on lui en donnerait ; il avait eu sur la fin de l’année 1694 une ou deux conférences avec elle où Monsieur de Chalons était présent, et elle n’avait servi que pour rendre plus authentique la condamnation qu’il avait (28) promis d’en faire ; il en rendit compte à Madame de Maintenon qui le dit au roi et l’un et l’autre crurent que c’était une affaire finie dont ils n’entendraient plus parler.

En effet peu de jour après Madame Guyon se retira dans le monastère des filles de Sainte-Marie à Meaux de l’agrément de ce prélat qui le souhaita même pour achever, disait-il, de la désabuser de sa prétendue spiritualité […] Monsieur de Meaux n’en voulut pas demeurer là […] (29) Il leur montra 30 articles qu’il avait dressés et leur proposa de les signer comme une barrière contre toutes les nouveautés […]

(32) […] Monsieur de Meaux croyait avoir réduit Monsieur de Cambrai au point d’une déférence aveugle pour tous ses sentiments, et Monsieur de Cambrai en lui faisant admettre les articles ajoutés aux 30 premiers, se promettait de lui faire admettre par des conséquences nécessaires tout son système sur l’amour désintéressé. L’un et l’autre se trompèrent dans leur jugement comme l’événement le fera voir.

(33) […] Il n’y eut rien que Monsieur de Meaux ne tenta et mit en œuvre pour tirer d’elle l’aveu de ses erreurs prétendues, elle fut inébranlable […] (37)[…] Cette dame lui fit connaître que le premier [Acte] n’était plus entre ses mains, qu’elle l’avait fait envoyer à sa famille le jour même que Monsieur de Meaux le lui avait donné, et qu’après les bruits qu’on avait répandus d’elle dans le public, elle ne croyait pas que sa famille se dessaisît d’un acte qui faisait sa justification, et se contentât du dernier qui bien loin de la faire, était capable de faire croire qu’elle eût donné lieu à tout ce qu’on avait dit contre elle. Monsieur de Meaux n’insista plus et eut le déplaisir de ne contenter personne.

Monsieur de Harlay archevêque de Paris étant venu à mourir vers ce temps-là, il semblait que le roi penchât du côté de Monsieur de Meaux pour lui faire remplir cette place importante, mais soit que Madame de Maintenon ne fut pas contente de la manière dont il avait fini avec Madame Guyon ou qu’elle songeât déjà à l’alliance de Monsieur de Noailles, elle la fit donner à Monsieur de Chalons.

Sur la fin de la même année, on fit arrêter Madame Guyon par ordre du Roi et elle fut mise à Vincennes. Monsieur de la Reynie eût ordre de l’interroger, mais comme je n’ai parlé d’elle qu’à l’occasion du différend dont vous me demandez le récit, je me renfermerai dans les bornes que je me suis prescrites sur les différents de ces deux (38) prélats et ne parlerait de cette Dame qu’autant qu’elle y a donné lieu.

Dans la suite du récit (39 à 161) Fénelon défend Mme Guyon ; il s’ensuit un duel par écrits entre Fénelon et Bossuet, la condamnation en 1699

 


 

La « petite duchesse » de Mortemart (1665-1750) 

Celle que l’on surnommait « la petite duchesse », fut la confidente[646] de Madame Guyon[647] pendant la période où celle-ci affrontait Bossuet : en témoigne la centaine de lettres écrites entre    juin 1695 et mai 1698, mois du dernier contact avant l’embastillement. A-t-elle pris sa relève au sein du cercle des disciples lorsque cette dernière fut emprisonnée puis assignée à résidence à Blois ? Fénelon étant mort avant Mme Guyon, quelqu’un a-t-il succédé à Madame Guyon après 1717 ?

Plusieurs indices semblent désigner la duchesse de Mortemart. Le premier se trouve dans les lettres que Fénelon lui adresse : comme on pourra le remarquer, Fénelon ne la formait pas pour elle-même mais toujours pour le service d’autrui. Il lui répète souvent qu’elle doit servir d’exemple, qu’elle ne doit pas perdre son temps à tourner autour d’elle-même.

Le deuxième indice se trouve chez Saint-Simon, ami des familles Chevreuse et Beauvillier, pour qui il avait une grande estime sans partager leur attirance et leur fidélité pour Mme Guyon.  Il était donc très bien informé sur les origines et la survie du « petit troupeau » après la mort de Louis XIV. Voici comment il retrace avec ironie l’histoire de ce petit groupe mystique dont la fascination pour Mme Guyon l’étonnait :

Mme Guyon a trop fait de bruit, et par elle, et par ses trop illustres amis, et par le petit troupeau qu'elle s'est formé à part, qui dure encore, et qui, depuis la mort du Roi [en 1715], a repris vigueur, pour qu’il soit nécessaire de s’y étendre. Il suffira d'en dire un mot d’éclaircissement, qui ne se trouve ni dans sa vie ni dans celle de ses amis et ennemis, ni dans les ouvrages écrits pour et contre elle, où tout le reste se rencontre amplement.

Elle ne fit que suivre les errements d'un prêtre nommé Bertaut [Bertot] qui, bien des années avant elle, faisoit des discours à l'abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples […] M. de Beauvillier [1648-1714] fut averti plus d'une fois que ces conventicules obscurs, qui se tenaient pour la plupart chez lui, étoient sus et déplaisaient ; mais sa droiture, qui ne cherchait que le bien pour le bien, et qui croyait le trouver là, ne s'en mit pas en peine. La duchesse de Béthune [1641 ? -1716], celle-là même qui allait à Montmartre avec M. de Noailles, y tenait la seconde place. Pour ce maréchal, il sentait trop d'où venait [415] le vent, et d'ailleurs il avait pris d'autres routes qui l'avaient affranchi de ce qui ne lui était pas utile.

La duchesse de Mortemart [la ‘petite duchesse’], belle-soeur des deux ducs, qui, d'une vie très-répandue à la cour, s'était tout à coup jetée, à Paris, dans la dévotion la plus solitaire, devançait ses soeurs et ses beaux-frères de bien loin dans celle-ci, et y était, pour le moins, suivie de la jeune comtesse de Guiche, depuis maréchale de Gramont [‘la Colombe’, 1672-1748], fille de Noailles. Tels étaient les piliers mâles et femelles de cette école, quand la maîtresse [Guyon] fut éloignée d'eux et de Paris, avec une douleur, de leur part, qui ne fit que redoubler leur fascination pour elle…[648].

     Il est donc clair pour Saint-Simon que la duchesse est le « pilier femelle » du groupe lorsque Mme Guyon, sortie de la Bastille, est en résidence surveillée à Blois. Le « pilier mâle » est bien entendu « l'abbé de Fénelon, qui était leur prophète, dans qui ils ne voyaient rien que de divin » [649]

    Et surtout nous avons une lettre capitale de Mme Guyon attestant que la duchesse pouvait transmettre la grâce dans un cœur à cœur silencieux. En septembre 1697, elle lui écrivait :

…Cependant, lorsqu'elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu'Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s'est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j'ai toujours cru qu'Il l'accordait à l'humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi… 

Saint-Simon assure que le « petit troupeau » reprit de la vigueur après la mort du roi en 1715. Mais comme les activités du groupe restèrent discrètes sinon secrètes, on n’a pas de preuve que la petite duchesse ait remplacé Madame Guyon dans cette fonction centrale, et ceci pendant de longues années puisqu’elle mourut en 1750 à quatre-vingt-cinq ans.

Elle avait dû auparavant accomplir un chemin douloureux car elle sortait du milieu aristocratique, peu propice à la mort de soi-même. Elle était la septième fille du ministre Colbert et sœur cadette des dames de Chevreuse et de Beauvillier.1679 Son mari, Louis de Rochechouart[650] (né en 1663) avait forcé les pirates de Tripoli à se soumettre en 1686 ; miné par la phtisie, il mourut jeune en 1688.  En 1689 et en 1690, on voit souvent le nom de sa veuve dans les listes des invitées du Roi et du Dauphin[651].

Ecoutons Saint-Simon nous raconter sans comprendre comment cette jeune veuve de vingt-trois ans changea de vie quand elle fit la connaissance de Mme Guyon :

La duchesse de Mortemart, fort jeune, assez piquante, fort au gré du monde, et qui l'aimait fort aussi, et de tout à la Cour, la quitta subitement de dépit des romancines[652] de ses soeurs, et se jeta à Paris dans une solitude et dans une dévotion plus forte qu'elle, mais où pourtant elle persévéra. Le genre de dévotion de Mme Guyon l'éblouit, M. de Cambrai la charma. Elle trouva dans l'exemple de ses deux sages beaux-frères [les ducs] à se confirmer dans son goût, et dans sa liaison avec tout ce petit troupeau séparé, de saints amusements pour s'occuper…[653]

Par la suite, la duchesse vécut en liaison étroite avec ses beaux-frères, les ducs de Beauvillier et de Chevreuse.

 « Plusieurs lettres du P. Lami, bénédictin, nous apprennent que la duchesse faisait de fréquentes retraites au couvent de la Visitation de Saint-Denis, où l’une de ses filles avait fait profession, et qu’elle y occupa même assez longtemps une cellule […] Elle y mourut le 13 février 1750 [654].  µ de qui cette note ?

 Saint-Simon rend hommage au caractère bien trempé de la petite duchesse. Elle ne se laissait impressionner par personne et faisait ce qu’elle estimait juste :

 « La duchesse de Mortemart étoit, après la duchesse de Béthune, la grande Ame du petit troupeau, et avec qui, uniquement pour cela, on avait forcé la duchesse [la comtesse] de Guiche, sa meilleure et plus ancienne amie, de rompre entièrement et tout d'un coup. La duchesse de Mortemart, franche, droite, retirée, ne gardait aucun ménagement sur son attachement pour M. de Cambrai. Elle allait à Cambrai [voir Fénelon], et y avait passé souvent plusieurs mois de suite. C'était donc une femme que Mme de Maintenon ne haïssait guère moins que l'archevêque ; on ne le pouvait même ignorer[655]. »

µ trouver lettres de Mme Guyon pour elle

que sait-on de la Colombe qui vécut jusqu’en 1748 ?

et la duchesse de Béthune

 

La cadette du ‘clan’ Colbert avait un fort tempérament[656] pesant pour l’entourage : elle fut une source de souci pour Mme Guyon et Fénelon qui eurent bien du mal à l’assouplir. Pourtant il appréciait ses qualités de fond, ainsi qu’il l’écrit à la comtesse de Gramont :

 Je suis ravi de ce que vous êtes touchée du progrès de Mad. de Mortemart ; elle est véritablement bonne, et désire l’être de plus en plus. La vertu lui coûte autant qu’à un autre, et en cela elle est très propre à vous encourager. » (L.300 du 22 juin 1695)

Au moment où le duc de Montfort, fils des Chevreuse, est grièvement blessé, Fénelon écrit :

Dieu « vous met sur la croix avec son Fils ; je vous avoue que, malgré toute la tristesse que vous m’avez causée, j’ai senti une espèce de joie lorsque j’ai vu Mme la duchesse de Mortemart partir avec tant d’empressement et de bon naturel pour aller partager avec vous vos peines. » (L.168 à la duchesse de Chevreuse du 7 avril 1691).

Le duc de Chevreuse écrit à Fénelon : « Je suis plus content que jamais de la B.P.D. [de Mortemart]. J’y trouve le même esprit de conduite qu’elle a reçu de vous, avec une simplicité et une lumière merveilleuse. Rien de ce qui devrait la toucher ou peiner ne semble aller à son fond. » (L.913A du 16 mai 1703).

Sa formation par Fénelon

Fénelon dirigea la « petite duchesse » qui, née en 1665, était de quatorze ans plus jeune que lui. Nous possédons les lettres qu’il lui adressa. Ces lettres avaient été « nettoyées » de tous renseignements sur leur provenance afin de les éditer sans danger en 1718 : leur destination n’a donc été établie qu’assez tardivement[657] et l’édition critique (avec suggestion des destinataires) de la série « LSP * » est récente[658]. Les notes très précieuses de l’éditeur I. Noye accompagnent et authentifient la plus longue série de lettres rapportée en [CF 18] pour une même correspondante. Autant que possible, nous les avons mises en ordre chronologique [659].

Les relations entre Fénelon et sa dirigée furent parfois difficiles en raison du caractère hautain de la duchesse. Fénelon l’encourage longuement à la petitesse, à ne pas critiquer les autres, à ne pas se sentir au-dessus des gens qu’elle guide. Fénelon dut faire preuve de subtilité et de persévérance pour la faire progresser. Voici ce qu’il lui écrivait en 1693 : 

Prenez donc moins l’ouvrage par le dehors, et un peu plus par le dedans. Choisissez les affections les plus vives qui dominent dans votre cœur, et mettez-les sans condition ni bornes dans la main de Dieu, pour les lui laisser amortir et éteindre. Abandonnez-lui votre hauteur naturelle, votre sagesse mondaine, votre goût pour la grandeur de votre maison, votre crainte de déchoir et de manquer de considération dans le monde, votre sévérité âpre contre tout ce qui est irrégulier. Votre humeur est ce que je crains le moins pour vous. Vous la connaissez, vous vous en défiez ; malgré vos résolutions, elle vous entraîne, et en vous entraînant elle vous humilie. Elle servira à vous corriger des autres défauts plus dangereux. […] Voudriez-vous que Dieu fût pour vous aussi critique et aussi rigoureux que vous l’êtes souvent pour le prochain ? […]

Nous ne faisons que languir autour de nous-mêmes, ne nous occupant jamais de Dieu que par rapport à nous. Nous n’avançons point dans la mort, dans le rabaissement de notre esprit et dans la simplicité. D’où vient que le vaisseau ne vogue point ? Est-ce que le vent manque ? Nullement ; le souffle de l’esprit de grâce ne cesse de le pousser : mais le vaisseau est retenu par des ancres qu’on n’a garde de voir ; elles sont au fond de la mer. […]  Aimons, et ne vivons plus que d’amour. Laissons faire à l’amour tout ce qu’il voudra contre l’amour-propre. Ne nous contentons pas de faire oraison le matin et le soir, mais vivons d’oraison dans toute la journée. (LSP 126*, juin 1693 ?)

Il lui confirme que le couvent n’est pas sa vocation. Il va jusqu’à dire qu’un couvent serait dangereux pour son attraction vers Dieu :

Nul couvent ne vous convient ; tous vous gêneraient, et vous mettraient sans cesse en tentation très dangereuse contre votre attrait : la gêne causerait le trouble. Demeurez libre dans la solitude, et occupez-vous en toute simplicité entre Dieu et vous. (LSP 135*)

La solitude vous est utile jusqu’à un certain point, elle vous convient mieux qu’une règle de communauté, qui gênerait votre attrait de grâce […] Contentez-vous de ne voir que les personnes avec lesquelles vous avez des liaisons intérieures de grâce, ou des liaisons extérieures de providence : encore même ne faut-il point vous faire une pratique de ne voir que les personnes de ces deux sortes ; et, sans tant raisonner, il faut, en chaque occasion, suivre votre cœur, pour voir ou ne  pas voir les personnes qu’il est permis communément de voir […]

 Vous doutez, et vous ne pouvez porter le doute. Je ne m’en étonne pas : le doute est un supplice. Mais ne raisonnez point et vous ne douterez plus. L’obscurité de la pure foi est bien différente du doute. Les peines de la pure foi portent leur consolation et leur fruit. Après qu’elles ont anéanti l’homme, elles le renouvellent et le laissent en pleine paix. Le doute est le trouble d’une âme livrée à elle-même, qui voudrait voir ce que Dieu veut lui cacher, et qui cherche des sûretés impossibles par amour-propre. Qu’avez-vous sacrifié à Dieu, sinon votre propre jugement et votre intérêt ? Voulez-vous perdre de vue ce qui a toujours été votre but dès le premier pas que vous avez fait, savoir, de vous abandonner à Dieu ? […] Que puis-je vous répondre ? Vous demandez à être revêtue ; je ne puis vous souhaiter que dépouillement. Vous voulez des sûretés, et Dieu est jaloux de ne vous en souffrir aucune […] (LSP 136*)

Dans cette voie, ni effort ni sévérité, mais une adhésion totale à l’action de la grâce. La duchesse qui visait la perfection, jugeait avec sévérité les défauts d’autrui et entendait les corriger : elle fut repoussée et tous s’éloignèrent d’elle. Elle en souffrait beaucoup et ce problème de relation aux autres mettra de longues années à se résoudre. Fénelon va faire face à cet obstacle avec délicatesse et fermeté. Il commence par lui donner en modèle Mme Guyon elle-même, dont l’amour accueille les gens comme ils sont et qui attend avec patience que le divin agisse :

La perfection supporte facilement l’imperfection d’autrui ; elle se fait tout à tous. Il faut se familiariser avec les défauts les plus grossiers dans de bonnes âmes, et les laisser tranquillement jusqu’à ce que Dieu donne le signal pour les leur ôter peu à peu […] Je vous demande plus que jamais de ne m’épargner point sur mes défauts. Quand vous en croirez voir quelqu’un que je n’aurai peut-être pas, ce ne sera point un grand malheur. (LSP 130*, 1693 ?)

J’ai toujours eu pour vous un attachement et une confiance très grande ; mais mon cœur s’est attendri en sachant qu’on vous a blâmée, et que vous avez reçu avec petitesse cette remontrance. Il est vrai que votre tempérament mélancolique et âpre vous donne une attention trop rigoureuse aux défauts d’autrui ; vous êtes trop choquée des imperfections, et vous souffrez un peu impatiemment de ne voir point la correction des personnes imparfaites. Il y a longtemps que je vous ai souhaité l’esprit de condescendance et de support avec lequel N.M. [Notre Mère, Mme Guyon] se proportionne aux faiblesses d’un chacun. Elle attend, compatit, ouvre le cœur, et ne demande rien qu’à mesure que Dieu y dispose.

[…] je crois aussi qu’il faut corriger vos défauts comme ceux des autres, non par effort et par sévérité, mais en cédant simplement à Dieu, et en le laissant faire pour étendre votre cœur et pour le rendre plus souple. Acquiescez, sans savoir comment tout cela se pourra faire. (LSP 131*,1693 ?)

Plus le temps passe, plus il l’incite à lâcher son perfectionnisme :

Je suis bien fâché de tous les mécomptes que vous trouvez dans les hommes ; mais il faut s’accoutumer à y chercher peu, c’est le moyen de n’être jamais mécompté. Il faut prendre des hommes ce qu’ils donnent, comme des arbres les fruits qu’ils portent : il y a souvent des arbres où l’on ne trouve que des feuilles et des chenilles. Dieu supporte et attend les hommes imparfaits, et il ne se rebute pas même de leurs résistances. Nous devons imiter cette patience si aimable, et ce support si miséricordieux. Il n'y a que l'imperfection qui s'impatiente de ce qui est imparfait ; plus on a de perfection, plus on supporte patiemment et paisiblement l'imperfection d'autrui sans la flatter. Laissez ceux qui s'érigent un tribunal dans leur prévention : si quelque chose les peut guérir, c'est de les laisser aller à leur mode, et de continuer à marcher de notre côté devant eux avec une simplicité et une petitesse d'enfant.

Ne pressez point N.[660] Il ne faut demander qu’à mesure que Dieu donne. Quand il est serré, attendez-le, et ne lui parlez que pour l’élargir : quand il est élargi, une parole fera plus que trente à contretemps. Il ne faut ni semer ni labourer quand il gèle et que la terre est dure. En le pressant, vous le décourageriez. Il ne lui en resterait qu’une crainte de vous voir, et une persuasion que vous agissez par vivacité naturelle pour gouverner. Quand Dieu voudra donner une plus grande ouverture, vous vous tiendrez toujours toute prête pour suivre le signal, sans le prévenir jamais. C’est l’œuvre de la foi, c’est la patience des saints. Cette œuvre se fait au dedans de l’ouvrier, en même temps qu’au-dehors sur autrui ; car celui qui travaille meurt sans cesse à soi en travaillant à faire la volonté de Dieu dans les autres. (LSP 150*, attribution incertaine)

Ne craignez rien : vous feriez une grande injure à Dieu, si vous vous défiiez de sa bonté ; il sait mieux ce qu’il vous faut, et ce que vous êtes capable de porter, que vous-même ; il ne vous tentera jamais au-dessus de vos forces. […] Vous rirez un jour des frayeurs que la grâce vous donne maintenant, et vous remercierez Dieu de tout ce que je vous ai dit sans prudence, pour vous faire renoncer à votre sagesse timide. (LSP 164*)

A partir de 1708, elle va traverser des états fort pénibles de sécheresse, de vide, qu’il va lui faire accepter :

Je suis fort touché de la peinture que vous m’avez faite de votre état. Il est très pénible ; mais il vous sera fort utile, si vous y suivez les desseins de Dieu. L’obscurité sert à exercer la pure foi et à dénuer l’âme. Le dégoût n’est qu’une épreuve, et ce qu’on fait en cet état est d’autant plus pur, qu’on ne le fait ni par inclination ni par plaisir : on va contre le vent à force de rames. […] Vous n’avez rien à craindre que de votre esprit, qui pourrait vous donner un art que vous n’apercevriez pas vous-même, pour tendre au but de votre amour-propre : mais comme vous êtes sincèrement en garde contre vous, et comme vous ne cherchez qu’à mourir à vous-même de bonne foi, je compte que tout ira bien. […] Votre tempérament est tout ensemble mélancolique et vif [661] : […] Plus vous vous livrerez sans mesure pour sortir de vous, et pour en perdre toute possession, plus Dieu en prendra possession à sa mode, qui ne sera jamais la vôtre. Encore une fois, laissez tout tomber, ténèbres, incertitudes, misères, craintes, sensibilité, découragement ; amusez-vous sans vous passionner ; recevez tout ce que les amis vous donneront de bon, comme un bien inespéré, qui ne fait que passer au travers d’eux, et que Dieu vous envoie. (LSP 166*, après juin 1708)

Dans les deux lettres suivantes, il conseille la petitesse à cette grande aristocrate ! Avec une certaine ironie, il lui demande de s’appliquer à elle-même ce qu’elle dit aux autres, et de se mettre à égalité avec les « petits » :

Je vous avoue, ma bonne D[uchesse], que je suis ravi de vous voir accablée par vos défauts et par l’impuissance de les vaincre. Ce désespoir de la nature qui est réduite à n’attendre plus rien de soi, et à n’espérer que de D[ieu], est précisément ce que D[ieu] veut. Il nous corrigera quand nous n’espérerons plus de nous corriger nous-mêmes. […] Il s’agit d’être petite au-dedans, ne pouvant pas être douce au-dehors. Il s’agit de laisser tomber votre hauteur naturelle, dès que la lumière vous en vient. […] En un mot le grand point est de vous mettre de plain-pied avec tous les petits les plus imparfaits. Il faut leur donner une certaine liberté avec vous, qui leur facilite l’ouverture de cœur. (L.1215, 8 juin 1708)

Le Grand Abbé [de Beaumont] vous dira de nos nouvelles, ma bonne Duchesse. Mais il ne saurait vous dire à quel point mon cœur est uni au vôtre. Je souhaite fort que vous ayez la paix au-dedans. Vous savez qu’elle ne se peut trouver que dans la petitesse, et que la petitesse n’est réelle qu’autant que nous nous laissons rapetisser sous la main de D[ieu] en chaque occasion. Les occasions dont D[ieu] se sert consistent d’ordinaire dans la contradiction d’autrui qui nous désapprouve, et dans la faiblesse intérieure que nous éprouvons. […] Regardez la seule main de Dieu, qui s’est servie de la rudesse de la mienne pour vous porter un coup douloureux. La douleur prouve que j’ai touché à l’endroit malade. Cédez à D[ieu] ; acquiescez pleinement. C’est ce qui vous mettra en repos, et d’accord avec tout vous-même. Voilà ce que vous savez si bien dire aux autres[662]. L’occasion est capitale. C’est un temps de crise. Ô Quelle grâce ne coulera point sur vous, si vous portez comme un petit enfant tout ce que D[ieu] fait pour vous rabaisser, et pour vous désapproprier, tant de votre sens, que de votre volonté ! Je le prie de vous faire si petite, qu’on ne vous trouve plus. (L.1231, 22 août 1708)

Fénelon est parfois aussi rigoureux que Bertot :

Voir nos ténèbres, c’est voir tout ce qu’il faut. (LSP 167*)

Soyez un vrai rien en tout et partout ; mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais, et il n’a point un moi dont il s’occupe. […] Je vous aime et vous respecte de plus en plus sous la main qui vous brise pour vous purifier. O que cet état est précieux ! Plus vous vous y trouverez vide et privée de tout, plus vous m’y paraîtrez pleine de Dieu et l’objet de ses complaisances. […]  Vous n’avez qu’à souffrir et à vous laisser consumer peu à peu dans le creuset de l’amour. (LSP 190*)   

Tout contribue à vous éprouver ; mais Dieu, qui vous aime, ne permettra pas que vous soyez tentée au-dessus de vos forces. Il se servira de la tentation pour vous faire avancer. Mais il ne faut chercher curieusement à voir en soi ni l’avancement, ni les forces, ni la main de Dieu, qui n’en est pas moins secourable quand elle se rend invisible. C’est en se cachant qu’elle fait sa principale opération : car nous ne mourrions jamais à nous-mêmes, s’il montrait sensiblement cette main toujours appliquée à nous secourir. En ce cas, Dieu nous sanctifierait en lumière, en vie et en revêtissement de tous les ornements spirituels ; mais il ne nous sanctifierait point sur la croix, en ténèbres, en privation, en nudité, en mort. […] Que ne puis-je être auprès de vous ! mais Dieu ne le permet pas. Que dis-je ? Dieu le fait invisiblement, et il nous unit cent fois plus intimement à lui, centre de tous les siens, que si nous étions sans cesse dans le même lieu. Je suis en esprit tout auprès de vous (LSP 192*)

     La très belle lettre qui suit est importante car Fénelon y assigne clairement à la duchesse le rôle de l’ancienne qui doit être un modèle pour les autres. Il la réprimande fortement car elle perd son temps. Il la ré-oriente vers l’abandon total aux mouvements de la grâce, condition nécessaire pour pouvoir guider autrui :

Ce que je vous souhaite au-dessus de tout, c’est que vous n’altériez point votre grâce en la cherchant. Voulez-vous que la mort vous fasse vivre, et vous posséder en vous abandonnant ? Un tel abandon serait la plus grande propriété, et n’aurait que le nom trompeur d’abandon ; ce serait l’illusion la plus manifeste. Il faut manquer de tout aliment pour achever de mourir. C’est une cruauté et une trahison, que de vous laisser respirer et nourrir pour prolonger votre agonie dans le supplice. Mourez ; c’est la seule parole qui me reste pour vous.

 Qu’avez-vous donc cherché dans la voie que Dieu vous a ouverte ? Si vous vouliez vivre, vous n’aviez qu’à vous nourrir de tout. Mais combien y a-t-il d’années que vous vous êtes dévouée à l’obscurité de la foi, à la mort et à l’abandon ? Était-ce à condition de le faire en apparence, et de trouver une plus grande sûreté dans l’abandon même ? Si cela était, vous auriez été bien fine avec Dieu : ce serait le comble de l’illusion. Si, au contraire, vous n’avez cherché (comme je n’en doute pas) que le sacrifice total de votre esprit et de votre volonté, pourquoi reculez-vous quand Dieu vous fait enfin trouver l’unique chose que vous avez cherchée ? Voulez-vous vous reprendre dès que Dieu veut vous posséder, et vous déposséder de vous-même ? Voulez-vous, par la crainte de la mer et de la tempête, vous jeter contre les rochers, et faire naufrage au port ? Renoncez aux sûretés ; vous n’en sauriez jamais avoir que de fausses. C’est la recherche infidèle de la sûreté qui fait votre peine. Loin de vous conduire au repos, vous résistez à votre grâce ; comment trouveriez-vous la paix ?

 J’avoue qu’il faut suivre ce que Dieu met au cœur ; mais il faut observer deux choses : l’une est que l’attrait de Dieu, qui incline le cœur, ne se trouve point par les réflexions délicates et inquiètes de l’amour-propre ; l’autre, qu’il ne se trouve point aussi par des mouvements si marqués, qu’ils portent avec eux la certitude qu’ils sont divins. Cette certitude réfléchie, dont on se rendrait compte à soi-même, et sur laquelle on se reposerait, détruirait l’état de foi, rendrait toute mort impossible et imaginaire, changeant l’abandon et la nudité en possession et en propriété sans bornes ; enfin ce serait un fanatisme perpétuel, car on se croirait sans cesse certainement et immédiatement inspiré de Dieu pour tout ce qu’on ferait en chaque moment. Il n’y aurait plus ni direction ni docilité, qu’autant que le mouvement intérieur, indépendant de toute autorité extérieure, y porterait chacun. Ce serait renverser la voie de foi et de mort. Tout serait lumière, possession, vie et certitude dans toutes ces choses. Il faut donc observer qu’on doit suivre le mouvement, mais non pas vouloir s’en assurer par réflexion, et se dire à soi-même, pour jouir de sa certitude : oui, c’est par mouvement que j’agis.

 Le mouvement n’est que la grâce ou l’attrait intérieur du Saint-Esprit qui est commun à tous les justes ; mais plus délicat, plus profond, moins aperçu et plus intime dans les âmes déjà dénuées, et de la désappropriation desquelles Dieu est jaloux. Ce mouvement porte avec soi une certaine conscience très simple, très directe, très rapide, qui suffit pour agir avec droiture, et pour reprocher à l’âme son infidélité dans le moment où elle y résiste. Mais c’est la trace d’un poisson dans l’eau ; elle s’efface aussitôt qu’elle se forme, et il n’en reste rien : si vous voulez la voir, elle disparaît pour confondre votre curiosité. Comment prétendez-vous que Dieu vous laisse posséder ce don, puisqu’il ne vous l’accorde qu’afin que vous ne vous possédiez en rien vous-même ? […]

 Vous êtes notre ancienne, mais c’est votre ancienneté qui fait que vous devez à Dieu plus que toutes les autres. Vous êtes notre sœur aînée ; ce serait à vous à être le modèle de toutes les autres pour les affermir dans les sentiers des ténèbres et de la mort. Marchez donc, comme Abraham, sans savoir où. Sortez de votre terre, qui est votre cœur ; suivez les mouvements de la grâce, mais n’en cherchez point la certitude par raisonnement. Si vous la cherchez avant que d’agir, vous vous rendez juge de votre grâce, au lieu de lui être docile, et de vous livrer à elle comme les apôtres le faisaient. Ils étaient livrés à la grâce de Dieu, dit saint Luc dans les Actes. Si, au contraire, vous cherchez cette certitude après avoir agi, c’est une vaine consolation que vous cherchez par un retour d’amour-propre, au lieu d’aller toujours en avant avec simplicité selon l’attrait, et sans regarder derrière vous. Ce regard en arrière interrompt la course, retarde les progrès, brouille et affaiblit l’opération intérieure : c’est un contretemps dans les mains de Dieu ; c’est une reprise fréquente de soi-même ; c’est défaire d’une main ce qu’on fait de l’autre. De là vient qu’on passe tant d’années languissant, hésitant, tournant tout autour de soi.

[…] nous devons plus que les autres à Dieu, puisqu’il nous demande des choses plus avancées ; et peut-être sommes-nous à proportion les plus reculés. Ne nous décourageons point : Dieu ne veut que nous voir fidèles. Recommençons, et en recommençant nous finirons bientôt. Laissons tout tomber, ne ramassons rien ; nous irons bien vite et en grande paix. (LSP 193*)

Pour vous, plus vous chercherez d’appui, moins vous en trouverez. Ce qui ne pèse rien n’a pas besoin d’être appuyé ; mais ce qui pèse rompt ses appuis. Un roseau sur lequel vous voulez vous soutenir, vous percera la main ; mais si vous n’êtes rien, faute de poids, vous ne tomberez plus. On ne parle que d’abandon, et on ne cherche que des cautions bourgeoises. (LSP 198*)

Au fur et à mesure que la duchesse progresse en expérience, il se dit qu’il peut être compris et se confie :  

Mon état ne se peut expliquer, car je le comprends moins que personne. Dès que je veux dire quelque chose de moi en bien ou en mal, en épreuve ou en consolation, je le trouve faux en le disant, parce que je n’ai aucune consistance en aucun sens. Je vois seulement que la croix me répugne toujours, et qu’elle m’est nécessaire.

Leur relation va tendre vers l’égalité. Fénelon lui propose de s’aider spirituellement l’un l’autre :

 Je souhaite fort que vous soyez simple, droite, ferme, sans vous écouter, sans chercher aucun tour dans les choses que vous voudriez mener à votre mode, et que vous laissiez faire Dieu pour achever son œuvre en vous.

Ce que je souhaite pour vous comme pour moi, est que nous n’apercevions jamais en nous aucun reste de vie, sans le laisser éteindre. Quand je suis à l’office de notre chœur, je vois la main d’un de nos chapelains qui promène un grand éteignoir qui éteint tous les cierges par derrière l’un après l’autre ; s’il ne les éteint pas entièrement, il reste un lumignon fumant qui dure longtemps et qui consume le cierge. La grâce vient de même éteindre la vie de la nature ; mais cette vie opiniâtre fume encore longtemps, et nous consume par un feu secret, à moins que l’éteignoir ne soit bien appuyé et qu’il n’étouffe absolument jusqu’aux moindres restes de ce feu caché.

Je veux que vous ayez le goût de ma destruction comme j’ai celui de la vôtre. Finissons, il est bien temps, une vieille vie languissante qui chicane toujours pour échapper à la main de Dieu. Nous vivons encore, ayant reçu cent coups mortels. (LSP 203, 1711 ?)

Voici une lettre si remarquable que nous la donnons en entier. Fénelon analyse pour la duchesse l’essentiel de l’amour-propre, la vraie manière de guider les autres et le silence intérieur où  s’écoutent les mouvements de la grâce :

Jamais lettre, ma bonne et chère Duchesse ne m’a fait un plus sensible plaisir que la dernière que vous m’avez écrite.  Je remercie D[ieu] qui vous l’a fait écrire. Je suis également persuadé et de votre sincérité pour vouloir dire tout, et de votre impuissance de le faire. Pendant que nous ne sommes point encore entièrement parfaits, nous ne pouvons nous connaître qu’imparfaitement. Le même amour-propre qui fait nos défauts, nous les cache très subtilement et aux yeux d’autrui et aux nôtres. L’amour-propre ne peut supporter la vue de lui-même. Il en mourrait de honte et de dépit. S’il se voit par quelque coin, il se met dans quelque faux jour pour adoucir sa laideur, et pour avoir de quoi s’en consoler.

Ainsi il y a toujours quelque reste d’illusion en nous, pendant qu’il y reste quelque imperfection et quelque fonds d’amour-propre. Il faudrait que l’amour-propre fût déraciné, et que l’amour de D[ieu] agît seul en nous pour nous montrer parfaitement à nous-mêmes. Alors le même principe qui nous ferait voir nos imperfections nous les ôterait. Jusque-là on ne connaît qu’à demi, parce qu’on n’est qu’à demi à Dieu, étant encore à soi beaucoup plus qu’on ne croit, et qu’on n’ose se le laisser voir. Quand la vérité sera pleinement en nous, nous l’y verrons toute pleine. Ne nous aimant plus que par pure charité, nous nous verrons sans intérêt, et sans flatterie, comme nous verrons le prochain. En attendant, D[ieu] épargne notre faiblesse en ne nous découvrant notre laideur qu’à proportion du courage qu’il nous donne pour en supporter la vue. Il ne nous montre à nous-mêmes que par morceaux, tantôt l’un, tantôt l’autre, à mesure qu’il veut entreprendre en nous quelque correction. Sans cette préparation miséricordieuse qui proportionne la force à la lumière, l’étude de nos misères ne produirait que le désespoir. Les personnes qui conduisent ne doivent nous développer nos défauts, que quand D[ieu] commence à nous y préparer.

Il faut voir un défaut avec patience et n’en rien dire au dehors jusqu’à ce que D[ieu] commence à le reprocher au dedans. Il faut même faire comme D[ieu,] qui adoucit ce reproche en sorte que la personne croit que c’est moins Dieu qu’elle-même qui s’accuse et qui sent ce qui blesse l’amour. Toute autre conduite où l’on reprend avec impatience, parce qu’on est choqué de ce qui est défectueux, est une critique humaine, et non une correction de grâce. C’est par imperfection qu’on reprend les imparfaits. C’est un amour-propre subtil et pénétrant, qui ne pardonne rien à l’amour-propre d’autrui. Plus il est amour-propre, plus il est sévère censeur. Il n’y a rien de si choquant que les travers d’un amour-propre, à un autre amour-propre délicat et hautain. Les passions d’autrui paraissent infiniment ridicules et insupportables à quiconque est livré aux siennes. Au contraire l’amour de Dieu est plein d’égards, de supports[663], de ménagements, et de condescendances. Il se proportionne, il attend. Il ne fait jamais deux pas à la fois. Moins on s’aime, plus on s’accommode aux imperfections de l’amour-propre d’autrui, pour les guérir patiemment. On ne fait jamais aucune incision, sans mettre beaucoup d’onction sur la plaie. On ne purge le malade, qu’eu le nourrissant. On ne hasarde aucune opération, que quand la nature indique elle-même qu’elle y prépare. On attendra des années pour placer un avis salutaire. On attend que la Providence en donne l’occasion au-dehors, et que la grâce en donne l’ouverture au dedans du cœur. Si vous voulez cueillir le fruit avant qu’il soit mûr, vous l’arrachez à pure perte.

 De plus vous avez raison de dire que vos dispositions changeantes vous échappent, et que vous ne savez que dire de vous. Comme la plupart des dispositions sont passagères et mélangées, celles qu’on tâche d’expliquer deviennent fausses, avant que l’explication en soit achevée. Il en survient une autre toute différente, qui tombe aussi à son tour dans une apparence de fausseté. Mais il faut se borner à dire de soi ce qui en paraît vrai dans le moment où l’on ouvre son cœur. Il n’est pas nécessaire de dire tout en s’attachant à un examen méthodique. Il suffit de ne rien retenir par défaut de simplicité, et de ne rien adoucir par les couleurs flatteuses de l’amour-propre. Dieu supplée le reste selon le besoin en faveur d’un cœur droit, et les amis édairés par la grège   µ grâce ? remarquent sans peine ce qu’on ne sait pas leur dire, quand on est devant eux naïf, ingénu, et sans réserve.

Pour nos amis imparfaits ils ne peuvent nous connaître qu’imparfaitement. Souvent ils ne jugent de nous que par les défauts extérieurs qui se font dans la société, et qui incommodent leur amour-propre. L’amour‑propre est censeur âpre, rigoureux, soupçonneux, et implacable. Le même amour qui leur adoucit leurs propres défauts leur grossit les nôtres. Comme ils sont dans un point de vue très différent du nôtre, ils voient en nous ce que nous n’y voyons pas, et ils n’y voient pas ce que nous y voyons. Ils y voient avec subtilité et pénétration beaucoup de choses qui blessent la délicatesse et la jalousie de leur amour-propre, et que le nôtre nous déguise. Mais ils ne voient point dans notre fond intime ce qui salit nos vertus, et qui ne déplaît qu’à Dieu seul. Ainsi leur jugement le plus approfondi est bien superficiel.

Ma conclusion est qu’il suffit d’écouter Dieu dans un profond silence intérieur, et de dire en simplicité pour et contre soi tout ce qu’on croit voir à la pure lumière de Dieu dans le moment où l’on tâche de se faire connaître.

Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D[ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir.

Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. C’est se recueillir passivement que de ne se dissiper pas, et que de laisser tomber l’activité naturelle qui dissipe. Il faut encore plus éviter l’activité pour la dissipation que pour le recueillement. II suffit de laisser faire D[ieu], et de ne l’interrompre pas par des occupations superflues qui flattent le goût, ou la vanité. Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce. Il faut s’occuper peu du prochain, lui demander peu, en attendre peu, et ne croire pas qu’il nous manque quand notre amour est tenté de croire qu’il y trouve quelque mécompte. Il faut laisser tout effacer, et porter petitement toute peine qui ne s’efface pas.

 Ce recueillement passif est très différent de l’actif qu’on se procure par travail et par industrie, en se proposant certains objets distincts et arrangés. Celui-ci n’est qu’un repos du fond, qui est dégagé des objets extérieurs de ce monde. Dieu est moins alors l’objet distinct de nos pensées au-dehors, qu’il n’est le principe de vie qui règle nos occupations. En cet état on fait en paix et sans empressement ni inquiétude tout ce qu’on a à faire. L’esprit de grâce le suggère doucement. Mais cet esprit jaloux arrête et suspend notre action, dès que l’activité de l’amour-propre commence à s’y mêler. Alors la simple non-action fait tomber ce qui est naturel et remet l’âme avec D[ieu] pour recommencer au-dehors sans activité le simple accomplissement de ses devoirs. En cet état l’âme est libre dans toutes les sujétions extérieures, parce qu’elle ne prend rien pour elle de tout ce qu’elle fait. Elle ne le fait que pour le besoin. Elle ne prévoit rien par curiosité, elle se borne au moment présent, elle abandonne le passé à D[ieu]. Elle n’agit jamais que par dépendance. Elle s’amuse pour le besoin de se délasser, et par petitesse. Mais elle est sobre en tout, parce que l’esprit de mort est sa vie. Elle est contente ne voulant rien.

 Pour demeurer dans ce repos, il faut laisser sans cesse tomber tout ce qui en fait sortir. Il faut se faire taire très souvent, pour être en état d’écouter le maître intérieur qui enseigne toute vérité, et si nous sommes fidèles à l’écouter, il ne manquera pas de nous faire taire souvent. Quand nous n’entendons pas cette voix intime et délicate de l’esprit qui est l’âme de notre âme, c’est une marque que nous ne nous taisons point pour l’écouter. Sa voix n’est point quelque chose d’étranger. D[ieu] est dans notre âme, comme notre âme dans notre corps. C’est quelque chose que nous ne distinguons plus de nous, mais quelque chose qui nous mène, qui nous retient et qui rompt toutes nos activités. Le silence que nous lui devons pour l’écouter, n’est qu’une simple fidélité à n’agir que par dépendance, et à cesser dès qu’il nous fait sentir que cette dépendance commence à s’altérer. Il ne faut qu’une volonté souple, docile, dégagée de tout pour s’accommoder à cette impression. L’esprit de grâce nous apprend lui-même à dépendre de lui en toute occasion. Ce n’est point une inspiration miraculeuse qui expose à l’illusion et au fanatisme. Ce n’est qu’une paix du fond pour se prêter sans cesse à l’esprit de D[ieu] dans les ténèbres de la foi, sans rien croire que les vérités révélées, et sans rien pratiquer que les commandements évangéliques.

Je vois par votre lettre, ma bonne Duchesse, que vous êtes encore persuadée que nos amis ont beaucoup manqué à votre égard. Cela peut être et il est même naturel qu’ils aient un peu excédé en réserve dans les premiers temps, où ils ont voulu changer ce qui leur paraissait trop fort, et où ils étaient embarrassés de ce changement qui vous choquait. Mais je ne crois pas que leur intention ait été de vous manquer en rien. Ainsi je croirais qu’ils n’ont pu manquer que par embarras pour les manières. Votre peine, que vous avouez avoir été grande et que je m’imagine qu’ils apercevaient, ne pouvait pas manquer d’augmenter, malgré eux, leur embarras, leur gêne, et leur réserve. Je ne sais rien de ce qu’ils ont fait, et ils ne me l’ont jamais expliqué. Je ne veux les excuser en rien. Mais en gros je comprends que vous devez vous défier de l’état de peine extrême dans lequel vous avez senti leur changement. Un changement soudain et imprévu choque. On ne peut s’y accoutumer ; on ne croit point en avoir besoin. On croit voir dans ceux qui se retirent ainsi un manquement aux règles de la bienséance et de l’amitié. On prétend y trouver de l’inconstance, du défaut de simplicité, et même de la fausseté. Il est naturel qu’un amour-propre vivement blessé exagère ce qui le blesse, et il me semble que vous devez vous défier des jugements qu’il vous a fait faire dans ces temps-là.

 Je crois même que vous devez aller encore plus loin, et juger que la grandeur du mal demandait un tel remède, ce renversement de tout vous-même, et cet accablement dont vous me parlez avec tant de franchise montre que votre cœur était bien malade. L’incision a été très douloureuse, mais elle devait être prompte et profonde. Jugez-en par la douleur qu’elle a causée à votre amour-propre, et ne décidez point sur des choses, où vous avez tant de raisons de vous récuser vous-même. Il est difficile que les meilleurs hommes qui ne sont pourtant pas parfaits, n’aient fait aucune faute dans un changement si embarrassant. Mais supposé qu’ils en aient fait beaucoup, vous n’en devez point être surprise. Il faut d’ailleurs faire moins d’attention à leur irrégularité, qu’à votre pressant besoin. Vous êtes trop heureuse de ce que D[ieu] a fait servir leur tort à redresser le vôtre. Ce qui est peut-être une faute en eux, est une grande miséricorde en D[ieu] pour votre correction. Aimez l’amertume du remède, si vous voulez être bien guérie du mal.

Pour votre insensibilité dans un état de sécheresse, de faiblesse, d’obscurité, et de misère intérieure, je n’en suis point en peine, pourvu que vous demeuriez dans ce recueillement passif dont je viens de parler, avec une petitesse et une docilité sans réserve. Quand je parle de docilité, je ne vous la propose que pour N. [Mme Guyon], et je sais combien votre cœur a toujours été ouvert de ce côté-là. Nous ne sommes en sûreté qu’autant que nous ne croyons pas y être, et que nous donnons par petitesse aux plus petits même la liberté de nous reprendre. Pour moi je veux être repris par tous ceux qui voudront me dire ce qu’ils ont remarqué en moi, et je ne veux m’élever au-dessus d’aucun des plus petits frères[664]. Il n’y en a aucun que je ne blâmasse, s’il n’était pas intimement uni à vous. Je le suis en vérité, ma bonne D., au-delà de toute expression. (L.1408)

La duchesse finit par dépasser sa susceptibilité et Fénelon en est très heureux :

Je ne puis vous exprimer, ma bonne et très chère Duchesse, combien votre dernière lettre m’a consolé. J’y ai trouvé toute la simplicité et toute l’ouverture de cœur que D[ieu] donne à ses enfants entre eux. […] je souhaitais que vous fissiez attention à ce qu’il ne faut presser le prochain de corriger en lui certains défauts, même choquants, que quand nous voyons que D[ieu] commence à éclairer l’âme de ce prochain, et à l’inviter à cette correction. Jusque-là il faut attendre comme D[ieu] attend : avec bonté et support. Il ne faut point prévenir le signal de la grâce. Il faut se borner à la suivre pas à pas. On meurt beaucoup à soi par ce travail de pure foi et de continuelle dépendance, pour apprendre aux autres à mourir à eux. […]

 Je ne sais point en détail les fautes qu’ils ont faites vers vous. Il est naturel qu’ils en aient fait sans le vouloir. Mais ces fautes se tournent heureusement à profit, puisque vous prenez tout sur vous, et que vous ne voulez voir de l’imperfection que chez vous. C’est le vrai moyen de céder à D[ieu] et de faire la place nette au petit M[aître]. (L.1442, 1er février 1711)

Voici la dernière conservée des lettres à la petite duchesse :

Il y a bien longtemps, ma bonne et chère Duchesse, que je ne vous ai point écrit. […] Il suffit d’être dans un véritable acquiescement pour tout ce que Dieu nous montre par rapport à la correction de nos défauts. Il faut aussi que nous soyons toujours prêts à écouter avec petitesse et sans justification tout ce que les autres nous disent de nous-mêmes, avec la disposition sincère de le suivre autant que D[ieu] nous en donnera la lumière. L’état de vide de bien et de mal, dont vous me parlez, ne peut vous nuire. Rien ne pourrait vous arrêter que quelque plénitude secrète. […]

Pour moi je passe ma vie à me fâcher mal à propos, à parler indiscrètement, à m’impatienter sur les importunités qui me dérangent. Je hais le monde, je le méprise, et il me flatte néanmoins un peu. Je sens la vieillesse qui avance insensiblement, et je m’accoutume à elle, sans me détacher de la vie. Je ne trouve en moi rien de réel ni pour l’intérieur ni pour l’extérieur. Quand je m’examine, je crois rêver : je me vois comme une image dans un songe. […]

Mon union avec vous est très sincère. Je ressens vos peines. Je voudrais vous voir, et contribuer à votre soulagement. Mais il faut se contenter de ce que D[ieu] fait. Il me semble que je n’ai nulle envie de tâter du monde. Je sens comme une barrière entre lui et moi qui m’éloigne de le désirer, et qui ferait, ce me semble, que j’en serais embarassé, s’il fallait un jour le revoir. […]

Bonsoir, ma bonne D[uchesse] ; je suis à vous sans mesure plus que je n’y ai jamais été en ma vie. (L.1479, 27 juillet 1711)


 

 

Le marquis de Fénelon (1688-1745).

Petit-fils[665] du frère aîné de Fénelon, Gabriel-Jacques de Fénelon était le second d’une famille de quatorze enfants. Mousquetaire en 1704, colonel du régiment de Bigorre en 1709, il reçut une grave blessure le 31 août 1711 au siège de Landrecies, lors de l’enlèvement du camp ennemi à Hordain. Informée, Madame Guyon lui écrit dès septembre :

Je vous assure, monsieur, que personne ne prend plus de part que moi à tout ce qui vous regarde, et que j’ai été affligée avec vous, que je vous aie recommandé de tout mon cœur à Notre Seigneur, que je l’aie prié et le prie encore que, s’Il vous fait participant de la peine et de la douleur de Jésus-Christ, Il vous donne aussi la patience nécessaire. Vous êtes avec Jésus-Christ sur la croix, et Il est avec vous dans la tribulation : Il vous y fait compagnie.

 Vous trouverez toujours dans votre cœur ce fidèle Ami lorsque vous L’y chercherez par un retour simple et sincère : un simple coup d’œil Lui suffit pour entendre tout ce que vous voulez Lui dire et que vous ne Lui dites point. Vous ne trouverez de consolation, de soutien et de force qu’en Lui. Vous L’avez toujours au-dedans de vous. […][666].

Mal soigné, il subit une opération début février 1713, qui fut suivie de trois mois de maladie : il restera toujours infirme, ce qui lui vaudra le surnom de « cher boiteux » sous la plume de Mme Guyon. Fénelon qui aimait bien son neveu, lui conseille de lâcher les faux-semblants pour ne s’appuyer que sur le divin dans la douleur de cette épreuve :

   Tu souffres, mon très cher petit fanfan, et j’en ressens le contrecoup avec douleur. Mais il faut aimer les coups de la main de D[ieu]. Cette main est plus douce que celle des chirurgiens. Elle n’incise que pour guérir. Tous les maux qu’elle fait se tournent en biens, si nous la laissons faire. Je veux que tu sois patient sans patience et courageux sans courage. Demande à la bonne Duchesse [de Mortemart ? ou de Chevreuse] ce que veut dire cet apparent galimatias. Un courage qu’on possède, qu’on tient comme propre, dont on jouit, dont on se sait bon gré, dont on se fait honneur, est un poison d’orgueil. Il faut au contraire se sentir faible, prêt à tomber, le voir en paix, être patient à la vue de son impatience, la laisser voir aux autres, n’être soutenu que de la seule main de Dieu d’un moment à l’autre, et vivre d’emprunt. En cet état, on marche sans jambes, on mange sans pain, on est fort sans force. On n’a rien en soi, et tout se trouve dans le Bien-aimé. On fait tout, et on n’est rien, parce que le Bien-aimé fait lui seul tout en nous. Tout vient de lui, tout retourne à lui. La vertu qu’il nous prête n’est pas plus à nous, que l’air que nous respirons et qui nous fait vivre […][667].

Se rendant aux eaux de Barèges en 1714 avec l’abbé Pantaleon de Beaumont[668], il passa probablement à Blois sur l’invitation de Mme Guyon : c’est alors qu’il fit sa connaissance. S’ensuivit une correspondance dont il nous reste une série de 70 lettres[669] de Mme Guyon puisque le marquis recopiait les lettres de sa mère spirituelle et classait les copies dans un cahier qui l’accompagnait partout.

Après la mort de la « très chère et vénérable mère », le « cher boiteux » se maria, eut douze enfants, et fut capable de servir son pays selon son rang au cours d’une brillante carrière militaire et diplomatique. Il était en passe d’obtenir le bâton de maréchal quand il fut blessé très grièvement à la bataille de Raucoux, près de Liège : il mourut quelques jours après, le 11 octobre 1746.

Il était légataire universel de son grand-oncle et dépositaire de tous ses écrits originaux, qui lui avaient été remis par l’abbé de Beaumont : il les publia[670] en Hollande en 1738 après y avoir ajouté un « Avertissement pour servir d’introduction à la lecture des Œuvres spirituelles recueillies dans cette nouvelle édition » [671]. Cet exposé clair et précis de la Querelle a été rédigé avec l’aide de Dupuy : très précieux pour nous, il reflète la vision du cercle guyonien de Lausanne  µ Lausanne     ? telle qu’on peut la deviner dans le Supplément à la Vie[672].

Lettres de direction à un jeune mousquetaire (extraits)

Madame Guyon eut bien du mal à intérioriser ce jeune mousquetaire arrivé à elle à seulement vingt-trois ans, après sa blessure. Mais elle conserva toujours une tendresse particulière pour son « cher boiteux ». Dans sa première lettre, elle lui demande de fréquenter lord Forbes (ou Ramsay), tout en lui signifiant qu’elle le portera dans sa prière :

J’espère que vous vous trouverez bien d’entrer en société spirituelle avec M. N.[673]  Vous vous aiderez mutuellement dans le chemin de la foi et de l’amour. Je veux bien y entrer en tiers en esprit. 

 Après la mort de Fénelon, elle lui recommanda aussi de prier « notre cher père … plus proche de vous que quand il était sur terre ».

Il eut beaucoup de difficultés à s’unifier dans la vie intérieure, ce qui nous permet de lire des conseils et des encouragements bien précieux pour les débuts d’une vie mystique : ils portent sur « la simple exposition devant Dieu », la fidélité à l’oraison, la lecture qui prépare le recueillement et « qui porte son effet dans le moment, sans qu’il soit nécessaire qu’il en reste quelque chose », sur « l’oraison d’affection », la joie à servir « un Dieu dont la bonté est immense, qui ne chicane point avec nous ». En voici un choix pris dans cette centaine de pages de correspondance :

Lettre 317, septembre 1711 :

J’ai reçu votre lettre, monsieur, avec beaucoup de joie[P2] , y remarquant le désir sincère que vous avez d’être à Dieu, et les miséricordes qu’Il vous a faites. Je suis ravie que vous puissiez voir quelquefois M. N. […]

Votre oraison est une simple exposition devant Dieu. Il faut y être fort fidèle, sans vouloir mettre notre main grossière à son ouvrage. Les distractions, lorsqu’elles ne sont pas volontaires, n’empêchent point l’oraison du cœur. Le cœur est constamment à Dieu malgré les diverses agitations de la vie, pourvu qu’on ne se reprenne pas, et qu’on veuille bien ne Le point offenser et ne point reprendre son cœur après le Lui avoir donné. Le sentiment et [P3] la ferveur dans la dévotion n’est pas la perfection de la dévotion, mais des accidents passagers, qui ne l’augmentent ni ne la diminuent : c’est un feu de paille, qui ne saurait être de durée. Mais la solide dévotion ne se perd pas lorsqu’on cesse de la sentir : elle n’est point assujettie aux causes accidentelles. L’amour sacré, la foi, l’abandon à la volonté de Dieu, sont l’âme de la piété, qui ne gît point dans le sentiment. […]

Lettre 318, 26 mars 1714 :

[…] Puisque vous voulez bien que je vous dise ma pensée, je vous assurerai que de la fidélité [P4] ou de l’infidélité à l’oraison dépend tout le bien et le mal de notre vie. Il est impossible que vous vous souteniez, à votre âge et dans vos emplois, qu’autant que vous prendrez de la force auprès de Dieu dans la prière. C’est comme un magasin d’eau qui se répand insensiblement sur toutes les actions de la journée. Nous sommes si faibles par nous-mêmes que, si nous ne nous tenons attachés à ce premier principe, nous tombons insensiblement dans la langueur. Moins on fait d’oraison, moins on a envie d’en faire : on se refroidit en s’éloignant du feu. Quand on est soigneux d’approcher souvent du feu, on éprouve une certaine chaleur douce qui rétablit le corps. Il en est ainsi de l’âme, lorsqu’elle approche de Dieu. […]

Lettre 322, 9 juillet 1714 où elle lui dit qu’elle n’est que l’instrument dont Dieu se sert : 

Je vous assure, mon cher enfant, que vous me tenez fort au cœur [P5] et que je ne vous oublie pas auprès du petit Maître. Il me semble que je ne le pourrais quand je le voudrais. Je serai bien fâchée que vous fussiez occupé ni de ma santé ni de quoi que ce soit qui me regarde, car je désire que vous soyez occupé de Dieu seul. Quand un habile homme fait une belle statue, chacun admire la statue, mais nul ne s’imagine de penser de quel instrument il s’est servi pour la faire : ce sont souvent de petits ferrements[674] fort méprisables. Ainsi le petit Maître, pour faire Ses plus beaux ouvrages, se sert de fort vils instruments. Il ne faut regarder que Sa main et non les sujets qu’Il prend pour achever Son œuvre en nous. Il est néanmoins certain qu’Il se sert des instruments souples et pliables qui ne lui font aucune résistance : moins ils ont d’éclat en eux-mêmes, plus ils sont propres en Sa main, afin, comme dit saint Paul, que l’œuvre ne soit point attribuée à l’homme, mais à Dieu. Soyez donc fidèle et sans scrupule à suivre le chemin qui vous a été marqué : plus vous y serez fidèle, plus vous attirerez les grâces de Dieu sur votre âme.

Ne soyez point ravaudeur[675], mais étendez votre cœur, comme dit David, pour courir dans la voie des préceptes[676]. Faites ce que vous faites avec joie, car nous servons un si grand Maître que nous devons en être comblés en Le servant. C’est un Dieu [P6] dont la bonté est immense, qui ne chicane point avec nous et qui ne fait aucun incident à un cœur simple et droit qui veut L’aimer pour Lui-même. Si l’on tombe, il faut se relever et recourir à Lui du fond du cœur, être humilié de notre misère sans en être jamais découragé : retenez bien ceci, car ce doit être la règle de votre vie. Nous sommes si faibles qu’il ne faut pas nous étonner si nous bronchons souvent, mais implorer aussi souvent le secours du petit Maître. Sa petite main est d’autant plus forte que nous sommes plus faibles. J’espère de Sa bonté qu’Il s’imprimera Lui-même dans votre cœur. L’amour fait souvent semblant de se cacher afin de réveiller notre paresse et que nous le cherchions avec plus d’ardeur ; mais lorsque nous le croyons plus loin, c’est lorsqu’Il est plus proche de nous.

Les images ne s’impriment point dans le cœur, mais bien dans l’esprit. Il ne faut pas vous étonner de l’inconstance de l’esprit, lorsque le cœur n’y a point de part. Votre cœur sera toujours un refuge assuré pour vous retirer et vous défendre de tout ce qui se passe dans votre esprit. Quand votre esprit est assiégé de différentes pensées, retournez à votre cœur et implorez là le secours de Dieu. Ne vous avisez jamais de vouloir mener le petit Maître, mais laissez-vous conduire par Lui dans les sentiers qu’Il vous a marqués et qu’Il a préparés pour votre âme. Car, quoiqu’Il soit pour tous, voie, vérité et vie[677], comme Il est immense, Il a une infinité de sentiers par lesquels Il conduit ceux qui s’abandonnent à Lui sans réserve.

Quoique vous ayez pris un temps fixe pour l’oraison, lorsque vous croyez qu’il est temps de la quitter et que le petit Maître vous rappelle par un certain petit recueillement, restez-y encore quelques moments pour Lui obéir ; mais lorsque c’est le scrupule qui vous retient, ne le suivez pas. N’interrompez point votre attrait à moins que vous n’y soyez engagé par quelque événement dont vous ne pouviez vous défendre, car lorsqu’on est attiré au-dedans, c’est une récolte que l’on fait, et souvent l’on perd de grands biens pour interrompre ce recueillement. Quand vous lisez, lisez simplement pour vous recueillir et non pas pour voir si vous êtes selon ce que vous lisez. Cela ne servirait qu’à vous occuper de vous-même, ce qui est une très mauvaise occupation. Allez donc à Dieu au-dessus de tout ce qui vous regarde. […]

Lettre 324, 29 septembre 1714 : elle prévient le marquis des précautions qu’elle prend pour garder secrètes (même pour sa fille) les relations spirituelles qu’elle entretient avec ses visiteurs de Blois :

J’étais fort en peine de vos nouvelles, [P7] mon cher enfant, et dans la résolution de vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre. Je vous dirai d’abord de peur de l’oublier que, dès que vous serez arrivé à l’hôtellerie, vous envoyiez quérir R[amsay] à sa maison ou ici parce qu’il vous y introduira, car ma fille est ici et j’ai peur qu’elle ne soit pas partie quand vous viendrez. Que cela ne vous fasse aucune peine, car il vient des étrangers souvent me voir et vous passerez pour un chevalier flamand de la connaissance de M. F[orbes] et de R[amsay]. Je vous recevrai comme ma fille reçoit ceux qui la viennent voir, c’est-à-dire dans ma chambre où vous dînerez à part avec moi. Vous porterez le nom du Chevalier Souabe ou de quelque autre gentilhomme frandrin [de Flandres]. Je vous dis tout ceci en cas qu’elle soit ici quand vous passerez, car peut-être sera-t-elle partie. Elle ne compte de rester que jusqu’à la Toussaint, encore ne crois-je pas qu’elle y soit si longtemps. […] 

Votre disposition malgré votre faiblesse ne laisse pas de me faire un grand plaisir. Lorsque je vous ai mandé de lire quelque chose immédiatement devant la prière, ce n’a été que pour vous faciliter le recueillement, parce que lorqu’on a été dissipé par divers objets, ces mêmes objets ne s’effacent pas si aisément de l’imagination. Un moment de lecture entre la dissipation et la prière fait un bon effet. Ce n’est pas pour vous occuper de ce que vous aurez là que je vous ai conseillé la lecture, mais seulement pour vous faciliter le recueillement. Lorsque vous vous sentirez attiré à la prière et qu’il semble que Dieu vous y appelle, il ne faut point lire. […]

Il ne nous reste qu’une seule lettre du marquis à Mme Guyon : peut-être était-ce celle qu’il jugeait importante. Il y raconte en effet un rêve qui l’a tellement marqué qu’il éprouve le besoin de le lui écrire. On sait l’importance que Mme Guyon accordait aux rêves car elle en raconte plusieurs dans sa biographie. Ce sont des états mystiques qui ont lieu pendant le sommeil et qui s’expriment par des images. Ils peuvent symboliser l’état spirituel du rêveur ou lui montrer une réalité mystique importante. Dans ce songe, Mme Guyon vit joyeusement avec ses enfants spirituels près du jardin du paradis. Le baiser qu’elle accorde symbolise la transmission de la grâce qui passe pour le jeune marquis. L’état de profonde paix vécu réellement pendant le rêve le transforme : il a perdu ses doutes sur les liens qui l’unissent à Mme Guyon [Lettre 327, 31 mars 1714 ?] :

Ma très chère et vénérable mère, je ne puis laisser partir [mots illis.] du vénérable P[oiret] sans y joindre ce petit mot pour vous assurer de mes très profonds respects, et pour vous prier de me continuer votre charité en notre cher petit Maître. J’ai eu de temps en temps des pensées qui me faisaient souhaiter de savoir que notre mère me regardait tout de bon comme un de ses enfants, ou plutôt comme un enfant du petit Maître, puis mes infidélités fréquentes m’en faisaient bien douter, sans pourtant me laisser aller à aucune inquiétude sur cela. Je ne sais pas aussi que cela ait fait beaucoup d’impressions sur mon esprit.

Cependant j’ai eu un songe un dimanche matin, le vingt-et-un mars, qui semble avoir quelque rapport à cela, que je vais dire en toute simplicité. C’est que je me trouvais avec le bon Sevin[678] pour aller ensemble chez notre mère [Mme Guyon]. Je perdais en chemin mon compagnon, puis, en avançant, un domestique m’invitait d’entrer dans la maison où il était. J’y entrais en descendant premièrement, et puis je montais vers un lieu qui ressemblait [à] une grande salle où il y avait beaucoup d’enfants qui jouaient ensemble et avaient devant eux des corbeilles, où étaient de petits fruits rouges de la grandeur des groseilles rouges de Hollande. Le cher M. R[amsay] y était, apportant de ces corbeilles vers notre mère, qui était devant une grande table, causant avec deux ou trois enfants qui étaient debout sur la table. J’allais vers notre mère qui me tendait la main que je baisais. Mais elle, avec un air bien gracieux, se tourna vers moi m’embrassant, me baisant à la bouche, y tenant appliqué la sienne quelque petit espace de temps, pendant lequel je priais le petit Maître en disant : « Donnez-moi, mon Dieu, Votre bon esprit, donnez-moi Votre Esprit saint, etc. » J’y sentais une douceur tranquille, et là-dessus il me semble que je m’éveillai ayant l’esprit rempli d’un grand calme.

Avant la rencontre de notre mère, il me semble aussi que j’étais avec le bon Sevin et...[679] dans une salle, - je ne sais si c’était la même que l’autre, - qui [26] avait un prospect[680] dans un grand et magnifique jardin, et nous nous divertissions entre nous et avec d’autres enfants.

 Je vous demande pardon, ma très chère mère, que je vous entretienne de mes songes. Je prie Dieu de me disposer et de me rendre capable d’en recevoir la réalité. Quoi qu’il en soit, depuis ce temps-là je ne saurais nullement douter de la charité de notre chère mère pour moi, tout indigne que j’en suis et nonobstant mes infidélités. Priez-le cher petit Maître qu’Il me rende bien petit et enfant. Ô que j’en suis encore éloigné ! …. Mon frère vous assure aussi de ses profonds respects en se recommandant de même à votre charité, laquelle excusera ma liberté et simplicité enfantine à raconter des rêves. Plaise au petit Maître [de] nous conserver encore longtemps notre chère mère et de vous combler de plus en plus de Soi-même. Nous saluons et embrassons avec respect le cher M. pèlerin[681].

Lettre 328, 7 décembre 1714, de Mme Guyon :

[…] Votre naturel est tendre et sensible. Il faut, dès le commencement, vous habituer à vivre par une foi simple égale, sans beaucoup vous embarrasser de vos sentiments. Autrement quand le temps de sécheresse viendra, vous aurez de la peine à tenir ferme. Soyez toujours fidèle au milieu de vos infidélités et servez-vous de tout ce que vous remarquez en vous pour vous humilier et vous rendre méprisable à vos propres yeux. De nous compter pour rien et de tendre au néant, c’est le chemin et la fin de toute la perfection. […]

[Post-scriptum de la main même de Mme Guyon :]

Mon cher enfant, je vous aime tendrement, soyez bien petit, bien fidèle, mourez à tout, oubliez-vous vous-même, et vous serez dans la vérité. N’oubliez pas la nuit de Noël et si vous êtes auprès du cher père, qu’il dise la messe pour tous les enfants du petit Maître dispersés. Communiez à cette intention.

Lettre 334, 9 février 1715 : Fénelon vient de mourir.

[…] Il ne faut pas être pour soi-même, mais il faut tâcher que ce que nous avons de bon se communique à ceux qui désirent d’en profiter : c’est ce que je vous recommande sur toutes choses, mon cher enfant. Croyez que vous m’êtes doublement cher présentement, tant à cause de vous que de celui qui s’est éloigné de nous pour retourner dans son principe. Si nous pouvions désirer quelque chose, ce serait de l’y aller joindre. Pour moi il me semble que je n’ai plus rien à faire sur terre.  […]

Lettre 340, 22 mars 1715 : Mme Guyon recommande au marquis découragé de prier Fénelon. Celui-ci transmettait la grâce de son vivant, il continue après la mort plus efficacement encore :

[…] Ne vous découragez point, ne croyez point que les forces vous manquent : c’est plutôt le courage. Quand Dieu nous ôte les forces, Il nous porte Lui-même, mais quand l’amour propre nous les ôte, nous nous laissons engourdir sans avancer. Notre âme au lieu de se relever après ses chutes, se laisse abattre par une vue et un esprit propriétaire de nos misères[A8] .

 Ne vous laissez donc point abattre, ranimez-vous, recourez à notre cher père, regardez-le par la foi qui vous tend la main pour vous relever. Il est plus proche de vous que quand il était sur terre : il connaît vos besoins, vos faiblesses, vos misères. Il y compatit. Ses secours seront d’autant plus efficaces qu’ils ne sont plus les objets de vos sens et de votre imagination. Il ne parle plus à vos oreilles, mais étant dans le sein du petit Maître, son action sur votre âme sera beaucoup plus intime, pure, vitale ; il participe même de la force de la Divinité. Regardez-le donc avec un œil de foi et dites-lui au fond de votre cœur : « Mon cher père, intercédez pour moi, venez, venez à mon secours, je veux vous suivre, mais je ne peux pas ». Puis taisez-vous, reposez-vous sur son sein, enfoncez-vous-y : il vous introduira un jour dans celui du petit Maître.

Ayez la foi seulement, et toutes ces montagnes qui vous accablent, qui vous séparent du petit Maître, qui vous épouvantent, seront transportées et jetées dans la mer. Ô, mon cher enfant, si vous saviez ce que c’est que de supporter vos misères en vous haïssant vous-même, que vous trouveriez de paix au milieu de toutes vos faiblesses ! Je vous conjure donc de ne vous point décourager, vous ne pourriez jamais vous corriger par votre chagrin. L’œuvre de Dieu ne s’accomplit point par notre colère et nos dépits contre nous-mêmes, mais par une humble persévérance. […]

Lettre 343, 20 mai 1715 :

[…] Plus nous sommes fidèles à Dieu, plus Il prend soin de nous. C’est une expérience qui vous sera un jour très douce : elle est possible dans le commencement. Mais si vous vous habituez à l’écouter, vous ne serez point en doute de ce que vous aurez à faire ou ne pas faire, à dire ou à faire. […]

Lettre 345, 28 juin 1715 :

[…] Ce qui nous est le plus avantageux, c’est la foi nue et simple. C’est ce qui fait que Dieu ne nous donne pas toujours le sentiment de Sa présence afin que nous marchions en foi, mais il n’en est pas de même dans la journée, où nous avons des occasions de nous distraire. Dieu fait alors sentir Sa présence afin de nous rappeler au-dedans et d’empêcher une trop forte dissipation. L’oraison est comme naturelle à l’âme quand elle s’y est habituée, comme l’œil voit sans s’apercevoir qu’il voit et sans le sentir : nous ne sentons notre œil que quand il est malade. La bonté de Dieu est si grande qu’Il se fait plus sentir dans le besoin, à moins que nous ne commettions des péchés volontaires qui L’obligent à se retirer. Encore quand nous en aurions commis, si nous retournons à Lui du fond de notre cœur, Il oublie nos péchés. Il ne laisse pas de nous en punir par le sentiment des mêmes choses dont nous nous sommes servis pour L’offenser. […]

Lettre 346, 5 août 1715. La lecture spirituelle prépare au recueillement : 

[…] Je ne voudrais pas que vous lussiez tout de suite, mais interrompez votre lecture sitôt qu’elle vous cause le moindre recueillement et la reprenez pour un temps lorsque le recueillement est passé. Je fais différence entre la lecture entremêlée de recueillement et l’oraison actuelle. Pour l’oraison actuelle, tenez-vous y auprès de Dieu, étant content de le faire comme il Lui plaît, soit qu’elle soit sèche ou fervente, car c’est la même chose pour Dieu, quoiqu’elle soit moins agréable pour vous. Demeurez exposé à sa lumière et à sa chaleur, Lui disant de temps en temps ce qu’il vous vient au cœur de Lui dire, n’agissant pas continuellement, mais demeurant de temps en temps dans un silence qui, quoique sec, ne laisse pas de donner lieu à l’opération de Dieu, car si vous agissez toujours, Dieu n’opérera point en vous. Vous me direz : « Mais je ne sens point son opération ». L’opération de Dieu n’est pas toujours sensible, il s’en faut bien. Plus elle est sèche et plus les effets en sont avantageux. Tout ce que vous devez faire de votre part, c’est de laisser tomber les distractions et de ne les pas retenir sous quelque prétexte que ce puisse être. […]

L. 356. Dieu est jaloux :

[…] Il est jaloux, laissez-Le reprendre Son bien [A9] et employez l’équité, que vous devez avoir en la place où vous êtes, à Lui faire la première justice, à vous la faire à vous-même. Laissez-vous ôter ce que vous auriez assurément peine à rendre. Dieu vous fait grâce de tout prendre : je vous déclare que je serai toujours de Son parti et que mon cœur, sans vous rien dire, vous dérobera bien des choses pour les rendre à qui il appartient. Je suis méchante, je vous aime néanmoins de tout mon cœur[A10] . Plus je vous aimerai, moins vous serez épargné. […]

L. 359. « Nous sommes du naturel des crapauds » :

Au reste, mon cher b[oiteux], pour ce qui vous regarde, soyez à Dieu au-dessus de toute pensée et de toute imagination et laissez tout tomber. Vous ne pouvez empêcher les folies de l’imagination, mais vous pourrez vous renoncer et ne prendre part à rien. Nous sommes du naturel des crapauds : nous nous enflons de tout. Mais de même que l’enflure du crapaud n’est que du venin et qu’il prend son poison sur la terre, il en est de même de notre enflure : c’est un poison mortel pour notre âme, ce poison vient de la terre qui est nous-mêmes et c’est notre amour propre qui nous enfle. Mais si le crapaud est si vilain, il a une admirable propriété qui est qu’étant exposé au soleil, il perd la malignité de son poison et sert à faire un excellent antidote. Si nous nous exposons au soleil de justice et que nous nous élevons de la terre, c’est-à-dire au-dessus de nous-mêmes par un entier renoncement, nous paraîtrons si horribles et si sales aux yeux de Dieu qu’il y aura en nous de quoi faire un véritable antidote contre toute enflure[A11] . Ayez bon courage, mon enfant, ne vous laissez jamais élever pour la prospérité soit spirituelle soit temporelle, ne vous laissez jamais abattre pour l’adversité spirituelle ou temporelle, accoutumez-vous à une certaine fermeté d’âme. Cette fermeté vient de notre souplesse envers Dieu : plus nous sommes souples en la main du petit Maître, plus nous sommes affermis contre tous les événements de la vie. Croyez-moi bien à vous dans le petit Maître.

L. 363. Se défaire de la tête :

[…] Comme j’espère vous voir, [A12] je vous répondrai sur tout. Mais quand vous déferez-vous de votre tête ? Il me semblait, une de ces nuits, voir tous les hommes comme des esprits de blé ; je voyais tant de têtes et point de cœurs, je disais : « Petit Maître, prenez une faux, moissonnez toutes ces têtes, qu’il n’y ait plus que des cœurs. » […]

L. 372. Mme Guyon parle ouvertement d’elle-même comme « instrument » de Dieu : par son canal, Dieu a donné au marquis la douceur des premiers états, puis le retire du sensible maintenant :

[…] Il ne faut [pas] vous étonner si vous êtes plus sec à présent et si vous ne trouvez plus cette douceur et cette consolation que vous trouviez lorsque vous me veniez voir autrefois. Dieu ne donne par Ses instruments que ce qu’Il donne par Lui-même, selon la disposition et l’état qu’Il veut de l’âme[A13] . Lorsque Dieu a voulu vous attirer à Lui, Il l’a fait d’une façon plus douce et plus multipliée, mais à présent que Dieu veut vous faire aller par la foi et vous retirer du sensible, Il vous donne un état plus sec et plus simple. Tout votre mal, comme je vous l’ai dit, vient de l’occupation de vous-même et que votre tête est toujours pleine. Quand votre tête sera-t-elle coupée ? […]

L. 373. Mme Guyon se plaint des tièdes :

[…] Il nous a appris que le royaume de Dieu est au-dedans de nous et que c’est [là] où il le faut chercher, mais qu’il n’y a que les violents qui le ravissent, c’est-à-dire qu’il n’y a que ceux qui font violence à la nature et au sentiment qui jouissent de ce royaume intérieur : c’est pourquoi Il nous a si fort recommandé de nous renoncer nous-mêmes, de porter notre croix et de Le suivre. […]

Plût à Dieu qu’ils fussent ou tout froids ou tout chauds ! Mais parce qu’ils sont tièdes, Dieu les vomit [Apoc. 3, 15-16]. S’ils étaient tout froids, leur froideur pourrait leur faire de la peine et ils chercheraient sans doute de quoi se réchauffer auprès de Dieu. S’ils étaient chauds, ils rempliraient leurs devoirs en s’attachant à l’unique objet de leur amour. Ils ne clocheraient [boiteraient] pas sans cesse des deux côtés[A14] . […]

Lettre 377, 1er juin 1716 : Mme Guyon a tellement d’affection pour le marquis qu’elle fait l’effort de lui écrire de sa main :

[…] Moins nous avons de sensible, plus nous devons marcher avec fidélité et assurance, non appuyés sur nous-mêmes, mais sur la puissance et la bonté de Dieu.

Ne croyez pas que votre voyage vous ait moins servi que les autres parce que vous y avez eu moins de goût sensible : c’est le contraire. Dieu, voulant vous ôter le sensible, a commencé ici.[A15]  Au reste, ne vous découragez pas si vous n’avancez pas autant que vous le voudriez. Si vous voyiez votre avancement, de l’humeur dont vous êtes, vous vous en occuperiez sans cesse au lieu de vous occuper de Dieu. Laissez à Dieu le soin de vous conduire tantôt par des campagnes fertiles, le plus souvent par des campagnes désolées sans route et sans eau, comme David [Ps. 62, 3] l’avait éprouvé.

Je suis bien aise que M. votre père s’adoucisse pour vous quand vous ne deviez pas me voir, car il est de l’ordre de Dieu dans votre état de tâcher de cultiver son amitié : j’espère que Dieu ajustera toutes choses. Je recommande le p. à vos prières et à celles de Pan[ta]. Souvenez-vous de lui au tombeau de notre père [Fénelon]. Gardez cette lettre : elle pourra vous servir plus d’une fois. C’est beaucoup pour moi de l’avoir écrite, étant encore faible. Je vous embrasse, mon cher enfant, des bras du petit Maître.

­6 Août 1716, L. 380. L’ultime conseil :

Plus je vois de gens sages, plus j’ai envie d’être folle. Ainsi mon enfant, il me paraît que la sagesse n’était point de votre ressort. Je vous prie de laisser là tout ce qui regarde les disputes du temps. […]

Après la mort de Mme Guyon, le marquis écrivit à Lord Deskford[682] :

Mon cher milord. Après la perte que nous auons faiste il ne nous reste plus que d'estre unis en celui qui ne nous manquera jamais et que nous deuons croire ne nous auoir priué de la presence sensible de N [otre] M[ère] que pour nous faire trouuer par son intercession un secours plus puissant, et plus conforme à nos besoins. […]  L’abandon en Dieu, la perte de tout appui, et le détachement de toute créature, et de tout hors Dieu est ce qu’il m’a semblé que le temps que j’ai passé auprès d’elle dans ces derniers moments de sa vie m’a montré d’une manière sensible être la voie que je dois suivre. […] Soions unis mon cher milord malgré la distence des lieux. Je n'aurai jamais rien qui me soit si pretieux que de pouuoir esperer que j'aurai tousjours en vous un ami, et un frere dans le p[etit] m[aître]. Dieu le veuille, et que je ne cesse pas de l'estre par mes infidelités. Je suis bien touché de la separation des amis avec lesquels j'ai passé un temps qui sera le plus doux de ma vie.


 


 

TROIS FILIATIONS DE « TRANS » EN TERRES PROTESTANTES

Dans cette période de transition entre l’ancien monde religieux et celui naissant des Lumières avec leur perception « scientifique » du monde, on a affaire à un monde complexe où théosophes, maçons, spirituels, écrivains se croisent, souvent par simple accident ou curiosité.

Tandis que la vieille « dame directrice » (pour les sceptiques), « notre mère » (pour les disciples), vivait très retirée à Blois, ses amis circulaient beaucoup, et de nombreux étrangers venaient la voir. Si, en Europe centrale et du nord, les confessions calvinistes ou même luthériennes s’opposent à la mystique dont le souvenir est associé aux moines et moniales combattus par les réformes, par contre les cercles piétistes suisses, allemands, hollandais ainsi que les épiscopaliens écossais y sont sensibles. Il en est de même dans des mouvements qui proposent un vécu chrétien renouvelé : les quakers adeptes de la « lumière intérieure », les méthodistes fondés par Wesley, puis des artisans du « réveil » suisse ou du revival américain.

L’influence de cet humble cercle spirituel fut donc européenne car les écrits de Fénelon et de son inspiratrice étaient largement acceptés en milieu protestant[683].

La circulation des pèlerins

Au niveau direct et physique des personnes, la circulation des disciples empruntait deux routes.

La route terrestre et maritime du nord conduit de Blois à Cambrai (Fénelon et son cercle), puis on va à Rijnsburg près d’Amsterdam voir Poiret, son cercle et ses amis dont Metternich ; plus tard Tersteegen, des Hongrois passeront par là. Ou bien on va soit à Londres (cercle de Keith), soit à Édimbourg (cette dernière ville pouvant être rapidement et directement atteinte par mer), enfin, encore plus au nord, à Aberdeen où un cercle constitué autour de l’église Old Machar existait déjà avant d’être influencé par les écrits de l’éditeur Poiret. Sur ces groupes, on dispose des belles études d’Henderson.

Le chemin de l’est conduit de Blois à Lausanne : le cercle de Morges (plus tard dirigé par Dutoit…) était relié à l’Allemagne (cercle de Fleischbein en son château de Pyrmont).

Une variante : les « chemins de traverse » empruntés par les Suisses qui se rendent en Angleterre, par exemple lorsque Wesley choisit pour successeur un pasteur suisse ami de Dutoit[684].

De plus un groupe aurait été actif en Suède jusqu’au milieu du XXe siècle et même en Russie (des traductions sont attestées au début du XIXe siècle).

Des cercles d’inspiration guyonienne se constituèrent ainsi au début du XVIIIe siècle en terres protestantes (nous étudierons dans une section parallèle les influences en terres catholiques). Nous y distinguerons trois branches avec leurs filiations dont nous verrons les principales figures spirituelles. Ces réseaux mettent en jeu de nombreux relais.


 

LA FILIATION ÉCOSSAISE

Dans le nord de l’Écosse, à Aberdeen, un cercle relié directement à madame Guyon fusionna avec la belle tradition spirituelle épiscopalienne illustrée par Henry Scougal[685] et James Garden[686]. Les liaisons sont très directes, car plusieurs disciples écossais, dont un Garden, étaient présents à Blois lorsque la vieille dame s’éteignit paisiblement en juin 1717. Nous allons les présenter tels qu’ils figurent dans la correspondance de Madame Guyon[687] et dans l’évocation remarquable qu’en fait Henderson[688].

Une tradition mystique, une histoire mouvementée.

L’Écosse a eu un rayonnement bien supérieur à ce que l’on pouvait attendre d’un pays pauvre à la population clairsemée, situé aux confins de l’Europe (de même pour la Suède un siècle plus tard) : les noms du philosophe David Hume (1711-1776) et de l’économiste Adam Smith (1723-1790) illustreront le dynamisme d’un pays qui ne comptait qu’un peu plus d’un million d’habitants vers 1750.

Au niveau politique, l’Ecosse du XVIIe siècle était liée avec la France : Louis XIV accueillait la famille royale écossaise en exil au château de St Germain. Les échanges étaient multiples si bien que la classe cultivée pratiquait couramment le français. Des clergymen se tournèrent vers la France, en particulier Robert Leighton, archevêque de Glasgow, qui passa de longues années sur le continent : sa personnalité rayonnnante exerça une grande influence surtout par l’inter­médiaire de son disciple Henry Scougal[689].

La situation excentrée de l’Ecosse permit une évolution religieuse moins radicale qu’en Angleterre et peut-être facilita le maintien d’une tradition mystique liée à une vie monastique médiévale. Ce sont des spirituels qui se succèdent au XVIIe siècle à l’université d’Aberdeen.

 

Henry Scougal (1650-1678)

Aberdeen était l’une des trois meilleures universités britanniques avec Oxford et Cambridge. La chaire de professor of Divinity fut occupée par des religieux remarquables : John Forbes, qui tint un journal intérieur de 1624 à 1647, The spiritual Exercises ; puis Henry Scougal qui mourut très jeune ; et enfin James Garden, auteur de la non moins remarquable Comparative theology (1699) qui fut très appréciée par Poiret.

Ces trois hommes incarnèrent tour à tour une tradition spirituelle qui était propre à Aberdeen et rattachée à la “cathédrale” d’Old Machar, belle église entourée de tombes, au centre du vieil Aberdeen : on peut toujours se promener dans ce lieu paisible et presque champêtre, à côté de la vivante capitale du pétrole.

Admirateur de Renty et disciple des platoniciens de Cambridge, Scougal publia The Life of God in the Soul of Man [690] en 1677. Ce livre poursuivit son influence au siècle suivant sur J. Wesley (1703-1791), le fondateur du méthodisme, et sur G. Whitefield (1714-1770), évangéliste célèbre des deux côtés de l’Atlantique. Il reste apprécié et lu de nos jours aux Etats-Unis, car le texte limpide est remarquable par sa fraîcheur, par l’absence de tout caractère morbide (trop souvent présent dans le catholicisme français de l’époque), enfin par son refus de tout sectarisme comme de tout “enthousiasme” fanatique.

The Life comporte trois parties : I. Présentation de la vie naturelle et divine, dont Jésus-Christ est le prototype, II. Sur l’amour divin, III. Sur les difficultés concrètes rencontrées dans une vie chrétienne. Le début de la première partie affirme clairement un christianisme intérieur vécu en liberté :

Je ne peux parler de la religion, mais dois regretter que dans le nombre de ceux qui y prétendent, si peu comprennent ce qu’elle signifie : quelques-uns la réduisent à la compréhension, aux notions orthodoxes et aux opinions ; le témoignage qu’ils peuvent en donner tient en ce qu’ils ont tel ou tel avis, qu’ils se sont attachés à l’une ou l’autre des nombreuses sectes entre lesquelles le christianisme est bien malheureusement divisé. D’autres placent la religion à l’extérieur de l’homme, dans une course perpétuelle pour accomplir des devoirs selon un modèle performant. S’ils vivent en paix avec leurs voisins, observent la tempérance, le calendrier des obligations en fréquentant l’église et si parfois ils font l’aumône, ils pensent s’être acquittés de leurs devoirs. D’autres placent toute la religion dans les sentiments, dans les cœurs exaltés et la dévotion extatique ; tout leur but est de prier passionnément, de penser au ciel et d’être sensibles à ces expressions tendres par lesquelles ils font la cour à leur Seigneur, jusqu’à ce qu’ils se persuadent qu’ils sont amoureux de Lui : ils affichent alors une grande confiance dans leur salut, qu’ils estiment être la principale grâce chrétienne

 [...] Mais la religion est très certainement toute autre chose ; ceux qui en ont la pratique ont des pensées bien différentes et dédaignent toutes ces ombres et fausses imitations.  Ils savent par expérience que la vraie religion est l’union de l’âme avec Dieu, une participation réelle à la nature divine, la véritable image de Dieu dessinée en l’âme, ou, selon l’Apôtre, « le Christ formé en notre intérieur. » Je ne vois pas comment la nature de la religion peut être mieux et pleinement exprimée de manière brève, qu’en la nommant une Vie Divine : et je vais en parler sous ces termes, montrant d’abord, comment elle est nommée une vie ; et ensuite, comment elle est appelée divine.

 J’ai choisi premièrement de l’exprimer sous le nom de vie à cause de sa permanence et de sa stabilité. La religion n’est pas un départ soudain, ou une passion de l’esprit ; on ne doit pas penser qu’elle doive s’élever à la hauteur d’un rapt et sembler porter l’homme à des performances extraordinaires. […] / La religion peut encore être désignée du nom de vie, parce qu’elle est intérieure, libre, principe auto-moteur : ceux qui ont progressé ne sont pas seulement conduits par des motifs extérieurs, par des craintes, ni achetés par des promesses, ni limités par des lois ; mais ils sont puissamment inclinés vers ce qui est bon, et trouvent leur joie dans cet accomplissement. L’amour qu’un homme pieux porte à Dieu et à la bonté, n’est pas tant le fait d’un commandement lui enjoignant d’agir ainsi, que d’une nouvelle nature l’instruisant et le poussant.[691]

La seconde partie est un hymne à l’amour non sans référence à l’expérience de l’amour humain :  µ à traduire !!!!

Love is the greatest and most excellent thing we are masters of and therefore it is folly and baseness to bestow it unworthily. It is indeed the only thing we can call our own : other things may be taken from us by violence, but none can ravish our love. […]

First, I say, love must needs be miserable, and full of trouble and disquietude, when there is not worth and excellency enough in the object to answer the vastness of its capacity. ...

Again, Love is accompanied with trouble, when it misseth a suitable return of affection. Love is the most valuable thing we can bestow, and by giving it, we do, in effect, give all that we have; and therefore it must needs be atfflicting to find so great a gift despised, that the present which one hath made of his whole heart, cannot prevail to obtain any return. Perfect love is a kind of self-dereliction, a wandering out of ourselves; it is a kind of voluntary death, wherein the lover dies to himself, and all his own interests, nor thinking of them, nor caring for them any more, and minding nothing but how he may please and gratify the party whom he loves. Thus he is quite undone, unless he meets with reciprocal affection ...

In fine, a lover is miserable, if the person whom be loveth be so. They who have made an exchange of hearts by love, get thereby an interest in one another’s happiness and misery ; and this makes love a troublesome passion, when placed on earth. ...

The severities of a holy life, and that constant watch which we are obliged to keep over our hearts and ways, are very troublesome to those who are only ruled and acted by an external law, and have no law in their minds inclining them to the performance of their duty ; but where divine love possesseth the soul, it stands as sentinel to keep out every thing that may offend the beloved, and doth disdainfully repulse those temptations which assault it: it complieth cheerfully, not only with explicit commands, but with the most secret notices of the beloved’s pleasure, and is ingenious in discovering what will be most grateful and acceptable unto him: it makes mortification and self-denial change their harsh and dreadful names, and become easy, sweet, and delightful things.[692]

La dernière partie, la plus longue, tente avec moins de bonheur de trouver un chemin :  µ raccourcir un peu  barbant  + traduire !

He may sit down in sadness, and bemoan himself, and say, in the anguish and bitterness of his spirit, “They are happy indeed whose souls are awakened unto the divine life, who are thus renewed in the spirit of their minds; but, alas! I am quite of another constitution, and am not able to effect so mighty a change. If outward observances could have done the business, I might have hoped to acquit myself by diligence and care; but since nothing but a new nature can serve the turn, what am I able to do? I could bestow all my goods in oblations to God, or alms to the poor, but cannot command that love and charity, without which this expense would profit me nothing. ...

All the art and industry of man cannot form the smallest herb, or make a stalk of corn to grow in the field; it is the energy of nature, and the influences of Heaven, which produce this effect. It is God " who causeth the grass to grow, and herb for the service of man;" and yet nobody will say, that the labours of the husbandman are useless or unnecessary. ...

Especially, if we hereunto add the consideration of God’s favour and good-will towards us; nothing is more powerful to engage our affection, than to find that we are beloved. Expressions of kindness are always pleasing and acceptable unto us, though the person should be otherwise mean and contemptible; but to have the love of one who is altogether lovely, to know that the glorious Majesty of heaven hath any regard unto us, how must it astonish and delight us, how must it overcome our spirits, and melt our hearts, and put our whole soul into a flame![693]

Le groupe guyonien

Tout un groupe spirituel existait autour de l’université d’Aberdeen. Il se composait de membres de la haute société écossaise épiscopalienne, de grands seigneurs très éduqués, qui avaient voyagé, et qui s’intéressaient à l’intériorité. Il s’agit en particulier de la famille des Forbes (dont John Forbes, que nous venons de citer) qui donnera trois disciples à Mme Guyon ; celle des Garden, dont James Garden l’auteur de la Comparative theology (1699), qui ira à Blois, accompagné par son jeune frère Georges ; la famille Deskford… pour ne  citer que ceux dont nous possédons les correspondances.

Tous étaient jacobites, c’est-à-dire partisans du roi Jacques II Stuart : celui-ci venait d’être détrôné en 1688 par la « Grande Révolution » qui avait amené la dynastie hollandaise des Orange sur le trône. Le roi Louis XIV, cousin-germain de Jacques II, l’accueillit avec sa cour au château de St Germain-en-Laye. 40000 jacobites prirent refuge en France. Toujours menacés d’être arrêtés, ils voyageaient beaucoup. Ils passaient par la Hollande, qui n’était qu’à trois (voire deux) jours de bateau des ports de la côte est, entre Édimbourg et Aberdeen. De nombreuses communautés d’Écossais s’établirent sur le continent, tandis que les Hollandais transformaient le port de Culross en beau village « hollandais » que l’on visite de nos jours près d’Édimbourg.

Tout le groupe d’Aberdeeen, attiré par la mystique, établit des relations avec l’éditeur Poiret, lui-même pasteur protestant réfugié près d’Amsterdam. Ceux qui restaient en Ecosse recevaient les ouvrages mystiques édités par Poiret en Hollande par l’intermédiaire du Dr. Keith de Londres. Tous dépendaient des découvertes de Poiret : ils devinrent donc un moment adeptes d’Antoinette Bourignon[694], dont Keith et George Garden traduisirent de nombreux volumes. Mais en 1708, ils interrompirent leurs travaux[695] car Poiret avait découvert Madame Guyon qu’il jugeait supérieure à A. Bourignon : il se mit à l’éditer.

Les Ecossais avaient atteint là le terme de leur quête et plusieurs membres du groupe vinrent à Blois :

James Garden (1645-1726) et son frère Georges (1649-1733).

Les deux frères sont enterrés dans le beau et paisible cimetière champêtre près de la cathédrale d’Old Machar au nord de la moderne cité du pétrole d’Aberdeen.

George Garden, âme mystique, ami d’Henry Scougall dont il prononça l’éloge funèbre, fut attaché à l’église cathédrale d’Old Machar. Son frère James et lui, épiscopaliens et jacobites, ne supportaient pas le dogmatisme des nouveaux-venus presbytériens et défendaient la religion intérieure. Dans sa Comparative théology, James déclare que seul l’amour conduit à une présence immédiate de Dieu, pas les moyens et les intermédiaires[696] :

L’essence de la religion […] consiste seulement dans l’amour de Dieu […] parce que Dieu se suffit à lui-même… (11).

Il existe toute sorte de moyens pour rétablir la charité, mais quelques-uns sont nécessaires, sûrs et infaillibles, d’autres sont nécessaires, mais ni sûrs ni infaillibles […] Au premier rang sont la foi en Jésus-Christ le médiateur […] finalement le sevrage du cœur de tout amour impur […] Au second rang sont les Écritures […] Au troisième […] les pasteurs, les sociétés religieuses, les églises, les sacrements […] (53)

Refusant de se cacher, George fut emprisonné dans le château d’Edimbourg lorsque les presbytériens déposèrent des ministres épiscopaliens. Il écrit à ce propos à Mme Guyon[697] :

J’ai reçu, ma chère madame, votre très aimable et consolante lettre.  Béni soit Dieu qui nous soutient dans toutes nos tribulations, et qui vous a inspiré de m’écrire une lettre si pleine de consolations dans l’état où sa sage et bonne Providence m’avait placé […] J’ai été poussé par l’importunité de quelques-uns de mes bons amis de m’échapper de prison, parce qu’on avait dessein de me traiter avec la dernière sévérité. Ils me pressaient d’y consentir par l’exemple de St Paul qu’on descendit dans un panier et échappa ainsi des mains de ses ennemis. […] Les mêmes amis me conseillent de quitter pour quelque temps ce pays-ci. J’attends la première occasion de m’embarquer pour la Hollande.

Je suis persuadé que Dieu soutient sa faible créature à proportion des maux qu’Il lui fait souffrir, et je ne désire autre chose que d’être abandonné à sa sainte volonté, de me délaisser totalement à sa sage Providence, et de n’avoir aucun soin pour moi-même, mais de lui remettre tout.

 Il s’échappa en effet en Hollande et fit des études médicales à Leyden. Il fit la connaissance de Pierre Poiret et participa entre 1697 et 1708 à la traduction et à la diffusion d’Antoinette Bourignon (1616-1680) pour lesquelles il dépensa beaucoup de temps et d’argent : il admirait son sens du divin, mais pas ses bizarreries. Enfin Poiret lui communiqua sa nouvelle passion pour madame Guyon[698]. Arrivé à Blois, Georges Garden fit partie du cercle des intimes de Mme Guyon. Il reçut certains de ses poèmes et entretint une correspondance avec elle. Il se trouvait à son chevet quand elle mourut.

Il ne retourna en Écosse qu’en 1720. Il garda des liens avec tous les Ecossais de Blois et s’employa à diffuser les lettres et les livres de Mme Guyon en Ecosse partout où l’on réclamait une direction spirituelle. Il resta célibataire. Wettstein, l’éditeur hollandais ami de Poiret, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un de plus doux, modeste, ayant plus de bonté fraternelle[699]. Dans un échange de lettres provoqué par l’arrivée en Écosse des prophètes français camisards, la pensée profonde de George apparaît dans les conseils adressés à un correspondant un peu trop enthousiasmé par ces exaltés[700] :

6. Pour ceux qui s’adonnent à la prière du silence, il est [pré]supposé que leurs sens, appétits et passions sont en grande part mortifiés et soumis […] sinon ils peuvent être conduits à une fausse quiétude qui ne purifie pas le cœur, mais l’expose à l’illusion.

7. La prière de silence étant détournement de l’âme de la compréhension de toutes les créatures et de toutes leurs images, et se fixer par pure Foi sur Dieu, suprême Vérité et Bien, comme il est en Lui-même infiniment au-delà des conceptions de toute créature, par un amour ardent de la suprême et sans limite et incompréhensible beauté [lovelyness], la grande Fin de tout ceci doit être enracinée dans l’espoir et l’amour divin […] Celui qui prie de cette façon n’attend aucun discours, ni mouvements, ni lumières extraordinaires, ni autres miracles. Et ne désire aucune autre chose sinon de toujours croire en Dieu profondément et fermement, d’espérer en lui et de l’aimer dans le temps et durant l’éternité sans changement.

8. Mais si de telles âmes ont à quelque moment des lumières et conditions extraordinaires sur des choses particulières, ils ne sont pas mariés avec elles, parce qu’ils savent que ce qui est connu, possédé et senti ici bas n’est pas Dieu […]

9. L’état ordinaire d’une âme qui est sur le point d’acquérir la prière silencieuse est un état de foi pure et obscure. Il ne connaît pas Dieu, il ne le sent pas. Nuages et obscurité l’entourent. Il est placé comme dans une terre sèche et assoiffée où il n’y a pas d’eau : et cependant il est encore plus assoiffé et affamé de Dieu et de la prière et ses dégoûts des choses temporelles s’accroissent, tandis qu’il lui semble n’avoir ni vertu et ne pas aimer Dieu. Et ceci est sa vraie purification, pas simplement des images et de l’amour des choses corporelles, mais de soi, de l’amour-propre, de la complaisance en soi-même, de la recherche de soi-même…

              Le chevalier Ramsay (1686-1743)

La personnalité de ce self-made man est appréciée diversement selon ses biographes[701]. Henderson nous le présente favorablement, comme un exemple d’une adaptation sociale nécessaire en ces temps difficiles pour qui n’était pas d’origine noble (ce sera le cas de Rousseau). L’énergie qu’il mit en œuvre dans la diversité de ses entreprises est remarquable.

Né en 1686 en Écosse, fils d’un boulanger, il se distingua par sa curiosité d’esprit qui le conduisit à des études de théologie à Glasgow et Édimbourg. Le goût de l’aventure (pour Chérel), ou la recherche spirituelle (pour Henderson) le conduisirent chez Poiret en Hollande. Il séjourna à Cambrai chez Fénelon, qui le convertit au catholicisme. Ramsay lui resta très attaché comme le montre cette lettre[702] :

ce 13 de Mars. 1715.

Voicy Mon Cher Milord une lettre de la part de N[otre] M[ère] avec plusieurs jolies chansons pour vous réjouir. J'y ay joint aussy la copie d'une lettre de mon cher père [Fénelon] qui est à présent dans le sein de Dieu. Unissez vous à luy, il vous procurera de puissans secours. C'étoit le plus grand & le plus petit des hommes. Tout ce que le monde admiroit en luy n'étoit qu'un voile pour le cacher des yeux des hommes. Tout ce que les âmes pieuses condamnoit en luy étoit l'effet de la plus pure abnégation. De manière qu'il étoit également caché & des profanes & des dévots ; & encore plus de luy-même. Je sens à présent que pour un père que j'ay perdu sur terre j'ay gagné un protecteur dans le ciel. Les sens & l'imagination ont perdu leur objet, mais mon coeur le trouve dans notre centre commun. Il répand sur moy un rayon de cette paix céleste dont il jouit, quand je m'y unis en simplicité & sans détour. Il m'est un canal de grâce. Il vous le sera aussy si vous vous y unissez avec foy. Il a donné en mourant sa bénédiction à tous les enfans du p[etit] m[aître]. Si vous en connoissez quelques uns près de vous, dites le leur.

Il devint après 1714 le secrétaire de Madame Guyon à Blois. Ce poste était stratégique : les lettres arrivaient entre ses mains, et les réponses adressées aux disciples lui étaient dictées par Mme Guyon. Il se permettait d’ajouter des interventions personnelles sur un ton protecteur. Il avait tendance à mettre son rôle en valeur, par exemple dans cette lettre à Lord Deskford[703] :

[…] nous pensâmes être orfelins depuis peu & perdre N[otre] M[ère] qui a été trois fois aux portes de la mort par un catarrhe qui luy tomba sur la poitrine & pensa l'étouffer. Mais le p[etit] m[aître] a eu pitié de nous & a fait ainsy que trois saignées l'ont beaucoup soulagée quoiqu'elle soit encore fort foible & allittée. C'est de son sang que j'ay écrit ces paroles qu'elle me dit de mander à tous les enfans du p.m. Dans le fort de sa maladie on me les dicta. Voicy la chose la plus précieuse que je saurois vous envoyer. Gardez-la chèrement & accusez-m’en la réception, comme aussy de cette lettre.

Mme Guyon gardait à son égard une certaine distance, contrairement à la tendresse qu’elle témoignait au jeune marquis de Fénelon. Mais Ramsay rendit un grand service par son bilinguisme qui facilitait les relations avec les disciples trans. Il aurait voulu être l’ami de Lord Deskford et du marquis de Fénelon et les flattait exagérément. Voici dans la même lettre, sa déclaration à Lord Deskford :

N[otre] M[ère] vous embrasse des bras du p[etit] m[aître] qui sont longs. Pour moy je vous trouve souvent auprès de nous & au milieu de nous, quand nous sommes devant ce cher p.m. Comptez sur ma tendresse, sur mon respect, sur mon attachement inviolable, & quand je peux vous servir je me sens toute âme & tout coeur. Enfin notre filiation demande que nous ne soyons que Cor unum & Anima una [un seul Coeur et une seule âme]. Adieu.

Se croyant exécuteur des volontés de Mme Guyon, il joua un rôle discuté lors de la querelle qui suivit la mort de « notre mère », en s’opposant au vieux Poiret qui voulait faire une édition intégrale de la Vie. Son intervention s’expliquerait par l’influence de la fille de Madame Guyon, d’un caractère aussi énergique que celui de sa mère[704] et qui aurait préféré la censure de certains passages.

Ensuite, grâce au duc de Chevreuse, il fut sept ans précepteur du fils du comte de Sassenage. Chérel nous dit à quel point Ramsay resta voué au culte de Fénelon en « gardien vigilant » de sa mémoire : « Dans son Histoire de Fénelon, Ramsay avoue avoir voulu détruire les fausses idées que certaines personnes ont formées de Madame Guyon, en lisant une histoire de sa vie, imprimée depuis peu dans les pays étrangers [par Poiret], sans son aveu, et contre ses dernières volontés […] Madame Guyon apparaissait comme l’inspiratrice, tandis que Fénelon n’était qu’un disciple. Voilà contre quoi Ramsay tint à protester et à réagir[705] ». 

 Le Régent l’estimait et lui attribua une pension. Nommé Chevalier en 1723, il partit pour Rome en 1724 comme précepteur du fils aîné du Old Pretender au trône d’Écosse. Il fut peut-être l’agent diplomatique des Stuarts. Rentré à Paris, il habita chez le duc de Sully (qui était marié à la fille de Madame Guyon). Il écrivit, à l’imitation du Télémaque, un roman qui remporta un grand succès : Les Voyages de Cyrus[706]. Il fit partie du Club de l’Entresol à partir de 1726 : « Tous les dogmes chrétiens, affirmait-il, se retrouvent dans les religions païennes[707] ». Il y rencontra Montesquieu.

En 1728, il fut initié franc-maçon à Londres. Il était l’ami d’Anderson et Desaguliers, qui avaient rédigé en 1723 les Constitutions de la Franc-maçonnerie moderne. En 1735, il épousa la fille du fondateur de la première loge anglaise en France. Il se présenta à l’Académie française sans succès, entra à quarante-quatre ans en qualité de précepteur dans la puissante famille des Bouillon.

 Il fut Grand Orateur de la Grande Loge Provinciale de France mais, contrairement à la légende, il ne put pas prononcer de discours en 1736 dans la loge Saint-Thomas car le cardinal Fleury, premier ministre, avait interdit les assemblées maçonniques. Ce texte aura cependant une grande influence[708]. Ramsay manœuvra auprès du cardinal de Fleury pour faire admettre la Franc-maçonnerie par le pouvoir royal.

Les principes philosophiques…, son grand œuvre[709], ne manquent pas d’intérêt, mais le chevalier s’y oppose à Spinoza (dont il imite la présentation de l’Éthique) et à d’autres grands philosophes (Descartes, Locke…) avec une suffisance et une fermeté telles que ses condamnations en deviennent comiques. D’après Chérel, « Ramsay était un homme estimable, mais il prêtait beaucoup à la plaisanterie, par ses airs empesés, par son affectation à faire parade de science et d’esprit, selon un témoignage d’époque[710]. »

Il avait pourtant de grandes qualités : tolérant et charitable, il se fit de nombreux amis et sa jeune femme lui resta profondément attachée[711]. Il participa activement au bouillonnement des esprits de son époque. Sensible à l’esprit des Lumières, il était théosophe plutôt que mystique. Son grand apport concerne la Franc-maçonnerie dont il rêvait de faire une religion universelle : Ramsay avait admiré l’action de Fénelon à Cambray, et fut le premier à introduire dans la Franc-maçonnerie l’idéal suprême de la solidarité avec le genre humain. C’est ainsi que la fraternité et l’amour universel pratiqués par Fénelon inspirent encore la Franc-maçonnerie.

 

Les trois Forbes.

La grande famille d’aristocrates écossais des Forbes[712] donna trois disciples à Madame Guyon[713].

1. Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo (1678-1762).

Après la mort de son père lorsqu’il avait treize ans, il fit son éducation sur le continent, où il aurait rencontré Fénelon avant de retourner en Écosse en 1700 [714]. Il était ami personnel du baron de Metternich, ce qui veut dire qu’il était un lien entre la branche écossaise et la branche allemande des guyoniens. Walter Scott déclarait « que nul homme ne pouvait entrer en contact intime, sans l’aimer, l’honorer et l’estimer ». Sa vie fut remplie d’aventures dont il s’échappait par miracle[715].

Il protesta contre l’Union des deux royaumes en 1705, fut présent à la bataille de Sheriffmuir en 1715, se cacha en Écosse puis à Londres, en Hollande, à Vienne, à Rome ; comme il ne s’entendait guère avec le roi en exil, il revint vivre en Écosse, avant de prendre de nouveau part au soulèvement de 1745 à un âge avancé et sans illusion. Il finit sa vie à nouveau caché en Écosse[716]. Henderson le décrit ainsi : 

« Rien ne suggère le dangereux quiétiste : mais son contrôle sur lui-même, son désintéressement, sa bonté, son acceptation des fortunes contraires, et sa paix intérieure au-delà de toute explication demeurent » et le désignent comme un disciple de madame Guyon parmi les plus grands [Henderson n’est pas un inconditionnel guyonien, ce qui ajoute valeur à ce témoignage]. Sa position spirituelle peut se résumer par ses propres termes : « une soumission absolue à la volonté divine en nous et chez les autres est la seule chose à demander par la prière, car c’est la seule vraie religion essentielle[717] ».

2. William, 14th Lord Forbes (1687-1730) 

Il était très estimé de ses amis et fut probablement l’un des plus profonds des disciples. Le Dr. James Keith en parle avec une affection particulière. Il vécut pendant une grande partie de sa vie hors de son pays et demeura fréquemment chez madame Guyon[718].

 Il aurait voulu devenir [catholique] Romain et se consacrer à Dieu dans un couvent, mais elle l’en dissuada, lui prédisant qu’il se marierait, ce qu’il fit en épousant une riche demoiselle de Londres. Alors qu’il vivait à Aix-la-Chapelle entre 1720 et 1730, « on raconte que le premier enfant qu’il en eut, fut porté sur les fonds de baptême par une demoiselle d’Eschweiler au nom de Madame Guyon, qui, quoique morte, fut envisagée comme présente au baptême. ». L’enfant reçut le nom de Jean-Marie à cause des prénoms de Mme Guyon. Petronille d’Eschweiller deviendra « ensuite l’épouse de M. de Fleischbein, grand intérieur […] et un des plus grands saints qu’il y ait eu dans ce siècle »[719].

Le jour où Madame Guyon mourut, il était à son grand regret absent, àvisiter des disciples d’un couvent voisin. Voici le récit du manuscrit de Lausanne :

[…] il resta chez elle jusqu’à sa mort, mais il n’eut pas la consolation d’assister à  ses derniers moments : il était allé voir des personnes intérieures, car […] il y en avait une multitude qui reconnaissaient Madame Guyon pour leur mère spirituelle. […] On sait qu’il y avait des cloîtres entiers remplis de personnes qui faisaient oraison […] Milord Forbes rapporte qu’il connaissait un couvent près de Blois, où toutes les religieuses étaient dans les mêmes principes, et quelques-unes parmi elles fort avancées. Il s’y rendit et après quelques discours il leur dit : « Mes chers enfants, que faites-vous ensemble et comment passez-vous votre temps ? » A quoi la principale et la plus avancée d’entre elles répondit : « Milord, nous servons le bon Dieu et nous nous crucifions l’une l’autre. » Ce fut donc dans un de ses voyages que sa sainte mère mourut. Il regretta beaucoup de n’avoir pas pu baiser ses pieds avant son décès.

Ce[MT16]  récit prouve deux choses : que Mme Guyon avait de nombreux disciples autour de Blois, mais dans une discrétion telle qu’il n’en reste que ce récit ; et ensuite que Forbes était suffisamment avancé pour qu’elle l’envoie en ambassadeur spirituel s’occuper des religieuses.

William Forbes avait une telle vénération pour madame Guyon que, bien des années après sa mort, il « était comme hors de lui-même quand il parlait d’elle[720].

3. James, 16th Lord Forbes (1689-1761)

Le jeune frère de William était mystique lui aussi, tout en étant très engagé dans la rébellion jacobite : il fut même capitaine dans une compagnie indépendante des rebelles dont le quartier général était à Aberdeen. Il dut s’enfuir sur le continent en octobre 1716 et traversa en compagnie de son ami George Garden. Ils furent étudiants tous les deux à Leyden[721].

Il connut Mme Guyon de justesse. Très respecté, il faisait partie de son cercle intime : il possédait des manuscrits des poèmes et fut présent à son agonie. Il fut lui aussi en correspondance avec le Dr Keith. Il finit par obtenir un permis et put retourner vivre tranquillement en Ecosse.

James Ogilvie, Lord Deskford (1690-1764).

Lord Deskford[722] arriva tout jeune chez Mme Guyon. Les amis de Blois le comparaient au neveu de Fénelon, jeune comme lui. C’est ce que lui dit Ramsay dans un ajout à la fin d’une lettre dictée par Mme Guyon[723] :

M. F[orbes], qui est arrivé ici en bonne santé, vous fait ses compliments et vous embrasse du meilleur de son cœur. Le neveu de M. de Saint François [Fénelon] vous fait bien des compliments. Il a vu quelques-unes de vos lettres à notre mère et il y a un grand rapport entre son naturel et le vôtre, car il a une grande candeur et simplicité. […] Et je vous appelle souvent le marquis de F[énelon] écossais et lui [le] Milord Desk[ford] français. Je vous prie de me faire savoir votre adresse en Ecosse, afin que je vous écrive tout droit sans donner la peine à notre cher Dr. K[eith].

Deskford avait été éduqué par une mère très pieuse, puis son tuteur l’avait fait séjourner à Aberdeen de 1701 à 1705. Parti pour Utrecht, il étudia l’histoire et le français, liant amitié avec des Anglais et des Allemands. Rentré en Ecosse en 1707, de santé fragile, il tomba très gravement malade. Il repartit à l’étranger et rencontra Mme Guyon.

Il fut un bon disciple. Voici une lettre du 24 octobre 1714, traduite par Ramsay (avec l’orthographe d’époque) :

Quand je vous éscris, je tache de vous exposer sans aucun deguisement le veritable estat de mon ame, et de le faire tout simplement, et sans reflechir fort particulierement. Mais comme je ne connois point mon coeur, je suis persuadé que je ne dis point les choses avec autant d'exactitude, et de fidelité que je le souhaitterois, mais le p[etit] m[aître] supleera bien à cela. Mon pere aiant depuis peu perdu sa charge, nous irons bientot en Ecosse, et je crois que nous demeurerons ensemble pendant quelque tems. Je tacherai avec l'aide du p.m. d'estre soumis comme il a ésté. Lorsque je me receuille pour prier, ou pour me souvenir de dieu je sens souvent un certain doux sentiment de la presence de l'etre incomprehensible. Cela se perd quelques fois par l'egarement de l'immagination ou par divers souhaits irreguliers qui s'attachent au fonds de mon coeur et se montrent aux occasions. Il se renouvelle par de petits souvenirs et par de courtes aspirations de louange. Quelques fois je me souviens que je dois outrepasser le sentiment pour jetter mon ame dans la supreme essence, et la parfaitte et pure volonté du souverain bien. Souvent je ne puis demeurer ma demie heure entière a genouil [à genoux] sans trouver grande difficulté, mais je tache de me faire une violence pour l'amour, et l'obeissance du p.m. Ordinairement dieu me fait souvenir de lui souvent pendant le jour, mais peu de chose me distrait, et j'ai peu de courage. Que le royaume de nostre maitre s'etablisse dans touts les coeurs. Amen.

Après avoir ajouté que Mme Guyon l’aime beaucoup,  Ramsay (heureusement pour nous) s’occupe de la conservation des lettres :

Voila, mon cher Milor, ce que N[otre] M[ère] m'a dicté pour vous. Votre droiture, candeur, et simplicité luy font grand plaisir et vous êtes un de ses plus chers enfans. Je vous prie de garder toujours une copie des lettres que je vous écris de la part de N[otre]M[ère]. Il faut en faire faire quelque jour un recueil et les envoyer à Dr. K[eith] afin qu'il les envoye avec les autres écrites aux amis à Mr. P[oire]t.

C’est dans une lettre du 12 janvier 1715 que Madame Guyon accepte solennellement de porter Lord Deskford[724] :

C’est de tout mon cœur, mon cher M[ilord], que je veux bien être votre mère, mais vous ne savez pas à quoi cette qualité m’engage. Je ne la prends pas aisément à cause de cela : jusques à présent Dieu m’a châtiée pour l’infidélité des enfants. Il me fait souffrir pour eux. […] quoique nous soyons unis en Jésus-Christ à tous ceux qui veulent l’aimer, nous ne portons les langueurs et les peines que de ceux qu’Il nous donne pour véritables enfants.

Ramsay à qui Mme Guyon a dicté cette lettre, se permet un ajout personnel enthousiaste dans un style quelque peu ampoulé, mais qui traduit l’esprit de ferveur commun aux disciples :

Jusqu’ici c’est notre mère qui a dicté, mon cher milord. Permettez-moi d’ajouter un petit mot. […] Nous sommes à présent doublement unis : la filiation spirituelle, et la fraternité divine qui nous rend enfants de la même mère, est encore plus forte que tous les liens d’une respectueuse amitié qui m’unissait à vous auparavant. Puissions-nous par le cœur de notre mère nous perdre un jour entièrement dans le sein de notre Père céleste. Amen et amen.

Dans cette belle lettre qui reflète la simplicité ultime où elle vivait, madame Guyon lui donne  l’essentiel de l’oraison :

[…] Ce que j’ai prétendu, Mr., a été de vous inspirer une Oraison Libre, dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête ; quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité del’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul excitant la volonté, par une tendance de cette volonté vers son Divin Objet. On est bien loin de vouloir vous donner des méthodes. Il n’en est point question pour vous. Ce serait la même chose que de vouloir qu’un enfant déjà né rentre dans le sein de sa mère. Tous les livres sont pleins de méthodes, et ces méthodes sont très peu fructueuses. Elles servent à nourrir l’activité de l’esprit que la foi doit surpasser. L’esprit de l’homme naturellement curieux voudrait voir un système clair et net de tout ce qu’il tâche de concevoir. Il n’en est pas de même de l’oraison que des sciences. Il faut ici que le St Esprit soit le maître, et s’abandonner à lui. Moins nous agissons, plus il agit, mais comme il ne demande que notre coeur, c’est-à-dire notre volonté, c’est donc par là qu’il faut aller à lui. C’est le plus court chemin. […]

Il ne faut que vous abandonner à l’esprit de Dieu, vous mettre en sa présence et rappeler cette présence par une petite affection lorsqu’elle vous échappe ; des retours fréquents en vous-même durant le jour, et prendre quelque temps plus long et plus marqué pour vous tenir auprès de Dieu, comme un enfant auprès de son père qu’il aime. Plus nous agissons simplement avec Dieu, plus il est content de nous, et plus nous sommes contents de lui. Quand on a un si bon guide, on n’a pas besoin de demander une route particulière […] [725].

Suspect d’être partisan de la cause jacobite, Deskford fut arrêté en août 1715 et confiné un moment au château d’Édimbourg : les amis de Blois, craignant pour sa vie, ont beaucoup prié pour lui à ce moment-là.

Il vécut longtemps et se maria deux fois. Il eut une vie sociale active : il participa au gouvernement local de Cullen, introduisit des manufactures de tissus dans le voisinage, devint vice-amiral d’Écosse. Il habitait son château de Cullen House, conservant les précieuses lettres de Mme Guyon dans sa bibliothèque pleine de livres mystiques.

 

Le Dr. James Keith (-1726)

Habitant Londres, le Dr. Keith fut la plaque tournante entre madame Guyon, les Ecossais et la Hollande.

Il était lié au groupe d’Aberdeen car il était le fils du Révérend John Keith qui avait succédé à George Garden à la St Machar Cathedral d’Aberdeen. Etudiant en Arts devenu médecin en 1704, il chercha fortune en exerçant dans le Londres de Swift, Defoe, sir Isaac Newton…

Cultivé, il possédait de nombreux ouvrages mystiques rédigés en plusieurs langues. Il fréquentait des milieux variés : Ockley qui enseignait l’arabe à Cambridge, le Dr. Francis Lee[726] qui dirigeait les théosophes philadelphiens… « À Londres, J. Keith vivait dans un cercle de non-jureurs, c’est- à-dire d’anglicans de la Haute Église qui, après avoir combattu le catholicisme sous Jacques II, préférèrent, lors de la révolution de 1688, leurs principes à leurs bénéfices[727]. »

Il assurait la distribution des livres édités par Poiret et qui arrivaient de chez Wettstein, l’imprimeur d’Amsterdam : Keith pouvait disposer d’une centaine d’exemplaires dont environ quarante pour cent était vendus en Écosse[728], certains par l’intermédiaire de Munro, libraire à Édimbourg.

 Il faisait circuler, d’ami à ami, les lettres de madame Guyon adressées aux Écossais, en évitant toute publicité. Il fut l’homme de confiance à qui Madame Guyon remit son manuscrit de la Vie[729].

 Il transmettait les nouvelles de Blois et de la santé de Mme Guyon : trois ans avant sa mort, on ne la voyait guère survivre plus de quelques jours[730] ; une autre fois, un asthme grave la faisait suffoquer[731]. En 1717, nous savons par Keith que quatre Ecossais étaient présents au chevet de Mme Guyon pendant les derniers jours[732] : Ramsay, George Garden et les deux frères Forbes. Enfin, dans une lettre à Lord Deskford, Keith diffuse le récit qu’a écrit Ramsay de la mort de Mme Guyon[733] :

Sa mort a été semblable à sa vie. Elle a porté jusqu'à sa fin les états de Jesus crucifié, et est expirée enfin sur la croix avec une paix et une douceur où il paroissoit une insensibilité à tout ce qui est au dehors, mais où je crois que l'Interieur étoit bien occupé, et d'une manière peu intelligible à ceux qui n'ont pas les yeux de la Foy. Elle est morte le 9 de ce mois (Juin) à onze heures et demi du soir. Elle me dit le matin avant et apres avoir reçu le saint viatique qu'elle étoit dans un état de delaissement extrême. Je compris que le P[etit] M[aître] la rendoit conforme à son état sur la Croix quand il dit « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné ? » Je le lui dis même et elle ne repliqua que ces paroles avec une douceur et un abandon parfait : « Mon Dieu vous m'avez abandonnée ». Le reste du jour jusqu'à six heures du soir se passa en grandes douleurs et souffrances. Alors elle reçut l'extrême onction et sembla perdre connoissance de tout ce qui est au dehors, et expira sans douleur, sans peine, dans un silence et paix profonde.

Une deuxième lettre de Keith à Lord Deskford contient une transcription d’une lettre (perdue) de Ramsay[734] écrite le 4 août. Le récit est légèrement différent :

Elle sentit depuis longtemps que Dieu l'alloit retirer, que sa mission étoit finie, et marquoit par l'oubly profond où elle étoit desappropriée. Ses souffrances ont eté extremes, et sa patience tout à fait chrétienne. Il n'y a pas grande chose à dire d'une ame que Dieu avoit toujours caché dans le secret de sa face, et qu'on ne pouvoit connoitre que par le silence du coeur. Il y a des saints qui parlent beaucoup en mourant. Il y en a d'autres qui n'ouvrent la bouche que pour dire avec J. Ch. sur la Croix : Mon Dieu, Mon Dieu, combien vous m'avez abandonné. Elle a porté ce dernier état de Jesus sur la croix, et m'a dit souvent le jour de sa mort : Je suis dans un delaissement extreme. Mais tout se passa presque dans le silence, jusqu'à ce qu'enfin elle perdit connoissance de tout ce qui se passoit au dehors."

Ses lettres sont une mine de renseignements : on le voit faciliter les relations entre disciples[735], raconter à Lord Deskford les tiraillements qui entourent l’édition de la Vie [736], commenter l’édition en 1717 des Œuvres spirituelles de Fénelon[737]

Sa vie personnelle fut douloureuse : ses deux fils aînés moururent de la variole en 1717 et il perdit sa femme en 1721.

Sa correspondance montre aussi combien il était un homme intérieur :

Notre propre expérience vous convainc que notre vie est en tous respects une guerre continuelle, que partout et dans tous les états nous devons être fournis et éprouvés à la fois du dehors et du dedans. C’est le lot d’un vrai disciple, et je suis sûr qu’il est heureux quand il est amélioré selon l’intention de notre Seigneur. Alors rien n’arrive qui doive nous troubler ou nous inquiéter. Il accomplira son travail propre, si seulement nous le servons et nous soumettons à lui humblement.  Qu’il lui plaise d’accroître notre foi et de renforcer notre dépendance en lui, que nous soyons introduits sous le voile et puissions goûter et posséder la substance ! [738].

Ne soyez pas troublé par un de ces mouvements de Peur, Anxiété, Mélancolie, etc., qui peut à n’importe quel moment surgir en vous ; ne laissez place à aucune réflexion chagrine à leur sujet. Tournez-vous à l’intérieur et entrez doucement dans le Cœur du Petit Maître et ils disparaîtront rapidement [739].

Ne nous arrêtons jamais aux nombreuses contrariétés jetées sur notre chemin, ni même à leur accorder la moindre réflexion, mais, en y faisant aussi peu attention que possible, plongeons-nous dans le Rien, là seulement où demeure notre sécurité […] Laisser passer et outrepasser sont Règles à ne jamais oublier [740].

[L’union est :] la distance signifie peu aux Esprits unis dans le Centre commun. Notre Vénérable Mère se souvient de vous continuellement [741].

Après la mort de madame Guyon, Keith conntinue de conseiller Deskford et le confie à la garde de Mme Guyon :

Je peux assurer Votre Seigneurie que jamais un jour ne passe sans que je sois présent et uni à vous dans le cœur de N[otre] S[ainte] M[ère][…] Ne vous découragez d’aucune difficulté […] elles arrivent souvent dans le commerce du monde, mais en se tournant doucement à l’intérieur et en plongeant dans la Divine Préssence, elles tomberont rapidement et seront oubliées. Patience, Patience, Résignation et Silence. Dieu est tout et nous rien[742].

Puisse notre bien-aimée Mère en Dieu poursuivre sa veille particulière et sa protection sur vous tous, et vous garder vous et nous tous dans une dépendance envers Lui humble et pleine de foi, de jour en jour et de moment en moment. Si l’on voit et observe Sa main dans chaque chose qui arrive, et que l’on se tienne avec constance dans l’ordre de sa Providence, on ne sera pas troublé devant les étranges désordres du monde ni découragé sous la variété des croix et la multiplicité des affaires qui nous attendent presque inévitablement. Toutes ces choses doivent être supportées comme ells viennent, sans aucune prévision de notre part ni réflexion après coup. […]

 D’autre part, nous devons avoir une grande patience pour nous-mêmes comme pour les autres, et vouloir porter nos fragilités, nos défaites et infirmités, comme nous le voyons chez les petits enfants, sans même désirer en être débarassés avant le temps. Et de même que la croissance n’est pas complètement observée dans la nature et que ses étapes ne sont pas visibles, de même dans le domaine spirituel. Mais en Lui est la Vie, la force et la perfection. Il est tout, nous ne sommes rien. Le travail est sien, et c’est Lui qui l’accomplira. Soyons seulement petits et passifs et silencieux devant Lui[743].

               Le docteur Georges Cheynes. µ supprimer ?

Figure périphérique, mais ami proche de James Keith, le Dr. Georges Cheynes était lui aussi un londonien originaire d’Aberdeen : surnommé le « Falstaff d’Aberdeen », il partageait les tendances du groupe Garden. Cheynes était ami de Pope, de Richardson, du chirurgien Charles Maitland qui introduisit l’inoculation contre la variole en Angleterre... William Law, à qui il révéla frère Laurent et Jakob Böhme, respectait son autorité en matière de mystique. C’était un médecin à la mode à Bath, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir une autorité respectée en matière de mystique. On le rencontrait dans les cafés littéraires « où il était tellement pénétré du vocabulaire guyonien qu’il ne parlait que de ‘ foi nue et d’amour pur ’ »[744]. Une de ses lettres mentionne les mystiques suivants : Tauler, John of the Cross, Bernier [Bernières], Bertot, Marsay, Madame Guyon.

Cheyne était en relations épistolaires avec un jacobite de Manchester, John Byrom : ce poète mit en vers anglais le cantique de madame Guyon « Charmante solitude, Cachot, aimable tour ? »[745]. En inventant la sténographie, Cheynes s’ouvrit les portes des salons aristocratiques et littéraires : il y discourait « sur les auteurs pour lesquels il éprouvait des passions successives ou simultanées… »[746].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      LA FILIATION HOLLANDAISE

À Rijnsburg, village proche d’Amsterdam où Spinoza s’était retiré une génération plus tôt, le cercle formé autour de Pierre Poiret (1646-1719) influencera le grand mystique théologien Tersteegen (1697-1759) qui « découvrira les écrits de nombreux mystiques, notamment ceux de madame Guyon … dont il traduira une partie. » [747]. Ce dernier est apprécié de Soren Kierkegaard. Nous disposons des belles études de M. Chevallier[748].  

                   Pierre Poiret (1646-1719)

Pierre Poiret est l’éditeur grâce auquel furent sauvées les œuvres de Bertot et en grande partie celles de Madame Guyon dont l’ensemble forme quarante-trois volumes. Sans son labeur, le témoignage de J.-M. Guyon serait réduit au Moyen court, aux Torrents et Commentaire du Cantique. Il venait ainsi couronner d’autres entreprises éditoriales, l’ensemble représentant une véritable bibliothèque mystique de près d’une centaine de volumes [749].  Issu de manuscrits souvent imparfaits, ce travail considérable a été possible par la contribution d’une équipe : le cercle spirituel qui entourait Poiret dans la plus grande discrétion.

Ce protestant marginal est l’exact contemporain de Jeanne Guyon, la précédant de deux ans, mourant deux ans après elle. Originaire de Metz, orphelin de père aidé par la communauté réformée locale qui avait mis sur pied des écoles, remarqué par un pasteur, embauché comme précepteur, il poursuit ses études avec acharnement. Étudiant en théologie à Bâle et Heidelberg, il est pasteur à vingt-trois ans et marié l’année suivante. Après sa découverte de Descartes, il lit les mystiques rhénans. Gravement malade à vingt-huit ans, il connaît le déferlement de la guerre dans le Palatinat. Il achève son travail sur la philosophie cartésienne et vit une crise spirituelle. Conquis par la lecture d’ouvrages d’Antoinette Bourignon, une mystique assez excentrique, il part pour Amsterdam âgé de trente ans.  Fidèle disciple d’ « A.B. » pendant quatre ans, jusqu’à sa mort, il travaille pendant six ans à l’édition de ses œuvres (soit dix-neuf volumes, dont il rédige lui-même une partie), puis à leur introduction. « Homme d’une grande culture et formé par un sérieux ministère pastoral » [750], il édite d’autres mystiques ainsi que des œuvres personnelles qui le rendront estimable aux yeux d’un Leibnitz et lui laisseront une place parmi les cartésiens du siècle. À quarante-deux ans, il s’installe à Rijnsburg, village près de Leyde, où Spinoza vécut, et où les Collégiants, protestants marginaux, se réunissaient. Il y vivra plus de trente ans jusqu’à sa mort à 73 ans. « Poiret eut auprès de lui, au moins pour les quinze dernières années de sa vie, une modeste équipe de quelques fidèles amis [...]ils tentent de vivre dans les voies intérieures [...]On reçoit des nouvelles d’autres groupes pieux, par exemple des amis qui entourent madame Guyon, d’elle-même, de ses disciples écossais ou suisses. Ces échanges sont à la fois édifiants et affectueux. » [751].

Là il vécut tranquille, s’occupant de recevoir l’illumination passive et d’écrire des livres, détestant toute charge officielle. Là il entretint un groupe de familiers [...]Cependant jamais il ne constitua une secte ni des assemblées religieuses ; bien plus il ne sortait même pas de la maison pour se rendre au culte divin public ou à l’office sacré. Il supportait facilement que ses familiers suivissent la religion qu’ils pensaient devoir suivre et qu’ils agissent selon leur volonté.[752].

Dans son agonie, aux prises avec [...]les plus pénibles angoisses de l’étouffement [...] Il répétait continuellement que Christ était « tout en tous ».[753].

Sa pensée reste toujours pondérée dans ses rapports avec des hétérodoxes ou des illuminés :

Il y a entre eux (les prophètes cévenols) de très bonnes gens... croyant bonnement être inspirés de Dieu ; et c’est en cela qu’ils se trompent, de même que lorsqu’ils se jettent sur les prédictions [...]sur l’extérieur et l’extraordinaire [...]Il faut bien d’autres préparations et changemens d’état intérieur pour qu’on soit propre à être envoyé de Dieu... [754].

Changements vécus apparemment en contradiction avec son activité intellectuelle :

Livres, idées, études, sont idoles et objets de jalousie plus grands devant Dieu que femmes, viandes, richesses ; plaisirs d’étude plus dangereux que ceux des sens… [755].

Il édite cependant jusqu’à sa mort - parmi d’autres mystiques - la vie de Renty et de Mère Élisabeth sa disciple, Bernières, Malaval, Frère Laurent de la Résurrection, La Combe... Il est réaliste sur les possibilités d’union des chrétiens :

...pour ce qui est du désir de voir quelques assemblées des enfants de Dieu, c’est au Seigneur seul à en disposer [...] il est à croire qu’il veut premièrement travailler les âmes chacune en sa dispersion avant que de les réunir ensemble.[756].

Poiret affirme « que la raison est malade pour s’être détournée de Dieu et s’être enflée d’orgueil. Il s’agit donc d’arrêter l’activité de cette raison corrompue, de la tenir humble et passive devant Dieu qui seul pourra la guérir et l’illuminer » [757]. Il commença sa carrière en philosophe cartésien, « puis il opta pour la mystique, mais ne se jugeait pas digne d’être appelé mystique lui-même. Il est cependant, dans sa pensée et dans sa vie entière, l’homme d’une étrange synthèse entre [...] rigueur intellectuelle et l’effort d’abandon à une vérité qui se révèle et qu’il faut aimer » [758].

Les associés de Poiret sont tout d’abord le cercle intime soit quatre amis et une “bonne amie” épouse de l’un d’eux, qui figurent avant sa famille dans son testament : l’avocat van Ewijk et sa femme, les deux frères Homfeld, Jean-Luc Wettstein qui a voyagé à Blois auprès de Jeanne Guyon, n’étant pas pasteur, mais l’imprimeur de l’équipe.

Son évolution le conduira finalement à devenir sur la fin de sa vie un disciple aimé de Madame Guyon.

[Madame Guyon] s’écria : “Voilà l’homme qui publiera tous mes ouvrages”, et en effet c’est lui qui en a procuré l’édition complète en Hollande sous le nom de Cologne. Elle n’en avait jamais ouï parler auparavant. Dès lors ils firent connaissance. [...]On sait qu’elle en faisait un cas tout particulier. Il avait formé en Hollande une maison patriarcale [à Rijnsburg près de Leyde], et était fort avancé. Il passait après Fénelon pour une des premières âmes intérieures [759].

Il eut, par son activité inlassable, une influence considérable, non seulement par ses éditions [760] reprises en particulier par Wesley (1703-1792), le fondateur du méthodisme, mais encore par son disciple piétiste Tersteegen (1697-1769), connu lui-même de Kierkegaard.

Otto Homfeld et son frère Jodocus appartenaient au cercle de Rijnsburg. Originaires de l’Allemagne du Nord, ils étaient déjà liés à Poiret en 1692, quand ils signèrent de leurs initiales des poèmes latins d’éloge, en tête de son De Eruditione [761]. Otto fut en relation avec le Dr. Keith, anglais, et annonça l’expédition des livres de la maison d’édition d’Amsterdam[762]. Le témoignage suivant de Tersteegen éclaire d’une douce lumière la fin du cercle (la bibliothèque de Poiret sera dispersée en 1748) :

Ils vivent contents, ils travaillent eux-mêmes le jardin [...]Le frère Homfeld, qui est de Brême, est âgé de 77 ans, et le fr. Wetstein qui est natif de Bâle âgé à peu près de même, il est frère du Wetstein Marchand Libraire à Amsterdam tant renommé [...]Le troisième frère est Israël Norraüs, il est Suédois de naissance [...] Le frère Homfeld est devenu par la vieillesse, mais plus encore par la grâce de Jésus, un petit enfant simple et doux [...]Il a été un savant homme [traducteur en latin de l’Oeconomie Divine de Poiret]. À qui le questionne, il répond « je ne suis rien » [763].

Wolf von Metternich (-1731).

Nous évoquons la figure de Wolf von Metternich parce qu’elle illustre l’esprit du début du siècle des Lumières où se mélangent tendances mystiques, attraits anciens et curiosités nouvelles : diplomate, écrivain et ami de Poiret, après avoir probablement fait des études de droit, ce deuxième fils de Johann Reinhard devint le conseiller privé pour le Brandebourg et la Bavière, et le plénipotentiaire du Reichstag à Regensburg (Ratisbonne). En 1726 il passa au service du prince de Scharzburg-Rudolfstadt, devint son conseiller privé et finalement son chancelier. À côté de son activité d’écrivain calviniste et de traducteur, voilée sous des pseudonymes (le plus souvent : Hilarius Theomilus), il se consacra principalement à l’alchimie, et acquit une certaine célébrité ; le dix-neuf juillet 1716, selon les affirmations sous serments de quatre gentilshommes, il aurait transformé du cuivre en argent dans une maison de Vienne. Il mourut en 1731, toujours célibataire, ce qui éteignit la lignée des Chursdorf-Metternich[764].

Poiret édita les écrits de son ami. L’original allemand Die stete Freunde des Geistes (1706) est caractérisé par Poiret dans sa Bibliotheca Mysticorum (1708) pp. 295f., 307, sous le nom d’auteur Hilarius Theomilus[765]. Le Baron avait été un Philadelphien et avait traduit en allemand la Theologia Mystica de Pordage. On lui attribue un livre de Ratione Fidei, le Fides et Ratio collatae édité par Poiret en 1707.[766].

Nous trouvons l’écho d’une curiosité intelligente dans les longues lettres qu’il adresse à Madame Guyon : « C’est un homme en recherche dont les sympathies furent nombreuses. Intéressé par les écrits des fondateurs de la Société de Philadelphie, John Pordage et Jane Leade, le baron les avait traduits en allemand. Il avait voyagé avec l’Écossais Lord Forbes of Pitsligo[767] [...]Ses activités de diplomate chargé des intérêts du Roi de Prusse le conduisaient dans toute l’Europe [768] » où il fut en relation avec de nombreux spirituels.  Lié avec Wolf von Metternich, Zinzendorf lui-même avait fortement subi l’influence de madame Guyon.[769].

Il vaut la peine de se pencher sur ce passage de la tête au cœur, qui caractérise l’évolution de Metternich. Ce qui nous est parvenu de leur correspondance couvre trois années, durant lesquelles on peut suivre l’approfondissement du baron, au point que madame Guyon lui écrit de longues et importantes lettres, véritables résumés de la mystique guyonienne. On peut y suivre aussi avec quelle patience et quelle délicatesse elle le détache peu à peu des scrupules et des analyses sans fin où se débattait cet homme trop identifié à son intellect et qu’elle voulait voir se centrer dans le cœur.

Sans relâche, elle l’appelle à se simplifier : « Une vie simple et réglée, l’amour et l’abandon : c’est tout ce qu’il vous faut. » Il lui faut abandonner ses « lumières », ses appuis comme la lecture pendant l’oraison, les soucis personnels, même concernant son mariage. Encore et encore, elle l’exhorte à la confiance : « Laissez-vous donc conduire par ces ténèbres, et ne marquez jamais aucune défiance à Dieu. »  (Lettre 402). Lui qui cherche les appuis doit maintenant suivre les inspirations « délicates » de Dieu, les mouvements de l’Esprit-Saint : elle lui indique comment les reconnaître.

Elle l’exhorte à trouver l’état d’enfance, à se laisser conduire par Dieu comme un enfant par sa nourrice. Chaque moment est alors ressenti comme divin :

Désaltérez-vous à cette fontaine du moment divin, et si vous êtes assez heureux pour passer en Dieu et vous y perdre dès cette vie, vous verrez que ce même moment, qui vous doit être à présent volonté de Dieu, vous sera Dieu. (L. 425).

Elle le porte comme un enfant dans sa prière, et on en voit le résultat dans la belle lettre où Metternich lui décrit son état : « Il est vrai que Dieu me fait des grâces infinies. [...]C’est comme si mon cœur était diaphane et qu’une sérénité indistincte le pénétrât de tout côté sans obstacle ». (L. 430). Il lui décrit sa répugnance à devenir catholique. Cette savoureuse comparaison entre catholiques et protestants se poursuit dans la lettre 431 où il décrit sa paix joyeuse et sa liberté intérieure, se sentant comme « une petite abeille qui voltige librement sur toutes sortes de fleurs. » Il lui dit toute sa reconnaissance et laisse passer son émerveillement :  « Si Dieu daigne faire quelque chose de cette masse corrompue, c’est à vos prières et à vos avis que j’en suis redevable. (L. 430). »

Restons toutefois sur l’opinion de Chavannes[770] :

« j’estime que le baron de Metternich à qui madame Guyon a écrit tant de lettres ne s’est arrêté que pour avoir traduit ces livres [d’Albert le Grand [l’alchimiste], de Paracelse, Portadge…] et être entré lui-même dans de telles recherches curieuses. Jacob Boehme était certainement un saint homme…


 

Gerhard Tersteegen (1697-1769)

Gerhard Tersteegen (1697-1769), influencé lui aussi par Madame Guyon par l’intermédiaire de Pierre Poiret dont il fut un disciple sans toutefois avoir pu le connaître, fut introduit dans cette « ligne de pensée religieuse » par Wilhelm Hoffmann (1685-1746) rencontré dès 1710. Après un voyage en Hollande et un pèlerinage à Rijnsburg où vécut Poiret et sa fraternité, il constitua également une petite communauté fraternelle. Il resta en relation fraternelle, traduisit des ouvrages édités par Poiret dont une série de poèmes de madame Guyon commentant des Emblèmes. On a pu le nommer un « Poiret allemand » [771].

Mais son importance provient de ses propres écrits. Il devient un véritable maître spirituel : « Son Dieu est calme, et il crée la paix dans l’âme de ses amis. Mais il est aussi dynamique » et façonne son serviteur qui s’abandonne totalement à lui [772]. À partir de son illumination de 1724, travaillant en communauté avec H. Sommer comme tisserand rubanier, ce qui rendait possible une vie quasi monacale, « de 6 h. à 11 h., ils travaillaient ; ils consacraient ensuite une heure à la prière privée. Le travail reprenait de 13 h. à 18 h., suivi d’une autre heure de prière. Tersteegen occupait la soirée à la lecture ou à la traduction de textes spirituels [773]. » Il fonda une maison communautaire, fut en contact avec les frères de Herrnut, de Zizendorf, avec des mennonites. Il rédigea des strophes exaltant le cœur de l’homme habité par Dieu [774], traduisit Le Chrétien intérieur de Bernières, le Soliloquium de G. Peters, Madame Guyon. Il apprécia aussi la spiritualité carmélitaine, ce qui est original pour un protestant. On complétera ces brèves indications par la présentation donnée en tête de la traduction toute récente de trois Traités spirituels [775]. Ils incitent à se mettre en route sur le chemin de la « réalisation de la vérité », celle-ci comprise comme une vie en union à Dieu.

Nous devons seulement aimer, nous devons seulement être reconvertis dans l’amour ; et , tout en étant par nous-mêmes des sarments secs, nous laisser pénétrer par la pure et divine sève et par la force du suave amour du Christ. … [par l’amour] il accomplit mille bonnes œuvres, sans qu’on se demande si l’on doit en accomplir, et il ne se soucie nullement du mérite [776].

Tersteegen influencera post-mortem S. Kierkegaard (1813-1855).

 


 


 

LES FILIATIONS SUISSE ET GERMANIQUE

En Allemagne l’influence du cercle de Blois s’exerce sur le comte Friedrich von Fleischbein par l’intermédiaire de sa première femme Pétronille d’Eischweiller. Le comte va-t-il l’associer à un piétisme rigoriste ? [777] Lui-même conseillera avec sagesse un bouillant Jean-Philippe Dutoit-Mambrini qui le vénère. Dutoit est un notable écrivain suisse vaudois Pasteur à Lausanne dans la seconde moitié du siècle et deuxième éditeur de l’œuvre guyonienne après Poiret.

La ville d’eau de Lausanne était un point de rendez-vous au sein d’une Suisse par ailleurs pauvre. Elle n’était pas inconnue par Madame Guyon qui y fit un bref voyage mouvementé en traversant le lac de Genève depuis Thonon[778]. Elle gardera des contacts épistolaires avec M. Monod, qui deviendra peut-être le premier conseiller en date du pasteur Dutoit, ainsi qu’avec d’autres correspondants, dont M. de Watteville, autre ami d’un pasteur très actif socialement et décidément largement entouré. Outre sa découverte personnelle d’un écrit de madame Guyon chez un libraire, Dutoit se relie à Blois par trois canaux au moins.

Il faut souligner l’importance d’une saisie qui sera ordonnée par la sévère police bernoise chez ce prêcheur apprécié, probablement jalousé, dont on redoute un détournement des impôts au profit des pauvres : le procès-verbal se limite à quatre auteurs (outre la Bible et l’Imitation)[779]. Il s’agit de Bernières, Bertot, Guyon, Poiret, ce qui démontre la conscience nette que l’on avait en 1769 d’une lignée établie pendant plus d’un siècle.

À son tour Dutoit conseille le comte danois de Klinckowström puis le jeune libraire Pétillet qui l’éditera. Le groupe de Morges-Lausanne rencontrera un écho lors du « réveil » suisse animé par Vinet au début du XIXe siècle ; puis la lignée s’éteint avec la disparition de Lisette de Constant en 1837 ; L’illustre Benjamin Constant traduit l’influence venant de la famille dans son roman semi-autobiographique Cécile. Une branche spirituelle discrète continua peut-être d’exister sans que nous ayons relevé de traces directes, mais on note l’intérêt persistant d’érudits natifs de Lausanne : Masson rétablit l’authenticité de la correspondance entre Guyon et Fénelon en 1907 et Favre rédige en 1911 une thèse qui vient en complément de Chavannes.

Après une évocation de la brève visite de madame Guyon à Lausanne, nous présentons successivement en les liant entre eux les figures de Monod (1674-1752), de Fleichbein (1700-1774), de Dutoit (1721-1793) sur lequel nous nous étendons pour présenter l’esprit et des membres du cercle de Morges-Lausanne, de Klinckowström (-1774), pour aboutir à la fin de la lignée peu après Pétillet (-apr.1819). Outre les traces de la correspondance entretenue par madame Guyon avec le cercle de disciples suisses[780], nous avons la chance de disposer de l’évocation vivante et très bien informée, contemporaine et favorable, de J. Chavannes[781].

 Une brève visite de madame Guyon à Lausanne.

 Le récit de cette « excursion » à Lausanne est donné dans la Vie par elle-même [782] :

Avant de sortir des Ursulines, le bon ermite dont j’ai parlé[783] m’écrivit qu’il me priait avec instance d’aller à Lausanne qui n’était qu’à six lieues de Thonon, sur le lac, parce qu’il espérait toujours retirer sa sœur qui y demeurait, et qu’il la convertirait. L’on ne peut aller là parler de religion sans risquer sa vie. Sitôt que je fus en état de marcher, quoi qu’encore fort faible, je me résolus, aux instances de ce bon ermite, d’y aller. Nous prîmes un bateau et je priai le Père La Combe de nous y accompagner. Nous fûmes là assez aisément, mais comme le lac était encore éloigné de la ville de plus d’un quart de lieue, il me fallut malgré ma faiblesse, trouver des forces pour faire ce chemin à pied. Nous ne pûmes jamais trouver de voiture, les mariniers me soutenaient autant qu’ils pouvaient, mais cela n’était pas suffisant pour l’état où j’étais. […] Je parlai à cette femme avec le Père La Combe, mais elle venait de se marier, de sorte qu’il n’y eut rien à faire qu’à risquer notre vie, car cette femme nous assura que, si ce n’avait été la considération de son frère duquel nous lui portâmes des lettres, elle nous aurait dénoncés comme venant débaucher les religionnaires. Sitôt que nous fûmes dehors, elle nous écrivit que si nous y revenions il n’y allait pas moins que de notre vie, qu’elle avait même été fort blâmée de n’avoir pas averti que nous étions là, car c’est une règle parmi eux dans ce lieu-là que qui leur parle de controverse est puni de mort. Nous pensâmes encore périr sur le lac dans un lieu dangereux, où il vint une tempête qui nous allait engloutir si Dieu ne nous eût protégés à son ordinaire. À quelques jours de là, il périt au même endroit une barque et trente-trois personnes.

Madame Guyon resta en correspondance avec plusieurs vaudois dont monsieur Monod et « l’abbé » de Wattenville[784].


 

Pétronille d’Echweiler (1682-1740)

Une filiation est attestée entre la Dame directrice de Blois et Fleisschbein, le principal spirituel des filiations suisse et allemande. Elle passe par son épouse Pétronille, originaire d’Aix-la-Chapelle : 

On voit par ces traits et nombre d’autres pareils qu’elle [Mme Guyon] ne rejetait point les protestants, n’exigeait point d’eux de changer de religion, mais d’entrer dans les voies intérieures[785]. On sait qu’elle n’approuva pas le changement de Ramsay[786], et que Milord Forbes ayant eu des tentations de se faire catholique et d’entrer dans un cloître, elle l’en empêcha, et lui prédit qu’il se marierait. Ce qui arriva en effet, car il épousa une demoiselle de Londres, fort riche. On raconte que le premier enfant qu’il en eut, fut porté sur les fonts de baptême par une demoiselle d’Eschweiler au nom de Madame Guyon, qui, quoique morte, fut envisagée comme présente au baptême. Cette demoiselle d’Eschweiler fut ensuite l’épouse de M. de Fleischbein, grand intérieur, enfant chéri et distingué de Mme Guyon, et un des plus grands saints qu’il y ait eu dans ce siècle[787].

Le mariage entre les deux spirituels eut lieu en 1737 -- Pétronille avait 55 ans, Fleischbein 40 ans -- ce qui fait penser à une alliance pour convenance.

Jean-François Monod (1674-1752)

« Baptisé en 1674, il fut d’abord chirurgien des armées fran­çaises, puis à son retour à Morges, maître de postes et chirurgien réputé. Chef de la branche cadette restée suisse de la famille Monod, il fut reçu bourgeois de Morges en 1742 et mourut le 3 avril 1752. Il avait épousé en 1706 Judith-Françoise d’Uchat, dont il eut qua­torze enfants, dont douze moururent en bas âge ou sans alliance. Il est le grand-père d’Henri Monod, le célèbre homme d’État vaudois, et l’arrière-grand-oncle d’Adolphe Monod[788]. » Illustre famille.

Favre suggère l’influence de Monod sur le jeune Fleichbein ainsi qu’un lien avec Dutoit. Il note la différence entre piétistes et « familles intérieures » sous influence guyonienne :

Monod est en quelque sorte un trait d’union entre le piétisme de Magny et le mysticisme de Dutoit qui dut le connaître et l’apprécier, puisque, dans une de ses lettres, Fleischbein, le directeur de Dutoit parle de Monod comme d’une « fidèle âme intérieure ». Dans cette même lettre, Fleischbein raconte un séjour fait à Lausanne, en 1719 ; il avait été reçu par plusieurs « familles intérieures » dont la vie l’avait édifié. Mais, si les mystiques à tendance quiétiste du Pays de Vaud se rapprochaient des piétistes par des besoins communs de vie intérieure, ils s’écar­taient d’eux par les raffinements de leurs doctrines du « pur amour » et de « la foi obscure » dont les bons piétistes romands paraissent s’être assez peu souciés. C’est cette diffé­rence doctrinale qui a causé les jugements hautains de cer­tains « intérieurs » à l’égard de piétistes qu’ils jugeaient peu avan­cés dans la vie spirituelle, encore à leurs débuts dans les voies intérieures, ou même totalement ignorants de celles-ci[789].

Une assez longue lettre de Mme Guyon nous est parvenue, adressée à monsieur Monod, chirurgien et maître des postes à Morges (près de Lausanne) [790] :

[…] Nous voulons toujours voler en haut, et Dieu nous repousse en bas par le poids de notre propre misère, parce que rien ne déplaît tant à Dieu que l’orgueil, et qu’Il aime mieux un ver qui rampe dans la terre de son humiliation, qu’un vol superbe et audacieux. En voilà assez sur cet article. […] Il faut s’accoutumer dans tous les emplois et dans toutes les occupations à rentrer souvent en soi-même, en se tournant de tout le cœur vers Dieu, et cherchant dans le cœur, où Il veut être trouvé. […]

Quant à ce que vous demandez sur les Inspirés5 de vos quartiers, je n’ai garde de les blâmer ni d’en juger. Le conseil qu’ils vous ont donné, contraire à ce que d’autres voulaient exiger de vous, est fort bon. Mais le sûr remède pour ne tomber en aucune illusion, est d’outrepasser tout ce qui est extraordinaire, sans s’y arrêter, pour ne s’attacher qu’à Dieu, et aller à Lui par une foi nue, qui met à couvert de toute illusion. […] Tous les hommes sont frappés de l’extraordinaire. Il n’y a que la petitesse, le renoncement, la croix, l’oubli et le mépris des autres pour nous, et l’oubli de soi-même, qui ne frappent point les hommes, et qui sont cependant le seul chemin sûr…

Frédéric de Fleischbein (1700-1774)

  [Ajout Chavannes à revoir]

« Jean-Fréderich de Fleischbein, comte de Hayn, était né en 1700, dans une position brillante selon le monde. Élevé dans le luthéranisme, entouré d’une orthodoxie morte, il n’éprouva, pendant sa jeunesse, aucune impression religieuse vraiment sérieuse. A l’âge de 48 ans, cependant, au moment de se battre en duel à Lunéville, où il faisait alors ses études â l’académie lorraine, il (62) sentit au fond de son âme un besoin pressant de prier Dieu et de lui demander la grâce d’être préservé du malheur de devenir un meurtrier. Blessé grièvement lui-même dans cette rencontre par son adversaire Castel Banco, il comprit le danger de sa situation, et ce danger lui fit faire de solennelles réflexions. Ce ne fut toutefois que dans sa trentième année, que, touché de Dieu, il fut « converti foncièrement par la miséricorde divine » ce sont ses propres expressions.

  Ayant passé, avant cette heure bénie, par de longs et douloureux moments de tristesse â l’occasion de ses péchés et du besoin qu’il sentait de renoncer au monde, il eut à souffrir d’une part de l’aveuglement des membres de sa famille et de ses amis, qui ne voyaient dans ce qu’il éprouvait que de l’exaltation et des accès de mélancolie, et de l’autre, de terreur des ecclésiastiques de sa communion, qui, au lieu d’apprécier à son juste prix cette angoisse morale dont il était atteint par un effet dé la grâce régénératrice, et de le conduire à la pénitence, lui faisaient une fausse application des doctrines saintes de la justification et de l’imputation des mérites de Jésus-Christ. « Par là, disait-il, et sous prétexte que l’on ne saurait parvenir ici-bas à accomplir parfaitement la volonté de Dieu et la loi divine, ils se contentent de revêtir superficiellement le vieil homme de l’habit de l’homme nouveau, en sorte que le premier, sous cette magnificence extérieure, demeure en pleine vie. Ils s’efforcent ainsi d’éteindre cette tristesse selon Dieu dont parle St Paul, qui est un effet des opérations de Dieu dans l’âme et qui est inséparable des premiers combats de la con(63)version, et se servent pour cet effet d’une très fausse application de certains passages propres â consoler qu’ils appellent des passages décisifs, et cela, pour endormir les âmes dans une tiédeur damnable qui les rend bientôt au monde, qu’ils aiment plus qu’auparavant, et leur mal devient après cela incurable. » Cette expérience personnelle et les réflexions qu’elle lui inspira, jointes à la lecture des auteurs mystiques, expliquent assez bien les tendances catholiques si sensibles chez M. de Fleichbein, et l’adoption des doctrines de l’Église romaine, y compris la purification après la mort, l’intercession pour les décédés, la médiation des saints, etc., doctrines qu’il « reconnaissait fondées sur tous les points, à l’exception pourtant de l’abus, du pouvoir outré, de la tyrannie et de la gêne de conscience que le clergé catholique s’arroge. »

  Heureux d’avoir pu amener ses parents et ses sœurs aux voies de la vie intérieure, M. de Fleischbein se sentit pressé de consacrer spécialement ses propriétés et son château de Hayn au divin Enfant Jésus, pour réunir en son saint nom, dans ce lieu, plusieurs personnes partageant les mêmes vues, et également animées du désir de se consacrer au service du Seigneur[791].

[…]

Mais revenons à M. de Fleischbein. En 1732, il fit la connaissance de M. de Marsay[792] et de sa femme Clara Élisabeth, née de Callenberg, mystiques jouissant d’une haute considération, et. il leur confia; eu 1735, le gouvernement de sa maison religieuse, en se mettant lui-même sous la direction spirituelle de son hôte[793].

[…]

M. de Fleischbein s’était marié le 30 avril 1737 avec Mlle Pétronelle d’Eschweiler, originaire d’Aix-la-Chapelle, plus âgée que lui d’une quinzaine d’années ; mais leur union ne dura que pendant trois ans. Il perdit en 1740 cette épouse pieuse, qu’on avait jugée assez avancée dans les voies de la vie intérieure, pour tenir sur les fonts de baptême, à Blois, le premier enfant de Mylord Forbes, au nom de Mme Guyon, qui, bien que morte, fut envisagée comme présente à la cérémonie.

La sainte maison de Hayn s’étant dissoute, M. de Fleischbein transporta son domicile à Pyrmont, où il passa le reste de ses jours avec sa sœur, Mme Sophie Élisabeth, veuve de Prüschenck de Lindenhof, qui partageait pleinement ses vues religieuses. Là il devint le centre auquel aboutissait naturellement l’union des mystiques d’Allemagne, et en particulier de ceux qui se rattachaient à Mme Guyon. Il y était en 1762, lorsque M. de Klinckowström, ayant quitté Lausanne, fut conduit par son zèle pour la propagation de la vie intérieure, à lui offrir sa collaboration dans l’œuvre qu’il avait entrepris de traduire et de publier en allemand les œuvres de Mme Guyon. M. de Fleischtein était précisément en prières pour demander à Dieu de lui faire trouver l’aide dont il avait besoin, lorsque lui arriva la lettre de M. de Klinckowstrôm. Cette coïncidence leur parut à l’un et à l’autre une direction providentielle et comme un sceau [68) de bénédiction mis par le Seigneur sur leur projet. De ce jour commença entre eux une liaison intime, qui alla en se resserrant jusqu’à la fin de leur carrière terrestre.

  Pyrmont qui, en vertu de ses eaux salutaires, était chaque année le rendez-vous d’une multitude de gens venus de tous les pays, offrait à M. de Fleischbein une position très favorable pour son prosélytisme. Sa correspondance prouve le zèle avec lequel sa sœur et lui cherchaient à se mettre en rapport avec les personnes de tout état, riches ou pauvres, qui leur paraissaient disposées à entrer dans les voies intérieures. Assistant les uns, sollicitant les autres de secourir ceux qui étaient dans le besoin, ils entretenaient entre tous leurs amis les liens d’une communion fraternelle, dont ils jouissaient d’être les intermédiaires.

  Mais c’est surtout entre MM. de Fleischbein et de Klinckowstrtim et Mlle Lucie de Fabrice, demeurant à Zelle, que s’établit une correspondance habituelle des plus intimes. Un volumineux recueil de lettres adressées par le premier à cette dernière, de 1787 à 1774, fait pénétrer dans cette liaison affectueuse, douce et bénie pour chacun des membres de ce trio d’âmes si parfaitement unies dans le Seigneur. Traduites en français par les soins de Mlle de Fabrice elle-même pour l’édification des amis de Lausanne, elles sont parvenues à ceux-ci comme un précieux trésor d’affection et de lumières ; et ils ont été heureux de se retrouver ainsi en communication avec le frère vénéré qui, pendant plusieurs années, avait été leur directeur supérieur, puisqu’il l’était de M. Dutoit lui-même. (69)

  Un recueil bien plus considérable des lettres adressées par M. de Fleischbein au baron, dès le commencement de leur liaison en 1762 jusqu’à la mort du premier, dévoile d’une manière plus intime encore tout ce qui concernait l’union des amis, dans leurs diverses congrégations ou mégnies, pour nous servir de l’expression qu’ils employaient eux-mêmes, et permet de suivre le développement de leurs vues particulières, en consignant des renseignements que l’on chercherait vainement ailleurs. Écrites en allemand, ces lettres renfermaient un assez bon nombre de passages en français, relatifs aux communications les plus intimes, ou à la transcription des nouvelles reçues de Suisse. Elles contenaient souvent de petits feuillets détachés, en guise de post-scriptum, portant en tête cette suscription : A lire seul, ou Sujet secret, et destinés à être ou immédiatement détruits ou du moins soigneusement mis à part. Conservées religieusement par M. de Klinckowstrôm, ces lettres furent sauvées à la mort de celui-ci, ainsi que beaucoup de pièces provenant de M. de Fleischbein, par les soins et le dévouement à la cause mystique de Mile de Fabrice. Cette dernière était heureuse de pouvoir écrire à ce sujet, en 1775, à MM. Dutoit et Battit, qu’elle avait « tout lieu de croire que les héritiers de feu cher Philémon (c’est sous ce nom que les amis désignaient entre eux le baron) n’avaient rien retenu des papiers qu’il importait tant de retirer de leurs mains. »

 La douce intimité constatée par cette correspondance assidue fut brisée par le décès de M. de Fleischbein qui (70) ainsi que nous l’avons déjà indiqué, mourut le 5 juin 4774. Par son testament, il avait désigné M. de Klinckowström comme son légataire peur la portion de son bien, 2500 écus d’empire, qu’il destinait aux amis de la vie intérieure. Mile Charlotte-Lucie-Frédérique de Fabrice était chargée de partager avec le baron l’administration qui lui était confiée, et de le remplacer en cas de décès. Communication devait être donnée à M. Dutoit de tout ce qui serait fait., en lui demandant son avis sur l’exécution du legs, constituant pour plusieurs inférieurs nécessiteux de petites rentes viagères. On voit par cette dernière disposition quelle était la haute confiance que M. Dutoit inspirait à M. de Fleischbein. Celui-ci prévoyait manifestement que le pieux ami de Lausanne serait appelé à le remplacer comme directeur général des âmes intérieures[794].

[ici reprise ancien txt]

« Né en 1700, le jeune comte de Hayn, propriétaire du château de ce nom dans le comté de Schwarzenau en Prusse, avait été blessé au cours d’un duel et était devenu un mystique fervent. Il se heurta à la résistance des siens et des ecclésiastiques luthériens qui ne le comprirent pas et transforma son château en un monastère [en fait des cercles spirituels] analogue à ceux de Marsay et de Poiret. En 1740 il s’établit à Pyrmont qui devint le centre des mystiques-quiétistes allemands. Grand admirateur de madame Guyon, il traduisit ses œuvres en allemand et fut en relation épistolaire avec les chrétiens « intérieurs » du monde entier.[795] ».

Outre l’influence dans sa jeunesse de « familles intérieures » incluant Monod, sa femme le relie au cercle de Blois rassemblé autour de madame Guyon :

« M. de Fleichbein s’était marié le 30 avril 1737 avec Mlle Pétronille d’Eschweiller, originaire d’Aix-la-Chapelle. […] Il perdit en 1740 cette épouse pieuse, qu’on avait jugée assez avancée dans les voies de la vie intérieure, pour tenir sur les fonts de baptême, à Blois, le premier enfant de Mylord Forbes, au nom de madame Guyon, qui, bien que morte, fut envisagée comme présente à la cérémonie[796] ».

Il fut également influencé par Ch. H. de Marsay[797] qu’il considérait comme son directeur spirituel et l’on n’a donc pas l’assurance d’une adéquation totale à l’esprit guyonien. Le vieux comte essayait d’ailleurs de mettre en œuvre dans son château de Pyrmont les exercices de piété sévères qu’il pratiquait lui-même. « Il s’agissait d’un culte de silence et d’abandon en la présence de Dieu, recueillement auquel toute la maisonnée devait se joindre ». Nous en avons quelques échos, par un récit critique de J.Ch. Edelmann et surtout par l’expérience d’enfance de Karl-Philipp Moritz rapportée dans Anton Reiser[798]. Le jeune Karl-Philipp Moritz décrit dans ce roman autobiographique ce milieu alliant mystique et rigorisme. Mais il conservera un souvenir favorable d’un séjour prolongé à Pyrmont : « Les trois mois qu’Anton [Reiser] passa à P… lui furent profitables à bien des égards, car il était presque toujours libre… » Il apprécie le Télémaque qu’on lui a bien sûr donné à lire et même « l’incomparable délicatesse d’expression » des poésies et cantiques spirituels de Madame Guyon, traduits par Fleischbein, même si son règlement de compte personnel inclut cette dernière, sur laquelle il n’est pas très bien renseigné : elle aurait été « envoyée à la Bastille où elle mourut après dix années de captivité. Lorsqu’à sa mort on procéda à l’ouverture de son crâne, on trouva son cerveau quasi desséché » ! Mais plus tard tout va mieux : « Reiser, qui s’était déjà bâti dans sa tête une sorte de métaphysique proche du Spinozisme, se rencontrait souvent avec son père à leur grand émerveillement quand ils parlaient de l’universalité du principe divin et du néant de la créature tels qu’ils ressortent  de l’enseignement de Madame Guyon[799] ».

Bien d’autres figures se croisent. Ainsi « un monsieur de Watteville que l’on nommait l’abbé, parce qu’il avait été consacré comme ministre dans l’Église réformée, a passé quelques mois chez nous à Hayn [la première demeure de Fleichbein en Prusse] dans l’été de 1738… c’était un excellent homme. Il voulut voir madame Guyon en 1717, mais elle venait de mourir lorsqu’il arriva à Paris. Mlle de Venoge, d’après ce que m’en a dit M. de Marsay, et comme cela m’a été confirmé plus tard, doit avoir été très avancée dans l’intérieur.[800] » Et de citer le « respectable M. Monod, chirurgien et maître de poste à Morges », marquer les rapports de membres de la famille Watteville avec Zizendorf, Marsay, « le pieux pasteur Lutz, deux demoiselles désignées par Klink.comme intérieures de Berne »… Marsay est accueilli par Duval à Paris ; Treytorrens, «  le courageux défenseur des piétistes » est persécuté dans le canton de Berne » ; Marsay est ami de Watteville ; d’autres noms apparaissent : Mlle de Penthaz, M. Magny, etc.[801].

Dutoit sera en correspondance avec Jean-Guillaume de la Fléchère, vénérable pasteur à Madeley en Angleterre, qui succède à Wesley fondateur du Méthodisme[802]. Dans son dernier séjour à Nyon sa ville natale, de 1777 à 1780, ils se rencontrent[803].

 La mort de Fleischbein le 5 juin 1774 sera bientôt suivie par celle de Klinckowström, figure que nous évoquerons bientôt. Le comte l’avait désigné comme son légataire tandis que Mlle Fabrice de Zelle était chargée de le remplacer en cas de décès - qui se produisit moins d’un an après. Dutoit deviendra alors pour tous « leur grand directeur »[804].

C’est par Klinckowström que Dutoit fut mis en rapport avec le comte Frédéric de Fleichbein. Dutoit le considérait comme son directeur tandis que celui-ci faisait de lui le plus grand cas - quoi qu’il désapprouvât certaines de ses théories philosophiques[805]. Dutoit écrivit alors :

« M. de Fleischbein m’a dirigé, et quinze ans [n’est-ce pas un peu exagéré ?] je lui ai obéi à l’aveugle et m’en suis infiniment bien trouvé, Dieu m’ayant fait la grâce d’éviter l’erreur et le préjugé de ceux d’entre les protestants qui sont appelés aux voies intérieures, qui croient se pouvoir conduire tout seuls et n’avoir besoin de personne pour les diriger. C’est ainsi et au moyen de ce saint homme que j’ai évité une infinité de faux pas et d’erreurs et surtout celles qui étaient des réminiscences de la philosophie que j’avais tant cultivée dans ma jeunesse, où je croyais trouver la vérité et où j’ai vu enfin qu’il n’y avait que mensonge, mensonge et mensonge encore[806]. »

Le Traité de Dieu fut brûlé par Dutoit en 1764, mais par la suite ce dernier retournera à ses tendances ce qui fera dire[807] : « Qu’aurait pensé M. de Fleichbein du livre de la Philosophie divine ? » publié en 1790. « C’est donc une heureuse influence anti-intellectualiste que Fleischbein exerça sur son dirigé[808]. »

Fleischbein était reconnu comme un maître intérieur :

Dutoit en détresse avait écrit à Klinckowström : « Les anges ne savent pas ce que je souffre ». Ce dernier répondit : « Ils le sauront … si vous vous tenez collé au cœur de notre cher ami de Fleichbein d’une manière conforme à votre état et degré…[809]. »

Nous avons en manuscrit un résumé accompagné d’extraits substantiels de lettres de la vaste correspondance ente Fleischbein et Klinckowström. Traduite de l’allemand par un excellent connaisseur du cercle[810], elle constitue un témoignage précis et vivant sur l’esprit du groupe de Lausanne portant sur le deuxième tiers du XVIIe siècle. En voici une bonne partie éditée pour la première fois, comme « zoom » porté sur les années critiques pour Dutoit de 1763-1764 :

« Note sur les lettres de Monsieur de Fleischbein à Monsieur de Klinckowström ».

Premier fascicule, Lettres 11e. 15 mars 1763.

(6)[811]. Dr Burckardt (méthodiste) méprise les mystiques en les appelant quiétistes, gens inutiles. Les écrits du cher et vénérable Dutoit feraient quelque chose de bien grand s’il faisait du docteur B[urckardt] un mystique. Mais qui sait ce que Dieu fait. Il suscite des sages, des prophètes, etc. M. Dutoit lui-même un grand exemple de la grâce de Dieu. Même dans le clergé, parmi les savants, etc.

Lettres 16e. 10 mai 1763

(1). Sa femme Pétronelle von Eschweiler, née le 28 décembre 1682 (+ 5 mars 1740) avait plus de 15 ans de plus que lui. Son neveu le père d’Eschweiler religieux dans le couvent d’Alten Camp,

Union intime dernièrement avec elle, qui lui prouve qu’elle est dans la félicité.  µ ambigu !!!!

(2). Détails sur Herhart Tersteegen. A publié des extraits de livres de Mme Guyon, croyant que la traduction ne s’en fera pas

(3). Les œuvres de madame Guyon ne se trouvent plus en Hollande. Il a pu s’en procurer un dernier exemplaire complet. Espère de les voir réimprimer. Ceci en grand secret.

Lettre 17. 7 juin 1763.

(3). Sa femme était catholique. Mariés le 30 avril 1737. Ne prenait pas la Cène à Haÿn avec les autres, reçut les sacrements selon le rite catholique avant sa mort.

Lettre 24.  20 septembre 1763.

(12). Détails sur de Marcay. Il a quitté Haÿn après cinq ans de séjour bien des fautes. Il n’avait pas lui-même de directeur, peut-être par sa faute, car Poiret et d’autres de sa société vivaient encore, et auraient pu lui en servir.

Vous au contraire vous en avez un (M. Dutoit).

Lettre 25.  9 septembre 1763.

(avant la précédente)

(3). Il est réjoui de connaître M. Dutoit. À eu union de trois jours avec lui chétif ver de terre et Monsieur de Klinckowström. Il ne doute pas que ce ne soit utile à tous trois. Si ce cher père a entièrement passé la mort du fonds, je ne sais, Dieu ne me l’a pas fait connaître, mais cela n’est pas nécessaire pour être uni.

Encore détails sur de Marcay.

M. Dutoit lui fait demander de communiquer avec lui impertransito medio. Il n’est pas assez bon latiniste pour comprendre, mais il se trouve bien souvent uni à lui à sa manière.

Deuxième fascicule, Lettre 2.  12 octobre 1763.

(6). Je crois que M D[utoit] sera le directeur d’une famille spirituelle, mais qu’il aura beaucoup à souffrir pour elle.

Lettre 7e du  6 janvier 1764.

(1). Je comptais attendre votre réponse à ma lettre du 20 au 30 décembre, pour vous renvoyer à celle des discours de Théophile. « Mais Dieu ne donne point de relâche, il me peine intérieurement et permet que je sois occupé de ces choses, ce qui m’ôte le repos du centre. » (Petite phrase est en français). Il faut obéir à cette force intérieure qui me presse et vous envoyez ces écrits français dès demain matin. Dès que vous m’eûtes fait connaître quelque chose de mon cher Théophile, je jugeai par un certain instinct de cœur et du fonds intime, que son état était un état de lumière, et beaucoup de choses que vous n’en disiez était repoussées par mes principes Le cahier d’écrits mystiques a justifié mes appréhensions et mes appréciations. Quant à la métempsycose, je n’ai rien signalé expressément dans cet écrit, parce que j’estime pour le moment du moins qu’il est dangereux d’y penser et encore plus d’en écrire. Je sais témoigner avec certitude que les opinions de Théophile sur ce point sont fausses et sans fondement.

Discussion sur le pouvoir de Lucifer.

Lorsqu’une âme se laisse aller à de telles imaginations, les puissances des ténèbres se glissent en elle et la séduisent par leurs fausses lumières, en sorte qu’elle peut être entraînée à toutes sortes d’erreurs. Tel est certainement le cas de notre cher frère Théophile.

J’atteste devant la face de Dieu que mon sentiment intime (mein innerer Gründ) repousse absolument tout ce qui dans ses écrits est fondé directement ou indirectement sur ce principe de fausses lumières, et que je ne veux plus rien avoir à faire avec ces choses ni les lire ni les examiner. Ce n’est pas notre voie, ce n’est pas la voie qu’enseigne Mme Guyon dans ses divins écrits, c’est une voie en intelligence (verstand und vernunft), en raison en partie éclairée, mais avec beaucoup d’erreurs, funeste et propre à entraver ceux qui cherchent la voie droite de la foi nue et obscure.

Les écrits de Théophile sont donc non seulement inutiles, mais très dangereux pour mon chérissime patron ; ils ne peuvent que vous détourner de la foi intérieure pour vous pousser dans les spéculations. Ils vous feront perdre cette vocation si évidente que vous avez à une route simple, enfantine de foi obscure, pour [page 14] vous pousser dans cette voie des spéculations, où les savants s’égarent, et qui, lors même que vous vivriez des siècles, ne vous ferait jamais parvenir au but. Laissez toutes ces vaines spéculations et suivez la voie des enfants, car le royaume des cieux est pour ceux qui sont tels, a dit Jésus-Christ.

Permettez-moi de vous dire que vous ferez bien de ne lire aucun des écrits du cher Théophile. Les sermons sont bons pour convertir les pécheurs, mais non pour mon chérissime patron, et les autres ouvrages sont éminemment dangereux. Vous ferez bien pendant longtemps de ne lire aucun autre livre spirituel, outre la sainte Écriture, que les ouvrages de Mme Guyon et de vous occuper à les traduire. Particulièrement si vous vous sentez troublé, tenté par la sécheresse et les distractions, appliquez-vous à ce travail de traduction, dans le recueillement et en présence de Dieu, qui vous fera connaître d’où viennent ces misères. Cela est absolument nécessaire pour votre avancement spirituel.

Quant au cher frère Théophile, il fera bien de brûler entièrement et sans exception ses écrits mystiques tout ce qui est fondé sur ces principes erronés que j’ai mentionnés plus haut, puis de se retirer dans sa voie de perte et de misère. Et quand la tentation d’écrire (tentation trop répandue) viendra le saisir d’une manière irrésistible qu’il écrive sur toute autre matière que les sujets spirituels. L’expérience lui en apprendre plus là-dessus que tout ce que je pourrais dire ici.

J’ai aussi commencé à lire la lettre de quatre demi-familles du cher Théophile que vous avez bien voulu me communiquer. Il m’a été absolument impossible d’en poursuivre la lecture il m’est arrivé comme en lisant ses écrits mystiques ; je me suis senti jeté hors de mon centre et pressé dans le domaine de la raison et de la spéculation. Comme je ne puis pas lire cette lettre jusqu’au bout, j’ai l’honneur de vous le renvoyer avec mes humbles remerciements. La lecture des deux premières pages m’a fortifié dans mon jugement que Théophile marche dans un état de contemplation et intelligence et en raison illuminée.

Ce que j’ai écrit ici, je l’ai fait avec une conviction très claire, et parce que Dieu m’a poussé à l’écrire et à l’envoyer sans délai à mon chérissime patron je laisse à Dieu ce qui pourra en résulter et je suis préparé à toutes les conséquences. [15][812].

Lettre 8. 19 janvier 1764.

J’avais bien pensé que ma lettre concernant le cher frère Théophile serait pour vous une douloureuse épreuve, mais je ne pouvais pas faire autrement. Si j’avais voulu retenir quelque chose de ce que Dieu me forçait d’écrire, vous, ainsi que Théophile lui-même, et tous ceux qui dans la suite auraient pu être scandalisés par ses écrits mystiques, vous auriez eu des motifs de m’accuser comme meurtrier des âmes devant le Juge du monde, puisque sachant le funeste dommage que lui et ses écrits sauraient causer à lui-même et aux autres, Dieu ne m’aurait laissé aucun repos et m’aurait châtié intérieurement, en sorte qu’à la fin j’aurais également été contraint d’écrire, si je n’avais pas voulu commettre l’horrible infidélité de ne pas obéir à la volonté de Dieu.

Si mon cher patron pouvait se dégager de ses préoccupations des considérés les choses telles qu’elles sont en Dieu et dans la réalité, il comprendrait que c’est pour Théophile au spirituel comme au temporel un immense bienfait que d’être averti. Car s’il est ils ne sont et que je me trompe, Dieu mettra toutes choses en place et il supportera son humiliation avec joie. Si au contraire mon jugement est fondé, il est placé à une élévation dangereuse qui l’expose tôt ou tard à de terribles chutes, en étant une source de danger pour les autres et en particulier si ses écrits s’impriment, pour les chers amis qui lui sont unis.

L’avertissement que je lui donne est aussi pour son bien temporel, car si ses écrits s’impriment, ils lui attireront des ennemis et des persécutions.

J’ai déjà montré que ses enseignements sont contraires à ceux de Mme Guyon, de même que ceux de tous les grands saints de l’église chrétienne, qui depuis le quatrième siècle ont rejeté la doctrine de Basilidès, d’Origène, des gnostiques et d’autres encore, doctrines que le cher frère Théophile à même exagérées en plusieurs points. [16] Ainsi ce n’est certainement pas l’esprit général de l’Église qui lui a inspiré d’écrire ces choses fâcheuses ; c’est un esprit particulier, un mauvais esprit d’erreur. Ce ne sont pas des vétilles, des opinions particulières sans importance, ce sont des choses de gravité, qui renverse plusieurs articles de foi. Et ce qui rend le danger plus funeste encore c’est que ses écrits ne sont pas pour les enfants de Babylone, mais ressortent [ ?] pour ainsi dire du quatrième et cinquième siècle et des suivants, dans le sanctuaire même, et s’adresse aux âmes intérieures, à l’héritage de Dieu, pour les détourner de la foi obscure et les lancers et les entretenir dans de faire cette dangereuse spéculation.

Dieu me fait voir clairement que tout cela provient de l’esprit d’erreur et de la malice de Satan, qui cherche à détruire l’édifice construit par le seigneur Jésus et à rendre impropre à l'oeuvre les pierres de la nouvelle Jérusalem. Cela ne lui a que trop longtemps réussi.

Lettre 10. 17 février 1764.

Soyez certains que malgré ce que je vous aie écrit au sujet du cher et vénérable frère Théophile, mon union avec lui n’a nullement été interrompue. Je le vénère et l’aime comme auparavant, mais dès le commencement j’ai compris qu’il y aurait des choses sur lesquelles nous ne serions pas en harmonie. Il m’est du reste souverainement indifférent que ce que je vous écris en français lui soit communiqué, ou soit supprimé ou brûlé. Ce n’est pas mon affaire, j’ai fait ce que je croyais et ce que je crois encore être la volonté de Dieu. [17]

M. de Fleischbein à Monsieur de Klinckowström. Ce qui suit est en français.

Tout ce que me fait écrire le cher frère Théophile, tout ce que je sais de lui, m’a confirmé qu’il est dans un état de lumière ; qu’il a la vue et le goût de l’anéantissement, mais n’ont pas encore l’état même ; qu’il lise ce que Mme Guyon entre mille autres endroits, écrit de l’état d’Élie, et le passage admirable sur Habacuc 3 v. 3, etc.. Elle y fait voir la différence de deux moyens : le plus éloigné, par tentations, persécutions et tourments inconcevables, a été le moyen dont Dieu s’est servi à l’égard de lui par le passé jusqu’ici. Le second moyen et celui que Mme Guyon décrit après le premier, et auquel, à ce que je crois, le cher frère Théophile est appelé. Toutes ces grandes choses en lui, que je respecte et révère pour ce qu’elles sont, et pour le temps destiné à cela disparaîtront ; il deviendra tout naturel, à ce qu’il paraîtra à lui et aux autres ; et comme par le passé il s’est ceint lui-même, et est allé où il a voulu, il viendra un temps où un autre le ceindra et le fera aller où il ne voudrait pas. Pour le tabac et bien d’autres soulagements de son corps et qui lui sont si nécessaires pour sa santé, qu’il en prenne ceux que la providence lui procure. Ce qu’il écrit de prévarication contre la loi ne m’étonne nullement. C’est plutôt une marque que l’état de lumière est usé pour lui, que Dieu le veut amener dans la voie d’une foi nue et dépouillée de tout, et qui sera d’autant plus nue et dépouillée que plus il a été élevé par son état de lumière. Si Dieu le voulait laisser en cet état de lumière, il lui aura donné des forces nécessaires dans le combat livré au Satan ; il l’aurait vaincu, mais ayant succombé, c’est une marque de changement d’état. Dévorez, consumez ! écrivent Mme Guyon et M. Bertot ; son combat est en cédant et non en résistant. Il m’entendra. Cela est pour notre très cher Théophile, et non pas pour vous, Monsieur le Baron.

Pour ses écrits que je n’ai pas vus ni lus, je suspends mon jugement. Mais qu’ils [18] soient bons ou à rejeter, il faut toujours les abandonner à la divine providence, et son désir qu’il me paraît avoir pour qu’ils soient imprimés, m’est une marque certaine qu’il les a écrits dans un état de lumière. La marque infaillible d’un état consommé est l’extinction de tout désir, de toute volonté et de toute propre subsistance de l’âme ; ayant donc encore ce désir, c’est une marque certaine qu’il n’est pas encore dans l’état de consommation. Mme Guyon écrit que le seul désir pour travailler à la gloire de Dieu et au salut des hommes, est ce qui rend une telle personne indigne, que Dieu se servirait de lui pour de telles choses. Il faut être mort à tout. Et si c’est Dieu qui met l’âme à désirer l’avancement de son règne et de la gloire, il donne en même temps à cette âme un acquiescement à sa sainte volonté et aux ordres de sa providence, ne faisant pas le moindre pas pour avancer le moment divin en l’accomplissement de ce que Dieu lui a fait connaître être sa volonté. Cette règle est générale, et à moins d’un impulsion ou mouvement divins, à laquelle on ne peut pas résister, une telle âme, en sa consommation, n’agira jamais autrement que par la providence, et cette impulsion ou mouvement divin, irrésistible lorsqu’on l’a, n’est que pour ce qui nous regarde nous-mêmes à faire ou à entreprendre, si une autre personne doit y concourir, on le lui pourra dire, mais y pleinement acquiescer, si cette autre personne le refuse, la laissant à Dieu, indifférent si l’on se serait trompé ou non. C’est pour répondre à la visite ou vision de Mme Guyon, que le cher Théophile a eue, si la chose et que ses livres doivent être imprimés, est de Dieu, la providence en disposera, mais qu’il assure être sûr que l’impression lui soit faite, je ne puis pas croire que cette impression ou lumière soit de Dieu, d’autant moins qu’il assure que M. le Baron en sera l’instrument, cela dépendant de cette chère personne, et de l’inclination que Dieu lui en donnera, à quoi le cher Théophile faudra acquiescer, quand même cette vision serait de Dieu ou par [19] ordre de Dieu, ce qu’il n’est plus que douteux, parce qu’il y ajoute : [revoir les soulignements !] Voilà la vocation de laquelle je vous avertis…… et Mme Guyon m’a dit de ne pas me mettre en peine et de m’immoler résolument. Ainsi vous n’aurez qu’à voir le concours et le moment de la providence, je ne puis presque pas douter que le cher Théophile n’a eu cette vision, que pour l’humilier, Dieu l’ayant permis, qu’un Esprit étranger lui est apparu sous la figure de Mme Guyon, ou si cela n’est pas une vision, (sur quoi il ne s’explique pas positivement), que cela s’est fait en la manière intellectuelle, dont l’un ou l’autre sont des choses toujours très douteuses et qu’il faut toujours surpasser, ne s’y arrêtant pas un moment. La vision de l’excellent Fénelon qui vint auprès de lui étant au lit il y a deux ans… lui disant qu’il lui fallait passer l’océan avant que de pouvoir être uni à lui, cette vision pourra être d’un bon esprit, mais il a devait toujours surpasser sans s’y arrêter un moment. Il ne le fit pas, car il écrit : Depuis quelque temps j’ai eu la certitude que cet océan avait été brisé devant moi et que je l’avais passé, etc. L’océan ne se brise pas et ne se passe pas en deux ans. Mme Guyon écrit que quelquefois dans vingt et trente ans les états des pertes jusqu’à la consommation ne se passaient pas. Rien n’est impossible à Dieu. Dieu pourra même exempter une âme de passer ces états à la manière commune, mais ordinairement cela ne se fait pas. Et même l’assurance qu’il écrit en avoir n’est qu’une preuve convaincante qu’il n’a pas passé l’Océan. Saint Jean de la Croix écrit positivement (à ce que je m’en souviens, car il y a trente ans que je ne l’ai pas lu) il écrit que ceux qui étaient encore en chemin croyaient qu’ils étaient arrivés au terme de la vie divine, mais que ceux qui y étaient arrivés véritablement ne croyaient pas. La raison est que les premiers ont des lumières en leur propre capacité de l’âme qui les éblouissent et la leur font croire ; mais les derniers restant dans leur anéantissement, qui les empêche de savoir eux-mêmes et jugeant par intervalles de leurs misères et de leur néant, ils ne le peuvent pas croire, à moins que [20] par mouvements divins et pour le bien des autres, Dieu leur fait dire ou écrire quelque chose de leur état véritable, ce qui passe et qu’ils oublient dans le moment.

Il m’a paru bien extraordinaire ce qu’il a écrit de moi-même. Mme Guyon, écrit-il, venait alors me rassurer entre l’esprit de M. de Fleischbein qu’il venait toujours pour me faire brûler ce qui était écrit du Traité de Dieu (note 1), et cela durant plusieurs jours, sous la raison qu’il y avait des choses est trop long et aussi douteuse. Il me talonnait, etc. Il est vrai, et ma sœur le peut attester que depuis longtemps je lui disais que le cher Théophile, suivant mon exemple, ferait bien de brûler tous ses écrits qui avaient de l’extraordinaire et qu’il ferait [21] bien d’entrer de bonne foi dans la voie de perte. C’est ce que j’ai dit cent fois à ma sœur, mais aussi c’est tout, ayant en horreur toutes les opérations magiques : et lorsque je prie pour lui, je prie Dieu qui lui fasse ouvrir les yeux pour voir le grand danger de sa voie de lumière, et de le conduire dans la voie de la foi obscure et nue, et cela pour le bien de lui-même et de toutes les âmes que Dieu lui a adressées ; étant certain que s’il reste dans sa voie et si les autres le suivent, cela aboutira sinon à un chute et scandale notable, du moins cela arrêtera le grand œuvre qu’il semble que Dieu se veut préparer en Suisse.

 (note 1)

Je savais bien que le cher frère Théophile écrivait des traités mystiques, et de diverses matières, mais pour ce Traité de Dieu en particulier, je n’en savais absolument rien. Je ne pouvais donc pas penser en ce temps, qu’il devait brûler le dit traité, quoique je pensasse qu’il ferait bien de brûler tous ses traités mystiques qui contenaient ces choses extraordinaires. Il faut donc que ce ait été un esprit étranger qui ait pris mon nom ou ma figure, à le talonner et pousser à brûler ce traité, et qui après est pris la figure ou forme et le nom de Madame Guyon, pour, sous prétexte de le rassurer contre moi, l’ait voulu préoccuper contre moi, et contre mes sentiments à l’égard de lui, prétendant par là de l’engager à faire son possible pour l’impression de ses ouvrages, afin de jeter par là du blâme sur les voies intérieures, enseignées principalement dans les divins écrits de Mme Guyon, de les décrier par les gens d’étude, qui n’approuvent certainement pas les écrits mystiques de Théophile, de faire traiter les voies intérieures de folie, imaginations et fanatisme par les mondains et libertins, de détourner les vrais intérieurs de cette voie divine pour les faire donner dans les spéculations, choses extraordinaires et dans le fanatisme ; mais enfin pour empêcher par là l’avancement du règne de par le vrai [21] intérieur. Ça été le véritable but de cet esprit impur, qui est apparu (visiblement ou en manière intellectuelle) ou cher Théophile, prenant premièrement mon nom et l’idée de ma personne, et depuis le nom et la figure de Mme Guyon. Le cher frère Théophile est assez illuminé et savant dans ces sortes de matières pour connaître, si le veut sincèrement, que certainement il a été la dupe de cet esprit impur, qui le mène tout droit dans le fanatisme, s’il ne s’en retire promptement et sagement. J’ai marqué dans mon écrit français précédent que sa voie de lumière et bien des points de sa doctrine sont directement opposés à ce que Mme Guyon a écrit, touchant ces choses. Quelle apparence n’y a-t-il donc que cette très grande Sainte lui soit apparue véritablement pour le rassurer contre des conseils entièrement conformes à ses doctrines (qui sont celles de l’Écriture sainte et de la Sainte Église de Jésus-Christ,) et qu’elle l’ait poussé à faire imprimer ses ouvrages mystiques et à s’immoler pour cela. Saint Paul écrit : S’il vient un Ange qui prêche un autre Évangile que……qu’il soit anathème Je dis hardiment à cet esprit impur d’une qui a pris la forme et le nom de Madame Guyon, la même chose.

[22] Quant à ses écrits, j’en ai écrit les sentiments de ceux que j’ai vus et lus, c’est-à-dire le cahier des Discours ; et je suis encore du même sentiment. En général il fera bien de se poser les bornes pour ne jamais avancer quelque chose qu’il ne trouve pas autorisé et fondé dans les saints mystiques reçus et approuvés par l’Église. Encore doit-il éviter tous les mots et expressions inusitées ; ils sont toujours la marque d’un état de lumière dans lequel on voit les choses de loin, sans les posséder réellement. Si ses écrits, comme je ne puis pas douter, sont fondés sur des principes conformes à ceux qui sont dans le cahier des Discours, et principalement s’ils contiennent des expressions extraordinaires et inusitées, le meilleur est de brûler ces écrits. Les Sermons qu’il a faits et qui sont imprimés sont édifiants ; s’il a donc un attrait ou une envie irrésistible d’écrire des choses spirituelles, qu’il écrive des sermons semblables, se contenant dans les bornes ci-dessus marquées.

Quant à mes propres écrits, j’embrasserais avec beaucoup de joie le moment, si Dieu m’ordonnait de les brûler tous, ne les estimant autrement, autant que Dieu les veut encore souffrir et ne me donne pas le mouvement de les brûler ; mais si un autre les brûlerait, j’en serais parfaitement content, ne doutant pas qu’il le ferait par ordre ou par mission de Dieu et de sa Providence. Qu’on les corrige, les change, cela ne me touche pas (mais qu’on ne m’attribue pas des changements notables) ; ce n’est plus mon affaire. Ils sont entièrement abandonnés à ce que Dieu en ordonnera. Si j’ose encore souhaiter quelque chose, j’ai l’inclination qu’ils ne soient pas souvent rendus publics pendant ma vie. Qu’on ne dise pas : il y a pourtant de belles choses dedans, ce serait dommage de les brûler. Nullement. Dieu est si absolument indépendant de tout moyen qu’il fera son œuvre sans le concours d’un instrument si chétif et si misérable que je suis.

Voilà Monsieur le baron, mes sentiments à l’égard du très cher frère Théophile, de ses écrits et des miens, et je proteste devant Dieu que cela est véritable autant que je puis juger [23] de moi et de mon intérieur. Je ne vous dis pas, Monsieur le Baron, de faire savoir mes dits sentiments au cher frère Théophile, et aussi n’y suis-je pas contraire que vous le fassiez. Je le laisse à vous et à ce que Dieu nous en fera connaître, et vous inclinera de faire. Si vous écrivez au cher Théophile quelques mots de moi, faites-lui et à ses chers associés, mes salutations très cordiales, que je l’aime et le révère grandement, et que je souhaite de tout mon cœur que Dieu l’arrache de ses voies extraordinaires de lumière si dangereuses pour lui et pour tous ceux que Dieu a confiés à ses soins.

 

[Tout le reste de la lettre est en allemand, nous en extrayons encore ce qui suit :]

[…] Mme Guyon, notre chère spirituelle et sainte mère, avait, comme sa vie le montre, des rapports avec des âmes qui étaient pareillement dans un état de lumière, comme le frère Anselme par exemple. Elle les estimait beaucoup, et les révérait comme des personnages réellement saints, quoique non encore consommés (überge gangen) en Dieu. Nous pouvons donc et nous devons faire grand cas de notre cher frère Théophile et le vénérer, mais sans nous laisser enlacer dans son état de lumière, et sans approuver les lumières et les vues qui ne sont pas d’accord avec l’enseignement général des saints auteurs mystiques de l’Église catholique. Pour ce qui me concerne, je ne puis absolument pas adopter ces vues, je dois au contraire m’y opposer et les combattre. C’est ce que j’ai fait dans mon écrit du mois passé, et je le ferai encore partout si Dieu m’y poussera. Ces vues feraient un horrible ravage si on les publiait, et je n’y donnerai jamais mon assentiment. Quant à ce qu’il écrit au sujet des premiers Élohim ou Innés [ ?], je n’ai aucune idée à cet égard, et de telles recherches ne sont pas mon affaire, je n’écris que des lettres et je travaille à mes traductions. Quant au reste je demeure à ma place, comme Mme Guyon le dit du ver.

Je ne le ferai pas de nouvel essai de pénétrer dans les lumières de Théophile, j’en ai dit ma façon de penser et je m’y tiens. [24]

Le mot de concubinage qu’il emploie dans un sens spirituel est extrêmement choquant, et pourrait donner lieu à des blasphèmes, ce qu’il faut éviter avec le plus grand soin. Mme Guyon nomme Jésus-Christ en tant que Parole éternelle de Dieu le principium, de même que le Père, et comme la toute Sainte Trinité est une seule essence divine indivisible, j’ai écrit de Jésus-Christ qu’il est le Je suis, comme il l’a lui-même déclaré. (Jean VIII, 25. 28. 58.). Dans mon écrit français, j’ai dit que la pensée de Théophile manque d’exactitude, lorsqu’il dit que les anges et les hommes seraient anéantis, mais il résulte de ses principes d’une manière incontestable que leur existence réelle de créatures cesse, et cela je l’ai prouvé. Il écrit : tout ce qui tient à la matière par le plus petit bout est défectueux ; les êtres purement intellectuels sont donc libres de parvenir à leur perfection, c’est supprimer toute matière (par le plus petit bout !). Voulez-vous savoir ce qui restera à la fin de la matière ? Mme Guyon le dit : (3 Discours spirituels Cant.207 page328) qu’il ne reste dans la nature que le feu pour tout élément. C’est le feu, c’est-à-dire un feu élémentaire, une pure essence de lumière et de feu, dont sont composés les corps des anges, et dont le seront pareillement un jour ceux des hommes. Je crois en effet comme je l’ai écrit plus d’une fois, qu’à la fin nos corps seront entièrement subtilisés, et formés comme d’une essence de lumière et de feu, tiré de la lumière incréée, comme de la prima matéria ; mais ils n’en seront pas moins toujours des corps, et par là-même matériels, tenant à la matière par ce petit bout, qui fait leur existence vraiment creatürliche, séparée et distincte de celle de Dieu. Les êtres purement intellectuels sont des rêveries (de Descartes, cartésiennes.) Dieu seul est un être purement et entièrement immatériel, que l’on dit admirer, adorer, vénérer et aimer, mais qu’il ne faut jamais décrire, à moins que Dieu lui-même ne nous y pousse, et que cela vienne infailliblement de lui. [25]

Distinction de l’enthousiasme et du fanatisme.

Les âmes qui appartiennent à Jésus-Christ reçoivent immédiatement l’esprit de Dieu pour se diriger dans toutes les circonstances de la vie.

Celles qui sont dans des degrés inférieurs et qui sont encore sur le chemin sont conduites d’une manière médiate par un bon ange, et celles qui sont amenées à l’intérieur, dans le désert de la foi obscure, ou qui y marchent réellement, sont conduites par un ange de la hiérarchie de Michel l’ange du pur amour, comme Mme Guyon l’atteste.

Les âmes qui sont dans l’obscurité de la foi, lorsqu’elles entrent dans leur propre esprit, tout comme les âmes qui sont dans l’état de lumière, peuvent être entraînées dans le fanatisme, mais les premières bien plus difficilement que les dernières. On tombe dans le fanatisme lorsqu’on suit son propre esprit, ses imaginations, ses propres vues, et de fausses lumières (ce qui comprend tout l’extraordinaire) et lorsqu’on prend ces choses pour divines et venant de Dieu lui-même.

Pour ces deux classes d’âmes, le plus sûr est d’avoir un directeur bien expérimenté dans les voies de Dieu et de suivre aveuglément ses avis. C’est ce que conseillent et attestent Mme Guyon, M. Bertot, tous les mystiques, les anciens anachorètes, et même Origène, lui qui était dans un état de lumière.

Dans les deux voies, mais bien plus dans la dernière, il survient des choses que l’on appelle invitations (ou exigences) et les âmes se croient poussées de Dieu à faire ceci ou cela, et il est souvent assez difficile de discerner si ces choses viennent de Dieu, ou de la mauvaise nature de l’homme, ou d’un esprit impur se déguisant en ange de lumière. Les âmes auxquelles pareilles choses arrivent ne savent pas en général faire cette distinction et demeurent souvent bien des années, quelquefois même toute leur vie dans l’incertitude, si une telle sommation qu’elles ont eue, à laquelle elles ont peut-être obéi, venait de Dieu ou non. Un directeur expérimenté leur serait de toute utilité.

 

Lettre 13. 3 avril 1764.

Théophile est sans aucun doute appelé à l’anéantissement, mais il devra travailler de tout son pouvoir à se débarrasser de ses lumières (en outrepassant (dürch ûberschreiten) ce qu’il se sent irrésistiblement poussé à écrire immédiatement : de telles lumières sont à brûler). Il faut qu’il entre dans l’obscurité de la foi et même qu’il demeure dans sa vie de perte, s’il veut accomplir sa vocation de Dieu sur la terre. Quant aux voies et aux états de perte ou d’anéantissement (comme il veut les nommer) une âme fidèle ne peut pas en sortir par ses propres efforts. La toute-puissance de Dieu, c’est-à-dire de Jésus-Christ, peut seule en tirer ; c’est là son droit de Sauveur.

Il n’est pas douteux que des personnes en état de lumière puissent avoir de bonnes lumières, et même des lumières venant de Dieu, mais pour de telles âmes ce ne sont que des lumières médiates.  Dans mon opinion (que je laisse toutefois à l’examen des autres) les lumières venant des Séraphins sont données aux cœurs dans lesquels l’Esprit habite ; et qui ont l’expérience de l’amour divin. Mais les lumières qui sont données essentiellement à l’intelligence, démonstrativement, sont pour la plupart des lumières de Chérubins quoiqu’elles puissent aussi venir en partie du cœur, ou de l’esprit, ou du fond de l’âme, mais les unes et les autres sont des lumières médiates. Elles ont quelque chose de brillant, un certain éclat, quelque chose qui se donne à [27] discerner en tant que lumières.

Les lumières immédiates au contraire aucune âme ne peut les avoir que celles dans lesquelles Jésus-Christ est né mystiquement. Ces lumières immédiates n’ont rien de brillant, ni quoi que ce soit qui les fasse distinguer comme lumière. On connaît un mystère ou une vérité, sans savoir comment on a pu les connaître, et on est très étonné de les connaître (lorsqu’on vient à y réfléchir). C’est là la vraie connaissance (science), celle des lumières immédiates, comme Madame Guyon l’atteste.

Les lumières qui viennent de Dieu, soit médiates soit immédiates, sont toujours bonnes et parfaites, etc. en elles-mêmes, mais ne sont pas toujours reçues dans un fond d’âme parfait. Les âmes entièrement anéanties les reçoivent pures, telles qu’elles viennent de Dieu, et les communiquent aussi aux autres pures et sans addition, soit de bouches, soit par écrit, soit par communication en esprit sans paroles.

Le passage du docteur Dreier sur la scène (rapportés dans un PS de la précédente lettre) a été communiqué en esprit à ce docteur (je ne mets pas la chose en doute) par une autre âme anéantie, peut-être par Madame Guyon elle-même, qui avait un si grand amour pour les protestants, ou par quelque autre personne, car alors il y avait beaucoup de grands saints sur la terre. Après qu’ils ont reçu cette lumière, il a pu sans doute s’affermir par l’assentiment des anciens Pères de l’Église.

(11) J’ai oublié de vous dire au sujet du cher frère Théophile et de tous les chers enfants qui vont chez lui, de les saluer cordialement. S’il veut persévérer dans les prétendues lumières et révélations, nous le supporterons et ne l’en aimerons pas moins comme notre cher frère, qui sur tout le reste est fidèle dans ses vues sur Dieu. Mais le mieux est de ne rien répondre sur ces choses, et pour qu’on n’en fasse pas trop de cas, d’en écrire le moins possible. [28]

 

Lettre 14. 13 avril 1764.

Je vous prie de me donner l’adresse du cher frère Théophile, dans le cas où je devrais lui répondre ; je ferai passer ma lettre par Francfort, par mon correspondant le conseiller de la légation danoise Moritz. Je voudrais aussi savoir le prix des ports de lettres. Il y a plus de 40 ans, je payais quatre batz pour une lettre simple jusqu’à Lausanne ; de Lausanne à Francfort l’affranchissement était de six batz suisses. Mais cela peut avoir changé depuis lors.

Je suis au reste très réjoui des excellentes dispositions du cher frère Théophile. Quant à l’extérieur de sa mission, il n’en sera plus question, du moins pour un très longtemps ; excepté ses directions à ses enfants de grâce, direction qui ne devra point cesser, et que des enfants ne pourront point abandonner, si des deux parts ils ne veulent pas marcher hors de l’ordre de Dieu. Il leur sera bien plus utile qu’il ne l’a jamais pu être auparavant et ses paroles porteront coup, comme le dit Madame Guyon dans une de ses lettres.

Je pense qu’il renoncera bientôt à son travail d’écrire des sermons, Dieu lui en donnera du dégoût, et le mettra peut-être dans l’impuissance de faire. Il éprouvera encore des choses, qu’il n’aurait jamais pu imaginer ; car la mesure de son élévation précédente sera celle de son futur abaissement, cela ne peut pas m’en manquer, puisqu’il doit être anéanti dans le degré de sa vocation, et puisqu’il persévère avec fidélité dans sa voie de foi obscure. Je me sens très intimement uni avec lui, et je conçois de très grandes espérances quant au progrès de l’œuvre de Dieu dans les âmes en Suisse. Il faut maintenant qu’il naisse à la croix, puisqu’il était auparavant dans le danger d’une entière perdition, s’il avait persévéré dans la voie de lumière. Dieu a fait ici une grande œuvre, qui ne sera bien connue que dans l’éternité, et qui sera en particulier un sujet de grande bénédiction pour mon chérisssime patrons, ce qui est pour moi une grande joie. [29]

 

Lettre 15. 24 avril 1764.

 J’espère que le cher frère Théophile s’avancera maintenant sans obstacle et de plus en plus dans le désert de la foi obscure. Oh ! Qu’il sera étonné lorsque les nombreuses richesses spirituelles qui lui sont encore laissées lui seront ôtées, et quand il reconnaîtra seulement alors qu’il les a possédés ! Aussi parce que Né...adnazar pouvait avoir des richesses spirituelles pendant les sept ans qu’il a passés au milieu des bêtes sauvages, peut-il nous en et laisser dans les états de perte.

Il est à son sens comme écrasé, mais ce n’est qu’un éblouissement qui l’amènera successivement dans le lieu où Dieu veut l’avoir. Dieu a accompli ici une vraie merveille, non par moi qui n’ai fait que témoigner ce que je savais par expérience être la vérité, mais en ceci, qu’il a incliné ce cher frère à renoncer à son propre esprit et à ses prétendues lumières, par où il a sauvé son âme d’une chute grave dont il était bien près, et encore en ce que les âmes qui lui sont unies sont mises à l’abri de ses dangereuses lumières et introduites dans l’obscurité de la foi. Et ainsi il leur sera encore d’une grande utilité, non pas tant comme auparavant par la direction, mais par la souffrance.

Et vous, mon cher patron, comme vous avez été réveillé par lui et qu’il vous a amené à la conversion par l’Évangile, vous ferez bien de ne pas renoncer à sa direction. Mais puisqu’il témoigne qu’une correspondance étendue et trop fréquente lui est onéreuse, il faut que nous nous confirmions à son désir. Je suppose qu’il est plus jeune que moi de plusieurs années ; il me survivra donc probablement. Ceci établit entre vous deux une union subordonnée; qui doit demeurer aussi longtemps que vous marcherez l’un et l’autre fidèlement dans voie. Suivez-le donc comme votre directeur, aussi longtemps que Dieu le voudra.

Dans la partie française de ma lettre du 13 avril (elle manque) ayant probablement été envoyée par Monsieur de Kl. à Monsieur Dutoit) j’ai signalé une erreur considérable et je la tiens bien pour telle dans les Discours de Théophile. D’après quelques extraits que j’en ai faits, je pourrais citer plusieurs autres erreurs, peut-être plus graves encore. [30]

Mais je voudrais plutôt effacer tout cela, afin d’en ôter la pensée, même à Théophile.

 

Lettre 16. 15 mai 1764.

Je n’ai pas le moindre doute sur la grande vocation du cher frère Théophile, et je trouve quelques rapports entre lui et le père La Combe, quant à la manière dont il est conduit. La Combe a comme lui été transporté tout à coup d’un état de grande lumière où il avait été très utile à beaucoup d’âmes, dans la voix obscure. On aurait pu croire que Dieu le destinait à de grandes choses éclatantes, et il a été jusqu’à sa mort dans la captivité et dans l’exil, tandis que son intérieur était pareillement dans l’obscurité, comme le montre sa dernière lettre à Madame Guyon. Néanmoins il était dans un état apostolique véritablement très élevé. Mais tout demeura caché en Dieu, et cela aux yeux du monde, ignoré même des âmes pieuses, à l’exception de ce que Madame Guyon en a révélé d’après une vraie lumière divine. Cela appartient au Magnalia Dei que les grandes choses et les œuvres les plus sublimes, il les accomplit dans et par le Néant.

Théophile sera certainement aussi employé à l’œuvre de Dieu, quand il se laissera détruire jusqu’au fond, et qui laissera abattre en lui tout ce qui est grand. Il sera bien sûr plus utile aux autres et à ses enfants de grâce par ses souffrances. Eux et lui forment une famille spirituelle, dont il est le capitaine. Il doit les précéder en tout, et se plonger le premier dans l’abîme de l’humiliation, et il leur sera utile dans la mesure où il le fera. Son esprit éclairé par l’abaissement et les souffrances deviendra toujours plus capable d’être en communion avec les autres et de leur donner de bons conseils. En outre son esprit sera fortifié en Dieu dans la mesure où il sera dépris de lui-même. Que ses enfants de grâce le suivent pas à pas dans l’abîme de l’abaissement. Par là je suis convaincu que l’œuvre de Dieu avancera prochainement parmi ces chers [31] frères, et cela sans éclat extérieur et sans grande apparence.

Que les âmes intérieures marchent ainsi, et elles deviendront dans leur pays la petite semence de moutarde pour le royaume spirituel de Jésus-Christ. Qu’elle ne cherche pas d’autre directeur que Théophile que Dieu a destiné à cela et qu’il reconnaîtront comme un berger fidèle dans cet abaissement que chacun doit éprouver pour sa part Vermis sum et non homo. Il éprouvera que ni lui ni ses enfants de grâce ne doivent attendre des choses éclatantes, grandes, extraordinaires, mais qu’ils doivent se laisser conduire dans les voies tout ordinaires. Rappelez-vous ces paroles de l’aveugle-né si souvent cité par Madame Guyon : « Comment as-tu recouvré la vue ? – – Il a mis de la boue sur mes yeux. »

C’est aussi la seule chose que j’aie à répondre, d’après votre dernière lettre, à l’écrit du cher frère Baillif pour lui et pour Madame son épouse. (Quant aux éloges qu’il me donne, je ne puis rien répondre, je ne les accepte pas.) Dieu ne me donne rien pour eux que ce qu’ils peuvent savoir par la lumière générale, et par les conseils qu’ils tireront des écrits de Madame Guyon. Pour les cas particuliers, Dieu donnera lumière et sagesse au cher frère Théophile pour leur faire connaître à l’un et à l’autre sa sainte volonté. Ce qu’ils ont admiré jusqu’ici dans ce cher Théophile n’était que de brillantes bagatelles ; et ce qu’il les met maintenant dans l’étonnement, savoir que Dieu a commencé à renverser et à briser cette âme grande et douée de tant de grâce, ce sont de grandes, glorieuses et même divines merveilles, dont le résultat sera, s’ils viennent à connaître eux-mêmes par expérience la lumière de la vérité, de leur faire considérer le cher Théophile comme bien plus élevé et bien plus heureux, que lorsqu’il brillait à leurs yeux encore charnels d’un si grand éclat.

La croix de Jésus-Christ avec son opprobre, son ignominie, ses mépris, ses souffrances est le trône de son triomphe. Dieu était en Jésus-Christ dans toutes ses souffrances, et a racheté ainsi le monde avec lui. [32]

Dieu est aussi dans une âme qui est crucifiée avec Christ, d’abord pour cette âme elle-même, et ensuite pour l’état apostolique qui doit suivre. Il faut que Madame Baillif, j’en suis certain, outrepasse absolument tout ce qui est extraordinaire, et les choses qu’elle ne peut pas empêcher, qu’elle les supporte, sans les regarder comme grandes, et qu’elle les considère comme des choses que Dieu fait tomber sur elle à cause de son imperfection, pour l’humilier jusque dans la poussière. Qu’elle suive du reste de la manière la plus scrupuleuse les conseils du cher Théophile qui ont été donnés à ces deux chères âmes comme directeur spirituel ; et aussi longtemps que des deux parts ils suivront fidèlement leurs voies, cette direction doit subsister. Ni de l’une ni de l’autre part, ils ne peuvent y renoncer sans sortir de l’ordre de Dieu.

J’ajoute ici que si j’ai parlé du coût des ports de lettre, ce n’était pas pour éviter l’usure des buralistes, mais je pensais que si j’étais pressé par la nécessité ou par une impulsion intérieure à écrire à Théophile (sans cela je n’entreprends aucune correspondance spirituelle), il vaudrait peut-être mieux que j’envoyasse quelque argent à Monsieur Baillif pour qu’il payât le port de mes lettres à Lausanne et les remît au cher frère Théophile.

(8). Détails et directions sur la vie intime des époux Baillif. La dame atteinte d’un degré marqué de fanatisme. Croix permise pour la purification et sanctification du mari. Il faut que Théophile ignore la chose.

Quant au Cher Monsieur Blondel, je le tiens pour une âme vivant vraiment dans l’intérieur, mais cela ne suffit pas pour décider en matière de direction. Sa lumière peut être bonne pour le diriger dans sa propre voie, mais ce n’est pas une raison pour qu’il dirige les autres. Si un aveugle conduit un autre aveugle a dit Jésus-Christ, etc. Maintenant que la chose est faite, que Dieu l’a permise, il n’y a pas à la changer. Il faut les avertir tous trois de suivre aveuglément les enseignements divins de Madame Guyon, de repousser de leur intérieur tout extraordinaire, les lumières et choses pareilles, pour marcher entièrement dans l’obscurité de la foi. [33]

La marche actuelle de Monsieur Baillif est excellente. Voir et croire sont choses contraires. Heureux ceux qui ont cru, etc. Que ce cher frère prenne courage et confiance en Dieu pour suivre aveuglément la moutarde de la foi obscure. Dieu est trop fidèle pour l’abandonner ou pour se laisser vaincre en générosité.

PS.

Mon chérissime patron me permettra de faire encore quelques réflexions au sujet des chers frères et sœurs de la Suisse. C’est évidemment une œuvre du Seigneur qui s’est faite parmi eux, mais ils étaient tous bien près du fanatisme, ce qui aurait fini par un effroyable scandale ; et l’œuvre du Seigneur et ses voies auraient fini là calomniées. Dieu commence à les en tirer, et cela par leur capitaine spirituel, celui-ci devait le premier descendre dans les humiliations, sans quoi les autres n’auraient pas pu revenir dans l’ordre de Dieu. Par ce qu’on forme ensemble une famille spirituelle, qu’un membre dépend d’un autre, et reçoit la nourriture par son canal, si l’on veut se séparer sans être introduit immédiatement dans une autre famille spirituelle, on périra infailliblement.

Que l’on est heureux d’être introduit dès le commencement dans la voie de la foi obscure par les enseignements de notre sainte mère, et d’être conduit dans l’obéissance et dans la subordination qui sont ici d’une nécessité indispensable ! Combien de faux pas l’on évite ainsi ! Mais il arrive souvent que l’on présente aux âmes dirigées des vérités qui étant au-dessus de leur capacité ou plutôt de leur état propre (spécial) leur sont indigestes, ce qui occasionne, comme l’écrit Madame Guyon, de terribles écarts, qui exigent beaucoup de temps, jusqu’à [ce que] tout revienne en ordre, et qui arrêtent extrêmement les âmes. Elles veulent éviter ceci ou cela, d’après leurs propres sentiments ou leurs intérêts, et les choses qu’elles redoutent sans motif ; et il leur arrive selon le proverbe, qu’en voulant éviter la pluie elles tombent dans le ruisseau, ou sous la gouttière.

Je ne connais pas assez la vie et les allures de Monsieur Baillif pour lui appliquer ces réflexions, mais ceux qui le connaissent pourront juger peut-être qu’elles lui conviennent. Peut-être qu’en voulant agir prudemment il est tombé en la puissance d’un artificieux esprit de fanatisme. Comme l’écrit divinement Madame Guyon, il faut marcher avec Dieu sans ménagement de soi-même, car il garde seulement les simples et ceux qui sans prudence humaine se confient tout  uniment en lui et se laisse conduire par lui.

Lorsqu’on a reconnu en gros le mode de conduite que Dieu nous a destiné, il ne [34] faut pas user de ménagement envers Dieu, mais suivre aveuglément la voie où il veut nous conduire. L’Étoile Polaire est au-dedans l’attrait intérieur, le repos et la paix ; au-dehors le moment de la providence divine ; ceux qui ont une direction ne doivent avoir aucune défiance à l’égard de leur directeur, car il est impossible que Dieu permette qu’un directeur donné par lui puisse faire égarer les âmes.…… Il est d’autant plus nécessaire d’insister là-dessus afin que, puisque le cher frère Théophile est si effroyablement humilié, ses enfants de grâce n’en viennent pas à le mépriser à cause de cela ; bien au contraire ils doivent l’en estimer d’autant plus, comme portant l’image de Jésus-Christ, et demeurer soumis à sa direction.

Au sujet de Madame Tolier, j’ai la conviction que les âmes qui dans le commencement ne sont pas entrées de bon cœur dans le renoncement, seront contraintes de subir plus tard une mortification forcée, et si elles ne le font pas dans ce monde cela aura lieu infailliblement dans l’autre, car leur existence en tant que créature (creatürliche existenz) sera consumée par la mort seconde, afin que, après qu’elles auront satisfait à la justice de Dieu par leur châtiment, elles reçoivent l’esprit comme un germe de vie, que cet esprit soit joint à une nouvelle portion de matière, qu’il soit renouvelé par là dans la création nouvelle, et qu’ainsi une nouvelle existence de créature lui soit donnée. C’est là le véritable et unique rétablissement des esprits damnés et de toute créature, et c’est la puissance du sacrifice infiniment grand, et du mérite infiniment grand et de la satisfaction de Jésus-Christ.

Il paraît au reste que Madame Tolier veut goûter de toute espèce d’aliments, sains ou empoisonnés, pour éprouver ses forces. Elle s’instruira par là en éprouvant toutes sortes d’esprits, mais comme Ève, et de cette manière elle ne parviendra pas à l’innocence.

Le cher frère Monsieur Baillif fait bien de s’abstenir à cet égard et d’éviter l’émissaire des quakers. Éviter entièrement ses esprits errants çà et là, c’est le plus sûr moyen de s’épargner bien des tentations, bien des détours et des arrêts dans la voie que Dieu donne aux âmes qui marchent dans la foi obscure et encore plus à celles qui sont dans la voie de perte, précisément pour cela une lumière si claire pour saisir les erreurs et les détours de ceux qui sont dans les lumières et dans la force active. C’est précisément afin qu’elles discernent et évitent aisément de tels esprits. Si elles font cela sans entrer dans aucun examen et sans se laisser mettre en rapport avec une telle voie, comme Monsieur Baillif le fait à l’égard du quaker [35] tout va bien. Mais si elles veulent (discuter avec des syllogismes) examiner avec les augmentations de la raison ou même si elles cherchent à convertir des esprits étrangers, les âmes intérieures sortent de leur sphère, pour rentrer dans un pays étranger qu’elles ont quitté, et n’y trouvent plus aucune force. C’est pour cela aussi qu’elles seront facilement vaincues et terrassées par ces esprits étrangers qui possèdent encore dans cette sphère toute leur force. Et tout cela les expose à des luttes nombreuses, inutiles, souvent préjudicielles [sic], et à une grande perte de temps.

 

Lettre 17. 22 mai 1764.

Quoique le cher frère Théophile ait renoncé pour la suite à vous diriger, vous ferez bien cependant, mon chérissime patron, de lui demeurer attaché en esprit, mais comme il est maintenant en proie à de cruelles souffrances, de ne pas le presser, jusqu’à ce que la divine providence amène l’occasion de renouveler le fond de votre union. Je suppose, sans en douter aucunement, que Théophile marchera en toute fidélité dans la voie que Dieu lui destine. Il est maintenant effroyablement humilié par la circonstance que vous connaissez, non pas à nos yeux, car j’estime son état actuel bien supérieur à son élévation précédente, mais d’après son propre jugement et le sentiment qu’il en a. Si l’on voulait lui indiquer maintenant telles choses qui le mette bien plus bas encore, (au point de vue humain et selon qu’il l’estimerait lui-même), sa nature ne le pourrait peut-être pas supporter, surtout si cela venait de vous, qu’il considère comme son enfant spirituel qu’il a engendré en Christ. Mais si l’on voulait le consoler, cette consolation même lui serait encore plus intolérable, parce que la générosité de son sacrifice se réveillerait et le contraindrait à repousser toute consolation. Il faut le considérer comme Job sur son fumier, couvert de plaies, ne pouvant recevoir aucun soulagement pour les coups qu’il a reçus de la main de Dieu. Il juge bien de son état et reconnaît tous les dangers de son précédent état de lumière. Vouloir le lui faire voir plus clairement et plus à fond, ce ne serait qu’augmenter sa confusion et sa douleur. Le mieux est de ne plus du tout lui en parler, et de laisser Dieu agir. Ce que vous lui avez écrit aura son utilité. Qu’on laisse ce qui est fait en s’en remettant à Celui qui peut tout faire servir au bien, sans se trop préoccuper si l’on a bien ou mal fait. Ce que vous avez écrit, vous l’avez écrit dans un sentiment d’amour et de fidélité envers Théophile. D’ailleurs comme il porte l’image de Job, tout lui est douloureux [36] dans ce qu’on se contenterait pour panser ses plaies, fusse même le beaume le plus précieux. [….][813].

J’aime de tout mon cœur le cher frère Baillif et je crois qu’il marchera avec fermeté et une grande fidélité dans la voie de la foi obscure. Son aventure avec sa femme mentionnée dans la précédente lettre montre que dès le commencement c’était là sa voie, mais comme sa femme tient à l’extraordinaire, il s’y est laissé entraîner ; à cela s’est joint le brillant des lumières de Théophile auquel il s’est attaché avec admiration. Il doit par conséquent avoir été comme déplacé pendant tout le temps où il n’a pas été pleinement dans sa voie, mais maintenant qu’il a reconnu son erreur, qu’il se plonge de nouveau dans sa précédente obscurité de voie, ce qui lui sera rendra le repos qu’il goûtait autrefois. Il en est de lui comme d’un homme à qui l’on a remis une articulation déboîtée, il est calme et n’éprouve plus aucune douleur, s’il se tient tranquille et en repos.

Mais il en est tout autrement de notre cher frère Théophile. En lui s’accomplissent ces paroles de Jésus-Christ : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Il endure les opérations non pas de la remise en place d’une articulation, mais bien de sa rupture, et son imagination se remplit en outre de la pensée des choses qui doivent encore arriver. Tout cela ne sert qu’à le crucifier. C’est un état tout autre et bien plus élevé. Théophile doit marcher de nouveau dans ces états de pertes où il ne voit ni mesure ni terme.

Monsieur Baillif au contraire est dans le commencement d’un dépouillement, où il a encore beaucoup de vêtements à ôter, avant qu’il puisse bien connaître sa nudité. On peut aussi, pour conclure de la conduite de l’un à la conduite de l’autre, que si l’on voulait conclure du premier état de privation de Job, lorsqu’il perdit ses troupeaux, à l’état qui suivit lorsqu’il était sur son fumier, ou si l’on mettait en comparaison sa douleur dans le premier état, et celle qu’il éprouva dans l’autre. Je me sens intimement uni dans mes prières à ces deux chers frères. Tous deux marchent  très bien et s’avancent la voie où Dieu les veut l’un et l’autre, mais chacun d’après son état et son degré. [37] il en est de Monsieur Baillif et de sa femme à peu près comme il en a été de feu Wattenwyll et de la sienne. Elle a été pendant toute sa vie pour lui, une croix aussi pénible que nécessaire.

Je sais bien que ce que j’ai écrit et mis en avant à l’occasion du cher frère Théophile a été très avantageux à mon chérissime patron, et que vous reconnaîtrez bien mieux encore à l’avenir la sagesse et la miséricorde de Dieu dans cette direction. Cela vous a surtout été des plus utiles quant à vos dispositions préparatoires. Mais il ne m’est pas permis, bien plus il m’est interdit de m’étendre sur ces choses, avant que le temps soit venu, où elles pourront venir au jour avec une grande utilité, si Dieu prolonge ma vie jusque-là. Mais Dieu n’est lié à aucun moyen. Toutes les créatures ne sont rien devant lui. Je pensais comme vous dans les premiers temps de ma connaissance avec Monsieur de Marsay, mais Dieu m’a bien montré que mes inquiétudes étaient vaines. Ses voies sont merveilleuses. Qui n’a jamais été confus, après avoir mis son espérance en Jéhovah !

Quant au Cher Théophile, le mieux serait bien pour lui de ne plus rien à écrire sur des sujets spirituels. Mais Dieu le conduira dans la voie où il doit marcher, et lui montrera ce qu’il a à écrire. Comme je suis accoutumé dès mon enfance à penser, je ne pouvais pas demeurer sans occupation d’esprit, après que Dieu par l’exil du cœur m’avait poussé aussi loin hors de moi-même que je ne pouvais plus trouver de demeure tranquille. Aussi je m’occupais par récréation et dans les souffrances les plus pénibles pour y faire diversion, à lire d’autres livres qui ne fussent pas nuisibles, comme des histoires, etc. et j’écrivais sur ce qui m’avait paru remarquable, mais je brûlais la plus grande partie de ce que j’avais écrit. À cet égard on ne peut donner aucune règle. Dieu lui-même conduira Théophile et le poussera là il faut où il veut l’avoir. Un autre le ceindra et le conduira où il ne voudrait pas aller. [38]

 

Troisième fascicule, Lettre première. Page trois. 19 juin 1764.

J’estime que c’est par un effet de la volonté de Dieu que vous m’avez communiqué des extraits des écrits de Théophile. Sans rien changer à l’opinion que j’avais de lui, ces extraits me le font connaître plus exactement et plus à fond. Si vous vous souvenez de ce que je vous ai écrit depuis plus d’un an sur ce sujet, vous reconnaîtrez qu’autant que j’aie pu et que j’ai osé le faire, j’ai travaillé à vous détourner de tout ce qui est extraordinaire, et de ses lumières qui ne font que vous arrêtez, en même temps qu’à combattre ces choses qui chez Théophile ne pouvaient que vous être éminemment préjudicielles.

Je puis vous en parler plus à l’aise à présent, puisque vous avez reconnu la profonde vérité de ce que je disais, mais précédemment je n’osais traiter ce sujet que très délicatement, de peur de ruiner l’œuvre de Dieu dans votre âme, en vous écrivant des choses qu’alors vous n’auriez pas pu supporter. Ce n’est pas que je méditasse alors ce que je devais vous dire, non, je ne le fais pas, j’écris à mesure ce que Dieu me donne dans le moment même, m’en remettant à lui si je fais bien ou si je fais mal. Vous savez que tout concourt à la gloire divine. Cela tient à la pleine indépendance de Dieu à l’égard des créatures.

Si je ne me trompe Théophile et son ami Baillif sont en bon chemin. Je me sens intimement uni avec eux. Le dernier dans un état plus calme, au premier s’applique la parole de Jésus : je suis venu pour apporter non la paix, mais l’épée, et pour allumer un feu. À mon avis Théophile ne s’est pas encore entièrement plongé dans le désert de la foi obscure, mais il est sur le chemin qui y conduit, et il commence, c’est-à-dire il recommence à marcher au point où il avait abandonné la route, depuis qu’il s’est laissé retirer de ses lumières. Mon chérissime patron reconnaîtra bientôt d’une manière incontestable que si Théophile n’avait pas été retiré par la miséricorde de Dieu de sa voie dangereuse, il serait devenu un hérésiarque, le chef d’une secte pernicieuse et séductrice. Dieu soit béni de ce qu’il a délivré ce cher homme de lien si dangereux !

Je devrais lui écrire, puisqu’il a commencé, mais ma nature y répugne, peut-être est-ce un signe que Théophile n’est pas encore dans une pleine disposition. Au moins aussi longtemps que j’éprouve cette répugnance, je crois que je n’écrirai pas.

Il déclare qu’il y a dans son manuscrit certaines vérités qu’il ne rétractera que devant le trône de Dieu, cela prouve qu’il persiste dans son propre esprit. Dans ce qui me concerne, si j’ai pu manquer en quelque chose dans ce qui venait de moi-même, je suis assuré que ce qui est clairement fondé sur la sainte Écriture et sur les écrits de Madame Guyon, [39] elle ferme et inattaquable. C’est ici le cas d’appliquer ce qu’on appelle la foi du charbonnier. Je crois cela, parce que l’église ne croit. Et qu’est-ce qu’on croit l’église ? Ce que je crois. Le développement, en temps que venant de moi, je le considère comme mettant propres sans y penser, comme si Dieu me l’avait donnée ; par conséquent et à ce point de vue, si j’ai pu mêler la vérité divine avec quelque chose provenant de moi, je considère le tout comme mettant propres, lors même que j’ai pu me tromper. Mais je ne puis pas errer, quand je crois ce que l’église croit, c’est-à-dire ceux qu’accrue et ce que croit encore la vraie église des adorateurs intérieurs en esprit et en vérité.

Le grand Fénelon avait aussi cette foi du charbonnier, lorsqu’il a rétracté ses maximes dessins, comme on le voit dans un passage de la continuation de la vie de Madame Guyon. De suspension

PS. J’ai lu avec Weyl (qui est discret) l’extrait du manuscrit de Théophile que vous m’avez envoyé. Je lisais, Weyl écoutait, et nous causions à mesure. Cela m’a été très pénible, parce que j’ai dû rentrer dans son cercle pour approfondir les choses. Cette lecture m’a affermi dans ce que j’ai cru en tout temps du cher frère Théophile : que ces écrits sont comme un enfant né avant terme ; il a écrit à la fin d’un violent état de pertes, auquel a succédé une lumière des facultés et de l’intelligence, qu’il a prise pour la lumière centrale, pour la lumière du jour éternel, ce en quoi il s’est grandement trompé. Au lieu de combattre et surmonter toutes ces lumières qui lui venaient avec abondance, il s’y est complu et a cru avoir outrepassé la mort mystique du fonds. (Il a peu à peu réprimé toute espèce de doute à cet égard), et il a mis sur le papier des productions prématurées imprégnées de ses propres imaginations, et par le plaisir qu’il y a pris, il a donné accès dans son imagination aux esprits impurs pour susciter en lui de fausses lumières et pour le précipiter dans l’erreur. L’état dans lequel il était avant ses fausses lumières est décrit par Madame Guyon au troisième chapitre d’Habacuc (deux moyens : page 469.) Il était dans le moyen le plus éloigné. [40].

 

Lettre sixième. P.S. 6 septembre 1764.

Extrait d’une lettre d’Eusebius (Docteur Burckhardt junior à Monsieur de Fleischbein) qui parle de manuscrits qui lui avaient été envoyés de Suisse il y a quelques années. Il les avait ouverts avec empressement, ayant reçu antérieurement beaucoup d’édification de la même source. Mais il y avait trouvé beaucoup de choses horribles, renversant les principes des saints auteurs et de tous les mystiques. Il les avait envoyés à Monsieur de Klinckowström en lui disant qu’il ne voulait prendre aucune part à la publication de tels écrits. Sachant que Monsieur de Kl. a exprimé [?] une pleine confiance, je vous prie de lui demander de vous communiquer en particulier les Opuscules spirituels et philosophiques, ainsi que le Traité des métempsycoses, afin que vous en jugiez et puissiez prévenir si possible le mal que ces écrits pourraient faire. Ces écrits sont de ce même auteur des sermons Théophile dont j’ai soigné l’impression avec tant de plaisir, quoique j’eusse vu volontiers qu’il eut fait çà et là, particulièrement dans sa préface, certaines modifications qui eussent rendu le livre d’utilité plus générale. Ses défauts peuvent bien ainsi diminuer la vertu, et empêcher l’impression de la deuxième partie.

(Monsieur de Fleischbein a répondu à Eusebius[814]). Vous avez très bien jugé à l’égard de Théophile. Lorsque Monsieur le baron de Klinckjoström eût pris connaissance de ces manuscrits, il en fut scandalisé et écrivit à ce sujet à Théophile. Celui-ci, bien loin de vouloir susciter du scandale répondit au baron qu’il devait brûler à l’instant les manuscrits qu’il avait, parmi lesquels étaient ceux que vous nommez. Théophile fit de même pour ce qu’il avait encore chez lui. Ainsi tous les écrits philosophiques étaient philosophiques et théorétiques ont été brûlés dès longtemps. Théophile offrit même de brûler aussi ses sermons, ne renfermant que des vérités pratiques ; ce qui ne fut pas jugé nécessaire. Tous les écrits philosophiques et ce qui pouvait être en scandale ont donc été brûlés avant même que vous en eussiez exprimé le désir. Ce renoncement de Théophile à ses propres vues est très louable, et c’est une preuve évidente de sa sincérité et de son désir constant de tout faire pour la gloire de Dieu.

 

Lettre neuvième. P.S. 28 octobre 1764.

En relisant la lettre du cher Théophile […] j’avais dû écrire que c’était par moi qu’une si grande œuvre avait été opérée en lui. J’espère que je n’ai pas assez oublié mon néant, pour m’attribuer cette œuvre à moi-même. C’est en effet, je le crois, une grande œuvre, qui ne sera bien connue que dans l’éternité, mais c’est à la toute-puissance et la miséricorde de Dieu que je l’attribue et non pas à moi. C’est Dieu qui l’a accomplie, en donnant aux chers frères de Suisse l’humilité, et la disposition à consentir à ce qui était exigé d’eux. C’est aussi à leur foi et à leur confiance en Dieu qu’on doit attribuer ce que Dieu a fait de bon en eux. Ils sont tous deux dans la voie. L’Esprit de Dieu [41] dans les écrits de Madame Guyon qui m’a conduit dans cette voie me l’a enseignée, la leur montrera et les y conduira encore par ces mêmes écrits. Si je leur réponds, c’est parce qu’ils le demandent, mais c’est sans le désirer et sans croire que je leur sois nécessaire. Malgré cela je suis très réjoui quand je vois par leurs lettres quel est leur bon état intérieur. Je me sens intimement uni avec ces deux chers frères, et je sais que maintenant ils marchent dans l’ordre de Dieu.

Le portrait que vous me faites de Monsieur Blondel est celui que feu Monsieur de Marsay me faisait autrefois de Thémitius, dont les airs dévots lui paraissaient affectés et exagérés. Quant à ce que le quaker dit de la vénération que les âmes unies à Thémistius lui témoignent, je ne l’accepterai jamais, j’aimerais mieux cesser tout rapport et toute correspondance, étant convaincu que cela serait hautement nuisible à mon âme.

 [fin du manuscrit].

Klinckowström (apr. 1700?-1774), gentilhomme danois.

Le baron de Klinkowström venu à Lausanne pour consulter un Docteur Tissot rencontra Dutoit « qui se sentit porté à prier beaucoup pour lui … il lui dit qu’il avait maintenant « à se débattre avec Dieu… ce mot fit sur lui une impression profonde[815] » :

Engagé par Dutoit à scruter avec plus de sérieux la vie de son âme, le gentilhomme danois se convertit et une grande intimité s’établit entre lui et son directeur. Quand il quitta Lausanne, il s’engagea entre eux une correspondance qui dura jusqu’à la mort de Klinkowström…

À l’égard de son ami, plus jeune que lui dans le développement intérieur, Dutoit est d’une touchante sollicitude et d’une remarquable clairvoyance : il ne veut pas imposer sa direction, il désire que « son patron », comme il l’appelle, acquière par ses propres efforts « sa véritable stature intérieure ». Aussi ne lui écrit-il que rarement[816].

Voici les extraits significatifs d’une lettre de direction adressée (vers 1785 ?) par le pasteur Dutoit à M. de Kl[inckowström][817] :

 (18) ...La peine que vous lui avez faite [à mon « âme intérieure »], c’est qu’elle a porté un peu de votre fardeau et de cette souffrance qu’il fallait préalable simplement pour vous ajuster à pouvoir rentrer dans l’ordre de Dieu.

Aussi vous verrez que vos progrès seront rapides, si vous voulez être absolument fidèle et vous laisser attacher à la croix. C’est les membres qui aident aux membres ; si malheureusement vous n’étiez pas absolument fidèle, vous nous seriez arraché avec mille douleurs encore, et cette grâce reviendrait à nous, ou bien irait chercher quelque autre. Rien ne se perd. ...

Du reste, ne vous attachez point (20) à moi je vous conjure, j’en suis indigne, vous m’attireriez même encore un sévère jugement, car je souffre lorsqu’on s’attache à moi. Il faut Dieu et Dieu seul et n’envisager rien que relativement à Lui, de façon qu’on ne se fasse aucun appui de l’homme, pas même de l’homme que nous savons certainement nous être utile dans l’ordre de Dieu sur nous ...

(22) …en ce cas il me donnera dans la suite des grâces et des lumières pour vous, avant que vous quittiez ce pays, en sorte que nous pourrons voir ce que vous avez à faire pour l’avenir. Toutefois je doute que ce soit là ma destination. L’impression que j’ai eue de vous exhorter fortement et à réitérées fois [sic] de vous procurer madame Guyon et d’en faire votre pain quotidien, me fait croire que c’est elle qui sera votre ange et votre directeur invisible. [...]Ayez donc madame Guyon et nourrissez-vous-en, sans exclure pourtant ni M. de Marcey, ni les autres vrais mystiques [...]Que si (24) après vous être éclairci avec Dieu, je n’ai plus rien pour vous, regardez-moi désormais comme un tronc pourri qu’on jette loin et dont on ne fait nul usage, vous brouilleriez tout l’ordre, vous vous feriez beaucoup de mal et à moi aussi. La volonté de Dieu et rien autre.

Les relations sont maintenant bien établies entre les trois figures auxquelles nous venons de consacrer des notices. Elles s’entraident sans cacher leurs limites et se réfèrent à Lacombe et madame Guyon :

La capacité de M. Dutoit dans la sphère de la direction spirituelle fut constamment reconnue et proclamée par M. de Fleischbein, sous la direction duquel il s’était lui-même placé. Voici ce qu’écrivait à ce sujet ce grand docteur à son ami de Klinckowström, dans le moment même où il s’était cru appelé à prémunir celui-ci contre les erreurs contenues, à son avis, dans les écrits de M. Dutoit : « Pour vous, mon cher patron, (c’est le titre qu’il se plaisait à lui donner) comme vous avez été ré­veillé par lui, et que c’est lui qui vous a amené à la con­version par l’Évangile, vous ferez bien de ne pas re­noncer à sa direction. Plus jeune que moi de plusieurs années, il me survivra probablement. Cela établit entre vous deux une union subordonnée, qui doit demeurer aussi longtemps que vous marcherez l’un et l’autre fidè­lement dans votre voie. Suivez-le donc, comme votre directeur, aussi longtemps que Dieu le voudra. » — « Je n’ai pas le moindre doute sur la grande vocation du cher frère Théophile [Dutoit], et je trouve quelques rapports entre lui et le père La Combe, quant à la manière dont il est con­duit. Comme lui, La Combe a été transporté tout à coup d’un état de grande lumière, où il avait été très utile à beaucoup d’âmes, dans la voie obscure. En se laissant détruire jusqu’au fond, en laissant abattre en lui tout ce qui est grand, il sera bien plus utile aux autres et à ses enfants de grâce par ses souffrances. Eux et lui forment une famille spirituelle, dont il est le capitaine. Il doit les précéder en tout, et se plonger le premier dans l’a­bîme de l’humiliation, et il leur sera utile dans la me­sure où il le fera. Son esprit éclairé par l’abaissement et les souffrances deviendra toujours plus capable d’être en communion avec les autres et de leur donner de bons conseils. […] Il éprouvera qui ni lui, ni ses enfants de grâce ne doivent attendre des choses éclatantes, grandes, extraordinaires, mais qu’ils doivent se laisser conduire dans les voies toutes ordinaires. Rappelez-vous ces paroles de l’aveugle-né, si souvent cité par madame Guyon : comment as-tu recouvré la vue ? – Il a mis de la boue sur mes yeux. »  (15 mai 1764).[818].


 

Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793)

Le pasteur Dutoit-Membrini est une figure notable de la littérature suisse naissante à la fin du XVIIIe siècle. Il réédite l’œuvre complète de Madame Guyon à la fin du siècle, lorsque les livres du pasteur Poiret sont devenus introuvables. Nous rencontrons dans ses propos écrits la juxtaposition étrange, caractéristique des doutes et interrogations religieuses de la fin du siècle des Lumières, d’une expérience intérieure authentique et de traits influencés par les sciences naturelles et les théosophies de l’époque. On a perdu la simplicité de la pure mystique qui court de Bernières à Guyon.

Jean-Philippe naquit d’un père vaudois qui renonça à devenir pasteur en jugeant sévèrement l’état du clergé protestant, et d’une mère d’origine italienne ; il fit des études de théologie. À trente et un ans, il traversa une crise intérieure à l’occasion d’une longue et dangereuse maladie, assez isolé et sans direction spirituelle. Cela ne l’empêcha pas d’apprécier Voltaire. L’année suivante il rencontre ainsi madame Guyon :

S’il avait reçu « une clarté » de Voltaire, il devait, l’année suivante, en recevoir une bien plus grande de celle dont il fut le pieux disciple et le fervent éditeur. En feuilletant un jour les étalages des bouquinistes de la foire, avec son ami le régent Ballif, les Discours de Madame Guyon tombèrent entre ses mains et, sinon tout de suite, du moins bien vite, la grande mystique devint sa directrice et son inspiratrice. Quand il parle d’elle, aucun mot n’est assez fort, assez ardent, pour exprimer l’admiration qu’il a pour cette femme, « Chérubin en connaissance, Séraphin en amour ». Jusqu’alors les vérités mystiques ne lui avaient pas été révélées, il n’avait pas encore trouvé « la clé des portes intérieures », son cerveau était « meublé de ces opinions qui amusent les enfants des hommes, de ces doctrines académiques dont les graves Docteurs remplissent leurs nourrissons. » [819]

Il devint un pasteur aimé par un public qui goûtait ses exhortations pleines de flamme, à l’opposé des discours académiques des pasteurs du temps : « Quand il arrivait au temple, les avenues étaient si remplies de monde qu’il disait plaisamment : ‘si je ne trouve pas de place, il faudra que je m’en retourne’, rapporte son disciple Pétillet.

 À trente-neuf ans, des ennuis de santé le firent renoncer à prêcher. Il commença à correspondre avec des frères spirituels, dont le Suédois Klinkowström et l’Allemand Fleischbein.  Ce dernier le dirigeait :

En 1760, Dutoit, voyant que sa santé s’affaiblissait de plus en plus, dut renoncer entièrement à prêcher ; il donna sa démission de sa charge d’impositionnaire et de toutes les fonctions auxquelles elle pourrait l’astreindre. Mais, malgré cette retraite prématurée, il ne demeura pas oisif. C’est de 1760 que date son premier ouvrage, traité de 50 pages, destiné à compléter au point de vue religieux celui du Dr. Tissot, intitulé : Tentamen de Morbis e manustupratione ortis. On voit déjà apparaître, dans cet ouvrage, les traits caractéristiques des publications de Dutoit, le style oratoire, l’ardeur bouillonnante de la pensée débordant la phrase, l’accumulation des périodes, des arguments et des preuves. C’est à cette époque que Dutoit commença à entretenir une vaste correspondance avec beaucoup de frères spirituels[820].

Après deux années passées à Genève il publia en 1767-1768 la Correspondance de Madame Guyon augmentée de celle secrète avec Fénelon, à la demande de madame Grenus[821]. Un certain nombre de nouveaux fidèles s’attachaient à « la doctrine de l’intérieur ». Informées de l’existence à Lausanne d’un groupe suspect de piétisme, les autorités bernoises firent une saisie des livres et écrits de Dutoit (nous la publions intégralement ci-dessous). Cet événement, qui le marqua, se produisit le 6 janvier 1769 : il avait quarante-huit ans. 

Ce n’est pas seulement contre lui-même, contre son tempérament et sa « propriété » qu’il avait à lutter. Comme saint Paul, ce directeur d’âmes sentait résonner douloureusement en lui les luttes, les troubles et les angoisses de ceux qu’il guidait dans les « voies intérieures » et son extrême sensibilité lui rendait ces heurts extrêmement douloureux.

Depuis la mort de Fleischbein (1774), il eut à porter tout seul le fardeau de la direction de toutes les personnes qui recouraient à lui, et certaines d’entre elles lui causèrent beaucoup de difficultés et de souffrances. Malgré l’amitié et l’admiration que lui témoignait Ballif, le « chérissime Timothée » n’était pas toujours très docile et sa femme paraît avoir eu des tendances au fanatisme et à l’exaltation. Aussi Dutoit se plaignait-il parfois amèrement des difficultés de sa tâche : « Je n’ai jamais gagné ni attiré solidement personne à l’intérieur d’une manière fructueuse pour Dieu, disait-il en 1791, qu’à la pointe de l’épée et par des travaux, des souffrances, des peines, des combats et des opprobres sans nombre. Je suis le bouc Hazazel, portant ses péchés et ceux des autres. » Telle était sa sollicitude pour ses « âmes intérieures » qu’il se sentait solidaire de leurs progrès et de leurs reculs[822].

Il habitait dans la maison de son ami Baillif[823]. Sa petite chambre au troisième étage donnait sur la Cité-derrière. Il passa trois années heureuses chez les Grenus, à la Chablière, propriété louée au colonel Constant, puis fut accueilli chez les dames Schlumpf à Céligny dans « une maison située à l’extrémité de la rue du Grand Chêne, du côté de Montbenon, tout près de celle qu’avait possédée Voltaire et dans une position analogue[824] ».

Il demeurait cependant abattu, mais eut la joie de rencontrer à cinquante-six ans son fidèle disciple Pétillet âgé seulement de dix-neuf ans. Sa santé empira et il traversait des périodes d’angoisse. Il publia cependant les quarante volumes de la réédition des œuvres complètes de Madame Guyon entre 1789 et 1791. Après sa mort en 1793, « ce fut Mlle Fabrice de Zelle qui entretint une correspondance entre les mystiques allemands et la petite société « d’intérieurs » de Lausanne. Mais elle mourut la même année… » [825]

Il témoigne d’une communication silencieuse ou…

…théorie de la communication des âmes, au sujet de laquelle M. Dutoit avait pour principe que « plus une âme est en Dieu, plus elle est féconde dans la chaleur de son amour, et qu’il est pour les âmes confirmées en lui, une manière de communiquer et d’agir en repos et en silence à de prodigieuses distances, par les cordes spirituelles et la charité, qui, concentrant tout, rapproche tous les intervalles pour les personnes ajustées. » — « Ce grand Dieu qui se plaît dans le néant et à animer la plus vile boue, écrivait-il à ce sujet, a daigné m’en donner une très sûre expérience. Et je vous assure que je connais un homme dans le Sei­gneur qui a de telles relations jusque dans le royaume de Cachemire.[826].

Il défend la foi obscure des mystiques contre les Illuminés :

Je marquerai, dit-il entre autres, la très grande différence de voir et connaître les mystères, qui est entre les Illuminés et les vrais et saints mystiques. Les pre­miers les voient par intuition et objectivement. Ils se peignent en lumière astrale à leur imagination, c’est pourquoi il y a et il s’y mêle presque toujours des er­reurs, comme dans Swedenborg et autres de son genre ou degré. Ainsi, quelque grand et éclatant que cela pa­raît aux yeux vulgaires, c’est une inférieure manière de voir et même qui peut être dangereuse en injectant des hérésies sous ces apparences brillantes. C’est pré­cisément ce qui a fait les hérésiarques. Ainsi, malgré le brillant et même le bon qu’il peut y avoir, il faut s’en délier. Au contraire, les vrais et saints mystiques ne voient rien, mais ils expérimentent les mystères ; ils ne voient rien, mais ils les connaissent avec la plus divine, intérieure et parfaite certitude. Ils les connaissent en eux dans les très sacrées ténèbres de la foi, et dans la nuit obscure, comme l’appellent ces saints mystiques. Obscure, parce qu’elle est au-dessus de tout opérer astral et de la raison effacée par la lumière plus haute de l’Es­prit de Dieu, qui la surmonte. C’est cette nuit pour la raison, qui montre les saints mystères dans les sacrées ténèbres, dont toute l’Écriture sainte fait mention et surtout David en plus d’un endroit : La nuit même sera une lumière tout autour de moi. La nuit resplendira comme le jour, et les ténèbres comme la lumière. Une nuit montre la science à une autre nuit (Psaume CXXXIX,11, 12 ; XIX, 2). Mais outre ces sacrées ténèbres très claires par elles-mêmes, les vrais intérieurs connaissent les divins mystères par expérience, ai-je dit, attendu qu’il se fait en eux et dans leur plus profond centre, le commerce ineffable de la très sainte Trinité, de même que l’incarnation et la naissance de Jésus-Christ s’y est exécutée. » [827].

Il s’oppose à toute forme de propriété, peut-être d’une façon trop volontaire :

Pour arriver à Dieu, il faut détruire en soi […] « la propriété » […] ennemis irréductibles et « qui se fourrent partout » de la communion de l’homme avec Dieu 1. La « propriété » c’est un poison subtil qui s’insinue dans la vie intérieure pour la corrompre, qui fait de la prière un « outil de perdition et non de salut ». Tant que la propriété conserve dans un être « le plus petit gîte », Dieu ne peut établir en lui son royaume. [n. 1 : Dutoit distingue deux espèces de propriétés : 1° la propriété naturelle, « qui est une certaine répugnance naturelle à la destruction de « tout ce qu’il y a de propre en nous, et par conséquent d’opposé à Dieu. C’est comme une qualité opaque, dure, arrêtée, rétrécie, fixe et tenace en soy-même, qui, retenant l’âme en elle-même, l’empêche de s’unir avec Dieu, puis de s’écouler en lui et de s’y perdre, ce qui est nécessaire et indispensable. Il faut de terribles flux et purgations pour détruire cette propriété naturelle. Il y a 2° la propriété spirituelle, qui a lieu dans les âmes qui ont bien reçu quelques touches passagères de grâce, mais n’ont pas perdu le propre de la volonté. On peut être spirituellement propriétaire des exercices pieux ou des pratiques pieuses et actives, qui ne sont bonnes que pour un temps, et n’en vouloir pas démordre lorsque le temps est venu de les cesser pour laisser en soi lieu à l’opérer de Dieu. On peut être spirituellement propriétaire de son âme lorsqu’on n’est dans la piété que comme des mercenaires et qu’on y cherche son intérêt propre, lorsqu’on est encore lié par l’amour-propre, lorsqu’on ne s’est pas quitté totalement pour Jésus-Christ. » Fragments d’un dictionnaire mystique, article : « Âmes propriétaires. »[828].

Son tempérament de feu conduit à un exercice de la volonté qui provoqua probablement chez lui des angoisses :

Un autre moyen[829] efficace de progresser sur cette voie de démission, c’est la pratique de l’humilité et Dutoit y recourt constamment, comme à la plus subtile et la plus pénétrante des mortifications intérieures. Le plus léger mouvement d’orgueil qu’il surprenait en lui était durement châtié, car l’orgueil est la forme la plus odieuse de la propriété. Son biographe raconte à ce sujet bien des traits significatifs. C’est par humilité que Dutoit ne voulut jamais consentir à écrire un journal intime et qu’il désapprouvait cette pratique, « propre, disait-il à nourrir l’homme de la contemplation de son moi ». Mais un ascétisme du corps et de l’esprit aussi rude, une aussi ardente poursuite de l’annihilation personnelle, ne pouvaient pas ne pas causer à Dutoit de rudes luttes et d’épouvantables souffrances intérieures. C’est à travers mille combats qu’il s’avançait vers l’idéal, la mort spirituelle, qu’il voyait toujours s’éloigner devant lui. Rien n’est plus douloureux que le spectacle de cette vie, faite d’épreuves constantes, d’agonies quotidiennes, de crucifixions sans cesse raffinées et toujours à refaire. […]

D’une prodigieuse vivacité, il avait de la peine à rester maître de lui-même, en présence de l’erreur volontaire et du mal. Alors, il ne se possède pas, son sang italien bouillonne et « ses procédés en certains cas sont torrentiques », comme il l’écrit à son ami Klinkowström, dont il trouvait la nature suédoise trop calme. […] « Oh ! s’écriait-il, que la plus petite attache propriétaire à quoi que ce soit, les choses les plus saintes mêmes, nous fait éprouver de tourments inexprimables quand Dieu vient éplucher et ôter toutes les peaux et couches de notre intérieur, par où tout est mis dans une évidence qui foudroie l’âme dans un abîme de confusion dont la profondeur ne peut s’exprimer. […]

Deux jours avant sa mort, il s’écriait : « O, quel pénible apprentissage de péché et de salut, de perte et de divinisation ne m’a-t-il pas fallu faire pendant ma vie », et, le jour même de sa mort, il traversa de terribles angoisses. […]

Qu’est-ce qui causait à Dutoit ces périodes d’angoisses et de dépressions, ces « détroits » et ces « croix » ? Ce n’est pas, comme pour Luther dans son couvent, le sentiment de son péché qui l’oppresse et l’angoisse, il éprouve plutôt, comme le grand réformateur allemand à la Wartbourg, un sentiment amer d’éloignement de Dieu, d’échec, de banqueroute spirituelle. Nous avons malheureusement trop peu de documents de Dutoit sur lui-même 1 pour nous prononcer avec certitude sur la cause et la nature de ces crises intérieures, qui couvrent d’un voile de plus en plus sombre les dernières années de son existence. [n. 1 : Il désapprouvait, comme entaché de « propriété », l’analyse trop raffinée des états spirituels. « Je crois, écrivait-il à Klinkowström, qu’il ne faut pas non plus pousser si loin l’analyse de son intérieur, mais se mettre un peu le cœur au large ; j’y ai assez souvent été dupe. Il ne faut pas se chicaner soi-même perpétuellement... cela étrécit le cœur et l’apetisse. » — « Je trouve, écrivait-il une autre fois, que Monsieur N. se tâte un peu trop le pouls et examine trop ses états. — En 1774, il écrivait de même à M. Calame : « N’allez point farfouiller ni tâtonner en dedans pour savoir quel est votre état. » — Il disait enfin à Pétillet : « Ne tortille pas éternellement autour de toi-même.] […]

Que celui[830] qui s’avance dans la « foi nue » se garde de regretter le temps où il marchait dans la lumière […] C’est quand il sent son esprit dépouillé de ses lumières propres, « sans image, sans pensée, sans action », qu’il entre en communion avec Dieu. Pour confirmer sa théorie, Dutoit recourt à l’exemple d’Abraham. Le père des croyants a traversé la plus terrible des épreuves réservées à sa foi, quand il reçut l’ordre de sacrifier son fils unique. Pour l’exécuter, il fallait d’abord qu’il imposât silence à sa raison, prête à lui suggérer mille motifs excellents d’en­freindre l’ordre divin ; il fallait que « même la foi aux promesses à lui faites perdît l’appui de la vue des moyens de leur « exécution ». Ces moyens avaient jusqu’alors servi à soutenir sa foi : c’est pourquoi c’était une « foi savoureuse », une « foi aux moyens ». Au moment où il décida d’obéir, il s’engagea dans la « foi obscure ». « Voilà la foi ennoblie par l’épreuve, voilà la foi qui perd tout autre appui, excepté Dieu seul, sans vue et sans distinction... Voilà enfin la foi qui seule glorifie volontairement Dieu et qui fait disparaître et anéantit tous les intermédiaires entre Dieu et elle 1. » Que l’homme laisse Dieu le guider et qu’il ne prétende pas s’ingérer en ses décisions, car Dieu conduit souvent l’âme au but qu’il se propose sur elle, par des routes qui semblent d’abord s’éloigner de ce but, afin qu’elle devienne souple et docile sous sa Providence et qu’elle s’abandonne et se confie à l’aveugle 2 ». [note 1 Philosophie divine, II, p. 152, 153. – note 2 Philosophie divine, II, p. 176].

Lettres spirituelles

TP 1136. B2 Lettres spirituelles du deuxième cahier,

L.18. Je vous conjure de suspendre encore un peu le voyage que j’avais eu l’honneur de vous proposer. Je suis mis dans la foi nue et dans la division la plus pénétrante, et je crains que tout ce que je vous ai écrit dimanche ne sois précisément les miracles de Mathieu 24 verset 24. […] (49) Il m’est venu ce matin une vue assez claire que cette demeure ensemble n’était que la demeure mystique et la communication très réelle en silence, quoiqu’éloigné de corps, dont j’ai déjà assurément l’expérience. Malgré tout l’accord de l’extérieur et de l’intérieur que j’ai éprouvé dimanche, je tremble de vous dévoyer ou de me dévoyer. Tout cela reçoit aujourd’hui d’autres interprétations ; et ce qui fait surtout craindre, c’est qu’il m’a fallu forcer mon attrait pour communiquer avec vous depuis la lettre où je disais que je ne pouvais pas vous diriger ; ce qui me jette dans le plus grand soupçon que je n’ai pas la grâce de votre direction et que nous devons communiquer qu’en silence malgré les apparences les plus séduisantes du contraire. Il faut donc suspendre ; je vous en conjure ; j’éclaircirai, s’il plaît au Seigneur ce qui me regarde en m’humiliant. Ha, Monsieur, à quelles anxiétés et incertitudes on est réduit dans la route de la foi nue ! Je suis dans la plus grande angoisse et perplexité. Le Seigneur m’en tirera. Je crains d’avoir fait avec vous plus que (50) ne le comportait ma vocation par toutes ces lettres et que ceci ne soit la punition. J’éclaircirai avec le temps. Je ne me suis guère jamais trouvé bien d’obéir aux demandes des autres contre mon attrait et ça été mon cas avec vous, si comme je le soupçonne de nouveau ce n’est pas à moi à vous diriger, nous ferions tous deux une perte affreuse et sortirions de la route du Seigneur ; à Dieu ne plaise. Suspendez donc je vous en conjure Monsieur, et me croyez uni à vous en la manière et forme que notre Seigneur le veut. […] (69) … Vous deviendrez si sec, si inutile, si rien par intervalles et si passif, que vous ne pourrez pas seulement offrir ces états à Dieu par un acte aperçu et distinct […] Car il faudra que tout le moi spirituel périsse en vous […]

(76) […] Les personnes qui portent le fardeau des autres leur font ensuite porter leur propre fardeau, c’est-à-dire pour lever l’équivoque, qu’elles méritent simplement à celles pour qui elles ont porté, la grâce d’être appliquées à la croix et de subir en élus et non en damnés la peine purgative. […] (77) Ainsi il y a expiation de la part du Père spirituel et purgation dans l’enfant.

Il y a outre cela beaucoup d’autres choses et il y aurait beaucoup à dire ; quelquefois deux âmes sont réunies pour ne faire qu’une, (par les métempsycoses) et alors comme elles ont chacune leur mérite et démérite réciproque (ce qui ne peut manquer avant d’être consommées) qu’elles apportent pêle-mêle à la masse de l’Etre, il y a alors attribution réciproque et expiation réciproque par le bon qui y est, et outre cela elles font ensemble et en unité leur purification, et une purification qui leur est commune. Je vois cela plus clair que le jour ; mais Monsieur de Marcey [Marsay] n’a dit que la moitié de la vérité et j’imagine que son but était de confondre cette idée vulgaire de l’imputation de la croix du Christ, dont les hommes irrégénérés font trophée ; mais s’il avait prétendu qu’il n’y eut pas des expiations spirituelles telles que je viens de les décrire et avec les restrictions que j’y mets, j’oserais dire hardiment (78) avec le respect que je lui dois, que je sais dans le Seigneur tout le contraire et par une expérience très certaine. Il y aurait là-dessus à dire à l’infini, car beaucoup d’âmes sont venues se purifier vers moi, et je suis expérimentalement instruit de beaucoup, sinon de tous ces états. […]  (79) Monsieur je vous prie de ne pas vous mortifier le corps. C’est un principe qu’il faut absolument conserver la santé […] Car un vrai mouvement de raison vaut mieux que toutes les mortifications, qui ne sont que des moyens pour arriver à l’oraison, ainsi dès qu’ils empêcheraient le recueillement, ils sont à rejeter ; ne vous gêner. […]

De l’origine, des usages, des abus, des quantités et des mélanges de la raison et de la foi. (Extraits).

Tome I.

À Paris chez les libraires associés et se trouve à Lausanne chez Henri Vincent, 1790.

(94) note. Aimer Dieu n’est pas proprement aimer un objet, mais c’est aimer sa volonté, mais c’est être capable de l’aimer telle qu’elle soit ; c’est même avoir en quelque sorte perdu notre volonté dans la sienne. […] L’aimer de toute notre âme, c’est lui avoir donné toute notre vie et demeurer simplement dans cette remise ou donation.

(206) comme il voulait créer l’univers, il s’est engagé et a contracté de racheter ce qui en dégénérerait, par et à cause de la liberté des agents moraux qui entraient dans son plan, pour une plus grande gloire externe ; il a contracté, dis-je, avec toute la Trinité, de racheter sa création, prévue, dégradée, et de prendre en abaissement le morphisme des êtres créés, pour leur injecter sa valeur, et par le contraste de son obéissance avec leurs révoltes, leur valoir de remonter jusqu’à lui, en y retraçant son image. C’est pourquoi, en même temps qu’il est le Dieu infini, il est l’agneau immolé dès la fondation du monde, et le sacrificateur éternel à la façon de Melchisédeck.

(276) je joins ici en pièces justificatives, parmi le nombre infini qu’on pourrait tirer des païens et des mahométans, ces sentences persanes. […] (281) Citation de quelques philosophes arabes. Celui qui s’embarque dans la contemplation de l’unité de Dieu, après avoir vogué longtemps sur l’océan de la multiplicité des êtres, arrive au port de cette union, qui rassemblant tous les objets différents, en fait plus qu’un.

(308) note. C’est comme si Dieu disait : « Je ne suis pas seulement un Dieu de près, mais aussi un Dieu de loin ». Je suis tous les deux, toujours infiniment loin de vos esprits, à qui j’échappe toujours, et toujours infiniment près de vos cœurs, du moment qu’ils veulent s’ouvrir à mon union. Tous les efforts de l’esprit sont à jamais incapables de vous faire connaître Dieu, et tout vrai et pur mouvement de son amour, nous en approchent et nous y unissent […] L’amour est la force attractive qui unit les intelligences avec Dieu, et cette force, pour qui sait mourir à soi-même, est sans bornes. Elle peut aller jusqu’à l’unité avec Dieu.

Tome II.

(57) note. Ce secret de l’amour de Dieu en oubli de soi est infiniment heureux, et il n’appartient qu’aux vrais intérieurs d’en goûter et connaître expérimentalement la simple douceur ; sans cette règle de préférence gravée en moi, et exercée dans tous les cas donnés, mon amour-propre est exactement un crime incalculable, parce qu’il est constamment opposé à Dieu.

(166) note. Les inspirés voient leur route, ils vont par ce qu’ils croient les certitudes ; ils ont aussi une vue ou incertaine, ou dangereuse du moins, de la perfection de leurs actes ; et par conséquent leur route est, sinon toujours opposée, du moins différente de celle de la foi obscure et dont j’ai traité plus haut. Et on peut comprendre par là, combien ces sortes d’inspirations que ces personnes croient sûres, peuvent donner et d’appui en leurs œuvres et d’orgueil spirituel.

(226) C’est ainsi que le ressuscité, et croyant par Jésus-Christ, ne voit pas Dieu, mais il le possède ; il ne le voit pas, mais il en jouit ; il n’a pas encore la vaste et immense vue de ces cieux d’immortelle structure…

Inventaire et verbal de la saisie des livres et écrits de monsieur Dutoit.

Nous reproduisons ce témoignage du contrôle exact exercé par les calvinistes de Berne par l’intermédiaire de leur représentant à Lausanne[831], car la liste des rares livres en la possession de l’humble occupant d’une petite chambre prouve la conscience de l’héritier dans la filiation reliant Bernières à Bertot puis à Guyon. La liste des correspondants habituels confirme l’importance de Fleichbein. Enfin l’enquête porte sur l’argent détenu par l’inspirateur de La Chambre des pauvres habitants de Lausanne « institution qui depuis près d’un siècle (1766) a soulagé bien des misères[832] ». Dutoit avait ainsi pris une part active à l’administration d’une œuvre de charité à l’exemple d’un Bernières.Elle lui survécut largement.

6e Janvier 1769.

Nous David Jenner, ci-devant colonel en Hollande, actuellement baillif de Lausanne, au nom et de la part de Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs de la ville et république de Berne, savoir faisons qu’en conséquence des ordres que nous aurions reçus de L.L. E.E[xcellenc]es du Sénat, en date du 5e du courant, pour enlever à Monsieur le Ministre Dutoit de Moudon, tous ses papiers, écrits et livres, faire inventaire des dits et en procurer ensuite l’expédition, nous aurions à cet effet mandé tout de suite Monsieur notre Lieutenant Baillival, lequel accompagné de notre secrétaire B[ailli]val, suivis de l’huissier Cassat, s’est transporté auprès du dit Mr Dutoit, domicilié à la Cité, chez Mr le Régent Ballif, où l’opération a été aussitôt exécutée.  De laquelle le dit Monsieur le Lieutenant Baillival nous fait rapport ce jourd'hui sixième du courant mois de Janvier, à cinq heures du soir, qu’il aurait rencontré le dit Mr Dutoit, actuellement dans un état de maladie, au dit domicile, logé à un 3me étage, dans un petit cabinet dont le lit et une malle occupent presque tout l’espace.

Lequel Mr Dutoit ayant ouï la notification des ordres reçus, aurait d’abord manifesté qu’il est bien dans l’intention de s’y conformer en toute soumission et sincérité, ainsi que le porte l’inventaire suivant :

La Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, mais non pas tous.

Monsieur de Bernières soit le Chrétien intérieur.

La Théologie du Cœur [de Poiret].

Le Directeur mystique de Monsieur Bertot.

Œuvres de Ste Thérèse (N. B. Appartient à Mr Grenus.)

La Bible de Martin [Luther].

L’Imitation d’A Kempis.

Déclarant de bonne foi qu’il ne se sait ici aucun autre livre mystique ou ascétique.

Tous lesquels livres il a promis garder en ses mains et ne point s’en dessaisir sans permission et de plus offert de les remettre au premier ordre.

Neuf cahiers de sermons de sa composition, par ordre de numéros qui feront partie d’un ouvrage actuellement sous presse, à Lyon, en cinq volumes, non compris ces neuf cahiers qui, lorsqu’ils seront finis, feront encore deux volumes suivants. Remis lesdits neuf cahiers, assurant que dans la partie de l’ou­vrage qui est à Lyon, il y a un éloge complet du gouvernement de cet État.

Ledit Mr Dutoit ayant manifesté qu’il regretterait beaucoup ces cahiers, n’en ayant point de copie, on lui a fait entendre qu’il pourrait les recouvrer s’il n’y avait rien de contraire à la saine doctrine.

Plus dix-huit cahiers de diverses compositions, scholies, ser­mons, écrits, etc. Remis.

Il a ensuite été demandé au dit Mr Dutoit, s’il n’a point quelques autres compositions récentes, de lui. À quoi il a répondu en parole de vérité que les 160 premières pages, anecdotes et réflexions du 5e volume des Lettres de Madame Guyon étaient de lui, mais qu’il n’en a pas d’autres. Il a remis en même temps un exemplaire du dit volume, imprimé en 1768, à Lyon sous le nom de Londres.

Il lui a de plus été demandé exhibition de ses minutes de lettres de correspondances.

Sur quoi répond en parole de vérité, qu’il n’en a aucune. Que sa santé souvent ne lui permet pas même d’écrire ses lettres, qu’il dicte.

Il lui est encore demandé avec quelles personnes il a des cor­respondances suivies.

Répond qu’il en a avec Monsieur Jean-Frédéric de Fleischbein, comte, présentement à Pyrmont.

Monsieur le Baron de Klinconström [sic], établi dans ses terres aux environs de Brême.

Monsieur Grenus, de Céligny, gentilhomme genevois, mem­bre des CC de ladite ville et Madame son épouse.

Madame Schlomph [sic], de St-Gall demeurant tantôt à Céli­gny tantôt à Genève.

Outre quelques autres moins suivies.

Demandé, en particulier, un éclaircissement au sujet d’un écrit qui a paru, par lequel les âmes intérieures sont invitées à remettre leurs charités à Théophile.

Ledit Mr Dutoit pour réponse a présenté un exemplaire de la pièce même imprimée, signée J. F. de Fleischbein de Pyr­mont le 12e novembre 1765. Assurant devant Dieu :

I° Que par là il est entré beaucoup de charités de l’étranger dans le pays; que les contributions du pays ne sont pas allées au-delà, plus ou moins, de 4 louis.

2° Que l’idée de ce projet n’a pas été exécutée puisqu’on en a généralisé le but, en donnant indistinctement à tous les pauvres ; ce dont il a dit qu’il pouvait administrer des preuves, par le témoignage de divers pasteurs.

Ce que relu au dit Mr Dutoit, il l’a ratifié en priant très humblement sa très noble et magnifique seigneurie baillivale, de vouloir bien,  vu le dérangement de sa santé, lui accorder un terme, pour avoir l’honneur de lui présenter un mémoire de  -118- justification […]

Donné sous notre sceau, et signature de notre secrétaire B[ailli]val le dit jour 6e janvier 1769. Gaulis.

Daniel Pétillet (1758-1841).

Nous avons rencontré le jeune disciple Daniel Pétillet éclairant les dernières années de Dutoit dont il devint le secrétaire. Entretenant un culte de ce dernier, ce libraire-éditeur actif publia dans les années 1800 à 1819 ses abondants sermons[833].

Il était en relation avec de nombreux théosophes qui lui commandaient des ouvrages, tel Franz von Baader. Ses relations furent particulièrement suivies avec madame de Krüdener (1764-1824)[834].

Il fit une traduction française de nombreuses lettres de Gichtel, l’éditeur de Jacob Boehme[835], ce qui souligne une convergence entre courants théosophiques et tradition mystique guyonienne[836].

De nombreuses archives concernant le groupe qui entoura Pétillet puis Langalerie restent à explorer[837]. Lavater (1741-1801), pasteur à Zurich, fut en relation avec Pétillet et Langalerie[838].

Charles de Langalerie (1751-1835) et la fin d’une lignée.

Le 20 décembre 1809, Auguste-Guillaume Schlegel (1767-1845) remercie Franz von Baader de l’envoi d’un ouvrage et poursuit ainsi[839] :

Il y a, à Lausanne, un petit cercle d’adeptes de madame Guyon que dirige un chevalier de Langallerie un homme à l’esprit élevé qui dispose d’une connaissance étonnante de l’homme intérieur. J’ai encore récemment passé quelques jours chez lui. Cette manière de considérer la religion est plus orientée vers la satisfaction interne du cœur et vers l’expérience de révélations particulières immédiates que vers la considération des vérités générales. Pourtant elle ne manque pas de points de contact avec ces dernières. M. de Langallerie et l’un de ses amis m’ont dit, entre autres, beaucoup de choses curieuses sur le magnétisme, sur les voyants et sur la communication avec ceux qui sont absents. Un libraire d’ici, Daniel Pétillet dispose de ce que l’on appelle les écrits mystiques, ou se donne, par pur zèle pour la cause, toute sorte de peine pour vous les procurer.

Charles de Langalerie, dont le père hébergea Voltaire, était cousin de Benjamin Constant. Il avait un véritable culte pour « sainte Jeanne-Marie » Guyon « Mère du peuple intérieur »[840].

Nous terminons sur l’évocation paisible de la fin dévote d’une lignée mystique :

 …un certain nombre de personnes pieuses, admiratrices de madame Guyon et de son éditeur réunirent, dans la chambre que Dutoit avait occupée à la Cité [à la fin de sa vie], des souvenirs, des reliques, des gravures et des papiers se rapportant à lui. Les adhérents de ce pieux mouvement se réunissaient, paraît-il, dans cette toute petite chambre pour s’édifier mutuellement et pour prendre la Cène.

Au centre de ce groupe était le chevalier de Langalerie, converti par Dutoit et qui avait épousé la fille de Ballif. C’est par lui que Lisette de Constant, sa cousine, fut attirée à la piété […] se retira du monde et s’établit dans la petite maison du Coteau, enclose dans le Jardin, propriété des Langalerie, où elle vécut dans la retraite et l’isolement. Sa famille ne la comprit pas … Mais sa paix et sa constante joie faisaient envie à Rosalie [sa sœur]. « Malgré les souffrances qu’elle endurait, elle ne laissait échapper que des paroles d’amour et de reconnaissance[841] ». Elle mourut en 1837.

Il se produisit à un certain moment une scission entre la congrégation du Jardin groupée autour des Langalerie et celle restée plus strictement fidèle à Dutoit [dont il faudrait retrouver des traces]. […]

Ces groupements mystiques jouèrent un rôle très effacé dans la vie religieuse du pays. Sans nulle ardeur de prosélytisme, ils s’enveloppaient de mystères. Âmes aristocratiques, ils se complaisaient dans leur dévotion raffinée et évitaient le contact avec un monde qu’ils comprenaient peu et qui les comprenait encore moins[842]. Ainsi :

…les uns se laissant dériver vers le catholicisme, d’autres se ralliant aux petits groupes moraves … d’autres embrassant purement les doctrines du Réveil, un fort petit nombre persévérant dans la voie mystique, voilà tout ce qu’on trouve après M. Dutoit, mais point d’école…[843]

Passons le relais à Sainte-Beuve qui va entreprendre son grand œuvre sur Port-Royal, dans la même année qui voit la disparition de Lisette de Constant, grâce à l’accueil que lui réserve Vinet à Lausanne. Il ouvrira ainsi en 1840 son ouvrage :

Voyageant en Suisse durant l’été de 1837, au milieu des émotions poétiques et de ce bonheur de chaque moment que suscite à l’âme la nature du grand pays dans sa magnificence, j’ y rêvais aussi de plus longs loisirs pour achever une histoire depuis longtemps méditée et déjà ébauchée. […] J’y viens avec mes ruines aussi : pauvres ruines de Port-Royal, combien modestes et imperceptibles auprès de celles de l’antique Rome ! Mais c’est le cas de se répéter avec Pascal que la vraie mesure des choses est dans la pensée. Ici, à Lausanne encore, me disais-je, le mysticisme de Madame Guyon, repoussé d’autre part, s’ est réfugié, s’est ramifié non sans fruit, et n’a pas tout à fait cessé de vivre ; le jansénisme, son vieil ennemi, trouvera-t-il asile à côté ? Dans cette patrie de Viret, dans ce voisinage de Calvin, il me semblait que c’était le lieu de tenter, s’il se pouvait, l’alliance autrefois tant imputée à Port-Royal et tant calomniée, mais de la tenter surtout à l’endroit de la fraternité chrétienne et de la charité intelligente. Ainsi allaient mes pensées…[844].

Le témoignage de Benjamin Constant (1767-1830).

Benjamin Constant, influencé un temps par son cousin Chevalier de Langalerie, nous apporte dans son roman semi-autobiographique Cécile son témoignage sur les derniers jours du groupe de Morges. Il vaut d’être entièrement cité compte tenu de la valeur de cet écrivain touché un moment par la grâce :

Il y a à Lausanne une secte religieuse, composée d’un assez grand nombre de personnes de conditions différentes et qui, connues sous le nom de Piétistes et fort calomniées, professent les opinions de Fénelon et de madame Guyon. Plusieurs de mes parents appartenant à cette secte avaient, à diverses époques, esssayé de m’y faire entrer. J’avais été très irreligieux dans ma jeunesse […]

Durant un voyage précédent à Lausanne, j’avais en conséquence plutôt accueilli que repoussé les avances de cette secte. J’avais eu plusieurs conversations avec l’un de ses membres les plus marquants. […]

Cet homme, de l’esprit duquel je ne puis douter et dont la bonne foi, encore aujourd’hui, ne m’est point suspecte […] avait écarté de ses discours tout ce qui n’aurait eu rapport qu’à des dogmes qui eussent appelé un examen dangereux. Le mot même de Dieu n’avait pas été prononcé.

« Vous ne pouvez nier, m’avait-il dit, qu’il n’y ait hors de vous une puissance plus forte que vous-même. Eh bien ! Je vous dis que le seul moyen de bonheur sur cette terre est de se mettre en harmonie avec cette puissance, quelle qu’elle soit, et que pour se mettre en harmonie avec cette puissance, il ne faut que deux choses : prier et renoncer à sa propre volonté. Comment prier, m’objecterez-vous, quand on ne croit pas ? Je ne puis vous faire qu’une réponse : essayez et vous verrez, deman­dez et vous obtiendrez. Mais ce n’est pas en demandant des choses déterminées que vous serez exaucé ; c’est en demandant de vouloir ce qui est. Le changement ne se fera pas sur les circonstances extérieures, mais sur la dis­position de votre âme. Et que vous importe ? N’est-il pas égal qu’il arrive ce que vous voulez, ou que vous vouliez ce qui arrive. Ce qu’il vous faut, c’est que votre volonté et les événements soient d’accord.

Ces réflexions me frappèrent. La lecture de plusieurs ouvrages de madame Guyon produisit en moi une sorte de calme inusité qui me fit du bien. J’essayai la prière, autant que cela se peut sans conviction préalable. J’écar­tai toute recherche sur la nature de la puissance inconnue que je sentais au-dessus de moi. Je ne m’adressai qu’à sa bonté. Je ne lui demandai que de me donner la force de me résigner à ses décrets. J’éprouvai un soulagement manifeste. Ce qui m’avait paru dur à supporter tant que je m’étais arrogé le droit de la résistance et de la plainte perdit la plus grande partie de son amertume dès que je me fis un devoir de m’y soumettre. Ce premier adoucis­sement de mes longues souffrances m’encouragea. J’allai toujours plus loin dans le même sens. Je me dis que, puisque j’étais déjà récompensé de l’abnégation à ma propre volonté, cette abnégation était le meilleur moyen de plaire à la puissance qui présidait à nos destinées ; et je g m’efforçai de pousser cette abnégation au plus haut degré.

J’arrivai bientôt à ne plus former de projets, à considérer l’avenir comme hors du domaine de la prudence, et la prudence elle-même comme un empiétement sur les voies de Dieu ; et j’adoptai pour règle de vivre au jour le jour, sans m’occuper ni [de] ce qui était arrivé, comme étant sans remède, ni de ce qui allait arriver, comme devant être laissé sans réserve à la disposition de celui qui dispose de tout.

Ce fut alors que pour la première fois je respirai sans douleur. Je me sentis comme débarrassé du poids de la vie. Ce qui avait fait mon tourment depuis maintes années, c’était l’effort continuel que j’avais fait pour me diriger moi-même. Que d’heures j’avais passées me répé­tant que sur telle ou telle circonstance il fallait prendre un parti, me détaillant tous ceux entre lesquels je devais choisir, m’agitant entre les incertitudes, tantôt craignant que ma raison ne fût pas assez éclairée pour apprécier les divers inconvénients, tantôt ayant la triste prescience que ma force ne serait pas suffisante pour suivre les conseils de ma raison ! Je me trouvai délivré de toutes ces peines et de cette fièvre qui m’avait dévoré, je me regardai comme un enfant conduit par un guide invisible. J’isolai chaque événement, chaque heure, chaque minute, convaincu qu’une volonté supérieure et inscrutable, que nous ne pouvions ni combattre ni deviner, arrangeait tout pour le mieux. Mes prières finissaient toutes par ces mots : « Je fais abnégation complète de toute faculté, de toute connaissance, de toute raison, de tout jugement. » Et quelquefois, au milieu de ces prières, un sentiment profond de confiance, une conviction intime que j’étais protégé et que je n’avais aucun besoin de me mêler de mon sort, s’emparait de moi, et je restais insouciant de tous les embarras qui m’environnaient, comptant sur un miracle pour m’en tirer et perdu dans une méditation pleine de douceur.

Cette révolution s’étendit bientôt, comme cela était naturel, de mon âme jusqu’à mon esprit. La plupart des dogmes que j’avais rejetés, l’existence de Dieu, l’immorta­lité de l’âme, me parurent non pas démontrés par la logique, mais prouvés par une sorte d’expérience inté­rieure. Je n’appliquais point à ces dogmes l’instrument toujours inexact du raisonnement, mais je les éprouvais vrais et incontestables. Je n’examinais point s’ils impo­saient des devoirs de culte, je n’en remplissais aucun. « Si Dieu veut, me disais-je, des adorations pareilles, il me le fera connaître, car je ne veux que ce qu’il veut, et ce qu’il ne me fait pas vouloir, c’est qu’il ne le veut pas. » Je dormais ainsi d’une espèce de sommeil moral, sous l’aile d’un être infini qui veillait sur moi. L’effort que je fis pour m’affranchir tout à coup du joug de madame de Malbée fut la dernière de mes actions qui ne fut pas d’accord avec ce système ; et son résultat ayant été le contraire de ce que j’avais voulu, je renonçai, de fait aussi bien que d’intention, à toute espèce de direction de ma destinée[845].


 

 

 

IV

INFLUENCES

 


 


 

Le « second cercle » des influences comprend les figures de tous ceux qui se sont référés à madame Guyon sans la connaître directement ni appartenir à un cercle de disciples. Les relais londoniens entre l’éditeur Poiret et les cercles anglais et écossais ont bénéficié des études très précises de G.D. Henderson et J. Orcibal. Ce dernier relève des liens avec des quakers ou par l’intermédiaire de Wesley. Nous ne reprendrons pas l’influence en milieux maçonniques suggérée à la fin du chapitre précédent[846].

Nous n’avons pas tracé en aval le devenir de ces courants après le début du XIXe siècle. On sait que le cercle de Morges se sclérose après 1837, mais qu’en est-il en Écosse, Norvège et Suède[847] (les grandes familles écossaises ayant pied des deux côtés de la mer du nord), voire en Russie[848] où un pope aurait traduit partiellement madame Guyon ?

Le cadre catholique incitant à la prudence, les jésuites Claude-François Milley et Jean-Pierre de Caussade se référèrent à Bernières et à Fénelon sans les citer (quitte à se mettre sous l’autorité de Bossuet !). Un siècle réputé irreligieux voit un « étoilement mystique » qui souligne sa permanence vécue sous des formes diverses et souvent en dehors des religions.


 

INFLUENCES EN TERRES CATHOLIQUES

L’ordre fondé par Mectilde-Catherine de Bar devenue la Mère du Saint-Sacrement continue à vivre jusqu’à notre époque, en France, Allemagne, Italie, Pologne, ce dont témoignent les nombreuses études entreprises par ou sur ses membres[849].

Le Canada catholique s’endort dans un retard culturel après une première phase de vive activité vécue par les premiers arrivants sous l’impulsion de Marie de l’Incarnation et de François de Laval. C’est un phénomène parallèle à celui de l’involution génératrice d’intolérance qui prend place dans les colonies protestantes de la côte américaine. Les uns et les autres sont trop peu nombreux pour faire face sans sacrifices culturels aux dures contraintes de la survie en terres hostiles.

Les influences mystiques furent souterraines dans le monde catholique européen où toute dérive quiétiste était surveillée. On y trouve des figures défendant la voie d’abandon. Elles s’abritent sous l’autorité de Fénelon sanitairement isolé de son inspiratrice, voire d’un Bossuet auquel on prête un tout nouveau visage[850].


 

François-Claude Milley (1668-1720), messager de la voie d’abandon.

François-Claude Milley (1668-1720) est en rapport avec Jean-Pierre de Caussade (1675-1751), par l’intermédiaire de la Mère de Siry : tous deux jésuites, ce sont « deux maîtres de l’abandon qui ont puisé à la même source[851]. » Ce jésuite vécut en Provence, assurant les emplois ordinaires de l’enseignant, du prêcheur et du confesseur successivement à Apt, Embrun, Aix, Nîmes. Il rencontra à Apt la mère de Siry, visitandine, qui l’orienta mystiquement. Il devint le « messager de la voie d’abandon », en cela très proche de l’esprit qui animera J.-P. de Caussade.

Résidant à Marseille à partir de 1710, il se dévouera lors de la grande épidémie de 1720, y laissant sa vie, seul religieux cité nommément dans le mémorial de la République qui rappelle l’héroïsme de quelques-uns : « Milley, jésuite, commissaire pour la rue de l’Escale, principal foyer de la contagion ». Ce quartier populaire fut interdit et barricadé pendant cette peste. Le frère de l’historien Bremond lui a consacré une biographie attachante, éditant une moitié de ses lettres dont se détache l’échange avec la mère de Siry (-1735)[852]. Celle-ci fut supérieure de la Visitation de Caen, la ville de Bernières, et reste à étudier[853].

Milley écrit à la Mère de Siry :

J’ai vu les lettres spirituelles de M. de Bernières ; cet ouvrage surpasse tous les autres … j’y ai trouvé mes sentiments pour la conduite de l’abandon si bien marqués, et exprimés en termes si ressemblants, que je croyais presque l’avoir copié avant que de le connaître. Les personnes …disent que c’était moi qui avait fait ces lettres [854].

Soyez d’une indifférence qui aille jusqu’à vous oublier et à ne pas jeter un regard sur vous, si ce n’est pour y voir Dieu que vous portez en vous. 104 

Je le demande ce rien … de me jeter à corps perdu dans cet abîme sans fond de la divinité. 179

L’amour divin … ne peut se sentir, quand il est bien pur. 183

Résolu de me laisser aller à l’aventure … Je me suis jeté à corps perdu je ne sais où, je demeurerai là…195

Ce je ne sais quoi … c’est ce qu’on appelle la Présence de Dieu dans l’intime de l’âme. Cela n’est pas fort sensible, mais les effets le sont … regardez ce rien perdu dans l’immensité de Dieu d’où vous ne sauriez sortir que par les fautes volontaires et considérables. 206 

La seule pensée qu’on n’est qu’un petit atome perdu dans cette immensité … qu’un petit rien réuni à ce tout unique … opère plus …que toutes les pratiques … Quelle témérité de prétendre par son opération et son travail arriver à ce terme invisible et insensible… comme un insensé qui veut construire une échelle pour monter au soleil. 213

Jamais nous ne sommes assez persuadés de notre impuissance pour le bien et de l’inutilité de tous nos efforts, c’est pour cela que nous voulons toujours les y faire entrer pour quelque chose ; mais c’est aussi pour cela que (268) Dieu, pour nous en faire voir l’inutilité, renverse tous nos projets et nous laisse dans le vide 269

Aussi ne devez-vous plus vous regarder que comme une ombre que Dieu anime, sous laquelle Il se rend sensible… 348

C’est le néant, c’est le rien, c’est / Milley, Jésuite. 391

Si l’étude sur Milley a été bien faite, il reste à éditer l’échange avec la mère de Siry.


 

Jean-Pierre de Caussade (1675-1751), et son très guyonien Abandon à la providence divine.

Nous sommes ici devant une résurgence en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme, de la spiritualité de l’école de l’amour pur telle qu’elle s’exprime à travers les écrits de madame Guyon. Le P. de Caussade apparaît comme un propagateur de son œuvre. Une telle affirmation peut surprendre : elle est supportée par ce que nous apprennent ses éditeurs M. Olphe-Galliard, A. Rayez, D. Salin, ainsi que l’historien J. Le Brun.

Ce jésuite est considéré comme le dernier grand mystique catholique de l’époque classique (on y ajoute parfois Grou à la fin du siècle). Mais L’Abandon à la Providence divine n’est pas de lui. « L’image d’un Caussade auteur spirituel majeur … n’a pas résisté à cette mise à plat », tandis que la liaison avec la Visitation de Meaux explique l’ « inspiration guyonienne »[855]. On sait combien ce beau livret traverse les siècles.

Jean-Pierre de Caussade fait son noviciat à Toulouse à dix-huit ans et devient prêtre enseignant à vingt-neuf ans. À quarante-neuf ans, on le retrouve missionnaire à Beauvais puis il arrive en Lorraine au seuil de sa vieillesse : il a cinquante-quatre ans juste à temps pour recevoir l’influence de la Mère de Bassompierre (1656-1734). Il dirige la sœur de Rosen (1675-1754). Déplacé deux ans plus tard à Albi, il revient cependant en Lorraine après deux ans. Il quitte définitivement la Lorraine à soixante-quatre ans et meurt fort âgé douze ans plus tard.

Il a été redécouvert au XIXe siècle par Ramières puis à notre époque par le beau travail de M. Olphe-Galliard[856]. L’Abandon à la Providence divine, son « œuvre préférée[857] », est largement lu par nos contemporains, aux États-Unis comme en France. Nous sommes ici devant une résurgence en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme, de la spiritualité de l’école de l’amour pur. Le P. de Caussade apparaît comme l’un des disciples propagateurs de l’œuvre guyonienne. Une telle affirmation qui peut surprendre est supportée par ce que nous apprennent ses éditeurs, M. Olphe-Galliard et A. Rayez, ainsi que l’historien J. Le Brun. En effet, Olphe-Galliard, à la fin de sa vie, restitue à une « plume apparentée à celle de Madame Guyon », la quasi-totalité de l’Abandon à la Providence divine[858] : le premier chapitre, qu’il en exempte, ne couvre que quatre pages sur les cent dix-neuf pages du petit traité.

La main même de Madame Guyon est selon nous directement impliquée même si le texte a pu être retravaillé ensuite pour lui donner un très beau style classique[859]. Ceci s’explique historiquement simplement, si l’on tient compte du séjour de Madame Guyon au couvent des Visitandines de Meaux, avant ses emprisonnements, et l’estime étonnante dont elle avait reçu les témoignages écrits de la part de la supérieure et des religieuses, dans des conditions dramatiques.

Car c’est de ce couvent que proviennent certains manuscrits : « le P. de Caussade est en rapport à l’automne 1729 avec la Mère Françoise-Ignace de Bassompierre, ancienne supérieure de la Visitation de Meaux de 1718 à 1734 [...]C’est par elle que la bibliothèque du monastère nancéien s’était enrichie d’un recueil d’opuscules spirituels manuscrits parmi lesquels Caussade retint le texte intitulé : Manière courte et facile pour faire Oraison en foi, texte qu’il publiera à la suite des Instructions spirituelles et que l’on trouvera dans notre présent volume[860] ». Il ajoute : « Jacques le Brun, qui en a scruté le texte, nous amène à la conviction que nous sommes en présence d’une note émanée du milieu influencé par les écrits de Madame Guyon, si ce n’est d’elle-même[861]. » Ce qui est factuellement prouvé pour la Manière courte suggère un cheminement parallèle pour l’Abandon… A. Rayez précède et supporte cette explication historique dans son édition des Considérations... de P. de Clorivière [862], auteur qui reprenait le Moyen court. L’Abandon à la Providence divine, certainement le texte majeur du XVIIIe siècle, mérite une juste réappropriation, ce qui justifie l’analyse des sources que nous venons d’exposer. On sait les précautions prises par le jésuite Caussade, ce dont témoigne un usage surprenant du nom de Bossuet [863].

Les Instructions spirituelles, dans le livre second des Dialogues spirituels, dialogue VIII « sur le vide de l’esprit, sur les impuissances… » détournent subtilement M. de Meaux pour soutenir les quiétistes) ; dialogue XII « sur la conclusion de tout l’ouvrage » citent :

« …un exercice d’oraison … composé par M. Bossuet, en faveur des religieuses de la Visitation de Meaux – Est-ce de ce couvent que vous le tenez. – Non, c’est de celui de Nancy, où feu Madame de Bassompierre, religieuse (402) de ce monastère, en porta une copie en revenant d’être supérieure à la Visitation de Meaux… le voici de mot à mot, ce saint exercice, tel qu’il a été trouvé à Nancy, et tel que je sais qu’on le voit en quelques villes de France, à la fin d’un petit livre intitulé Pratique de la présence de Dieu :

« Manière courte et facile pour faire l’oraison en foi et de simple présence de Dieu, par Monseigneur Bossuet, évêque de Meaux.

« I. Il faut s’accoutumer à nourrir son âme d’un simple et amoureux regard en Dieu et en Jésus-Christ Notre-Seigneur, et pour cet effet il faut la séparer doucement du raisonnement, du discours et de la multitude d’affections pour la tenir en simplicité…

 « V. Ensuite il ne faut pas se multiplier à produire plusieurs autres actes ou dispositions différentes, mais demeurer simplement attentif à cette présence de (405) de Dieu, exposé à ses divins regards …sans s’empresser à faire d’autres choses que ce qui nous arrive, puisque cette oraison est une oraison avec Dieu seul, et une union qui contient en éminence, toutes les autres dispositions particulières, et qui dispose l’âme à la passiveté. …

 « XV. Il ne faut pas oublier qu’un des plus grands secrets de la vie spirituelle, est que le Saint-Esprit nous y conduit, non seulement par les lumières, douceurs, consolations, tendresses et facilités ; mais encore par les obscurités, aveuglements, insensibilités, chagrins… (413).

Manière courte et facile pour faire oraison en foi

Cet opuscule si proche et si influencé par le Moyen court de madame Guyon conclut l’œuvre éditée en 1641 de Caussade, ce qui indique son importance à ses yeux.

Nous citons longuement une fraction de l’étude de Jacques Le Brun, importante car elle établit son origine guyonienne[864]:

« …nous devons en donner intégralement le texte [de la Manière.], tel qu’il figure dans la copie de la Visitation de Nancy » :

« 1. Il faut s’accoutumer à nourrir son âme d’un simple et amoureux regard en Dieu, et en Jésus-Christ, et pour cet effet la séparer doucement du raisonnement, du discours, et de la multitude d’affection pour la tenir en simplicité et l’approcher ainsi de plus en plus de Dieu « son souverain bien » (4)[865] son premier principe et sa dernière fin.

2. La perfection de cette vie consiste en l’union avec notre souverain bien, et tant plus la simplicité est grande, l’union est aussi plus parfaite. C’est pourquoi la grâce sollicite intérieurement ceux qui veulent être parfaits à se simplifier pour être enfin rendus capables de la jouissance de l’un nécessaire, c’est-à-dire de l’unité éternelle […]

3. La méditation est fort bonne en son temps, et fort utile au commencement de la vie spirituelle ; mais il ne faut pas s’y arrêter, puisque l’âme par sa fidélité à se mortifier reçoit pour l’ordinaire une oraison plus pure que l’on peut nommer de simplicité, qui consiste dans une simple vue, regard ou attention amoureuse en foi vers quelque objet divin, soit Dieu, ou quelqu’une de ses perfections, soit Jésus-Christ, ou quelqu’un de ses mystères, ou quelques autres vérités chrétiennes. L’âme quittant donc le raisonnement, se sert d’une douce contemplation qui la tient paisible, attentive et susceptible des opérations et impressions divines que le Saint-Esprit lui communique : elle fait peu, et reçoit beaucoup : son travail est doux et néanmoins plus fructueux : et comme elle approche de la source de toute lumière, de toute grâce et de toute vertu, on lui en élargit davantage.

4. La pratique donc de cette oraison doit commencer dès le réveil en faisant un acte de foi de la présence de Dieu, qui est partout, et de Jésus-Christ, les regards duquel quand nous serions abîmés au centre de la Terre ne nous quittent point. Cet acte est produit d’une manière sensible et ordinaire comme qui dirait intérieurement : je crois que mon Dieu est présent ; ou c’est un simple souvenir de foi qui se passe d’une façon plus pure et plus spirituelle de Dieu présent.

5. Ensuite il ne faut pas se multiplier à produire plusieurs autres actes ou dispositions différentes, mais demeurer simplement attentif à cette présence de Dieu, exposé à ses divins regards, continuant ainsi cette dévote attention ou exposition tant que Notre Seigneur nous en fera la grâce, sans s’empresser à faire d’autres choses que ce qui nous arrive, puisque cette oraison est une oraison avec Dieu seul, et une union qui contient en éminence toutes les autres dispositions particulières et qui dispose l’âme à la passivité, c’est-à-dire que Dieu devient le seul maître de son intérieur et qu’il y opère plus particulièrement qu’à l’ordinaire : tant moins la créature travaille, tant plus Dieu opère puissamment; et puisque l’opération de Dieu est un repos ou son même repos, l’âme lui devient donc semblable en cette oraison, y reçoit aussi des effets merveilleux; et comme les rayons du soleil font croître, fleurir et fructifier les plantes, ainsi l’âme qui est attentive et exposée en tranquillité aux rayons du Soleil de justice en reçoit mieux les divines influences qui l’enrichissent de toutes sortes de vertus.

[…]

20. [sic] II faut se récréer dans la même disposition pour donner au corps et à l’esprit quelque soulagement, sans se dissiper par des nouvelles curieuses, des ris immodérés, ni aucune parole indiscrète, etc.; mais se conserver libre dans l’intérieur, sans gêner les autres, s’unissant à Dieu fréquemment par des retours simples et amoureux, se souvenant qu’on est en sa présence, et qu’il ne veut pas qu’on se sépare en aucun temps de lui et de sa sainte volonté.

C’est la règle la plus ordinaire de cet état de simplicité : c’est la disposition souveraine de l’âme, qu’il faut faire la volonté de Dieu en toutes choses. Voir tout venir de Dieu, et aller de tout à Dieu, c’est ce qui soutient et fortifie l’âme en toutes sortes d’événements et d’occupations, et ce qui nous maintient même dans la possession de la simplicité. Suivre donc toujours la volonté de Dieu, à l’exemple de Jésus-Christ, et uni à lui comme à notre chef, c’est un excellent moyen d’augmenter cette manière d’oraison, pour tendre par elle à la plus solide vertu et parfaite sainteté.

21. On doit se comporter de la même façon et avec le même esprit, et se conserver dans cette simple et intime union avec Dieu, dans toutes ses actions […]

22. […] Cette vraie simplicité nous fait vivre dans une continuelle mort et détachement parce qu’elle nous fait aller à Dieu avec une parfaite droiture et sans nous arrêter en aucune créature; mais ce n’est pas par spéculation qu’on obtient cette grâce de simplicité, c’est par une grande mortification et mépris de soi-même; et quiconque fuit de souffrir et de s’humilier et de mourir à soi-même n’y aura jamais d’entrée : et c’est d’où vient qu’il y en a si peu qui s’y avancent, parce que presque personne ne se veut quitter soi-même, faute de quoi on fait des pertes immenses, et on se prive des biens incompréhensibles […]

23. Il ne faut pas négliger la lecture des livres spirituels ; mais il les faut lire en simplicité, en esprit d’oraison, et non pas par une recherche curieuse : on appelle lire de cette façon, quand on laisse imprimer dans son âme les lumières et les sentiments que la lecture nous découvre, et que cette impression se fait plutôt par la présence de Dieu que par notre industrie.

[…]

25. Il ne faut pas oublier qu’un des plus grands secrets de la vie spirituelle est que le Saint-Esprit nous y conduit non seulement par les lumières, douceurs, consolations, tendresses et facilités ; mais encore par les obscurités, aveuglements, insensibilités, chagrins, tristesses et révoltes des passions et des humeurs […]

 […]

« Ainsi l’examen des deux versions permet de soutenir que le texte imprimé en 1741 l’a été d’après un manuscrit voisin de celui de la Visitation, si ce n’est pas le manuscrit de la Visitation lui-même ; il n’est pas nécessaire de retenir l’hypothèse d’une source indépendante. […]

« L’édition de 1741 des Instructions spirituelles..., du P. de Caussade, attribue formellement la Manière courte et facile à Bossuet, voici en quels termes[866] :

 « La Providence a fait tomber entre mes mains ce que vous souhaitez : c’est un exercice d’oraison, contenant quinze petits articles, et composé par M. Bossuet, en faveur des religieuses de la Visitation de Meaux.

D. Est-ce de ce couvent que vous le tenez ?

R. Non ; c’est de celui de Nancy, où feu Mme de Bassompierre, religieuse de ce monastère, en porta une copie en revenant d’être supérieure à la Visitation de Meaux, où M le Cardinal de Bissy l’avait fait venir. Le voici de mot à mot, ce saint exercice, tel qu’il a été trouvé à Nancy, et tel que je sais qu’on le voit en quelques villes de France, à la fin d’un petit livre intitulé : « Pratique de la présence de Dieu. »

Le P. de Caussade a donc, lors de ses séjours à Nancy en 1730-1731 ou en 1733-1739, vu notre manuscrit ou un manuscrit voisin ; il a connu la Mère de Bassompierre (+ 1734) qui a pu lui dire ce qu’elle savait de l’histoire du texte et lui montrer le manuscrit même qu’elle avait apporté ou fait recopier. […] Le P. de Caussade a pu seulement vouloir dire que son texte n’altère pas profondément le sens du manuscrit, ce qui est vrai.

Le P. de Caussade nous apprend en outre que le texte qu’il publiait n’était pas inédit : on le trouvait en quelques villes de France (il s’agit donc sans doute d’impressions provinciales) à la fin d’un petit livre intitulé Pratique de la Présence de Dieu (1). Il ne dit pas que cet ouvrage est anonyme ; l’on doit donc chercher non seulement parmi les anonymes, mais parmi les ouvrages signés portant ce titre : la découverte d’un de ces exemplaires serait d’un vif intérêt, mais jusqu’ici tous les exemplaires consultés d’ouvrages portant ce titre ne renferment pas notre opuscule.

[…]

« En résumé[867], la Manière courte et facile se glisse dans les éditions de Bossuet de façon furtive, à la suite de la publication Caussade. Ce n’est que sur le témoignage de ce jésuite qu’elle peut être attribuée à Bossuet : la copie de la Visitation ne permet pas par elle-même de confirmer cette attribution. La critique interne permettra-t-elle de progresser vers la solution du problème ?

« Un texte spirituel, manuscrit ou imprimé, correspond à une intention, et il en est de même de sa copie et de sa publication. Dans le cas de la Manière courte et facile attribuée à Bossuet, nous voyons affleurer les différents niveaux intentionnels : les religieuses de la Visitation de Nancy utilisent le texte comme guide dans leur vie spirituelle ; la désignation d’un auteur est alors peu utile. Avec la publication du P. de Caussade, nous trouvons une intention nouvelle : le nom d’un garant joue un rôle en lui-même; d’où l’importance des références à Bossuet ajoutées par le P. de Caussade à ses Instructions spirituelles qui avaient leur cohérence sans ces références (1), et de l’attribution à un auteur prestigieux (et adversaire des « mystiques ») de l’anonyme manuscrit de la Visitation de Nancy; cette intention a pu conduire le P. de Caussade à lire comme œuvre de Bossuet la Manière courte et facile, […]

« Demandons-nous[868] donc si cet opuscule possède une cohérence propre en dehors de toute référence à Bossuet.

« Le titre nous place dans une tradition spirituelle fort commune à la fin du XVIIe siècle : les spirituels formés depuis plusieurs décennies à l’école de la méditation méthodique recherchent une oraison qui dépasse les risques de l’intellectualisme et qui n’asservisse pas l’homme aux méthodes ; ils cherchent aussi à expliciter les rapports entre la pratique de l’oraison et la foi aux mystères du christianisme, et à concilier la contemplation et les activités de la vie. En même temps l’Introduction à la vie dévote dont de nombreux auteurs, en particulier jésuites, prolongent l’influence, a développé l’idée que tous les fidèles, même laîcs, pouvaient avoir accès à l’oraison. De là vient la recherche d’une méthode simple, à la portée de tous, qui conduise l’homme directement au centre de la vie spirituelle, une voie vers la perfection au-delà des dévotions, des pratiques, des méditations : ce centre, beaucoup le découvrent dans le sentiment de la présence de Dieu en l’homme. On s’explique alors le grand nombre des Manière courte et facile, Moyen court et très facile, Moyen abrégé, etc. Dans l’école des Carmes de Touraine, Marc de la Nativité et ses disciples publient une Méthode claire et facile pour bien faire oraison mentale et pour s’exercer avec fruit en la présence de Dieu. Faisant le Quatrième Traité de la conduite spirituelle des Novices... (2)[869], qui n’est pas profondément originale, mais qui révèle l’articulation des éléments dont nous parlions : présence de Dieu, oraison, méthode, clarté, facilité. Il serait aisé d’énumérer les œuvres qui manifestent dans la seconde moitié du xviie siècle les mêmes intentions, mais ce qui est plus caractéristique, c’est qu’elles appartiennent à toutes les familles religieuses et qu’elles dépassent les frontières : on ne compte pas les œuvres qui proposent de conduire facilement et rapidement à la perfection par l’oraison et la présence de Dieu. En 1691, se serait même fondée à Paris une société ayant pour but la réalisation de cette vie d’oraison (1)[870]. Mais l’ouvrage le plus connu, qui pourtant n’avait rien de révolutionnaire à l’époque où il fut publié, est le Moyen court et très facile de faire oraison, que tous peuvent pratiquer aisément de Mme Guyon (2).

« C’est de toute évidence dans la mouvance de ces œuvres que se situe notre opuscule. La comparaison avec le livre de Mme Guyon, le livre en ce sens le plus intéressant de la fin du XVIIe siècle, est particulièrement instructive et révèle des rapports étroits. Certes l’opuscule de la Visitation de Nancy insiste moins que le Moyen court sur la rapidité et la facilité, et sur les caractères théologiques du sacrifice que réalise l’oraison de foi; Mme Guyon entre plus dans le détail des pratiques et des cas concrets, et enfin elle développe beaucoup plus ses arguments, mais c’est la différence d’un livre dense et d’un opuscule de quelques pages qui se contente parfois d’un  « etc. » (3) .. Pour l’essentiel les deux œuvres se rejoignent : même distinction entre la méditation pour le « commencement de la vie spirituelle (4) et la contemplation ou « oraison de simplicité (9) », même insistance sur la « simplicité », aux sens philosophique et affectif, de cette expérience (8), sur sa douceur et son caractère paisible (7); même conviction que Dieu est présent et qu’il suffit d’y être attentif, de s’y exposer, de le laisser faire (8), d’attendre que le Saint-Esprit exerce ses opérations à l’intérieur de l’homme (9) : Mme Guyon et l’opuscule de la Visitation de Nancy soulignent que cette passivité n’est pas oisiveté (10), mais que l’oraison contient en « éminence toutes les autres dispositions (11). Nous pourrions multiplier les parallèles (12), même dans le détail du style.

« Cependant il n’est pas absolument sûr que l’opuscule que nous étudions soit l’œuvre de Mme Guyon, et il ne faudrait même pas parler ici d’ « influence » au sens « lansonien » du terme; au contraire ces parallèles révèlent une famille d’esprit plus qu’une dépendance (1)[871], et même, détail curieux, le Père de Caussade, ou l’auteur qu’il suit, en reprenant l’opuscule, le conclut par une prière à Dieu (2) où l’on retrouve toute la substance de la conclusion du Moyen court de Mme Guyon (3), comme si la même expérience spirituelle et les mêmes obstacles suscitaient le même mouvement de prière.

« L’opuscule conservé à la Visitation de Nancy se situe donc assez bien dans l’histoire de la spiritualité et possède une remarquable cohérence. Or l’éventuelle attribution à Bossuet détruit cette cohérence et imposerait l’hypothèse d’un véritable dédoublement. Il ne serait possible de soutenir cette hypothèse que si la critique externe nous apportait un commencement de preuve, ce qui n’est pas le cas. »

[…]

 


 

 


 

INFLUENCES EN TERRES PROTESTANTES

Entre les Églises issues de la Réformation ou « sectes » persécutées, il y a peu de points communs, au XVIIe siècle[872]. On distingue : le luthéranisme fortement rénové par le piétisme de Spener (1635-1705), par l’actif Zizendorf (1700-1760)[873], par le rayonnement de l’université de Halle impulsée par A.-H. Francke (1663-1727) ; le calvinisme solidement implanté en Hollande et en Suisse ; l’église d’Angleterre illustrée par la naissance de réveils dont celui issu de J. Wesley, fondateur du méthodisme ; les dissidents de la « troisième voie », en particulier les quakers en Angleterre, les anabaptistes refondés par Simon Mennons, les frères moraves, les sociniens... Cette énumération de sectes couvre des trésors spirituels à retrouver malgré les disputes théologiques et leurs innombrables libelles[874].


 

Piétistes

Angelus Silesius (J. Scheffler, 1624-1677) influença profondément les piétistes[875] par son exigence d’une religiosité tout intérieure et la nécessité du pur amour de Dieu. Le Pèlerin Chérubinique est l’« aboutissement de la mystique médiévale de toute l’Europe, et de la spiritualité protestante hétérodoxe des XVIe et XVIIe siècles, et départ vers un renouvellement  de vie intérieure, vers ce piétisme qui s’est inspiré de lui », en commençant par Gottfried Arnold, l’auteur de l’Histoire impartiale des Églises et des hérétiques (1699), « essai mémorable et paradoxal de renverser les opinions reçues sur les rapports des hérétiques et des églises…[876]».

Les piétistes s’efforcent de parvenir à une communauté marquée par l’amour fraternel dans laquelle les différences de confession et d’appartenance ecclésiale auront perdu de leur valeur séparatrice. Ils se fondent sur les traditions de mystiques (Tauler, Arndt, Böhme…), et renouent avec divers courants, dont celui du quiétisme. P.-J. Spener [877], les fondations d’A.-H. Francke à Halle à partir de 1698, les frères moraves de Zizendorf[878] dès 1722, assurent leur rayonnement sur l’église officielle et sur la pratique de la piété[879]. On sait l’importance de textes piétistes chez J.-S. Bach. 

Ils inspirent plus tard le revivalisme ou « réveils » en Suisse et en Amérique, utile conversion du cœur même si le recours à l’autorité stricte de la Bible sclérose le mouvement et conduit trop souvent, par imitation déraisonnable, à un rôle exagéré donné au prophétisme « enthousiaste ». Seul J. Wesley[880] évite un tel « esclavage biblique » par sa création originale d’une bibliothèque d’auteurs mystiques (précédé en cela par P. Poiret). Enfin le thème de la prière silencieuse contemplative sera « balisé » par le vaudois J.-Ph. Dutoit, disciple et éditeur de Madame Guyon[881].

Quakers. Robert Barclay1648-1690).

Nous présentons une « secte » protestante, car sa pratique tout intérieure d’une prière en silence s’apparente très probablement à celle des cercles quiétistes et parce que l’influence quiétiste est confirmée sur ses membres par des traductions qu’ils firent en anglais de textes de madame Guyon.

Le mouvement fut fondé par Georges Fox (1624-1691), un véritable apôtre Paul du XVIIe siècle, homme simple, mystique[882] d’une énergie prodigieuse - et d’une santé à toute épreuve - ce qui lui permit de résister à de terribles épreuves…

…à Doomsdale dans un cachot dont, généralement, on ne sortait pas vivant. Les excréments des prisonniers qui y avaient déjà séjourné n’avaient pas été enlevés depuis des années et, par places, on enfonçait jusqu’aux chevilles dans l’eau et dans l’urine. Des personnes compatissantes leur apportaient des chandelles et un peu de paille, et ils brûlaient un peu de leur paille pour combattre la puanteur[883].

Sa « patience vis-à-vis des insultes ou même des coups, possédé qu’il était par sa conviction d’avoir à répondre à ce qu’il y a de Dieu en chacun »[884], n’est pas étrangère à l’émergence d’une solide communauté. À sa mort il laissait cinquante mille quakers dans les Îles britanniques ainsi que des groupes en Hollande et dans les colonies américaines. Beaucoup quittaient ainsi croyances et dogmes, sources de terribles conflits dans l’Angleterre du XVIIe siècle, au profit de la « lumière intérieure », découverte intime dans le silence de leurs réunions (car les excès des premiers « trembleurs » furent limités après les troubles provoqués par J. Nayler, le courageux, mais fol disciple de Fox). Après stabilisation du mouvement, et parce que la vie mystique provient d’une source unique, « Aubrey de la Mottraye, en 1727, remarque la ressemblance qui existait entre le Quakerisme et le Quiétisme de Madame Guyon et de Fénelon, (dont on trouvait, du reste, les œuvres presque dans chaque foyer quaker, tant en Angleterre qu’en Amérique). » [885].

Robert Barclay (1648-1690), homme exceptionnellement cultivé dans la communauté de « la secte des trembleurs », devint le « théologien quaker » ; son Apologie[886]  nous éclaire très profondément sur la Lumière intérieure ou Grâce ou Vie, expérience mystique vécue en silence :

…ainsi donc, la conscience naturelle de l’homme se distingue nettement de la Lumière, car la conscience suit le jugement, mais ne l’éclaire pas ; la Lumière, au contraire, si elle est bien accueillie, dissipe l’aveuglement du jugement, ouvre l’entendement et rectifie à la fois le jugement et la conscience (187) [...]c’est donc vers la lumière du Christ dans leur conscience, et non vers cette conscience naturelle, que nous invitons sans cesse les hommes à se tourner [...]Mais cette lumière ou semence de Dieu en lui, il ne peut l’éveiller et la faire agir quand il veut : ce n’est que lorsque le Seigneur le juge bon qu’elle se manifeste, brille et lutte avec l’homme (188) ...

C’est donc de ce principe, à savoir que l’homme doit rester en silence et ne pas agir de lui-même dans les choses de Dieu tant qu’il n’y est pas poussé par sa Lumière et sa grâce dans le cœur, qu’a pris tout naturellement naissance cette manière de s’asseoir ensemble en silence et de s’attendre à Dieu. (249) … [Le cas suivant] peut même se produire. Plusieurs personnes réunies, gardant extérieurement le silence, mais laissant cependant leur esprit errer à l’aventure, ne prêtent pas attention à la mesure de grâce qui est en elles … mais en revanche, il se trouve dans l’assemblée, ou il y entre, quelqu’un qui, lui, y est attentif, et en qui la Vie se manifeste intensément. Ce dernier … sent alors un travail secret en faveur des autres personnes … et comme il veille fidèlement dans la Lumière et persévère dans cette œuvre divine, Dieu répond souvent à ce travail secret de sa propre semence à travers lui, et touche alors les autres au plus intime d’eux-mêmes, sans l’aide d’aucune parole. Semblable à une sage-femme, ce fidèle, par le travail secret de son âme, fait naître ainsi la Vie en eux, tout comme un peu d’eau versée dans une pompe y fait monter le reste. Cette Vie s’épanouit alors en tous, leurs vaines imaginations sont réduites à néant… (251)

Les quakers, mystiques cherchant la « lumière intérieure », furent fort actifs, luttant contre l’esclavage dès le XVIIIe siècle. L’émouvant Journal de John Woolman (1720-1772), grand texte du début de la littérature américaine, fait revivre l’existence aventureuse d’un visiteur des petites communautés isolées. On y trouve le contact avec la nature (qualité américaine qui sera bientôt révélée dans les romans de F. Cooper), le sens de l’unité profonde dans toute la création (autre qualité rencontrée chez des poètes américains) :

We then secured our horses and gathering some bushes under an oak we lay down ; but  the mosquitoes being numerous and the ground damp I slept but little. Thus lying in the wilderness, and looking at the stars, I was led to contemplate on the condition of our first parents when they were sent forth from the garden ; how the Almighty, though they had been disobedient, continued to be a father to them…

…I was brought so near the gates of death that I forgot my name. Being then desirous to know who I was, I saw a mass of matter of a dull gloomy color between the south and the west, and was informed that this mass was human beings in as great misery as they could be, and live, and that I was mixed with them, and that henceforth I might not consider myself as a distinct or separate being[887].

Les quakers ne furent jamais nombreux, compte tenu de l’exigence de vie impliquée, telle au XVIIIe siècle, celle de la libération des esclaves, grande richesse perdue volontairement par les premiers abolitionistes. Actuellement la Religious Society of Friends ne comporte que seize mille membres en Grande-Bretagne[888]. Mais le mouvement est toujours vivant et ouvert comme l’indique le témoignage suivant venant du lointain Maryland[889] :

There was a real spiritual power among the Friends … The experience was strong and sure enough, I felt, to warrant belief in the resurrection of Jesus … [follows an interesting review of the problem of control of “enthusiasm” encountered by Fox leading to] tension between individual and community claims to divine revelation … Quaker practice ‘works’ only when love is paramount… When individual and group desires are “brought low” under love’s leading, all participants in the process are equal, and the community primary goal is not to judge but to love each other … And there I found the key : Quaker practice is nothing more or less than the actualization of love.

Les quakers firent beaucoup « pour la renommée de la victime de Bossuet » comme l’indique précisément Orcibal :

Après avoir publié, en 1727, une courte Letter to J.O. being an account of Madam Guyon, Josiah Martin traduisait plusieurs de ses poèmes dans The Archbishop of Cambray’s dissertation on pure love (Londres, 1735, pp. 122-138) – et en note il souligne « nettement l’importance que prit dès lors chez les quakers son idée de la fécondité spirituelle [que nous trouvons un apport saisissant à la lecture de son Cantique]. Et il insiste sur le rôle que jouèrent après Martin, les ouvrages de Gough et surtout A Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson groupèrent des extraits de Fénelon, de madame Guyon et de Molinos. »[890].

…le « Friend » Josiah Martin, intéressant écrivain qui devait répondre aux Lettres philosophiques de Voltaire, fit plus encore pour la réputation de l’archevêque de Cambrai, en qui il voyait « aussi un quaker », puisqu’il publia entre 1727 et 1738 divers recueils d’écrits du prélat auxquels il joignit des cantiques de madame Guyon et une apologie des idées de celle-ci[891].

L’année 1772 « marque un tournant décisif dans l’histoire du guyonisme anglo-saxon. Le quaker de Bristol James Gough donna, en deux volumes, une traduction de la Vie de madame Guyon. Quelques mois plus tard, Cornelius Cayley accordait des éloges également vifs à la tolérance de l’héroïne et à l’esprit catholique de l’éditeur »[892]. Enfin l’idée de fécondité spirituelle propre à madame Guyon, que nous trouvons particulièrement mise en valeur à l’occasion de son Commentaire au Cantique ainsi rendu très original, fut largement reprise[893].


 

William Law (1686-1761).

Wiliam Law, ascète et mystique assez proche des quakers, mais qui vécut et mourut anglican, écrivait vers 1738 :

 

Je désirais presque, écrivait-il vers 1738, qu’il n’y eût pas de livres de spiritualité en dehors de ceux qui ont été écrits par des catholiques. Vous trouverez chez Bertot premier directeur de madame Guyon, « toutes les instructions qu’une (531) personne descendue du Ciel pourrait vous donner ». Il s’intéressait pour les mêmes raisons au carme Laurent de la Résurrection, humble cuisinier fort admiré de Fénelon, dont les paroles et les exemples étaient bien connus en Angleterre grâce aux Devotional Tracts concerning the Presence of God. [894].

 

La bibliothèque de Law possédait les Discours chrétiens et spirituels et le Moyen Court. Il les « a certainement étudiés de très près, car ils sont couverts de traits et de signes divers. Les pages blanches du second volume contiennent en outre d’excellents résumés des idées essentielles de la mystique » [895].

John Wesley (1703-1792).

John Wesley est au centre de la renaissance qui fait suite à la période sèche des lumières en Angleterre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle[896] : « Plus que tout autre, son action a permis la survie dans le monde anglo-saxon du goût de la vie intérieure et de la croyance à la possibilité de la sainteté. Elle n’aurait pas été possible sans les efforts de Poiret qui lui ont fourni la charte du Méthodisme…[897]. »

Il admet la possibilité de la délivrance « du pouvoir de pécher par la complète domination de Dieu dans le cœur qu’Il remplit entièrement de son amour » (Orcibal). Contre ses nombreux critiques, qu’ils soient des églises officielles ou morave, il citer les biographies de Grégoire Lopez et de frère Laurent. Son « pure love » rejoint l’union avec Dieu défendue par Madame Guyon [898].

Enfin il est en relation avec Dutoit par l’intermédiaire de J. de La Fléchère

…pasteur suisse qu’il choisira comme successeur. Ami du guyonien Dutoit-Membrini, celui-ci donna courageusement au mot « mystique » un sens bien différent de celui que Wesley lui attribuait encore d’une façon implicite. Aux yeux de La Fléchère, saint Paul et saint Jean étaient de grands mystiques et Salomon, auteur du Cantique des Cantiques, méritait le titre de « prince des mystiques ». Avec bon sens, il soulignait en outre que, contredisant ses propres paroles, John Wesley avait « montré son approbation du mysticisme rationnel et scripturaire en publiant des extraits très édifiants des ouvrages des mystiques ». Lui-même assimilait aux « piétistes » ou « mystiques » du continent les méthodistes au service desquels il était venu se mettre. Bien qu’il fût parfois un peu gêné par ces propos, leur chef ne lui en donna jamais le démenti. Il n’y était plus obligé, car les circonstances s’étaient peu à peu modifiées. En premier lieu, la sensibilité avait changé. Aux Lumières, succédait le Pré-romantisme et Richardson, le nouvel auteur à la mode, faisait dans son sir Charles Grandison le portrait du pieux non-jureur Robert Nelson. Un poème de John Byrom réussissait à donner au mot « enthusiasm », longtemps si décrié, un sens favorable. Sans doute ce mouvement s’accompagnait vers 1773 d’une reconnaissance du guyonisme et du bourignonisme, mais le rôle bienfaisant de J. Wesley sur la société anglaise était maintenant trop bien reconnu pour qu’il risquât d’être confondu avec des illuminés extravagants.[899].

 « Très tôt il avait été question de la célèbre mystique en Grande-Bretagne. En décembre 1703 parut à Londres la traduction de son plus fameux opuscule sous le titre A short and easie method of Prayer.[900] Nous sommes à tout le moins sûrs que J. Wesley consacra à l’étude de A short method les journées des 4 et 5 janvier 1735 [901]. Le 5 juin 1742, il relut l’opuscule en y joignant le texte français des Torrents spirituels. Sous l’influence de J. Fletcher, Wesley redevenait beaucoup plus favorable à la mystique. À la suite de Hartley, il se posait donc, le 27 août 1770, en champion de madame Guyon contre Littleton : malgré ses erreurs, elle n’avait rien d’« une enthousiaste. Sans aucun doute, elle possédait une intelligence tout à fait exceptionnelle et une excellente piété. Elle n’était pas plus lunatique qu’hérétique »[902].

« Mais c’est l’année 1772 qui marque un tournant décisif dans l’histoire du guyonisme anglo-saxon. […] Fait plus grave[903], il semble que bien des méthodistes, et parmi les plus zélées, avaient aussitôt (surtout à Bristol) pris la mystique pour modèle[904]. Il n’y a donc pas à s’étonner que, les années suivantes, son nom se retrouve près de vingt fois sous la plume de J. Wesley. On comprend pourtant que ses avertissements soient d’abord restés vains : s’il dénonçait les « raffinements » mystiques de madame Guyon et leur « quiétisme anti-scriptural », il ne manquait pas en effet d’ajouter qu’ils étaient d’autant plus dangereux que beaucoup « de choses excellentes » s’y trouvaient mêlées. […] « le monde n’a jamais vu une telle vie… un mélange aussi prodigieux ». […]  « Dans cette gangue, que d’or pur ! Quelle profondeur de religion, d’union spirituelle à Jésus-Christ ! Quelles hauteurs de justice, et de paix, et de joie dans le Saint-Esprit ! Que nous rencontrons peu d’exemples comparables d’amour exalté de Dieu et du prochain ; de véritable humilité ; d’invincible douceur et de résignation sans bornes ! Si bien que, somme toute, je ne sais s’il ne faudrait pas parcourir plusieurs siècles pour retrouver en une autre femme un tel modèle de véritable sainteté ». Par la suite, Wesley rappela de temps en temps ses réserves, mais il ne rétracta jamais rien de ses éloges : c’est toujours l’exilée de Blois qu’il prend pour terme de comparaison en fait de profonde communion avec Dieu et, les livres de « sister Pennington » ayant brûlé, il place madame Guyon parmi les quelques volumes qui doivent lui être envoyés d’urgence. En 1781, deux de ses publications révélèrent ses nouveaux sentiments à un plus vaste public. Dans les extraits qu’il donna de The fool of quality de Henry Brooke (sous le titre de The History of Henry, earl of Moreland), il reproduisait les termes enthousiastes qu’inspirait à l’auteur la maîtresse spirituelle de sa Louisa. En revanche, sa Concise ecclesiastical history supprimait la plupart des attaques dont elle et Fénelon faisaient l’objet dans Mosheim et Maclaine.[905].

« Mais les noms de Fénelon et de Renty n’évoquent pas assez la violence de la crise mystique que Wesley traversa de 1731 à 1736 : lui-même en a reconnu la réalité et ses Diaries inédits en précisent la nature. Son ardeur était alors entretenue par son professeur de sténographie J. Byrom qui essayait de faire connaître en Angleterre les auteurs édités par P. Poiret. […] En janvier 1735, Wesley étudiait également le Moyen court de madame Guyon et le docteur Cheyne réussit même à éveiller chez lui un vif intérêt pour Marsay qu’il traitait encore en 1756 d’« éminent mystique ». À ces auteurs, l’influence de William Law lui faisait enfin joindre la lecture de Tauler, de la Théologie germanique et de Molinos. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait défendu l’idéal de l’Amour pur, le désintéressement total qui va jusqu’à la résignation à l’Enfer, si telle est la volonté de Dieu.[906].

« En 1778 il insérait dans son Arminian Magazine un abrégé de la Vie d’Armelle Nicolas, complément naturel de son adaptation de l’autobiographie de madame Guyon. Ses dernières éditions révèlent une attitude analogue : tandis qu’en 1780 il s’abstenait de retoucher le bel éloge de madame Guyon que Henry Brooke avait introduit dans The Fool of quality, il condamnait dans ses notes de 1781 sur l’Histoire de l’Église de Mosheim et Maclaine l’hostilité que les auteurs manifestaient pour tout feeling, c’est-à-dire, jugeait Wesley, pour toute religion vivante, et il faisait en conséquence disparaître du texte les attaques contre Fénelon et contre madame Guyon. Finalement, ce sont les expressions jadis sorties de sa propre plume à propos des mystiques qu’il rétractait en 1783.[907].

« Certes, il faut aussi tenir compte du rôle de J. de La Fléchère, pasteur suisse qu’il choisira comme successeur. Ami du guyonien Dutoit-Membrini, celui-ci donna courageusement au mot «mystique » un sens bien différent de celui que Wesley lui attribuait encore d’une façon implicite. Aux yeux de La Fléchère, saint Paul et saint Jean étaient de grands mystiques et Salomon, auteur du Cantique des Cantiques, méritait le titre de « prince des mystiques ». Avec bon sens, il soulignait en outre que, contredisant ses propres paroles, John Wesley avait « montré son approbation du mysticisme rationnel et scripturaire en publiant des extraits très édifiants des ouvrages des mystiques ». Lui-même assimilait aux « piétistes » ou «mystiques» du continent les méthodistes au service desquels il était venu se mettre. Bien qu’il fût parfois un peu gêné par ces propos, leur chef ne lui en donna jamais le démenti.[908]

« En particulier la pensée de madame Guyon a sur ce point avec celle de J. Wesley de telles affinités qu’au siècle dernier, Alexander Knox, Upham et, après eux, de nombreux historiens méthodistes ont jugé que c’est à elle que la théorie paradoxale en question devait le plus. Madame Guyon enseignait, en effet, l’universalité de l’appel des chrétiens à une union avec Dieu qui serait, dès ici-bas, objet d’expérience[909].

« Et rien n’était plus audacieux pendant l’ère des Lumières que la réhabilitation de la mystique qui en découlait pratiquement. »


 

Karl Philipp Moritz (1756-1793).

Anton Reiser [910]est le roman de libération autobiographique célèbre d’un ami de Goethe[911] mort trop jeune, décrivant sa « déchirure du moi ». Fort critique de la vie austère mené chez un baron piétiste, il trouve cependant quelque solace auprès de Guyon et Fénelon. Le Werther va bientôt paraître – et la mystique se dissout dans la sensibilité romantique.

C’est alors que Reiser emprunta de nouveau au vieux menuisier les écrits de madame Guyon et, pendant qu’il les lisait, il se rappela l’époque heureuse où, selon ses conceptions d’alors, il s’avançait dans la voie de la perfection. Désormais, lorsque les circonstances extérieures le rendaient parfois triste et maussade et qu’il ne trouvait aucune lecture à son goût, les cantiques de madame Guyon étaient avec la Bible ses seuls refu­ges, à cause de l’agréable obscurité qui y régnait. Sous les voiles d’un langage sibyllin, il distinguait confusément une lumière inconnue qui venait ranimer son imagination endormie. Et pourtant, il ne faisait plus de réels progrès en piété et ne réus­sissait plus à penser à Dieu sans interruption. Dans le milieu qui l’entourait alors, on se souciait fort peu de ses états d’âme et il avait bien trop de distractions en classe et à la chorale pour pouvoir suivre, ne serait-ce qu’une semaine, sa tendance à l’introspection continuelle. (154).

Cependant il entendit à nouveau son père jouer de la guitare et chanter les cantiques spirituels de madame Guyon en s’accompagnant de cet instrument. Ils s’entretinrent également de la doctrine de madame Guyon et Reiser, qui s’était déjà bâti dans sa tête une sorte de métaphysique proche du spinozisme, se rencontrait souvent avec son père à leur grand émerveillement quand ils parlaient de l’universalité du principe divin et du néant de la créature tels qu’ils ressortent de l’enseignement de madame Guyon. (159).

C’est en vain qu’il se creusa l’esprit à la recherche d’autres moyens de se procurer de l’argent ; il lui fut impossible d’ache­ter un flambeau et le lendemain soir, pendant que tous ses condisciples défilaient en grande pompe par les rues devant une foule de spectateurs, il dut rester chez lui, tristement ins­tallé devant sa table de travail. Il s’efforça de se consoler tant bien que mal, mais à un moment donné la musique lui parvint de loin et produisit sur son esprit un étrange effet. Il se repré­senta en un tableau très animé l’éclat des flambeaux, l’attrou­pement du public, la cohue et les héros de ce spectacle magni­fique : ses condisciples. Et il se vit lui-même exclu, solitaire et abandonné de tous. Il en conçut un chagrin en tous points semblable à celui qu’il avait ressenti quand ses parents l’avaient laissé seul dans la chambre du haut pendant qu’à l’étage du dessous, ils étaient attablés avec le propriétaire de la maison pour un repas dont les rires joyeux et les tintements de verres montaient jusqu’à lui ; il s’était alors senti tout aussi solitaire et abandonné de tous, et il avait trouvé sa consolation dans les cantiques de madame Guyon. (213).


 


 

ÉCHOS AU XIXe SIÈCLE

Une influence est attestée chez le Père Henri Ramières (1821-1884), jésuite et bon spirituel, premier éditeur de L’Abandon à la Providence divine, puis chez Dom Vital Lehodey (1857-1948), auteur du bel ouvrage traitant du même sujet : Le saint Abandon, 1919.

De nombreux spirituels catholiques bénéficièrent de l’influence de ce courant mystique, mais échappent à des preuves directes, par suite de la suspicion portée sur toute forme proche de « quiétisme » : tous veillent à se préserver. Est attestée seulement l’influence prolongée de L’abandon à la Providence divine qui « fait figure de superbe rejeton de la tradition guyonienne … qui inspira notamment le P. J.-N. Grou (1731-1803) puis, au XIXe siècle, la spiritualité dite de l’abandon ou de l’enfance, illustrée par Mgr Ch.-L. Gay (1815-1892) et Thérèse de l’Enfant-Jésus (1873-1897). » [912].

Enfin l’influence sur les philosophes et théologiens est plus diffuse, mais contribue au passage du dogme à l’expérience, la raison s’effaçant devant le cœur. On pense à l’action de Schleiermacher (1768-1834) et de ses disciples, dont Neander[913].


 

Pierre de Clorivière (1735-1820).

Auteur jésuite d’un traité sur l’oraison qui ne présente guère d’originalité, mais qui donne une place à l’oraison de quiétude, à une époque peu favorable très influencée par le dernier jansénisme, il reprend le Moyen court et facile pour faire l’oraison en foi et de simple présence de Dieu, attribué à Bossuet, en fait repris par Caussade d’une copie rapportée de la Visitation de Meaux par madame de Bassompierre qui « répond, en tout cas, à la spiritualité de l’abandon commune à plusieurs courants spirituels du XVIIe siècle, de saint François de Sales à Madame Guyon, en passant par l’ursuline Marie de l’Incarnation. » [914].


 

Maine de Biran (1766-1824).

Son Journal examine la paix du cœur comme les états de sécheresses ; il serait le « premier à voir dans des mystiques des témoins de Dieu ». Il connut des états de ravissement éphémère : « Quand il était jeune il les expliquait comme l’expression affective d’un corps sain … l’interprétation n’est plus possible avec un organisme malade prématurément vieilli. : ne faudrait-il pas alors envisager l’hypothèse de ce qu’on appelle la « grâce » ? [915].

Tout ce dont l’existence ne peut être aperçue immédiatement, mais seulement conçue au moyen d‘une certaine déduction comme cause de perceptions données, n’a qu’une existence douteuse (29)

Si la philosophie platonicienne a été fondée à signaler un ordre de facultés supérieures, où l’âme se trouve comme identifiée avec son objet intellectuel et (182) absorbée en Dieu qui est sa source, la philosophie physiologique ne doit pas être moins fondée à reconnaître et spécifier un ordre inférieur de facultés animales où le moi se trouve aussi absorbé dans la sensation et identifié avec elle.

« L’amour ôte tout, mais il donne tout » Fénelon … Le principe de la 3ième vie (celle de la grâce) consiste dans la présence d’un esprit supérieur à celui de l’homme, qui se met pour ainsi dire à la place de son esprit et ouvre à ses yeux une perspective infinie de perfection et de bonheur et remplit son âme d’une joie (200)

On m’a demandé si c’était une révélation… les mots n’y font rien ; il suffit que nous ayons le sentiment de cette lumière supérieure que nous ne créons pas en nous-mêmes (235) [916].


 

 

Kierkegaard (1813-1855).

Le disciple de Poiret Tersteegen influença S. Kierkegaard (1813-1855), qui trouve en lui la simple vérité. « Le christianisme est une cure radicale, qui doit transformer l’homme » - Kierkegaard s’oppose donc à l’effort désengagé spéculatif de Hegel -, mais il « reste fidèle à la thèse … protestante de la différence absolue entre l’homme et Dieu [917] » :  pour lui, il n’y a donc pas d’union mystique possible.


 

Arthur Schopenhauer (-1860).

Le philosophe connaît les mystiques : il apprécie Fénelon, Eckhart dans l’édition Pfeiffer, l’Imitation de l’humble vie de Jésus par Tauler… Il ajoute :

« Mais je recommanderai principalement l’autobiographie de madame Guyon ; c’est une belle et grande âme, dont la pensée me remplit toujours de respect [918]. »  

Au livre quatrième du Monde comme volonté et comme représentation, où « la volonté s’affirme puis se nie », il interprète comme un retour du songe à la réalité, le « Tout m’est indifférent… » qui achève la Vie par elle-même ; puis y joint une autre citation « de cette sainte pénitente » : Dora Greenwell (1821-1882). Anglicane, celleci écrivit une biographie du dominicain Lacordaire, une autre de John Woolman, quaker américain au Journal de voyage attachant, des poèmes et des essais. Fort cultivée, elle fut aussi très active socialement : traitement des enfants au travail, victimes de la famine Irlandaise… Elle fut influencée surtout par Lacordaire (“have a life – your own life ; live to a centre of lofty and consistent aims”, ce qui s’accorde bien avec la période victorienne) et par madame Guyon :

It seemed to her that the Gospel exhibited itself not merely as a plan for escaping punishment, but as containing also the element of spiritual restauration and of inward life. She regarded the new life in Christ, when perfected, as being the same as Christ’s life, or God’s life, and those persons who have experienced the inward spiritual renovation to the extent of pure or perfect love as being truly one with God[919].


 


 

RECONNAISSANCE AU XXe SIÈCLE

Vital Lehodey (1857-1948).

Dom Vital Lehodey prône un abandon très proche de celui des quiétistes et sa direction forme un contrepoint moderne à celle de madame Guyon, inspirée par François de Sales et Caussade. On a la filiation par influences Guyon > Caussade > Ramières > Lehodey.[920].

Au fond, le manque de confiance, et le découragement qu’il inspire sont le grand obstacle aux desseins de Dieu ; ils sont même l’unique danger, mais un danger redoutable ; car ils pourraient nous précipiter dans l’abîme du désespoir. 406.

Le désir d’avancer dans les voies mystiques est parfaitement légitime en soi, et nous avons le droit de le traduire en une prière confiante et filiale … tempéré par un filial abandon. 442.

[l’âme] évite de chercher ou même d’accepter des considérations suivies, des affections variées  et compliquées … Mais elle reçoit l’action divine avec révérence et soumission, avec confiance et reconnaissance ; elle s’y adapte. 454.

Henri Bremond (1865-1933).

Le plus influent explorateur de textes spirituels au XVIIe siècle fut Henri Bremond (1865-1933) dont l’approche de la mystique est voilée sous le titre, seul recevable à son époque, d’Histoire du sentiment religieux [921]. Derrière la figure de l’érudit qui ressuscite un monde oublié et fixe les grandes lignes devenues canoniques de son histoire, se devine l’image émouvante du chercheur pour qui « l’expérience mystique fournit le paradigme de toute connaissance réelle ».

Tout converge sur la nature de la prière, ce qui se justifie pour découvrir la porte de la vie mystique. Mais classer les auteurs autour de ce thème peut conduire à des regroupements trompeurs, car la prière change au cours du chemin mystique. Tandis que l’individu et sa vie intérieure sont préservés, la dynamique de son vécu reste cependant rarement évoquée, ce qui s’explique par l’approche « généraliste » requise dans le panorama très vaste entrepris pour la première fois par ce défricheur. Il n’eut pas le temps d’achever son œuvre.

Henri Bergson (1895-1941).

On n’introduira pas celui qui partant de la philosophie des sciences aboutira à la reconnaissance du vécu mystique.

D’abord, si les grands mystiques présentent certaines différences superficielles qui tiennent aux temps, aux lieux, aux circonstances où ils ont vécu, il y a entre eux des ressemblances essentielles et profondes qui ne peuvent s’expliquer par l’imitation. Le mysticisme appa­raît ainsi comme un certain mouvement de certaines âmes dans une certaine direction : le mouvement peut être poussé plus ou moins loin, les stations peuvent en être plus ou moins nettement marquées, mais la direc­tion en reste constante, comme aussi l’aspect général du mouvement lui-même. Dans l’évolution du mysti­cisme de sainte Thérèse, par exemple, M. Delacroix distingue trois grandes périodes, et ce sont des phases analogues qu’il retrouve dans le mysticisme de madame Guyon.

Maintenant, ce mouvement a un terme bien défini, qui est une sorte d’intuition intellectuelle continue, de laquelle paraît jaillir une spontanéité créatrice : « Le mystique s’apparaît identifié avec un absolu qui s’épan­che... » Sans doute il jaillit des profondeurs mêmes de l’âme individuelle, et pourtant il n’est pas sans rapport avec le dogme. Ce sont des idées et des images chré­tiennes qui servent au mystique chrétien pour parvenir à son intuition ineffable. Ét l’oraison a beau être volontaire, elle enferme toujours quelque sentiment de la grâce. Enfin, chez les grands mystiques chrétiens, la contem­plation ne tue pas l’action.[922].

Les mystiques ! [...] Ah ! les mystiques ! Je ne les connaissais pas... Je les travaille en ce moment et je suis bien intéressé. Saint François ! les Fioretti ! [...]Tenez, Madame Guyon est très instructive. De l’âge de cinq ans jusqu’à sa mort, elle nous ouvre son âme. Elle n’a pas d’instruction. C’est spontané. C’est une merveilleuse expérience. Saint Jean de la Croix, très profond, mais il intellectualise trop ses intuitions. Sainte Thérèse, bien intéressante, bien attachante... C’est un monde nouveau que j’ai découvert.[923].

Jean Baruzi.

L’iranologue Henry Corbin témoigne ainsi sur…

…Jean Baruzi qui suppléa Alfred Loisy au Collège de France, avant d’y devenir lui-même titulaire de la chaire d’Histoire des religions. Ses cours étaient suivis avec une fidélité passionnée par une pléiade d’étudiants, comptant parmi eux un bon nombre d’élèves de la Faculté de théologie protestante de l’époque. C’est lui qui nous révéla la théologie du jeune Luther, qui était alors à l’ordre du jour des recherches théologiques en Allemagne : puis, à la suite, les grands spirituels du protestantisme : Sebastian Franck, Caspar Schwenkfeld, Valentin Weigel, Johann Arndt, etc. Le maître ne dissimulait aucune des difficultés que rencontrait son exposé de première main, mais un flot de vie spirituelle les emportait toutes. C’était tout neuf, captivant. Je commençai à percevoir certaines consonances, comme l’appel d’un carillon lointain conviant à explorer les régions que couvre ce que je devais appeler plus tard « le phénomène du Livre saint ».  …il était impossible d’entendre la voie des Spirituels interprétés par Jean Baruzi, sans prendre la décision d’aller voir sur place. [...] Le cercle d’amis groupés autour des inséparables frères Baruzi était lui-même une invite à tenter les aventures de l’Esprit. Par leur immense culture, leur sens des valeurs les plus délicates, les plus subtiles, de l’art et de la vie, les deux frères étaient les témoins d’un autre siècle, éminemment représentatifs d’une Europe et d’une société européennes, disparues avec la première et la seconde guerre mondiale, et que nous n’avons pas réussi à refaire, fût-ce de loin, tant est obstinée et profonde l’emprise des démons et des possédés qu’a prophétisés Dostoïevsky. Il y avait chez eux, place Victor Hugo, des réunions fréquentes, outre les séances de « séminaire » que Jean Baruzi tenait chez lui et qui se prolongeaient fort tard dans la soirée. On rencontrait au nombre des participants toutes sortes de personnalités européennes inattendues. La présence de nos camarades allemands était toujours importante. Jean Baruzi donnait aux entretiens la tournure qu’ils auraient eue, s’ils s’étaient tenus dans le Weimar de Goethe. Il fut par excellence le professeur qui abolissait toute distance officielle entre le maître et l’étudiant. Seule subsistait celle de l’amitié déférente, une amitié qui allait grandissant d’année en année. »[924].

Baruzi a compris Jean de la Croix autant que cela est possible intellectuellement et son ouvrage reste le premier à lire sur ce maître. Il comprit aussi Fénelon et madame Guyon plus profondément qu’aucun érudit d’origine catholique ne pouvaient le faire à son époque compte tenu de l’ombre portée par la condamnation du quiétisme. Nous concentrant sur ce dernier point :

…la doctrine de Saint Jean de la Croix, en son affirmation essen­tielle (« l’amour est travailler à se dépouiller et dénuder pour Dieu de tout ce qui n’est pas Dieu... »), a été si profondément comprise par Fénelon, et aussi par madame Guyon, que l’on serait d’abord tenté de faire appel à eux pour la ressaisir [925].

Il cite Fénelon : 

Cette obscurité de la pure Foi ne donne par elle-même aucune lumière extraordinaire. Ce n’est pas que Dieu, qui est le maître de ses dons ne puisse y donner des extases, des visions, des révélations, des communications intérieures. Mais elles ne sont point attachées à cette voie de pure foy et les Saints nous apprennent qu’il ne faut point alors s’arrester volontairement à ces lumières extraordinaires, pour s’en faire un appui secret, mais les outrepasser, comme le dit le bienheu­reux Jean de la Croix, et demeurer dans la foi la plus nue et la plus obscure[926].

Puis Baruzi revient à Madame Guyon :

Plus encore que Fénelon qui, parlant de notre adhésion à Dieu, nous demande d’outrepasser « tout autre objet distinct » et ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne sou­tiendrait pas l’évidence de l’autorité, madame Guyon voudrait aller au-delà de toute donnée distincte ; elle songe à une immersion ; elle trouve « partout, dans une immensité et vastitude très grande, celui » qu’elle ne possédait plus, mais qui l’avait « abîmée en lui ». Et telle est la seule « extase » qu’elle juge « parfaite », extase qui ne « s’opère que par la foi nue, la mort à toutes choses créées, même aux dons de Dieu », lesquels « étant des créatures, empêchent l’âme de tomber dans le seul incréé ». On pourrait, plus profondément, dire qu’elle n’admet pas l’extase transitoire, mais accepte seulement une « extase permanente » ou absorption, en Dieu, de l’âme anéantie ». Madame Guyon estime qu’elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur « la voie de lumière distincte » et « la voie de la foi ». Elle sait « qu’il est de très grande conséquence d’empêcher les âmes de s’arrêter aux visions et aux extases ; parce que cela les arrête presque toute leur vie ». C’est sans doute encore l’influence de saint Jean de la Croix qu’elle subit, lorsqu’elle constate, avec la purification passive, un extrême élargissement de son expérience. « Sitôt que mon esprit fut éclairé sur la vérité de cet état », dit­-elle, « mon âme fut mise dans une largeur immense... Aupara­vant tout se recueillait et concentrait au-dedans, et je possédais Dieu dans mon fond et dans l’intime de mon âme ; mais après, j’en étais possédée d’une manière si vaste, si pure et si immense, qu’il n’y a rien d’égal. Autrefois, Dieu était comme enfermé en moi et j’étais unie à lui dans mon fond : mais après, j’étais comme abîmée dans la mer même ». Et elle explique ensuite comment, aux pensées qui se « perdaient » naguère « mais en manière aperçue » a succédé un complet oubli de nous-mêmes par nous­-mêmes et après que Dieu, écrit Fénelon, a « peu à peu arraché à l’âme tout son senti ou aperçu » [...] Fénelon et madame Guyon n’en sont pas moins les deux êtres qui, pour la pre­mière fois, ont donné à la doctrine de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique. Par eux, par madame Guyon surtout, une notion de la foi pure et de l’anéantissement intérieur s’est propagée au-delà de l’Église catholique et dans les groupes spirituels qui, s’ils n’ont sans doute pas connu profondément Jean de la Croix, l’ont du moins inséré dans une tradition de catholiques persécutés où il serait inexact de l’enfermer, mais d’où il serait non moins faux de l’exclure.

Ici Baruzi introduit une longue note et suggère un programme de recherche en continuité avec le nôtre :

Une étude historique concernant Poiret, Dutoit, le comte de Fleischbein, Charles-Hector de Saint-George de Marsay (cf. l’autobiographie inédite de ce dernier, conservée en Suisse aux Archives du château de Changins) et les ermi­tages tels que ceux qui furent créés par Poiret à Rheinsburg en 1688 ou, par Fleischbein, à Hayn, devrait s’appliquer à démêler ce qui, par delà l’influence de madame Guyon, rejoint saint Jean de la Croix lui-même [...]Jurieu lui-même [...]établit une distinction entre la mystique qui est un allé­gorisme et celle qui conduit à l’union avec Dieu. « d’essence à essence, sans images et sans milieu ». « Quand on en est, là » (à l’état de contemplation), écrit-il, « selon le Bienheureux Jean de la Cour » (sic), « la méditation devient un moyen bas et un moyen de boue. » (Id., p. 27). Dans un opuscule inédit de Marsay [...]il est fait allusion à la nécessité de la purification de la nuit obscure. / Une enquête de ce type aurait une portée générale. Elle conduirait celui qui l’entreprendrait à reconstituer un milieu spirituel encore ignoré…

Enfin il poursuit :

Il y a plus. Fénelon et madame Guyon ont nettement compris que saint Jean de la Croix est étranger à toute expérience qui ne renierait pas les révélations et les visions. Et, en effet, si unies qu’elles soient finalement, si parentes qu’elles soient aussi dans leur plus profond développe­ment, l’expérience de sainte Thérèse et celle de saint Jean de la Croix divergent. Que sainte Thérèse ait dépassé les paroles et les visions, elle n’en a pas moins combiné l’expérience ineffable et un langage divin qui s’articule. Peu importe ici que madame Guyon ait eu une expérience chargée de troubles pathologiques. Dans la mesure où elle a compris saint Jean de la Croix, elle adhère à une ligne idéale qui est la seule qui compte pour elle. Henri Delacroix a raison de dire, à propos du mysticisme de madame Guyon, que c’est à l’Église « de juger ce qui s’accorde ou non avec l’idée qu’elle se fait de la sainteté et de l’expérience chrétienne [Études, p. 240] ». Mais il a raison aussi de marquer que seul celui qui n’aurait pas lu attentivement « les mystiques approuvés, ou tout au moins, certains d’entre eux », pourrait « ignorer ce par quoi madame Guvon leur est semblable ». Ce sont les étrangetés du langage de madame Guyon et le drame de sa vie qui ont fait méconnaître le substrat de sa doctrine. De même et, inversement c’est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée et déformée que l’intuition fondamentale n’y est pas aisément discer­nable. Cette intuition, qu’on le veuille on non, est ressaisie de façon aiguë à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et madame Guyon, qu’elle qu’ait pu être la doctrine qui s’y ajoute et dont Jean de la Croix n’est nullement responsable. Cette doctrine est par elle-même de si grande portée, et si inattendu est le langage qui la recouvre, que nous n’avons pas le droit de percevoir, à travers le guyonisme on le fénelonisme, la pensée de Jean de la Croix. Mais il était indispensable de noter, à propos d’un exemple significatif, que la mystique de Jean de la Croix, plus intimement que toute autre expérience catholique, rejoint la vie spirituelle de ceux, à quelque confession qu’ils appartiennent et qu’ils soient ou non attachés à un dogmatisme déterminé, qui ont chassé de leur pensée toute représentation et même toute notion de Dieu et se sont perdus en une Foi qui, en un autre sens que la raison, mais aussi puissamment qu’elle, élimine les pensées médiocres, l’anthropomorphisme grossier, les puérilités, le con­tenu empirique arbitraire. Par là même, la doctrine de saint Jean de la Croix est liée, non seulement à l’histoire de la spiritualité et de la mystique, mais à l’histoire des idées religieuses et, plus généralement encore, à l’histoire de la pensée. L’état théopa­thique où nous serons conduits ne nous fera pas découvrir un Dieu à peine dégagé de l’expérience humaine. Quelles que puissent être par ailleurs leurs affirmations, ceux des mystiques qui, comme sainte Thérèse, ont eu un entretien avec un Seigneur, maître de leur activité, ordonnateur de leur pensée, se situent sur un autre plan et, en dépit d’eux-mêmes, sur un plan humain. Jean de la Croix voudrait instaurer en nous une vie divine, au sens strict du mot. Il est de ceux qui ont cru éprouver une expé­rience de l’infini et, selon la remarque de Fritz de Hügel [t. II, p. 343], peut être compté comme l’un des plus grands parmi ceux-là. C’est cette expérience qu’il faudrait surprendre à sa source et en nous fondant, pour remonter jusqu’à elle, sur les textes même, réfléchis en leur pureté native.

Louis Cognet

Disparu en 1970, ce grand défenseur de la vie spirituelle avait succédé à Bremond[927].  Il justifia Madame Guyon au sein du DS et par son mémorable Crépuscule des mystiques.

Madame Gondal

Prit le relais de Louis Cognet pour défendre Madame Guyon dans sa thèse L’Acte mystique, puis en éditant plusieurs ouvrages sur elle[928] et des découvertes dont le Récit des prisons.


 

DERNIERE SYNTHÈSE

L’école du cœur.

Cette lignée mystique naît autour du franciscain Jean-Chrysostome de Saint-Lô, passe par le laïc Jean de Bernières, le prêtre Jacques Bertot, Madame Guyon, se prolonge par l’intermédiaire du jésuite Caussade et par l’activité du pasteur Dutoit. Elle présente des ramifications, des influences croisées où interviennent Jean de Saint-Samson, Marie de l’Incarnation, la mère du Saint-Sacrement, Fénelon, Poiret. Ces noms et leurs associés d’une turba magna de moindre talent, ou n’ayant pas eu à rendre compte d’une expérience commune à tous, ne représentent qu’une infime minorité en comparaison de centaines de milliers de religieux qui peuplent le Grand siècle. On estime en effet à deux cent mille environ la population agrégée à un ordre vers 1640.

C’est dans un milieu spirituel élargi mêlant religieux et laïcs que nous avons tenté de retrouver quelques liens à l’aide de témoignages précis, en privilégiant des personnes et non les structures. La centaine de noms présents dans ces pages enrichit mais complique la structure linéaire que nous venons de rappeler au début du premier paragraphe. Elle devient un réseau inextricable, graphe non planaire ne pouvant être représenté simplement sur une page sans éviter des croisements entre liens. Un diagramme synchronique montre le chevauchement permettant les influences entre générations, ce qui réduit en général les différences d’âge à moins de vingt ans.

Pour la période récente, on n’a pas de preuve que la transmission de la grâce de cœur à cœur se soit poursuivie après la mort de Madame Guyon. Mais des disciples ont continué à se réunir en cercles très conscients de leurs sources. Ainsi, en 1769, J.-Ph. Dutoit, éditeur de son œuvre, fut l’objet d’une visite de la police de Berne, dont le procès-verbal de saisie de ses livres se limite, outre la Bible et l’Imitation, à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Madame Guyon, Poiret [929]. Cela ferme en quelque sorte deux siècles d’histoire.

Nous avons rappelé l’influence de l 'École sur des milieux très divers, par exemple dans le milieu maçonnique par l’intermédiaire du chevalier Ramsay ; L’Abandon à la Providence divine, œuvre préférée attribuée au jésuite Jean-Pierre de Caussade constitue une résurgence permise en milieu catholique - avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme - de la spiritualité de l’école [930]. Elle trouve aussi refuge dans les terres lointaines du Québec depuis Bernières, ou étrangères du protestantisme depuis Madame Guyon. L’œuvre de celle-ci et de ses prédécesseurs est connue des Quakers américains, de Wesley et des Méthodistes [931].

Cette tradition est capitale par le témoignage qu’elle donne de la primauté accordée à la vie intérieure et à l’expérience mystique, qui peut s’accompagner d’une pratique religieuse mais n’en dépend pas. Cette expérience personnelle n’a pas été vécue par des génies solitaires, mais dans des cercles amicaux réunis autour d’un père ou d’une mère spirituelle qui transmettaient la grâce de cœur à cœur. On devine des filiations de ce type chez des Pères du désert, dans le milieu où vécut Syméon le Nouveau Théologien, chez des franciscains, des béguines et chez Ruysbroek, au Carmel, pour ne citer que des exemples antérieurs au sein de cultures d’inspiration chrétienne ; mais les témoignages écrits font le plus souvent défaut.

Honoré de Sainte-Marie, carme contemporain de Madame Guyon, avait cette perception de l’histoire de la spiritualité, qu’il nous présente comme un torrent spirituel, jamais interrompu, et détaille, siècle après siècle, avec une érudition étonnante pour son époque, dans sa belle Tradition [...]sur la contemplation [932]. Puis le crépuscule de la vie mystique [933]  a vu, au sein du catholicisme, un développement étonnant de formes extérieures - culte marial, apparitions - dont beaucoup se détournent. Il est urgent de réhabiliter pleinement une filiation proposant un « christianisme intérieur » d’une grande sobriété. Certes elle a échoué à s’insérer dans le courant majoritaire, mais elle est parvenue à associer très tôt des catholiques à des protestants, et même à influencer des adeptes des Lumières.

§

   Nous avions annoncé un projet en quatre tomes. Finalement l'espace manque ! Nous ne pouvons en rester à ce tome IV où l'on voit mourir une belle vague sur le sable du XIXe siècle romantique. Un tome V est en gestation.

Le grand érudit et abbé Louis Cognet donna trop d’importance à l’heureux accident survenu à la fin du Grand Siècle en terre catholique en suggérant l’expérience mystique éteinte par la suite. Je ne partage pas le pessimisme du Crépuscule des mystiques[934], et proposerai un tome V constitué d’un choix de témoignages de mystiques ayant vécu depuis l’an 1700 : la mystique existe toujours. Autrefois, le fait vécu par une petite minorité au sein d’appartenances religieuses, mais celles-ci sont devenues minoritaires. A nos contemporains en recherche, des témoignages plus récents montreront que des ouvertures restent possibles à l'intérieur, mais aussi hors des religions.

 Les expressions du vécu intérieur « sans fond » sont diverses mais sont reliées à une même Source : celle-ci jaillit inopinément aujourd’hui comme hier.

 

 


 


 

Chronologie, Sources, Regroupements

Chronologie et sources.

Nous regroupons ici chronologiquement les principales dates dispersées au sein de notre étude en privilégiant les membres de l’école et leurs rencontres indiquées par un astérisque *. Les personnages sont ordonnés à la date de leur décès+. Des sources textuelles essentielles sont rappelées.

 

1226 + François d’Assise (1182-1226).

1401 Reconnaissance du Tiers Ordre Régulier [TOR] franciscain par le pape.

1510 + Catherine de Gênes (1447-1510), tertiaire franciscaine.

1540 + Angèle Mérici (~1474 - 1540), tertiaire franciscaine fondatrice de la compagnie de sainte Ursule.

1590 Vincent Mussart, qui assurera l’implantation du TOR en France et son compagnon Antoine tombent entre les mains de Suisses lors du siège de Paris.

1596 + Grégoire Lopez (1542-1596), ermite mystique mexicain.

1606 La règle de pénitence du père séraphique saint François pour les religieux de son troisième ordre…, Paris.

1612 * le jeune Jean-Chrysostome prend l’habit au couvent de Picpus après avoir consulté le sieur de la Forest.

1613 Losa, Vida que el siervo de Dios Gregorio Lopez hizo en algunos lugares de la Nueva Espana…, Mexico 1613 (sera traduite en français par le jésuite Conart, 1644 et 1656, puis dans les Œuvres diverses de Monsieur Arnauld d’Andilly, Paris, chez Pierre le Petit, 1675).

1628 + Joseph de Jésus Maria Quiroga (1562-1628), carme historien de l’ordre et défenseur de Jean de la Croix, auteur de la première Historia de la vida y vitudes del Venerable Padre Fray Juan de la Cruz, d’une Apologie mystique, d’une Subida del alma.

1628 + Miguel de Molinos (1628-1696), auteur de la Guià.

1628 + Antoine le Clerc, sieur de la Forest (1563-1628).

1636 + Jean de Saint-Samson (1571-1636) qui dirigea Maur de l’Enfant Jésus à son tour * influant sur madame Guyon par sa Correspondance ; cette dernière cite abondamment son maître Jean.

1638 + Falconi (1596-1638), mercédaire directeur dont la Lettre du Serviteur de Dieu est jointe au Moien court de madame Guyon, Rouen, 1690 ; Œuvres spirituelles, Aix, 1661.

1639 * Jean de Bernières accompagne Marie de l’Incarnation à Dieppe : « M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes… mais on lui conseilla de demeurer en France. »

1643 (autour de -) * Jean de Bernières est dirigé par le P. Chrysostome.

1643 * Catherine de Bar est dirigée par le P. Chrysostome.

1643 * Jean de Bernières rencontre Catherine de Bar.

1645 + Jourdaine de Bernières (1596-1645), supérieure en 1630 du couvent des ursulines de Caen construit avec l’argent de la famille.

1646 + Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), fut en 1634 Provincial de France du TOR. Auteur de Divers traités spirituels et méditatifs, 1651, de Divers exercices de piété et de perfection… (dont l’Exercice de la Sainte vertu d’Abjection), 1655.

1649 + Gaston de Renty

1649 + Gaston de Renty grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité fut ami de Jean de Bernières (qui lui succède à la tête de la Compagnie du Saint-Sacrement).

1650 (autour de -) * l’Ermitage accueille de nombreux disciples et amis de Jean de Bernières.

1653 * « quelques personnes de piété » consultent « sœur Marie » des Vallées « sur plusieurs difficultés qu’ils avaient touchant la voie par laquelle Dieu les faisait marcher. »

1655 Monsieur Bertot est confesseur du couvent fondé par Jourdaine à Caen.

1656 + Marie des Vallées (1590-1656), « Sœur Marie » est libérée de ses plus grandes épreuves intérieures depuis 1634. * « Mr. de Bernières, … Mr. Bertot, … l’allaient voir ordinairement une fois par an. »

1657 Chéron attaque Surin : il dénonçait les mystiques comme « donnant aux affections, passions, délectations et goûts spirituels ce qu'ils ôtaient à la raison et à la doctrine ».

1659 + Jean de Bernières (1602-1659). Le Chrétien Intérieur … publié en 1661 … atteint dès 1674 sa quatorzième édition.

1670 Monsieur Bertot affronte Jourdaine de Bernières.

1671 L'inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office une dénonciation d’une « nouvelle manière de faire oraison » prônée par la religieuse ursuline Marie Bon.

1672 + Marie de l’Incarnation (1599-1672) en Nouvelle France.

1673 * en relation avec Catherine de Bar, Archange Enguerrand est l’auteur d’une Instruction pour les personnes qui se sont unies à l'esprit et au dessein de la dévotion de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement.

1674 + Geneviève Granger (1600-1674) supérieure des bénédictines de Montargis, a soutenu la jeune madame Guyon et lui présenta Bertot.

1675 Monsieur Bertot devient confesseur des bénédictines de Montmartre.

1675 Première édition de la Guia espiritual de Molinos dont huit éditions italiennes voient le jour en dix ans.

1680 + Jean Eudes (1601-1680) ami de Jean de Bernières, missionnaire des campagnes.

1680 + la Mère Bon (1636-1680), contemplative ursuline, auteur d’un Catéchisme spirituel… associé à deux copies des Torrents.

1681 + Jacques Bertot (1622-1681), jeune * ami de Bernières ; forme un cercle spirituel parisien ; La conclusion des retraites où il est traité des degrés et des états différens de l’oraison, et des moyens de s’y perfectionner, Paris, 1684 ; Le directeur Mistique ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu M. de Bernières et directeur de Mad. Guion, Amsterdam, 1726.

1682 + Epiphane Louys (1614-1682), prieur d’étival en 1663, confesseur prémontré de Catherine de Bar. Conférences mystiques sur le recueillement de l’âme, Pour arriver à la contemplation du simple regard de Dieu par les lumières de la Foi, Paris, 1676.

1684 Madame Guyon passe par le port de Savone pour séjourner en Piémont.

1685 Madame Guyon, Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit ; Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson.

1685 Molinos est emprisonné le 18 juillet ; sa Guia sera condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre.

1686 Madame Guyon arrive à Paris.

1687 Molinos emprisonné depuis deux ans est officiellement condamné à Rome par la bulle Cœlestis Pastor. En même temps est condamné post-mortem Jean de Bernières.

1689 * L’abbé de Fénelon rencontre madame Guyon.

1689 + Jean Aumont (1608-1689) « pauvre villageois ». Le « bon frère Jean » disciple zélé du P. Chrysostome fut en relation assez étroite avec Catherine de Bar. Auteur de L’ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs…, 1660.

1690 + Maur de l’Enfant-Jésus (1614/15 – 1690)

1691 + Laurent de la Résurrection (1614-1691), frère convers * connu de Fénelon.

1696 + Dom Claude Martin (1619-1696) auteur de Conférences ascétiques en fait souvent mystiques. Il rédige peu avant sa mort un Traité de la contemplation où l'on explique l'oraison de simple regard et où l'on examine un livre [de Pierre Nicole] qui porte pour titre : Réfutation des principales erreurs des quiétistes…

1698 + Catherine de Bar (1614-1698) annonciade puis fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, auteur d’une belle et abondante Correspondance.

1699 + Archange Enguerrand (1631-1699) Le « bon religieux fort intérieur de l’ordre de Saint François » * formé par Jean Aumont, * déclare à la jeune madame Guyon :  «  vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. »

1699 Condamnation papale de l’Explication des Maximes des Saints (1697) de Fénelon et ainsi du quiétisme élargi aux « nouveaux mystiques » par le bref Cum alias. – Dom Claude Martin rédige dans ses derniers mois une Défense de l’Auteur du Moyen court qui restera manuscrite.

1702 + Henri-Martin Boudon (1624-1702) conserva la confiance et l’appui de Bernières.

1704 Publication des Torrens, 1ere partie in Opuscules spirituels, Amsterdam [par Poiret] ; puis en entier en 1712, 1720.

1708 + François de Montmorency-Laval (1623-1708) familier de l’Ermitage de Caen, premier évêque de Québec, reconstitue un Ermitage canadien.

1712 + Duc de Chevreuse (1656-1712)

1714 + Duc de Beauvilliers (1648-1714)

1715 + Fénelon (1651-1715), archevêque de Cambrai.

1715 Mort du P. La Combe (1640-1715), confesseur de madame Guyon, auteur d’un Traité sur l’Oraison mentale demeuré manuscrit.

1717 + Madame Guyon (1648-1717) en présence de plusieurs disciples écossais.

1717 Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Amsterdam.

1719 + Malaval (1627-1719), l’aveugle mystique de Marseille ; auteur d’une Pratique facile pour élever l’âme à l’oraison mise à l’index en 1688.

1719 + Pierre Poiret (1646-1719), grand éditeur des mystiques.

1720 La Vie de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Amsterdam. - Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même … avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Amsterdam.

1731 + Wolf von Metternich, représentant de la Prusse à Paris ; * Lettres savoureuses échangées avec madame Guyon peu après 1710.

1745 + Le marquis de Fénelon (1688-1745) * correspond avec madame Guyon peu après 1710. 

1751 + Jean-Pierre de Caussade (1675-1751), jésuite mystique auquel fut attribué le très guyonien Abandon à la Providence divine.

1774 + Friedrich von Fleichbein (1700-1774), animateur piétiste et quiétiste en relation avec Dutoit.

1793 + Jean-Philippe Dutoit-Mambrini (1721-1793) pasteur à Morges - Lausanne qui réédita madame Guyon et anima un cercle auprès duquel lui succèdera Pétillet.

1832 Derniers feux du cercle de Morges – Lausanne.

Regroupements

Sept groupes se succèdent (presque) chronologiquement. L’ensemble s’ordonne autour de la filiation : Jean-Chrysostome > Jean de Bernières > Jacques Bertot > Jeanne-Marie Guyon.

On souligne les influences parallèles directes sur Jeanne-Marie Guyon de la Mère Granger et d’Archange Enguerrand, cités dans la Vie, ainsi que de Maur de l’Enfant Jésus édité avec Jacques Bertot dans le Directeur mistique. La « sainte » Catherine de Bar était également appréciée. Jean de Saint Samson, qui était très antérieur à Madame Guyon, est l’auteur le plus cité dans les Justifications (suivi de près par deux grandes autorités antérieures : Jean de la Croix et Catherine de Gênes).

On relève l’origine franciscaine (groupe 1 : Tiers ordre régulier franciscain français) et l’influence parallèle de carmes (groupe 4 : Carmes de la réforme de Touraine).

L’école prend son essor au foyer mystique normand remarquable dès son origine par la forte contribution laïque de Bernières et Renty (groupes 2 & 3 : L’Ermitage de Caen et les Disciples de Jean de Bernières). Cet apport laïque devient suspect sous le très grand roi.

On note la solidité des amitiés qui ont lié tout au long de leurs vies (assez longues) les membres du groupe « quiétiste » avant, pendant, puis après la crise. Ensuite, les « guyoniens » franchiront allègrement les frontières politiques et religieuses. Ils se cacheront parfois (Caussade). Il est commode de distinguer les « cis » et les « trans » en reprenant l’appelation adoptée par J.-M. Guyon dans sa correspondance.

Groupe 1

Tiers ordre régulier franciscain français

1563 La Forest (Antoine le Clerc) 1628

1594 Jean-Chrysostome de St Lô 1646 

Groupe 2

Ermitage de Caen

1588 Jean-Baptiste de St Jure 1657

1590 Marie des Vallées 1656

1596 Jourdaine de Bernières (mère de Ste Ursule) 1670

Michelle Mangon (Ursule de la Conception) 1660

1599 Marie de l’Incarnation (du Canada) 1672

1601 Jean Eudes 1680

1602 Jean de Bernières 1659

1611 Gaston de Renty 1649

Groupe 3

Disciples de J. de Bernières

1614 Catherine de Bar (mère du St Sacrement) 1698

1614 Louys Epiphane 1682

1620 Jacques Bertot 1681

1624 Henri Boudon 1702

Mère Granger

Jean-François d’Argentan

Paulin d’Aumale

1608 Jean Aumont 1689

1631 Archange Enguerrand 1699

Groupe 4

Carmes de la réforme de Touraine

1571 Jean de St-Samson 1636

Maur de l’Enfant-Jésus 1690

Groupe 5

Le groupe « Quiétiste »

1636 Mère Bon (Dauphiné) 1680

1640 La Combe (Italie) 1715

1648 Jeanne-Marie Guyon 1717

1651 Fénelon 1715

Les ducs (Chevreuse, Beauvilliers, Mortemart, Gramont)

Groupe 6

Les guyoniens « cis » en France catholique

Le marquis de Fénelon, Dupuy, Ramsay

1656 Mère de Bassompierre (Meaux, Nancy)

1675 Caussade 1751 (...Ramières)

Groupe 7

Les guyoniens « trans » en Europe protestante

Ecossais

1646 Poiret 1719 (...Tersteegen ...Kierkegaard)

Suisses (...1707 Wesley 1788 et Méthodistes ...1721 Dutoit 1793 et Lausanne)

Allemands (Metternich, Fleischbein)

 

 

 

Alternativement on peut regrouper par hiérarchies d’importance en (1) une filiation, (2) les amis de suprême influence, enfin (3) l’ensemble des figures qui furent en contact avec madame Guyon (cet ensemble ou groupe en relation n’a jamais été exploré en incluant des figures « secondaires ») :

Une filiation :

Tiers Ordre Régulier franciscain

> ANTOINE LE CLERC, Sieur de la Forest (1563-1628)

> CHRYSOSTOME DE SAINT-LO (1594-1646)

> Jean de BERNIERES (1602-1659)      

> Jacques BERTOT (1620-1681)

> Madame GUYON (1648-1717)

Des amis :

MARIE DES VALLEES (1590-1656) > Bernières et membres de l’Ermitage

MARIE DE L’INCARNATION [Guyart](1599-1672) <> Bernières

CATHERINE DE BAR (1614-1698) < Bernières

MAUR DE L’ENFANT-JESUS (1617/18-1690) < Jean de Saint-Samson (1571-1636)

ARCHANGE ENGUERRAND (1631-1699) < Jean Aumont (1608-1689) < Bernières

En contact avec madame Guyon :

Classement alphabétique :

ALLEAUME Gilles (1641-1706), jésuite [inquiété pour quiétisme]

BETHUNE Armand II duc de-, duc de Charost (1663-1747) [du « petit troupeau » (Saint-Simon)]

BETHUNE-CHAROST Nicolas de- (1660-1699) [« l’aumônier des Michelins »]

BOUVIER Dom Grégoire (-1698), chartreux [demi-frère de madame Guyon]

DESKFORD James Ogilvie, Lord- (1690-1764) [prison d’Edimbourg, vie utile]

Duc de BEAUVILLIER Paul de Beauvillier (1648 ?-1714) [lié à Fénelon ; gouverneur du duc de Bourgogne ; ministre des finances]

Duc de CHEVREUSE Charles-Honoré d’Albert (1656-1712) [petites-écoles de Port-Royal, conseiller voire factotum de madame Guyon]

Duchesse de BEAUVILLIER Henriette-Louise Colbert (1655 ?-1733) [auditrice de M. Bertot ; se serait éloignée de madame Guyon ?]

Duchesse de CHAROST Marie Foucquet (1641 ?-1716) [rencontre de Beynes ; « la grande âme du petit troupeau » (Saint-Simon)]

Duchesse de MORTEMART Marie-Anne Colbert (1665-1750) [la « petite duchesse » pourrait avoir succédée à madame Guyon ?]

DUPUY ou DU PUY Isaac (-apr.1733) [« put[eus] », Gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne ; copiste de la correspondance Guyon]

FENELON François de- (1651-1715) [précepteur du duc de Bourgogne, Archevêque de Cambrai et vrai pasteur] 

FORBES James, 16th Lord- (1689-1761) [l’un des trois Forbes lié au quiétisme ; présent à la mort de madame Guyon]

FOUQUET Gilles (1637-1674), « l’écuyer » [frère dévôt du Surintendant, intime de madame Guyon]

GAUMONT Gabriel de- [abbé « homme d’une pureté admirable » (madame Guyon)]

GRAMONT duchesse de-, Marie-Christine de Noailles, (1672-1748) [pourrait succéder à madame Guyon selon le Supplément à la Vie, 1011]

GRAMONT Elisabeth Hamilton comtesse de- (1640 ?-1708) [« tout  à fait dans la dévotion » (Danjeau)]

LA PIALIERE, Durand de- [le « Gentilhomme normand » à Popaincourt, Blois ; copiste de la correspondance Guyon]

LACOMBE François (1640-1715), banabite [confesseur et confident ; 28 ans de prisons…]

LAVAU Marie de- dite « Famille » (~1645- ?) [8 ans à Vincennes…]

LE PICARD, Françoise-Elisabeth (1621-1705) [Mère de la Visitation de Meaux]

MAISONFORT Marie-Françoise Silvine de la- (1663-apr.1717) [cousine de madame Guyon, maîtresse à St-Cyr puis disgraciée]

MARC Françoise (~1660- ?) [« la chère petite Marc » (Mère Le Picard) « a l’esprit très fin » (La Reynie)]

MARQUIS de Fénelon (1688-1746)       

METTERNICH Wolf von- (-1731) [diplomate, ami de Poiret, alchimiste]

MIRAMION Marie de-(1629-1696) [supérieure des Filles de la Providence]

MORSTEIN madame de- [fille du duc de Chevreuse, époux tué au siège de Namur en 1695]

PAULIN D’AUMALE, Provincial du TOR franciscain [du couvent de Nazareth ; déposition rétractée]

POIRET Pierre (1646-1719) [pasteur et éditeur]

RAMSAY André-Michel (1686-1743) [« chevalier » écossais, secrétaire de madame Guyon, « gardien » de Fénelon, maçon]

RICHEBRACQUE Dom Nicolas- (1666-1704), prieur bénédictin [près de Grenoble ; déposition en faveur de madame Guyon ; ami de Fénelon]

RIPA Vittorio Augustin (-1691), Mgr évêque de Verceil [à Jesi avec Petrucci ; à Verceil avec Lacombe et madame Guyon en 1686]

ROUXEL Maurice [curé de Dijon charge madame Guyon pour se disculper]

Classements chronologiques :

1621 LE PICARD, Françoise-Elisabeth (1621-1705) [Mère de la Visitation de Meaux]

1629 MIRAMION Marie de-(1629-1696) [supérieure des Filles de la Providence]

1637 FOUQUET Gilles (1637-1674), « l’écuyer » [frère dévôt du Surintendant, intime de madame Guyon]

1640 GRAMONT Elisabeth Hamilton comtesse de- (1640 ?-1708) [« tout  à fait dans la dévotion » (Danjeau)]

1640 LACOMBE François (1640-1715), banabite [confesseur et confident ; 28 ans de prisons…]

1641 ALLEAUME Gilles (1641-1706), jésuite [inquiété pour quiétisme]

1641 Duchesse de CHAROST Marie Foucquet (1641 ?-1716) [rencontre de Beynes ; « la grande âme du petit troupeau » (Saint-Simon)]

1646 POIRET Pierre (1646-1719) [pasteur et éditeur]

1648 Duc de BEAUVILLIER Paul de Beauvillier (1648 ?-1714) [lié à Fénelon ; gouverneur du duc de Bourgogne ; ministre des finances]

1651 FENELON François de- (1651-1715) [précepteur du duc de Bourgogne, Archevêque de Cambrai et vrai pasteur]        

1655 Duchesse de BEAUVILLIER Henriette-Louise Colbert (1655 ?-1733) [auditrice de M. Bertot ; se serait éloignée de madame Guyon ?]

1656 Duc de CHEVREUSE Charles-Honoré d’Albert (1656-1712) [petites-écoles de Port-Royal, conseiller voire factotum de madame Guyon]

1660 BETHUNE-CHAROST Nicolas de- (1660-1699) [« l’aumônier des Michelins »]

1663 BETHUNE Armand II duc de-, duc de Charost (1663-1747) [du « petit troupeau » (Saint-Simon)]

1663 MAISONFORT Marie-Françoise Silvine de la- (1663-apr.1717) [cousine de madame Guyon, maîtresse à St-Cyr puis disgraciée]

1665 Duchesse de MORTEMART Marie-Anne Colbert (1665-1750) [la « petite duchesse » pourrait avoir succédée à madame Guyon ?]

1666 RICHEBRACQUE Dom Nicolas- (1666-1704), prieur bénédictin [près de Grenoble ; déposition en faveur de madame Guyon ; ami de Fénelon]

1672 GRAMONT duchesse de-, Marie-Christine de Noailles, (1672-1748) [pourrait succéder à madame Guyon selon le Supplément à la Vie, 1011]

1686 RAMSAY André-Michel (1686-1743) [« chevalier » écossais, secrétaire de madame Guyon, « gardien » de Fénelon, maçon]

1688 MARQUIS de Fénelon (1688-1746)

1689 FORBES James, 16th Lord- (1689-1761) [l’un des trois Forbes lié au quiétisme ; présent à la mort de madame Guyon]

1690 DESKFORD James Ogilvie, Lord- (1690-1764) [prison d’Edimbourg, vie utile]

Hors dates de naissance :

BOUVIER Dom Grégoire (-1698), chartreux [demi-frère de madame Guyon]

DUPUY ou DU PUY Isaac (-apr.1733) [« le cher put[eus] » (Fénelon), Gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne ; copiste de la correspondance Guyon]

GAUMONT Gabriel de- [abbé « homme d’une pureté admirable » (madame Guyon)]

LA PIALIERE, Durand de- [le « Gentilhomme normand » à Popaincourt, Blois ; copiste de la correspondance Guyon]

LAVAU Marie de- dite « Famille » (~1645- ?) [8 ans à Vincennes…]

MARC Françoise (~1660- ?) [« la chère petite Marc » (Mère Le Picard) « a l’esprit très fin » (La Reynie)]

METTERNICH Wolf von- (-1731) [diplomate, ami de Poiret, alchimiste]

MORSTEIN madame de- [fille du duc de Chevreuse, époux tué au siège de Namur en 1695]

PAULIN D’AUMALE, Provincial du TOR franciscain [du couvent de Nazareth ; déposition rétractée]

RIPA Vittorio Augustin (-1691), Mgr évêque de Verceil [à Jesi avec Petrucci ; à Verceil avec Lacombe et madame Guyon en 1686]

ROUXEL Maurice [curé de Dijon charge madame Guyon pour se disculper]

 

Cercles :

Cambrai : [autour de Fénelon]

Lausanne (Morges près de-) : [dont l’abbé de Wattenville]

Lourdes : [formé par Lacombe ; dont l’aumônier Lasherous, Jeannette de Pagès Pradère]

Rijnburg : [autour de Poiret, dont les frères Otto et Jodocus Homfeld]

Seurre près Dijon : [curés Quillot et Robert]

 

Figures liées :

1636 BON Marie (1636-1680), ursuline [auteur d’un Catéchisme spirituel ; sujet d’un rêve de madame Guyon]

1660 BEAUMONT Pantaléon de- (1660-1744) [grand vicaire à Cambrai auprès de Fénelon]

1697TERSTEEGEN Gérard (1697-1769) [Théologien et spirituel protestant, lié par Poiret]

1700 FLEISCHBEIN (1700-1774) [lié par sa femme présente à Blois ; baron de Pyrmont ; austère séjour décrit par Karl-Philipp Moritz]

Charlotte de SAINT-CYPRIEN [Guichard de Péray](-1747], carmélite [dirigée par F. de Fénelon ; en relation en 1733 avec le marquis de Fénelon]

 

Tableaux

Dominent l’école mystique normande de Caen (tableaux I-II), puis l’école parisienne autour de Montmartre (tableaux II-III). La chaîne de transmission principale passe par Jean-Chrysostome de Saint-Lô – Jean de Bernières – Jacques Bertot – Madame Guyon[935].

Les figures importantes sont juxtaposées horizontalement selon leurs affinités, et verticalement selon les dépendances. Tous ne peuvent prendre place ! L’adoption de tableaux à cases jointives rectangulaires ou « damier » à deux axes de symétrie impose de très fortes contraintes, par le choix imposé de proximités immédiates à gauche ou à droite ou d’influences accolées de haut en bas.

Nous avons présenté toutes ces relations en cinq tableaux suivis d’une table synchronique faisant lien entre eux en rendant compte du recouvrement des influences dans le temps.

 

 

 

Vincent de Paris

Tiers Ordre Régulier  

en 1595

 

 

 

 

Antoine

 Le Clerc,

« Sieur de la Forest »

1563-1628

 

 

Geneviève Granger

1600-1674

J.-B. de

Saint-Jure

1588-1657

Dom Quinet

1595-1665

Jean-Chrysost.

de Saint-Lô 

1594-1646

Marie des

Vallées

1590-1656

Marie de l’Incarn. du Canada

1599-1672

Charlotte le Sergent

1604-1677

 

 

 

 

Louys Épiphane

1614-1682

 

Jean Eudes

1601-1680

 

Gaston de Renty

1611-1649

 

Mectilde

de Bar

1614-1698

 

Jean de Bernières

1602-1659

fonde l’Ermitage

Ursulines 

de Caen

Jourdaine de B

1596-1670

Michèle Mangon

~1600-1660

Capucins

J.-F. d’Argentan

1615-1680

Paulin d’Aumale,

TOR  ~1694

 

Querdu Le Gall

1633-1694

 

Jean

Aumont

?-1689

Archange

Enguerrand

1631-1699

Jacques

 Bertot

1620-1681

(Ursulines  

Caen

Bénédictines 

Montmartre)

Henri Boudon

1624-1702

Blouet

de Camilly

1632-1711

 

Mgr

de Laval

1623-1708

 

I. Mystiques assemblés autour de Jean de Bernières

 

 

 

Tiers Ordre Régulier Franciscain et groupe de l’Ermitage

 

Quiétistes

Michelle

 Mangon

(1)

-1660

1590

Marie

des Vallées

1656

1594

Père

Chrysostome

de Saint-Lô

1646

 

 

 

1628Miguel 

de Molinos

1696

1599

Marie de l’Incarnation

 (du Canada)

1672

1596

Jourdaine de

Bernières

1670

1602

Jean de

Bernières

1659

1608       

Jean

Aumont

(4)

1689

1636

Mère

Bon

1680

1614

Catherine 

de Bar

(2)

1698

1600

Geneviève

Granger (3)

1674

1620

Jacques

Bertot

1681

1631

Archange

Enguerrand

1699

Mgr Ripa

-1691

Cal Petrucci

-1701

 

 

1648

Madame

Guyon   

1717

 

1641

Père

Lacombe

1715

 

II. Mystiques influents sur madame Guyon

 

 

Équivalences qui ne trouvaient pas leur place dans les cases : (1) = Ursule de la Conception, (2) = Mère du Saint-Sacrement, (3) = Mère de Saint Benoît, (4) = « Le vigneron de Montmorency ».

 

 

III. Influence exercée par madame Guyon en France

Date

approx. d’activité

Disciples français dit ‘Cis’ (milieux catholiques)

 

 

1690

1648

Jeanne-Marie

Guyon   

1717

1651 

François de

Fénelon 

1715

 

Familles 

Chevreuse 

Beauvillier

Mortemart

 

Mère de 

Bassompierre

 a)

 

1730

(Influence)

M.-C.de Noailles

 f)

[…] (1)

Marquis

de

Fénelon

 e)

 

Dupuy

[…]

(5)

1675

Jean-Pierre 

de Caussade

1751

 

 

La première rangée correspond à des liens établis à partir du cercle de Bertot, élargi avant les enfermements. L’on y trouve Fénelon, les ducs et duchesses dont se détache le Duc de Chevreuse qui assura avec la duchesse de Mortemart la liaison avec le monde extérieur dans les plus grandes périodes de difficultés ; Dupuy et M.-C. de Noailles devraient y figurer, mais leurs longues vies leur a permis d’influer fortement sur la seconde génération, celle des liens établis à Blois, mêlant cis et trans, ce qui justifie leur position dans la deuxième rangée. Cette dernière correspond à une génération qui n’a pas toujours connue directement Madame Guyon.

 

IV. Influence exercée par madame Guyon à l’étranger

Disciples étrangers dit ‘Trans’ (milieux protestants)

 

 

1646

Pierre Poiret

1719

 

Allemands 

Berlebourg

Pyrmont

P. d’Eschweiler

Metternich

Fleischbein d)

Suisses 

Lausanne

 Monod

[…] (3)

(Warens,

Rousseau)

Hollande

Rijnsburg

Wettstein 

Homfeld

Tersteegen

 b)

Ecosse.

Garden(s)  

Forbes

Deskford

 […] (2)

Ramsay c)

(Maçons)

(Moritz,

 Goethe)

1721

Dutoit     

1793 (4)

Klinkowström

Pétillet

Langalerie

Constant

1837

 

 

 

 

 

 

(Danois)

(Kierkegaard)

Wesley

 

 

(Etats-Unis)

(Méthodisme)

 

 

 

Les individus sont ici regroupés par zone géographique parce que le cercle essaime sur l’Europe entière.

La dernière rangée indique des influences tardives. Elle inclut des figures importantes au tournant de l’époque romantique (mises entre parenthèses lorsque ces influences ne sont pas prouvées de manière décisive).

§

Les notes des tableaux III et IV associent des équivalences, des noms associés, des dates : (1) = la comtesse de Guiche puis duchesse de Gramont, (2) = Forbes de Pitsligo, Fissec, Hugues…, (3) = Monod, Watteville, Mlle de Penthez…, (4) = autres disciples …, (5) = Dupuy, La Pialière, Cathoz… a) = 1656-1734   b) = 1697-1769  c) = 1686 -1743  d) = 1700-1774  e) = 1688-1746  f) 1672-1748.

 

 

 Date

 

 

Carmes

déchaux d’Espagne

 

Carmes

de la réforme

de Touraine

 

Capucins & bénédictins

 

1600

 

 

1562

Benoît  de

Canfield

1610

 

 

1625

 

1571       

Jean de

Saint-Samson

1636

 

 

 

1650

 

 

Marie

de Beauvilliers

1657

 

 

 

1675

1614

Laurent de la

Résurrection

1691

1617/8

Maur de

l’Enfant-Jésus

1690

 

Françoise-Renée

de Lorraine

1682

 

1700

 

 

 

 

 

 

 

V. Carmes, capucins et bénédictines influents

 

 

On distinguera (1) les carmes  déchaux auxquels se rattache Laurent de la Résurrection, apprécié et connu de Fénelon, (2) les carmes de la réforme de Touraine menée spirituellement par Jean de Saint-Samson, dont Maur de l’Enfant-Jésus est disciple correspondant et directeur de la jeune Madame Guyon. Jean est cité très abondamment dans les Justifications (en « compensation » de Bernières qui souffre déjà d’une condamnation post-mortem),  (3) des Capucins et bénédictins : l’abbaye de Montmartre bénéficie de la réforme soutenue par Benoît de Canfield, capucin ; Bertot y sera confesseur auprès de F.-R. de Lorraine qui éditera un de ses ouvrages


VI. Table synchronique de quelques mystiques nés entre 1590 et 1651.

           

 1590            1600           1610             1620            1630            1640            1650            1660            1670            1680           1690            1700            1710            1720  

  01234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234567890    

1590___________Marie des Vallées_____________________________________1656

    1594________JEAN-CHRYSOSTOME___________________1646

        1596____ __Jourdaine de Bernières (Mère de Ste Ursule)__________________________1670

              1599______Marie de l’Incarnation [du Canada]_________________________________1672

                  1601_____Jean Eudes_________________________________________________1670     

                      1602_____Jean de BERNIERES___________________________1659

                                     1611________Gaston de Renty___________1649

                                            1614__________Catherine de Bar (Mectilde du St Sacrement)__________________________________1698

                                                         1620__________Jacques BERTOT________________________________1681

                                                                            1631_______Archange Enguerrand________________________________________1699

                                                                                                   1640__________P. La Combe_______________________________________________1715

                                                                                                              1646__________Pierre Poiret_____________________________________________1719

                                                                                                               1648__________Jeanne-Marie GUYON___________________________________1717

                                                                                                                      1651__________Fénelon_________________________________________1715

 

              1590             1600            1610            1620            1630           1640           1650            1660            1670            1680            1690             1700            1710           1720  

      01234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234567890123456789012345678901234


 

 

VII. Liste chronologique des principaux amis de l'Ermitage.

La plupart étaient mystiques. En italiques figurent les noms de ceux dont les attaches franciscaines sont certaines.  Par ordre de naissance : 

 Marie des Vallées (1590-1656), la « sainte de Coutances »

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) du TOR, « notre bon Père »

Jourdaine de Bernières (1596-1645), proche éditrice de son frère

Marie de l’Incarnation (1599-1672), apôtre du Canada

Jean Eudes (1601-1680), canonisé et fondateur des eudistes

Jean de Bernières (1602-1659), du Tiers Ordre séculier, créateur de l’Ermitage

Jean Aumont (1608-1689), « le vigneron de Montmorency » du TO

Gaston de Renty (1611-1649), ami de Bernières

Catherine de Bar (1614-1698), annonciade puis « Mère du Saint-Sacrement », bénédictine fondatrice.

Louis-François d’Argentan (1615-1680), capucin, éditeur co-rédacteur du Chrétien intérieur.

Jacques Bertot (1620-1681) prêtre, confident de Bernières, discret « passeur mystique » de Caen à Montmartre, père spirituel de Madame Guyon.

François de Montmorency Laval (1623-1708), canonisé, premier évêque de Québec, fondateur d'un séminaire et du nouvel Ermitage.

Henri Boudon (1624-1702), du TO séculier (?), auteur abondant[936]

Paulin d’Aumale (– apr. 1694), du TOR.

Archange Enguerrand (1631-1699), récollet, « le bon franciscain » rencontré par la jeune madame Guyon.

VIII. Liste de proches de Mme Guyon et de Fénelon

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699 & Mère Granger 1600-1674

Françoise d’Aubigné marquise de Maintenon 1635-1719

François Lacombe 1640-1715

Duch.de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

   x Arnaud de Béthune 1640-1717 >Nicolas de B.-Charost 1660-1699

Comtesse de Gramont [née Hamilton] 1640-1708

Mme Guyon 1648-1717

Paul de Beauvillier 1648-1714

   x Duch.de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

  >Vidame d’Amiens 1676-1744 & Marie-Thérèse de Morstein

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712

   x Duch.de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart -1750 [née Colbert]

Marie-Françoise-Silvine de la Maisonfort  1663->1717

Isaac Dupuy >1737

Marie-Christine de Noailles, duch.de Gramont ‘la colombe’ 1672-1748

   x A. de Gramont comte de Guiche

James 16th Lord Forbes 1689-1761 & Lord Deskford 1690-1764 

Liste de proches de François de Fénelon

(Nous omettons de très nombreux correspondants et relations)

Louis Tronson 1622-1700

Jean-Baptiste Bossuet 1627-1704

François de Fénelon 1652-1715

Gabriel de la Cropte de Chanterac -1715

François A. de Langeron 1658-1710

Pantaleon de Beaumont 1660-1744

Marquis de Fénelon 1688-1746

 

IX. Bibliographie

I. Dominique & Murielle Tronc.

 

Cet ouvrage rendant compte d’une activité éditoriale principale entreprise depuis ma découverte de Mme Guyon comme la figure mystique essentielle tardive dans un siècles devenu mystiquement étroit, j’y adjoins cette bibliographie en liste distincte de la générale qui suit. Elle est ici distribuée par figure mystique.  

Elle allège de très nombreuses références données en notes supra en couvrant les principaux membres du réseau étudié dans l’ouvrage. Car j’ai progressé depuis 1995 en opérant par contigüité : d’abord Mme Guyon, puis la filiation assurée par ses aînés mystiques et ses associé(e)s, enfin et récemment par retour sur des figures proches moins étudiées (sauf Fénelon).

Armelle Nicolas

[repérée et appréciée par Poiret]

[2012] Armelle Nicolas Témoin du Pur Amour, Le Triomphe de l’Amour divin dans la vie d’une grande servante de Dieu, Texte présenté par Dominique et Murielle Tronc, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2011, 519 p.

Benoît de Canfeld

[franciscain capucin apprécié par tous]

[2009] Benoît de Canfield, La Règle de perfection, Quinze chapitres de De la volonté de Dieu essentielle, d’après la première édition, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 170 p. [Troisième partie de la Reigle collationnée sur le ms. de Troyes.]

Constantin de Barbanson

[Mme Guyon lui accorde une place importante dans les Justifications]

[2014] Constantin de Barbanson, I, Les Secrets sentiers de l’Esprit divin, manuscrit précédant les Secrets sentier de l’Amour divin, Introduction et annotations par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 364 p. [le ms. …de l’Esprit divin est une source très spontanée qui diffère largement du volume publié Secrets sentiers de de l’Amour divin]

[2014] Constantin de Barbanson, II, Les Secrets sentiers de l’Amour divin, Ouvrage publié à Douai en 1629, Oeuvre mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 350 p.

[2014] Constantin de Barbanson, [III & IV] Anatomie de l’âme, Première partie comportant vingt-deux chapitres, Depuis le commencement de la vie spirituelle, jusqu'à l'état expérimental de la grâce supernaturelle. Deuxième partie, Il y a encore une seconde Anatomie à passer selon l'être de la déiformité, après la mort de la propriété. Oeuvres mystique annotée par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 407 p. [L’Anatomie de l’âme est un ouvrage très rare réédité la première fois comme défense et illustration de la pratique mystique.]

[2014] Constantin de Barbanson, V, Anatomie de l’âme, Troisième partie comportant quatre Traités, Comment l’âme qui est parvenue à l’état de la perfection se doit comporter pour faire progrès…, Présentation et notes par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Constantin de Barbanson », 2014, 346 p.

Dominique de Saint-Albert

[ Le meilleur disciple de Jean de Saint-Samson si souvent cité dans les Justifications ]

[en préparation, ouvrage associé] Dominique de Saint-Albert, Œuvres mystiques, fr. Klaus & D. Tronc.

Dominique & Murielle Tronc

[2003] D. Tronc, « Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon », XVIIe siècle, PUF, n°1-2003, 95-116. [Wikipedia, article révisé sur Madame Guyon, présente un lien vers cairn.be (la distribution électronique Cairn pour les éditions des Presses Universitaires de France) qui reproduit « Une filiation… » - par ailleurs traduit  in Recherchen XXVI, Benediktinerinnen, « Weitergabe eines mystichen Erbes… », Köln 2008.]

[2004] D. Tronc, « L’expérience ‘quiétiste’ de Madame Guyon », Mélanges Carmélitains, Téqui éd., vol. 2 (2004), 349-395. [Florilège].

[2004] D. Tronc, « Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les Chartreux », Transversalités, Inst. Cath. de Paris, n°91, juillet-septembre 2004, 121-149. [Repris partiellement en 2009, Les années d’épreuve…, « Annexes, Le procès des mœurs », 450-462.]

[2004] D. Tronc, « Un mystique réformateur des carmes, Jean de Saint-Samson (1571-1636) », Carmel, n°112, juin 2004, 71-83. [Florilège].

[2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident I. Des Origines à la Renaissance, Editions Les Deux Océans, 2012, 344 p. [guide & florilège introduisant aux principales figures mystiques de la Tradition chrétienne.]

[2012] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident II. L’invasion mystique en France des Ordres anciens, Editions Les Deux Océans, 2012, 378 p.

[2014] D. Tronc, Expériences mystiques en Occident III. Ordres nouveaux et Figures singulières. Editions Les Deux Océans. ~394 p.

[2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, Récollets) – Tome II. Florilège de figures mystiques de la réforme Capucine. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 367 p. + 400 p.

 [2014] D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siecle. Tome III. Un grand siècle franciscain à Paris [Pierre Moracchini] & Nécrologe capucin - Le franciscanisme et l’invasion mystique [Jean-Marie Gourvil] - Figures mystiques féminines, Minimes, Un regard sur les héritiers - Tables. Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

[2015] Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce [Filiations et amis, directions mystiques, membres du cercle normand, Marie de l’Incarnation, liens et documents]

[2016] François d’Assise vu par ses disciples, un choix de sources, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce.

[En préparation] François Lacombe, Œuvres et Correspondance avec Mme Guyon, dossier assemblé par D. Tronc, en cours.

[En préparation] Cercles de la Quiétude au Grand Siècle, Disciples et proches de Mme Guyon, dossier assemblé par D. Tronc, en cours.

[En préparation] Ecoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de Mme Guyon & influences, dossier assemblé par D. Tronc, en cours.

[En préparation] Expériences mystiques en Occident IV. Une Ecole du Cœur, par Dominique et Murielle Tronc, Editions Les Deux Océans. [principales figures d’une filiation mystique : figures franciscaines, monsieur de Bernières, monsieur Bertot, madame Guyon et Fénelon, disciples au siècle des Lumières, influences récentes.]

[En préparation] Expériences mystiques en Occident V. Des Lumières à nos jours, par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce [présentations chronologiques de figures mystiques appartenant aux grandes Traditions ou se situant hors des cadres religieux.]

Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, Un choix d’extraits établi par Dominique Tronc, 2015, 363 p., HC.

François d’Assise

[leur père à tous via Chrysostome de Saint-Lô…]

[2016] François d’Assise vu par ses disciples, un choix de sources, dossier assemblé par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce. [« Du commencement de l’Ordre, Légende des trois compagnons, Compilation d’Assise, Témoignages issus des Actes », reprises de l’éd. du VIIIe centenaire] [double, v. sous D. Tronc].

François de Fénelon

[2006] François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques ou Le Gnostique de Clément d’Alexandrie, présentation par Dominique et Murielle Tronc, « Les carnets spirituels », Paris, Arfuyen, 2006, 216 p. [Le Gnostique, précédemment publié par Dudon, revu et corrigé sur le ms. des Archives de Saint-Sulpice.]

[2015] La Direction de Fénelon par Madame Guyon, Correspondance présentée et éditée par Murielle et D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 504 p.

[2015] Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, hors-commerce. 457 p. [« Une rencontre mystique », bref extraits des « Œuvres et opuscules, » large choix de « Lettres de direction » par destinataires].

[En saisie] Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique, [Les Justifications préparées en 1694 à l’occasion du « procès » d’Issy.] [double, v. aussi sous Madame Guyon]

François Lacombe

[En préparation] François Lacombe, Œuvres et Correspondance avec Mme Guyon, dossier. [double, v. aussi sous D. Tronc]

Jean de Bernières

[2009] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009, 200 p. [septième livre du Chrétien intérieur et « Lettres à l’Ami intime ».]

[2011] Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011, 518 p.

[2013] « Jean de Bernières, son influence sur l’histoire de la spiritualité », 381-421, & « Des éditions anciennes aux éditions contemporaines », 583-588, in : Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. « Mectildiana »,  Editions Parole et Silence, 2013, 594 p. [ce collectif assemblé par J-M. Gourvil & D. Tronc regroupe les contributions de dom T. Barbeau, J. Dickinson, J.-M. Gourvil, I. Landy, dom J. Letellier, B. Pitaud, J. Racapé, dom E.de Reviers, D. Tronc, A. Valli.]

[en préparation, ouvrage associé] Jean de Bernières, Œuvres Mystiques II, Correspondance, Edition critique présentée par le P. Eric de Reviers, [Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques » ou coll. « Mectildiana »,  Editions Parole et Silence ou lulu.com]

Jean de Saint-Samson

[Largement cité dans les Justifications ; compenserl’absence obligée de Jean de Bernières]

[2012] Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, Edition critique présentée par D. Tronc avec une étude par Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2012, 607 p.

[En préparation et en cours de saisie pour les lettres] Jean de Saint-Samson, Le Cabinet mistique et un choix de lettres.

Jeanne de Chantal

[influente sur Mme Guyon via sa biographe la Mère de Chaugy]

[2015] Jeanne de Chantal, Écrits mystiques relevés dans l’édition de 1875 par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal », 664 p. [environ la moitié des tomes II & III de l’édition de 1875].                                      

[2015] Jeanne de Chantal, Recueil des bonnes choses & Extraits de Lettres, D. Tronc et Béatrice Bernard, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame de Chantal ». 2015, 256 p. [« Les Entretiens du manuscrit de Turin-Verceil » transcrit par Béatrice Bernard ; Introduction et extraits de la Correspondance par D. Tronc.]

Madame Guyon

[2000] Madame Guyon, De la Vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par  D. Tronc, Paris, Phénix Editions - La Procure Librairie, Collection « La Procure », 2000, réédition 2004, 482 pages [Tirages limités épuisés ; sur ce choix de 80 Discours (156 pièces furent éditées au XVIIIe siècle) 15 ont été repris en 2005 : Madame Guyon, Ecrits sur la vie intérieure, pp. 23-193 ;  puis 50 en 2008 : Madame Guyon, Oeuvres mystiques, « Discours spirituels », pp. 531-762.]

[2001] Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Edition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Etude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2001, 1163 p. [Les 3 volumes de la Vie connus depuis leur publication au XVIIIe siècle et repris sous les titres « 1. Jeunesse, 2. Voyages, 3. Paris », sont suivis de : « 4. Prisons, 5. Compléments biographiques » ; l’édition rétablit l’ordre du ms. d’Oxford et inclut des additions provenant du ms. ‘de jeunesse’ de St-Brieuc.]

 [2003] Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Edition critique établie par  D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [Directions reçues de Maur de l’Enfant-Jésus et de monsieur Bertot, 1671-1681 ; lettres et témoignages, 1681-1688 ; direction de Fénelon, 1688-1689, complément édité pour la premièrefois de l’année 1690 ; directions du marquis de Fénelon et de disciples étrangers, après 1710]

 [2004] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, 952 p. [Les lettres de l’animatrice du cercle quiétiste couvrent surtout les années 1693-1698 ; elles sont augmentées de Témoignages ; l’ensemble constitue le « dossier »  utile pour étudier les aspects de la « querelle » relatifs au vécu intérieur].

[2005] Madame Guyon, Correspondance, Tome III Chemins mystiques, Edition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2005, 934 p. [Ce volume qui achève l’édition de la Correspondance reprend l’ensemble de lettres de direction publié en 5 volumes au XVIIIe siècle].

 [2005] Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix Editions & hors commerce 2005, 441 p.  [tirages limités épuisés ; aperçu in Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 355-382]

 [2005] Madame Guyon, Ecrits sur la vie intérieure, présentation par Dominique et Murielle Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2005, 195 p. [15 Discours]

[2008] Madame Guyon, Oeuvres mystiques, éd. critique avec introductions par D. Tronc, Etude par le P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, 796 p. [Un « compagnon » sous forme d’un volume maniable. Il reprend des œuvres brèves connues – Moyen Court, Torrents, Petit Abrégé, une partie du Cantique... Sa seconde moitié ouvre à la partie encore méconnue datant de la pleine maturité mystique : notes apportées aux Justifications, choix de Lettres et de Discours…]

[2009] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Etude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 488 p. [mise en ordre chronologique de pièces de procès incluant les interrogatoires et des témoignages issus de la Vie et de la Correspondance ; ce dossier est précédé d’une synthèse et s’achève sur des témoignages concernant la ‘décennie silencieuse’ vécue à Blois après les prisons.]

[2014] Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, Un choix, Ed. électronique Amazon Kindle, 2014, ~220 p.  & Madame Guyon, Explications du Nouveau Testament, choix présenté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

[2014] Madame Guyon, Explications de l’Écriture sainte, un choix présenté et annoté par D. Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon ».

[2014] Madame Guyon, De la vie intérieure, Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés par Dominique et Murielle Tronc, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Madame Guyon », 642 p.

[En préparation] Madame Guyon, La vie intérieure, Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, présentés et annotés par Murielle et D. Tronc. [édition des Discours achevant la mise à disposition de l’essentiel de l’œuvre de Madame Guyon : choix imprimé aux Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », [édition électronique, v. [2014] supra.]

[En cours de saisie] Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique, [Les Justifications préparées en 1694 à l’occasion du « procès » d’Issy.]

Marie des Vallées

[liée à M. de Bernières et Mère Mectilde]

[2013] La Vie Admirable de Marie des Vallées et son Abrégé rédigés par saint Jean Eudes suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques », 2013, 693 p.

[2013] Marie des Vallées, Le Jardin de l’Amour divin, Textes choisis et présentés par Dominique et Murielle Tronc, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2013, 207 p.

Martial d’Etampes

[un maître franciscain capucin]

[2008] Martial d’Etampes, Maître en Oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et D. Tronc, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2008, 247 p. [comporte une étude et des écrits de cet éminent mystique capucin du début du XVIIe siècle.]

Maur de l’Enfant-Jésus

[en relation épistolaire avec Mme Guyon]

[2007] Maur de l’Enfant-Jésus, Ecrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Editions du Carmel, 2007, 344 p. [le principal auteur mystique Grand Carme depuis le réformateur Jean de Saint-Samson fut en relation avec madame Guyon.]

[2008] Maur de l’Enfant-Jésus, Entrée à la Divine Sagesse, Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques », Toulouse, 2008, 263 p. [Cinq courts mais profonds traités mystiques achèvent la restitution du corpus.]

Mère Mectilde

Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », hors-commerce.

[En préparation] Catherine de Bar 1614-1698 Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Itinéraire spirituel par V. Andral suivi des Entretiens familiers par M.-C. Castel, réédition lulu.com.

Monsieur Bertot

[2005] Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Editions du Carmel, Toulouse, 573 p., 2005. [La première étude présentant le résultat de recherches sur la ‘vie cachée’ de monsieur Bertot et la reconstitution du corpus de ses écrits précède le choix d’un septième de leur volume].

[En cours de saisie] Monsieur Bertot, Le Directeur mistique, intégrale.

Pierre de Poitiers

[« l’Auteur du Jour mystique » des Justifications]

[en préparation, ouvrage associé] Pierre de Poitiers, Le Jour mystique, traités de Théologie mystique, choix établi et présenté par moniale-ermite Marie de l’Enfant-Jésus, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques ».

Renvois

Bonne Armelle > Armelle Nicolas

Canfeld > Benoït de -

Bernières > Jean de -

Saint Samson > Jean de -

Guyon > Madame -

Mectilde > Mère -

Bertot > Monsieur -


 

Editeurs et sites

 

www.cheminsmystiques.com  & www.cheminsmystiques.fr & www.madameguyon.fr présentent des chemins tracés par nos aînés aux siècles passés et nos éditions. De nombreux textes peuvent être téléchargés.

Honoré Champion, coll. « Sources Classiques » & coll. « Pièces d’Archives » :

http://www.champion.ch/

http://www.champion.ch/cgi/run?wwfrset+3+401513103+1+1+wwmenu+wwlibr+

Arfuyen, « Les carnets spirituels » :

http://www.arfuyen.fr/

Editions du Carmel, coll. « Sources mystiques » :

Editions du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques » :

http://www.paroisseetfamille.net/mag/category.php?id_category=10

Editions « Parole et silence », coll. « Mectildiana » :

http://www.paroleetsilence.com/Rencontres-autour-de-Jean-de-Bernieres-1602-1659_oeuvre_11081.html

Editions « Les Deux Océans » :

http://www.lesdeuxoceans.fr

Imprimeur-éditeur en ligne Lulu.com, coll. « Chemins mystiques » :

http://www.lulu.com

II. Auteurs fréquemment cités dans l’ouvrage.

 

µ


 

Textes retirés

Précisions sur Lacombe

Le dossier des textes que je viens d’assembler en les disposant chronologiquement[937]

Eléments de comparaison entre Marie de l’Incarnation et Mme Guyon

On peut reconstituer assez précisément une Vie de Marie de l’Incarnation (1599-1672) à partir de ses deux Relations et de sa Correspondance, textes rédigés entre 1633 et 1672 [938]. Elle précède la Vie par elle-même rédigée par Madame Guyon entre 1682 et 1709. L’ensemble de deux vies couvre ainsi tout le XVIIe siècle car elles relatent des événements « de jeunesse » autant que de maturité mystique ce qui assure une continuité étendue factuellement de ~1606 à ~1703. Il constitue surtout une introduction pleine de vie et de profondeur au vécu mystique. Les deux figures ont écrit sans prendre de précautions vis-à-vis de la censure de leur époque : la première s’adressa à un confesseur Feuillant apprécié et ensuite directement à son fils, la seconde au Père Lacombe, un confesseur ami, puis ensuite à de rares intimes.

Le lecteur qui n’a jusqu’ici abordé aucune lecture d’écrits spirituels autobiographiques du siècle peut lire les deux Relations de Marie de l’Incarnation complétées par ses lettres canadiennes, puis la Vie par elle-même de Madame Guyon complété par le récit de son embastillement. S’il trouve l’ensemble textuel trop épais, il peut privilégier la seconde Relation de Marie de l’Incarnation et les dernières parties de la Vie par elle-même pour extraire des témoignages de maturités pleinement acquise dans le chemin mystique comme dans la vie pratique.

  Leurs textes rendent compte de la dynamique vitale qui unifie toute vie orientée mystiquement, dans des circonstances et au sein de milieux le plus divers (couvents, la Cour, les prisons, des sauvages). Deux chemins mystiques éclairent mieux que tout traité spirituel à visée normative, nécessairement prudent et impersonnel. Les deux grandes mystiques du milieu et de la fin du siècle ont eu la chance de voir leurs principaux écrits épargnés par la fidélité d’un fils, Claude Martin, lui-même un spirituel, et par celle d’un éditeur, Pierre Poiret, également un spirituel ! faut-il y deviner un soin providentiel ? 

Deux tempéraments, des âges assez proches et avancés :

Marie de l’Incarnation en confidence intime avec son fils :

Je m’apperçois quelquefois, et je ne sçai si d’autres le remarquent, que marchant par la maison, je vais chancelant ; c’est que mon esprit pâtit un transport qui me consume. Je ne fais presque point d’actes dans ces occasions, parce que cet amour consumant ne me le permet pas. D’autres fois mon âme a le dessus, et elle parle à son Époux un langage d’amour que luy seul luy peut faire produire : mais quelque privauté qu’il me permette, je n’oublie point mon néant, et c’est un abyme dans un autre abyme qui n’a point de fond. En ces rencontres je ne puis me tenir à genoux sans être appuyée, car bien que mes sens soient libres, je suis foible néanmoins, et ma foiblesse m’en empêche : Que si je me veux forcer pour ne me point asseoir ou appuyer, le corps qui souffre et est inquiet, me cause une distraction qui m’oblige de faire l’un ou l’autre, et pour lors je reviens dans le calme. Comme rien de matériel ne se trouve en cette occupation intérieure, par fois mon imagination me travaille par des bagatelles, qui n’ayant point de fondement, s’en vont comme elles viennent. La raison est que comme elle n’a point de part à ce qui se passe au dedans, elle cherche de quoi entretenir son activité naturelle et inconstante; mais cela ne fait rien à mon fond qui demeure inaltérable[939].

Elements pris dans partie I à utiliser pour volume 4 :

Lorsque la culture religieuse cède place à la culture laïque, se produit un éclatement ou étoilement des expressions de l’expérience mystique. Le vécu mystique, dispersé dans ses expressions, sera plus tard facilement circonscrit à l’humain, réduction facilitée par l’approfondissement de nos approches psychologique

 

Il est tentant d’établir un parallélisme entre les couples formés par François de Sales et Jeanne de Chantal, puis plus tard par Fénelon et Madame Guyon : chez les deux hommes on trouve l’extrême intelligence et la finesse de l’âme qui permettent de subtiles analyses psychologiques traduites en une langue parfaitement contrôlée en des textes bien structurés, chez les deux femmes on trouve la pure expression mystique jaillissant le plus souvent à l’occasion de sujets divers et pratiques. Au niveau des biographies on note que les âges sont comparables (François de Sales est plus âgé de cinq années ; Fénelon est plus jeune de trois années). Enfin les deux femmes ont des expériences comparables de vie mariée avec des enfants et ne s’engagent dans l’apostolat religieux qu’après trente ans passés, un âge mûr pour l’époque.

Caussade

 

Caussade : Nous sommes ici devant une résurgence en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme, de la spiritualité de l’école de l’amour pur telle qu’elle s’exprime à travers les écrits de madame Guyon. Le P. de Caussade apparaît comme un propagateur de son œuvre. Une telle affirmation peut surprendre : elle est supportée par ce que nous apprennent ses éditeurs M. Olphe-Galliard, A. Rayez, D. Salin, ainsi que l’historien J. Le Brun. Nous reviendrons au tome suivant sur cette influence.

Styles utilisés sous Word :

Titre 1 CHAPITRES

Titre 2 sections en page impaire

Titre 3 sous-sections

Titre 4 citations longues du Florilège

 

Fénelon

De FÉNELON avec les réponses de Madame GUYON. 4 (?) Mai  1710. 

‘Écrit de la propre main de M. l’Archevêque de Cambray que l’on a avec les réponses en marge de Madame Guion’  .

[Q.] La p.[etite] D.[uchesse]  ne m’écrit presque plus; pour moi je lui écris moitié vérité dite avec beaucoup de douceur et de ménagement, moitié raisonnant sur les nouvelles générales, et amitiés pour ne lui montrer point trop de changement, mais je vois bien que son cœur demeure malade parce qu’elle croit que tous nos bonnes gens ont changé et ont tort à son égard. Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.

Il est certain que la petite d[uchesse] est fort peinée du changement universel et qu’elle ne prend point le change, que toute amitié qui ne sera point accompagnée de confiance et de dépendance ne la contentera pas. C’est une crise. J’espère que cela passera et qu’elle rentrera dans la place où elle doit être  . Il est plus sûr d’obéir que de commander.

 

Table des matières

Présentation. 5

Une École du cœur. 9

Plan. 12

QUIÉTISMES. 13

Aperçu d’une « Querelle ». 13

Les précurseurs. 21

Grégoire Lopez (1542-1596), ermite mystique au Mexique. 21

Joseph de Jésus Maria [Quiroga] (1562-1628) défend Jean de la Croix. 27

Antonio de Rojas (~1630) 32

Juan Falconi (1596-1638) 35

Un « triangle » géographique. 39

Le « quiétisme » en Italie. 41

Le quiétisme en Espagne : Palafox. 42

Le quiétisme en France : madame Guyon. 44

Des italiens. 49

Vittorio Augustin Ripa (-1691) 49

Miguel de Molinos (1628-1696) 50

Pier Matteo Petrucci (1636-1701) 56

I. 61

L’ECOLE DU CŒUR EN FRANCE ET NOUVELLE FRANCE   61

1601-1671. 61

LES DEBUTS DE L'ECOLE DU CŒUR & M. DE BERNIERES  63

L’origine franciscaine de l’École du cœur. 63

Antoine le Clerc (1563-1628) 64

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (~1594-1646) 67

Sa clairvoyance lui permettait de s'occuper des autres : 69

Jean de Bernières (1601-1659) 71

Sa formation par le P. Chrysostome. 74

Des influences féminines. 77

Marie des Vallées (1590-1656) 77

Charlotte le Sergent (1604-1677) 79

Marie de l’Incarnation (1599-1672) 80

Une œuvre reconstituée et influente. 82

L’ERMITAGE.. 85

Les proches de Bernières. 91

Jourdaine de Bernières (1596-1645) et ses ursulines. 91

Jean Eudes (1601-1680), missionnaire. 94

Gaston de Renty (1611-1649) 95

Louis-François d’Argentan (1615-1680), capucin. 99

Les disciples. 101

François de Laval (1623-1708) en France. 101

Henri-Martin Boudon (1624-1702) 105

Claude La Colombière (1641-1682) 106

Jean Aumont (1608-1689), pauvre villageois. 106

Mère Mectilde (1614-1698) 120

L’initiation par le P. Chrysostome. 122

Sa direction par Bernières et ses amis. 134

L’ascension mystique des dernières années. 137

Ses liens avec des « quiétistes tardifs ». 139

MONSIEUR BERTOT, DIRECTEUR MYSTIQUE. 143

De Caen….... 145

… à Montmartre. 151

Une voie mystique. 159

Sa « fille spirituelle ». 165

Son influence. 173

MIGRATIONS CANADIENNES. 176

L’entreprise secrète de Mme de la Peltrie ! 176

Marie de l’Incarnation. 177

François de Laval (1623-1708) 179

Les « émigrés ». 183

M. de Mézy (-1665) 183

Ango de Maizerets 184

Henri de Bernières (-1701), neveu de Jean. 186

L’abbé Dudouyt 187

PREMIERE SYNTHESE.. 191

« Graphe essentiel » des trois courants. 192

mystiques. 192

II. 193

MADAME GUYON, FENELON ET LEURS AMIS. 193

1648-1717. 193

MADAME GUYON (1648-1717) 195

Figures amies d’influence. 199

Jean de Saint-Samson (-1636) et son disciple Maur de l’Enfant-Jésus (-1690). 199

Geneviève Granger (1600-1674). 200

Archange Enguerrand (1631-1699), « le bon franciscain ». 203

La Mère Bon (1636-1680), ursuline. 205

Malaval (1627-1719), l’aveugle de Marseille. 212

Le P. La Combe (1640-1715), confesseur. 213

Le Traité sur l’Oraison mentale 215

Jeanne-Marie Guyon (1648-1717) 219

Madame Guyon en réponse à des disciples : 220

Jeunesse et voyages. 220

L’animatrice du cercle fondé par monsieur Bertot 223

La chasse et les prisons. 226

Une fin de vie paisible mais active. 233

L’ŒUVRE SAUVÉE.. 235

Trois volets couvrent tout le champ spirituel 241

I. Le témoignage. 244

Les Torrents décrivent un parcours mystique 244

Degré de mort et Vie divine 245

La Vie par elle-même 245

L’état simple et invariable. 246

II. L’enseignement. 246

Les Discours chrétiens et spirituels. 246

Le mont qui rassemble tous les mystiques 248

« Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance ». 248

La Correspondance. 253

Lettre d’une paysanne. 258

III. L’appui des Traditions. 259

Les Explications… commentaire mystique de l’Ecriture. 259

Les Justifications. 266

Clé 63. Transformation : 269

LA VOIE. 275

Une communication silencieuse….... 275

…et ses conséquences. 277

Une dynamique cachée. 280

L’adhérence du cœur. 281

Découverte, désappropriation, vie nouvelle. 283

Quatre degrés dont trois proprement mystiques 285

Un état permanent. 287

La transmission de la grâce divine. 289

Le témoignage de Madame Guyon. 290

D’autres témoignages. 292

La Voie exposée dans le Moyen Court. 293

Première « voie active de la méditation ». 293

Deuxième « voie passive de lumière ». (Les rivières). 295

Troisième « voie passive en foi ». (Les torrents). 296

Premier degré : amour et intériorité. 296

Le vaisseau sort du port 297

Deuxième et troisième degrés : course de l’âme à sa perte, dépouillement, mort. 298

Le feu impitoyable et dévorant 298

« Vie nouvelle et divine » (Quatrième degré et seconde partie des Torrents). 300

Critiques & défenseurs. 305

Ecrits de Nicole, Le Masson, Massoulié, Dom Martin. 305

Frère Antonin Massoulié (1632-1706) critique. 306

Théorie de l’Amour 307

Dom Claude Martin (1619-1696) défenseur. 308

Laurent de la Résurrection (1614-1691) 310

FÉNELON... 313

Bref rappel biographique. 316

Madame Guyon et Fénelon. 318

Clément et Cassien. 327

L’Explication des Maximes des Saints. 336

Lettres spirituelles. 338

µ Les notes sont à simplifier !!!! 338

Directions spirituelles : un exemple. 351

III. 357

LES. 357

FILIATIONS. 357

DE LA.. 357

QUIETUDE.. 357

1717-1792. 357

Des filiations européennes. 361

LA FILIATION « CIS » EN FRANCE.. 363

Les Beauvillier et les Chevreuse. 363

L’homme de confiance 369

Un précieux manuscrit 372

Relation du différent entre Bossuet et Fénelon. 373

La « petite duchesse » de Mortemart (1665-1750) 381

Sa formation par Fénelon. 385

Le marquis de Fénelon (1688-1745). 399

Lettres de direction à un jeune mousquetaire (extraits) 401

TROIS FILIATIONS DE « TRANS » EN TERRES PROTESTANTES  413

La circulation des pèlerins. 413

LA FILIATION ÉCOSSAISE.. 415

Une tradition mystique, une histoire mouvementée. 415

Henry Scougal (1650-1678) 416

Le groupe guyonien. 419

James Garden (1645-1726) et son frère Georges (1649-1733). 420

Le chevalier Ramsay (1686-1743) 423

Les trois Forbes. 427

1. Alexander, 4th Lord Forbes of Pitsligo (1678-1762). 427

2. William, 14th Lord Forbes (1687-1730) 428

3. James, 16th Lord Forbes (1689-1761) 429

James Ogilvie, Lord Deskford (1690-1764). 429

Le Dr. James Keith (-1726) 432

Le docteur Georges Cheynes. µ supprimer ?. 437

LA FILIATION HOLLANDAISE.. 439

Pierre Poiret (1646-1719) 439

Wolf von Metternich (-1731). 443

Gerhard Tersteegen (1697-1769) 446

LES FILIATIONS SUISSE ET GERMANIQUE.. 449

Une brève visite de madame Guyon à Lausanne. 450

Pétronille d’Echweiler (1682-1740) 452

Jean-François Monod (1674-1752) 453

Frédéric de Fleischbein (1700-1774) 455

[Ajout Chavannes à revoir] 455

[ici reprise ancien txt] 459

« Note sur les lettres de Monsieur de Fleischbein à Monsieur de Klinckowström ». 462

Klinckowström (apr. 1700?-1774), gentilhomme danois. 490

Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) 493

Daniel Pétillet (1758-1841). 506

Charles de Langalerie (1751-1835) et la fin d’une lignée. 507

Le témoignage de Benjamin Constant (1767-1830). 509

IV.. 513

INFLUENCES. 513

INFLUENCES EN TERRES CATHOLIQUES. 517

François-Claude Milley (1668-1720), messager de la voie d’abandon. 518

Milley écrit à la Mère de Siry : 518

Jean-Pierre de Caussade (1675-1751), et son très guyonien Abandon à la providence divine. 520

INFLUENCES EN TERRES PROTESTANTES. 533

Piétistes. 534

Quakers. Robert Barclay1648-1690). 535

William Law (1686-1761). 540

John Wesley (1703-1792). 541

Karl Philipp Moritz (1756-1793). 546

ÉCHOS AU XIXe SIÈCLE.. 549

Pierre de Clorivière (1735-1820). 550

Maine de Biran (1766-1824). 551

Kierkegaard (1813-1855). 552

Arthur Schopenhauer (-1860). 553

RECONNAISSANCE AU XXe SIÈCLE.. 555

Vital Lehodey (1857-1948). 555

Henri Bremond (1865-1933). 555

Henri Bergson (1895-1941). 556

Jean Baruzi. 557

Louis Cognet 562

Madame Gondal 562

DERNIERE SYNTHÈSE.. 563

L’école du cœur. 563

Chronologie, Sources, Regroupements. 567

Chronologie et sources. 567

Regroupements. 571

Une filiation : 573

Des amis : 573

En contact avec madame Guyon : 574

Classements chronologiques : 575

Tableaux. 579

I. Mystiques assemblés autour de Jean de Bernières. 580

II. Mystiques influents sur madame Guyon. 581

III. Influence exercée par madame Guyon en France. 582

IV. Influence exercée par madame Guyon à l’étranger 583

V. Carmes, capucins et bénédictines influents. 584

VI. Table synchronique de quelques mystiques nés entre 1590 et 1651. 585

VII. Liste chronologique des principaux amis de l'Ermitage. 586

VIII. Bibliographie. 587

I. Dominique & Murielle Tronc. 587

Editeurs et sites 595

II. Auteurs fréquemment cités dans l’ouvrage. 595

Textes retirés. 596

Précisions sur Lacombe 596

Eléments de comparaison entre Marie de l’Incarnation et Mme Guyon. 596

Elements pris dans partie I à utiliser pour volume 4 : 598

Caussade 599

Fénelon. 599

Quatrième de couverture. 608

fin. 609

 


 

 

Quatrième de couverture  

Parvenu à l’âge mûr, je publie ce travail destiné à tous ceux qui, sans disposer de carte ni d’orientation, recherchent des témoignages vécus au sein de courants mystiques.

Le tome Expériences mystiques en Occident I. Des Origines à la Renaissance introduisait aux principales figures de la tradition chrétienne. Le tome II. L’Invasion mystique des Ordres anciens s’attachait à la renaissance qui se produisit en France au début du XVIIe siècle chez des moines et des bénédictines, dans les deux carmels de la réforme de Touraine ou d’origine espagnole, chez des franciscains. Le tome III. Ordres nouveaux et figures singulières couvrait le même Grand Siècle. Son centre de gravité se situait toutefois un peu plus tard dans un monde en profonde mutation culturelle. Il s’agissait de fondateurs ou membres d’ordres nouveaux ; de spirituels actifs dans le monde ; de femmes mystiques dont certaines figures sont célèbres ; de figures ouvrant au-delà de l’orbe catholique.

Le présent tome IV présente l’école du pur amour dont Madame Guyon fut une animatrice. µ

Dominique Tronc a assuré les éditions critiques de nombreuses œuvres de Madame Guyon aux Editions Champion ; de Jean de Bernières et de son jeune associé Jacques Bertot, de Jean de Saint-Samson et de son disciple Maur de l’Enfant-Jésus, de Martial d’Étampes et d’Armelle Nicolas aux Editions du Carmel et du Centre Jean-de-la-Croix ; de Canfield, Bernières, Guyon, Fénelon, aux Editions Arfuyen. Il étudie en collaboration avec Murielle Tronc les filiations spirituelles au XVIIe siècle.


fin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Projet imprimé sous lulu le 31 mars 2017



[1] Pour Madame Guyon, Louis Cognet, Jean Orcibal, Louise Gondal ; pour Fénelon, les chercheurs sont trop nombreux pour leur rendre justice.

[2] Le groupe suisse de Morges-Lausanne étudié par Chavannes, le groupe écossais d’Aberdeen étudié par Henderson.

[3] Cependant Bernières « prit l’habit de notre ordre » (Jean-Marie de Vernon) et se plaignit de ne pouvoir vivre la pauvreté ; des vœux de pauvreté sont attestés chez madame Guyon (tous deux appartenaient à de riches familles).

[4] Bremond, Sentiment religieux, VII, 321 sq. Le prêtre breton et le “vigneron de Montmorency” sont deux personnages excentrés, et parfois excentriques, dont les images naïves plaisent au conteur de beaux récits illustrés.

[5] Catherine de Bar.

[6] Note explicative d’une mystique inconnue, ms. N 249, Catherine de Bar, Documents historiques, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973, 143-144.  Voir Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », HC.

 

[7] La position centrale occupée par le mot « apostolus » dans le De Praescriptione haereticorum de Tertullien laisse place au mot « Deus » dans le De interpellatione Job and David  d’Ambroise de Milan lorsque toute référence apostolique a disparue (ces deux compositions littéraires sont traduites « scientifiquement » in A. Barcala, J. de Montgolfier, D. Tronc, Nuevas formas de analisis de textos con cerebros electronicos, Universidad Pontifica Comillas, Madrid, 1976 [sic] : une première révélation où les rapports interpersonnels précèdent une croyance établie).

[8] Les noms cités dans D. Tronc, “Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon”, XVIIe siècle, n° 218, n° 1-2003, 95-116.

[9] V. infra  le procès-verbal des rares livres saisis dans la chambre du pasteur Dutoit à Lausanne à la fin du XVIIIe siècle. Les auteurs sont : Bernières, Bertot, Guyon, Poiret (qui édita Guyon et Bertot).

[10] Son fils, dom Martin, était mystique : il préserva l’œuvre de sa mère et prit la défense du Moyen court de madame Guyon.

[11] J. Orcibal, Études d’histoire et de littérature religieuse, Klinksieck, 1997 ; J. Le Brun, op. cit. ; article « quiétisme » du Dictionnaire de Spiritualité [DS], 1986 : E. Pacho couvre l’Italie, DS tome XII, colonnes 2756 à 2759 [dorénavant : 12.2756-2789] et  l’Espagne , DS 12.2789-2805,  J. Le Brun couvre la France, DS 12.2805-2842 ; Miguel de Molinos, Guia Espiritual, éd. J.-I. Tellechea Idigoras, Madrid, 1976, “Introduccion a un texto”, note bibliogr. n° 52, 39-41.

[12] Romana Guarnieri, Il movimento del Libero Spirito, Edizioni di storia e letteratura, Roma, 1965.  L'annexe 9 précède son édition critique du Miroir de Marguerite Porete (-1310).

[13] « Quietistica dottrina della conformita al volere divino » (op.cit., 370).

[14] Cette mystérieuse dame -- dont on met aujourd’hui l’existence en doute -- est critiquée par Ruusbroec en termes assez violents, sans doute pour se distancier des hétérodoxes.   L’hypothèse a été avancée qu'il était parti par précaution, à un âge déjà mûr, de Bruxelles vers la « forêt verte » de Groenendal (Guarnieri p. 439), ce qui laisse penser que l'on mettait en doute l’orthodoxie de ce grand mystique.

[15] Fénelon, Œuvres I, « La Pléiade », Gallimard, 1997, notice « Le Quiétisme » par J. Le Brun, 1530-1531.

[16] DS 8.1357.

[17] Fénelon, Œuvres, édition établie par Jacques Le Brun, Notice, p. 1530-31, Paris, 1983.

[18] DS 12.2806.

[19] DS 12.2820 et 2821.

[20] Mme Guyon, Explications, Job XI, ²V. 9    µ édition ?

[21] Dir. Myst.,  µ  refer ?

[22] Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats. Édition critique établie par Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2004, Lettre du 11 septembre 1694 au duc de Chevreuse n°103, 300 : elle y fait part de cinq vœux secrets.

[23] Au témoignage de l’historien du Tiers Ordre Régulier franciscain Jean-Marie de Vernon :  v. infra le chapitre consacré à Bernières.

[24] Comme Bernières se qualifiait lui-même.

[25] DS 12.2837.  µ auteur ?

[26] Lopez au chapitre 2 « Traditions… », Ermites, 39-44, et Quiroga en ouverture au chapitre 3 « Le Carmel déchaussé », 169-174.

[27] Voir J. Krynen, L’apologie mystique de Quiroga, Saint Jean de la Croix et la mystique chrétienne, Univ. de Toulouse-Le Mirail, 1990, Préface.

[28] Vida que el siervo de Dios Gregorio Lopez hizo en algunos lugares de la Nueva España…, Mexico 1613, Lisbonne 1615 ; Séville et Madrid 1618 à 1727 ; cette Vida fut traduite en français par le jésuite Conart (1644 et 1656), puis figure dans les Œuvres diverses de Monsieur Arnauld d’Andilly, Paris, chez Pierre le Petit, 1675, en trois in-folios (sur huit prévus !) : le tome I contient « La Vie du Bienheureux Grégoire Lopez » (153-301).

[29] Poiret réédite la traduction d’Arnauld d’Andilly (Le saint solitaire des Indes ou la vie de G.L., 1717), Tersteegen la remanie en allemand, Wesley l’abrège en anglais ; traduction italienne en 1740.

[30] Traduction par Arnauld d’Andilly, 1675, op. cit. Paginations données entre crochets.

[31] DS 9.997. - Ruysbroeck (et parfois Rusbroche !) pour Ruusbroec : nous respectons l’ancienne orthographe.

[32] DS 9.997/8.

[33] Nous ne revenons pas sur la fin de vie douloureuse de Jean de la Croix en 1591 sous le supérieur Doria. Ce dernier disparaît en 1594 mais ce décès ne met pas un terme à la méconnaissance de l’enseignement du saint, en particulier par Thomas de Jésus et ses proches (v. l’introduction de Jean Krynen à son édition de l’Apologie mystique de Quiroga, Toulouse, 1990).

[34] La première édition de 1628 est aujourd’hui disponible, rééditée par Fortunato Antolin : José de Jesus Maria (Quiroga), Historia de la vida y vitudes del Venerable Padre Fray Juan de la Cruz, Junta de Castilla y Leon, 1992. Traductions (rares, nous ne les avons pas vues) d’Elisée de Saint-Bernard, Paris, 1638 & de Cyprien de la Nativité, Paris, 1642.

[35] La Vida de San Juan de la Cruz  por fray Crisogono de Jesus (1904-1945) éditée en tête de Vida y  Obras de San Juan de la Cruz, Biblioteca de Autores Cristianos, Madrid, 1974, 13-356, est traduite (mais sans l’intégralité des notes qui rendent le charme des sources) : Vie de Jean de la Croix, Cerf, 1998.

[36] Éd. de Tolède : Obras del Mistico Doctor San Juan de la Cruz…, Tomo tercero, 1914, Apendice III, « Don que tuvo San Juan de la Cruz para guiar las almas a Dios », 505-576.

[37] DS 8.1354-1359 par F. de Jesùs Sacramentado, 1974, avec bibliogr. espagnole dont références à des manuscrits ; Quiroga avait été apprécié par la traductrice-adaptatrice inspirée de Thérèse d’Avila puis de Jean de la Croix, Marie du Saint-Sacrement. Les manuscrits de cette dernière disponibles au carmel de Pontoise [anciennement au carmel de Clamart] comprennent les traductions des deux opuscules de Quiroga reproduits dans l’éd. de Tolède des œuvres de Jean de la Croix, 1912-1914, op. cit. ; nous souhaitons pouvoir éditer : Joseph de Jesus-Marie [Quiroga], L’Oraison, selon saint Jean de la Croix, saint Thomas d’Aquin et saint Denis, traduction et adaptation par la Mère Marie du Saint Sacrement.

[38] José de Jesùs Maria Quiroga, Apologie mystique en défense de la contemplation, texte espagnol et français, éd. par Max Huot de Longchamp, F.A.C., 1990 ; J. Krynen, L’Apologie mystique de Quiroga, 1990 (complément de 1955 à sa thèse non éditée portant sur l’influence de Denys et d’auteurs médiévaux, annotée par Orcibal, Archives Saint-Sulpice, réf. gV-189).

[39] Apologie…, Chap. V, § 8 à §11.

[40] Apologie…, Chap. VI, §1 et §6, « Où l'on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation… ».

[41] Ibid., Chap. IX, §8.

[42] J. Krynen, op. cit., Préface,  p. X.

[43] Ibid., p. XXXVI.

[44] Respuesta a  algunas razones contrarias a la contemplación afectiva y oscura que N. santo Padre  Fr. Juan de la Cruz, guiado de  Dios, de la Escritura y de los Santos, enseño en sus escritos, extrait du Ch. XIII : « De certains contemplatifs qui ne savent pas se dégager entièrement de la raison », traduction demeurée manuscrite (Archives du Premier couvent de Paris, Carmel de Pontoise) par la mère Marie du Saint-Sacrement d’un opuscule publié en dans le Tome III des Œuvres de saint Jean de la Croix (Édition de Tolède, 1912-1914).

[45] Quiroga, Subida del alma, 1675 (transcription de l’imprimé disponible à Solesmes ; pdf de l’imprimé disponible sous Google). Voir surtout le « Libro tercero, de la entrada en el Parayso Espiritual : donde se trata de al union habitual, y espiritual matrimonio ».

[46] DS 8.1356. « L’édition … diffère notablement des mss  autographes ».

[47] DS 13.879 à 13.885 où l'on trouvera l’information biographique en quatre lignes, le succès de la Vida et de son analyse spirituelle approfondie, la condamnation de 1689. µ mettre 2 lignes ds texte principal

[48] La vie de l’esprit pour s’avancer en l’exercice de l’oraison et pour avoir une grande union avec Dieu, 1646, nombreuses rééditions du premier ouvrage de Rojas édité à Madrid en 1628, seul célèbre (nous citons La seconde partie de la Vie de l'Esprit ou la lumière de la nuit obscure, rééd. de 1674). µ note pas claire !

[49] Ordre fondé à Barcelone en 1203, consacré au rachat des captifs, influencé par les dominicains puis par la réforme carmélitaine : v. DS 10.1030-1038.

[50] DS 5.35/43, art. « Falconi » par A. Derville.

[51] Outre la célèbre Lettre du Serviteur de Dieu souvent reproduite, v. Falconi, Les œuvres spirituelles…, Aix, 1661, ouvrage rare donnant les traductions de : sa vie par Arriola ; Cartillas I et II [« Alphabets »] ; Vida de Dios [« La vie divine et incompréhensible »] et son appendice ; Tratado de la oracion [« Traité de l’oraison »] ; une « Méthode de perfection ».

[52]« Lettre du serviteur de Dieu … Jean Falconi … à une de ses filles spirituelles », jointe au Moien court de l’éd. de Rouen, 1690, reprise dans Les Opuscules spirituels, 1720, 79-93.

[53]  Alphabet, traduction  en 1660 de l’original publié à Madrid en 1656, « ayant découvert par ce moyen un thrésor qui demeroit caché… »

[54] Le troisième abécédarios  d’Osuña lu par Teresa lui apporta une paix intérieure.

[55] Alphabet, 309 sq., Troisième instruction, « La vie divine et incompréhensible de Dieu, Sa perfection infinie et les occupations de sa Toute-puissance, vues à la lumière du jugement humain guidé par l’Ecriture sainte, et par les Saints Pères. »

[56] Voir l’article « Quiétisme » du Dictionnaire de Spiritualité. Cet « article » déjà signalé, de nature historique, recouvre cinquante colonnes. Eulogio Pacho, OCD, fait place nette et parfois non sans vigueur : v. DS 12.2756-2805, « Quiétisme I. Italie et Espagne », 1986, d’où proviennent nos citations (v. aussi du même : DS 10.1486-1514, « Molinos », 1979).  Pacho rejette l’étroitesse de ses devanciers Dudon SJ, en France, Petrocchi en Italie. Lui succède l’étude fine par Jacques Le Brun qui poursuit les développements conduisant à la « Querelle » en France puis traite cette crise : v. DS 12.2805-2842.

[57] Pacho, DS 12.2787. Nos ajouts entre crochets.

[58] Pourtant souhaité par Innocent XI, pape de 1676 à1689, « austère, humble, doux et pieux ». Il sut résister au tout-puissant Louis XIV qui le soumettait pourtant à forte pression, comme en témoignent ces événements parallèles à la condamnation publique de Molinos : « De nouvelles contestations ne cessèrent de s’élever. L’ambassadeur français fit son entrée à Rome, en l’an 1687, avec une suite si forte, même avec quelques escadrons de cavalerie, qu’on n’aurait pas pu lui disputer le droit d’asile que les ambassadeurs réclamaient, non seulement pour leur palais, mais aussi pour les rues voisines […] ‘Ils viennent avec des chevaux et des chariots, disait Innocent ; mais nous, nous voulons marcher au nom du Seigneur’. Il prononça les censures ecclésiastiques contre l’ambassadeur : l’église de Saint-Louis, dans laquelle celui-ci avait assisté à un office solennel, fut mise en interdit. […] Les choses en vinrent donc à ce point : l’ambassadeur français à Rome était excommunié, l’ambassadeur du Pape était détenu en France, trente-cinq évêques français étaient sans institution canonique, le roi occupait une province papale [Avignon]… » (L. Ranke, Histoire de la Papauté, 1834, 1986 p.669). Grâce à cet éclairage sur les rapports entre pouvoirs civil et religieux, on comprendra mieux comment, lors du différend entre Bossuet et Fénelon porté à Rome en août 1697, le poids de l’envoyé de Louis XIV put faire pencher la balance, d’autant que l’élection d’Innocent XII, pape de 1691 à 1700, fut appuyée par les Français en utilisant « tous les moyens ».

[59] Voici une note ample pour faire sentir l'atmosphère des offensives qui accompagnèrent les  procès, et surtout parce qu’elle souligne comment les Inquisitions espagnole et italienne fonctionnaient de concert : (1) un écrit anonyme attaquant la Lettre pastorale du 20 novembre 1681 de l’archevêque Palafox et lui reprochant d’y enseigner l’oraison de quiétude de Molinos est défendu par le carme déchaussé Gabrile de Saint-Joseph (-1690),  DS 6, 7. – (2) « Il est probable que le métropolitain de Palerme, Jaime Palafox y Cardona, n'avait aucune intention de prendre part à la polémique et qu'il en ignorait les implications, lorsqu'il composa sa lettre élogieuse pour l'impression à Palerme de la Guia au début de mars 1681 », DS 12.2769 – (3) « […] Le même conseil suprême avait, quelques jours auparavant, reçu de Sicile un autre acte, signé à Palerme le 31 août 1685 par Cosme Manuel de Ovando y Ulloa, « l'inquisiteur le plus ancien du royaume ». C'était donc un acte antérieur à celui de Saragosse ; il est de grande importance historique pour diverses raisons : on y dénonçait également l'archevêque Palafox pour sa lettre élogieuse à l'occasion de l'édition de la Guia à Palerme […] Quelques jours plus tard, le 13 septembre, le même Ovando écrivait de nouveau au conseil suprême de Madrid, demandant des instructions sur la procédure à suivre contre les disciples de Molinos, dénonçant à nouveau leurs erreurs doctrinales en prenant appui sur Alessandro Regio, auteur de la Clavis aurea contre Molinos (Venise, 1682). Il ajoute que plus de 225 personnes sont déjà détenues en Italie et qu'il « s'efforce d'obtenir tous les renseignements possibles ». / Les deux courriers arrivèrent à Madrid respectivement le 8 et le 22 octobre 1685. Rien ne prouve mieux le fait que les tribunaux d'Espagne étaient tenus au courant de ce qui se passait en Italie. […] / Le conseil suprême de Madrid délibérait activement sur la Guia et sur la Lettre pastorale de Palafox ; les délibérations commencèrent le 10 octobre 1685. On remit le dossier au jésuite Juan Cortés Osorio pour l'étudier et compléter un exposé qu'il avait déjà rédigé. On examina son texte aux réunions qui suivirent (17, 23, 24 octobre, 7 novembre). Le réquisitoire de Cortés voit des erreurs là où il n'y en a pas. Les membres du conseil le corrigent souvent. Lui-même signe la dénonciation le 15 octobre 1685 à Madrid. La sentence du tribunal, en date du 9 novembre, déclare : « il faut prohiber (la Guia) in totum […] Il faut également interdire la lettre pastorale de Palafox, parce qu'elle reprend « certaines propositions censurées ». / L'un des membres du conseil, Alejo de Foronda, dominicain, fut d'un avis différent. Dans les sessions consacrées à l'examen, il s'était souvent séparé des autres qualificateurs. D'après lui, la Guia ne contenait « aucune proposition à censurer par le conseil », DS 12.2797.

 

[60] Les alumbrados (illuminés) sont un groupe de mystiques apparu en Espagne début XVIe siècle et condamné par l'Inquisition. Ils étaient peut-être des conversos, des convertis d'origine juive.

[61] Nous consacrons infra une section à la Mère Marie Bon (Marie de l’Incarnation, 1636-1680).

[62]DS 12.2762 et Tellechea Idigoras, op.cit., 47.

[63] DS 9.36, art. « La Combe ».

[64] DS 13.682-684, art. « Ripa ».

[65] P. Dudon, Le quiétiste espagnol Michel Molinos (1628-1696), Paris, 1921, 242.- Verceil : aujourd’hui Vercelli à soixante-dix kilomètres de Turin, « capitale » du riz, au climat humide.

[66] Vie 2.15 : l'invitation par la marquise de Prunai proche de la Cour de Turin.

[67] Madame Guyon résume brièvement ses séjours italiens en deux chapitres (2.15 et 2.24) sur les quatre-vingt-six que comporte sa Vie par elle-même ; sa correspondance, essentiellement préservée par des disciples du cercle parisien, n’est significative qu’à partir de 1688. Resterait à mener l’enquête auprès des archives barnabites (pour La Combe) et d’autres fonds du Piémont ou à Jesi dans les Marches (pour Ripa).

[68] Dossier La Reynie préparant et contenant les interrogatoires de madame Guyon, B.N.F., nouv. acq. fr. 5250 f°84, 30e pièce. Cette pratique est à rapprocher de comportements de saint Philippe Neri.

[69] DS 12.1222. Jesi est une ville italienne de la province d’Ancône (région des Marches).

[70] DS 12.2809 & 2811 ; v. pour toute la période : Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par Dominique Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », Paris, 2009.

[71] DS 12.1222, art. « Petrucci ». 

[72] DS 13.682, art. Ripa. Son ouvrage L'Oratione del cuore facilitata, 1687, Milan, n'est pas traduit.

[73] DS 12.2774.

[74] DS 12.2775.

[75] Miguel de Molinos, Guia Espiritual, op. cit., 49 (sur le jugement de situation), 51, 53.

[76] Il est récemment redevenu une figure honorable : voir Pacho in DS tome XII, op.cit., et Tellechea Idigoras, éditeur de sa Guia, op. cit.

[77] Fénelon, Œuvres I, op. cit., notice de J. Le Brun, 1532.

[78] DS 10. 1486-1514, art. « Molinos » par E. Pacho (DS 1490-1505 pour la seule Guià). Citations : DS 1491-1492 & 1506-1507 ; Miguel de Molinos, Guia espiritual, Ed. critica de Jose Ignacio Telechea Idigoras, Madrid, 1975.

[79] Citons un exemple parmi d’autres de la reprise de Falconi par Molinos : « O que ce grand homme et fameux spirituel Grégoire Lopez avait excellemment compris cette pureté d’esprit ! Sa vie était une perpétuelle oraison, et un acte continuel de contemplation et d’amour de son Dieu, et de son prochain ; et cet acte était en lui si pur, si spirituel, … réservé à ne donner rien au sensible… » (Falconi, dans sa « Lettre [1] du serviteur de Dieu Jean Falconi… », publiée dans les Opuscules spirituels de madame Guyon, 1720, p. 91), devient « Personne, mieux que Grégoire Lopez, le profond théologien mystique, n’a compris et mis en pratique cet acte d’amour pur. Sa vie a été une continuelle prière, une contemplation et une adoration perpétuelles, si pures et si spirituelles que les mouvements sensibles n’y ont jamais eu part » (Molinos, Guide,  trad. française 1970, Livre  I, § 134).

[80] Nous citons la traduction anonyme de 1970 et surtout celle de P. Drochon parue au Cerf en 1997 (faite à partir de l'éd. espagnole publiée à Rome en 1675).

[81] DS 12.1217-1227,  art. « Petrucci ».

[82] Dio tanto innamorato dell'huomo, che senza iperboli muore veramente per l'huomo ; he speranza, e che carita non doura nascere nel nostro cuore ? (82)

[83] Colui ha l'interno suo piu santo, che l'ha piu ripieno di gratia, e d'amor di Dio [...] Laonde dobbiamo affaticarci con tutta la diligenza per conservar buono, e grande questo intimo fondo, o centro amoroso dell'anima nostra : poiche senz'alcun dubbio in esso sta radicata, e constituita l'essentiale perfettione dell'huomo. L'animo buono, e elevato nell'amor puro di Dio sollieva, e perfettiona l'opere, e le fa grate alla Maesta del Signore. Dalla dottrina di quest'huomo celeste si diduce, ch'essendo la vera bonta dell'opere humane non gia la sola naturale, e materiale dell'opera, ma la souranaturale, che nasce  dalla gratia santificante, e dalla carita (87) [83]

[84] Questo amore cosi retto, semplice, puro, ed intenso, perche fa l'anima altamente simile a Dio; con ragione si chiama Deiforme, cioe conforme a Dio : il quale è amore, è carita. Ma sicome l'eccelso Dio amando sè stesso, spira l'infinito amore increato, e coeterno, cioè le Spirito Santo, e con lo Spirito Santo amase stesso, e noi, e tutte le creature; cosi l'anima deiforme e perfetta col medesimo amore di carita ama il suo Dio, ed ama le creature amate da Dio, ed anche in questo al suo Dio s'assomiglia. E perche l'amante gode del bene dell'amato, quindi è, che l'anima perfetta gode del sommo bene, ch'e Dio (93, §5)

[85] O anima cosi disfatta, non ti sgomentare, no, no, no. Contentati / d'abbandonarti affatto e quasi alla disperata nel tuo incognito / Dio. Non ti sforzar piu d'operare al tuo modo naturale ; nè / di far tu gli atti tuoi : poiche Dio, che ti disfà, non vuole / ora, che tu facci. Ponti in silentio interiore, e ras /segnati permorta nel tuo Dio, in tale stato a te / tanto ignoto, e lasciendo fare : poiche ti / disfà per rifarti. Guardati di non la/sciarmai l'oratione, e l'altre / cose, che secondo la tua / vocatione hai da fare. / Nuove maniere di / virtù vuole / Iddio /esercitare in te : onde non ti sgomentare... (104, §9)

[86] Questo immenso Dio riempie tutt'i luoghi, penetra tutte le creature : è presente in tutt'i tempi : e da l'essere, e le potenze a tutte le cose... (106)

[87] Avanti a quest sourana maesta umiliatevi, profondatevi, inabissatevi, annichilarevi. Pensate, che voi siete un vero niente, e niente potete, e niente sapete, niente meritate dalla parte vostra : e cosi, quand'anche nell'oratione niente ritrovaste, niente gustate, e niente vi si concedesse, non v'atte diate, non v'affliggete, non v'avvilite : poiche non vi si fa torto ; mentre niente si ha a chi niente è, e niente merita. […] Credet dunque intimamente, ch'egli è in voi, e voi in lui siete, vivete, e havete i moto : ed in tal maniera col cupo del vostro Spirito adorate lo, et amate lo, estate pur quieta interiormente in questo stato di Fede, d'adoratione, e di carita. (108, § 7)

[88] Nous citons des extraits de la description relevée par Dudon, Le Quiétisme espagnol. Michel de Molinos (1628-1696), Paris, Beauchesne, 1921, 204-207. – Sur les péripéties de ce long procès et ses enjeux, v. DS 10.1507-1513.

[89] Barigel (it. Bargello) : chef des sbires dans plusieurs villes d’Italie (Littré).

[90] Voir : « Un Grand Siècle franciscain à Paris (1574-1689),  3.1. Vincent Mussart (1570-1637) », in La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, Anthologie de leurs écrits présentée par Dominique Tronc, avec une étude historique par Pierre Moracchini, coll. « Sources mystiques »,  µ

[91] Religion :  µ

[92] Antoine le Clerc est contemporain de Vincent Mussart (1570-1637). Vernon raconte que Mussart a rencontré le mouvement franciscain en la personne d’une tertiaire, une « demoiselle flamande », avant de co-fonder le Tiers Ordre franciscain français. Nous renvoyons à La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, op. cit., car nous ne pouvons nous étendre sur toutes les figures remarquables, ne privilégiant que celles dont nous avons preuve mystique…

[93] Madame Acarie sera à l'origine de l'installation du Carmel en France et l'une des premières carmélites.

[94] Expériences…, Tome II, Chapitre 4. Franciscains, Tertiaires Réguliers et laïcs, 353 sq.

[95] Histoire générale et particulière du tiers ordre de S. François d’Assise, par le R.P. Jean Marie de Vernon, 1667, Tome second, « La vie des personnes illustres qui ont fleuri dans les siècles quinze seize et dix-sept » : « La vie d'Antoine le Clerc, sieur de la Forest », 527-544.

[96] [Jean-Chrysostome de Saint-Lô], Traités spirituels et méditatifs  (1651), « Traité premier, Le Temps, la mort et l’éternité. » Nous en avons reproduit le récit dans : Expériences…, II, « Jean-Chrysostome de Saint-Lô…, Une anthologie spirituelle », 366.

[97] Ravi : transporté hors de ses sens.

[98] Le couvent de Picpus constitue le premier ancrage parisien de la congrégation du TOR. S’y déroulèrent assemblées nationales et chapitres provinciaux.  «  A l’occasion des avents et des carêmes, nos tertiaires réguliers, bien reconnaissables à leurs habits couleur cendre, leur barbe et leurs sandales de bois, quittent le couvent de Pipus pour assurer la prédication dans les paraoisses et les communautés féminines de la capitale. » (Pierre Moracchini, « Un grand siècle franciscain à Paris »,  in La vie mystique chez les franciscains du dix-septième siècle, tome III, 108 -  Citation :  P. Claude Prévôt, bibliothécaire de l'abbaye de Sainte Geneviève à Paris, Bibl. Ste Geneviève, ms. 3030, f° 21r°, Archives Eudistes, dossier de du Chesnay ‘VIII Bernières’.

[99] [Henri-Marie Boudon], L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S. François, à Paris chez Estienne Michallet, 1684. – rééd. Migne in Œuvres .

[100] Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913. – Heurtevent in DS 2.881 sq. - Raffaelle Pazzelli, “Bibliografia del Terz' Ordine Regolare di San Francisco in Francia”, notice “8. Jean Chrysostome de Saint-Lô”, 76-79 in Analecta TOR, vol. XXIII, 152, 1992.

[101] Nicolas Caussin (1583-1651), humaniste et confesseur de Louis XIII.

[102] Citation relevée par le P. du Chesnay : Bibl. Ste Geneviève, ms. 3030, f° 21r° (Archives Eudistes, dossier du Chesnay « VIII Bernières »).

[103] Boudon, Œuvres (Migne), col. 1319.

[104] Expériences II, «  4. Franciscains, Jean-Chrysostome… » , 361 sq.

[105] Boudon, Vie de Chrysostome (1684), Œuvres (Migne), col. 1275.

[106] Boudon, ibid., col. 1302.

[107] Peut-être aussi des figures plus périphériques : Vincent de Paul, J.-J. Olier…

[108] Boudon, ibid., col.1331.

[109] Boudon, L’homme intérieur…, op. cit., 378.

[110] Boudon, ibid., col.1330.

[111] D. Tronc, “Une filiation mystique... , XVIIe siècle, op.cit.

[112] Expériences…, III, « 3. Spirituels dans le monde, Monsieur de Bernières ».

[113] Souriau, Deux mystiques, 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, 1311.

[114] Boudon, Œuvres (Migne), col.1311.

[115] Jean-Marie de Vernon, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d'Assize..., tome second, 1667 : « Les Vies des Personnes Illustres qui ont fleury dans les siècles XV, XVI et XVII », Chapitre : « Autres illustres Tertiaires », 587, où Jean de Bernières est dans la liste au milieu d'illustres prélats ! J.-M. de Vernon est un auteur assez sûr qui n’a pas tendance à annexer le tout-venant...

[116] Expériences… II, « 4. Franciscains, Jean-Chrysostome de Saint-Lô », 370 sq.

[117] Cette correspondance entre Chrysostome et Bernières figure en dernière partie de l’ouvrage (édité à Caen par ce dernier) : Divers exercices de piété et de perfection, B. M. de Valognes, réf. C4837, sous le titre « Diversités spirituelles », 93 sq. (‘Je me suis trouvé depuis quelques semaines…’ citation qui suit, pour laquelle Du Chesnay indique un texte parallèle dans les Oeuvres spirituelles [de Bernières], II, pages 13 et 16, lettre du 15.8.1643.), 102 sq. (‘J'ai lu et considéré le rapport de votre oraison’), 131 sq. (‘Comment dois-je conseiller les âmes…’)  µ note à raccourcir !!!

[118]La Règle de Perfection de Benoît de Canfield (1562-1610) traite de l'identification à la Volonté de Dieu.

[119] Boudon, L’homme intérieur..., op.cit., 339 sq.

[120] Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Catherine de Bar, la Mère du Saint-Sacrement).

[121] Présentée dans Expériences…, III, « 4. Figures féminines, L’influente... »

[122] La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé rédigés par saint Jean Eudes   µ édition

[123] Le Directeur mystique  µ

[124] [Jean Eudes], Manuscrit de Québec, Livre VIII, chapitre 8.

[125] Nous l'avions abordée dans Expériences…, II, 2. Traditions ..., 111-114. 

[126] « Sublime » mystique pour Bremond : v. Sentiment religieux…, II, 467-484. « Bernières-Louvigny fut un des disciples de Charlotte », 480.

[127] Mère de Blémur,  Abrégé  de la vie de la V. M. Charlotte le Sergent…, 138-141, et 146.

[128] Expériences…, III, « 4. Figures féminines, Marie de l’Incarnation du Canada ».

[129] Cl. Martin, Vie de la Mère Marie de l'Incarnation, p. 390 (cité par Souriau, p. 92).

[130] Lettres, éd. de 1681, préface de dom Claude Martin, cité par dom Oury, Marie de l’Incarnation, 1973, 311.

[131] Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, Solesmes 1981, 753.

[132] « Sixième état d’oraison …Années 1625 et 1626 », p. 35, & « Dixième état d’oraison (1639) », p. 39 de l’introduction par P. Renaudin à Marie de l’Incarnation ursuline, Aubier, 1942.

[133] Chrétien intérieur, livre 3, chap. 13 (édition en 8 livres). µ

[134] Bernières, Œuvres Spirituelles I, Paris 1677.

[135] Boudon, Œuvres (Migne), col 1315.

[136] L. Luypaert, « La doctrine spirituelle et le quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 36 (1940) pages 19-130, en a l’intuition : « La couleur « capucine » de ce groupe pourrait suggérer une hypothèse de recherches pour la filiation… » (page 29, note 1). 

[137] L'histoire de cette œuvre fabriquée nous incite à la prudence vis-à-vis des imprimés attribués aux auteurs du XVIIe siècle.

[138] Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Droz, 2 tomes, 1969, 1999, 785, citant Souriau, 247.

[139] Marie Hélyot (1644-1682) et Claude Hélyot (1628-1686) furent un beau couple mystique dont le P. Crasset nous a livré le témoignage : voir notre tome 3.

[140] Henri-Jean Martin, op.cit., 951.

[141] A cause de ce succès inattendu, survint un procès prévisible entre éditeurs puisque les deux titres étaient trop proches pour des contenus largement différents : 531 pages pleines succédaient à 165 pages aérées ! L’éditeur rouennais Grivet fut condamné (sans amende) et l’éditeur parisien Cramoisy devint propriétaire des deux titres avec une exclusivité de neuf ans. Le second fut le grand gagnant car il réédita de nombreuses fois le Chrétien, non pas selon sa forme courte initiale, mais selon l'ample version en huit livres qui avait été compilée par d’Argentan et publiée chez le perdant !  On trouvera le récit circonstancié de l’histoire des éditions dans Bernières, Œuvres Mystiques I, cit. infra.

[142] Voir Luypaert, op.cit., 37 et 39.

[143] Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des lettres à l’Ami intime, op.cit. ; Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Édition critique avec une étude sur l’auteur et son école par Dominique Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011. -

[144] Les Œuvres Mystiques II, Correspondance, Ed. critique présentée par le P. Eric de Reviers, bénédictin de l’abbaye de Kergonan, même collection, à paraître.

[145] Rencontres autour de Monsieur de Bernières mystique de l’abandon et de la quiétude (Thierry Barbeau, John Dickinson, Jean-Marie Gourvil, Isabelle Landy, Joël Letellier, Bernard Pitaud, Eric de Reviers, Dominique Tronc, Anna-Maria Valli, textes de Jean  de Bernières), coll. « Mectildiana », Éditions Parole et Silence, sous presse. µ

[146] Lettre à la Mère Dorothée de Ste Gertrude (Heurelle), mss de Tourcoing vol. 5, p. 219, actuellement à Rouen.

[147] Au sens spirituel, car le couvent (disparu, proche de l’actuelle église Saint Jean) donnait sur la « Grande Rue de St Jean », dans « l’île » de Caen, zone plate de « Prairies » entre l’Orne et son bras (Plan de de la Ville et du Château de Caen, 1718).

[148] Boudon, µ

[149] Boudon, µ

[150] Bernières, Chrétien Intérieur, 565.

[151] Chr. Int. p. 593. cité par Souriau p. 254.

[152] Bernières, Œuvres Spirituelles, II, 122.

[153] Souriau, Deux mystiques…, 196.

[154] Boudon, µ  Col. 1316

[155] Boudon lui-même.

[156] Boudon, µ col 1317.

[157] Oeuvres spir. II, 256. Cité par Souriau, 195.

[158] Cité par Souriau, 195.

[159] Lettre à Mère Dorothée de Ste Gertrude, op.cit., p.241.

[160] Des traces de brûlures sur le manuscrit datent du bombardement de Caen en août 1944 : sur trois religieuses, seule celle qui transportait le précieux trésor du couvent survécut…

[161] Annales, I, 82.

[162]  Souriau, op. cit., Deuxième partie, chap. II consacré à Jourdaine.

[163] µ ?

[164] Ref ?

[165] Hibernia ou Hibernie ou Hybernie est le mot latin pour désigner l'île d'Irlande.

[166]  Nous limitons ici sa présentation : elle est déjà faite dans Expériences… III, 3.

[167]  P. Milcent, Saint Jean Eudes, Un artisan du renouveau chrétien au XVIIe siècle, Cerf, 1992, 44. Cit. suivante : 43.

[168]  J. Eudes, La vie et le royaume de Jésus dans les âmes chrétiennes, Lethielleux, 1947.  

[169]  Ch. Berthelot du Chesnay, Les Missions de Saint Jean Eudes…, Procure des Eudistes, 1967.

[170] Gaston de Renty a été présenté dans Expériences… III, 3. « Spirituels dans le monde, Pratique de la charité, Gaston de Renty (1611-1649) ».

[171] Si les deux hommes étaient sincères dans leur idéal, la Compagnie finira par avoir la triste réputation de favoriser l'hypocrisie : Molière luttera avec acharnement contre ses intrusions dans la vie privée (sonTartuffe date de 1664).

[172] DS 13.363/9 (art. Renty, par R. Triboulet).

[173] Cité par Souriau, op.cit. p.27.

[174] Saint-Jure, p. 148 cité par Souriau, op.cit. p.55.

[175] Oeuvres Spirituelles, II, 213.

[176] St Jure, Vie de M. de Renty, p. 214.

[177] St Jure, Vie de M. de Renty, p. 70. µ

[178] St Jure, p. 375.

[179] Renty, Correspondance, éd. par R.Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978, Lettre 16.

[180] Lettre 315 à Mère Elisabeth de la Trinité, prieure de Beaune, 721.

[181] Lettre 339 à St Jure, 754.

[182] Lettre 387 à St Jure, p.818-819. 

[183] La Vie de Monsieur de Renty par Saint-Jure (1651) est traduite et publiée à Londres dès 1658 puis adapté par Poiret et diffusé dans toute l’Europe sous le titre Le chrétien réel (1701). Voir sur l’influence du marquis les pages 166-170 par J. Orcibal, “Les spirituels français et espagnols … chez John Wesley et ses contemporains”, Etudes…, op. cit.

[184] Contrairement à l’opinion de l’érudit Ubald d’Alençon qui le défend (« Nous ne savons pas bien la part de chacun… »), Heurtevent, op. cit., 163, termine ainsi son Chap. IX « La critique de l’œuvre » : « Où commence d'Argentan ? où finit Bernières? Le premier a tellement voulu agrandir et embellir l'appartement du second qu'il l'a transformé au point qu'il est délicat d'en vouloir retrouver présentement les cloisons et la superficie primitive. »

[185] « Avertissement » au Chrétien intérieur « tardif », édité en deux tomes & dix livres (1687).

[186] Ibid., 16e & 19e page de l’ « Avertissement ».

[187] François de Laval a été présenté à la suite de Bernières, Expériences…, III.

[188] Cette section est redevable aux recherches de Dom Thierry Barbeau : « Un disciple méconnu de Jean de Bernières : le bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec (1623-1708) », dans Rencontres autour de Monsieur de Bernières, à paraître µ. Nous en reprenons certaines belles citations qui soulignent la profondeur intérieure exceptionnelle de l'évêque. – Dom Thierry Barbeau renvoie en bibliographie à ses prédécesseurs La Tour, Gosselin,  Souriau, Bégin, Vachon, aux archives.

[189] François Pallu sera choisi avec Pierre Lambert de La Motte pour partir dans le Sud-Est asiatique.

[190] [B. de La Tour], Mémoires sur la vie de M. de Laval, premier évêque de Québec, Cologne, Jean-Frédéric Motiens, 1761, p. 7-8. – Le topos sur le pus sucé est fréquent au Grand Siècle.

[191] [Robert de Saint-Gilles], Les Oeuvres spirituelles de Monsieur de Bernières Louvigny ou conduite assurée pour ceux qui tendent à la perfection, Paris, Claude Cramoisy, 1670 : Seconde partie contenant les Lettres qui font voir la pratique des Maximes, p. 217-221.

[192] Ibid., p. 335-337.

[193] Ibid., p. 21.

[194] DS 1.1887-1893. Les citations proviennent de l'article rédigé par Heurtevent.

[195] Boudon, Œuvres I, Migne, 77 ; Souriau, Deux mystiques…, 92.

[196] Titre d’un livre qui fut mis à l’Index, vingt-six ans après sa parution, en 1688, comme « pouvant servir d’occasion aux erreurs quiétistes » !

[197] Souriau, Deux mystiques…, 203, citant Gosselin.µ

[198] DS 2.939-2.942.

[199] DS 1.1136/38 ; art. « Chrysostome de Saint-Lô » par R. Heurtevent, excellent connaisseur du groupe ; DS 2.884 et l’étude antérieure de Bremond, Histoire…, VII, Chapitre V, « Le vigneron de Montmorency et l’école de l’oraison cordiale », [321-373] ; DS 4.1609 résume bien sa vie mouvementée.

[200] Lettre à la Mère Dorothée, op.cit. p.219.  µ la 2e phrase fait partie de la même lettre ?

[201]  µ à préciser

[202] Jean Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de L’AGNEAU OCCIS dans nos cœurs avec le total assujettissement de l’âme à son divin empire, où il sera brièvement traité de la vraie et sainte oraison et récollection intérieure... y faisant voir premièrement les sept sortes de captivités et enchaînements du péché et du propre amour, qui scellent et captivent notre âme, la tiennent et retiennent à elle-même... par un PAUVRE VILLAGEOIS..., Paris, Denys Bechet et Louis Billaine, 1660. [606 pages ; suivi de] Abrégé pratique de l’oraison de recueillement intérieur en Jésus crucifié [104 pages] ; Table des matières [par sujets].

[203] Auteur de L’oratoire du cœur, Paris, 1679.

[204] Madame Guyon connaissait le livre sans l’apprécier. Elle expliquait que les images finissent par être nuisibles : « L’Agneau occis est un livre où il y a du bon, mais il y a aussi bien des choses que vous ne devez pas approuver. Le bonhomme qui l’a fait est un saint homme, mais comme sa lumière n’était pas étendue, c’est un galimatias ; de plus, il veut qu’on se forme une image de Jésus-Christ avec les armes de la Passion dans le cœur. Ces sortes d’images dans la suite rendent imaginaire et sujet aux visions et représentations, ce qui nuit à l’intérieur. » (Correspondance, III Chemins mystiques, lettre 160). – A distance de trois siècles et demi, le « galimatias » a pris du charme tandis que les « armes de la Passion » ont rouillé.

[205] Bremond, op. cit., VII, [331].

[206] En italiques dans l’imprimé, comme de nombreux passages qui suivront.

[207] Nous citons l’édition de 1660 (Bremond, VII, [332], cite en partie ce même passage).

[208] Bremond, op. cit., VII, [331].

[209] Ruusbroec utilise la comparaison avec les saisons dans ses Noces spirituelles (la gelée blanche du mois de mai à l’époque des consolations, le soleil qui entre dans le signe du Lion lorsque l’homme « sent bouillir le sang de son cœur »). Mais elle est distincte du cycle circulaire de la sève montant des racines aux fruits, ceux-ci croissant puis se détachant de l’arbre et retrouvant la terre pour être servis à la table de la Majesté divine, image de la croissance en l’homme d’une étincelle divine.

[210] Titre de la section. Nous omettons ensuite de nombreux soulignements en italiques dans l’imprimé.

[211] En romain pour la citation (comme dans l’imprimé original).

[212] Ex 3, 1-3 : « ayant mené son troupeau au fond du désert, il vint à la montagne de Dieu, nommée Horeb. Alors le Seigneur lui apparut dans une flamme de feu … » (trad. Lemaître de Sacy).

[213] Son disciple Archange Enguerrand retiendra et transmettra ce point premier et fondamental à la jeune madame Guyon : « C’est, madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans… » (Vie par elle-même, 1.8.6).

[214] s’essorer : se dit de l’oiseau qui s’écarte, et qui revient difficilement sur le poing (Littré).

[215] Lettre à la Mère St Placide du 27 sept 1695, ms. Tourcoing (aujourd’hui au monastère de Rouen), 10.

[216] Un volume va être édité : Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. « Chemins mystiques », Série « Mectilde », 1-428,    µ

[217]  Orthographié Mechtilde à partir du latin Mechtildis ; sur les premiers portraits est écrit en bas Mecthilde (de Mathilde en allemand) ; enfin elle-même signe Mectilde - orthographe adoptée aujourd’hui. Elle est connue à la fin du XVIIe siècle comme « la Mère du Saint-Sacrement » ; tandis qu'elle apparaît généralement dans les éditions anciennes sous son nom et lieu de naissance : Catherine de Bar.

[218] Catherine de Bar […], Une âme offerte à Dieu en saint Benoît, Téqui, 1998 : études dont Dom Letellier ici cité, 55. - Dom Jean Leclercq souligne justement qu’il s’agit d’une « union plutôt qu’immolation » et non de « réparation », ibid., 36.

[219] Joël Letellier, « Catherine de Bar (1614-1698), Annonciade et bénédictine. Une même aspiration à travers les vicissitudes de l’histoire », 329-384, in Jeanne de France et l’Annonciade, Cerf, 2004.

[220] Ce désir de fuite en une solitude se heurte à la réponse ferme donnée par Bernières (v. infra ; et Lettres inédites, monastère de Rouen, 1976, 142).

[221] En 1641, la guerre de Trente Ans provoque le refuge à Paris ; en 1642, séjours près de Caen ; en 1643, venue à Saint-Maur près Paris ; en 1647, priorat du Bon-Secours à Caen ; en 1650, priorat à Rambervillers ; en 1651, la guerre entre la France et le Saint-Empire provoque un second refuge à Paris : « Le Bon ami », rue St Dominique, aujourd'hui Bd Saint-Germain ; en 1652, maison Pinon, rue du Bac ; en 1654, rue Férou ; en 1659, rue Cassette. Que d’épreuves !

[222] Fondation de Rouen, Rouen, 1977. Attachants récits de quatre voyages de la « digne Mère » menés pour cette fondation difficile (essais multiples d’implantation enfin réalisée …mais le plancher s’effondre et une sœur devient folle. La chronique qui couvre les pages 25 à 135 de Fondation évoque les conditions de nombreuses d’entre elles à l’époque, ce qui donne au récit haut en couleur une valeur exemplaire. Un autre récit de fondation - cette fois sans Mectilde - mérite pleine attention : En Pologne avec les bénédictines de France, 46 sq., la fondation très bien annotée suivie de l’histoire des monastères polonais (et de la Pologne) et du vécu de l’Holocauste.

[223] Ce couvent formait un domaine considérable, disposant d’un grand jardin de forme triangulaire. Il verra passer bien du monde, dont madame Guyon et Fénelon. Le grand ensemble formé par le couvent des Carmes, les Bénédictines et N.D. de Consolation, recouvrait l’actuel quadrilatère délimité par la rue de Vaugirard, la rue Cassette, la rue du Cherche-Midi, la rue de Rennes, la rue du Regard… (Plan dans Conrad de Meester, Frère Laurent de la Résurrection, Cerf, 1996, annexe I ; mais Le plan Turgot de 1734 est plus complet).

[224] Conférence de L. Cognet, in Catherine de Bar, Documents historiques, Rouen, 1973, 26-27.

[225] Ms. P[aris]160, p. 228 ; ms. T4, p. 617. Ce dialogue entre dirigée et directeur mystique nous apparaît si important que nous l'avons comparé et corrigé par la source T4.

[226] Correction T4, p. 619 (au lieu de « qu'elle [reçoit] de Dieu »).

[227] T4, p. 633.

[228] Elle n'arrive plus à méditer sur un thème : elle est passée à l'oraison passive.

[229] Correction T4, p. 637.

[230] Bertot proposera de même un décalogue de règles à observer par la jeune madame Guyon : voir Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par Dominique Tronc, coll. « Sources mystiques », Éd. du Carmel, Toulouse, 2005, 58-59.

[231] Ms. P 160,  p. 241a.

[232] Elle prendra en effet le nom de Mectilde du Saint-Sacrement.

[233] « ce divin » : P 101, p. 182.

[234] Bien avare à qui Dieu ne suffit fut la devise de madame Acarie inspirée de saint Augustin :  il faut « qu'une âme soit bien avare, à qui Dieu ne suffit pas » (Enarratio III in Ps. XXX, n.4). Elle sera souvent reprise par Mectilde avec des variantes.

[235] P 101, p. 189, fin de la réponse de Jean Chrysostome.

[236]  Nous l'avons déjà présenté : voir Expériences…, II, 2. Traditions…, Maintien de la règle de saint Augustin, Épiphane Louys, prémontré, 61-64.

[237] Vie de la Vénérable Mère de S. Jean l’Évangéliste…, 117 & 127.

[238] Jean de la Croix sera béatifié seulement en 1675, enfin canonisé en 1726 (apprécié très tôt par les mystiques, il demeurait critiqué par d’autres).

[239] Itinéraire spirituel, 58.

[240] P. Bernard Pitaud in Rencontres autour de monsieur de Bernières, op.cit., « La correspondance spirituelle entre Jean de Bernières et mère Mectilde du Saint-Sacrement ».

[241] L.ettre de Bernières à Mectilde (non datée) P 105, p. 481 ; Itinéraire, 77.

[242] Cité par Véronique Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Itinéraire spirituel, Rouen, 1990, 1997 (2e éd. revue).

[243]  Fonds Du Chesnay, dossier « Bénédictines du St Sacrement ».

[244] V. Andral, Itinéraire…, 73, cite cette lettre de Bernières qui figure dans la biographie rédigée par Gertrude de Vienville (1701), P 101, p. 320.

[245] Entretien avec ses filles en 1694, V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 186.

[246] Entretien en 1697, Ibid., 206.

[247] Voir µ

[248] µ

[249] J. Daoust, Catherine de Bar Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Tequi, 1979, 22-36.

[250] Autographe reproduit par V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 176 sq.

[251] V. Andral, Itinéraire…, op.cit., 213.

[252] Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693, pièce 489 (Madame Guyon, Correspondance II Combats). – Madame Guyon allait fréquemment au monastère de la rue Cassette (ou en face lors de rencontre houleuse avec Bossuet).

[253] Fondation de Rouen, 319 –– Ms. « Cahier de Paris », n°3 & T 13. – « […] Née en 1637, elle était entrée à l'abbaye de Montmartre, près de sa tante, madame de Beauvillier, à l'âge de douze ans, si l'on en croit les Chroniques de l'Abbaye. Elle fut d'abord abbesse de Saint-Corentin-lès-Mantes (dioc. de Chartres), puis de Beaumont-les-Tours (arrond. de Tours), le 15 octobre 1669. Elle décéda le 25 juillet 1689 après vingt ans de gouvernement, à l'âge de 52 ans. […] L'abbaye fut ensuite dirigée par des abbesses de grande valeur : Charlotte de La Trémoille, religieuse de Fontevrault, Anne Babou de La Boudaisière, qui forma plusieurs religieuses, réformatrices du XVIIe siècle, et enfin Anne-Berthe de Béthune. L'abbaye possédait un prieuré à Mennetou-sur-Cher (Loir-et-Cher), à une vingtaine de kilomètres de Selles-sur-Cher, fief de la maison de Béthune. Il est souvent fait mention de ce prieuré dans les lettres de mère Mectilde à Madame de Béthune. » (En Pologne, 119, note 62. Voir aussi les pages 29-30 sur le marquis de Béthune diplomate à Varsovie).

[254] De même Mme Guyon espérera que Fénelon lui succède auprès des deux cercles de disciples laïcs -- Source des lettres adressées à Mme de Béthune : « Cahiers de Paris » « Monastère du SS rue Ste Geneviève », n°3 « Lettres à madame de Béthune ». Mss. P 115 et T 13.

[255] Saint Bonaventure, œuvres présentées par V.-M. Breton, Aubier, 1943, « Bréviloque, §3 – Les Béatitudes et les Fruits », 403 sq.

[256] Voir notre florilège : Les amitiés mystiques de Mère Mectilde, « Madame de Béthune (1637-1689) », 321-342, à paraître µ

[257] La première « bonne âme » fut « sœur » Marie des Vallées à laquelle la jeune Mectilde demandait aide et avis par l’intermédiaire de Bernières.  La deuxième « bonne âme » apparaît également dans des lettres non adressées à Mme de Béthune : En Pologne, lettres du 23 août 1687, de la fin de la même année, de février, mars, mai, juin, août à la reine de Pologne, septembre 1688…).

[258] Mme Guyon n’est jamais nommée sous son nom -- au moins dans la copie manuscrite qui nous est parvenue (figure en tête une « interdiction » de publication rédigée au XIXe siècle par un bénédictin prudent !).  Mais nous ne voyons aucune figure parisienne de quelque relief qui puisse répondre à ce moment précis au profil que suggère la correspondance.

On signalera enfin « l’amitié fraternelle qui unit le prieuré de Montargis » au couvent de l’Institut de Châtillon-sur-Loing (En Pologne, 420, note 264), sachant combien la jeune veuve Guyon apprécia la mère Geneviève Granger.  µ obscur !

[259] Madame Guyon fut retenue prisonnière à la Visitation de Saint-Antoine du 29 janvier au 13 septembre 1688 ; délivrée, elle jouira d'une grande estime de la part de Mme de Miramion, de Mme de Maintenon sa libératrice, de Fénelon et d'autres ; les premiers nuages de la « crise quiétiste » n'apparaîtront qu'à l'été 1691 pour Mme Guyon, donc tardivement (dix années après la condamnation de Molinos !), mais s'épaissiront en 1694 ; elle sera à la Bastille fin décembre 1695.

[260] Documents historiques, 31, lettre entière «  à une religieuse ». Daoust, 47-48. Correspondance de Fénelon, t. VI, Droz, 1987, Lettre 508  écrite peu après le 6 avril 1698. – Voir au t.VII J. Orcibal : note 1 donnant un aperçu biographique précis d’Anne Loyseau : « pendant près de quarante ans elle fut la confidente de la Mère Mectilde et la seconda rue Cassette... » ; note 3 exposant des difficultés rencontrées par la publication du Véritable esprit par Mectilde sous l’anonymat en 1683 ; note 4, où la police suspecte le couvent de « servir d’entrepôt pour les écrits de M. de Cambrai. »  Un fumet quiétiste était donc associé à la mémoire de Mectilde…

[261] Nous en avons publié une étude, 1-66, suivie d’un florilège, 67-575 : Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par Dominique Tronc, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 2005 [23€, www.cheminsmystiques.com]

[262] Le Directeur Mistique, [sic] ou les Œuvres Spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières, & Directeur de Mad. Guion, avec un Recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs Anonimes, que du R. P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, et de Madame Guion, qui n’avoient point encore vu le jour. Divisé en quatre volumes. A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1726. [intégrale *.jpeg sans frais, www.cheminsmystiques.com] – Citation : vol. I, « Avertissement ». - Les points de suspension représentent des coupures permettant de ne conserver que les rares passages apportant une précision biographique, distribués sur quatre pages, [4] à [7].

[263] En fait natif de Caen. Il a pu se glisser une confusion avec le lieu de naissance de Marie des Vallées, qui appartient au même réseau spirituel. Par ailleurs un Bertout (Claude) fut chanoine de la cathédrale de Coutances.

[264] Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BN, F. Fr. 11 911, f. 34-35 : « A Caen ce 17e d’avril 1699 / Monseigneur, / Puisque vous voulez bien savoir la naissance et la famille de feu Mr Bertot, prêtre abbé de St Gildast de Ruye en Bretagne, il s’appelait... » (suite citée dans le texte principal). Huet la reprend dans Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, 398-399.

[265] C’est l’unique exemple de pièces provenant d’une personne étrangère au couvent ; les autres liasses qui vont jusqu’en 1780 sont relatives à des tractations concernant le seul couvent et ses dépendances (Archives Départementales, Caen : « 19. Ursulines fondées par Bernières : 2H249, 2H250/1, 2H250/2, 4 vol imprimés non cotés. » La liasse appartient à la boite 2H249).

[266] 18 lettres sont reprises dans Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Arfuyen, 2009. -- Nous identifions Bertot grâce à quelques rares indices, par ex. : « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre] (lettre 43). Indices ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappent que des éléments fondus au fil du texte : prêtrise de Bertot, éloignement à Paris, envoi d’un écrit…

[267] Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652).  Lettre à l’Ami intime n°5.

[268] Œuvres spirituelles, II, « Voie  unitive », lettre 61. Lettre à l’Ami intime n°18.

[269] Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636 / Sous le gouvernement de la Rnde Mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors / tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l’année 1714 qu’elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Ce ms. porte des traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs de ce couvent des ursulines trouvèrent la mort. Nous en avons présenté des extraits dans Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, 2015, hors-commerce.

[270]Annales…, 156.

[271] Les Annales ont été rédigées en 1714, preuve que cet épisode a laissé des traces !

[272] Annales…, 209 sq. La dernière phrase ne lève pas toute responsabilité de la part de Jourdaine.

[273] A. Launay, Lettres de Mgr Pallu, [Paris, 1904], t. I, 58 (nous modernisons l’orthographe). Mgr Pallu s’était embarqué longtemps auparavant avec le neveu du père de madame Guyon, Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (v. Vie par elle-même…, 1.4.6). C’est une autre rencontre de membres du milieu spirituel dans lequel Bertot était actif ; elle contribua à orienter madame Guyon.  µ pas clair du tout !!!

[274] Directeur Mistique, vol. III, lettres 3.68B (« lettre à l’auteur » non numérotée dans l’original), 3.69, 3.69B, 3.70.

[275] Directeur Mistique, vol. II, lettre 40, 234.

[276] Directeur Mistique, vol. II, lettre 64, 349 ; on en trouvera l'écho chez Madame Guyon, Torrents, Chap. 3,  1 :  « …ces grandes rivières qui vont à pas lents et graves… » contrastent avec le torrent impropre aux charges, mais qui est  conduit plus vite à terme.

[277] Fonds du Chesnay, dossier R5-8 relevant des archives du monastère de Dumfries, Écosse, pièce D 13 (une reproduction complète de ces archives existe au couvent des bénédictines de Rouen). On ne possède malheureusement pas les réponses de Jean à Catherine.

[278] Lettre écrite par Catherine de Bar, de la rue Cassette, le 27 juin 1659. La lettre de Bertot est malheureusement perdue.

[279] Catherine de Bar, Lettres inédites, op. cit., 183-184.

[280] Ibid., 192.

[281] Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, par M. l’Abbé Expilly, Paris, 1762.  - L’église Saint Pierre de Montmartre, entre la place du Tertre et la Basilique du Sacré-Cœur ; l’abbaye a disparue.

[282] Dictionnaire..., op. cit. : la description date d’un siècle après Bertot, mais les grands bouleversements n’auront lieu que plus tard, à la Révolution où le monastère disparaît, à l’exception de l’église Saint-Pierre où se trouverait la tombe de Bertot (à droite en entrant, près d’une colonne ancienne), puis par suite de l’urbanisation propre aux siècles suivants. Le lieu demeurera relativement isolé, avec ses moulins, dont celui de la « fine blute », jusqu’à l’époque des peintres impressionnistes et de Van Gogh.

[283] Nous en avons fait le récit : Expériences…, II, « 2. Traditions..., Une succession de bénédictines réformatrices, Une histoire mouvementée : Marie de Beauvilliers (1574-1657) et la réforme à Montmartre », 81 sq. (suivi de l’opuscule cité).

[284] « Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E . de Barthélemy, Introduction au Recueil..., 19. Voir sur elle : Mère de Blémur, Éloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.

[285] Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. A Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X, 65. – L’Exercice divin est largement repris dans : Expériences…, II, « 2. Traditions…, Une succession…, Une histoire mouvementée : Marie de Beauvilliers… », 86-98.

[286] De 1644 à 1669. Françoise-Renée de Lorraine, abbesse de Montmartre née le 10 janvier 1629, morte le 4 décembre 1682 ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France... - Bertot était en relation avec deux membres de la famille de Guise, l’abbesse et l’altesse : voir le tableau généalogique donné par P. Milcent, Saint Jean Eudes… op.cit., 552.  µ vérifier !

[287] E. de Barthélemy, Introduction au Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, 1883, 22.

[288] Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit., reprise par ce dernier : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines, qui l’ayant envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… » - Mademoiselle de Guise : S.A.R. Elisabeth d’Orléans (née à Paris en 1646, morte à Versailles en 1696) mariée en 1667 avec Louis-Joseph de Lorraine.

[289] Suite de la Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op.cit.

[290] Orcibal, note 1, op. cit.. Voir aussi DS 1.1537-1538, article « Bertot » par Pourrat.

[291] Boislisle, t.  XXX, 71.

[292] Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413, citée par Orcibal ; du Chesnay mentionne la note de Saint Simon, Boislisle, t. XXI, p. 302 : « Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite ».

[293] Saint-Simon, Mémoires…, Boislisle, t. XXI, p. 302. Note associée 2 de Boislisle : « …c’est lui [Bertau] qui fut donné par Madame Granger [Geneviève Granger] à madame Guyon et fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de madame de Béthune, en 1716. »

[294] Bertot y avait fait une donation : « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques, deubs [dûes] par cet hôpital, ce qui a été fait et la donation faite par Alexandre Girot, sieur de Bretheuil… » 11e paquet à 2 liasses, Cane, Hôtel-Dieu, ms., Inventaire Saint Louis, 62-63 » Archives Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières.

 [295] A.S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, y compris les personnes du peuple. Il indique également la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pourvoir faire pression sur les autres…  Nous l’avons édité dans : Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, pièce 504.

[296] 11e paquet à 2 liasses, Cane, Hotel-Dieu, ms., Inventaire St Louis, 62-63 ; également, dans Gall. Christ. XIV, 963, succédant à Michel Ferrand décédé 24 décembre 1676 : « Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay, Bernières).

[297] « Jacques Bertot, mort à Montmartre à soixante ans le 27 avril 1683 [en fait 1681], désigna de son côté le duc de Beauvillier pour exécuteur testamentaire (cf. P. D. Huet, Les origines de la ville de Caen, 2e éd., Rouen, 1706, p. 399). (Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II).

[298] Madame Guyon, Correspondance II Années de combat, op.cit., pièce 478, p.742, « Du P. Paulin d’Aumale ».

[299] DM, vol III, lettre 28, 94.

[300] Lettre 2.06, Chemin pour trouver Dieu (avant oct. 1674). In : Jacques Bertot Directeur mystique, Coll.  Sources mystiques, Ed. du Carmel, 2005, p. 252.

[301] DM, vol II, Lettre 11, 44.

[302] DM, vol II, Lettre 16, 74. - Canfield avait joué un rôle important dans la réforme à Montmartre.

[303] Lettre 4.34. Du centre de l’âme.

[304] Allusion probable au vigneron Jean Aumont.

[305] DM, tome III, 346 sq.

[306] DM, Lettre 4.81. L’état d’anéantissement parfait en nudité entière.

[307] La Vie par elle-même…, op. cit., 1.8.6 à 1.8.9. Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières : une deuxième filière relie Mme Guyon au groupe de l’Ermitage, mais cette fois à travers deux intermédiaires.

[308] La Vie… 1.12.7.

[309] La Vie… 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10, 1.23.3, 1.20.7, 1.20.6, 1.22.7. Voir infra sur la mère Granger.

[310] La Vie… 1.19.1 (leçon du ms. d’Oxford ; 1.19.2 chez Poiret).

[311] DM, vol. II, lettre 6, p. 29 ; in Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Champion-Slatkine, 2003, lettre no 23 ; Jacques Bertot Directeur mystique, op.cit., 58-59.

 [312] Lettre 4.75.

[314] Lettre 3.33. La mort à soi.

[315] Lettre 4. 79. Tendre à Dieu en lui-même.

[316] Cf. Jean, 12, 32.

[317] Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, 247.

[318] Lettre 4.71. [2e lettre]. Silence devant Dieu.

[319] Lettre 3.32. Se voir en Dieu.

[320] Lettre 4. 72. Béatitude en cette vie.

[321] Le Directeur Mistique [sic] ou extrait des œuvres spirituelles de Mons. Bertot, tiré des Quatre volumes de ces mêmes œuvres..., Berlebourg, 1742. 

[322] Lettre 10 à M. de Klinckowström, 1764, Bibl. Cantonale de Lausanne, ms. TS 1019A.

[323] Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) fut à Lausanne un pasteur adulé pour ses exhortations pleines de flamme. Voir infra notre chapitre à son sujet.

[324] Jean-Philippe Dutoit, par A. Favre, (thèse), Genève, 1911, p. 115. La Théologie du Cœur est un recueil édité par Poiret et contenant divers traités dont le Breve Compendio de Gagliardi inspiré par I. Bellinzaga.

[325]  Bremond, Histoire du sentiment religieux, Tome XI et index.

[326] DS art. « Bertot » ; Pourrat, La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, 183-195.

[327] Voir notre tome 3 où nous avons raconté les aventures de Bernières avec cette « amazone »       µ

[328] Annales 40 & 41. La lettre est reproduite dans l'appendice à la Correspondance de Marie de l'Incarnation, édition Oury 1971, 949 & 950.

[329] Voir sa biographe canadienne : Françoise Deroy-Pineau, Madeleine de la Peltrie, Amazone du Nouveau Monde, Bellarmin, Québec. Voir aussi le beau et long témoignage (avec le récit du fameux mariage) livré par Marie de l’Incarnation, Lettre CCLXIX, 904-914 & v. Rel. Jés. 1672, 1013 n.1 (in Marie de l’Incarnation, Correspondance, Solesmes, 1971).  µ même lettre que note 315 ?

[330] Voir notre exposé chronologique in Expériences II.  Lire les deux Relations de préférence dans la Vie par dom Claude (1677, rééd. Solesmes 1981 ; heureuses précisions et adjonctions de dom Claude). Tout aussi admirable, la Correspondance assemblée par Oury (Solesmes 1971) ; un choix in Amis des Ermitages de Caen et de Québec, 271-506.

[331] Amis des Ermitages de Caen et de Québec : relevé complet pages 507-532 dans la Vie par dom Claude et dans la Correspondance assemblée par Oury.

[332] Vie par dom Claude, 1677, 197.

[333] Lettre de 17 septembre 1660 de Marie de l’Incarnation à son fils, Dom Claude Martin, dans Marie de l’Incarnation. Correspondance, op. cit., lettre CLXXXV, p. 632. µ editeur ?

[334] µ reference ?

[335] Lettre du 6 novembre 1677 de François de Laval à Henri-Marie Boudon, Ibid., p. 207.

[336]  [B. de La Tour], Mémoires sur la vie de M. de Laval, op. cit., p.35-36.

[337] Voir Ferdinand Cavallera, « Aux origines de la société des Missions étrangères. L’Aa de Paris », art. cit.,  215. µ ??

[338] Dom Thierry Barbeau, Un disciple méconnu de Jean de Bernières, le bienheureux François de Laval, premier évêque de Québec (1623-1708) », Rencontres autour de Monsieur de Bernières., 2012.

[339] [B. de La Tour], Mémoires sur la vie de M. de Laval, op. cit., p 25-28.

[340] Lettre de l’automne 1689 de François de Laval à l’abbé Milon, prêtre du Séminaire des Missions Étrangères de Paris, Ibid., p. 452.

[341] Dom Thierry Barbeau : « Un disciple … », op.cit

[342] Souriau, op.cit., 239-240 & 381 sur sa brouille avec Mgr de Laval. – Nous omettons ici les notes de Souriau.

[343] Dom Thierry B. : « Un disciple méconnu … », op.cit.

[344] Souriau, op.cit., 216 sq.

[345] Vie de Mgr de Laval / premier évêque de Québec et Apotre du Canada / 1622-1708/ par / L’abbé Auguste Gosselin / Curé de Sain-Féréol / Docteur ès-lettres de l’Université Laval, Québec, 1890. [Deux tomes : cité « Gosselin I, II »].

[346] Gosselin, II, 227. µ

[347] Dom Thierry B. : « Un disciple … », op.cit

[348] Souriau, op.cit., 219 – Gosselin II, 237-238. 

[349] Dom Thierry B. : « Un disciple … », op.cit

[350] Souriau, op.cit., 229sq.

[351] Gosselin, II, 180.  µ où commence la citation de Gosselin ? Il faut la présenter d’une phrase :   ex. L’abbé Gosselin nous le décrit :

[352] Gosselin, II, 231-232.  µ où commencent ces citations ?

[353] Gosselin, II, 227.   µ attention : citation attribuée à Maizerets !!!

[354] Gosselin, II, 382.

[355] Gosselin, II, 226-227.

[356] Gosselin, II, 566.

[357] L’ordre est toujours actif en France, en Italie, en Allemagne, en Pologne, et les sœurs veillent sur la mémoire de leur fondatrice par de nombreuses publications : la Bibliographia Mechtildiana, Benediktinerinnen, Köln, 2001, cite 994 références.

[358] Comme il est « essentiel » à nos yeux, il figure au milieu du volume, tableaux et listes de moindre importance étant reportés en fin.

[359] La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Étude littéraire par A. Villard, Paris, Honoré Champion « Sources Classiques », 2001.

[360] R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; Genève, 2000. Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’était pas réalisable pour elle en pratique.

[361] Expériences… II, « 2. Traditions…, La réforme du Carmel français par Jean de Saint-Samson et ses disciples », 133 sq. – Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, par Dominique Tronc avec une étude du P. Max Huot de Longchamp, Ed. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques » ;  Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Éditions du Carmel, 2007, & Entrée à la Divine Sagesse, Ibid.,  2008.

[362] Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., 41-44 pour leur introduction, et 50-74 pour leur édition reprise du Directeur mystique, tome IV, pages 265 à 309, « Seconde partie, / contenant / Quelques Lettres Spirituelles du R. P. Maur de l’enfant Jésus et de Madame Guyon, / qui n’ont point encore vu le jour. / Première section ou / Lettres du R. P. Maur de l’enfant Jésus, Religieux Carme (Ces lettres sont écrites à une même personne et dans le même ordre). » 

[363] Expériences… II, « 2. Traditions…, Une succession de bénédictines réformatrices, Trois bénédictines à Montargis, Geneviève Granger…, 106 sq.

[364] La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit. - Références données par la séquence des numéros : section/chapitre/paragraphe.

[365] Réédité dans La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Sources mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2013, 645 sq.

[366] Sinon indirectement, s’adressant à un étranger : « Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu [Bertot], qui est mort il y a plusieurs années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma jeunesse. » (Lettre au Baron de Metternich, Correspondance I Directions spirituelles, pièce 425). – Madame Guyon s’appuie par contre sur une autorité du début du siècle jamais mise en cause, celle du grand carme aveugle Jean de Saint-Samson (1571-1636).

[367]A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit ».

[368] Expériences..., II, 4. Franciscains, Franciscains récollets, Archange Enguerrand, 337 sq.

[369]  « Et partant, toujours chercher Dieu et ne le point trouver, c'est toujours semer et ne point recueillir ; et cela parce qu'on le cherche mal en le cherchant au-dehors, et c'est au-dedans qu'il se donne. » (L’ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occispar un pauvre villageois…, 1660, 558. – L’auteur « simple vigneron » était Jean Aumont influant sur le jeune Enguerrand.

[370] interdiction : trouble, étonnement, surprise.

[371]Vie 1.8.6-7.

[372] Vie 4.1 [3.20.6. dans les anciennes éd.].

[373] André Derville, S.J., « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177-203.

[374]Termes utilisés par Bremond, op.cit., VII [321 sq.].

[375] Maurice Le Gall de Querdu (1633-1694), auteur attachant de L’Oratoire du cœur ou méthode très facile pour faire oraison avec J.C. dans le fond du cœur, qui utilise des images naïves et symboliques, proche de celles utilisé par Vincent Huby et de missionnaires en Bretagne. Voir DS 9.529.

[376] Instruction pour les personnes qui se sont unies à l'esprit et au dessein de la dévotion de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement établie dans la congrégation des religieuses bénédictines... qui est de faire réparation d'honneur et amende honorable à Jésus-Christ, Paris, 1673 (la 4e édition, 1702, est augmentée d'une Pratique de piété pour honorer et adorer le Saint-Sacrement...).

 [377] A. Derville, op. cit., 184.

[378] Madame Guyon, Vie par elle-même, 1.27.8 (première partie, chapitre 27, paragraphe 8).

[379] La Vie de la Mère Marie Bon de l’Incarnation, religieuse Ursuline de Saint Marcellin, en Dauphiné, où l’on trouve les profonds secrets de la conduite de Jésus-Christ sur les âmes, et de la vie intérieure, par le P. Jean Maillard, S.J., à Paris chez Jean Couterot et Louis Guérin, 1686, d’où nous tirons des extraits. – Le Journal des illustres religieuses de l'ordre de sainte Ursule […] tirées des Chroniques... section : « 19e mars. La V. Mère Marie de l'Incarnation, Bon, […] de S. Marcelin en Dauphiné », 348-355, parle des « parloirs remplis de tous sexes et de toutes conditions, qui tous venaient la consulter… ».

[380] Bremond, Histoire…, tome V, « Conquête… », 342-344 (longue note sous le nom de Maillard, consacrée en fait à Marie Bon) ; Bremond signale qu’il eut en main un Traité de la direction  attribué par un lecteur à madame Guyon !  V. aussi tome VI, « Turba magna », 421.

[381] La Vie…, op.cit., 10.

[382] « Il [le comte de Fénelon qui partit le 27 de décembre 1684 « pour aller servir contre le Turc »] prit ce livre [ le Moyen court ], il le condamna d'abord, et alla soulever une partie de la ville, entre autres soixante et douze personnes, qui se disent ouvertement les soixante et douze disciples de M. de Saint-Cyran. Je n'étais arrivée qu'à dix heures du matin, et il n'était que quelques heures après midi que tout était en rumeur contre moi. Ils allèrent pour cela trouver Monsieur de Marseille [Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille], lui disant qu'à cause de ce petit livre il me fallait chasser de Marseille. Ils lui donnèrent le livre, qu'il examina avec son théologal, et qu'il trouva fort bon. Il envoya quérir Monsieur de Malaval et un bon père récollet, qu'il savait m'être venu voir un peu après mon arrivée, pour s'informer d'eux d'où venait ce grand tumulte qui m'avait un peu fait rire, voyant sitôt accompli ce que le Démon avait dit à cette bonne fille. Monsieur de Malaval et ce bon religieux dirent à Monsieur de Marseille ce qu'ils pensèrent de moi, de sorte qu'il témoigna beaucoup de déplaisir de l'insulte qu'on m'avait faite. Je fus obligée de l'aller voir ; il me reçut avec une extrême bonté, jusqu'à me demander excuse. Il me pria de rester à Marseille, qu'il me protégerait, il me fit même demander où je logeais pour me venir voir. » (Madame Guyon, Vie, 2.23.3).

[383] DS 10.155.

[384] Thèmes abordés dans la Vie par elle-même : 2.3.7 (guérison), 2.5.9 (père en croix), 2.6.8 (droiture), 2.7.11 (maternité spirituelle), 2.10.1, 2.11.4 (« je voyais jusque dans le fond de son âme »), 2.11.6 (sa voie changée en voie de foi), 2.11.8, 2.12.1, 2.12.8 (« à près de cent lieues je sentais ses dispositions », union en croix), 2.13.3 (rêve), 2.13.4,12 (communication), 2.14.4 (guérison au bord de la mort), 2.15.4 (union en croix), 2.15.8 (incompréhension), 2.20.4 (communication), 2.22.7 (communication en croix), 3.1.2 (union en unité), 3.8.3 (communication de prison).

[385] ms. TP 5140/2, publié comme Voyes de la Vérité à la vie, 1795, cf. note supra. µ

[386] Romain 8, 26 (réf. reprises de l’éd. 1795).

[387] I Cor. 12, 31.

[388] Luc 18. 1 ; I Thessa. 5, 17 ; Ps. 15, 8 et 45 ; vs. 11 et 72 vs. 28 Vulg.   µ

[389] Proverbes 3, 6.

[390]  I Jean 5, 15.

[391]  Deutéronome 4, 29.

[392] Cas rare. Ce n’est pas le cas du modèle offert par la Vita de Teresa et de ses nombreuses imitations ordonnées par des confesseurs, où l’on sépare le concret du mystique, la vie des vertus… Une troisième figure « intermédiaire » attirante est celle de Maria Petyt mais son long témoignage est flamand.

[393] La Vie par elle-même, chapitre 3.21 (ms. signé « décembre 1709 »).

[394] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, analyse, sous un titre pour le moins incomplet car l’autocensure s’imposait à l’époque, la première partie « publique » de la vie de Madame Guyon. En effet le récit qui la concerne directement couvre la moitié du texte soit 197 pages (sur un total de 396) tandis que les pages 9 à 55 introduisent au mysticisme du XVIIe siècle ; le reste (env. 150 pages) implique Fénelon et les adversaires.  La suite annoncée page 7 ne put être réalisée par suite de la disparition précoce de l’abbé.  L’analyse de la « période publique » est précise, claire, exacte (dans le cas d’une réédition on devra tenir compte des corrections apportées par J. Orcibal sur son exemplaire annoté disponible aux A. S.-S). DS 6.1306-1336, art. Guyon (1967), rétablit la mystique au sein du catholicisme français.

[395] Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien…, Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, 2009.

[396] F. Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Flammarion, 1978 [contexte social de l’époque à la Cour]; M.-L. Gondal,  Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, 1989 [spiritualité].

[397] L. Cognet, op.cit. ; J. Orcibal, in Etudes… op.cit. : “Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon” (1974), 799-818 ; “Madame Guyon devant ses juges” (1975), 819-834 ; “Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon : les Opuscules spirituels” (1978), 899-910 - M.-L. Gondal, L’Acte mystique, 1985. - Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, op.cit. - Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997. - D. Tronc, contributions distribuées dans les éditions de l’œuvre, Honoré Champion, 2001-2008 & Les années d’épreuves…, op.cit.

[398] Les citations sont extraites de La Vie par elle-même.

[399] Cette belle figure de religieuse, présentée dans Expériences… II, « Une succession de bénédictines… », 106-110, fut son soutien et son premier guide intérieur.

[400] Expériences… II, « 4. Franciscains, Archange Enguerrand… », 337-352.

[401] Ce qu’atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 L[ivres] t[ournois] de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles catholiques » (Archives Eudistes, Fonds du Chesnay).

[402] Madame Guyon, Correspondance, II, pièce 504, « Mémoire sur le quiétisme, enquête adressée à madame de Maintenon », 816.

[403]Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Honoré Champion, 2008, « Discours spirituels, 2.68 Communication de cœurs et d’esprits », 734.

[404] Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. : 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.

 [405] v. Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.

[406]Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., lettre 248 à Fénelon écrite en avril 1690.

[407]Ibid., lettre 249 de Fénelon du 11 avril 1690 (& J. Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111).

[408]Ibid. lettre 248 - Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en juin 1717 tandis que Fénelon meurt en janvier 1715.

[409]Les trois forts volumes de la Correspondance parus chez Honoré Champion témoignent d’une vie mystique vérifiée dans les tribulations, caractérisée par une entière disponibilité à la grâce. Le Tome II Années de Combat fournit le dossier des pièces qui manquaient jusqu’à maintenant pour étudier précisément la « querelle » lors des années publiques.

[410] En reprenant le récit de synthèse ouvrant Les années d’épreuves…, op.cit. Première étude sur la période « invisible » elle présente archives, lettres et récit des prisons. Ils donnent un relief saisissant à cette « épreuve obscure », comparable aux grands témoignages de prisonniers du XXe siècle.

[411]Au vu des détails rapportés par elle-même et très certainement commentés voire « améliorés » par le demi-frère ennemi Dominique de la Mothe, fort bien informé puisqu’il appartenait au même ordre des barnabites que le confesseur La Combe : « J'étais dans ce couvent, et je n'avais vu le Père La Combe que ce que j'ai marqué. Cependant on ne laissait pas de faire courir le bruit que je courais avec lui, qu'il m'avait promenée en carrosse dans Genève, que le carrosse avait versé et cent folies malicieuses. […]. Le Père La Mothe débita de plus que j'avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe, ce qui était d'autant plus faux que je n'ai jamais été de cette manière. » (Vie, 2.7.3).

[412]Au début du septième interrogatoire : « …il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quel est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît… ».

[413] « Le 16 octobre 1696. Le sieur Desgrez a été averti par M. le curé de Saint-Sulpice à qui il a donné un billet pour monseigneur l'archevêque de se rendre ce matin même à sept heures à l'archevêché pour y recevoir par les mains de monseigneur l'archevêque les ordres du roi pour transférer madame Guyon du donjon de Vincennes au lieu qui lui serait marqué par monseigneur l'archevêque… » (Les années d’épreuves, op.cit, 274).

[414]Notes et soulignements ajoutés aux greffes des interrogatoires de proches (3 janvier au 17 janvier).(Papiers La Reynie, B.N.F. ms. fr. nouv. Acq. 5250)

[415]« Cette dame fut mise aux filles de Sainte-Mariede la rue Saint-Antoine dans le temps que le père la Combe était [enfermé] aux pères de la Doctrine. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par monsieur Chéron, monsieur Pirot présent. On l'interrogea sur sa conduite, sur ses voyages de Savoie, de Piémont, de Provence, de Dauphiné et autres, et sur la doctrine et ses livres… » (Mémoire de Pirot, 1696). – Au cas où Pirot aurait exagéré son zèle en considérant toute comparution à la grille comme interrogatoire distinct, nous retenons le chiffre de quatre, décrits par l’intéressée dans sa Vie. Le même Mémoire nous informe sur 14 à 16 interrogatoires de La Combe, le confesseur lié à madame Guyon, avant même son placement en prison d’état à Oléron. Tous les acteurs sont donc très bien informés lors de la reprise par La Reynie en 1696. Pirot reprend alors du service comme confesseur imposé.

[416] Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, 2008. – Dans ce choix de textes, une place importante aux écrits de la maturité est accordée aux côtés du Moyen court, des Torrents.

[417] Correspondance I Directions spirituelles, op. cit., 587-870.

[418]« Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans La Vie…, 1006. -- Noter l’intéressante description d’une ‘plongée’ dans l’intériorité, auprès d’elle : elle s’effectue spontanément, sans nulle suggestion orale ou rappel de sa part.

[419] Je ne donne pas en note les rééditions récentes. Voir Annexe,  VIII. Bibiographie.

[420] Edith Stein, juive convertie ; on eût préféré sœur Emmanuelle à mère Teresa convertissant en Inde.

[421]Pour les femmes : rien de madame Acarie première Marie de l’Incarnation ; bien peu de la baronne de Chantal.   Pour les hommes : une grande partie de l’œuvre sanjuaniste a disparu ; on a réécrit Jean de Saint-Samson, Jean de Bernières, et peut-être fort mal édité Laurent de la Résurrection. Monsieur Bertot aurait totalement disparu si madame Guyon n’avait pris le soin de rassembler sa correspondance…

[422]Les bibliothèques privées sont généralement dispersées, perdues, voire vandalisées. Le travail de M. Chevallier publié dans la Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985, pour cerner les rares exemplaires des éditions Poiret accessibles en Europe est précieux. Quand nous avons commencé à nous intéresser à madame Guyon, avant que les ressources des Archives Saint-Sulpice n’aient été mises en valeur par leur conservateur I. Noye, nous avions repéré une édition Guyon complète accessible c’est-à-dire reproductible (donc hors B.N.) à la …bibliothèque Théosophique ! - édition disparue sans traces quelques années plus tard…

[423]Voir pour les éditions modernes des Torrents (et de même pour les références aux autres œuvres citées) : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., « Éléments bibliographiques », 779 sq.

[424]Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685 ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686 ; à Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris et Rouen, 1690.

[425]Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1685.

[426]La Vie de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720 ; éd. reprise par Dutoit à la fin du siècle.

[427]Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. A Cologne [Amsterdam], chez Jean de la Pierre, 1713. In-8°. Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Préface. Vincenti. A Cologne chez Jean de la Pierre, 12 tomes, 1715.

[428] Voir L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958, 79 n. 1.

[429] Manuscrits BN Fds Fr. 25092 à 25094 du fond Bossuet ; Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même … avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720 ; Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guion, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés (sic) ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris chez les Libraires Associés, MDCCXC en trois tomes soit tome I : Préface (par Dutoit) i-xvi, Justifications 1- 432, tome II : 1-379, tome III : 1-368 et tables. Voir la table des Articles. On note que l’apport de Fénelon se limite aux pages 267-368 du tome III.

[430] Voir J. Orcibal, préface (non paginée) aux Opuscules spirituels…, Olms, 1978.

[431] Titre d’un ouvrage du franciscain Constantin de Barbanson, connu de madame Guyon.

[432]  Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985. Voir aussi : M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994.

[433]Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. ; Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur. Londres [Lyon], 1767-1768, 5 tomes ; [ces éditions du XVIIIe siècle couvrent la moitié de ce qui nous est parvenu, publié dans :] Madame Guyon, Correspondance, I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances », 2003, 928 p. [inclut la correspondance avec Fénelon, complétée par l’année 1690 jamais publiée ; et la Correspondance de Fénelon par Orcibal et al. laisse de côté les lettres de Madame Guyon !] ; Correspondance, II Combats, Ibid., 2004, 952 p. [le dossier permettant l’étude de la “Querelle du Quiétisme”] ; Correspondance, III Chemins mystiques, Ibid., 2005 [reprise de ce qui fut publié au XVIIIe siècle et cité supra :  ce dernier volume III est le plus riche mystiquement].

[434] L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses “Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers…, Cologne, J. de La Pierre, 1717. In-8°, XXVIII-188p. et pl. gravées ; Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes. Vincenti, à Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1722.

[435] Le Directeur Mistique…, op.cit.

[436] Suite de la citation achevant la section précédente (« Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans La Vie…, 1006). – le rideau tenant double fonction, disciples catholiques et protestants respectent les interdictions qui leurs sont imposées.

[437]La liste de ceux qui surmontèrent une certaine « étrangeté » inclut les érudits suivants : Fénelon, Poiret, Dutoit, Chavannes, Masson, Brémond, Bergson, Cognet, Gondal, Le Brun.  

[438] Le premier groupe est illustré par des hommes ; ils ont pu bénéficier d’une culture technique assez large, tels Ruusbroec, Jean de la Croix, Jean de Saint-Samson, etc. Le second groupe est souvent illustré par des femmes empruntant parfois la voie indirecte de la dictée, voire de “dits” rapportés, telles Angèle de Foligno, Julian de Norwich, Catherine de Gênes, Marie de l’Incarnation (du Canada), etc.

[439] Le Moyen court fut publié à l’insu de l’auteur dès 1685. – Les Torrents ne seront pas publiés au XVIIe siècle.

[440] Modèle d’un grand cycle naturel bouclé sur lui-même, subordonné à une activité explicative, dont on relève des aperçus influencés par une pensée pré-moderne, par exemple alchimique dans les Carnets d’un Léonard de Vinci. 

[441]Il suffit de comparer ses écrits à ceux d’Antoinette Bourignon appréciée par le jeune Poiret, de théosophes (depuis Boehme), de visionnaires (jusqu’à Swedenborg et Saint-Martin), ou de figures qui par leurs visions ou leurs révélations ont généré des cultes mariaux catholiques (Marie d’Agreda, etc.).  

[442] Conséquente omission : du cinquième au trentième paragraphe.

[443] Impureté foncière, qui est l'effet de l'amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire. Ajout de l’édition de 1720.

[444] Vie…, 3.21. Il s’agit de la conclusion du long récit autobiographique de la Vie (3.21 désigne le 21e chapitre de sa 3e partie).

[445] Très certainement avec son accord, 140 de ces 156 textes furent édités en 1716 alors que Madame Guyon mourut en 1717.  Elle n’a probablement pas eu le temps de revoir à Blois les manuscrits aujourd’hui disparus utilisés par Poiret à Rijnsburg en Hollande. Ce fut par contre le cas pour son autobiographie dont la phase finale de rédaction en 1709 laissa tout le temps nécessaire à des révisions qui demeurèrent d’ailleurs modestes. En effet le manuscrit de la Vie par elle-même fut renvoyé en Écosse et ainsi préservé (ms. d’Oxford) tandis que la bibliothèque de Poiret fut dispersée en 1748 et perdue. Seuls les 16 textes édités en 1718 à la fin des volumes rassemblant par ailleurs une fraction de sa correspondance nous apparaissent comme un supplément rassemblé post-mortem sans le contrôle de leur auteur.

[446] Ici, Guyon, Discours, 1.01. Voir Bernardino de Laredo, Subida del Monte Sion ; Jean de la Croix, Subida del Monte Carmelo.

[447]Des Noms Divins, chap. 4 : « [704 A] C’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres … [713 B] Par désir amoureux … nous entendons une puissance d’unification et de connexion, qui pousse les êtres supérieurs à exercer leur providence à l’égard des inférieurs, ceux de rang égal à entretenir de mutuelles relations… » (trad. M. de Gandillac).

[448]Ps 104, 30 : « Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre. »

[449]La Vie par elle-même en donne aussi des descriptions précises dont sa découverte à Thonon avec le P. Lacombe.

[450] Discours 2.65 : “État Apostolique. Appel à enseigner” : en fait une pièce jointe à une lettre à Bossuet vers le 10 février 1694, Correspondance II, 235.

[451] D.2.1 : Première lettre du deuxième volume publié par Dutoit ; le titre qui suit est de ce dernier.

[452] Cette lettre d’une personne simple (on a toutefois peine à l’attribuer sans retouches à une paysanne) fut placée intentionnellement à la fin de la correspondance de Madame Guyon éditée en cinq volumes par Dutoit (tome V, « Lettre accessoire […] d’une païsane de la connaissance de Mad. G » 169-188 ; précède la correspondance avec Fénelon, absente de l’édition antérieure Poiret).

[453]Vie, 2.21.2 : « …Notre-Seigneur me fit expliquer toute la Sainte Écriture. »

[454]Vie, 2.20.9 -  Vie, 2.20.8  :  « …je n’avais pas le temps de manger, à cause de la grande quantité de monde qui venait… »). 

[455]Vie, 2.20.8 et 2.20.10.

[456]Vie, 2.21.1.

[457] L’Apocalypse de S. Jean Apôtre... Tome VIII. 1713 : La Conclusion [générale] pp. 409-412 contient : « achevé le 23 de Septembre 1683 » [1682 est corrigé à la main sur l’exemplaire imprimé des A.S.S.].

[458]Vie 2.21.1-3.

[459]Vie 2.21.8

[460] Tractatus theologico-politicus, publié en 1670.

[461] Avertissement en tête des commentaires de l’Ancien Testament, 49.

[462] L’interprétation mystique des textes sacrés chrétiens a disparu de l’horizon de traducteurs modernes.  Voici un exemple : l’évangile de Marc, au chapitre I est commenté par Madame Guyon ainsi :  …La perfection consiste à connaître que nous avons Dieu en nous, à L’y chercher et à L’y trouver. Jésus-Christ nous apprend que le royaume de Dieu est en nous [nous soulignons].

Ce qui renvoie à de nombreux passages dont la TOB donne les traductions suivantes : « …le règne de Dieu s’est approché. » (TOB, Matthieu, 10, 7) ; « …le règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (TOB, Luc 10, 9, accompagné toutefois de la note : « Littéralement : s’est approché jusqu’à vous. ») ; « …le Règne de Dieu est arrivé. » (TOB, Luc 17, 11) ; enfin Luc 17, 21, « …Le Règne de Dieu est parmi vous ». Cette dernière traduction est accompagnée de la note explicite suivante, qui traduit une orientation toute extérieure mettant en valeur l’assemblée des croyants : « On traduit parfois : en vous, mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne de Dieu une réalité seulement intérieure et privée. Pour Jésus, ce Règne qui concerne tout le peuple de Dieu est présent en fait dans son action de salut (cf. 11, 20). Il est à votre portée (TOB, 2508, j).

Face à cette tendance extravertie et communautaire, le commentaire de Madame Guyon prend le parti-pris de faire apparaître la richesse intérieure du texte biblique. A ce titre, il clôt une précieuse tradition d’interprétations « spirituelles » et peut ainsi alimenter la vie spirituelle.

[463] Cet amour des phénomènes continue de nos jours dans l’ouvrage influent du jésuite A. Poulain, Des grâces d’oraison, (1901, 10e éd. 1922).

[464] Explication à la Genèse, ch. XXVI, v. 13, [Tome I, 162].

[465] Matthieu, chap. V, verset 3, [Madame Guyon], Le Nouveau Testament de N.S.J.C. avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure…, vol. I, 1713, p 65.

[466] L. Cognet, Crépuscule des Mystiques, op.cit., présente l’écheveau des intrigues mêlées aux divergences doctrinales.  Sur les Justifications et les travaux de Fénelon, v. pages 227, 246 à 250.

[467]Vie 3.16.7.

[468] Pour avoir un aperçu du « paysage spirituel » qui guida Guyon et Fénelon travaillant de concert l’été 1694, regroupons les titres des clés en sections (1-10) ; les mots importants ouvrant chaque section sont livrés en italiques ; chaque clé est suivie de son numéro d’ordre dans les éditions Poiret puis Dutoit (il diffère de l’ordre du manuscrit de la B.N. livré à Bossuet) :

(1) Propriété. 48 - Opérations propres. 43 (2) Oraison ; que tous peuvent faire oraison. 44 §1 Oraison et méditation. 44 §2 - Communication des âmes. 8.2 - Moyen. Sans moyen ni milieu. 36 - Expérience. Intelligence. 19 (3) Abandon. Résignation. 1 - Sacrifice. 56 - Anéantissement. 3 - Perte. Absorbement. 45 - Mort entière. 37 (4) Quiétude etc. 51 §1 Silence. 51 § 2  - Simplicité. 60 - Sortie de soi. Oubli de soi. 61 (5) Foi nue et obscure. Ténèbres sacrées. 23 - Nudité. Foi obscure. 40 (6) Centre, fond de l’âme. 4 - Chercher Dieu en soi, Règne de Dieu. 6 (7) Communication de Dieu à l’âme. 8 §1 Communication des âmes 8 §2 - Désir. Dieu désire de se donner à nous. 14 - Dieu enseigne l’âme. 16 - Justice de Dieu. 32 - Présence de Dieu. 46 - Volonté de Dieu est notre volonté. 67 (8) Impassibilité. 28 - Franc-arbitre. Liberté. 25 - Joie de l’âme. Vraie liberté. 31 - Consistance. État de consistance ou stabilité. 10 - Fécondité spirituelle sans sortir de l’unité divine. 21 (9) Transformation. 63 - Motion divine. 39 - Résurrection. Vie nouvelle. 55 - Union. Unité. 66 (10) Pur amour. 49

[469]L’importance de cette entreprise dont l’absence obère toutes les approches présentes de la mystique du grand siècle justifie cet excursus. L’ajout de sources moins confirmées expérimentalement ne fera que brouiller les repères par leur « bruit de fond ». Par contre l’adjonction de références antérieures (Institution spirituelle de Blosius, Institutions taulériennes, etc.) s’imposera comme pierres de touche.

[470] L’atmosphère, tout ce qui diffuse la lumière du soleil.

[471] Idée de création continue dont la plus importante n’est pas de naissance.

[472] Jean de la Croix est béatifié le 25 janvier 1675, canonisé le 27 décembre 1726, déclaré docteur de l’Église le 24 août 1926.

[473] Thérèse d’Avila est béatifiée le 24 avril 1614, canonisée le 12 mars 1622, déclarée docteur de l’Église le 27 septembre 1970.

[474]L. Cognet, Crépuscule…, 248.

[475] Et vécue de façon « chimiquement pure » selon Bergson lecteur de la Vie par elle-même. (J. Chevalier, Cadences II, Plon, 1951, 79 ; J. Guitton, Préface à J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux, Dom Innocent Le Masson, Paris, 1974, 10-11).

[476] Aucun passage biffé ni ajout au sein de ses autographes qui courent d’une seule traite et sont très souvent formatés par l’espace disponible.

[477] René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, op.cit.

[478] Ce qui se traduisit par un premier « autodafé » des exemplaires du Moyen Court en 1690, à Prémol près de Grenoble, précédant celui opéré plus tard à Saint-Cyr en 1695.

[479] Lettre à Tronson du 11 mai 1696, etc.

[480] « Je n’étais donc, comme je vous dis, ni endormie ni éveillée, lorsqu’il me parut que le désir que j’ai d’être au plus tôt une véritable épouse du céleste Époux, échauffa si fort mon cœur que je devins toute en feu […] Le doux murmure de ces ruisseaux et le bruit confus d’une grande quantité de zéphirs, rendait ce séjour le plus agréable du monde […] je fus menée dans une épaisse forêt […] on y découvrait de loin une montagne enchantée, qui paraissait être celle des aromates du Cantique… Mon âme […] osa d’abord, pour première faveur, demander le saint baiser : et loin d’être rebutée, l’Époux le lui accorda […] j’arrivai presque au haut de cette montagne […] l’Époux se reposait pendant le midi ; car je l’y trouvai comme endormi : ce fut là où, tombant de fatigue et embrasée d’un amour violent… » (Correspondance de Bossuet par Levesque, lettre 1122bis de madame Cornuau à Bossuet, oct. 1694).

[481] Le siège de Meaux, assez voisin et de Paris et de la Cour, était considéré comme une étape vers une ascension plus haute.

[482] En ce qui concerne Bossuet s’ajoute peut-être l’effet de l’appartenance à un milieu assez modeste : il accomplit une ascension sociale par le mérite et dans un effort qu’il ne peut « jouer » en prenant des risques. Fénelon, de grande famille noble sinon riche, se sent libre vis-à-vis de ceux qu’il perçoit comme des pairs. Les deux tempéraments ne peuvent guère s’accorder.

[483] Discours 1.02.

[484] Oeuvres de Ruysbroeck l’admirable, Trad. de Wisques, t. I, Vromant, 1921, Le Livre des sept clôtures, ch. XIV, p. 180.  Sur le sujet du bon « vide » mystique : L. Silburn, « Le vide, le rien, l’abîme », Hermès, Le Vide, Expérience spirituelle en Occident et en Orient, 1969. 

[485] D.1.43.

[486] D.2.05. –  D.1.44 : « Quand je parle de cœur, j’entends la volonté qui est le cœur de l’âme. »

[487] D.1.38.

[488] Benoît de Canfield, La Règle de Perfection, Jean Orcibal, op.cit., partie III, p.344. 

[489] Hadewijch d’Anvers, Paris, 1954, 164 [traduction de dom Porion].

[490] Cf. D.iscours 1.40.

[491] Heurtevent dans sa contribution du DS y voit de sa part un « plagiat » !

[492] Les Torrents ont été édités plusieurs fois récemment : J. M. Guion, Les Opuscules spirituels, par Georg Olms, 129 sq. ; Madame Guyon, Les Torrents…, Millon, Grenoble, 69 sq. ; Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., 139 sq.

[493] DM, tome I, 214 sq.

[494] Vie, 3.10.8 sq. & 3.21 (conclusion). 

[495] A.S.-S., ms. 2057, f° 25-30.

[496] A.S.-S., ms. 2057, f° 223-224 ; Madame Guyon, Correspondance, III Thèmes mystiques, “Écrits spirituels de jeunesse”, pièce 637.

[497] D.iscours 1.37.

[498] D. 2.66.

[499] Dans le bouddhisme, que l’on a tendance à réduire à une sagesse, se trouve célébré l’efficace de l’état de conscience sans dualité : « Le bel arbre de la conscience-sans-dualité s’étend avec ampleur sur le triple monde. / Il fleurit en compassion, son fruit se nomme charité envers autrui. / Le bel arbre du Vide abonde en fleurs, actes de compassion très variés ; et pour les autres les fruits apparaissent spontanément » (Aux sources du Bouddhisme, Fayard, 1997, 337).

[500] En 1682 selon Vie 2.11 et chapitres suivants.

[501] D. 1.19, D. 2.14, D. 2.64.

[502] J. Bruno, « Madame Guyon et la communication intérieure en silence », Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, p. 204.

[503] D. 2.61.

[504] D. 2.64.

[505] D. 2.68. (et aussi D. 2.67.)

[506]Vie, 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.

[507] Explication sur saint Matthieu, chap. XVIII, versets 19 & 20.

[508] « La Dame Directrice est toujours renfermée dans une Communauté où on ne lui laisse avoir aucune communication avec les personnes de dehors. On ne sait point encore ce qu’elle deviendra dans la suite. Quoi qu’il y ait beaucoup d’accusations contre elle on n’en trouve aucune qui soit assez prouvée pour faire voir en justice. » (Tronson au R.P. Général des Chartreux, 9 août 1697, A.S.-S, ms. Correspondance 34, 337).

[509] Barsanuphe et Jean de Gaza, Correspondance, Solesmes, 1972, 19, 73, 104.

[510] J. Bruno, « La Transmission spirituelle chez un mystique chrétien du XVIIe siècle : Jean-Jacques Olier », Le Maître Spirituel, Hermès 4, 1967, 190.

[511] Montée du Carmel, 2.18.2 ; Vive Flamme B 3,44 & 62. 

[512] Montée du Carmel, 2.22.17.

[513] Le Maître Spirituel…, Hermès, 1983, 11. V. aussi 147sq. (Kabir), 213 sq. (madame Guyon), 275 sq. (un témoignage contemporain).

[514]Direction pour se former au saint exercice de l’oraison … à l’usage des religieuses chartreuses, A La Correrie [édition de la Grande Chartreuse], 1695, en réponse au Moyen court  - Suit au passage cité un traité tout à fait classique et raisonnable abordant la méditation, utile à l’enseignement des novices, où abondent les comparaisons avec la grandeur royale : [44] « L'entretien se doit commencer, 1. Par la connaissance de son néant [...][45] 2. Par la contrition de ses péchés. 3. Par l'intention d'unir notre prière à celle de Jésus-Christ [...]Disons donc aussi qu'une âme fidèle [47] doit imiter ce gueux [mendiant qui rencontre un roi]. Il faut qu'elle se jette en esprit devant Dieu, comme un autre Lazare, couverte de plaies, mais pleine de désirs d'être rassasiée des miettes de pain qui tombent de sa table ; qu'elle lui découvre ses misères et ses besoins. [...]Comme dit saint François [53] de Sales, le vrai amour n'a guère de méthode. Si l'âme se trouve sèche dans ses considérations, elle doit rejeter le découragement aussi bien que l'inquiétude, et demeurer avec simplicité en la présence de Dieu, pour y fait l'exercice du pauvre gueux dont nous venons de parler. [...][55] Combien y a-t-il de courtisans qui vont cent fois à la présence du roi, non pas pour lui parler ni pour l'ouïr, mais simplement afin d'être vus de lui et de témoigner par leur assiduité qu'ils sont ses serviteurs ? ».

[515] Moyen court, ch. II.

[516] Ibid., ch. III.

[517] Ibid., ch. X.

[518]Introduction à la vie intérieure et parfaite…, 1677, 1701 (notre référence), vol. II, 6e avis, 109.

[519] Direction pour se former au saint exercice de l’oraison … , 252.

[520] Introduction à la vie intérieure et parfaite…, vol. II, 6e avis, 111-112.

[521] Moyen court, ch. XXI.

[522] Moyen court, ch. XII, § 2. 

[523] Ibid., §6.

[524] Ibid., ch. XXII, §2.

[525] Ibid., §5.

[526] Ibid., §7-8.

[527] H. de Balma, Théologie mystique, « La voie unitive », Cerf, 1996, SC 409, p. 91 (§56). – De même :  « L’eau / Gratifie les dix mille êtres / Ne dispute rien à personne, /Et séjourne aux lieux dont chacun se détourne… » (Tao Te King, ch. 8, trad. C. Larre, Desclée, 1977).

[528]Suite du chapitre XXIV du Moyen court.

[529]H. de Balma, op. cit., p. 165 (§105).

[530] La Direction [...]à l’usage des religieuses chartreuses…, 34.

[531] Marie de l’Incarnation, Œuvres, Aubier, 1942, ch. LIX-LX, 145-146. – Dom Claude Martin, La Vie de la Vénérable Mère Marie de l’Incarnation, 1677, (Solesmes, 1981), 456 et 515 – Comparer la relation de 1654 (où affleure la « vie nouvelle et divine ») à celle de 1633 (témoignant du chemin).

[532] Préface, toute pénétrée de quiétude, de Jean Guitton à Mgr Jacques Martin, Le Louis XIV des Chartreux, op.cit., p. 10-11.

[533] Jean Rohou, Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Seuil, 2002, p. 395.

[534] Ibid., p. 540.

[535] Voir Y. de Montcheuil, Malebranche et le quiétisme, Aubier, 1946.

[536] J. Martin, Le Louis XIV des Chartreux Dom Innocent Le Masson, 51e général de l'ordre (1627-1703), préface de Jean Guitton, Téqui, 1974.

[537] La Vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Évêque et prince de Genève…, 1697, et les Éclaircissements sur la vie de Messire Jean d’Arenthon d’Alex, Évêque et prince de Genève, avec de nouvelles preuves incontestables de la vérité de son zèle contre le Jansénisme et le Quiétisme, 1699, mettent en cause les mœurs de la « Dame directrice » . Voir Les années d’épreuves…, op.cit., « Le procès des mœurs, 450-462.  -  L’Introduction à la vie Intérieure et parfaite, tirée de l’écriture sainte, de l'Introduction à la vie dévote de Saint François de Sales et de l'Imitation de Jésus-Christ  suivi de la Direction pour se former au saint exercice de l'Oraison et pour s'y bien gouverner avec ordre et tranquillité, à l'usage des Religieuses Chartreuses, 1695, s’opposent au Moyen court…, 1685,  qui avait été adopté par ces dernières (il fera l’objet d’un premier « autodafé » grenoblois avant celui opéré à Saint-Cyr près de dix ans plus tard…),  au Cantique…, 1688,  à la Règle des Associés à l’enfance de Jésus, 1685. - Voir la discussion approfondie dans Transversalités, 91 (2004), « D. Tronc : Quiétude et vie mystique : Madame Guyon et les chartreux », 121-149 (en particulier v. section  « IV. La vie mystique »). Reprise in Les années d’épreuves…, « la procès des mœurs », 450 sq.

[538] Traité de la véritable oraison, où les erreurs des quiétistes sont réfutées, et les Maximes des Saints sur la vie intérieure, sont expliquées selon les principes de saint Thomas, Par le révérend père Antonin Massoulié, Paris, 1699, « Avertissement », p. XI.

[539]Massoulié, Traité…, 1.7. [31] (première partie, chap. 7, p. 31).

[540] Massoulié, Traité…, 1.8. [38]

[541] Dans l’Apologie pour Fénelon, section intitulée « Les philosophes », p. 12, Bremond fait la revue suivante du dossier anti-quiétiste : « ...J. Grancolas (Le quiétisme contraire à la doctrine des sacrements, Paris, Anisson, 1695). Pas la moindre originalité dans ce livre. Celui du P. Ameline (Traité de l'amour du souverain bien, Paris, Léonard, 1699), dédié à Noailles, est plus intéressant, bien qu'il reste fort loin de l'admirable livre du P. Massoulié (Traité de l'amour de Dieu, etc. Paris, Guilletat, 1703) dédié aussi à Noailles (protecteur de dominicains comme Cardinal de la Minerve). »

 

[542] Présenté dans Expériences… II, « 2. Traditions..., Permanence de l’ordre bénédictin, Dom Claude Martin (1619-1696) », 75-78. – Lire Dom Claude Martin, Les voies de la prière contemplative, textes réunis et présentés par dom Thierry Barbeau, Solesmes, 2005.

[543] A. Rayez, « Le Traité de la contemplation de dom Claude Martin », Revue d’Ascétique et de Mystique, t. 29, 1953, 206-249. – « Il s’agit du Traité de la contemplation où l'on explique l'oraison de simple regard et où l'on examine un livre [de Pierre Nicole] qui porte pour titre : ‘Réfutation des principales erreurs des quiétistes’ » - Voir note 3, 208. »

[544] Dom Claude Martin, La Vie de la V. Mère Marie de l’Incarnation, 1677, 1981. V. ses profondes « additions » sur l’oraison de quiétude, 683 sq., sur l’oraison d’union, 687 sq., sur le mariage spirituel, 693 sq.

[545] A. Rayez, introduction au travail éditorial du Traité de la contemplation op.cit., 220.

[546] Épiphane Louys (1614-1682) familier de l’Ermitage, présenté plus haut.

[547] Résumé plutôt libre qui paraît se rapporter au chapitre VI, §4 du Moyen court (éd. 1720) : « Pour la pratique, perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, renoncer à toutes les inclinations particulières, quelques bonnes qu'elles paraissent. Sitôt qu'on les sent naître, se mettre dans l'indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité. Être indifférent à toutes choses, soit pour le corps soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels [notre soulignement]. Laisser le passé dans l'oubli, l'avenir à la providence, et donner le présent à Dieu. Nous contenter du moment actuel qui nous apporte avec soi l'ordre éternel de Dieu sur nous [...]Laissez-vous donc conduire à Dieu comme il lui plaira, soit pour l'intérieur, soit pour l'extérieur... ».

[548] Éditions originales par l’abbé µ Joseph ? à regrouper avec note 551  de Beaufort, grand vicaire du Cardinal de Noailles : Maximes spirituelles fort utiles aux âmes pieuses, pour acquérir la présence d Paris, Couterot, 1692 ; Les mœurs et entretiens du Frère Laurent..., Chalons, J. Seneuze, 1694 ; suivirent deux éditions par Poiret (note infra   µ où ça ? ).

[549] Madame Guyon, Correspondance, II, années de Combat, 2004, fin d’une lettre de décembre 1697 à la « petite duchesse [de Mortemart], v. notice sur Laurent, 906.  µ ? notice ?

[550] Voir Conrad de Meester, Frère Laurent…, Cerf, 1996, Annexe III, « frère Laurent dans le différend Bossuet-Fénelon », 267-313.

[551] Il s’agit de Joseph de Beaufort, un proche de Bossuet et « co-éditeur » de Laurent, v. Correspondance de Fénelon, tome VII, note 6 à la lettre 467.

[552] Lettre 677, Correspondance de Fénelon, tome X, Droz, 1989. A la comtesse de Montboron, jeudi 5 août [1700].

[553] On dispose de deux éditions modernes : Fr. Laurent de la Résurrection, L’expérience de la présence de Dieu, Seuil, 1948, avec une note liminaire et des notes historiques de S.-M. Bouchereaux ; Conrad de Meester, Frère Laurent de la Résurrection, Écrits et entretiens sur la Pratique de la présence de Dieu, Cerf, 1991.

[554] Nouvel état présent des travaux sur Fénelon, CRIN 36, 2000, « Bibliographie chronologique (1940-2000) ». S’en détachent : DS 5.151-170, art. « Fénelon », par L. Cognet ; « notices » dans : Fénelon, Œuvres I et II, éd. par J. Le Brun, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, vol. I (1983) & vol. II (1997) ; J. Orcibal, Fénelon, sa famille et ses débuts, tome I de la Correspondance ; F. Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.

[555] Fénelon, Œuvres spirituelles, Introduction et choix de textes par François Varillon S.J, Aubier, 1954 ; François Trémolières, Fénelon et le sublime, Littérature, anthropologie, spiritualité, Honoré Champion, 2009.

[556] M. Masson, Fénelon et madame Guyon. Documents nouveaux et inédits, 1907.

[557] L’édition assemblée par I. Noye et publiée en 2007 achève la monumentale Correspondance de Fénelon [CF] sous le titre fort discret de Suppléments et corrections. Il s’agit du tome XVIII et dernier de l’entreprise. Il livre à la suite de diverses lettres retrouvées : « II. Lettres spirituelles » [LSP], 87-223. Ces « pages détachées » sont accompagnées de renvois aux lettres éditées dans les tomes II, IV, VI, VIII, XII (1972 à 1999). – Nous allons recourir largement à ce [CF 18].

[558] Madame Guyon, Correspondance Tome I Directions spirituelles, Honoré Champion, 2003 [CG], [échanges avec Fénelon : « I. La ‘correspondance secrète’ en 1688 et 1689, II. Le ‘complément’ de l’année 1690. III. Lettres écrites après 1703, 215-564].

[559] Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Volume second contenant ses lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718 [OS 2].

[560] Des correctifs furent apportés par A. Delplanque (1907), par la Revue Fénelon (1911-1912) dirigée par E. Griselle, par Jeanne-Lydie Goré (1957), par Mino Bergamo (1994), par Irénée Noye (2007), par F. Trémolières (2009).

[561] Mémoires, éd. Chéruel, 1857, tome VII, p. 274.

[562] Comme le maître boucher admiré de Tchoang-tseu : « Maintenant quand je découpe, je n’ai plus en esprit que le principe. Mes sens n’agissent plus ; seule ma volonté est active. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela sans s’user… » (Tchoang-tseu, chap. 3, B, traduction Léon Wieger, Cathasia, 1950).  µ incongru  à propos de Fénelon !

[563] [OP 1, 44-45].  µ ?

[564] Sur la vie de Fénelon, voir : Sabine Melchior-Bonnet, Fénelon, Perrin, 2008.

[565] Paru chez Arfuyen en 2006 sous le titre : François de Fénelon, La Tradition secrète des mystiques.

[566] Voir « Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien », Honoré Champion, 2009, [EG], ‘dossier’ précédé d’une brève synthèse : « Années d’épreuves et stratégie inquisitoriale », 14-30, situant les événements de la période des documents livrés dans le volume. Ces événements succèdent à ceux, mieux connus, de la ‘période publique’ couverte par le Crépuscule des mystiques de Louis Cognet et qui prend fin en 1695.

[567]   Pour la chronologie des événements, on se reportera à celle établie par J. Orcibal dans la Correspondance de Fénelon : [CF] n° impairs, en fin des volumes.

[568] Saint-Simon, Mémoires, éd. Cherel.    µ refer ?

[569] Nous reprenons dans ce qui suit l’essentiel de l’étude de Murielle Tronc, « Une relation mystique » parue in Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., 216 sq.

[570] Lettre à Fénelon, Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., n° 157. – Dorénavant nous citons les numéros de lettres au fil du dialogue.  µ attention : vérifier  toutes les réfer.des lettres !

[571] µ mettre référence    Ce manuscrit émouvant se présente en deux colonnes : la haute écriture de Fénelon à gauche laisse la place libre à droite pour les réponses à venir de sa correspondante

[572] Puisqu’ils sont aux côtés de Fénelon à Cambrai !

[573] Fénelon se fait réprimander de ne pas se servir de l’efficacité de la prière pour aider les gens qui lui sont confiés.

[574] Gen 9, 1 : Alors Dieu bénit Noé et ses enfants, et il leur dit : Croissez et multipliez-vous, et remplissez la terre (Sacy).

[575] Coll. Rothschild A[utographes] XVII, t. V, 296.

[576] Lettre à Fénelon écrite entre le 1 et le 11 avril 1690, Correspondance I Directions spirituelles, op.cit., Lettre n° 248.

[577] Lettre de Fénelon du 11 avril 1690, Ibid., n° 249 & Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, n° 111.

[578] Gnostique, chap. 9.

[579] Le Gnostique de Saint Clément d’Alexandrie fut publié par P. Dudon, chez Beauchesne en 1930 ; revu sur le ms. des Archives Saint-Sulpice, il a été édité sous le titre La Tradition secrète des mystiques ou le Gnostique de Clément d’Alexandrie, Arfuyen, 2006.

[580] C’est ce que pensait un contemporain carme, Honoré de Sainte-Marie (1651-1729) : voir sa Tradition des Pères et des Auteurs ecclésiastiques sur la Contemplation, 1708, tome I, p.72.  Il considérait Jésus « comme le premier des mystiques, ayant connu toutes les manières de contempler », et comme la source du courant chrétien incarné dans les mystiques de siècle en siècle.

[581] Clément d’Alexandrie, né vers 150, disparu avant 215, est le premier Père dont nous puissions lire des ouvrages entiers. Grec converti, il est le maître d’Origène. Il défend la philosophie grecque qui est pour lui un « travail préparatoire » Dans ses Stromates, avec la fraîcheur et l’enthousiasme qui animaient les enfants de la première Église, il entend transmettre à ses disciples « la vraie tradition de la bienheureuse doctrine, qu’ils avaient reçue immédiatement des saints apôtres, de Pierre, de Jacques, de Jean, et de Paul, chacun comme un fils de son père ».

[582] Gnostique, chap. 17 (pour les citations de ce paragraphe). µ quelle édtion ?

[583] Gnostique, chap. 17.

[584] Gnostique, chap. 16.

[585] Pour une approche convergente, “fénelonienne” par sa finesse, rédigée en 1821 : Leopardi, Zibaldone, [602] (trad. par B. Schefer, Éditions Allia, Paris, 2003).  µ supprimer : pas la peine d’encombrer le lecteur !

[586] Leopardi, Zibaldone, [383].    µ  supprimer : quel rapport ?!

[587] Inamissible : qui ne peut pas se perdre.

[588] Apathie : impassibilité.

[589] Les Justifications de Mad. J.M.B. de la Mothe Guion écrites par elle-même […] avec un Examen de la IX. & X. Conférence de Cassien, touchant L’état fixe de l’oraison continuelle, par feu Monsieur De Fénelon Archevêque de Cambrai, « Vincenti », A Cologne, Chez Jean de la Pierre, 1720, tome III, 330-368.

[590] De l’amour de Dieu., IX. 14.

[591] De l’amour de Dieu, VI. 11.

[592] Gen. 5, 24 ; Gen.6, 9 ; IV Rois 20, 3.

[593] Avertissement de l’Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure par Messire François de Salignac Fénelon, Archevêque de Cambray, précepteur de Messeigneurs les ducs de bourgogne, d’Anjou et de Berry. Paris, 1697.

[594] Correspondance de Fénelon, tome III, 481-496 (1659-1696), puis tomes impairs pour la suite.  µ ???

[595] Explication des Maximes des Saints (à ne pas confondre avec l’Explication des articles d’Issy, inédit jusqu’en 1915) : Fénelon, Œuvres I, 1983, 999-1095, « notice » : 1530-1549. Par suite de sa condamnation papale, elle « ne figure pas dans les Œuvres complètes de Fénelon éditées aux XVIIIe et XIXe siècles » (p. 1546). On passe en effet directement des éditions de 1698, dont celle de Poiret, à l’édition de 1911 par Cherel. Une telle anomalie n’est-elle pas l’une des nombreuses causes de la relative obscurité qui entoura longtemps la querelle quiétiste ? On note cependant que l’Explication… figure dans l’édition des Œuvres de Fénelon, Didot, 1857, t. II, p. 1-39, édition « laïque », reproduite de celle d’Aimé Martin de 1835.

[596] Voir le choix choix équilibré opéré par J. Le Brun dans ses volumes Œuvres I et II. Distribution dans les deux volumes de la collection de la Pléiade : (1) écrits pour l’éducation des filles et du prince : 35% ; (2) écrits religieux et philosophiques : 26% ; (3) écrits spirituels : 17% dans Œuvres I, 1983, 553 - 969 et écrits de controverses spirituelles dont l’Explication des Maximes (8% : Œuvres I, 1001-1200), soit au total 25% ; (4) écrits politiques et divers : 14%. Outre ce choix, v. L’Explication des articles d’Issy, 1915 ; Le Gnostique, 1930 ; Mémoire sur l’état passif, 1956 ; de nombreuses lettres dans la Correspondance, 1972 sq.

[597] Fraction bien représentée dans Fénelon, Œuvres I, Pléiade, 1983, op.cit., « Œuvres spirituelles », 553-969. – A compléter par : Correspondance de Fénelon, Tome XVIII Suppléments et corrections, 2007 ; par La Tradition secrète des mystiques ou le Gnostique de Clément d’Alexandrie, Arfuyen, 2006, qui reprend en la corrigeant parfois l’édition de Dudon, 1930 ; par des pages extraites d’autres écrits, par ex. des Justifications, tome III, sur Cassien, outre la correspondance avec madame Guyon (in Correspondance de Fénelon, Tomes I-III pour les lettres de Fénelon ; Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, pour le dialogue rétabli). Enfin, le bel ouvrage de F. Varillon, Fénelon, Œuvres spirituelles, 1954.

[598] Voir J. Le Brun, « Les œuvres de piété de Fénelon… », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, janv. 1977, 4-18, outre les pages 1415-1418 du t. I des Œuvres, 1983.

[599] Œuvres spirituelles de Messire François de Salignac de la Mothe-Fenelon, Archevêque de Cambrai, Prince du S. Empire, A Anvers chez Henri de la Meule, 1718, 2 volumes (soit mille petites pages).

[600] L. Cognet, DS 5.163 ; v. aussi DS 5.168.

[601] Correspondance de Fénelon, établie par Jean Orcibal ; puis Jean Orcibal, Jacques Le Brun & Irénée Noye ; Paris, Klincksieck, 1972-1976 ; puis Genève, Droz, 1987-2007. Cette édition contient les correspondances passives et souvent même entre des tiers.  - L’édition de référence par M. Gosselin, Fénelon, Œuvres complètes, Paris, J. Leroux et Jouby, et Gaume et Cie, 1851-1852, 10 tomes : contient les lettres spirituelles regroupées par correspondants, tome huitième, 439-714.

[602] Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de la Mothe-Fénelon, Archevêque-Duc de Cambrai, etc., Volume deuxième contenant ses Lettres spirituelles, A Anvers, Chez Henri de la Meule, 1718.

[603] Correspondance de Fénelon, Tome XVIII Suppléments et corrections, par Jacques Le Brun, Bruno Neveu (+) et Irénée Noye, Genève, Droz, 2007. Le modeste sous-titre de « Suppléments et corrections » donné au tome XVIII voile son intérêt exceptionnel : en effet il présente en sa deuxième partie, de loin la plus importante (85-223), la séquence chronologique des Lettres spirituelles, en donnant les références de celles qui furent publiées dans les tomes précédents à leurs dates attestées ou estimées, tout en les complétant par de nombreuses lettres ou fragments de lettres. Nous pouvons maintenant avoir sous les yeux des merveilles choisies et publiées par les disciples en 1718.

[604] Moralistes du XVIIe siècle, Laffont, 1992. : favorisant les descriptions du cœur humain, le volume ne consacre que deux pages à Fénelon, 77-78.

[605] Œuvres I, op.cit., 615.

[606] DS 5.164 & 5.165.

[607] Œuvres I, 1416.

[608] Œuvres spirituelles…, Anvers, 1718, op.cit. Bénéficiant du travail critique réalisé par Jacques Le Brun dans : Fénelon, Œuvres I, 1983, « Œuvres spirituelles », 555-969, nous suivons l’ordre et donnons les titres et la pagination 1983, suivie de la pagination 1718.  µ  trop compliqué !

[609] Œuvres, op.cit., 635.

[610] Les extraits suivants proviennent des Opuscules spirituels (éd. 1983) et de Divers sentiments chrétiens (éd. 1718 par les disciples).  µ

[611] Sagesse, 16, 20-21.

[612] Traditionnel depuis Benoît de Canfield.

[613] Le Banquet, 180b.

[614] Le Banquet, 211a-b

[615] Psaume 72, 26.

[616] µ redonner l’édition et expliciter les numéros entre crochets

[617] « Bien que le marquis de Dangeau et son frère l'abbé fussent depuis longtemps convertis, leur famille opposa, lors de la Révocation de l'Edit de Nantes, une résistance opiniâtre. Ce fut en particulier le cas de leur soeur Catherine de Courcillon et de Jean Guichard, marquis du Péray, dont elle était la quatrième femme. Ils furent accusés de favoriser les évasions et leur fille Charlotte mise aux Nouvelles Catholiques le 5 mars 1686. Fénelon était alors dans l'Ouest, mais, à la demande des Dangeau Bossuet entreprit cette conversion difficile et, en lui montrant certaines contradictions dans le Bouclier de la Foi de Du Moulin, obtint le 1er juin 1686 l'abjuration de la jeune intellectuelle. Celle-ci aida alors pendant quelques mois les officières des Nouvelles Catholiques. Elle entra ensuite au Premier Couvent où Fénelon, qui « avait examiné » avec elle « ses doutes sur son ancienne religion » (cf. sa lettre inédite du 15 décembre 1713, à la soeur de la carmélite) prêcha le 23 novembre 1687 lors de sa prise d'habit. […] En janvier 1689 Mme de Péray « attendait W. sa mère pour faire sa profession » qui eut lieu le 13 mai 1689 et fut rehaussée par un sermon de Bossuet. Soeur Charlotte de Saint-Cyprien ne cessa jamais de correspondre avec l'archevêque de Cambrai dont, vingt ans après sa mort, elle faisait l'éloge au marquis de Fénelon. Passée en 1717 à Pont-Audemer pour des motifs inconnus, elle y mourut en 1747. »  µ reference ?

[618] LSP 26 début janvier 1689 (CF 18-90), LSP 13 à 22 = LL.354, 339, 342, 363S, 329S, 380S, 344S, 1437, 1776, 1514. Soit un total de 11 lettres auxquelles s’ajoute une 12e (376S). Leur mise en ordre – nous suivons Orcibal – donne la séquence LSP 26, 17, 14, 15, 19, 13, 16, 376S, 18, 20, 22, 21.

[619] Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Paris, 1958 ; Raymond Schmittlein, L’aspect politique du différend Bossuet-Fénelon, Bade, 1954 ; Dictionnaire de Spiritualité, art. ‘Quiétisme, II. En France’, 12.2805/2842 ; nombreuses monographies.

[620] Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement, Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009.

[621] Saint-Simon, Mémoires, I, 773, cité 1089 par R. et S. Pillorget : France baroque, France classique 1589-1715, tome I, Laffont, 1995. - G. Lizerand, Le duc de Beauvilliers, Paris, 1933.

[622] R. et S. Pillorget, op.cit., 1162. – Sur les rapports du trio Chevreuse-Fénelon-Guyon, v. la longue note 15 d’Orcibal à la lettre 44 de la Correspondance de Fénelon.

[623] Saint-Simon, Mémoires, tome 2, chap. VIII (1698), éd. Cherel, 124.

[624] On retrouvera Beaumont et Langeron à Cambrai ainsi que Dupuis et l’Échelle qui seront copistes des lettres de Mme Guyon (leur épreuve est une providence pour nous, éditeurs). Ceci souligne combien Fénelon avait souci des moins fortunés. De même, avant son emprisonnement, Mme Guyon s’occupa d’assurer une vie décente aux filles à son service, comme elle l’avait fait pour une religieuse.

[625] Saint-Simon,   µ referce ?

[626] Il donnait au « petit troupeau » l’espérance d’un royaume chrétien sagement conduit.

[627] Il ne s’apercevait donc pas du temps passé en oraison.

[628] Aller à Marly avec le Roi était un honneur et une obligation que ces mystiques auraient préféré éviter !

[629] Saint-Simon, Mémoires, chap. X.

[630] Il écrira le 8 février 1733 : « Je commençai à connaître Mme Guyon en ce temps-là (1687-1688) » (Fénelon [Gosselin], t. X, p. 60). 

[631] Orcibal cite B.N.F., Nouv. Acq. Fse 1432, f°75r°.

[632] Orcibal cite Boislisle, t. II, p. 412, puis fait cet ajout.

[633] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Lettre 347 au duc de Chevreuse du 7 octobre 1695.

[634] Servante que Mme Guyon voulait établir en lui achetant une maison.

[635] Sur le récit de la « chasse » à « la Guyon », voir supra, récit repris dans Les années d’épreuves…, Honoré Champion, 2009, synthèse : 24-27 ; et v. récit : 104-109 incluant le fragment cité infra.

[636] On parlait de schisme. Fénelon pouvait retrouver une place « de choix » comme possible pacificateur…

[637] Testament du 17 décembre 1714 devant P.  Belin notaire à Blois, 2 ex. confiés au duc de Charost [mari de la fille de Mme Guyon] et à Dupuy, pièce 10/2325 des Archives diocésaines de Blois.  -- L .358 : « Dites à Put [Dupuy] que j’embrasse, que lorsqu’il aura reçu l’argent de M. de Gautret, qu’il le mande à la petite Marc [au service de Mme Guyon]  car c’est pour elle. »

[638] Lettre 335, 11 février ? 1715.

[639] La copie par Isaac Du Puy (A.S.-S. ms. 2055 « lettres au duc de Chevreuse », 229 ff., 22,4 cm) appartint au duc de Chevreuse, puis finalement à Mme de Giac, veuve Chaulnes. Ce long ms. couvre la période de juillet 1693 à janvier 1698. Il s’arrête abruptement, probablement amputé des dernières pages. Complété par de La Pialière. Voir [CG II], « Manuscrits : descriptions complémentaires », 908-910.

[640] [CG I] & [CG II]. µ reference D. Tronc ?

[641]  V. [CG I] L. 382 & L. 383 en réponse de Dupuy au marquis.

[642] A.S.-S., ms. 2046.

[643] Nous avons édité le début de cette préface aux Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de la Mothe-Fénelon…, Rotterdam, 1738, 2 vol., dans [CG II], « Un récit de la ‘Querelle’ », 19-34.

[644] Sixième carton. Huit. Relation du différend entre Bossuet et Fénelon par Monsieur Dupuy. / Manuscrit 2046. /Relation du différend entre Monsieur l’Archevêque de Cambray et Monsieur l’Évêque de Meaux qui donna lieu à la disgrâce de Monsieur de Cambray.    µ 6e carton dans quelle bibliothèque ?

 

[645] A Fénelon et aux ducs.

[646] « […] On y voit qu'après sa première disgrâce, ce fut chez la duchesse de Charost, à Beynes, château tout voisin de Saint-Cyr, qu'elle trouva asile, et que la duchesse de Mortemart la conduisit à Meaux, le 13 janvier 1695, pour se mettre à la disposition de Bossuet. Ses doctrines ayant été condamnées le 10 mars, et ce jugement suivi de sa rétractation solennelle, elle obtint la permission de se rendre aux eaux de Bourbon ; mais les deux duchesses vinrent la prendre, le 9 juillet, et la ramenèrent à Paris, d'abord dans le faubourg Saint-Germain, puis dans le faubourg Saint-Antoine, où Desgrez l'arrêta vers la fin de décembre. » (Boislisle, tome II de son Saint-Simon, 65, n. 4).

[647] Mme Guyon, CG II, lettres à la « Petite Duchesse ».

[648] Saint-Simon, Mémoires, Boislisle, 413, « Addition de Saint-Simon au Journal de Dangeau », « 127. Mme Guyon et les commencements de son école. »

[649] Selon cette même addition au journal de Dangeau (réf. précédente).

[650] « Marie-Anne Colbert, soeur cadette des duchesses de Beauvillier et de Chevreuse, née le 17 octobre 1668, épousa, le 14 février 1679, Louis de Rochechouart, duc de Mortemart, fils du maréchal de Vivonne et général des galères en survivance. Elle n'avait que treize ans, et son mari quatorze. Devenue veuve le 3 avril 1688, elle mourut à Saint-Denis, le 14 janvier 1750. Selon Mme de Caylus, son mariage avait coûté quatorze cent mille livres au Roi. » (Boislisle, tome second, n. 1 de sa p. 7) : « Le Roi donnait d'ordinaire deux cent mille livres, à moins que les embarras financiers du moment ne le forçassent de réduire ses libéralités, Mlle de Beauvillier eut cette somme quand elle épousa le duc du Mortemart [fils de la ‘petite duchesse’], en 1703. » (Boislisle, t. second, n. 3 de sa p. 8).

[651] [CF] 3, L.168, n.2 d’Orcibal.

[652] « plusieurs fois dans Saint-Simon avec le sens de chansons satiriques, ou simplement de reproches vifs et piquants. » (Chéruel).

[653] Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 4, chap. 12 [1703], 213-214.

[654] Correspondance de Fénelon de 1829, tome onzième, 345.   µ

[655] Saint-Simon, Mémoires, Chéruel, rééd. 1966, tome 6, chap. 8 [1708], 165. – Nous modernisons toujours l’orthographe : « gardoit » en « gardait », etc.

[656] Quand les Beauvillier entreprirent de marier leur fille au fils du ministre Chamillart, « Au premier mot qu'ils en touchèrent à la duchesse de Mortemart, elle bondit de colère… » (Saint-Simon, Chéruel, tome 6, chap. 8 [1708]).

[657] Attribution par A. Delplanque en 1907.

[658] Edition [CF 18] par I. Noye, Droz, 2007 : un progrès par siècle !

[659] [CF 18] respecte la séquence des pièces LSP, car elles sont adressées à divers correspondants – dont I. Noye propose souvent une identification. Ici où nous privilégions la répartition par destinataires, ce qui rend une mise en ordre même incertaine souhaitable.  µ obscur

[660] N. serait son frère Blainville, qui admettait mal la directivité de sa soeur (voir, en juillet 1700, L.667, n. 16 et L.670, n. 7).(Noye).

[661] En juin 1708, Fénelon la mettait en garde contre son « naturel prompt et âpre, avec un fonds de mélancolie » (CF 14, L. 1215) (Noye).

[662] Allusion brève, mais forte, à sa tendance à « régenter », qui avait amené la révolte d'autres membres du « petit troupeau » : voir l’échange du 4 (?) mai 1710 entre Fénelon et Mme Guyon [O]

[663] Support : patience, contraire d’insupportable (phrase précédente).

[664] Les membres du « petit troupeau » guyonien. [O]

[665] À ne pas confondre avec d’autres membres de la famille de Fénelon (pas moins de 26 entrées « Fénelon » dans J. Orcibal, Correspondance de Fénelon, Fénelon, sa famille et ses débuts [CF], t. I, index. – Sur la blessure, v. [CF], t.15, note 1 à la Lettre 1486 B.

[666] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles [CG I], 2003, Lettre 316.

[667]  Lettre 1662, 1er avril 1713, Correspondance, t. XVI, Droz, 1999.

[668] P. de Beaumont (1660-1744), grand-vicaire de l’archevêque à Cambrai.

[669] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 2003, 587-674. Nous avons recouru à de nombreux originaux : autographes de l’écriture difficile qui caractérise la fin de la vie de Madame Guyon ; copies sous dictée le plus souvent de la main de son secrétaire Ramsay ; « cahier des lettres » de l’écriture du marquis et qui l’accompagnait dans ses campagnes et voyages. - Si la seule lettre attribuable au marquis, datée du 31 mars 1714, ne permet guère de mieux le connaître, on se reportera, -- outre les traits bien observés par Mme Guyon -- à la préface du marquis rédigée pour son édition de 1738 des Œuvres spirituelles de Fénelon.

[670] Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignac de La Mothe-Fenelon, …, nouvelle édition revue et considérablement enrichie [par rapport à celles de 1718 et 1723], À Rotterdam, Chez Jean Hofhout, 1738 in-4° ; réédité sans nom d’éditeur, mais précédé d’un “Avis de l’imprimeur” qui s’étend sur “l’amour de Dieu pour Lui-même”, 1740, 4 vol. in-12.

[671] Pages III-XLVIII de l’édition de 1738, rééditées dans : Madame Guyon, Correspondance II Années de Combats, 2004, 20-34.  µ ?

[672] Madame Guyon, La Vie par elle-même…, 2001, 2014, « 5.3 - Supplément à la Vie », 983-1020.

[673] Première lettre de Madame Guyon. µ refce à complèter Il peut s’agir soit de Lord Forbes dont nous avons deux lettres plus tardives au marquis de Fénelon. [CG I], L.446 & 447] ; soit de Ramsay qui, à cette date, est probablement à Cambrai auprès de Fénelon, dont il avait fait la connaissance en août 1710 ; sa présence à Blois n’est attestée qu’en mars 1714 : v. Henderson, Chevalier Ramsay, p. 31 & p. 38.

[674] Ferrement : garniture de fer qui entre dans la construction d’une machine, d’un navire.

[675]  Ravaudeur : celui qui raccommode les vieux habits.

[676] Ps. 118, 10 : Je vous ai cherché dans toute l’étendue de mon cœur. Ne me rejetez pas de la voie de vos préceptes.

[677] Jn 14, 6.

[678] Il s’agit peut-être de Servais, au service de madame Guyon.

[679] Points de suspension du manuscrit, de même que les suivants.

[680] Prospect : manière de regarder un objet (Littré).

[681] Dupuy (ou un Ecossais ?).

[682] [Henderson], Lettre XXXVIII (du marquis de Fénelon à Lord Deskford), 147. Nous avons laissé l’orthographe d’époque.

[683] J. Orcibal, Etudes…, op.cit., 201-206, 529, 532, 537, 539-540…

[684] J. Orcibal, Etudes…, op.cit., 542.

[685] H. Scougal, Life of God in the soul of man, 1677. Voir infra.

[686] J. Garden, Comparative Theology, 1699.

[687] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 675-842.

[688] Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1934, comportant étude et correspondances, ouvrage dorénavant cité : [Henderson] ; v. du même : Religious life in Seventeen-century Scotland, Cambridge, 1937 ; Chevalier Ramsay, Thomas Nelson and sons Ltd, 1952 : [Henderson, Chevalier Ramsay].

[689] J. Orcibal, Etudes…, 528.

[690] The works of Mr Henry Scougal, professor of divinity in the King's College Aberdeen, containing the Life of God in the Soul of Man ; On the nature and excellency of the Christian religion. With nine other discourses on important subjects. Also a brief account of the author's life and a sermon preached at his funeral by George Garden d d., in two volumes, Aberdeen,1759. [Préface, Life of God 1-108, nine discourses -205 & vol II, 206-369, a sermon... -458 (fin)]. - H. Scougal, The Life of God in the Soul of Man, Christian Heritage, Christian Focus publ., 1996 & Christian Classics Ethereal Library (internet).

[691] Part I, from § 2 - 5 (notre adaptation).

[692] Part II, from § 2, 5, 7, 10, 14.

[693] Part III, from § 1, 5, 24.

[694] Prophétesse mystique née à Lille en 1616, morte exilée et persécutée en 1680.

[695] [Henderson], 38 & 60.

[696] Voir [Henderson], Mystics of the North-East, op. cit., “Introduction”, 11-73.  – Citation : J. Garden, Comparative Theology or the true and solid grounds of pure and peaceable theology […] now translated from the printed latin copy, with some few enlargements by the author, 1700.

[697] A.S.-S., ms 2177, pièce 7424. Cité dans Madame Guyon, Correspondance tome 1, Champion, 2003.

[698] J. Orcibal, Etudes…, 224.

[699] [Henderson] 34.

[700] [Henderson] “Correspondance between James Cunningham of Bairns and Dr. Georges Garden”, 211.

[701] A. Chérel, Un aventurier religieux au XVIIIe siècle, André-Michel Ramsay, Paris, 1926 – G. D. Henderson, Chevalier Ramsay, Aberdeen, 1952.

[702] [Henderson] 96, Lettre XIII. De Ramsay à Lord Deskford.

[703] [Henderson] ibid.

[704] [Henderson, Chevalier Ramsay] 110. Elle réagira aussi en 1732 à la Relation du quiétisme de Phelippeaux.

[705] Chérel, Un aventurier…, 106-107.

[706] Ramsay, Les Voyages de Cyrus, Champion, 2002.

[707] Chérel, Un aventurier…, X.

[708] Cahiers de la grande loge de France, 1982, M. Viot, Inquiétude mystique et quête de la réintégration : les origines de l’Ecossisme. - [Henderson, Chevalier Ramsay] 168 : voir le Chap. 14 Freemason. - Voir aussi « L’Église catholique et la Franc-maçonnerie », in Franc-maçonnerie et religions dans l’Europe des Lumières, Champion Classiques, Paris, 2006, 80-81.

[709] Ramsay, Les principes philosophiques de la religion naturelle et révélée dévoilés selon le mode géométrique, Paris, Honoré Champion, 2002.

[710] Chérel, Un aventurier…, 63 ; [Henderson, Chevalier Ramsay] 233.

[711] [Henderson, Chevalier Ramsay] 235.

[712] Voir : The House of Forbes, ed. by A. & H. Tayler, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1937, v. 239 sq. & 348 sq. Cette histoire de la famille Forbes parut postérieurement à l’étude d’Henderson. On y trouve de nombreuses biographies.

[713] Il existerait  une branche suédoise guyonienne dont le lien passerait par des Forbes. Mais deux autres contacts s’avèrent également possibles : l’un suisse, passant par le chevalier de Klinkjoström (connu de Dutoit), et l’autre hollandais et passant par le compagnon suédois de Poiret, I. Norraüs.

[714] Ibid., 348.

[715] J. Orcibal, Études…, 225.

[716] House…, 349-350.

[717] [Henderson] 46.  

[718] Notice sur les dernières années de Madame Guyon : ms. T.P. 1154 de Lausanne, texte que nous avons publié à la suite de la Vie, 2001.

[719] Ibid.

[720] [Henderson] 47.

[721] [Henderson] 49.

[722] Nom souvent corrompu en Exford : [Henderson] 85, relève la confusion qui s’ensuit chez Cherel ; la corruption en « milor Exford » était déjà présente dans le cahier de lettres du marquis de Fénelon.

[723] Lettre 12 janvier 1715, [Henderson] 94-95.

[724] Voir dans Madame Guyon, Correspondance I, op.cit., plusieurs lettres à Lord Deskford.

[725] [Henderson]100-101, Lettre XV, 15 avril 1715, de Mme Guyon à Lord D., copie de la main du Dr Keith, conservée à Cullen House.

[726] « …le théologien Francis Lee, gendre de la prophétesse J. Lead, se joignit aux Philadelphiens, qui, comme les piétistes allemands et les quiétistes des pays latins, lui paraissaient animés de l'esprit des Apôtres. Il traduisit en 1715 sous le nom de R. Nelson la Lettre pastorale de Fénelon sur l'amour de Dieu. Sa Préface louait la théorie de la passivité que l'on trouve chez madame Guyon… » (J. Orcibal, Études…, 529).

[727] J. Orcibal, Etudes…, 529-530.

[728] [Henderson] 130, Letter XXX, London, 1 oct. 1716 : “The number of the Comm. sur le v. Test. [Commentaire sur l’Ancien Testament] subscribed was one hundred, 42 of which were sent to Scotland”.

[729] J. Orcibal, Études…, 202. - Le manuscrit se trouve actuellement à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford. Il porte la mention : « Pour M. R[amsay] qu'on prie de le renvoyer s'il lui plaît à M. K[eith] après qu'on s'en sera servi ».

[730] [Henderson] 78, Lettre III.

[731] [Henderson] 98, Lettre XIV ; v. aussi sa maladie, 136, Lettre XXXII.

[732] [Henderson] 143, Lettre XXXVI (11 juin 1717).

[733] [Henderson] 144, Lettre XXXVII (2 juillet 1717).

[734] [Henderson] 149, Lettre XLI (10 sept. 1717).

[735] [Henderson] 107, Lettre XVIII adressée à Deskford emprisonné ; 95, Lettre XII.- 141, Keith reçoit des lettres de Metternich pour Forbes. µ je  n’ai pas retrouvé cette référence !

[736] [Henderson] 151, Lettre XLI souligne l’opposition de Ramsay à la publication de la Vie par Poiret : “but the good old man [Poiret] refuses to give it up and resolves to be faithful to the trust reposed in him”. Et 159, Lettre XLVI : “the Daughter [la fille de madame Guyon] who is a very artfull politick lady is at the bottom of all.”

[737] [Henderson] 162, la Lettre XLVII à Lord Deskford livre l’opinion de Keith : “ These Oeuvres spirituelles are mighty beautifull and fine, but to me they have not the pure Life and Unction of N.S.M.’s [Notre Sainte Mère] ”.

[738] [Henderson] 74, Lettre I, London, Oct. 10th, 1713, à Lord Deskford.

[739] [Henderson] 83, Lettre VI (1714), à Lord Deskford. 26 juin 1714.

[740] [Henderson] 99-100, Lettre XIV, à Lord Deskford. Avril 1715.

[741] [Henderson 113, Lettre XXI, à Lord D. 5 nov. 1715.

[742] [Henderson] 160, Lettre XLVI, à Lord D. 5 juillet 1718.

[743] [Henderson] 163-164, Lettre XLVIII, 15 nov. 1718 (notre adaptation).

[744] J. Orcibal, Études…, 203 : précieuses références sur Cheynes. La note 245 souligne que dès 1715 il avait défendu le Pur Amour dans les Philosophical principles on religion natural and revealed.

[745] J. Orcibal, Études…, 203. - La note 246 donne la référence : Poems, t. II, 1, pp. 79-82.

[746] [Henderson], 532-533.

[747] G. Tersteegen, Traités spirituels, Labor et Fides, 2005, Préface par M. Cornuz, 10.

[748] M. Chevallier, Pierre Poiret, du Protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994. – Poiret apprécie les écrits de Bernières (notice 33 de son Catalogue, in Ecrits sur la Théologie mystique, Millon, 2005, entre les notices 32. S. François d’Assise et 34. Suso).

[749] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden, 1985.

[750] Émile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 77.

[751] M. Chevallier, Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994, [P.P.], p. 77.

[752] Chronique biographique du XVIIIe siècle citée par M. Chevallier, p. 74.

[753] Récit, 1719, [P.P.], p.111. Il reprend ainsi l’expression paulinienne préférée de Madame Guyon.

[754] Lettre, 1717, [P.P.], p.79.

[755] Feuillet manuscrit, [P.P.], 88.

[756] Lettre, 1717, [P.P.], 110.

[757] [P.P.], 86.

[758] [P.P.], 119.

[759] Vie, 2001, “Compléments biographiques, Supplément à la vie”, 1010.

[760] M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, op.cit..

[761] [P.P.], 76.

[762] Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club (serie of nearly vol.), 1934, [Henderson] - La remarquable Introduction (p. 11-73) fait revivre le groupe quiétiste.

[763] Lettre du 10 novembre 1739, citée par M. C., 118.

[764] Courte notice parue dans : Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexicon, Verlag Traugott Bautz, Herzberg 1993, V. band, p. 1399. Bibliographie jointe : La joie permanente de l’esprit et une collection d’écrits théosophiques parus en 1729. On voit que le baron continua à s’intéresser à la « chimie », malgré les conseils de Madame Guyon : « Votre application à la chimie peut vous divertir quelques moments, mais je ne voudrais pas en faire mon application : vos affaires, le temps qu’il faut donner à Dieu doivent être préférés à tout. » (Lettre 389).

[765] Catalogue dans Bibliotheca Mysticorum selecta : « Theomilus, Hilarius, ejus Continua animi laetitia, liber solidus, internus, facilis, succinctus, methodicus ».

[766] [Henderson], 102-103, Lettre XVI, note 8 sur Metternich.

[767] Dont il était ami : « Une copie d’une partie d’un « traité concernant la perfection du bonheur qui peut être atteint dans cette vie » fut préservée à Cullen house depuis le temps de Lord Deskford » (Henderson).

[768] [P.P.], 135-136.

[769] J. Orcibal, Études…, 537.

[770] Chavannes, J.-Ph. Dutoit, op.cit., 262.

[771] M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 142-143.

[772] C.-A. Keller et D. Müller, La spiritualité protestante, Labor et Fides, 1998, p. 51.

[773] DS 15.262.

[774] DS 15.260/71.

[775] Gerhard Tersteegen, Traités spirituels, introduits, traduits et commentés par Michel Cornuz, Labor et Fides, Genève, 2005, [v. p. 10, 30, 46, 55, 57, 110, 115 sq., 122, 124, 132], & M. Cornuz, Le protestantisme et la mystique. Entre répulsion et fascination, 2003 [pages 73-100 sur Tersteegen].

[776] DS 15.267.

[777] Le milieu vivant en contact avec le vieux comte fait l’objet d’une description fort critique par le jeune Karl Philipp Moritz dans son roman autobiographique Anton Reiser. En contraste avec l’atmosphère mortifère d’un cercle piétiste rigoriste, les lectures de Fénelon et de madame Guyon apportent ouverture et paix à l’adolescent en révolte toute romantique.

[778] Vie, 2.14.8.

[779] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit ».

[780] Ibid., 843-870.

[781] J. Chavannes, Jean-Philippe Dutoit, sa vie, son caractère et ses doctrines, Lausanne, 1865 ; réimpression Kessinger Legacy Reprints, Kessinger Publishing, www. Kessinger.net ; à compléter par A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911. Un large fonds guyonien reste à exploiter à la bibliothèque universitaire de Lausanne, dont de très nombreuses lettres (en allemand) de Fleischbein et de nombreux documents concernent Lacombe, Dutoit, etc.

[782] Vie, 2.14.8.

[783] Vie, 2.2.6 : « En arrivant à Thonon, j'y trouvai un ermite d'une sainteté des plus extraordinaires qu'il y en ait guère eu depuis longtemps. Il était de Genève, et Dieu l'en avait tiré d'une manière très miraculeuse à l'âge de douze ans, après lui avoir donné dès l'âge de quatre ans la connaissance qu'il se ferait catholique. Il avait, avec la permission du cardinal, pour lors archevêque d'Aix-en-Provence, pris à dix-neuf ans l'habit d'ermite de saint Augustin ».

[784] Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, 843 sq., Lettres 460-467.

[785] « Quelqu’un lui ayant demandé un jour pour quoi il y avait si peu de saints parmi eux, elle répondit : C’est qu’il n’y a point de subordination et que chacun y suit son propre esprit » (Lm2 note non reprise par Osup)

[786] Sa conversion au catholicisme : « Ayant lu quelques ouvrages de M. de Cambrai …il commença à avoir des doutes …le jeune lord vint à Cambrai …le père du jeune seigneur, irrité de son changement de religion, ne voulut plus entendre parler de lui » rapportent les Nouvelles Littéraires. (A. Cherel, Un aventurier religieux au XVIIIe siècle : André-Michel Ramsay, Paris, 1926).

[787] La vie par elle-même…, « Supplément à la Vie » qui reproduit le ms. de Lausanne TP 1155, complété par le ms. d’Oxford (Osup). Citation : p.1007.

[788] A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, op.cit., 29, note 2.

[789] Ibid., 30, avec des références à Chavannes, op.cit.

[790] [CG I], Lettre 460, 843-846.

[791] Chavannes op.cit., 61-63.

[792] Celui-ci, Charles Hector de Saint-George de Marsay, né en 1688 à Paris, où ses parents se tenaient cachés à la suite de la révocation de l'édit de Nantes, était d'abord entré au service de l'électeur de Hanovre. La lecture des oeuvres d'Antoinette Bourignon lui fit adopter les vues de cette célèbre mystique, et il renonça bientôt au métier des armes pour se consacrer entièrement à la piété. Il a laissé un assez bon nombre d'ouvrages, tels que des Discours spirituels sur divers sujets de la vie intérieure, un Abrégé de l'essence de la vraie religion chrétienne et des Explications mystiques et littérales de divers livres de l'Écriture sous le titre général de Témoignage d'un enfant de la vérité et droiture des voies de l'Esprit. Ils parurent à Berlebourg de 1738 à 1740, pendant le (66) séjour de l'auteur à Hayn. Ayant perdu sa femme en 1742, M. de Maday quitta la direction de la maison fondée par M. de Fleischbein, puis finit ses jours en 1755 à Ambleben chez Mme de Bütticher née de Carlot, fille de Pune de ses soeurs. Une modification paraît s'être opérée dans ses vues religieuses pendant les dernières années de sa vie. Aux yeux des uns, l'exaltation de ses idées mystiques ayant fini par se calmer, il ne lui en est resté qu'une piété profonde ; pour d'autres (tels que M. Dutoit), « M. de Marsay a dégénéré, pour n'avoir pas voulu subir les dernières morts ; » pour d'autres encore (M. Petillet) « sa voie qui avait été en général celle des lumières, fut changée dans les derniers temps en un état de petitesse et d'enfance. Reprenant les voies des commençants pour se simplifier et s'anéantir, il porta d'aussi profondes ténèbres que sa voie précédente avait été lumineuse. »

  En parcourant la correspondance active que soutint M. de Marsay avec ses excellents et pieux amis, MM. Duval, de Genève, et Monod, de Morges, on est conduit à se rattacher à la première alternative. Ses lettres respirent la piété la plus sincère, la foi la plus humble, la doctrine la plus scripturaire, et -n'offrent plus ces bizarreries et ces traces d'exaltation que l'on a pu remarquer dans les époques antérieures de sa vie. Son langage religieux s'est dégagé des expressions et des formes qui caractérisent en particulier celui de M. de Fleischbein. Cette modification dans ses vues, ou du moins dans la manière de les énoncer, explique sans doute en partie pourquoi l'union intime qui existait entre lui et son an(67)cien disciple cessa entièrement deux ans avant sa mort, après avoir subi déjà précédemment diverses phases, comme on le voit dans les lettres confidentielles écrites par l'un et par l'autre à leurs amis respectifs. (Chavannes, op.cit., 65-67)

[792] Chavannes, op.cit., 67-70

 

 

[794] Chavannes, op.cit., 67-70

[795] Chavannes, op.cit., 69 sq.

[796] Chavannes, op.cit., 67.

[797] Charles Hector de Marsay (1688-1755), officier français du Refuge dans les Flandres, lut madame Guyon et connut ses disciples. À Berlebourg un groupe prépara une nouvelle traduction de la Bible assortie d’introductions et de commentaires spirituels et mystiques inspirés de ceux de madame Guyon (M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 143.

[798] K.P. Moritz, Anton Reiser, traduction par George Pauline Fayard, 1986. - M. Chevallier, Pierre Poiret, op.cit., 144, indique qu’il “raconte le souvenir d’étrangeté oppressante et même morbide que lui laissent ces exercices spirituels matinaux auxquels il participa à neuf et dix ans chez le vieux comte” (en 1766-1767). Nous n’avons pas retrouvé ce souvenir dans ce roman autobiographique : Moritz insiste par contre sur l’oppression ressentie auprès de ses parents. Son père allait une fois par an à Pyrmont et se considérait comme un fervent disciple du comte.

[799] K.P. Moritz, Anton Reiser, 160.

[800] Chavannes, op.cit., 80 sq.

[801] Chavannes, op.cit., 88, 89 (note sur Treytorrens), 90 sq.

[802] Sur « le plus brillant professeur… le Fletcher des Anglais », dans ses rapports avec Wesley : Émile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 114.

[803] Chavannes, op.cit., 152.

[804] Chavannes, op.cit., 70.

[805] Favre, op.cit., 43 ; Chavannes, 69 sq.

[806] Chavannes, op.cit. 43. -

[807] Chavannes, op.cit., 267. 

[808] De nombreuses lettres adressées à Klinkowström de 1762 à 1774 (au nombre de 553 selon Chavannes) ainsi que des opuscules en dépôt à la bibliothèque universitaire de Lausanne restent à étudier par un germaniste. Nous en avons vu certaines dans des boîtes de « divers écrits mystiques ».

[809] Chavannes, op.cit., 77.

[810] Probablement du début du XIXe siècle, de Chavannes comme l’indique la bonne correspondance entre les citations longues imprimées (in Chavannes, op.cit.) et la source manuscrite que nous transcrivons.

[811] Page de l’original porté sur le ms.

[812] Notre pagination portée sur nos reproductions du ms.

[813] Points de suspension du ms.

[814] Parenthèse du ms.

[815] Chavannes, op.cit., 46-47.  Ses points de suspension.

[816] Favre, op.cit., 42, puis 42 note.

[817] « Lettres Spirituelles du 2e cahier », n°14, ms. TP 1136 B2, Bibliothèque universitaire de Lausanne.

[818] Chavannes, op.cit., 191 sq.

[819] Favre, op.cit., 36. Citation extraite de Dutoit, Discours sur la vie et les écrits de Madame Guyon, 8 et 9.

[820] Favre, op.cit., 42 :  Nous citerons la suite à propos de Klinkowström.

[821] Chavannes, op.cit., 51, 56.

[822] Favre, op.cit., 74-75.

[823] « Aujourd’hui [avant 1911] le numéro 1 de la Cité-derrière » nous informe Favre. Baillif né en 1726, alors régent au collège, fut nommé en 1785 professeur de grec et de morale et mourut en septembre 1790. (Fabre, op.cit., 44).

[824] Chavannes, op.cit., 132.

[825] Chavannes, op.cit., 44.

[826] Chavannes, op.cit., 190.

[827] Chavannes, op.cit., 320-321. 

[828] Favre, op.cit., 67-68.

[829] Favre, op.cit., 72 sq.

[830] Favre, op.cit., 91-92.

[831] Favre, op.cit., 115-118.

[832] Chavannes, op.cit., 44. 

[833] Favre, op.cit., 107. - V. sa bibliographie des œuvres de Dutoit – Pétillet publia de son côté en 1801 une Nouvelle vie de M. François de Salignac de la Mothe-Fénelon.

[834] Madame de Krüdener (1764-1824), lectrice de Zizendorf, de Tersteegen, liée d’amitié avec Jean-Paul Richter. En Suisse elle fréquenta, outre Pétillet, le chevalier de Langalerie, Divonne, A. Esmonin de Dampierre [dont Pétillet édita : Vérités divines pour le cœur et l’esprit, par M. de D…, Lausanne, 1824], avant de dériver vers le prophétisme vécu sur le sol d’Alsace (Encycl. Universalis).

[835] Bernard Gorceix, Johann George Gichtel Théosophe d’Amsterdam, L’Age d’Homme, 1975, 167.

[836] Cette dernière soigneusement préservée. Nous possédons les Lettres chrétiennes et spirituelles… de madame Guyon dans l’édition Dutoit dont les exemplaires proviennent probablement de Pétillet ou d’un proche, car la lettre XLV, tome troisième, « Ce qu’on doit éviter dans les Sermons… », 189-199, a été « collationnée et complétée sur une copie de l’original appartenant à la bibliothèque Pétillet ». Il s’agit d’additions marginales et d’adjonction de paperolles, d’une écriture d’époque, exécutée de façon professionnelle, peut-être par Pétillet lui-même ? Ces corrections s’avèrent conformes aux manuscrits des Archives Saint-Sulpice. Ailleurs, de nombreux destinataires de lettres sont précisés : « à Fénelon », « le marquis de Fénelon », « au B. de Metternich », etc.

[837] « Ce groupe …s’attachait à entretenir la mémoire de Dutoit-Membrini. Parmi ses membres figurent également : Charles de Langalerie, J.-F. Baillif, le marquis de Dampierre, le comte de Divonne. Sur ce sujet voir Bridel, G.A., « Communication présentée à la Société d’histoire de la Suisse Romande le 3 novembre 1926 à Lausanne …sur l’oratoire des âmes intérieures », Ms. TP 1254 C/2, 12 pp., Bib. de Dorigny, Lausanne. » (www.philosophe–inconnu.com) – V. La Bibliothèque des Cèdres à Lausanne dont Chavannes fut bibliothécaire.

[838] M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 150.

[839]philosophe-inconnu.com/Etudes/Reception-sm/auteurs/schlegel_auguste.htm – Il s’agit de l’ouvrage suivant de Baader : Les Contributions à une Philosophie Dynamique, Berlin, 1809.

[840] Émile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 159 n.3.

[841] Citant Lucie Achard, Rosalie de Constant, sa famille et ses amis, tome II, 379.

[842] Favre, op.cit., 107 sq. : cette citation se poursuit à la section suivante.

[843] Chavannes, op.cit., 353 – à compléter par Favre, op.cit., 109 : « On prêche l’Évangile, il est vrai ; on enseigne que Jésus-Christ est mort pour nous, mais on perd de vue que le disciple de Christ doit mourir à toutes choses et porter en réalité les états de son divin maître, pour être rendu conforme  … détruire et anéantir tout ce qui s’oppose à l’établissement effectif de la vie du Verbe divin dans le cœur de l’homme ; elles trouvent cette doctrine trop sévère… »

[844] Sainte-Beuve, Port-Royal, « Préface de la première édition », Laffont, 2004, 5-6.

[845] Benjamin Constant, Œuvres, Bibl. de la Pléiade, 1957, Cécile, 207-209.

[846] Cette influence reste un objet de recherches inexploré réservé à un érudit compétent sur le monde divers des théosophies et maçonneries ; en outre pratiquant l’allemand, voire le russe… Une telle recherche ouvrirait beaucoup plus largement des influences que nous limitons ici à celles souterraines en terres catholiques et à la réceptivité de quelques membres de « sectes » nées en terres protestantes. Toutes ces rivières tardives viennent en complément des trois bras principaux que nous avons par contre bien repérés d’un delta spirituel ouvert depuis le cercle de l’Ermitage, passant par monsieur Bertot (le bras « quiétiste »), par la Mère du Saint-Sacrement (ses bénédictines), par Mgr de Laval et Marie de l’Incarnation (la fondation canadienne). – Nous n’avons d’ailleurs pas exploré des influences qui se seraient produites hors du bras ouvert par Bertot et développé par Guyon : soit à travers les bénédictines du Saint-Sacrement (car leurs influences furent-elles uniquement internes ?), soit au Canada (la communauté catholique fut-elle vraiment en sommeil spirituel sur deux siècles ?

[847] Rijnburg où résidait Poiret accueillit des « frères suédois » ; il exista en Finlande une tradition de mystique quiétiste selon M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 149.

[848] « Un certain mysticisme fut cultivé aussi par la maçonnerie russe, en particulier dans le cercle moscovite de la « Fraternité de la Rose-Croix ». Ils traduisirent Silesius, Molinos, Guyon, Poiret. (Dict. de Spir., t. 13, col. 1177, « Du mysticisme vague à la mystique du cœur »).

[849] Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, à paraître, fait un point sur les publications.

 [850] Instructions spirituelles en forme de dialogues sur les divers états d’oraison suivant la doctrine de M. Bossuet… par un P. de la Compagnie de Jésus [J.P. de Caussade], à Perpignan, 1741, où le P. de Caussade attribue à Bossuet une paternité inattendue !

[851] J.P. de Caussade, Traité…, coll. Christus, 1979, Introduction par M. Olphe-Galliard, 38. – v. du même M. Olphe-Galliard, La Théologie mystique en France au XVIIe siècle, 1983.

[852] DS 10.1226/9 ; R. P. Jean Brémond, Le courant mystique au XVIIIe siècle. L’abandon dans les lettres du P. Milley, Paris, 1943.

[853] DS 14.940/1, art. “Siry” (par M.-P. Burns) ; J. Bremond, “Témoins de la Mystique au XVIIIe s., les écrits de la Mère de Siry”, RAM, t. 24, 1948, 240-68, 338-75 – Le même n’édite aucune des lettres de cette dernière dans son édition de la moitié de la correspondance de Milley. On possède de cette dernière “une soixantaine” de lettres et divers textes dont des Maximes réparties selon les trois voies, v. Le courant mystique… Milley, liste & sources, 150 & 152.

[854] J. Bremond, Le courant mystique …, 1943, 183, « A la mère de Siry », 29 juillet 1708 ; v. aussi 354.

[855]L’Abandon à la Providence divine, coll. « Christus », 2005, « Introduction », 15, 19. Dominique Salin, S. J., prend parti dans un long débat, s’appuyant sur les travaux d’Olphe-Galliard et de Jacques Le Brun, doutant de l’attribution « à une dame de Nancy » proposée par J. Gagey.

[856] M. Olphe-Galliard, La théologie mystique en France au XVIIIe siècle, Le Père de Caussade, Paris, Beauchesne, 1984 ; le même édita chez Desclée de Brouwer, coll. “Christus” : Lettres spirituelles (2 vol., 1964), L’Abandon à la Providence divine (1966, 1987), Traité sur l’oraison du coeur et Instructions spirituelles (1979).

[857] M. D’Istria, Le Père de Caussade et la querelle du pur amour, Aubier, 1964, 12.

[858] Dans l’introduction au Traité sur l’Oraison du coeur, note 17 page 44 que nous citons : « Voir l’Abandon à la Providence Divine (collection Christus, no. 22) DDB, Paris, 1966, 10-11. Nous avions signalé à la page 12 de l’introduction que l’attribution au Père de Caussade de cet ouvrage avait été contestée au XIX° siècle. Une étude approfondie, parue dans le Bulletin de Littérature ecclésiastique de l’Institut Catholique de Toulouse (t.82, janvier 1981, pp.25-54), nous a convaincus que le chapitre 1er est la reproduction d’une lettre authentique du Père de Caussade, mais que les chapitres suivants sont d’une plume apparentée à celle de Madame Guyon. » – Cette étude est reprise dans : Olphe-Galliard, La Théologie…, op.cit., chap. sixième, “Le Père de Caussade et Madame Guyon”, 151-190.

[859] “Impression” basée sur de nombreuses transcriptions d’œuvres de Madame Guyon et sur une fréquentation assidue de l’Abandon, parallèle à celle des Torrents, deux textes fondamentaux que nous préférions à tous les autres, bien avant de s’intéresser à l’histoire de la France religieuse et à leur origine commune. Une étude sémantique comparative reste à faire. Nous ne partageons pas les conclusions de J. Gagey, L’abandon à la providence divine d’une dame de Lorraine au XVIIIe siècle, Grenoble, Millon, 2001. Son “édition critique digne de ce nom” (p.7), s’avère être - au titre près - la réédition du texte de l’Abandon, en tout point conforme à celui publié antérieurement par M. Olphe-Galliard !

[860] Olphe-Galliard, Traité… (1979), « Instructions spirituelles… », 361sq. avec des notes le comparant au Moyen Court de Jeanne Guyon. - Olphe-Galliard, La Théologie…, op.cit., chap. sixième, “Le Père de Caussade et Madame Guyon”, 151-190.

[861] Ibid., 31.

[862] P. de Clorivière, Prière et Oraison, coll. Christus, no. 7, DDB, Paris, 1961, 148 n. 2, que nous citons : “Clorivière attribue à Bossuet ce ‘Moyen court et facile’, comme on le faisait depuis le début du siècle. Les visitandines de Meaux, après la mort de leur illustre évêque, en 1704, avaient laissé circuler ces pages anonymes, trouvées dans leurs archives, et s’accréditer leur appartenance à Bossuet. Cette créance fit fortune. Jean-Pierre Caussade l’entérina [862] avec satisfaction dans ses Instructions spirituelles ; il reproduisit, ‘mot à mot’, écrit-il, la copie qu’il en trouva à la Visitation de Nancy, p.402-413. Madame de Bassompierre, ‘en revenant d’être supérieure à la Visitation de Meaux’, l’avait rapportée. Le texte se lit aussi, ajoute-t-il, ‘à la fin d’un petit livre intitulé Pratique de la présence de Dieu.’ / En fait, l’attribution à Bossuet ne se soutient pas, bien qu’on ignore encore l’origine de ce texte. Il répond, en tout cas, à la spiritualité de l’abandon commune à plusieurs courants spirituels du XVII° siècle, de saint François de Sales à Madame Guyon, en passant par l’ursuline Marie de l’Incarnation. Cet écrit est parfaitement orthodoxe.”

[863] Instructions spirituelles en forme de dialogues sur les divers états d’oraison suivant la doctrine de M. Bossuet… par un P. de la Compagnie de Jésus [J.P. de Caussade], à Perpignan, 1741.

[864] Les opuscules spirituels de Bossuet, Recherche sur la tradition Nancéienne par Jacques Le Brun, Nancy, 1970. (Annales de l’Est publiées par la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’Université de Nancy, mémoire n° 38).  – Exceptionnellement cité en corps de texte pour le texte de J. Le Brun et en corps réduit pour ses transcriptions et citations.

[865] « Trois mots ajoutés entre les lignes ». [Nous reprenons seulement quelques-unes des notes de J. Le Brun, ici note (4) de la p. 51.].

[866] Le Brun, pp. 56 & 57.

[867] Le Brun, pp. 60-61.

[868] Le Brun, p.62-63-64 pour tout ce qui suit.

[869] « Paris 1658 ; imprimé pour la première fois en 1650. » [n. Le Brun]

[870] Nous regroupons ici les notes Le Brun (1) à (12) de la page 63, importantes pour comparer les deux « Moyens » celui-ci et celui de Madame Guyon :

1. Cf. Moyen très facile pour faire l'oraison intérieurement, tiré des paroles de Notre Seigneur et de saint Paul, s. d. de l'impr. de N. Mazuel, rue de la Boucherie, B. N., impr. D 18 998.

Nous citons la 2. éd., Lyon 1686.

3. § 6 (nous renvoyons aux paragraphes du manuscrit)

4. § 3, cf. Moyen court, p. 7.

5. § 3, cf. Moyen court, p. 20.

6. § 1, 2, 3, 9, 20, 21, 22, 23, cf. Moyen court, p. 103, et surtout pp. 123 et suiv.

7. § 1, 3, 5, 25, cf. Moyen court, pp. 9, 11, 52-53.

8. § 3, 5, 6, 8, 9, 21, cf. Moyen court, pp. 29, 40, 48, 62, 109.

9. § 2, 3, 5, 8, 22, 23, 25, cf. Moyen court, pp. 67, 80.

10. § 3, 5, 7, cf. Moyen court, pp. 49, 79 et suiv.

11. § 5, cf. Moyen court, pp. 35, 64, 67, etc. éminence » est un mot fréquent chez Mme Guyon.

12. Par exemple, sur les lectures (§ 23, cf. Moyen court, pp. 8-9, 67), sur les prières vocales (§ 22, cf. Moyen court, p. 67), sur les sécheresses (§ 25, cf. Moyen mut p. 23), sur l'examen de conscience (§ 9, cf. Moyen court, p. 62), sur le Purgatoire (§ 25, cf. Moyen court, p. 134).

 

[871] Nous regroupons ici les premières notes Le Brun de la page 64 :

1. Ainsi la comparaison du Calvaire et du Thabor (§ 25, cf. Moyen court, p, 29) est si banale qu'on la trouve partout, mais, appliquée aux peines de la vie intérieure, elle est caractéristique d'une famille ; dans ses oeuvres oratoires, Bossuet l'emploie de façon assez banale (O. 0., 11, p. 287 ; IV, p. 142 ; VI, p.641) et ne l'applique pas aux peines intérieures; au contraire saint François de Sales (Traité de l'Amour de Dieu, X, 5, éd. d'Annecy, t. V, pp. 182-188) que Bossuet critiquera sur ce point (LT, XVIII, p. 692), sainte Jeanne de Chantal (Maupas du Tour), Vie de la Mère de Chantal, Paris, 1844, p. 313), BERNIÈRES (Le Chrétien intérieur, t. 1, 35 Partie, 1689, p. 266; t. II, 1890, p. 01), la Mère Bon (jJ MAILLARD, Vie de la Mére Bon, Paris, 1688, p. 335), etc.

2. Rééd., Bremond, p. 248.

3. Cf. Moyen court, pp. 138-139 : la porte, entrer, les petites, les hommes qui se piquent de science et d'esprit.

 

[872] « Les églises issues de la Réformation », p. 409, in Histoire du Christianisme IX L’âge de raison, 1620/30-1750, Desclée, 1997. Voir le chapitre entier, présentant un panorama en sept sections, 409-499 ; G. Mursell, English spirituality, 2 vol., Louisville, London, Leiden, 2001, apporte en tout irénisme un contrepoint protestant britannique bienvenu (il complète le DS sur de nombreux points, grâce à ses remarquables notes et bibliographies placées en fin de sections).

[873] Actif… « despote illuminé », v. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, « Zizendorf et les Moraves » 91-99.

[874] Le mal universel s’étend à l’est en terres orthodoxes où le travail de défrichement est à peine entrepris malgré l’œuvre pionnière de Pierre Pascal sur Avvakum et le Raskol. Nous nous écartons de notre sujet ? des découvertes restent à faire concernant l’évolution de cercles guyoniens et francs-maçons en Russie.

[875] DS 12.1743-1758.

[876] Introduction d’H. Plard au Pèlerin, op.cit., 25 et 24. – Dans sa belle Histoire impartiale… G. Arnold cherche l’expression du christianisme véritable sans tenir compte des appartenances confessionnelles auprès des saints et des mystiques. (M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 135).

[877] DS 14.1121-1124.

[878] DS 16.1646-1650.

[879] H.-J. Schrader, notice « Piétisme » dans La spiritualité protestante, dossiers de l’encyclopédie du Protestantisme n°2, Labor et Fides, 1998.

[880] DS 16.1374/92.

[881] La spiritualité protestante, dossiers…, op. cit., p. 30.

[882] V. le Journal de George Fox, dicté, car il ne sut jamais écrire correctement, trad. française, 1935.

[883] H. van Etten, Georges Fox et les Quakers, « Maîtres spirituels », Seuil, 1966, 63.

[884] Ibid., 50.

[885] Ibid., 131.

[886] An Apology for the True Christian Divinity, 1678 (trad. par lui-même du latin de l’original de 1676), 2002, (www.qhtext.org) – Trad. (partielle) : R. Barclay, La lumière intérieure, source de vie, Apologie de la vraie théologie chrétienne…, Dervy, 1962 (?).

[887] Journal of J. Woolman, 1774, 1909, 1999, site Internet (Univ. of Virginia Library).

[888] The Economist, June 22nd, 2002, 41.

[889] G. Amoss, 1999, The making of a Quaker Atheist, www.quaker.org – Noter sa confession : “The faith was lost when … my God was revealed  as the Church’s creation … I turned to Buddhism…”

[890] J. Orcibal, Études…, 202, dont la n. 242.

[891] J. Orcibal, Etudes…, 532.

[892]  254. A Tour through Holland, Flanders and part of France, 2e éd., Leeds, 1777, pp. 39, 91-95. La première édition porte la date du 25 juin 1773. À cette époque on voit d'ailleurs se multiplier les preuves du renouveau guyonien. En 1755 parut (à Bristol également) The worship of God in spirit and in truth. Short and easy method of prayer : deux lettres sur le même sujet adressées par madame Guyon à des Londoniens (Mr. B. et Mrs. T.) y sont jointes. La même année Th. D. BROOKE (cf. supra, n. 160 et infra, n. 260) publia à Dublin The exemplary life of the pious lady Guion... to which is added a new translation of her Short and easy method of prayer. […] D. LI. GILBERT et R. POPE, The Cowper translation of Mme Guyon's poems, P. M. I. A., décembre 1939, t. 54, pp. 1077-1098 ; L. HARTLEY, Cowper and Mme Guyon, Additional notes, ibid., juin 1941, t. 56, pp. 585-587.

[893] J. Orcibal, Études…, 202. - Cite R. M. Jones (The later periods of Quakerism, Londres, 1921, t. I, pp. xxv, 57, 58, 73, 75, 83, 87-89, 238, t. II, p. 813) et insiste sur le rôle que jouèrent après Martin, les ouvrages de Gough et surtout A Guide to true Peace (Stockton, 1813) où W. Backhouse et J. Janson groupèrent des extraits de Fénelon, de madame Guyon et de Molinos.

[894] J. Orcibal, L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent, Etudes…, op. cit., 527-559. - Et citation page 530 : « Dans son Treatise on Christian perfection (1726) et dans le Serious Call to a holy Life (1728), il enseigne avec une logique pressante que Dieu doit être le seul objet des actions humaines. Bien que l'Imitation ait exercé sur lui une profonde influence et qu'il fût personnellement enclin à la solitude, il se sépare néanmoins de Kempis en affirmant que la même perfection peut être atteinte dans tous les états où Dieu nous appelle : on n'est donc pas surpris que son exemplaire de l'Introduction à la vie dévote, encore conservé, ait visiblement beaucoup servi. Il annota aussi avec grand soin les livres « du grand Fénelon et de l'illuminée madame Guyon », dont il approuvait les idées sur l'Amour pur, mais il leur préférait Tauler et la Théologie germanique où il trouvait plus de vigueur philosophique.: ces tendances firent de lui après 1737 le disciple de plus en plus exclusif de J. Boehme. En revanche, il fut toujours sévère pour Antoinette Bourignon et pour Marsay. »

[895] J. Orcibal, Études…, 202, note 244 : « Sa bibliothèque [de Law], conservée à King's Cliffe, renferme encore des exemplaires des Discours chrétiens et spirituels (1716, 2 vol.) et du Moyen Court (5e éd., « The Gift of Mr. H[eylin?], August 10th, 1722 »), […] À noter que le fils de lord Pitsligo était en 1741 en correspondance avec lui (Henderson, op. cit., 44-46) et que son disciple Langcake faisait vers octobre 1782 de grands éloges de madame Guyon.

[896] Bonne présentation par Emile G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 105-116.

[897] J. Orcibal, Les spirituels Français et Espagnols chez John Wesley et ses contemporains, dans Etudes…, op. cit., 220.

[898] J. Orcibal,  Etudes…, 551-552 (et v. la suite, sur les affinités avec Madame Guyon et sa “voie de foi”, 553-554.)

[899] J. Orcibal, Études…, 542.

[900] Ibid., 201.

[901] 247. Colman Diaries, XVI, p. 118. En outre John HAMPSON (Memories of the late Rev. J. Wesley, Sunderland, 1791, t. III, p. 24) affirme qu'à Oxford « he was a profound student in Madam Guion and W. Law... nearly Split »]

[902] 204. En note : Journal, t. V, pp. 382-383.

[903] 205-206.

[904]  254 bis. Noter que Ralph Mather donnait en novembre 1775 à Brooke une liste de gens disposés à subir l'influence du Moyen Court que son correspondant venait de traduire : la plupart étaient des méthodistes de Bristol.

[905] 534.

[906] 535.

[907] 539-540.

[908] 542.

[909] 553.

[910] Karl Philipp Moritz, Ein psychologisher Roman, 1785-1790 ; traduction : Karl Philipp Moritz, Anton Reiser, Fayard, 1986.

[911] Dans sa jeunesse Goethe a correspondu avec Fleischbein, voyagé avec Lavater… (M. Chevallier, Pierre Poiret…, op. cit., 150).

[912] L’Abandon à la Providence divine, op.cit., Introduction de D. Salin, 19-20.

[913] Léonard, Histoire générale du Protestantisme, t. III, 172 sq.

[914] Note 2, p. 148 dans : Pierre de Clorivière, Prière et Oraison, « Christus », Desclée de Brouwer, 1961 (Le Moyen court… couvre les pages 149 à 155). Son éditeur, l’érudit A. Rayez, éclaire la fausse attribution : « Clorivière attribue à Bossuet ce « Moyen court et facile », comme on le faisait depuis le début du siècle. Les visitandines de Meaux, après la mort de leur illustre évêque [Bossuet], en 1704, avaient laissé circuler ces pages anonymes, trouvées dans leurs archives, et s’accréditer leur appartenance à Bossuet. Cette créance fit fortune. Jean-Pierre Caussade l’entérina avec satisfaction dans ses Instructions Spirituelles ; il reproduisit « mot à mot », écrit-il [nous en doutons], la copie qu’il en trouva à la Visitation de Nancy, p. 402-413. Madame de Bassompierre, « en revenant d’être supérieure à la Visitation de Meaux », l’avait rapportée. Le texte se lit aussi, ajoute-t-il, « à la fin d’un petit livre intitulé Pratique de la présence de Dieu. » / En fait, l’attribution à Bossuet ne se soutient pas, bien qu’on ignore encore l’origine de ce texte. Il répond, en tout cas, à la spiritualité de l’abandon… » [fin citée en texte principal]. – Nous pensons que Madame Guyon, qui fut particulièrement appréciée par les religieuses lors de son séjour forcé dans ce couvent, en fut l’inspiratrice sinon la rédactrice (elle le dicta peut-être comme elle le faisait peu de temps auparavant en préparant les Justifications).

[915] DS 10.113-115 (Henri Gouhier).

[916] Maine de Biran, Journal, Etre et penser, 3 vol., Éd. de la Baconnière, 1954-1957 – Les citations sont extraites du Journal III.

[917] DS 8.1723/9. 

[918] Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, P.U.F., 1966, 483, 490. – L’Imitation de la Vie pauvre de N.S.J.C. fut considérée comme le chef-d’œuvre de Tauler avant d’être exclue du corpus de ses écrits ; sa traduction parut à la mauvaise date de 1914 dans ses Œuvres complètes.

[919] G. Mursell, English spirituality From 1700 to the Present Day, SPCK, 2001, 290. – Mursell lui consacre une section importante : « The sympathetic sacrifice : Dora Greenwell » couvre les pages 289-299, précédant Georges Eliot et Charles Dickens.

[920] DS 9.546/8 - Dom Vital Lehodey, Le Saint Abandon, Paris, 1919.

[921] H Bremond, Histoire Littéraire du Sentiment Religieux en France : I L’Humanisme dévot, II L’Invasion mystique, III-VI La Conquête mystique : * L’École Française, ** L’École de Port-Royal, *** L’École du Père Lallemant, **** Marie de l’Incarnation. Turba Magna, VII-VIII La Métaphysique des saints : * et **.

[921] E. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, 1982, p. 293 (et v. p. 306).

[922] Rapport sur « études d'histoire et de psychologie du mysticisme » d'Henri Delacroix (STASMP, CLXXI, 1909, pp. 670-671) in Bergson, Mélanges, 789.

[923] Lettre de Joseph Lotte à Camille Quoniam. 21 avril 1911. Entretien avec le philosophe Henri Bergson in Bergson, Mélanges, 881.

[924] Site internet : « Amis de Corbin ».

[925] Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, 1931, Livre IV « la synthèse doctrinale », chap. II, p. 439 ; les citations suivantes proviennent du même chapitre, dont la note de la page 442.

[926] Explication des maximes des Saints sur la vie intérieure. Édition critique publiée d’après des documents inédits, par Albert Cherel, Paris. 1911. art. VII, Vray, p. 169-170.

[927] Bibliographie sur Wikipedia dont :

La Mère Angélique et saint François de Sales 1618-1626, Sulliver, 1951.

Saint Jean de la Croix et la pensée chrétienne, Paris, Institut catholique, 1962/1963.

Histoire de la spiritualité chrétienne : La spiritualité moderne : 1. L'essor : 1500-1650, Aubier, 1966.

Introduction aux mystiques rhéno-flamands, Desclée, 1968.

Crépuscule des mystiques : Bossuet - Fénelon, Desclée, 1991.

[928] Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, 1989.

Récits de Captivité, inédit, Millon, 1992.

Le Moyen court et autres récits, Une simplicité subversive, Millon, 1995.

 

[929] Nous avons déjà reproduit l’« Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit », A. Favre, op. cit., 115-118.

[930]M. D’Istria, Le Père de Caussade et la querelle du pur amour, Aubier, 1964, 12.

[931] J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, Klincksieck, 1997, 527 ; P. Ward, Rencontres…, « Madame Guyon et l’influence quiétiste aux États-Unis », Millon, Grenoble, 1997, 131.

[932] Tradition des Pères et des auteurs ecclésiastiques sur la contemplation, par le R.P. Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, tomes I et II à Paris, 1708 ; tome III, 1714.

[933] L. Cognet, Crépuscule…, op. cit.

 

[934] L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.

[935]S’y associent des chemins : …Bernières – Aumont – Enguerrand – Guyon… & …Chrysostome/Bernières – Geneviève Granger - Guyon… ; des influences italiennes : Petrucci – Ripa et Lacombe – Guyon.

[936] Dont L’homme intérieur ou la vie du Vénérable Père Jean Chrysostome, op.cit.

[937] François La Combe (1640-1715), Vie, Œuvres, Epreuves du Père confesseur de Madame Guyon, Dossier des Sources assemblé et commenté par Dominique Tronc, 1-649, 2016, édité en ligne, www.lulu.com, www. cheminsmystiques.fr ou .com

Contient : (1) Les témoignages livrés par Madame Guyon dans sa Vie par elle-même et lors de ses interrogatoires à Vincennes ; (2) Près de cinquante lettres extraites de la Vie par elle-même, Correspondance I & II, Années d’épreuves, éd. Champion ; (3) Des écrits publiés dans les Opuscules spirituels, édités par Pierre Poiret en 1720 pour mettre à disposition les écrits de madame Guyon qu’il jugeait essentiels ; (4) une œuvre traduite du latin publiée en 1795 par le groupe des fidèles suisses ; (5) une défense qui demeura manuscrite jusqu’à sa publication en 1910 ;  (6) DS 9.35-42, art. “Lacombe” par J. Orcibal. 

Présisions sur des sources : (3) “Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction…”, suivie de “Maximes spirituelles”, dans J.-M. Guion, Opuscules spirituels, Olms,  reprod. 1978, 445-534 ; (4) Orationis mentalis analysis, “voies de la vérité à la vie […] De l’Oraison Mentale, traduction du latin du Traité du Père La Combe de l’Oraison mentale, par mon Père [Dutoit] ” : ce ms. TP 5140/2 fut publié à l’intention du cercle de Morges-Lausanne sous le titre Voyes de la Vérité à la vie, 1795,  conjointement avec la Guide Spirituelle de Molinos ; (5) Apologie, Revue Fénelon, t. I, 1910, 69-87 & 139-164 qui met à plat les assertions du général des chartreux Dom Le Masson.

[938] Dans Expériences… III, la section consacrée à Marie de l’Incarnation comporte une séquence d’extraits présentés chronologiquement comme une Vie.

[939] Lettre 274 à son fils, 8 octobre 1671


 [MT1]n

 [P2]252   Au Marquis de Fénelon  septembre 1711 ?

Fraternité spirituelle ; la ferveur n’est pas la perfection de la dévotion.

J’ai reçu votre lettre, monsieur, avec beaucoup de joie

 [P3]Le sentiment et la ferveur dans la dévotion n’est pas la perfection de la dévotion, mais des accidents passagers, qui ne l’augmentent ni ne la diminuent : c’est un feu de paille, qui ne saurait être de durée. Mais la solide dévotion ne se perd pas lorsqu’on cesse de la sentir : elle n’est point assujettie aux causes accidentelles. L’amour sacré, la foi, l’abandon à la volonté de Dieu, sont l’âme de la piété, qui ne gît point dans le sentiment.

 [P4]de la fidélité ou de l’infidélité à l’oraison dépend tout le bien et le mal de notre vie ...la force auprès de Dieu dans la prière. C’est comme un magasin d’eau qui se répand insensiblement sur toutes les actions de la journée. ...je vous demande en grace que quand quelque chose vous fait peine et vous cause quelque honte, vous le disiez sur le champ à votre bon père ...Quand nous sommes bien convaincus de ce que nous sommes par nous-mêmes, nos misères redoublent notre confiance en Dieu. ... Je veux bien de tout mon cœur vous accepter en la qualité que vous me donnez...” E.Griselle note que “le  marquis de Fénelon a donc demandé à Mme Guyon d’être sa ‘mère’ spirituelle, du vivant même de son grand oncle” [op.cit. p.114]

 

 [P5]260   Au Marquis de Fénelon  9 juillet 1714

« … un Dieu dont la bonté est immense, qui ne chicane point avec nous … Il a une infinité de sentiers… »

Je vous assure mon cher enfant que vous me tenez fort au cœur

 [P6]C’est un Dieu dont la bonté est immense, qui ne chicane point avec nous et qui ne fait aucun incident à un cœur simple et droit

 [P7]262   Au Marquis de Fénelon  19 octobre 1714

Rendez-vous caché ; conseils spirituels.

J’étais fort en peine de vos nouvelles

 [A8]Notre âme au lieu de se relever après ses chutes se laisse abattre par une vue et un esprit propriétaire de nos misères.

 [A9]Vous êtes à Dieu et non à vous. Il est jaloux, laissez-le reprendre son bien

 [A10]Laissez vous ôter ce que vous auriez assurément peine à rendre. Dieu vous fait grâce de tout prendre. Je vous déclare que je serai  toujours de son parti et que mon cœur, sans vous rien dire, vous dérobera bien des choses pour les rendre à qui il appartient. Je suis méchante, je vous aime néanmoins de tout mon cœur

 [A11]Vous ne pouvez empêcher les folies de l’imagination; mais vous pouvez vous renoncer et ne prendre part à rien. Nous sommes du naturel des crapauds1. Nous nous enflons de tout, mais de même que l’enflure du crapaud n’est que du venin et qu’il prend son poison sur la terre, il en est de même de notre enflure. C’est un poison mortel pour notre âme. Ce poison vient de la terre qui est nous-mêmes et c’est notre amour propre qui nous enfle, mais si le crapaud est si vilain, il a une admirable propriété qui est qu’étant en l’air exposé au soleil, il perd la malignité de son poison et sert à faire un excellent antidote. Si nous nous exposons au soleil de justice et que nous nous élevions de la terre c’est-à-dire au-dessus de nous-mêmes par un entier renoncement, nous paraissons si horribles et si sales aux yeux de Dieu qu’il y aura en nous de quoi faire un véritable antidote contre toute enflure.

 [A12]            303   Au Marquis de Fénelon  et à Ramsay

« … je voyais tant de têtes et point de cœurs… »

Comme j’espère vous voir

 [A13]ce qui vous cause une occupation perpétuelle de vous-même, et cette occupation de vous-même est la source de toutes vos distractions. Il ne faut vous étonner si vous êtes plus sec à présent et si vous ne trouvez plus cette douceur et cette consolation que vous trouviez lorsque vous me veniez voir autrefois. Dieu ne donne par ses instruments que ce qu’il donne par Lui-même selon la disposition et l’état qu’il veut de l’âme.

 [A14]parce qu’ils sont tièdes, Dieu les vomit6. S’ils étaient tout froids, leur froideur pourrait leur faire de la peine et ils chercheraient sans doute de quoi se réchauffer auprès de Dieu. S’ils étaient chauds ils rempliraient leurs devoirs en s’attachant à l’unique objet de leur amour. Ils ne clocheraient pas sans cesse des deux côtés

 [A15]Ne croyez pas que votre voyage vous ai moins servi que les autres parce que vous y avez eu moins de goût sensible, c’est le contraire. Dieu voulant vous ôter le sensible a commençé ici.

 [MT16]